Affaire C‑118/23
Rada Nadzorcza Getin Noble Bank S.A. e.a
contre
Bankowy Fundusz Gwarancyjny
(demande de décision préjudicielle,
introduite par le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Warszawie)
Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 12 décembre 2024
« Renvoi préjudiciel – Redressement et résolution des établissements de crédit – Directive 2014/59/UE – Décision d’adopter une mesure de gestion de crise à l’égard d’un établissement de crédit – Article 85, paragraphe 3 – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit à un recours effectif de toutes les personnes affectées par cette décision – Respect du délai raisonnable – Exigence de rapidité du contrôle juridictionnel – Disposition de droit national imposant la jonction de l’ensemble des recours – Article 3, paragraphe 3 – Cumul de fonctions par l’autorité de résolution – Garantie d’indépendance opérationnelle »
1. Politique économique et monétaire – Politique économique – Redressement et résolution des établissements de crédit – Directive 2014/59 – Droit à un recours effectif – Droit de recours contre la décision d’une autorité de résolution nationale d’adopter une mesure de gestion de crise – Décision ayant fait l’objet de plusieurs recours – Exigence de rapidité du contrôle juridictionnel – Respect d’un délai raisonnable – Règlementation nationale imposant la jonction de l’ensemble des recours introduits contre une telle décision – Inadmissibilité – Violation du droit à un recours effectif
(Art. 19 TUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47 ; directive du Parlement européen et du Conseil 2014/59, considérants 88 et 130 et art. 85, § 3)
(voir points 67-71, 73-84, disp. 1)
2. Politique économique et monétaire – Politique économique – Redressement et résolution des établissements de crédit – Directive 2014/59 – Droit de recours – Droit de recours contre la décision d’une autorité de résolution nationale d’adopter une mesure de gestion de crise – Droit de toute personne affectée par une telle décision – Décision ayant fait l’objet de plusieurs recours – Examen au fond du seul recours introduit par l’organe de l’établissement soumis à une procédure de résolution – Inadmissibilité – Violation du droit à un recours effectif de toute autre personne affectée par cette décision
(Art. 19 TUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47 ; directive du Parlement européen et du Conseil 2014/59, art. 85, § 3 et 4)
(voir points 93-102, disp. 2)
3. Politique économique et monétaire – Politique économique – Redressement et résolution des établissements de crédit – Directive 2014/59 – Désignation des autorités responsables de la résolution – Cumul de fonctions par l’autorité de résolution – Exigences d’indépendance opérationnelle et de prévention des conflits d’intérêts – Obligation de prévoir des dispositions structurelles adéquates – Champ d’application – Cumul des fonctions d’administrateur temporaire et de garantie des dépôts bancaires – Inclusion – Poursuite du même objectif par ces fonctions – Absence d’incidence
(Directive du Parlement européen et du Conseil 2014/59, considérant 40 et art. 3, § 3, 29 et 109)
(voir points 107-112, 114, disp. 3)
4. Politique économique et monétaire – Politique économique – Redressement et résolution des établissements de crédit – Directive 2014/59 – Désignation des autorités responsables de la résolution – Cumul de fonctions par l’autorité de résolution – Exigences d’indépendance opérationnelle et de prévention des conflits d’intérêts – Obligation de prévoir des dispositions structurelles adéquates – Règles internes de l’autorité de résolution – Notion – Mesures organisationnelles et autres mesures adéquates – Inclusion – Condition – Description suffisamment précise de ces mesures – Défaut de publication de ces règles – Absence d’incidence sur la validité des décisions adoptées par l’autorité de résolution
(Directive du Parlement européen et du Conseil 2014/59, art. 3, § 3, 3e al.)
(voir points 121-124, 130-132, disp. 4)
5. Politique économique et monétaire – Politique économique – Redressement et résolution des établissements de crédit – Directive 2014/59 – Désignation des autorités responsables de la résolution – Cumul de fonctions par l’autorité de résolution – Exigences d’indépendance opérationnelle et de prévention des conflits d’intérêts – Absence de règles internes visant à assurer cette indépendance – Adoption des mesures organisationnelles et d’autres mesures adéquates – Respect de ces exigences – Obligation de l’autorité de résolution d’avoir des organes décisionnels distincts ou une structure organisationnelle distincte pour les services d’appui – Absence
(Directive du Parlement européen et du Conseil 2014/59, art. 3, § 3)
(voir points 126-129, 132, disp. 4)
Résumé
Saisie à titre préjudiciel par le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Warszawie (tribunal administratif de voïvodie de Varsovie, Pologne) dans le cadre de la résolution d’un établissement de crédit au titre de la loi ayant transposé dans le droit polonais la directive 2014/59 (1), la Cour précise, d’une part, la portée du droit à un recours effectif à l’égard d’une décision prise par une autorité de résolution nationale visant à adopter une mesure de gestion de crise et, d’autre part, les exigences relatives à l’indépendance opérationnelle d’une telle autorité en cas de cumul de fonctions.
En raison du non-respect par Getin Noble Bank S.A. (ci-après « GN Bank ») des exigences de fonds propres prévues par la réglementation de l’Union européenne, la Komisja Nadzoru Finansowego (Commission de surveillance financière, Pologne) a, en décembre 2021, nommé le Bankowy Fundusz Gwarancyjny (Fonds de garantie bancaire, Pologne) (ci-après le « FGB ») en tant qu’« administrateur temporaire » (2) auprès de GN Bank en vue d’en améliorer la situation financière. En septembre 2022, en raison du risque de défaillance de GN Bank, le FGB, agissant en sa qualité d’autorité de résolution, a adopté une décision soumettant GN Bank à une procédure de résolution (ci-après la « décision en cause au principal »).
Le conseil de surveillance de GN Bank ainsi que de très nombreuses autres personnes ont introduit des recours contre la décision en cause au principal devant la juridiction de renvoi. Les parties requérantes dans ces différents recours allèguent notamment que le FGB se trouvait dans une situation de conflit d’intérêts qui l’empêchait d’exercer légalement les fonctions assignées à l’autorité de résolution, dans la mesure où il exerçait à la fois des fonctions de surveillance, de garantie des dépôts bancaires et de résolution.
La juridiction de renvoi nourrit des doutes quant à l’existence d’un tel conflit d’intérêts et quant aux garanties structurelles adéquates pour assurer l’indépendance opérationnelle d’une autorité de résolution dans le contexte de la directive 2014/59 (3). Elle exprime également des doutes quant au respect du droit à un recours effectif des personnes affectées par la décision en cause au principal (4). En l’occurrence, elle indique que le prononcé d’un jugement dans un délai raisonnable est quasiment impossible, dès lors qu’à la date de la décision de renvoi, plus de 7 000 recours ont été introduits contre la décision en cause au principal et qu’une disposition procédurale nationale lui impose de joindre tous les recours formés devant elle contre cette décision (5).
Appréciation de la Cour
En premier lieu, s’agissant de la compatibilité avec le droit à un recours effectif d’une disposition procédurale nationale exigeant la jonction de l’ensemble des recours introduits contre une décision prise par une autorité de résolution nationale visant à adopter des mesures de gestion de crise, la Cour souligne, tout d’abord, que la directive 2014/59 (6) concrétise à l’égard d’une telle décision le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable, en exigeant que le contrôle juridictionnel que toute personne affectée par cette décision est en droit d’obtenir soit « effectué rapidement ».
En l’espèce, la Cour relève que si la jonction d’affaires connexes peut généralement contribuer à une bonne administration de la justice, il en va différemment des recours introduits contre des décisions d’adopter des mesures de gestion de crise, qui sont susceptibles d’affecter un nombre considérable de personnes et de susciter de nombreux recours. En effet, dans un tel cas, une telle jonction peut faire obstacle à l’intervention d’un quelconque contrôle juridictionnel avant plusieurs années, ce qui est contraire au droit de voir sa cause entendue dans un délai raisonnable (7).
Ensuite, la Cour note que, en application du principe de primauté du droit de l’Union et de l’effet direct de l’article 47 de la Charte, il incombe notamment à la juridiction de renvoi, si nécessaire, de laisser inappliquées les dispositions du droit procédural national qui lui interdiraient de disjoindre les recours en cause au principal.
Enfin, en application de cette même disposition de la Charte, le juge national doit pouvoir, en cas de disjonction, prendre les mesures nécessaires permettant à la fois d’assurer le respect du droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable et d’éviter le risque de jugements inconciliables rendus par des juges différents. En l’occurrence, compte tenu notamment du fait que, en cas de disjonction, le droit national prévoit que les affaires sont traitées simultanément par des juges différents, entraînant le risque de jugements inconciliables, il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier si le fait de traiter une ou plusieurs affaires pendantes et la suspension concomitante des autres affaires sont nécessaires afin d’assurer la pleine efficacité de la décision juridictionnelle à intervenir.
Partant, la Cour considère que l’article 47 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’application d’une disposition procédurale nationale imposant à une juridiction, saisie de recours contre une décision de l’autorité de résolution nationale d’adopter une mesure de gestion de crise, de joindre tous les recours introduits devant elle contre cette décision lorsque l’application de cette disposition est contraire au droit de voir sa cause entendue dans un délai raisonnable.
En deuxième lieu, s’agissant de la compatibilité avec le droit à un recours effectif d’une pratique consistant à examiner au fond, parmi les nombreux recours introduits contre une décision de l’autorité de résolution nationale d’adopter une mesure de gestion de crise, le seul recours introduit par un organe de l’établissement soumis à la procédure de résolution, la Cour rappelle que la directive 2014/59 (8) prévoit que toutes les personnes affectées par une telle décision doivent avoir le droit de contester cette décision en justice.
Certes, en vertu de cette directive (9), l’annulation d’une décision d’adopter une mesure de gestion de crise prise par une autorité de résolution n’affecte pas les actes administratifs adoptés ou les opérations conclues par celle-ci sur la base de la décision annulée lorsqu’il est nécessaire de protéger les intérêts des tiers de bonne foi, les recours des personnes affectées par une décision de cette autorité ne leur ouvrant alors que le droit d’obtenir la compensation des pertes subies. Toutefois, en l’occurrence, dans l’hypothèse où le jugement statuant sur le recours introduit par le conseil de surveillance de GN Bank rejetterait ce recours comme étant non fondé, les autres requérants au principal ne pourraient pas introduire une demande d’indemnisation de leur préjudice, en raison de l’effet erga omnes d’un tel jugement, alors qu’ils auraient été privés du droit de faire valoir leurs propres moyens à l’appui de leur recours, bien que ces moyens n’aient pas fait l’objet d’un débat contradictoire.
Or, si le droit à un recours effectif n’est pas une prérogative absolue, la Cour relève que si un justiciable affecté par une décision de l’autorité de résolution nationale d’adopter une mesure de gestion de crise était privé du droit d’obtenir qu’il soit statué par un jugement motivé sur un recours qu’il a valablement introduit à l’encontre d’une telle décision, il serait porté atteinte au contenu essentiel de son droit à un recours effectif. Dès lors, dans l’hypothèse d’un rejet du recours introduit par le conseil de surveillance de GN Bank comme étant non fondé, la juridiction de renvoi ne saurait se prévaloir de l’effet erga omnes d’un tel jugement afin de priver toute autre personne affectée de la possibilité raisonnable de présenter sa cause.
Par conséquent, lorsqu’il existe plusieurs recours contre une décision de l’autorité de résolution nationale d’adopter une mesure de gestion de crise et que l’un d’eux a été introduit par un organe de l’établissement soumis à une procédure de résolution, le rejet de ce seul recours comme étant non fondé ne permet pas de considérer que le respect du droit à un recours effectif a été assuré à l’égard de toute autre personne affectée par cette décision.
En troisième lieu, s’agissant de l’applicabilité de l’exigence d’indépendance opérationnelle prévue par la directive 2014/59 (10), en cas de cumul des fonctions d’administrateur temporaire et de garantie des dépôts bancaires (11) par une autorité de résolution nationale, la Cour rappelle que cette directive prévoit que des dispositions structurelles adéquates doivent être prises pour assurer l’indépendance opérationnelle de cette autorité et éviter tout conflit d’intérêts.
Dans un tel contexte, les exigences relatives à l’indépendance opérationnelle et à la prévention des conflits d’intérêts concernent le risque, lié à l’exercice de plusieurs fonctions par une même entité, que la prise de décisions de celle-ci, agissant en tant qu’autorité de résolution, soit faussée et visent à protéger cette prise de décisions contre toute influence interne étrangère à la mission de résolution.
À cet égard, la Cour déduit de l’emploi de termes très larges et généraux dans la directive 2014/59 que le législateur de l’Union a voulu imposer ces exigences à l’égard de toutes autres fonctions exercées par l’autorité de résolution dès que la nature de celles-ci engendre un tel risque objectif. Or, tel est certainement le cas des fonctions d’administrateur temporaire ou de garantie des dépôts bancaires. En effet, il résulte, entre autres, de la directive 2014/59 que ces fonctions ont des liens avec le mécanisme de résolution, de sorte qu’il ne saurait être exclu que l’exercice de l’une de ces fonctions par l’autorité de résolution ait une influence sur la prise de décisions dans le cadre des fonctions de résolution. Il est sans pertinence que toutes ces fonctions poursuivent, par des moyens différents, le même objectif, à savoir, en substance, préserver la stabilité financière.
La Cour déduit de ces considérations que l’exigence de prendre des dispositions structurelles pour assurer l’indépendance opérationnelle de l’autorité de résolution nationale est applicable dans une situation où cette autorité exerce également des fonctions d’administrateur temporaire ou des fonctions de garantie des dépôts bancaires.
En dernier lieu, s’agissant de la portée de l’obligation d’adopter des dispositions structurelles pour assurer l’indépendance opérationnelle de l’autorité de résolution, la Cour constate qu’il ressort de la directive 2014/59 (12) que les règles internes ad hoc nécessaires peuvent être édictées non seulement par l’État membre lui-même, mais également par l’autorité de résolution nationale. En outre, cette même directive impose que de telles règles soient publiées, sans pour autant imposer ni la forme que ces règles devraient revêtir en droit interne ni des modalités particulières pour leur publication.
En conséquence, des mesures organisationnelles et d’autres mesures adéquates peuvent correspondre à la notion de « règles internes », au sens de directive 2014/59, pour autant qu’elles fassent l’objet d’une description suffisamment précise. Ainsi, la Cour considère que cette directive doit être interprétée en ce sens que, en cas de cumul de fonctions par l’autorité de résolution nationale et en l’absence de règles écrites visant à assurer l’indépendance opérationnelle de cette autorité, le respect des exigences visant à assurer l’indépendance opérationnelle et à éviter tout conflit d’intérêts peut résulter de l’instauration de mesures, organisationnelles et autres, suffisantes à cet effet.
En outre, la Cour apporte certaines précisions. Premièrement, s’agissant du contenu des dispositions structurelles adéquates, les exigences relatives au personnel chargé des différentes fonctions exercées par l’autorité de résolution, prévues par la directive 2014/59, n’imposent pas que l’autorité administrative à laquelle a notamment été confiée la fonction de résolution dispose d’un organe décisionnel distinct lorsqu’elle agit en tant qu’autorité de résolution. De même, ces exigences n’interdisent pas que certains départements internes de cette autorité, tels que le département juridique, le département des ressources humaines ou des départements techniques, fournissent des services d’appui à la fois au personnel affecté aux fonctions de résolution et à celui affecté à d’autres fonctions, sans préjudice de règles en matière de secret professionnel.
Deuxièmement, s’agissant des conséquences d’un éventuel défaut de publication des règles internes, la Cour déduit de l’absence de droits conférés à des particuliers et de la fonction de transparence de ces règles qu’un tel défaut n’entraîne pas automatiquement l’invalidité des décisions prises par l’autorité de résolution. Toutefois, si l’absence de publication de ces règles est constatée lors de l’examen d’un recours contre une décision de l’autorité de résolution, il incombe à celle-ci d’établir qu’en dépit de ce manquement, ces règles ont été respectées, de sorte que cette décision a été prise exclusivement en vue d’atteindre un ou plusieurs objectifs de la résolution visés par la directive 2014/59 (13).