Affaire C‑517/23
Apothekerkammer Nordrhein
contre
DocMorris NV
(demande de décision préjudicielle, introduite par le Bundesgerichtshof)
Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 27 février 2025
« Renvoi préjudiciel – Médicaments à usage humain – Directive 2001/83/CE – Article 86, paragraphe 1 – Notion de “publicité pour des médicaments” – Article 87, paragraphe 3 – Publicité pour des médicaments soumis à prescription médicale – Publicité pour toute la gamme de médicaments d’une pharmacie – Bons d’achat correspondant à une certaine somme d’argent ou à un pourcentage de réduction pour l’achat ultérieur d’autres produits – Réductions de prix et de paiements à effet immédiat – Libre circulation des marchandises – Article 34 TFUE – Libre prestation des services – Commerce électronique – Directive 2000/31/CE – Article 3, paragraphe 2, et paragraphe 4, sous a) – Restriction – Justification – Protection des consommateurs »
1. Rapprochement des législations – Médicaments à usage humain – Directive 2001/83 – Publicité – Notion – Actions publicitaires faites pour l’achat de médicaments soumis à prescription médicale – Réductions de prix et de paiements à effet immédiat – Exclusion – Bons d’achat correspondant à une certaine somme d’argent ou à un pourcentage de réduction pour l’achat ultérieur de médicaments non soumis à prescription médicale – Inclusion
(Directive du Parlement européen et du Conseil 2001/83, telle que modifiée par la directive 2011/62, considérants 2 et 50 et art. 86, § 1)
(voir points 32-37, 39-46, 48-50, 81, disp. 1)
2. Rapprochement des législations – Commerce électronique – Directive 2000/31 – Prestation de services de la société de l’information – Service de vente en ligne de médicaments à usage humain, soumis ou non à prescription médicale obligatoire, destiné à un État membre autre que l’État membre d’établissement du prestataire de ce service – Réglementation nationale interdisant une action publicitaire visant les clients d’une pharmacie établie dans un autre État membre et consistant en une gratification monétaire d’un montant indéterminé – Restriction à la libre circulation des marchandises – Restriction à la libre prestation de services de la société de l’information – Admissibilité – Justification – Protection des consommateurs – Respect du principe de proportionnalité
[Art. 34 TFUE ; directives du Parlement européen et du Conseil 2000/31, art. 2, h), et 3, § 4, a), et 2001/83, telle que modifiée par la directive 2011/62, art. 85 quater, § 1]
(voir points 55, 57-60, 62-68, 70-77, 80, 81, disp. 1)
3. Rapprochement des législations – Médicaments à usage humain – Directive 2001/83 – Publicité – Réglementation nationale interdisant des actions publicitaires faites pour l’achat de médicaments indéterminés soumis à prescription médicale – Bons d’achat correspondant à une certaine somme d’argent ou à un pourcentage de réduction pour l’achat ultérieur de médicaments non soumis à prescription médicale – Admissibilité
(Directive du Parlement européen et du Conseil 2001/83, telle que modifiée par la directive 2011/62, considérants 2 et 45 et art. 87, § 3, et 88, § 2)
(voir points 83, 85-94, disp. 2)
Résumé
Saisie à titre préjudiciel par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), la Cour précise la portée de la notion de « publicité pour des médicaments », au sens de la directive 2001/83 (1), dans le contexte des actions publicitaires faites par une pharmacie lors de l’achat par ses clients de médicaments soumis à prescription médicale.
DocMorris NV est une pharmacie néerlandaise de vente par correspondance qui livre des médicaments soumis ou non à prescription médicale à des clients en Allemagne. Depuis 2012, elle a mené différentes actions publicitaires pour l’achat de médicaments soumis à prescription médicale faisant partie de l’ensemble de sa gamme de produits.
Considérant que ces actions publicitaires enfreignaient le système de prix imposés applicable aux médicaments soumis à prescription médicale, l’Apothekerkammer Nordrhein (chambre des pharmaciens de Rhénanie du Nord, Allemagne) a obtenu, au cours des années 2013 à 2015, des mesures provisoires de cessation de ces actions publicitaires. Ces dernières revêtaient, en substance, la forme de réductions de prix et de paiements ou de bons d’achat pour l’achat ultérieur de médicaments non soumis à une prescription médicale ou d’autres produits de santé et de soins.
Après l’annulation, en mars 2017, de la quasi-totalité de ces mesures provisoires, DocMorris a introduit une demande en dommages et intérêts à l’encontre de la chambre des pharmaciens de Rhénanie du Nord, au motif que ces mesures, dans le cadre desquelles des amendes élevées lui avaient été infligées, étaient injustifiées. À la suite de son rejet par la juridiction de première instance, cette demande a été accueillie en appel.
Saisie d’un recours en Revision introduit à l’encontre de ce jugement par la chambre des pharmaciens de Rhénanie du Nord, la juridiction de renvoi se demande si les actions publicitaires, qui portent sur l’achat de médicaments soumis à prescription médicale, faisant partie de l’ensemble de la gamme de produits d’une pharmacie, relèvent de la notion de « publicité pour des médicaments », au sens de l’article 86, paragraphe 1, de la directive 2001/83 ou si, au contraire, elles visent uniquement à influencer le choix de la pharmacie auprès de laquelle un client achète de tels médicaments, un tel choix échappant au champ d’application de cette directive. Elle s’interroge également sur la question de savoir si cette même directive s’opposerait à une interprétation des dispositions pertinentes de la réglementation nationale sur la publicité relative aux médicaments (2), selon laquelle des actions publicitaires pour l’achat de médicaments soumis à prescription médicale, revêtant la forme de réductions de prix et de paiements d’un montant exact et à effet immédiat, sont autorisées, alors que celles donnant lieu à une gratification comprise entre 2,50 euros et 20 euros par prescription médicale ou revêtant la forme de bons pour l’achat ultérieur d’autres produits sont interdites.
Appréciation de la Cour
En premier lieu, la Cour précise la notion de « publicité pour des médicaments », au sens de l’article 86, paragraphe 1, de la directive 2001/83, dans le contexte des actions publicitaires pour l’achat de médicaments soumis à prescription médicale.
À cet égard, elle souligne d’emblée que c’est la finalité du message qui détermine si une action publicitaire relève ou non de cette notion. Relève donc de ladite notion une action publicitaire visant à promouvoir la prescription, la délivrance, la vente ou la consommation de médicaments. En revanche, tel n’est pas le cas lorsqu’une action vise à influencer non pas le choix du client pour un médicament donné, mais celui, situé en aval, de la pharmacie auprès de laquelle ce client achète ce médicament.
En l’occurrence, afin de déterminer si une action publicitaire faite pour l’achat de médicaments soumis à prescription médicale provenant de l’ensemble de la gamme de produits d’une pharmacie relève de la notion de « publicité pour des médicaments », il convient de distinguer les actions publicitaires en fonction de la question de savoir si leur message est limité aux médicaments soumis à prescription médicale ou s’il porte également sur des médicaments non soumis à une telle prescription.
S’agissant, d’une part, des actions publicitaires revêtant la forme de réductions de prix et de paiements d’un montant exact et à effet immédiat, et de celle donnant lieu à une gratification comprise entre 2,50 euros et 20 euros par prescription médicale (qui doit être également considérée comme donnant lieu à un paiement), la Cour constate que le message de ces actions porte sur des médicaments indéterminés soumis à une telle prescription, sans viser d’autres types de médicaments.
Ainsi, dès lors que la décision de prescrire de tels médicaments relève de la seule responsabilité du médecin, qui est tenu d’exercer ces tâches en toute objectivité (3), ce message ne promeut pas la prescription ou la consommation de médicaments indéterminés soumis à prescription. En ce qui concerne le patient, lorsqu’il reçoit une prescription médicale, le seul choix qui lui reste à faire, à l’égard du médicament soumis à prescription, est celui de la pharmacie auprès de laquelle il achètera ce médicament. Partant, des actions publicitaires revêtant la forme de réductions de prix et de paiements d’un montant exact et à effet immédiat et celle donnant lieu à une gratification d’un certain montant par prescription médicale ne relèvent pas de la notion de « publicité pour des médicaments », au sens de l’article 86, paragraphe 1, de la directive 2001/83, dans la mesure où elles concernent le choix de la pharmacie auprès de laquelle un patient achète un médicament soumis à prescription médicale.
S’agissant, d’autre part, des actions publicitaires revêtant la forme de bons pour l’achat ultérieur des médicaments non soumis à prescription médicale ou d’autres produits de santé et des soins, la Cour note que ces actions encouragent l’achat de tels médicaments. En l’absence d’obligation de recourir à un médecin prescripteur, le destinataire des bons d’achat, attiré par l’avantage économique qu’ils offrent, peut les utiliser pour se procurer des médicaments non soumis à prescription médicale à un prix réduit. Par conséquent, en promouvant la consommation de tels médicaments, ces actions publicitaires relèvent de la notion de « publicité pour des médicaments », au sens de l’article 86, paragraphe 1, de la directive 2001/83.
En deuxième lieu, dans la mesure où une action publicitaire donnant lieu à une gratification comprise entre 2,50 euros et 20 euros, sans qu’il soit possible de connaître le montant exact de cette gratification, ne relève pas de la notion de « publicité pour des médicaments » et est interdite par la réglementation nationale en cause au principal (4), la Cour examine la compatibilité de cette réglementation avec d’autres dispositions du droit de l’Union. Plus particulièrement, dans la mesure où il ne ressort pas clairement du dossier dont dispose la Cour si une telle l’action publicitaire est faite uniquement au moyen de supports physiques ou si, en revanche, elle est faite tant par l’intermédiaire du site Internet de la pharmacie qu’au moyen de tels supports, la Cour analyse la compatibilité de ladite réglementation nationale avec d’une part, l’article 34 TFUE et, d’autre part, les dispositions pertinentes de la directive 2000/31 (5).
Sur la compatibilité de la réglementation nationale en cause au principal avec l’article 34 TFUE, la Cour rappelle qu’une telle réglementation doit être considérée comme régissant une modalité de vente qui peut échapper au domaine d’application de cette disposition du traité FUE si elle satisfait à la double condition qu’elle s’applique à tous les opérateurs concernés exerçant leur activité sur le territoire national et qu’elle affecte de la même manière, en droit comme en fait, la commercialisation des produits nationaux et celle des produits en provenance d’autres États membres (6).
Concernant la première de ces conditions, la Cour relève que la réglementation en cause au principal s’applique indistinctement à toutes les pharmacies qui vendent des médicaments sur le territoire allemand, qu’elles soient établies sur ce territoire ou sur celui d’un autre État membre. Quant à la seconde condition, la Cour fait observer que la concurrence par les prix est susceptible de représenter un paramètre concurrentiel plus important pour les pharmacies par correspondance que pour les pharmacies traditionnelles et qu’une action publicitaire donnant lieu à une gratification comprise entre 2,50 euros et 20 euros par prescription médicale vise à établir une concurrence par le prix avec les pharmacies traditionnelles. Partant, la Cour conclut que ladite réglementation nationale qui interdit une telle action publicitaire frappe davantage les pharmacies établies dans un État membre autre que la République fédérale d’Allemagne, ce qui pourrait être de nature à gêner l’accès au marché des produits en provenance d’autres États membres que ceux en provenance de la République fédérale d’Allemagne, de sorte qu’une telle interdiction constitue une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative.
Sur la compatibilité de la réglementation nationale en cause au principal avec la directive sur le commerce électronique, la Cour souligne que, en vertu de la directive 2001/83 (7), les États membres veillent à ce que les médicaments soient offerts à la vente à distance au public au moyen de services de la société de l’information. Toutefois, cette obligation est sans préjudice des législations nationales qui interdisent l’offre à la vente à distance au public de médicaments soumis à prescription médicale au moyen de ces services. Ainsi, lorsque l’État membre de destination autorise une telle offre, ce qui paraît être le cas en l’espèce, cet État membre ne peut, s’agissant de ces services, restreindre la libre circulation des services de la société de l’information en provenance d’un autre État membre (8). En l’occurrence, l’interdiction d’une action publicitaire, telle que celle imposée par la réglementation nationale en cause au principal, est de nature à restreindre la possibilité pour une pharmacie, établie dans un autre État membre, de se faire connaître auprès de sa clientèle potentielle dans ce premier État membre et doit, dès lors, être considérée comme comportant une restriction à la libre prestation des services de la société de l’information.
Toutefois, la Cour précise que l’interdiction de l’action publicitaire prévue par la réglementation nationale en cause au principal relève, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, de la protection des consommateurs, qui constitue une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une entrave à la libre circulation des marchandises. En effet, d’une part, pour ce qui est de l’objectif de la protection des consommateurs, cette réglementation permet d’éviter le risque de surestimation du montant de la gratification en cause, qui peut être important pour des consommateurs qui achètent des médicaments ayant un prix élevé ou qui, souffrant d’une maladie chronique, doivent les acheter régulièrement. D’autre part, cette réglementation ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour protéger cet objectif, dans la mesure où elle interdit l’action publicitaire en cause, qui établit une fourchette de niveaux de gratification, sans qu’un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, puisse connaître la méthode de calcul de cette gratification ou calculer son montant exact.
Partant, la Cour conclut que l’article 34 TFUE et l’article 3, paragraphe 4, sous a), de la directive sur le commerce électronique (9) ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui, afin de protéger les consommateurs, interdit une action publicitaire par laquelle les clients d’une pharmacie par correspondance se voient offrir une gratification comprise entre 2,50 euros et 20 euros par prescription médicale, sans qu’il soit possible de connaître le montant exact de cette gratification.
En troisième lieu, la Cour dit pour droit que l’article 87, paragraphe 3, de la directive 2001/83 ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui interdit des actions publicitaires faites pour l’achat de médicaments indéterminés soumis à prescription médicale, revêtant la forme de bons correspondant à une certaine somme d’argent ou à un pourcentage de réduction pour l’achat ultérieur d’autres produits, tels que des médicaments non soumis à une telle prescription.
En effet, ces actions publicitaires, bien que faites pour l’achat de médicaments soumis à prescription médicale, ne promeuvent que la consommation de médicaments non soumis à une telle prescription. Or, même si la publicité pour ces derniers médicaments est autorisée (10), les États membres doivent interdire, afin de prévenir la survenance de risques pour la santé publique, l’inclusion, dans la publicité faite auprès du public pour ces médicaments, d’éléments qui sont de nature à favoriser l’usage irrationnel de ceux-ci.
En l’occurrence, en utilisant les bons d’achat en cause, le consommateur peut obtenir, à un prix réduit, des produits provenant de l’ensemble de la gamme de produits de la pharmacie concernée et choisir, par exemple, entre l’achat de médicaments non soumis à prescription médicale et l’achat d’autres produits de consommation, tels que des produits de santé et de soins. L’assimilation des médicaments non soumis à prescription médicale à d’autres produits de consommation offerts par une pharmacie, par les actions publicitaires en cause, est susceptible de conduire à une utilisation irrationnelle et excessive de ces médicaments dans la mesure où, d’une part, elle dissimule le caractère très particulier de ces médicaments, dont les effets thérapeutiques les distinguent substantiellement des autres marchandises et, d’autre part, elle détourne le consommateur de l’évaluation objective de la nécessité de prendre lesdits médicaments. Par conséquent, une interdiction telle que celle prévue par la réglementation nationale en cause au principal répond à l’objectif essentiel de sauvegarde de la santé publique, en ce qu’elle empêche la diffusion d’éléments de publicité qui encouragent l’utilisation irrationnelle et excessive des médicaments non soumis à prescription médicale.