DOCUMENT DE TRAVAIL
ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL
11 avril 2025 (*)
« Référé – Marchés publics de travaux – Demande de sursis à exécution – Défaut d’urgence »
Dans l’affaire T‑658/24 R,
Warbud S.A., établie à Varsovie (Pologne), représentée par Mes K. Kuźma, M. Gajdek, W. Hartung et D. Sarmiento Ramírez‑Escudero, avocats,
partie requérante,
contre
Agence européenne de garde‑frontières et de garde‑côtes (Frontex), représentée par MM. C. Carroll et R.‑A. Popa, en qualité d’agents, assistés de Mes M. Troncoso Ferrer et L. Lence de Frutos, avocats,
partie défenderesse,
LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL
vu l’ordonnance du 13 février 2025, Warbud/Frontex (T‑658/24 R, non publiée),
rend la présente
Ordonnance
1 Par sa demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE, la requérante, Warbud S.A., sollicite, en premier lieu, le sursis à l’exécution de la décision de l’Agence européenne de garde‑frontières et de garde‑côtes (Frontex), telle que notifiée les 23 octobre 2024 et 7 février 2025, dans le cadre de la procédure d’attribution portant la référence Frontex/CD/1217/2021/RS – locaux permanents de Frontex, l’informant que l’offre qu’elle a soumise n’a pas été retenue et que le contrat‑cadre a été attribué à un autre soumissionnaire et, en second lieu, la suspension de la signature dudit contrat‑cadre avec le soumissionnaire retenu.
Antécédents du litige et conclusions des parties
2 Le 12 juillet 2022, par un avis de marché publié au supplément au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2022, S 132), Frontex a lancé l’appel d’offres portant la référence Frontex/CD/1217/2021/RS, ayant pour objet la conception et la construction de locaux permanents de Frontex.
3 La procédure de passation de marché a été menée sous la forme d’un dialogue compétitif et s’est déroulée en trois phases. Au cours de la phase I, les opérateurs économiques ont soumis leurs demandes de participation. La phase II, au cours de laquelle Frontex a mené un dialogue permanent avec les candidats invités sur la portée et la qualité des travaux de conception et de construction ainsi que des services d’entretien, a ensuite été subdivisée en deux sous‑phases, à savoir la phase II.1, au terme de laquelle Frontex a réduit le nombre de candidats sur la base des critères de sélection des solutions, et la phase II.2, au cours de laquelle Frontex a poursuivi le dialogue compétitif au moyen d’une série de réunions avec les soumissionnaires sélectionnés. Enfin, au cours de la phase III, les soumissionnaires sélectionnés ont présenté leurs offres techniques et financières finales.
4 Le 16 septembre 2024, à la suite du dialogue compétitif mené dans le cadre de la procédure d’attribution, la requérante a soumis son offre finale.
5 Le 23 octobre 2024, Frontex a informé la requérante que son offre finale n’avait pas été retenue et lui a fourni les notes qu’elle avait obtenues sur la base des critères d’attribution.
6 Le 19 novembre 2024, la requérante a demandé à Frontex, sur la base de la justification présentée par cette dernière en ce qui concernait la notation obtenue par son offre et l’offre du soumissionnaire retenu, de réévaluer les offres finales, en faisant valoir que l’offre du soumissionnaire retenu devait être considérée comme anormalement basse et que son offre finale aurait dû recevoir des notes plus élevées pour certains critères de qualité.
7 Le 17 décembre 2024, Frontex a informé la requérante de la décision de suspendre la signature du contrat, pour examen complémentaire, pendant une période de deux mois à compter de la date de la signature de la décision de suspension.
8 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 décembre 2024, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision du 23 octobre 2024 l’informant que son offre finale n’avait pas été retenue.
9 Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 20 décembre 2024, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :
– ordonner à Frontex de s’abstenir d’adopter toute mesure susceptible de porter atteinte à l’intégrité de la présente procédure, notamment de signer un contrat avec le soumissionnaire retenu, jusqu’à ce que les soumissionnaires se voient accorder un délai raisonnable pour analyser la justification de la réévaluation établie par Frontex à la suite de l’examen complémentaire des offres finales ;
– réserver la décision sur les dépens.
10 Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 31 janvier 2025, Frontex conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :
– rejeter la demande en référé comme étant irrecevable ou, à tout le moins, comme non fondée ;
– condamner la requérante aux dépens.
11 Le 7 février 2025, Frontex a informé la requérante que, après réévaluation de toutes les offres, son offre finale n’avait pas été retenue et que le marché avait été attribué à un autre soumissionnaire. Elle lui a, en outre, communiqué les notes qu’elle avait obtenues sur la base des critères d’attribution.
12 Par un mémoire en adaptation, déposé au greffe du Tribunal le 11 février 2025, la requérante conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :
– ordonner à Frontex de suspendre provisoirement l’acte dans lequel elle a, en premier lieu, déclaré que son offre n’avait pas été retenue et, en second lieu, attribué le marché à un autre soumissionnaire ;
– ordonner à Frontex de s’abstenir de signer un contrat avec le soumissionnaire retenu ;
– réserver la décision sur les dépens.
13 Dans ses observations sur le mémoire en adaptation, déposées au greffe du Tribunal le 24 février 2025, Frontex conclut, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :
– rejeter la nouvelle demande de mesures provisoires comme étant irrecevable ou, à tout le moins, comme non fondée ;
– condamner la requérante aux dépens.
14 Par un mémoire en adaptation déposé le 10 mars 2025 dans l’affaire principale, la requérante a demandé au Tribunal d’annuler la décision de Frontex, telle que notifiée les 23 octobre 2024 et 7 février 2025.
15 Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 17 mars 2025, Frontex a, au titre de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, soulevé une exception d’irrecevabilité dans l’affaire principale, dans laquelle il conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours en annulation comme étant manifestement irrecevable ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
Considérations générales
16 Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 156 du règlement de procédure. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union européenne bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 12).
17 L’article 156, paragraphe 4, première phrase, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».
18 Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision dans l’affaire principale. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21 et jurisprudence citée).
19 Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [voir ordonnance du 19 juillet 2012, Akhras/Conseil, C‑110/12 P(R), non publiée, EU:C:2012:507, point 23 et jurisprudence citée].
20 Compte tenu des éléments du dossier, le président du Tribunal estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.
21 Dans les circonstances du cas d’espèce, et sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur la recevabilité de la présente demande en référé, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.
Sur la condition relative à l’urgence
22 Afin de vérifier si les mesures provisoires demandées sont urgentes, il convient de rappeler que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union. C’est pour atteindre cet objectif que l’urgence doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure au fond, sans avoir à subir un préjudice de cette nature. S’il est exact que, pour établir l’existence de ce préjudice, il n’est pas nécessaire d’exiger que la survenance et l’imminence de celui-ci soient établies avec une certitude absolue et qu’il suffit que ledit préjudice soit prévisible avec un degré de probabilité suffisant, il n’en reste pas moins que la partie qui sollicite une mesure provisoire demeure tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un tel préjudice [voir ordonnance du 16 juillet 2021, Symrise/ECHA, C‑282/21 P(R), non publiée, EU:C:2021:631, point 40 et jurisprudence citée].
23 Par ailleurs, aux termes de l’article 156, paragraphe 4, seconde phrase, du règlement de procédure, les demandes en référé « contiennent toutes les preuves et offres de preuves disponibles, destinées à justifier l’octroi des mesures provisoires ».
24 Néanmoins, compte tenu des impératifs découlant de la protection juridictionnelle effective qui doit être garantie en matière de marchés publics, il y a lieu de considérer que, lorsque le soumissionnaire évincé parvient à démontrer l’existence d’un fumus boni juris particulièrement sérieux, il ne saurait être exigé de sa part qu’il établisse que le rejet de sa demande en référé risquerait de lui causer un préjudice irréparable, sous peine qu’il soit porté une atteinte excessive et injustifiée à la protection juridictionnelle effective dont il bénéficie au titre de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [voir ordonnance du 1er décembre 2021, Inivos et Inivos/Commission, C‑471/21 P(R), EU:C:2021:984, point 65 et jurisprudence citée].
25 Il ressort, en outre, de la jurisprudence de la Cour que cet assouplissement des conditions applicables pour apprécier l’existence de l’urgence, justifié par le droit à un recours juridictionnel effectif, ne s’applique toutefois que pendant la phase précontractuelle, pour autant que le délai de suspension de dix jours, prévu à l’article 175, paragraphe 3, du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1), soit respecté [voir ordonnance du 1er décembre 2021, Inivos et Inivos/Commission, C‑471/21 P(R), EU:C:2021:984, point 66 et jurisprudence citée].
26 En l’espèce, il y a lieu de constater que la requérante a introduit la demande en référé après la clôture de l’appel d’offres et avant la signature du marché, c’est‑à‑dire pendant la phase précontractuelle.
27 Par conséquent, si la requérante parvenait à démontrer l’existence d’un fumus boni juris particulièrement sérieux, il lui suffirait d’établir la gravité du préjudice qui serait causé par l’absence de sursis à l’exécution pour que la condition relative à l’urgence soit remplie, conformément à la jurisprudence citée au point 24 ci‑dessus.
28 Partant, il convient d’analyser si la requérante a établi que la conclusion du contrat de marché engendrerait pour elle un préjudice grave.
29 En premier lieu, la requérante allègue qu’il ne fait aucun doute que, si un contrat est signé entre Frontex et le soumissionnaire retenu, elle perdra irrévocablement la possibilité de se voir attribuer le projet. Cela impliquerait une perte pécuniaire importante, puisque son offre s’élève à 1 344 185 382,86 zlotys polonais (PLN), ce qui en fait l’un des plus gros marchés pour lesquels elle est actuellement en concurrence et, en raison de sa dimension considérable, un projet essentiel pour son activité économique actuelle.
30 En second lieu, la requérante fait valoir que, outre la perte pécuniaire importante, le fait de ne pas se voir attribuer ce marché l’empêcherait d’acquérir une expérience dans la réalisation d’un projet unique sur le marché polonais et européen, ce qui pourrait avoir une influence sur son activité économique future. Selon la requérante, il est essentiel pour sa reconnaissance sur le marché européen de la construction de se voir attribuer ce marché.
31 Frontex conteste les arguments de la requérante.
32 À cet égard, en premier lieu, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel elle perdra irrévocablement la possibilité de se voir attribuer le projet litigieux, il convient d’observer que la perte d’une chance de se voir attribuer et d’exécuter un marché public est inhérente à l’exclusion de la procédure d’appel d’offres en cause et ne saurait être regardée comme constitutive, en soi, d’un préjudice grave, indépendamment d’une appréciation concrète de la gravité de l’atteinte spécifique alléguée dans chaque cas d’espèce. En conséquence, c’est à la condition que la partie requérante ait démontré à suffisance de droit qu’elle aurait pu retirer des bénéfices suffisamment significatifs de l’attribution et de l’exécution du marché dans le cadre de la procédure d’appel d’offres que le fait, pour elle, d’avoir perdu une chance de se voir attribuer et d’exécuter ledit marché constituerait un préjudice grave (voir ordonnance du 26 septembre 2017, Wall Street Systems UK/BCE, T‑579/17 R, non publiée, EU:T:2017:668, point 21 et jurisprudence citée).
33 Par conséquent, il convient de constater que la simple perte d’une chance de se voir attribuer un marché public, même s’il s’agit d’un marché public d’une valeur considérable, est inhérente à l’exclusion de la procédure d’appel d’offres en cause et ne saurait être regardée comme constitutive, en soi, d’un préjudice grave.
34 En outre, il convient de relever que la requérante se limite à mentionner, en termes généraux, que, si un contrat est signé entre Frontex et le soumissionnaire retenu, elle perdra irrévocablement la possibilité de se voir attribuer le projet litigieux et que cela impliquera une perte pécuniaire importante, puisque son offre s’élève à 1 344 185 382,86 PLN, sans apporter plus de précisions.
35 Or, s’agissant de la gravité du préjudice financier invoqué, il est de jurisprudence constante que l’analyse de la gravité d’un tel préjudice doit s’effectuer au regard, notamment, de la taille et du chiffre d’affaires de l’entreprise ainsi que des caractéristiques du groupe auquel elle appartient (voir ordonnance du 21 janvier 2019, Agrochem‑Maks/Commission, T‑574/18 R, EU:T:2019:25, point 34 et jurisprudence citée).
36 À cet effet, il est de jurisprudence constante que le juge des référés doit disposer d’indications concrètes et précises, étayées par des preuves documentaires détaillées et certifiées, qui démontrent la situation dans laquelle se trouve la partie sollicitant les mesures provisoires et permettent d’apprécier les conséquences qui résulteraient vraisemblablement de l’absence des mesures demandées. Il s’ensuit que ladite partie, notamment lorsqu’elle invoque la survenance d’un préjudice de nature financière, doit produire, pièces à l’appui, une image fidèle et globale de sa situation financière (voir ordonnance du 22 juin 2018, Arysta LifeScience Netherlands/Commission, T‑476/17 R, EU:T:2018:407, point 27 et jurisprudence citée).
37 En l’espèce, la requérante se contente de faire référence à un potentiel préjudice financier important, sur la base de la valeur estimée du contrat. Toutefois, elle n’apporte aucun élément concret concernant la situation financière du groupe auquel elle appartient afin de permettre d’apprécier les conséquences qui résulteraient vraisemblablement de l’absence des mesures demandées.
38 Or, à cet égard, tout d’abord, il convient d’observer que, tant dans ses observations sur la demande en référé que dans celles sur le mémoire en adaptation de cette demande, Frontex fait valoir que la requérante fait partie du grand groupe international de construction Vinci S.A.
39 Ensuite, il y a lieu de rappeler qu’il n’incombe pas au juge des référés de rechercher, en lieu et place de la partie concernée, les éléments contenus dans les annexes ou dans la requête dans l’affaire principale qui seraient de nature à corroborer la demande en référé. Une telle obligation mise à la charge du juge des référés serait d’ailleurs de nature à priver d’effet la disposition du règlement de procédure qui prévoit que la demande relative à des mesures provisoires doit être présentée par acte séparé (voir ordonnance du 27 mars 2023, Cogebi et Cogebi/Conseil, T‑782/22 R, non publiée, EU:T:2023:162, point 21 et jurisprudence citée).
40 En outre, il y a lieu de souligner que, selon la jurisprudence relative au soumissionnaire évincé, les conséquences financières négatives, pour ce soumissionnaire, qui découleraient du rejet de son offre font, en principe, partie du risque commercial habituel auquel chaque entreprise active sur le marché doit faire face. Ainsi, le seul fait que le rejet d’une offre puisse avoir des conséquences financières négatives, même considérables, pour le soumissionnaire évincé ne saurait donc justifier, en soi, les mesures provisoires demandées par ce dernier (voir ordonnance du 8 mai 2024, Lattanzio KIBS e.a./Commission, T‑113/24 R, non publiée, EU:T:2024:306, point 33 et jurisprudence citée).
41 Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure que la requérante n’est pas parvenue à démontrer l’urgence en raison d’une perte pécuniaire importante.
42 En second lieu, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel il est essentiel pour sa reconnaissance sur le marché européen de la construction de se voir attribuer le marché, il suffit de rappeler que, selon la jurisprudence, les éléments essentiels et principaux du contrat conclu à l’issue d’une procédure d’appel d’offres pour l’attribution d’un marché public sont, d’une part, l’exécution du marché par l’entreprise attributaire et, d’autre part, le paiement de la somme prévue contractuellement par le pouvoir adjudicateur. En revanche, des considérations relatives à la réputation du soumissionnaire retenu et à la possibilité pour lui d’utiliser l’attribution d’un marché public prestigieux comme référence dans le cadre d’un futur appel d’offres ou dans d’autres contextes concurrentiels ne concernent que des éléments accidentels et accessoires dudit contrat. Or, si le fait pour un soumissionnaire écarté de subir un manque à gagner grave en n’obtenant pas la somme prévue contractuellement, élément essentiel et principal du marché public en cause, ne saurait justifier l’octroi d’une mesure provisoire, il doit en aller de même, à plus forte raison, en ce qui concerne la perte desdits éléments accidentels et accessoires (voir ordonnance du 3 juillet 2017, Proximus/Conseil, T‑117/17 R, EU:T:2017:600, point 41 et jurisprudence citée).
43 Il s’ensuit que le fait pour la requérante de ne pas pouvoir acquérir la reconnaissance qu’implique l’exécution du marché litigieux ne saurait constituer un préjudice grave.
44 Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée, à défaut, pour la requérante, d’établir l’urgence, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur le fumus boni juris, ni de procéder à la mise en balance des intérêts.
45 La présente ordonnance clôturant la procédure de référé, il y a lieu de rapporter l’ordonnance du 13 février 2025, Warbud/Frontex (T‑658/24 R, non publiée), adoptée sur le fondement de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure, en vertu de laquelle il a été ordonné à Frontex de surseoir à l’exécution de l’acte du 23 octobre 2024, tel que notifié à la requérante par Frontex les 23 octobre 2024 et 7 février 2025, jusqu’à la date de l’ordonnance mettant fin à la présente procédure de référé.
46 En vertu de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens.
Par ces motifs,
LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL
ordonne :
1) La demande en référé est rejetée.
2) L’ordonnance du 13 février 2025, Warbud/Frontex (T‑658/24 R), est rapportée.
3) Les dépens sont réservés.
Fait à Luxembourg, le 11 avril 2025.
V. Di Bucci | | M. van der Woude |