CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE
MME JULIANE KOKOTT
présentées le 22 mai 2025 (1)
Affaire C‑524/23
Commission européenne
contre
Royaume de Belgique
« Manquement d’État – Transposition de la directive (UE) 2016/1164 – Règles pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur – Compétence législative de l’Union – Article 115 TFUE – Non‑transposition de l’article 8, paragraphe 7, de la directive – Harmonisation minimale – Portée de l’obligation de transposition »
I. Introduction
1. La présente procédure en manquement s’inscrit dans le domaine des règles prises pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale. Les impôts directs, tels que l’impôt sur les sociétés qui est concerné en l’espèce, relèvent en principe de la souveraineté financière et fiscale des États membres. Toutefois, le Conseil a estimé opportun de lutter contre les pratiques d’évasion fiscale au niveau de l’Union afin d’éviter la fragmentation du marché intérieur et d’éliminer les incohérences et les distorsions du marché. À cet effet, il a introduit, par la directive (UE) 2016/1164 du 12 juillet 2016 (2), une protection minimale, à l’échelle de l’Union, des systèmes nationaux d’imposition des sociétés contre les pratiques d’évasion fiscale.
2. Outre une clause anti-abus générale, la directive 2016/1164 contient une disposition spéciale visant les avantages fiscaux résultant du transfert de bénéfices vers une filiale étrangère. Le cas classique est celui de la création, dans un pays étranger à faible imposition, d’une filiale que l’on dote d’un capital et qui accorde ensuite un prêt à la société mère. Les revenus provenant des intérêts sont, dans le pays étranger, faiblement imposés et ils sont déductibles, en tant que dépenses d’exploitation, sur le territoire national où l’imposition est plus élevée. Le bénéfice est ainsi transféré dans le pays étranger à faible imposition. La directive 2016/1164 oblige désormais la Belgique à appliquer des règles dites de « réintégration ». À cet égard, les revenus perçus par la filiale à l’étranger sont comptabilisés sur le territoire national en tant que revenus de la société mère (ajoutés à ceux-ci) et imposés au taux d’imposition belge (plus élevé). Or, l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164 limite cette conséquence juridique. Ainsi, l’impôt (moins élevé) payé à l’étranger par la filiale est censé pouvoir être déduit de la dette fiscale nationale (plus élevée) de la société mère.
3. Toutefois, le Royaume de Belgique, dans l’intérêt d’une protection accrue de sa base d’imposition, n’a pas voulu autoriser une telle déduction et a invoqué le fait que la directive 2016/1164 ne procède qu’à une harmonisation minimale. La Commission européenne a considéré qu’il s’agissait d’un manquement.
4. La procédure en manquement qui s’en est suivie prend un relief particulier, d’une part, parce que l’on peut nourrir des doutes quant à la compétence de l’Union pour adopter cette directive. Même si tous les États membres ont approuvé une directive, cela ne peut ni justifier ni remplacer une compétence de l’Union qui n’est pas prévue par les traités. D’autre part, il se pose la question générale de droit de l’Union consistant à savoir quelle est la marge de manœuvre dont disposent les États membres dans la transposition des directives d’harmonisation minimale qui contiennent des règles détaillées également s’agissant de dispositions dérogatoires.
II. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
5. Ainsi qu’il ressort de son intitulé, la directive 2016/1164 instaure des règles pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur.
6. En ce qui concerne le contexte de l’adoption de cette directive, les considérants 1, 2, 3, 5, 11, 12, 14 et 16 de celle-ci précisent ce qui suit :
« (1) Les priorités politiques actuelles dans le domaine de la fiscalité internationale mettent en lumière la nécessité de veiller à ce que l’impôt soit payé là où les bénéfices et la valeur sont générés. Il est dès lors impératif de rétablir la confiance dans l’équité des systèmes fiscaux et de permettre aux États d’exercer efficacement leur souveraineté fiscale. [...]
(2) [...] Il est essentiel pour le bon fonctionnement du marché intérieur que les États membres, au minimum, mettent en œuvre leurs engagements en matière d’érosion de la base d’imposition et de transfert de bénéfices [(3)] et, plus globalement, prennent des mesures pour décourager les pratiques d’évasion fiscale et assurer une fiscalité juste et efficace au sein de l’Union d’une manière suffisamment cohérente et coordonnée. [...]
(3) Il est nécessaire d’établir des règles afin de renforcer le niveau moyen de protection contre la planification fiscale agressive au sein du marché intérieur. [...]
(5) Il est nécessaire d’établir des règles pour lutter contre l’érosion des bases d’imposition au sein du marché intérieur et contre le transfert de bénéfices hors du marché intérieur. Il est nécessaire de fixer des règles dans les domaines ci-après afin de contribuer à atteindre cet objectif : des limitations de la déductibilité des intérêts, l’imposition à la sortie, une clause anti-abus générale, des règles relatives aux sociétés étrangères contrôlées et des règles pour lutter contre les dispositifs hybrides. Lorsque l’application de ces règles donne lieu à une double imposition, les contribuables devraient bénéficier d’un allègement sous la forme d’une déduction correspondant à l’impôt payé dans un autre État membre ou pays tiers, selon le cas. Par conséquent, l’objectif de ces règles ne devrait pas se limiter à lutter contre les pratiques d’évasion fiscale mais aussi viser à empêcher la création d’autres obstacles au marché, tels que la double imposition.
(11) Des clauses anti-abus générales sont prévues dans les systèmes fiscaux pour lutter contre les pratiques fiscales abusives qui n’ont pas encore été traitées par des dispositions spécifiques. Les clauses anti‑abus générales servent donc à combler des lacunes ; elles ne devraient pas avoir d’incidence sur l’applicabilité des clauses anti-abus spécifiques. [...]
(12) Les règles relatives aux sociétés étrangères contrôlées (SEC) ont pour effet de réattribuer les revenus d’une filiale contrôlée soumise à une faible imposition à sa société mère. La société mère devient alors imposable sur les revenus qui lui ont été ainsi affectés dans l’État où elle a sa résidence fiscale. [...] Afin d’assurer un niveau de protection élevé, les États membres pourraient abaisser le seuil de contrôle ou utiliser un seuil plus élevé en comparant l’impôt réel sur les sociétés et l’impôt sur les sociétés qui aurait été prélevé dans l’État membre du contribuable. [...]
(16) Un des principaux objectifs de la présente directive étant d’améliorer la résistance du marché intérieur dans son ensemble face aux pratiques d’évasion fiscale transfrontières, celui-ci ne peut pas être atteint de manière suffisante par une action menée isolément par les États membres. [...] En revanche, du fait qu’une grande partie de l’inefficacité au sein du marché intérieur se traduit essentiellement par des problèmes de nature transfrontière, il convient d’adopter des mesures correctives à l’échelle de l’Union. [...] Conformément au principe de proportionnalité [...], la présente directive n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. En fixant un niveau minimal de protection du marché intérieur, la présente directive vise uniquement à parvenir au degré minimal essentiel de coordination au sein de l’Union dans le but de concrétiser ses objectifs ».
7. L’article 3 de la directive 2016/1164, intitulé « Niveau minimal de protection », dispose :
« La présente directive n’empêche pas l’application de dispositions nationales ou conventionnelles visant à préserver un niveau plus élevé de protection des bases d’imposition nationales pour l’impôt sur les sociétés ».
8. L’article 6 de la directive 2016/1164, intitulé « Clause anti-abus générale », dispose, dans ses paragraphes 1 et 2 :
« (1) Aux fins du calcul de la charge fiscale des sociétés, les États membres ne prennent pas en compte un montage ou une série de montages qui, ayant été mis en place pour obtenir, à titre d’objectif principal ou au titre d’un des objectifs principaux, un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité du droit fiscal applicable, ne sont pas authentiques compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents. Un montage peut comprendre plusieurs étapes ou parties.
(2) Aux fins du paragraphe 1, un montage ou une série de montages est considéré comme non authentique dans la mesure où ce montage ou cette série de montages n’est pas mis en place pour des motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique ».
9. L’article 7 de la directive 2016/1164 contient des règles relatives à la réintégration, dans la base d’imposition du contribuable, des revenus des sociétés étrangères contrôlées. Le paragraphe 1 définit la notion de société étrangère contrôlée ; le contribuable doit détenir, entre autres, plus de 50 % des droits de vote, du capital ou des droits aux bénéfices. Aux fins de la réintégration, le paragraphe 2 laisse aux États membres, à ses points a) et b), le choix entre deux options :
« Lorsqu’une entité ou un établissement stable est considéré comme une société étrangère contrôlée en vertu du paragraphe 1, l’État membre du contribuable inclut dans la base d’imposition :
a) les revenus non distribués de l’entité ou les revenus de l’établissement stable qui relèvent des catégories suivantes : [...]
ou
b) les revenus non distribués de l’entité ou de l’établissement stable provenant de montages non authentiques mis en place essentiellement dans le but d’obtenir un avantage fiscal.
Aux fins du présent point, un montage ou une série de montages est considéré comme non authentique lorsque l’entité ou l’établissement stable ne posséderait pas les actifs qui sont la source de tout ou partie de ses revenus ni n’aurait pris les risques qui y sont associés si elle ou il n’était pas contrôlé(e) par une société où les fonctions importantes liées à ces actifs et risques sont assurées et jouent un rôle essentiel dans la création des revenus de la société contrôlée ».
10. L’article 8, paragraphe 2, de la directive 2016/1164, intitulé « Calcul des revenus des sociétés étrangères contrôlées », dispose :
« Lorsque l’article 7, paragraphe 2, point b), s’applique, les revenus à inclure dans la base d’imposition du contribuable sont limités aux montants générés par les actifs et les risques liés aux fonctions importantes assumées par la société exerçant le contrôle. L’affectation des revenus d’une société étrangère contrôlée est calculée selon le principe de pleine concurrence ».
11. À cet égard, l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164 prévoit ce qui suit :
« L’État membre du contribuable autorise ce dernier à déduire l’impôt payé par l’entité ou l’établissement stable de la charge fiscale qu’il supporte dans l’État dans lequel il a sa résidence fiscale ou dans lequel il est situé. La déduction est calculée conformément au droit national ».
B. Le droit belge
12. Le Royaume de Belgique a transposé la directive 2016/1164 en droit national par la loi du 25 décembre 2017 portant réforme de l’impôt des sociétés (M.B., 29 décembre 2017, p. 116422). En particulier, un nouvel article 185/2 a été inséré dans le code de l’impôt sur le revenu de 1992, qui, conformément à l’option prévue à l’article 7, paragraphe 2, sous b), de la directive 2016/1164, prévoyait une règle de réintégration uniquement pour les montages non authentiques. Il a été renoncé à la mise en œuvre de la faculté de déduction de l’impôt prévue à l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164.
III. Le contexte du litige
13. Après l’expiration du délai de transposition de la directive 2016/1164, à savoir le 31 décembre 2018 (article 11, paragraphe 1, de cette directive), le Royaume de Belgique a notifié à la Commission les dispositions prises pour la transposer. Le tableau de correspondance communiqué à cette occasion indiquait, en ce qui concerne l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164, que cette option n’avait pas été retenue, compte tenu de l’article 3 de cette directive (niveau minimal de protection). Par lettre du 2 juillet 2020, la Commission a, en application de l’article 258 TFUE, invité le Royaume de Belgique à présenter ses observations sur le fait que les mesures notifiées ne contenaient pas de dispositions relatives à la transposition de l’article 4, paragraphe 4, sous b), de l’article 4, paragraphe 7, et de l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164. En ce qui concerne l’article 4 de cette directive, le Royaume de Belgique a annoncé, dans sa réponse du 24 novembre 2020, qu’il procéderait aux modifications nécessaires et les a communiquées à la Commission le 9 mars 2021. En revanche, il a refusé de transposer l’article 8, paragraphe 7, de ladite directive.
14. Le 2 décembre 2021, la Commission a émis un avis motivé invitant le Royaume de Belgique à adopter, dans un délai de deux mois, les mesures nécessaires à la transposition de l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164. Dans sa réponse du 2 février 2022, le Royaume de Belgique a annoncé qu’il adopterait au cours du premier semestre 2022 les mesures nécessaires à la transposition de cette disposition. En janvier 2023, les autorités belges ont informé la Commission que le gouvernement belge n’était pas parvenu à un consensus politique sur l’adoption des mesures de transposition de ladite disposition et que, par conséquent, le Royaume de Belgique maintenait sa position quant à la non‑transposition de celle-ci. Elles ont indiqué que la disposition belge n’est appliquée qu’en cas de pratique fiscale abusive ; que, dans un tel cas, le caractère dissuasif revêt une grande importance et qu’il serait inapproprié de permettre une déduction d’impôts étrangers. Elles ont précisé que, en tout état de cause, de telles recettes n’ont pas encore été imposées, de sorte qu’aucune entreprise n’a été pénalisée en application de cette disposition.
IV. Les conclusions et la procédure devant la Cour
15. Par mémoire du 11 août 2023, la Commission a saisi la Cour d’un recours contre le Royaume de Belgique formé au titre de l’article 258, second alinéa, TFUE et conclut à ce qu’il plaise à la Cour :
– en ne prenant pas les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164, le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive ;
– condamner le Royaume de Belgique aux dépens.
16. Le Royaume de Belgique conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours de la Commission comme irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme non fondé ;
– condamner la Commission aux dépens.
17. Le Royaume des Pays-Bas soutient, en tant que partie intervenante, les conclusions du Royaume de Belgique.
18. Les parties ont présenté des observations écrites et, à l’exception du Royaume des Pays-Bas, ont comparu à l’audience du 21 octobre 2024.
V. Analyse juridique
A. Sur la recevabilité du recours
19. Le Royaume de Belgique soutient que le recours est irrecevable, au motif que, dans l’avis motivé et dans la requête, la Commission n’a pas exposé de manière suffisamment claire et précise les moyens invoqués. Cet argument doit être écarté.
20. En vertu de l’article 21, premier alinéa, seconde phrase, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 120, sous c), du règlement de procédure, la requête doit contenir l’objet du litige et un exposé sommaire des moyens invoqués ; ces indications doivent être suffisamment claires et précises pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et à la Cour d’exercer son contrôle (4).
21. Il résulte d’une jurisprudence constante que l’objet d’un recours en manquement introduit au titre de l’article 258 TFUE est fixé par l’avis motivé de la Commission, de sorte que le recours doit être fondé sur les mêmes motifs et moyens que cet avis (5). Toutefois, cela n’exige pas que les conclusions de la requête soient entièrement identiques au dispositif de l’avis motivé ; la requête doit seulement ne pas élargir ou modifier l’objet du litige tel qu’il est défini par l’avis motivé (6).
22. Dans sa requête du 11 août 2023, la Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour de constater que le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 2016/1164, en ayant omis de transposer de manière correcte son article 8, paragraphe 7. Le fait que la Commission parle, dans sa requête, d’une transposition incorrecte de l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164, alors que l’avis motivé faisait encore état d’une non‑transposition, ne constitue pas une modification de l’objet du litige. La transposition incorrecte couvre également la sous-catégorie de la non‑transposition totale, ce qui explique la terminologie employée par la Commission. Le grief que forme la Commission dans la requête demeure, en substance, celui de la non‑transposition de l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164. Le recours était donc fondé sur les mêmes motifs et les mêmes moyens que ceux invoqués dans l’avis motivé. Il est par conséquent recevable.
B. Sur le bien-fondé du recours
23. Il convient de déterminer si le Royaume de Belgique, qui a fait le choix d’une réintégration uniquement dans les cas de montages non authentiques visés à l’article 7, paragraphe 2, sous b), de la directive 2016/1164, a manqué à son obligation de transposition de cette directive en ne transposant pas la faculté de déduire l’impôt prévue à l’article 8, paragraphe 7, de ladite directive.
24. Cela suppose, tout d’abord, que le Royaume de Belgique était soumis à une obligation de transposition. Tel n’est en principe le cas que si l’acte de l’Union à transposer a également été valablement adopté. C’est pourquoi nous aborderons tout d’abord la question de l’existence d’une compétence de l’Union pour adopter la directive 2016/1164, ainsi que celle de savoir si, dans le cadre d’une procédure en manquement, il est à tout le moins permis à la Cour d’examiner cette question indépendamment d’un grief soulevé par les parties à cet égard (voir sous 1.). Nous analyserons ensuite les moyens de défense avancés par le Royaume de Belgique. Celui-ci fait tout d’abord valoir que l’article 8, paragraphe 7, seconde phrase, de la directive 2016/1164 renvoie au droit national pour le calcul de la déduction de l’impôt (voir sous 2.). Il considère, en outre, que l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164 n’est pas applicable aux règles de réintégration prévues à l’article 7, paragraphe 2, sous b), de cette directive, ce qui soulève des questions quant au rapport avec la clause anti-abus générale figurant à l’article 6 de ladite directive (voir sous 3.). Enfin, il estime que la directive 2016/1164, en vertu de son article 3, n’empêche pas les États membres d’assurer une protection plus élevée des bases d’imposition nationales de l’impôt sur les sociétés (voir sous 4.).
1. La compétence de l’Union pour adopter la directive 2016/1164
25. La doctrine soulève des doutes sérieux quant à la question de savoir si l’adoption de la directive 2016/1164 relève des compétences législatives de l’Union (7). Au cours de la procédure législative, Malte (8) et la Suède (9) avaient également fait part, au moyen d’avis motivés, de leurs préoccupations en ce qui concerne la compétence législative. De fait, ces doutes semblent justifiés [voir sous a)]. Toutefois, dans le cadre de la présente procédure en manquement, il n’est pas possible de clarifier la compétence de l’Union pour adopter la directive 2016/1164 [voir sous b)].
a) Les doutes quant à la compétence de l’Union pour adopter la directive 2016/1164
26. Conformément au principe d’attribution (article 5, paragraphe 1, première phrase, et article 5, paragraphe 2, TUE), l’Union n’est compétente que dans la mesure où la compétence législative lui a été attribuée par une disposition de compétence concrète. L’Union a fondé la directive 2016/1164 sur l’article 115 TFUE, qui confère au Conseil la compétence législative pour arrêter « des directives pour le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont une incidence directe sur l’établissement ou le fonctionnement du marché intérieur ». Une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur pourrait résulter d’une entrave aux libertés fondamentales (10) ou de distorsions sensibles de la concurrence entre les entreprises concernées (11).
27. Le législateur de l’Union semble considérer que l’incidence favorable sur le marché intérieur réside principalement dans la lutte contre les pratiques d’évasion fiscale (12). Toutefois, par cette lutte, la directive 2016/1164 n’élimine pas les entraves aux libertés fondamentales qui résulteraient des dispositions nationales existantes. En imposant aux États membres une protection minimale uniforme des systèmes nationaux d’imposition des sociétés contre les pratiques d’évasion fiscale, elle limite au contraire les possibilités d’action transfrontalière des entreprises. Elle entrave ainsi l’exercice des libertés fondamentales au lieu de les promouvoir (13).
28. Jusqu’à présent, la Cour a toujours considéré que les mesures visant à lutter contre les pratiques d’évasion fiscale constituent des restrictions aux libertés fondamentales, le plus souvent à la liberté d’établissement et à la liberté des capitaux, nécessitant une justification. En particulier, l’imposition à la sortie (14), mais aussi les règles de réintégration (15), ont à cet égard déjà fait l’objet de sa jurisprudence. Or, étant donné que le respect des libertés fondamentales de l’opérateur économique sert au fonctionnement du marché intérieur, il semble contradictoire de considérer qu’une restriction des mêmes libertés fondamentales peut promouvoir le même objectif (16).
29. Le fait que le législateur de l’Union voit l’incidence favorable sur le marché intérieur dans le rapprochement des législations et l’élimination des distorsions du marché qui en découle (17) ne suffit pas, en principe, à justifier la compétence au titre de l’article 115 TFUE. L’harmonisation n’est pas une fin en soi. Le principe d’attribution serait vidé de sa substance si l’Union se voyait accorder un pouvoir d’harmonisation du droit illimité au motif que celui-ci favoriserait par lui-même le fonctionnement du marché intérieur. L’exigence de l’incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur serait ainsi superflue. En conséquence, la Cour a d’ailleurs limité la base juridique de l’article 100 A TCE (devenu article 114 TFUE) à l’élimination des distorsions de concurrence sensibles (18).
30. À cet égard, à propos de l’article 114 TFUE (à l’époque encore l’article 100 A TCE), qui permet le rapprochement des législations des États membres qui ont pour objet le fonctionnement du marché intérieur, la Cour a, s’agissant du caractère sensible de cette incidence, jugé ce qui suit (19):
« Dans le cadre du contrôle de la légalité d’une directive adoptée sur le fondement de l’article 100 A du traité, la Cour vérifie si les distorsions de concurrence que l’acte vise à supprimer sont sensibles [jurisprudence citée]. À défaut d’une telle exigence, la compétence du législateur communautaire n’aurait pratiquement pas de limites. En effet, les réglementations nationales diffèrent souvent quant aux conditions d’exercice des activités qu’elles visent, ce qui se répercute directement ou indirectement sur les conditions de concurrence des entreprises concernées. Il s’ensuit qu’interpréter l’article 100 A ainsi que les articles 57, paragraphe 2, et 66 du traité en ce sens que le législateur communautaire pourrait se fonder sur ces articles en vue de supprimer des distorsions minimes de concurrence serait incompatible avec le principe [...] selon lequel les compétences de la Communauté sont des compétences d’attribution ».
31. Cette affirmation vaut, selon nous, également pour le contrôle de la légalité d’une directive adoptée sur le fondement de l’article 115 TFUE. En effet, la comparaison des bases de compétences dans le domaine de la fiscalité indirecte (article 113 TFUE, « nécessaire » pour assurer le fonctionnement du marché intérieur) et dans celui de la fiscalité directe (article 115 TFUE, « qui ont une incidence directe sur [...] le fonctionnement du marché intérieur ») montre également qu’établir une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur en matière de fiscalité directe appelle un effort de motivation plus élevé que pour les impôts indirects, pour lesquels l’harmonisation doit seulement être « nécessaire ». En tout état de cause, il n’apparaît à première vue pas comment cela est censé être le cas pour les règles de la directive 2016/1164. À cet égard, on peut nourrir des doutes quant à la question de savoir si l’article 115 TFUE peut constituer la base juridique de cette directive.
b) Sur l’examen de la compétence dans le cadre de la procédure en manquement
32. Toutefois, selon une jurisprudence constante de la Cour, une présomption de légalité des actes de l’Union existe également dans le cadre d’un recours en manquement (20). Ainsi, en cas de non‑transposition d’une directive, un État membre ne peut normalement pas invoquer pour sa défense l’illégalité de celle-ci (21). En effet, pour contester la légalité d’un acte de l’Union, la voie de recours qu’il doit emprunter est celle du recours en annulation (22).
33. Toutefois, il ressort également de la jurisprudence de la Cour qu’il pourrait en être autrement si l’acte en cause était affecté de vices particulièrement graves et manifestes, au point de pouvoir être qualifié d’acte inexistant (23). Jusqu’à présent, la Cour a laissé ouverte la question de savoir si un défaut de compétence législative constitue un vice particulièrement grave et manifeste (24).
34. Cette question est étroitement liée à celle de savoir si la Cour peut examiner même d’office la compétence législative pour adopter l’acte juridique concerné. Aucune des parties n’a invoqué de défaut de compétence de l’Union. La compétence de l’Union pour adopter la directive n’a pas davantage été mise en doute par un quelconque État membre par la voie possible du recours en annulation (25).
35. L’importance constitutionnelle particulière que revêt, au regard du principe d’attribution, la répartition des compétences au sein de l’Union plaide cependant en faveur d’un pouvoir de contrôle d’office (article 5, paragraphe 1, première phrase, et article 5, paragraphe 2, TUE) (26). Étant donné que ni ce principe ni les compétences législatives ne sont à la disposition de la majorité, l’unanimité obtenue au cours de la procédure législative ne saurait emporter d’autre conclusion. En vertu du principe d’attribution, seule une modification du traité peut conférer de nouvelles compétences à l’Union. Toutefois, étant donné qu’une telle modification doit toujours être ratifiée par les parlements nationaux, le principe de démocratie (article 2, première phrase, TUE) s’oppose également au maintien en vigueur d’un acte juridique de l’Union adopté en violation de règles de compétences. De même, dans la jurisprudence, il existe des éléments qui indiquent que, en l’absence de base juridique suffisante, un contrôle juridictionnel de la légalité peut avoir lieu d’office (27).
36. La décision de toujours examiner d’office, également dans le cadre d’une procédure en manquement, la compétence législative de l’Union devrait toutefois être prise par la grande chambre de la Cour. La Cour s’est en amont prononcée en toute connaissance de cause contre le transfert de la présente affaire à la grande chambre. Par conséquent, dans la présente procédure, cette question doit demeurer ouverte.
c) Conclusion intermédiaire
37. En dépit des doutes que l’on peut nourrir quant à la compétence législative de l’Union pour adopter la directive 2016/1164, cette question doit, dans la présente procédure en manquement, rester ouverte. Actuellement, cette question de la compétence ne pourrait sans doute être résolue qu’au moyen d’une procédure préjudicielle dans le cadre de laquelle la Cour serait interrogée sur la validité de cette directive.
2. La signification du renvoi au droit national pour le calcul de la déduction de l’impôt prévue à l’article 8, paragraphe 7, seconde phrase, de la directive 2016/1164
38. Sur le fond, le Royaume de Belgique fait valoir pour sa défense que l’article 8, paragraphe 7, seconde phrase, de la directive 2016/1164, qui renvoie au droit national pour le calcul de la déduction de l’impôt prévue à l’article 8, paragraphe 7, première phrase, de cette directive, confère déjà aux États membres la faculté de ne pas appliquer de déduction de l’impôt, y compris en totalité. Il fait valoir enfin que, aux termes de l’article 8, paragraphe 7, seconde phrase, de ladite directive, la déduction est « calculée conformément au droit national ».
39. Cette thèse ne saurait être retenue, étant donné que la fonction de l’article 8, paragraphe 7, seconde phrase, de la directive 2016/1164 est différente. Lorsque la filiale ne perçoit à l’étranger qu’une partie de ses revenus provenant de montages non authentiques au sens de l’article 7, paragraphe 2, sous b), de la directive 2016/1164, l’article 8, paragraphe 2, de cette directive prévoit que seuls ces revenus doivent être inclus dans la base d’imposition du contribuable résident (dans l’exemple, la société mère) et doivent donc être imposés dans l’État de résidence de celui-ci (en l’espèce, en Belgique). Les revenus restants continuent alors d’être imposés à l’étranger. Cela ne dit cependant pas encore comment calculer le montant de la charge d’impôt acquittée par la société étrangère contrôlée dans son État de résidence au titre du montage non authentique et qui doit donc être déduit de la dette d’impôt du contribuable national.
40. L’article 8, paragraphe 7, seconde phrase, de la directive 2016/1164 clarifie cette question et évite, à cet égard, que les autorités fiscales nationales de l’État de résidence du contribuable exerçant le contrôle soient contraintes de procéder à un examen hypothétique, au regard du droit de l’État de résidence de la société étrangère contrôlée, de la charge fiscale telle qu’elle se présenterait en l’absence de montage non authentique. À cet égard, il autorise que le calcul soit fait conformément au droit national.
41. Ainsi que le relève à juste titre la Commission, l’article 8, paragraphe 7, seconde phrase, de la directive 2016/1164 n’accorde donc aux États membres que la faculté de déterminer la méthode de calcul de la déduction de l’impôt et non pas celle de renoncer totalement à cette dernière. Cela ressort également du libellé du paragraphe qui parle de « calculer » et qui aborde ainsi uniquement la question de savoir « comment » la déduction est faite, tout en suppose déjà la réponse (affirmative) à la question de savoir « si » elle l’est. Ne serait-ce que l’article 8, paragraphe 7, seconde phrase, de la directive 2016/1164 ne permettait donc pas de renoncer à la faculté de déduction de l’impôt payé à l’étranger à cet égard.
3. L’application de l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164 à l’article 7, paragraphe 2, sous b), de celle‑ci
42. Le Royaume de Belgique estime en outre que la transposition de l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164 n’est pas requise en cas d’application de l’article 7, paragraphe 2, sous b), de cette directive. Selon lui, l’article 7, paragraphe 2, sous b), de la directive 2016/1164 vise uniquement les montages non authentiques mis en place essentiellement dans le but d’obtenir un avantage fiscal, et donc uniquement les montages artificiels répondant à des motifs fiscaux. Selon lui, dans ces cas, il n’y a déjà pas de véritable mouvement de biens, de services, de capitaux et de personnes dans le marché intérieur. Dès lors, selon lui, une non‑déduction dans ces cas ne constitue pas une entrave au marché.
43. Les États membres sont tenus de transposer les directives de manière correcte et complète (28). Cela implique, en principe, la transposition de l’ensemble des dispositions de la directive (29). Or, si l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164 ne s’appliquait a priori pas à l’article 7, paragraphe 2, sous b), de cette directive, les États membres seraient, en cas de transposition de la dernière option mentionnée, dispensés de l’obligation de transposer l’article 8, paragraphe 7, de ladite directive. C’est ce qu’il convient de déterminer en procédant à l’interprétation (30) de cette disposition.
44. Ainsi que l’observe à juste titre la Commission, contrairement à l’article 8, paragraphes 1 et 2, de la directive 2016/1164, l’article 8, paragraphe 7, de cette directive, compte tenu de son libellé, ne se limite pas au a) ou au b) de l’article 7, paragraphe 2, de ladite directive. Cela plaiderait en faveur de ce que la faculté de déduction prévue à l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164 doive être appliquée, selon la volonté du législateur de l’Union, également aux montages non authentiques régis par l’article 7, paragraphe 2, sous b), de cette directive et qu’elle doive donc également être transposée en droit national.
45. Néanmoins, nous considérons qu’il découle de considérations d’économie générale et de finalité que l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164 n’est pas applicable à l’article 7, paragraphe 2, sous b), de cette directive, ne serait-ce que parce que, dans le cas des montages non authentique, en règle générale, aucune double imposition ne survient, de sorte que cette disposition serait vidée de son sens [voir sous a)]. Si, dans la pratique, il subsiste néanmoins un risque résiduel ou un effort accru pour éviter la double imposition, cela sert à décourager les montages non authentiques qui visent à déplacer des bénéfices vers un pays étranger à faible taux d’imposition [voir sous b)].
a) La faculté de déduction prévue à l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164 est en règle générale vidée de sa substance dans les cas visés à l’article 7, paragraphe 2, sous b), de cette directive
46. Il convient de déterminer si l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164 (déduction de l’impôt) peut à tout le moins être appliqué à l’article 7, paragraphe 2, sous b), de cette directive (montages non authentiques transférant des bénéfices vers des pays à faible taux d’imposition) ou s’il n’y a pas lieu d’y renoncer pour des raisons d’économie générale et de finalité.
47. La directive 2016/1164 pose, à son article 7, paragraphe 2, sous b), le principe selon lequel les revenus de la société étrangère contrôlée provenant de montages non authentique sont inclus dans la base d’imposition du contribuable résident. Cette règle vise à ce que, au final, le contribuable soit imposé comme il le serait en l’absence de montage non authentique. Les revenus de la société étrangère contrôlée sont donc attribués aux revenus du contribuable exerçant le contrôle lorsqu’ils proviennent de montages non authentiques. L’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164 déroge à ce principe dans la mesure où, en raison de la déduction de l’impôt qu’il prévoit, les revenus de la société étrangère contrôlée ne sont plus imposés sur le territoire national dans leur intégralité, mais uniquement à concurrence de la différence entre les deux taux d’imposition des sociétés sur le territoire national et à l’étranger.
1) La contradiction avec la conséquence juridique générale d’un montage non authentique
48. Les dispositions de la directive 2016/1164 relatives à la lutte contre l’abus reposent toutefois sur l’idée générale que les structures artificielles du droit des sociétés qui visent essentiellement à obtenir des avantages fiscaux ne sont pas prises en compte d’un point de vue fiscal. Le droit fiscal se rattache alors, pour le calcul de l’impôt, à la situation économique et non pas à la construction du droit des sociétés ou du contrat. Cela apparaît très clairement à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2016/1164, qui contient la clause anti-abus générale. Celui-ci est ainsi libellé : « Aux fins du calcul de la charge fiscale des sociétés, les États membres ne prennent pas en compte un montage ou une série de montages qui, ayant été mis en place pour obtenir, à titre d’objectif principal ou au titre d’un des objectifs principaux, un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité du droit fiscal applicable, ne sont pas authentiques compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents ».
49. La conséquence juridique d’un montage non authentique est donc qu’il est écarté. Il convient de se référer à la situation qui aurait existé en son absence, ainsi que la Cour l’a déjà constaté à plusieurs reprises également en dehors du champ d’application de la directive 2016/1164 (31).
50. Cela vaut tant pour l’État membre de résidence du contribuable exerçant le contrôle que pour celui dans lequel est établie la société contrôlée, ainsi qu’il ressort également du libellé de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2016/1164 (« les États membres ne prennent pas en compte [...] »). En définitive, la directive 2016/1164, à son article 6, répartit, dans les situations transfrontalières, les pouvoirs d’imposition entre les États membres concernés en déterminant lequel de ceux-ci est compétent pour imposer les revenus provenant de montages non authentiques. Les mêmes revenus ne peuvent alors pas être imposés une seconde fois par l’autre État membre (en l’occurrence, celui dans lequel l’entreprise contrôlée est établie).
51. Le principe de l’absence de prise en compte des montages non authentiques, exprimé à l’article 6 de la directive 2016/1164, a également une importance pour les montages non authentiques visés à l’article 7, paragraphe 2, sous b), de cette directive. Certes, l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2016/1164 définit les montages non authentiques de manière un peu plus générale (32) comme étant des montages qui n’ont pas été mis en place pour des motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique. En définitive, la définition figurant à l’article 7, paragraphe 2, sous b), de la directive 2016/1164 ne fait cependant que concrétiser, pour le cas des sociétés étrangères contrôlées, cette définition générale.
52. L’article 7, paragraphe 2, sous b), de la directive 2016/1164 est à cet égard un cas d’application spécifique de l’article 6 de cette directive. D’une part, l’article 7, paragraphe 2, sous b), premier alinéa, de la directive 2016/1164 parle expressément des « montages non authentiques mis en place essentiellement dans le but d’obtenir un avantage fiscal ». D’autre part, l’article 7, paragraphe 2, sous b), second alinéa, de cette directive se réfère à la situation particulière d’une relation de contrôle. En effet, le fait que, sans l’exécution de fonctions importantes par des décideurs de la société exerçant le contrôle, la société contrôlée ne serait pas propriétaire des actifs ni n’aurait pris les risques dont elle tire ses revenus, constitue précisément un cas de montage qui n’a pas été mis en place pour des motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique.
53. La proximité, sur le fond, de l’article 7, paragraphe 2, sous b), de la directive 2016/1164 avec l’article 6 de cette directive apparaît clairement à cet égard. Par conséquent, leurs conséquences juridiques doivent elles aussi être cohérentes. Or, la conséquence juridique de l’article 6 de la directive 2016/1164 est que le montage non authentique est ignoré par les deux États membres et que le montage authentique est imposé à sa place. L’État de résidence de la société contrôlée qui tire des revenus d’un montage non authentique doit donc également traiter ces revenus comme s’ils n’étaient apparus dès le départ que dans l’État de résidence du contribuable exerçant le contrôle.
54. En ce qui concerne les conditions d’application, il est possible que l’article 7, paragraphe 2, sous b), de la directive 2016/1164, en tant que lex specialis, prévale sur la clause anti-abus générale figurant à l’article 6 de cette directive (voir considérant 11). Toutefois, en ce qui concerne ses conséquences juridiques, l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164 ne saurait être appliqué sans précaution à l’article 7, paragraphe 2, sous b), de cette directive. Il en résulterait sinon une contradiction avec la conséquence juridique prévue à l’article 6 de ladite directive, qui est de ne pas prendre en compte le montage non authentique dans son ensemble.
2) Une double imposition est-elle envisageable en cas de montage non authentique ?
55. À cet égard, il se pose également la question de savoir si, en cas de montage non authentique au sens de l’article 7, paragraphe 2, sous b), de la directive 2016/1164, une double imposition est à tout le moins envisageable. C’est aussi en ce sens que va l’argumentation du royaume des Pays-Bas lorsqu’il avance que, ne serait-ce que selon les mécanismes prévus par cette directive, les revenus de la société étrangère contrôlée ne sont imposés qu’une seule fois, soit à l’étranger, soit sur le territoire national.
56. Au final, la Cour est le garant de l’interprétation et de l’application uniformes à l’échelle de l’Union des dispositions visant à prévenir les abus et, partant, également de la réintégration prévue à l’article 7 de la directive 2016/1164. Il ne saurait donc y avoir de double imposition. Si le transfert de revenus à l’étranger constitue un montage non authentique, la Belgique impose les revenus, car ceux-ci, si un tel montage n’avait pas existé, auraient été générés en Belgique. En l’absence de montage non authentique, les revenus ne sont pas réintégrés en Belgique et ils sont imposés à l’étranger.
57. S’il devait néanmoins exister des divergences entre les États membres sur la question de l’existence d’un montage non authentique, celles-ci devraient, en vertu du principe de coopération loyale (article 4, paragraphe 3, premier alinéa, TUE), être probablement résolues au moyen des principes énoncés dans la directive concernant le règlement des différends (33).
58. Par conséquent, dans les montages non authentiques visés à l’article 7, paragraphe 2, sous b), de la directive 2016/1164, la déduction de l’impôt prévue à l’article 8, paragraphe 7, de cette directive n’a pas lieu d’être lorsque le transfert de bénéfices se fait entre deux États membres. En revanche, en cas de transfert de bénéfices vers des États tiers, les conventions préventives de la double imposition contiennent, en règle générale, des dispositions relatives aux procédures amiables respectives (voir, par exemple, article 25 du modèle de convention de l’Organisation de coopération et de développement économiques).
59. Il s’ensuit qu’aucune double imposition n’apparaît lorsque la notion de montage non authentique est appliquée de manière uniforme. Il n’est donc pas non plus nécessaire de déduire l’impôt payé à l’étranger, qui, à cet égard, l’a été alors à tort.
3) La déduction de l’impôt en cas de montage non authentique est contre-productive
60. L’objectif de la directive 2016/1164, qui est de lutter efficacement contre les montages non authentiques, plaide également en faveur de considérer que l’article 8, paragraphe 7, de cette directive (c’est-à-dire la déduction de l’impôt) ne peut pas s’appliquer aux montages non authentique visés à l’article 7, paragraphe 2, sous b), de ladite directive.
61. L’exemple suivant en est l’illustration. Ainsi, même de l’avis de la Commission, il est compatible avec l’objectif d’harmonisation minimale de prévoir une réintégration lorsque l’écart entre les taux d’imposition est inférieur à celui requis à l’article 7, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), de la directive 2016/1164 aux fins de la qualification en tant que société étrangère contrôlée. On pourrait ainsi considérer qu’il s’agit d’un montage non authentique dès l’utilisation d’une différence de taux d’imposition de 5 %, par exemple. Toutefois, si la société étrangère contrôlée a déjà acquitté un taux d’impôt sur les sociétés de 15 % par exemple, mais que, dans l’État de résidence du contribuable exerçant le contrôle, l’impôt sur les sociétés à acquitter est seulement de 20 %, l’incitation à lutter contre les montages non authentiques est plutôt faible, car les recettes fiscales propres se limitent alors uniquement à la différence (dans l’exemple, de 5 %). La déduction de l’impôt réduirait tout simplement l’incitation à lutter contre les montages non authentiques et aurait, à cet égard, un effet contre-productif.
62. Par ailleurs, l’application de l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164 à l’article 7, paragraphe 2, sous b), de cette directive irait à l’encontre de la souveraineté fiscale de l’État de résidence du contribuable exerçant le contrôle, en ce qu’elle oblige ce dernier à renoncer à son droit d’imposition existant en réalité à hauteur de l’impôt acquitté à l’étranger, alors que le contribuable a choisi un montage non authentique. En règle générale, il n’appartient pas au contribuable de décider, au moyen d’un montage non authentique, à qui revient le produit de l’impôt.
63. L’application de l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164 n’est donc ni nécessaire ni appropriée dans les cas des montages non authentiques au sens de l’article 7, paragraphe 2, sous b), de cette directive. Cela irait également à l’encontre de la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle nul ne peut invoquer abusivement des dispositions du droit de l’Union (34). Étant donné que la réintégration en raison d’un montage non authentique au sens de l’article 7, paragraphe 2, sous b), de la directive 2016/1164 constitue un cas particulier de l’article 6 de cette directive (lequel, selon son intitulé, est une clause anti-abus et concerne les montages non authentiques), aucun contribuable ayant choisi un montage non authentique ne pourrait, en vertu de cette jurisprudence, se prévaloir de l’avantage découlant de la faculté de déduction prévue à l’article 8, paragraphe 7, de ladite directive.
64. Toutefois, si tel est le cas, l’État membre n’est alors pas même tenu de prévoir une telle faculté en droit national. En effet, selon la Cour (35), ce principe général (en vertu duquel nul ne peut se prévaloir abusivement des règles du droit de l’Union) est contraignant. En tant que principe général contraignant du droit de l’Union, il ne peut guère être écarté par le droit dérivé.
4) Sur la signification réelle de l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164
65. Cette interprétation au regard de l’économie générale et de la finalité ne rend toutefois pas superflue la règle énoncée à l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164. En effet, la déduction prévue dans cette disposition est nécessaire lors de la mise en œuvre de l’option prévue à l’article 7, paragraphe 2, sous a), de la directive 2016/1164. Dans ce cas, les revenus passifs de la société étrangère contrôlée sont imposés de manière forfaitaire par l’État de résidence du contribuable, sans qu’il soit nécessaire de démontrer que l’objectif essentiel du montage est l’obtention d’un avantage économique.
66. Ces bénéfices ne relèvent pas de la compétence fiscale de l’État de résidence du contribuable ne serait-ce qu’en raison du principe d’absence de prise en compte des montages artificiels, qui trouve son expression à l’article 6 de la directive 2016/1164. Par conséquent, l’État de résidence de la société étrangère contrôlée n’a a priori aucune raison de s’abstenir d’imposer les mêmes revenus. L’application de l’article 7, paragraphe 2, sous a), de la directive 2016/1164 pourrait donc conduire à une double imposition si l’article 8, paragraphe 7, de cette directive n’était pas appliqué. Il s’ensuit que la règle énoncée à l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164 conserve sa signification autonome, même si elle doit faire l’objet d’une restriction pour des raisons d’économie générale et de finalité.
b) Les risques résiduels de fait sont dans l’intérêt de la lutte contre les montages non authentiques
67. Même si, par conséquent, une double imposition ne peut pas se produire dans les cas de montages non authentiques, à tout le moins entre États membres, il faut admettre que, dans la pratique, il existe en tout état de cause un risque d’effort accru lié au fait de devoir traiter à la fois avec l’État de résidence de la société étrangère contrôlée et avec l’État de résidence du contribuable qui exerce le contrôle. En effet, tandis que l’État de résidence du contribuable exerçant le contrôle a un intérêt à ce que soit retenue une conception large du montage non authentique, qui produit pour lui des recettes fiscales, l’État de résidence de la société contrôlée a un intérêt à ce que soit retenue une conception étroite de cette notion, étant donné que des revenus imposables sont sinon soustraits à sa souveraineté fiscale.
68. Or, ces risques de fait ne sont pas contraires à la logique de la directive. Bien au contraire. En effet, si l’on appliquait la faculté de déduction prévue à l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164 à des cas relevant de l’article 7, paragraphe 2, sous b), de cette directive, le contribuable exerçant le contrôle devrait, en cas de découverte du montage non authentique, supporter uniquement la charge fiscale dans son propre État de résidence, déduction faite de la charge fiscale dans l’État de résidence de la société étrangère contrôlée.
69. Le contribuable exerçant le contrôle devrait donc, dans le pire des cas, s’acquitter d’impôts du même montant que celui qu’il aurait dû acquitter en l’absence de montage non authentique ; au mieux, le montage non authentique n’est jamais découvert et les bénéfices ont été transférés avec succès vers un pays à faible taux d’imposition. Cela invite à « tenter » de créer des montages non authentiques, car on n’a rien à y perdre, mais quelque chose à y gagner. L’effet dissuasif des risques pratiques que nous venons d’exposer prévient cela.
c) Conclusion intermédiaire
70. La faculté de déduction prévue à l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164 ne doit donc pas être appliquée à l’article 7, paragraphe 2, sous b), de cette directive. Il convient au contraire de retenir une interprétation restrictive de l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164 compte tenu de sa finalité, étant donné que l’objectif de cette disposition consistant à éviter une double imposition n’entre ici pas en ligne de compte. En outre, dans le cas contraire, il apparaîtrait une contradiction avec la conséquence juridique de l’article 6 de la directive 2016/1164 (absence de prise en compte du montage non authentique) et de la jurisprudence de la Cour elle-même selon laquelle nul ne peut se prévaloir abusivement du droit de l’Union. L’application de l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164 se limite donc à la réintégration au titre de l’article 7, paragraphe 2, sous a), de cette directive.
71. Le Royaume de Belgique, qui, pour ce qui est des sociétés étrangères contrôlées, avait retenu l’option prévue à l’article 7, paragraphe 2, sous b), de la directive 2016/1164, n’était pas ne serait-ce que pour cette raison tenu de transposer l’article 8, paragraphe 7, de cette directive. Ce motif conduit à lui seul à considérer que le recours de la Commission est dénué de fondement.
4. L’harmonisation minimale
72. Pour sa défense, le Royaume de Belgique fait encore valoir que la directive 2016/1164 ne vise, en vertu de son article 3, qu’à une harmonisation minimale des règles de protection des bases d’imposition nationales pour l’impôt sur les sociétés. Il considère que, en ne prévoyant pas, en cas d’abus, de déduction de l’impôt au titre de l’article 8, paragraphe 7, de cette directive, il ne fait qu’assurer un niveau plus élevé de protection des bases d’imposition nationales pour l’impôt sur les sociétés.
73. La Commission rétorque qu’une transposition correcte de la directive 2016/1164 en droit national exige également une transposition de l’article 8, paragraphe 7, de celle-ci. Selon elle, l’harmonisation minimale ne permet que de compléter ou de renforcer les mesures prévues par la directive 2016/1164, par exemple en abaissant les seuils aux fin du contrôle au sens de l’article 7, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de cette directive (voir considérant 12), mais ne permet pas leur non‑transposition totale.
74. En vertu de l’article 288, troisième alinéa, TFUE, les directives lient quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. Ainsi que nous l’avons déjà indiqué dans les présentes conclusions, les États membres sont tenus de transposer les directives de manière correcte et complète (36), c’est-à-dire, en principe, de transposer l’ensemble des dispositions d’une directive (37).
75. Or, dans le cas des directives d’harmonisation minimale, le législateur de l’Union donne délibérément aux États membres la faculté de maintenir ou d’adopter des mesures plus strictes. L’adoption ou le maintien de dispositions plus strictes est soumis à la condition que celles-ci ne soient pas de nature à compromettre sérieusement le résultat prescrit par la directive en cause et qu’elles soient, par ailleurs, conformes au droit primaire (38). Les restrictions aux libertés fondamentales qui en découlent peuvent, dans le domaine de l’harmonisation minimale, être justifiées par les objectifs de la directive en tant que raisons d’ordre public (39), à condition qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi (40).
76. En règle générale, il s’agit du cas dans lequel l’État membre transpose une disposition générale d’une directive en adoptant une règle plus spécifique plus stricte ou modifie, par exemple, un seuil de transposition fixé par la directive en tant que niveau minimal, renforçant ainsi les exigences juridiques en cause.
77. La présente affaire se distingue de ces cas en ce que le Royaume de Belgique ne s’est pas contenté de transposer plus strictement une disposition de la directive 2016/1164, mais que, avec l’article 8, paragraphe 7, de celle-ci, il n’a pas du tout transposé une disposition déterminée. À cet égard, il fait valoir que seuls l’article 7 et l’article 8, paragraphes 1 à 4, de la directive 2016/1164 contiennent le niveau minimal de protection des bases d’imposition nationales pour l’impôt sur les sociétés qui doit impérativement être mise en œuvre par les États membres. Il considère que les exceptions à l’inclusion dans la base d’imposition qui sont prévues à l’article 8, paragraphes 5 à 7, de la directive 2016/1164, qui visent à éviter une double imposition, restreignent en revanche la réalisation de cet objectif et ne doivent donc pas être obligatoirement transposées par les États membres. Il estime en effet que lorsqu’un État membre ne prévoit pas, par exemple en cas de montage non authentique, de déduction de l’impôt au titre de l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164, cela ne fait que garantir un niveau plus élevé de protection des bases d’imposition nationales pour l’impôt sur les sociétés.
78. La Cour a déjà dû se pencher sur des directives qui ne prévoyaient qu’une harmonisation minimale, mais elle l’a fait en matière de protection des consommateurs. Là encore, la loi nationale de transposition visait à atteindre dans une plus large mesure l’objectif poursuivi par la directive concernée et, comme en l’espèce, une dérogation prévue par cette directive n’avait par conséquent pas été transposée.
79. C’est ce que la Cour a eu à juger, par exemple, dans l’affaire Caja de Ahorros y Monte de Piedad de Madrid (41). Cette affaire concernait la directive 93/13/CEE concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (42), dont l’article 4, paragraphe 2, dispose que le caractère abusif d’une clause ne peut résulter ni de la définition de l’objet principal du contrat ni de l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que cette clause soit rédigée de façon claire et compréhensible. Aux termes de l’article 8 de la directive 93/13, « [l]es États membres peuvent adopter ou maintenir, dans le domaine régi par la présente directive, des dispositions plus strictes, compatibles avec le traité, pour assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur ». La réglementation espagnole transposant la directive 93/13 en droit interne n’a pas repris les exceptions prévues à l’article 4, paragraphe 2, de cette directive. Au contraire, dans le cadre de cette réglementation, une clause rédigée de façon claire et compréhensible peut également être qualifiée d’abusive en raison de son objet principal ou de l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part. À la suite des conclusions de l’avocate générale Trstenjak (43), cette non‑transposition de la dérogation a été jugée licite par la Cour, dès lors que la réglementation espagnole visait, conformément à l’objectif d’harmonisation minimale (44), à renforcer la protection des consommateurs (45).
80. Il peut en être déduit que, dans le cas d’une simple harmonisation minimale, l’obligation des États membres de transposer une directive ne couvre pas les dispositions dérogatoires dont la non‑transposition réalise l’objectif poursuivi par cette directive dans une mesure plus importante que ce ne serait le cas si elles étaient transposées. En d’autres termes, dans le cas d’une directive d’harmonisation minimale, une dérogation limitant la réalisation de l’objectif de cette directive ne doit pas nécessairement être transposée.
81. De même que, dans l’affaire Caja de Ahorros y Monte de Piedad de Madrid, la directive 93/13 autorisait des dispositions plus strictes des États membres « pour assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur » (46), dans la présente affaire, l’article 3 de la directive 2016/1164 ouvre la possibilité de « l’application de dispositions nationales ou conventionnelles visant à préserver un niveau plus élevé de protection des bases d’imposition nationales pour l’impôt sur les sociétés ». La directive 2016/1164 elle aussi ne procède donc qu’à une harmonisation minimale.
82. Pour déterminer si l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164, qui n’a pas été transposé, constitue une dérogation qui limite la réalisation de l’objectif de cette directive, il convient de revenir sur le mécanisme réglementaire que celle-ci établit. La directive 2016/1164 pose, à son article 7, paragraphe 2, sous b), le principe selon lequel les revenus de la société étrangère contrôlée provenant de montages non authentique sont inclus dans la base d’imposition du contribuable résident. Cette règle vise à ce que, au final, le contribuable soit imposé comme il le serait en l’absence de montage non authentique. Les revenus de la société étrangère contrôlée sont donc attribués aux revenus du contribuable exerçant le contrôle lorsqu’ils proviennent de montages non authentiques. L’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164 déroge à ce principe dans la mesure où, en raison de la déduction de l’impôt qu’il prévoit, les revenus de la société étrangère contrôlée ne sont plus intégralement imposés sur le territoire national. L’objectif de la réglementation (protection de la base d’imposition nationale pour l’impôt sur les sociétés) est ainsi limité. La « victime » d’un montage non authentique reçoit moins de recettes fiscales que si un montage fiscal authentique avait été choisi.
83. À cet égard, le principe qui peut être déduit de l’affaire Caja de Ahorros y Monte de Piedad de Madrid est applicable en l’espèce. Selon ce principe, la non‑transposition de l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164 ne constituerait pas un manquement du Royaume de Belgique, pour autant qu’elle contribue à aller plus loin dans la réalisation de l’objectif de cette directive [voir sous a)] et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire à cette fin [voir sous b)].
a) La non‑transposition de l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164 va plus loin dans la réalisation de l’objectif de cette directive
84. La non‑transposition de l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164 devrait tout d’abord contribuer à aller plus loin dans la réalisation de l’objectif de cette directive. Il convient donc de déterminer d’où il convient de dégager l’objectif de ladite directive.
85. Dans l’affaire Caja de Ahorros y Monte de Piedad de Madrid, précitée, seule la protection des consommateurs visée à l’article 8 de la directive 93/13, qui fixe le simple niveau d’harmonisation minimale, a été prise en compte à cet égard. En l’espèce, il conviendrait de se fonder à cet égard sur l’article 3 de la directive 2016/1164.
86. La non‑transposition de la faculté de déduction prévue à l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164 va plus loin dans la « protection des bases d’imposition nationales pour l’impôt sur les sociétés » visée à l’article 3 de cette directive. Mais surtout, le risque de devoir s’opposer à une imposition supplémentaire de la part de l’État de résidence de la société contrôlée décourage, dans ses effets, le transfert de revenus à l’étranger et, par cela, protège davantage la base d’imposition nationales pour l’impôt sur les sociétés.
87. Contrairement à ce que soutient la Commission, qui renvoie à cet égard au seul considérant 5 de la directive 2016/1164, l’objectif d’empêcher aussi la création d’obstacles au marché tels qu’une double imposition, mentionné dans ce considérant, ne saurait être considéré comme un objectif autonome de cette directive. En particulier, la double imposition ne résulte que de la directive 2016/1164 elle-même, plus précisément de l’obligation de réintégration, et seulement si l’on présume que l’État à faible taux d’imposition dispose d’un revenu fiscal propre en raison du montage non authentique. Il serait donc incohérent de présumer que cette directive poursuit l’objectif d’éviter la double imposition alors que le risque ne résulte que de ladite directive elle‑même (en l’espèce, par l’obligation de réintégration).
88. Cela est confirmé par une analyse plus approfondie de la directive 2016/1164. Ainsi qu’il ressort de son intitulé, cette directive établit des « règles pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur ». Parmi celles-ci, seule la « lutte[...] contre les pratiques d’évasion fiscale » décrit l’objectif de ladite directive. L’ajout « ayant une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur » limite, au regard de la base juridique de l’article 115 TFUE, la catégorie des pratiques d’évasion fiscale visées (voir section 1.), sans définir d’objectif propre.
89. Le considérant 1 de la directive 2016/1164 mentionne déjà la nécessité de « rétablir la confiance dans l’équité des systèmes fiscaux » et de permettre « aux États d’exercer efficacement leur souveraineté fiscale ». Les considérants 2, 3, 5, 14 et 16 de cette directive se réfèrent eux aussi à la lutte contre l’évasion fiscale en tant qu’objectif de ladite directive.
90. Par ailleurs, la directive 2016/1164 considère que l’entrave au marché réside principalement dans les pratiques d’évasion fiscale elles‑mêmes. Cela est déjà présent dans son intitulé (« pratiques d’évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur ») et est confirmé par son considérant 2, qui énonce ce qui suit : « Il est essentiel pour le bon fonctionnement du marché intérieur que les États membres, au minimum, mettent en œuvre leurs engagements en matière d’érosion de la base d’imposition et de transfert de bénéfices et, plus globalement, prennent des mesures pour décourager les pratiques d’évasion fiscale et assurer une fiscalité juste et efficace au sein de l’Union [...] ». Son considérant 16 va lui aussi en ce sens lorsqu’il invoque ce qui suit : « Un des principaux objectifs de la présente directive étant d’améliorer la résistance du marché intérieur dans son ensemble face aux pratiques d’évasion fiscale transfrontières [...] ».
91. Seul le considérant 5 de la directive 2016/1164 fait référence à ce que les « obstacles au marché, tels que la double imposition » doivent être empêchés. Ce serait toutefois exagérer la portée d’un seul considérant que d’en déduire un autre objectif autonome de la directive 2016/1164, tandis que l’objectif principal incontestable de cette directive se retrouve dans au moins cinq considérants, dans le titre et dans la réglementation elle-même (voir article 3 de ladite directive). Si l’on fait abstraction de l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164, aucune des règles de fond n’aborde plus en détail le problème de la double imposition entre les États membres, qui concerne d’ailleurs « seulement » la double imposition créée par cette directive elle-même. Il est plus logique de considérer que le fait d’empêcher la double imposition dans les cas où celle-ci peut survenir en raison de ladite directive constitue l’expression du principe de proportionnalité.
92. Le considérant 5, troisième phrase, de la directive 2016/1164 invoque ce qui suit : « Lorsque l’application de ces règles donne lieu à une double imposition, les contribuables devraient bénéficier d’un allègement sous la forme d’une déduction correspondant à l’impôt payé dans un autre État membre ou pays tiers, selon le cas ». Toutefois, en ce qui concerne les règles de réintégration relatives aux sociétés étrangères contrôlées prévues à l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2016/1164, cela ne vise que l’option prévue sous a), dans laquelle il peut exister une double imposition par deux États membres. En revanche, dans les cas visés sous b), il ne peut y avoir de double imposition, en tout cas entre États membres, conformément à ce qui a été exposé dans les présentes conclusions (points 46 et suivants).
93. Il n’est donc pas nécessaire de déterminer si l’Union dispose à tout le moins d’une compétence pour adopter une directive visant à éliminer de manière générale la double imposition dans la fiscalité directe des États membres. En effet, une double imposition résulte de l’exercice par les États membres de leur souveraineté fiscale. À cet égard, la Cour a déjà souligné à plusieurs reprises que les désavantages pouvant découler de l’exercice parallèle des compétences fiscales des différents États membres ne constituent pas des restrictions interdites par les traités, pour autant qu’un tel exercice de la souveraineté fiscale ne soit pas discriminatoire (47).
94. En conclusion, la non‑transposition de l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164 va plus loin dans la réalisation de l’objectif de cette directive, tel qu’il est défini à l’article 3 de celle-ci, de protection des bases d’imposition nationales pour l’impôt sur les sociétés que cela n’aurait été le cas s’il avait été transposé.
b) Le respect de l’impératif de nécessité
95. En outre, la non‑transposition est nécessaire, ne serait-ce que parce que, dans les cas visés à l’article 7, paragraphe 2, sous b), de la directive 2016/1164, il n’existe en règle générale aucun risque de double imposition (voir déjà, points 46 et suivants des présentes conclusions). Cette non‑transposition entraîne, pour les sociétés concernées qui ont choisi un montage non authentique, une charge supplémentaire au regard des difficultés pratiques (voir points 67 et suivants des présentes conclusions). À cet égard, cet effort supplémentaire vise à produire un effet de dissuasion, en inversant l’incitation économique à transférer des bénéfices vers d’autres États dont les taux d’imposition sur les sociétés sont moins élevés. Ainsi, la mesure en cause ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif qu’elle poursuit.
c) Conclusion intermédiaire
96. La déduction de l’impôt acquitté à l’étranger par la société étrangère contrôlée, prévue à l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164, ne relevait donc pas, en tant que disposition dérogatoire limitant la réalisation de cet objectif de la directive, de l’obligation de transposition. Il s’ensuit qu’en ne transposant pas cette disposition, le Royaume de Belgique n’a pas manqué à son obligation de transposition. Le recours de la Commission est dénué de fondement également pour ce motif.
C. Résumé
97. Par conséquent, le grief de manquement par non‑transposition de l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2016/1164, s’agissant du choix de la réintégration prévue à l’article 7, paragraphe 2, sous b), de cette directive, est dénué de fondement ne serait-ce qu’au regard d’une interprétation de cette disposition au regard de sa finalité, et, en tout état de cause, au regard de la simple harmonisation minimale à laquelle procède ladite directive en vertu de son article 3.
VI. Sur les dépens
98. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Royaume de Belgique ayant conclu à la condamnation de la Commission et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
99. L’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure dispose que les États membres et les institutions de l’Union qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. En application de cette disposition, le Royaume des Pays-Bas supportera ses propres dépens.
VII. Conclusion
100. À la lumière des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de déclarer et arrêter :
1. Le recours est rejeté.
2. La Commission est condamnée aux dépens.
3. Le Royaume des Pays-Bas supportera ses propres dépens.