Affaire C‑399/22
Confédération paysanne
contre
Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire
et
Ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique
[demande de décision préjudicielle, introduite par le Conseil d’État (France)]
Arrêt de la Cour (grande chambre) du 4 octobre 2024
« Renvoi préjudiciel – Politique commerciale commune – Accords internationaux – Accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part – Modification des protocoles no 1 et no 4 de l’accord euro-méditerranéen – Règlement (UE) no 1169/2011 – Article 9 – Article 26, paragraphe 2 – Règlement d’exécution (UE) no 543/2011 – Article 3, paragraphes 1 et 2 – Article 5, paragraphes 1 et 2 – Article 8 – Article 15, paragraphes 1 et 4 – Annexe I – Annexe IV – Règlement (UE) no 1308/2013 – Article 76 – Information des consommateurs sur les denrées alimentaires – Mention obligatoire du pays d’origine ou du lieu de provenance d’une denrée alimentaire – Fruits et légumes récoltés au Sahara occidental – Demande adressée à un État membre d’interdire unilatéralement les importations de ces produits sur son territoire – Mention obligatoire du Sahara occidental en tant que lieu de provenance des tomates et des melons récoltés sur ce territoire »
1. Politique commerciale commune – Champ d’application – Accord euro-méditerranéen d’association CE-Maroc – Importations dans l’Union de produits agricoles – Inclusion
(Art. 207, § 1, TFUE)
(voir points 42-44)
2. Politique commerciale commune – Régime commun applicable aux importations – Règlement no 2015/478 – Régime de sauvegarde – Champ d’application – Compétence exclusive de l’Union – Compétence de la Commission d’adopter des mesures de sauvegarde dans le cadre fixé par les mécanismes de coopération prévu par l’accord euro-méditerranéen d’association UE-Maroc – Pouvoirs des États membres d’adopter unilatéralement des mesures de sauvegarde prohibant l’importation de produits agricoles systématiquement non conformes à la législation de l’Union relative à l’indication du pays ou territoire d’origine – Absence
[Art. 2, § 1, 3, § 1, sous e), 36 et 207, § 1, TFUE ; règlements du Parlement européen et du Conseil no 1308/2013, art. 194 et 2015/478, art. 1er, 15, § 1, et 24, § 2, sous a)]
(voir points 46-55, disp. 1)
3. Rapprochement des législations – Information des consommateurs sur les denrées alimentaires – Interdiction d’un étiquetage de nature à induire l’acheteur en erreur – Règlement no 1169/2011 – Champ d’application – Dispositions spécifiques en matière d’indication de l’origine des fruits et légumes frais prévues par les règlements no 1308/2013 et no 543/2011 – Exclusion
[Règlements du Parlement européen et du Conseil no 1169/2011, art. 1er, § 4, 9 et 26, et no 1308/2013, art. 75, § 3, sous j), et 76 ; règlement de la Commission no 543/2011, art. 1er, § 1, et annexe I, partie A]
(voir points 67-69)
4. Agriculture – Organisation commune des marchés – Fruits et légumes – Règlement no 543/2011 – Informations obligatoires sur les denrées alimentaires – Mention obligatoire du pays d’origine ou du lieu de provenance d’une denrée alimentaire – Omission de cette mention pouvant induire les consommateurs en erreur – Fruits et légumes originaires du Sahara occidental occupé par le Maroc – Obligation pour ces fruits et légumes de porter la mention de leur territoire d’origine défini à l’instar du territoire douanier – Notion de territoire douanier – Territoire du Sahara occidental – Inclusion – Royaume du Maroc – Exclusion
(Règlements du Parlement européen et du Conseil noº952/2013, art. 60, et no 1308/2013, art. 76, § 1 ; règlements de la Commission no 543/2011, art. 3, § 1, et annexe 1, partie A, point 4, partie B, point VI, et partie 10, et no 2020/1470)
(voir points 72, 73, 79-81, 83, 86-89, disp. 2)
5. Agriculture – Organisation commune des marchés – Fruits et légumes – Conditions de commercialisation – Indication du pays d’origine – Notion de pays d’origine – Interprétation à la lumière des règlements en matière douanière pour la détermination de l’origine non préférentielle des marchandises – Pays ou territoire sur lequel les produits ont été récoltés – Inclusion dans la notion
[Règlements du Parlement européen et du Conseil no 952/2013 art. 59, sous c), 60 et 61 et no 1308/2013, art. 76 ; règlement de la Commission no 543/2011, art. 3, § 1, et annexe 1, partie A, point 4, partie B, point VI]
(voir points 74-78)
6. Accords internationaux - Accords de l'Union - Accord euro-méditerranéen d’association CE- Maroc - Champ d'application territorial - Territoire non autonome du Sahara occidental en dehors de la souveraineté des parties - Exclusion
(Accord euro-méditerranéen d’association CE- Maroc, art. 11)
(voir points 82, 85)
Résumé
Saisie à titre préjudiciel par le Conseil d’État (France), la Cour, en formation de grande chambre, dit pour droit que l’article 207 TFUE, le règlement no 2015/478 (1) et le règlement no 1308/2013 (2) ne permettent pas à un État membre d’adopter unilatéralement une mesure prohibant l’importation de produits agricoles dont l’étiquetage est systématiquement non conforme à la législation de l’Union européenne relative à l’indication du pays ou du territoire d’origine. Elle souligne, par ailleurs, que l’article 76 du règlement no 1308/2013, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 543/2011 (3), doit être interprété en ce sens que, aux stades de l’importation et de la vente au consommateur, l’étiquetage des melons charentais et des tomates cerises récoltés sur le territoire du Sahara occidental doit indiquer le seul Sahara occidental comme étant leur pays d’origine.
Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Confédération paysanne, un syndicat agricole français, au ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire (France) ainsi qu’au ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique (France), au sujet de la légalité d’une décision implicite de rejet par ces derniers de sa demande de prendre un arrêté prohibant l’importation des tomates cerises et des melons charentais récoltés sur le territoire du Sahara occidental (ci-après les « produits en cause au principal »).
La Confédération paysanne a saisi, le 2 octobre 2020, le Conseil d’État, qui est la juridiction de renvoi, d’un recours tendant, d’une part, à l’annulation de la décision implicite de rejet opposée par ces ministres à sa demande et, d’autre part, à enjoindre à ces ministres de prendre ledit arrêté. Elle fait valoir que le territoire du Sahara occidental ne fait pas partie du territoire du Royaume du Maroc et que l’étiquetage indiquant que les produits en cause au principal sont originaires du Maroc viole donc les dispositions du droit de l’Union relatives à l’information des consommateurs sur l’origine des fruits et des légumes mis à la vente.
La juridiction de renvoi se demande notamment si la réglementation pertinente du droit de l’Union autorise un État membre à adopter une mesure nationale d’interdiction des importations, en provenance d’un pays tiers, de produits dont l’étiquetage ne mentionne pas correctement le pays ou le territoire dont ils proviennent et si ladite réglementation permet, au stade de l’importation des produits en cause au principal comme à celui de leur vente au consommateur, que l’étiquetage desdits produits mentionne le Royaume du Maroc comme pays d’origine ou s’il doit seulement mentionner le territoire du Sahara occidental.
Appréciation de la Cour
En premier lieu, s’agissant de la question de savoir si l’article 207 TFUE, le règlement de base sur les sauvegardes et le règlement no 1308/2013 doivent être interprétés en ce sens qu’ils permettent à un État membre d’adopter unilatéralement une mesure prohibant l’importation de produits agricoles dont l’étiquetage est systématiquement non conforme à la législation de l’Union relative à l’indication du pays ou du territoire d’origine, dans un premier temps, la Cour rappelle que l’article 3, paragraphe 1, sous e), TFUE attribue à l’Union une compétence exclusive dans le domaine de la politique commerciale commune, laquelle, conformément à l’article 207, paragraphe 1, TFUE, est fondée sur des principes uniformes et est menée dans le cadre des principes et des objectifs de l’action extérieure de l’Union.
Dans un second temps, elle précise que, lorsque les traités attribuent à l’Union une compétence exclusive dans un domaine déterminé, seule l’Union peut légiférer et adopter des actes juridiquement contraignants (4). Les États membres peuvent, en effet, légiférer et adopter des actes juridiquement contraignants dans un tel domaine uniquement s’ils y sont habilités par l’Union ou pour mettre en œuvre les actes de l’Union. En l’absence d’une telle habilitation, les États membres ne peuvent, dès lors, pas adopter unilatéralement une mesure prohibant l’importation d’une catégorie de produits provenant d’un territoire ou d’un pays tiers, ladite importation étant par ailleurs admise et réglée par un accord commercial conclu par l’Union.
Certes, l’article 24, paragraphe 2, sous a), du règlement de base sur les sauvegardes prévoit que ce règlement ne fait pas obstacle à l’adoption ou à l’application, par les États membres, d’interdictions, de restrictions quantitatives ou de mesures de surveillance pour certains motifs spécifiques. La Cour relève néanmoins que cette disposition est sans préjudice d’autres dispositions pertinentes du droit de l’Union. Ainsi, en matière d’importation de produits agricoles, l’article 194 du règlement no 1308/2013 réserve à la Commission européenne la compétence pour prendre des mesures de sauvegarde à l’égard des importations dans l’Union de produits entrant dans le champ d’application du règlement no 1308/2013. L’article 24, paragraphe 2, sous a), du règlement de base sur les sauvegardes ne saurait, dès lors, être compris comme habilitant les États membres à adopter, unilatéralement, des mesures de sauvegarde à l’égard de l’importation de produits agricoles.
La Cour souligne, à cet égard, que dans l’hypothèse d’une méconnaissance généralisée des dispositions du droit de l’Union relatives à l’information des consommateurs sur l’origine des fruits et des légumes mis à la vente par les exportateurs, il appartiendrait, le cas échéant, non pas à un État membre, mais à la Commission d’intervenir dans le cadre fixé par les mécanismes de coopération prévus par l’accord d’association.
En second lieu, la Cour examine la question de savoir si l’article 76 du règlement no 1308/2013, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 543/2011, doit être interprété en ce sens que, aux stades de l’importation et de la vente au consommateur, l’étiquetage des produits en cause au principal doit indiquer le Sahara occidental, sans pouvoir mentionner le Royaume du Maroc comme étant leur pays d’origine.
La Cour rappelle, à cet égard, que le considérant 8 du règlement d’exécution no 543/2011, à la lumière duquel les exigences prévues à l’article 3, paragraphe 1, dudit règlement doivent être lues, énonce, en substance, que les mentions requises par les normes de commercialisation doivent figurer clairement sur l’emballage et/ou l’étiquette des produits concernés, notamment afin d’éviter que le consommateur ne soit induit en erreur. Ainsi, l’indication du pays d’origine qui doit nécessairement figurer sur les produits tels que ceux en cause au principal ne doit pas être trompeuse.
Eu égard à l’article 60 du règlement no 952/2013 (5), l’obligation de mentionner le pays d’origine des produits en cause au principal qui découle, d’une part, des normes générales de commercialisation prévues dans la partie A de l’annexe I du règlement d’exécution no 543/2011, ainsi que des normes spécifiques de commercialisation qui figurent dans la partie 10 de la partie B de l’annexe I de ce règlement d’exécution, et, d’autre part, de l’article 76, paragraphe 1, du règlement no 1308/2013, trouve à s’appliquer non seulement aux produits qui sont originaires de « pays », mais également à ceux qui sont originaires de « territoires », lesquels peuvent comprendre des espaces géographiques qui, tout en se trouvant placés sous la juridiction ou sous la responsabilité internationale d’un État, disposent néanmoins, au regard du droit international, d’un statut propre et distinct de celui de cet État.
Les produits en cause au principal ayant été récoltés sur le territoire du Sahara occidental, la Cour rappelle que celui-ci constitue un territoire distinct de celui du Royaume du Maroc (6). L’annexe 1 du règlement d’exécution 2020/1470 (7) prévoit d’ailleurs des codes et textes distincts pour le Sahara occidental et pour le Royaume du Maroc.
Dans ces conditions, la Cour conclut que le territoire du Sahara occidental doit être considéré comme étant un territoire douanier, au sens de l’article 60 du règlement no 952/2013 et, par conséquent, du règlement no 1308/2013 et du règlement d’exécution no 543/2011. Dès lors, l’indication du pays d’origine qui doit figurer sur les produits en cause au principal ne peut désigner que le Sahara occidental en tant que tel, puisque lesdits produits sont récoltés sur ce territoire. La Cour précise que toute autre indication serait trompeuse, car elle pourrait induire les consommateurs en erreur quant à la véritable origine des produits en cause au principal, en ce qu’elle serait susceptible de laisser penser que ces derniers proviennent d’un autre lieu que le territoire sur lequel ils ont été récoltés.