Affaires jointes C‑775/22, C‑779/22 et C‑794/22
M.S. G.
et
N.G. S.
et
A.G. S.
et
M.C.S.
et
FSC
contre
Banco Santander SA
(demande de décision préjudicielle, introduite par le Tribunal Supremo)
Arrêt de la Cour (première chambre) du 5 septembre 2024
« Renvoi préjudiciel – Directive 2014/59/UE – Résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement – Principes généraux – Article 34, paragraphe 1, sous a) et sous b) – Renflouement interne – Dépréciation des instruments de fonds propres – Conversion d’obligations subordonnées en actions et transfert forcé sans contrepartie – Effets – Article 38, paragraphe 13 – Article 53, paragraphes 1 et 3 – Article 60, paragraphe 2, premier alinéa, sous b) et c) – Articles 73 à 75 – Protection des droits des actionnaires et des créanciers – Acquisition d’instruments de fonds propres – Informations défectueuses et erronées fournies dans le prospectus – Action en responsabilité – Action tendant à la nullité du contrat d’acquisition des instruments de fonds propres – Actions introduites contre le successeur universel de l’établissement de crédit soumis à une décision de résolution »
1. Politique économique et monétaire – Politique économique – Redressement et résolution des établissements de crédit – Directive 2014/59 – Effet du renflouement interne – Dépréciation ou conversion d’instruments de fonds propres – Prospectus à publier en cas d’offre au public ou d’admission à la négociation de valeurs mobilières – Information incorrecte – Établissement de crédit soumis à une décision de résolution ou entité lui ayant succédé – Conversion d’instruments de fonds propres en actions avant la procédure de résolution – Action en responsabilité introduite postérieurement à la décision de résolution – Action tendant à la nullité du contrat d’acquisition d’actions introduite postérieurement à la décision de résolution – Inadmissibilité
[Directive du Parlement européen et du Conseil 2003/71, art. 6 ; directive du Parlement européen et du Conseil 2014/59, considérant 49 et art. 2, § 1, 34, § 1, a) et b), 53, § 1 et 3, et 60, § 2, 1er al., b) et c), et 3]
(voir points 51, 52, 54, 57-62, disp. 1)
2. Politique économique et monétaire – Politique économique – Redressement et résolution des établissements de crédit – Directive 2014/59 – Effet du renflouement interne – Dépréciation ou conversion d’instruments de fonds propres – Prospectus à publier en cas d’offre au public ou d’admission à la négociation de valeurs mobilières – Information incorrecte – Établissement de crédit soumis à une décision de résolution ou entité lui ayant succédé – Conversion d’instruments de fonds propres en actions, transférées ensuite à un autre établissement de crédit, dans le cadre d’une procédure de résolution – Action en responsabilité introduite postérieurement à la décision de résolution – Action tendant à la nullité du contrat d’acquisition d’actions introduite contre le successeur universel de l’établissement de crédit soumis à une décision de résolution – Inadmissibilité
[Directive du Parlement européen et du Conseil 2014/59, art. 34, § 1, a) et b), 37, § 3, a) et d), et 4, 38, 53, § 1 et 3, 60, § 2, 1er al., b) et c), et 73, b)]
(voir points 66-70, 74-77, 83-85, disp. 2)
Résumé
Saisie à titre préjudiciel par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), quant à l’interprétation de dispositions de la directive 2014/59 (1), la Cour se prononce, de nouveau, sur la question de savoir si les personnes ayant acquis des instruments de fonds propres d’un établissement de crédit soumis à une procédure de résolution peuvent introduire, postérieurement à la dépréciation totale des actions du capital social de cet établissement, une action en nullité du contrat de souscription desdits instruments et/ou une action en responsabilité, en raison d’informations défectueuses et erronées fournies dans le prospectus d’émission (2). Cette question a été posée dans des litiges introduits par des personnes dont les instruments de fonds propres ont été convertis en actions dudit établissement de crédit, soit avant la procédure d’adoption de mesures de résolution, soit dans le cadre de cette procédure.
Cet arrêt de la Cour fait suite à l’arrêt Banco Santander du 5 mai 2022 (3), dans lequel elle a jugé que, postérieurement à la dépréciation totale des actions du capital social d’un établissement de crédit ou d’une entreprise d’investissement soumis à une procédure de résolution, les personnes ayant acquis des actions avant l’ouverture de cette procédure ne peuvent introduire de telles actions en responsabilité ou en nullité.
Les requérants au litige principal avaient acquis, en 2010 et 2011, différents instruments de fonds propres émis par Banco Popular, établissement de crédit espagnol, ou par une filiale de celle-ci. Au cours des années 2012 et 2014, une partie desdits instruments ont été convertis en actions de Banco Popular. Le 7 juin 2017, le Conseil de résolution unique (CRU) a adopté un dispositif de résolution à l’égard de Banco Popular, approuvé par la Commission européenne et mis en œuvre par le Fondo de Reestructuración Ordenada Bancaria (Fonds de restructuration ordonnée des établissements bancaires, Espagne) (ci-après le « FROB »), moyennant une décision adoptée le même jour (4). Par cette décision, celui-ci a notamment réduit à zéro le capital social de Banco Popular au moyen de la dépréciation de la totalité des actions en circulation. Cette dépréciation a eu pour conséquence que certains requérants ont cessé d’être les détenteurs d’actions de Banco Popular, qui résultaient de la conversion de leurs instruments de fonds propres opérée au cours des années 2012 et 2014. En outre, le FROB a décidé de convertir en nouvelles actions les obligations subordonnées (instruments de fonds propres de catégorie 2) et de transférer à Banco Santander ces nouvelles actions sans le consentement des anciens détenteurs de ces instruments. Cette opération a conduit à ce que d’autres requérants ont cessé d’être les détenteurs des obligations subordonnées acquises au cours des années 2010 et 2011, lesquelles ont été converties en actions, lesquelles ont, par la suite, été transférées à Banco Santander, sans recevoir de contrepartie.
Appréciation de la Cour
En premier lieu, la Cour se prononce sur les actions en responsabilité pour informations défectueuses ou erronées dans le prospectus d’émission (5) et sur les actions en nullité du contrat de souscription d’instrument de fonds propres d’un établissement de crédit engagées par des personnes ayant acquis de tels instruments convertis en actions dudit établissement avant l’adoption de mesures de résolution contre celui-ci.
Dans un premier temps, elle relève que, en vertu de la directive 2014/59 (6), lorsqu’une autorité de résolution réduit à zéro le principal ou les sommes dues au titre d’un élément de passif, cet élément de passif, ainsi que toute obligation ou créance en découlant qui n’est pas échue au moment de la résolution, est réputé acquitté à toutes fins et ne peut être opposable à l’établissement de crédit ou à l’entreprise d’investissement soumis à une mesure de résolution ni à toute entité lui ayant succédé. Par ailleurs, la directive précise qu’aucune obligation à l’égard du détenteur des instruments de fonds propres dépréciés, en vertu de la décision de résolution, ne subsiste dans le cadre desdits instruments ou en lien avec leur montant qui a été déprécié, excepté les obligations déjà échues et les responsabilités pouvant découler d’un recours contestant la légalité de l’exercice du pouvoir de dépréciation (7).
S’agissant des notions d’« obligations échues » ou de « créances échues », la Cour rappelle que, comme elle l’a déjà jugé dans l’arrêt Banco Santander du 5 mai 2022, les droits découlant d’une action en responsabilité, du fait des informations fournies dans le prospectus de vente de valeurs mobilières (8), ainsi que d’une action en nullité d’un contrat de souscription d’actions ne peuvent pas être considérés comme relevant de la catégorie des obligations ou des créances « échues » (9) lorsque ces actions sont intentées, contre l’établissement de crédit ou l’entreprise d’investissement émetteur du prospectus ou l’entité lui ayant succédé, postérieurement à l’adoption de la décision de résolution.
Dans un second temps, elle juge qu’une telle compréhension de ces notions s’impose également lorsque les droits découlent d’une action en responsabilité ou en nullité relative à l’acquisition d’instruments de fonds propres, ultérieurement convertis en actions, eu égard au contexte dans lequel s’insèrent lesdites notions et aux objectifs poursuivis par la directive 2014/59.
En effet, premièrement, la directive 2014/59 établit le principe selon lequel ce sont les actionnaires, suivis des créanciers, d’un établissement de crédit ou d’une entreprise d’investissement soumis à la procédure de résolution qui doivent supporter prioritairement les pertes subies du fait de l’application de cette procédure. Or, dans le cadre d’un renflouement interne, la dépréciation et la conversion des instruments de fonds propres participent directement à la réalisation des objectifs de la procédure de résolution. Dès lors, permettre à des personnes ayant acquis des instruments de fonds propres antérieurement à la résolution d’intenter, postérieurement à celle-ci, des actions en responsabilité ou en nullité à des fins de réparation ou de restitution à la hauteur des fonds versés pour cette acquisition comporterait précisément le risque que le montant des instruments de fonds propres faisant l’objet d’un renflouement interne soit rétroactivement réduit, ce qui serait susceptible de remettre en cause la réalisation des objectifs poursuivis par la mesure de résolution.
C’est dans cette perspective que la directive 2014/59 prévoit (10) qu’aucune indemnisation n’est versée aux détenteurs des instruments de fonds propres pertinents, sauf dans les cas de conversion de tels instruments (11), et que, dans ces cas, l’indemnisation prend la forme d’une émission d’instruments de fonds propres en faveur de ces détenteurs. Ce faisant, elle tend à éviter que cette indemnisation puisse réduire rétroactivement le montant des fonds propres utilisés aux fins de la résolution.
Deuxièmement, en ce qui concerne les objectifs poursuivis par la directive 2014/59, la Cour constate que la directive 2014/59 prévoit le recours, dans un contexte économique exceptionnel, à une procédure pouvant affecter notamment les droits des actionnaires et des créanciers d’un établissement de crédit ou d’une entreprise d’investissement, afin de préserver la stabilité financière des États membres, en créant un régime d’insolvabilité dérogatoire au droit commun des procédures d’insolvabilité, dont la mise en œuvre n’est autorisée que dans des circonstances exceptionnelles et doit être justifiée par un intérêt général supérieur.
Elle souligne que, ainsi que cela ressort de l’arrêt Banco Santander du 5 mai 2022, la directive 2003/71 figure parmi les « directives de l’Union en matière de droit des sociétés », auxquelles la directive 2014/59 permet de déroger, pour autant que leur application est susceptible de priver d’effet utile ou d’entraver la mise en œuvre d’une procédure de résolution. Tant l’action en responsabilité que l’action en nullité, qui reviennent à exiger que l’établissement de crédit ou l’entreprise d’investissement soumis à la procédure de résolution, ou le successeur de ces entités, indemnise les actionnaires des pertes subies en conséquence de l’exercice, par une autorité de résolution, du pouvoir de dépréciation et de conversion, remettraient en cause toute la valorisation sur laquelle est fondée la décision de résolution, puisque la composition du capital fait partie des données objectives de cette valorisation et, partant, seraient susceptibles de mettre en échec la procédure même de résolution ainsi que les objectifs poursuivis par la directive 2014/59. C’est ainsi que, toujours dans le même arrêt, elle a jugé que la mise en œuvre de l’article 34, paragraphe 1, sous a), de l’article 53, paragraphes 1 et 3, et de l’article 60, paragraphe 2, premier alinéa, sous b) et c), de la directive 2014/59 exclut qu’une action en responsabilité prévue à l’article 6 de la directive 2003/71 ou qu’une action en nullité du contrat de souscription d’actions, prévue par le droit national, soient intentées, contre l’établissement de crédit ou l’entreprise d’investissement émetteur du prospectus ou l’entité lui ayant succédé, postérieurement à l’adoption de la décision de résolution sur le fondement de ces dispositions.
Or, en l’occurrence, elle note que, si des requérants au principal ont initialement acquis des instruments de fonds propres autres que des actions de Banco Popular, ces instruments avaient déjà été convertis en actions de Banco Popular antérieurement à la résolution de cette banque et que, dans le cadre de la résolution de celle-ci, les actions résultant de cette conversion ont fait l’objet d’une mesure de dépréciation et de conversion aux fins du renflouement interne de ladite banque.
La Cour conclut que les dispositions de la directive 2014/59 susvisées s’opposent à ce que, postérieurement à la dépréciation totale des actions du capital social d’un établissement de crédit soumis à une procédure de résolution, les personnes ayant acquis des instruments de fonds propres qui ont été convertis en actions de cet établissement de crédit avant l’adoption des mesures de résolution contre celui-ci, introduisent, contre ledit établissement ou contre l’entité lui ayant succédé, une action en responsabilité engagée en raison d’informations défectueuses et erronées fournies dans le prospectus d’émission ou une action en nullité du contrat de souscription de ces instruments de fonds propres au titre du droit national, qui, compte tenu de son effet rétroactif, aboutirait à la restitution de la contre-valeur desdits instruments de fonds propres initialement acquis, puis convertis en actions, majorée d’intérêts à compter de la date de la conclusion de ce contrat.
En second lieu, la Cour se penche sur la question de savoir si les dispositions de la directive 2014/59 (12) s’opposent à ce que, postérieurement à la dépréciation totale des actions du capital social d’un établissement de crédit soumis à une procédure de résolution, les personnes ayant acquis des instruments de fonds propres qui, dans le cadre de cette procédure, ont été convertis en actions de cet établissement de crédit, lesquelles ont, par la suite, immédiatement été transférées à un autre établissement de crédit, peuvent introduire contre ce dernier une action en nullité du contrat de souscription desdits instruments de fonds propres au titre du droit national, qui, compte tenu de son effet rétroactif, aboutirait à la restitution de la contre-valeur desdits instruments de fonds propres, majorée d’intérêts à compter de la date de la conclusion de ce contrat.
Elle précise que, en vertu de l’article 37, paragraphe 3, sous a) et d), ainsi que du paragraphe 4, de la directive 2014/59, les autorités de résolution peuvent combiner l’instrument de renflouement interne avec celui de la cession des activités de l’établissement. Ainsi qu’il ressort de l’article 2, points 57 et 58, de cette directive, si le premier de ces instruments comporte les pouvoirs de dépréciation et de conversion, le second consiste dans le transfert, notamment, des actions ou d’autres titres de propriété émis par un établissement soumis à une procédure de résolution à un acquéreur autre qu’un établissement-relais. Or, selon cette directive (13), dans le cadre de ce second instrument, la propriété des actions ou d’autres titres de propriété étant transférée, avec effet juridique immédiat, à l’acquéreur, les propriétaires initiaux perdent non seulement la propriété, mais également la qualité d’« actionnaire » ou de « créancier » de l’établissement de crédit soumis à la procédure de résolution. Ainsi, les anciens actionnaires de l’établissement de crédit soumis à la procédure de résolution dont les actions ont été transférées dans le cadre de la résolution ne sont plus actionnaires ni de cet établissement de crédit ni de son successeur et perdent tout droit direct ou indirect sur les actifs, les droits ou les engagements transférés. Ce faisant, la directive fait obstacle à ce que les créanciers et les actionnaires puissent, avec un effet rétroactif, mettre en échec la procédure de résolution ainsi que les objectifs poursuivis par celle-ci, d’autant plus qu’une telle action serait susceptible de permettre aux créanciers et aux actionnaires d’éviter rétroactivement les pertes qu’ils doivent supporter prioritairement.
S’agissant de l’argument soulevé par les requérants au principal, invoquant une limitation de leur droit à une protection juridictionnelle effective en ce qui concerne leur droit d’introduire une action en nullité du contrat de souscription d’actions ou d’instruments de fonds propres convertis en actions, la Cour rappelle que ce droit garanti à l’article 47 de la Charte ne constitue pas une prérogative absolue et son exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union. En outre, bien qu’il y ait un intérêt général clair de garantir à travers l’Union une protection forte et cohérente des investisseurs, cet intérêt ne peut pas être considéré comme primant en toutes circonstances l’intérêt général consistant à garantir la stabilité du système financier. Or, en faisant supporter prioritairement aux actionnaires les pertes subies par un établissement de crédit ou une entreprise d’investissement, la directive vise à assurer la stabilité du système financier de l’Union, étant précisé que, selon cette directive, une procédure de résolution ne devrait s’appliquer que dans ces circonstances économiques exceptionnelles et d’extrême urgence, lorsque l’établissement de crédit ou l’entreprise d’investissement en cause ne peut pas être liquidé selon une procédure normale d’insolvabilité sans déstabiliser le système financier de l’Union. Si les dispositions de la directive empêchent ainsi l’introduction, postérieurement à l’adoption de la décision de résolution, d’une telle action en nullité, la Cour souligne, entre autres, que la mesure de résolution, telle qu’elle résulte de la décision de la Commission portant approbation d’un dispositif de résolution, est susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Un tel recours participe à la protection juridictionnelle effective des actionnaires et des créanciers, également en ce qu’une éventuelle annulation de la mesure de résolution permettrait d’introduire une action en nullité du contrat de souscription d’actions ou d’instruments de fonds propres convertis en actions.
La Cour conclut que les dispositions de la directive 2014/59, notamment en son article 34, paragraphe 1, sous a) et b), et son article 38, s’opposent à ce que, postérieurement à la dépréciation totale des actions du capital social d’un établissement de crédit soumis à une procédure de résolution, les personnes ayant acquis des instruments de fonds propres qui, dans le cadre de cette procédure, ont été convertis en actions de cet établissement de crédit, lesquelles ont, par la suite, immédiatement été transférées à un autre établissement de crédit, introduisent contre ce dernier une action en nullité du contrat de souscription de ces instruments de fonds propres au titre du droit national.