ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
3 juillet 2025 (*)
« Renvoi préjudiciel – Directive 93/13/CEE – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Article 6, paragraphe 1, et article 7, paragraphe 1 – Pouvoirs et obligations du juge national – Procédure de faillite d’une personne physique – Absence de pouvoir du tribunal de la faillite d’examiner d’office le caractère abusif des clauses d’un contrat à l’origine d’une créance inscrite sur la liste des créances – Absence de pouvoir de ce tribunal d’ordonner des mesures provisoires – Principe d’effectivité »
Dans l’affaire C‑582/23 [Wiszkier] (i),
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Rejonowy dla Łodzi-Śródmieścia w Łodzi (tribunal d’arrondissement de Łódź, centre-ville de Łódź, Pologne), par décision du 2 août 2023, parvenue à la Cour le 20 septembre 2023, dans la procédure
R.S.,
en présence de :
G. S.A.,
P.C., en qualité de mandataire liquidateur de R.S. et de M.S.,
M.K., en qualité de mandataire liquidateur de G. S.A.,
J.J.,
M.G.,
LA COUR (quatrième chambre),
composée de M. I. Jarukaitis, président de chambre, MM. N. Jääskinen (rapporteur), A. Arabadjiev, M. Condinanzi et Mme R. Frendo, juges,
avocat général : M. D. Spielmann,
greffier : Mme M. Siekierzyńska, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 novembre 2024,
considérant les observations présentées :
– pour P.C., en qualité de mandataire liquidateur de R.S. et de M.S., par Me M. Kiejna, radca prawny,
– pour M.K., en qualité de mandataire liquidateur de G. S.A., par Mes P. Cieślak, M. Pyzik-Waląg J. Szewczak, Ł. Żak, adwokaci, et M. M. Pugowski, aplikant radcowski,
– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, Mmes M. Kozak, K. Rudzińska, et S. Żyrek, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mmes M. Brauhoff, O. Glinicka, MM. P. Kienapfel et P. Ondrůšek, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 mars 2025,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure de faillite concernant R.S., un consommateur en faillite personnelle, au sujet de la détermination d’un plan de remboursement des créanciers de celui-ci, dont une banque, à savoir G. S.A. (ci‑après la « banque G. »).
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Aux termes du vingt-quatrième considérant de la directive 93/13 :
« considérant que les autorités judiciaires et organes administratifs des États membres doivent disposer de moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’application de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ».
4 L’article 6, paragraphe 1, de cette directive dispose :
« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »
5 L’article 7, paragraphe 1, de ladite directive est libellé comme suit :
« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »
Le droit polonais
La loi sur la faillite
6 La procédure de faillite est régie par l’ustawa – Prawo upadłościowe (loi sur la faillite), du 28 février 2003 (Dz. U. n° 60, position 535), dans sa version applicable à la procédure au principal (Dz. U. de 2019, position 498, telle que modifiée) (ci-après la « loi sur la faillite »).
7 Aux termes de l’article 2, paragraphe 2, de la loi sur la faillite, la procédure régie par celle-ci à l’égard des personnes physiques n’exerçant pas d’activité économique est menée de sorte à permettre la remise des dettes du failli non exécutées dans la procédure de faillite et, dans la mesure du possible, à satisfaire au maximum les créances des créanciers de celui-ci.
8 L’article 61 de cette loi dispose que, à compter de la date de la déclaration de faillite, le patrimoine du failli devient la masse de la faillite, qui sert à désintéresser ses créanciers.
9 Conformément à l’article 62 de ladite loi, la masse de la faillite comprend le patrimoine appartenant au failli à la date de la déclaration de faillite et celui qu’il a acquis au cours de la procédure de faillite, sous réserve des exceptions prévues aux articles 63 à 67a de la même loi.
10 Il ressort de l’article 63, paragraphe 1, point 2, de la loi sur la faillite que n’entre pas dans la masse de la faillite la partie de la rémunération du failli qui n’est pas saisissable.
11 En vertu de l’article 151, paragraphe 1, de cette loi, à compter de la déclaration de la faillite, les actes de la procédure de faillite sont accomplis par le juge-commissaire, à l’exception des actes pour lesquels le tribunal de la faillite est compétent.
12 Conformément à l’article 152, paragraphe 1, de ladite loi, il appartient au juge-commissaire de diriger la procédure de faillite, de contrôler les actes du liquidateur, de désigner les actes du liquidateur qui requièrent le consentement du juge-commissaire ou celui du comité des créanciers et de relever les manquements commis par le liquidateur. En outre, conformément au paragraphe 2 de cet article 152, le juge-commissaire accomplit les autres actes définis dans la même loi.
13 L’article 154 de la loi sur la faillite dispose que le juge-commissaire a les droits et les devoirs du tribunal de la faillite et du président de ce tribunal dans le cadre de ses actions.
14 L’article 236 de cette loi prévoit :
« 1. Un créancier détenant une créance sur le patrimoine personnel du failli, qui entend prendre part à la procédure de faillite, est tenu, lorsqu’il est nécessaire que sa créance soit établie, de la déclarer au juge-commissaire dans le délai fixé dans l’ordonnance de déclaration de faillite.
2. Un créancier a également le droit de déclarer une créance lorsque celle-ci est garantie par une hypothèque, un gage, avec ou sans dépossession, un privilège du Trésor public, une hypothèque maritime ou toute autre inscription au registre foncier ou au registre d’immatriculation des navires. Si un créancier omet de déclarer ces créances, celles-ci sont inscrites d’office sur la liste des créances.
3. Le paragraphe 2 s’applique mutatis mutandis aux créances garanties par une hypothèque, un gage, avec ou sans dépossession, un privilège du Trésor public, une hypothèque maritime sur des biens faisant partie de la masse de la faillite, si le failli n’est pas un débiteur au titre de son patrimoine personnel et que le créancier entend réclamer ses créances sur le bien grevé dans le cadre de la procédure de faillite.
4. Les dispositions du présent article concernant les créances s’appliquent aux autres dettes devant être satisfaites à partir de la masse de la faillite. »
15 L’article 243 de ladite loi précise, à son paragraphe 1, que le liquidateur vérifie si la créance déclarée est étayée par les comptes ou autres documents du failli ou encore par les inscriptions du registre foncier ou des autres registres, et invite le failli à produire, dans un délai déterminé, une déclaration indiquant s’il reconnaît la créance.
16 L’article 244 de la même loi dispose que, après l’expiration du délai de déclaration des créances et la vérification des créances déclarées, le liquidateur établit immédiatement la liste des créances, au plus tard deux mois à compter de la fin du délai de déclaration des créances.
17 En vertu de l’article 260, paragraphe 2, de la loi sur la faillite, en cas de non‑opposition, le juge-commissaire approuve la liste des créances après l’expiration du délai d’opposition.
18 Il ressort de l’article 261 de cette loi que le juge-commissaire peut modifier d’office la liste des créances s’il constate que des créances en tout ou en partie inexistantes y ont été inscrites, ou que des créances qui devraient y figurer font défaut, que l’ordonnance de modification de la liste fait l’objet d’une publication d’office et que cette ordonnance est susceptible de recours.
19 L’article 49114 de ladite loi prévoit :
« 1. Après l’exécution du plan définitif de répartition, et lorsque, en raison de l’insuffisance du patrimoine du failli, un plan de répartition n’a pas été établi, le tribunal de la faillite établit, après approbation de la liste des créances, le failli, le liquidateur et les créanciers entendus, un plan de remboursement des créanciers ou, dans les cas visés à l’article 49116, prononce la remise des dettes du failli sans établir de plan de remboursement des créanciers.
2. L’ordonnance relative à l’établissement d’un plan de remboursement des créanciers ou à la remise des dettes du failli sans établir de plan de remboursement des créanciers est signifiée aux créanciers. Cette ordonnance est susceptible de recours.
3. Le passage en force de chose jugée de l’ordonnance relative à l’établissement d’un plan de remboursement des créanciers ou à la remise des dettes du failli sans établir de plan de remboursement des créanciers met fin à la procédure. »
20 L’article 49115, paragraphes 1 et 4, de la même loi dispose :
« 1. Dans l’ordonnance relative à l’établissement du plan de remboursement des créanciers, le tribunal de la faillite précise dans quelle mesure et dans quel délai, n’excédant pas 36 mois, le failli est tenu de rembourser les dettes reconnues dans la liste des créances, non exécutées au cours de la procédure sur la base des plans de répartition, et quelle partie des dettes du failli échues avant la date de la déclaration de faillite sera remise après l’exécution du plan de remboursement des créanciers.
[...]
4. Le tribunal de la faillite n’est pas lié par la position du failli sur les termes du plan de remboursement des créanciers. Pour déterminer le plan de remboursement des créanciers, ce tribunal tient compte des capacités de revenu du failli, de la nécessité pour le failli et les personnes à sa charge de subvenir à leurs besoins, y compris leurs besoins en matière de logement, du montant des créances non satisfaites et de la possibilité réelle de les satisfaire ultérieurement. »
La loi portant code du travail
21 L’article 87 de l’ustawa – Kodeks pracy (loi portant code du travail), du 26 juin 1974 (Dz. U. n° 24, position 141), dans sa version applicable à la procédure au principal (Dz. U. de 2022, position 1510, telle que modifiée), prévoit, notamment, que, en cas d’exécution d’autres dettes ou de compensation concernant des sommes avancées par l’employeur pour couvrir des dépenses professionnelles, des retenues peuvent être effectuées jusqu’à la moitié du salaire.
La procédure au principal et les questions préjudicielles
22 Le 30 mars 2007, R.S., son épouse et deux autres personnes physiques ont conclu avec la banque G. un contrat de crédit hypothécaire indexé sur le franc suisse (CHF), d’un montant de 489 821,63 zlotys polonais (PLN) (environ 116 587,34 euros) et d’une durée de 360 mois.
23 Par une ordonnance du 15 octobre 2019, R.S. a été déclaré en faillite personnelle et, par la suite, un liquidateur a été nommé.
24 Par une ordonnance du 26 avril 2021, le juge-commissaire a approuvé une liste de créances établie par ce liquidateur. La majorité des créances figurant sur cette liste étaient des créances de la banque G., au titre du contrat de crédit hypothécaire en cause au principal. Aucune objection n’a été formulée et R.S. a reconnu l’ensemble de ces créances.
25 Le 20 juillet 2023, la faillite de la banque G. a été déclarée et la procédure de faillite s’est poursuivie avec le liquidateur de celle‑ci.
26 Il ressort de la décision de renvoi que, dans le cadre d’une procédure de faillite, il appartient au tribunal de la faillite de déterminer, sur la base de la liste des créances déjà établie par le liquidateur et approuvée par le juge-commissaire, un plan de remboursement des créances du failli ou de constater que les actifs déjà accumulés dans la masse de la faillite suffisent à honorer toutes ses dettes et qu’un plan de remboursement n’est pas nécessaire. La décision de ce tribunal à cet égard met fin à la procédure de faillite.
27 En l’occurrence, ledit tribunal est le Sąd Rejonowy dla Łodzi‑Śródmieścia w Łodzi (tribunal d’arrondissement de Łódź, centre-ville de Łódź, Pologne), qui est la juridiction de renvoi. Celle-ci estime que le contrat de crédit hypothécaire en cause au principal contient des clauses abusives susceptibles d’entraîner la nullité de celui-ci et relève que cet aspect n’a pas été examiné précédemment. Selon cette juridiction, les créances de la banque G. sont inférieures à celles déclarées, voire n’existent pas du tout.
28 À cet égard, ladite juridiction observe, en premier lieu, que, si R.S. a déjà reconnu toutes les créances, il ne ressort pas du dossier de la procédure de faillite que cette partie ait été informée du caractère potentiellement abusif des clauses du contrat de crédit hypothécaire en cause au principal ni qu’elle ait déclaré en toute connaissance de cause qu’elle ne réclamait pas la protection que lui conférait la directive 93/13. Toutefois, le représentant professionnel de R.S., qui le représente depuis le 3 novembre 2022, a fait valoir devant la même juridiction que ce contrat de crédit hypothécaire contenait des clauses abusives. En outre, R.S. n’a pas eu la possibilité d’intenter lui-même un recours pour réclamer la protection de ses droits au titre de cette directive, puisque ses biens étaient et sont administrés par le liquidateur.
29 Or, selon la juridiction de renvoi, les dispositions applicables du droit national ne permettent pas au tribunal de la faillite, lorsqu’il établit un plan de remboursement, de contrôler lui-même le caractère abusif des clauses contractuelles. Ce tribunal peut seulement surseoir à statuer et déférer la question au juge-commissaire en vue d’une éventuelle modification d’office de la liste des créances, ce qui entraînerait un retard dans le traitement de l’affaire.
30 En deuxième lieu, cette juridiction relève que, dans le cadre d’une procédure de faillite, il est difficile d’établir à quel organe il revient d’examiner, le cas échéant, le caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles concernées. En effet, le juge-commissaire n’examine les déclarations de créances que sous l’angle formel et les transmet au liquidateur, lequel les examine au fond et établit la liste des créances. Le juge-commissaire n’aurait, dès lors, pas la possibilité légale de modifier cette liste avant son approbation, sauf en cas d’opposition d’une personne habilitée à cet effet.
31 Étant donné que, en l’occurrence, il n’y a pas eu d’opposition et que R.S. n’a pas invoqué, devant le juge-commissaire, le caractère abusif des clauses du contrat de crédit hypothécaire en cause au principal, ce juge-commissaire n’était pas tenu, en vertu du droit national, de vérifier le bien-fondé de la créance de la banque G. inscrite sur la liste des créances. L’allégation portant sur le caractère éventuellement abusif des clauses de ce contrat de crédit hypothécaire n’a été soulevée par le représentant de R.S. que devant la juridiction de renvoi.
32 En troisième lieu, cette juridiction précise que, selon les affirmations de R.S., après la retenue des sommes destinées à être versées dans la masse de la faillite, il lui reste un montant qui est insuffisant pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Toutefois, les dispositions applicables à la procédure de faillite en cause au principal ne permettraient ni au tribunal de la faillite ni au juge-commissaire d’agir de quelque manière que ce soit sur le montant de cette retenue.
33 En quatrième et dernier lieu, ladite juridiction rappelle que les fonds collectés au cours de la procédure de faillite servent à désintéresser tous les créanciers, et non pas seulement la banque G. Or, compte tenu du montant des fonds versés dans la masse de la faillite et de celui des autres dettes, il pourrait s’avérer que ces fonds suffisent à satisfaire les créances, à l’exception de la créance de la banque G. Conformément à l’article 87 de la loi portant code du travail, dans sa version applicable à la procédure au principal, la moitié du salaire du failli continue à être versée dans la masse et ce n’est qu’à la fin de la procédure de faillite que l’excédent éventuel lui serait reversé.
34 Dans ces conditions, la juridiction de renvoi est d’avis que le failli pourrait être dissuadé de réclamer la protection découlant de la directive 93/13 car, s’il ne la demandait pas, le tribunal de la faillite pourrait plus rapidement établir à son égard un plan de remboursement tenant compte de ses besoins et de ceux de sa famille proche, ce qui serait vraisemblablement associé à un remboursement de montants inférieurs aux sommes retenues sur les salaires. Cela impliquerait toutefois d’accepter le fait que la liste des créances comprenne celle de la banque G.
35 Dans ces conditions, le Sąd Rejonowy dla Łodzi‑Śródmieścia w Łodzi (tribunal d’arrondissement de Łódź, centre-ville de Łódź) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive [93/13] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui prévoit que le tribunal de la faillite est lié par la liste des créances approuvée par le juge-commissaire dans le cadre d’une procédure de faillite, ce qui l’empêche d’apprécier le caractère abusif des clauses contractuelles lorsqu’il rend sa décision mettant fin à la procédure ?
2) L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive [93/13] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui ne permet pas d’ordonner des mesures provisoires dans le cadre d’une procédure de faillite et qui est ainsi susceptible de dissuader les consommateurs de bénéficier de la protection conférée par cette directive ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
36 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui prévoit que, dans le cadre d’une procédure de faillite de personnes physiques, une fois la liste des créances approuvée par une instance juridictionnelle et la procédure ouverte devant le tribunal de la faillite, ce dernier est lié par cette liste, de sorte qu’il ne peut apprécier le caractère abusif des clauses figurant dans un contrat de crédit sur lequel est fondée une créance inscrite sur ladite liste ni modifier celle-ci, mais doit surseoir à statuer et déférer la question du caractère éventuellement abusif de ces clauses à cette instance juridictionnelle.
37 À cet égard, il y a lieu de rappeler, en premier lieu, que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 est une disposition impérative et qu’elle doit être considérée comme étant une norme équivalente aux règles nationales qui ont, dans l’ordre juridique interne, le caractère de normes d’ordre public (arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a. C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, EU:C:2016:980, points 54 et 55 ainsi que jurisprudence citée).
38 Ainsi, le juge national est tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle relevant du champ d’application de la directive 93/13 et, ce faisant, de suppléer au déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel, dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet (arrêt du 17 mai 2022, Ibercaja Banco, C‑600/19, EU:C:2022:394, point 37 et jurisprudence citée).
39 En outre, étant donné la nature et l’importance de l’intérêt public que constitue la protection des consommateurs, la directive 93/13 impose aux États membres, ainsi que cela ressort de son article 7, paragraphe 1, lu en combinaison avec son vingt-quatrième considérant, de prévoir des moyens adéquats et efficaces « afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel » [arrêt du 9 avril 2024, Profi Credit Polska (Réouverture de la procédure terminée par une décision définitive), C‑582/21, EU:C:2024:282, point 73 et jurisprudence citée].
40 La question posée en l’occurrence ayant trait à la procédure de faillite d’une personne physique n’exerçant pas une activité économique, il convient de rappeler, en second lieu, que le droit de l’Union n’harmonise pas les procédures applicables à l’examen du caractère éventuellement abusif d’une clause contractuelle, de sorte que celles-ci relèvent de l’ordre juridique interne des États membres, en vertu du principe de l’autonomie procédurale de ces derniers, à condition, toutefois, qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union (principe d’effectivité) [arrêts du 4 mai 2023, BRD Groupe Societé Générale et Next Capital Solutions, C‑200/21, EU:C:2023:380, point 28, ainsi que du 9 avril 2024, Profi Credit Polska (Réouverture de la procédure terminée par une décision définitive), C‑582/21, EU:C:2024:282, point 74 et jurisprudence citée].
41 S’agissant du principe d’équivalence, la Cour ne dispose d’aucun élément de nature à susciter un doute quant à la conformité de la réglementation en cause au principal avec ce principe.
42 En ce qui concerne le principe d’effectivité, la question de savoir si une réglementation nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysée en tenant compte de l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités ainsi que, le cas échéant, des principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure. Néanmoins, les caractéristiques spécifiques des procédures ne sauraient constituer un élément susceptible d’affecter la protection juridique dont doivent bénéficier les consommateurs en vertu des dispositions de la directive 93/13 (arrêt du 17 mai 2022, Impuls Leasing România, C‑725/19, EU:C:2022:396, point 45 et jurisprudence citée).
43 Cela étant, la Cour a également jugé que le respect du principe d’effectivité ne saurait aller jusqu’à suppléer intégralement à la passivité totale du consommateur concerné (arrêts du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones, C‑40/08, EU:C:2009:615, point 47 et du 24 juin 2025, GR REAL, C-351/23, EU :C :2025 :474, point 58 ainsi que jurisprudence citée).
44 En outre, l’obligation pour les États membres d’assurer l’effectivité des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union implique, notamment pour les droits découlant de la directive 93/13, une exigence de protection juridictionnelle effective, réaffirmée à l’article 7, paragraphe 1, de cette directive et consacrée également à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [arrêt du 9 avril 2024, Profi Credit Polska (Réouverture de la procédure terminée par une décision définitive), C‑582/21, EU:C:2024:282, point 76 et jurisprudence citée].
45 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi qu’une liste des créances approuvée par le juge-commissaire est contraignante pour le tribunal de la faillite, de sorte que ce dernier ne peut pas faire lui-même des constatations de fait en ce qui concerne l’existence des créances pour établir le plan de remboursement des créanciers. Selon la juridiction de renvoi, le seul moyen dont il dispose, afin de faire contrôler le caractère éventuellement abusif des clauses figurant dans un contrat dont tire son origine une créance inscrite sur la liste des créances établie par le liquidateur et approuvée par le juge-commissaire, est de saisir ce juge-commissaire pour qu’il examine tant ces clauses contractuelles que la nécessité de modifier d’office cette liste.
46 Il en ressort également que l’obligation, pour le tribunal de la faillite, de saisir le juge-commissaire retarde la clôture de la procédure de faillite et prolonge, en raison de l’alimentation continue de la masse de la faillite avec des retenues sur le salaire du failli pendant toute la procédure, la situation financière précaire de celui-ci. La prolongation de la procédure est ainsi susceptible de décourager ce failli de faire valoir son droit de réclamer la protection découlant de la directive 93/13.
47 Ainsi que l’a expliqué la juridiction de renvoi dans sa réponse à une demande d’éclaircissements adressée par la Cour à celle-ci en application de l’article 101 du règlement de procédure de la Cour, un failli dépend généralement de la clôture la plus rapide possible de la procédure de faillite. En effet, lors de l’établissement du plan de remboursement, qui met fin à cette procédure, le tribunal de la faillite peut tenir compte de la situation personnelle de ce failli, de ses dépenses, de la nécessité de subvenir aux besoins des personnes les plus proches de celui-ci et, le plus souvent, le montant mensuel que ledit failli doit affecter au remboursement de ses dettes à l’issue de la procédure est fixé à un montant inférieur à celui de la retenue sur le salaire effectuée au cours de ladite procédure. Ainsi, le même failli peut se voir contraint, afin d’éviter la prolongation de la procédure de faillite, de ne pas réclamer la protection découlant de la directive 93/13 et d’accepter un plan de remboursement comprenant une créance qui tire son origine d’un contrat contenant des clauses éventuellement abusives.
48 Au demeurant, il convient d’ajouter que, selon les informations figurant dans le dossier dont dispose la Cour, il semble que le risque que le failli s’abstienne d’invoquer le caractère abusif d’une clause contractuelle lors de la procédure de faillite existe non seulement à l’étape de cette procédure qui se déroule devant le tribunal de la faillite, mais aussi lors de chaque étape de ladite procédure. En effet, l’invocation du caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat dont tire son origine une créance a, en toute hypothèse, pour conséquence le retard de la clôture de la même procédure.
49 Or, il doit être souligné que la protection que la directive 93/13 confère aux consommateurs s’étend aux hypothèses dans lesquelles le consommateur qui a conclu avec un professionnel un contrat contenant une clause abusive s’abstient d’invoquer, d’une part, le fait que ce contrat relève du champ d’application de cette directive et, d’autre part, le caractère abusif de la clause en question, soit parce qu’il ignore ses droits, soit parce qu’il est dissuadé de les faire valoir en raison des frais qu’une action en justice entraînerait ou de la charge financière qu’il aurait à supporter (voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2020, Kancelaria Medius, C‑495/19, EU:C:2020:431, point 31 et jurisprudence citée).
50 Partant, compte tenu des éléments mentionnés aux points 45 à 47 du présent arrêt, il convient de considérer qu’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, qui est susceptible de décourager le failli de faire valoir son droit de réclamer la protection découlant de la directive 93/13, est de nature à rendre excessivement difficile l’application de cette directive dans le cadre de la même procédure.
51 À toutes fins utiles, il importe encore de préciser que le droit à une protection effective du consommateur englobe la faculté de renoncer à faire valoir ses droits, de telle sorte que le juge national doit tenir compte, le cas échéant, de la volonté exprimée par le consommateur lorsque, conscient du caractère non contraignant d’une clause abusive, ce dernier indique néanmoins qu’il s’oppose à ce qu’elle soit écartée, donnant ainsi un consentement libre et éclairé à la clause en question (arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C‑452/18, EU:C:2020:536, points 25 à 28 et jurisprudence citée).
52 Or, rien dans le dossier dont dispose la Cour ne permet de considérer que, en l’occurrence, le failli aurait renoncé, de manière libre et éclairée, à se prévaloir de la protection dont il bénéficie au titre de la directive 93/13. Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 88 de ses conclusions, la circonstance que le failli, sans être représenté par un avocat à ce stade de la procédure, a reconnu les déclarations de créances auprès du liquidateur et n’a pas formé opposition auprès du juge-commissaire ne saurait être considérée comme étant l’indication d’une renonciation libre et éclairée à cette protection.
53 Par ailleurs, dans une situation telle que celle au principal, l’attitude du failli ne saurait être qualifiée de totalement passive, au sens de la jurisprudence rappelée au point 43 du présent arrêt. En effet, ainsi qu’il a été exposé au point 28 du présent arrêt, celui-ci a fait valoir devant le tribunal de la faillite, en l’occurrence la juridiction de renvoi, que le contrat de crédit hypothécaire en cause au principal contenait des clauses abusives.
54 Compte tenu des arguments invoqués par M.K. lors de l’audience de plaidoiries, selon lesquels la liste des créances approuvée par le juge-commissaire aurait acquis l’autorité de la chose jugée, il y a aussi lieu de souligner que cette circonstance ne fait pas nécessairement obstacle à un examen d’office, par le tribunal de la faillite, du caractère éventuellement abusif des clauses figurant dans un contrat dont une créance inscrite sur cette liste tire son origine.
55 Ainsi que la Cour l’a jugé, l’obligation d’un tel examen d’office est justifiée par la nature et l’importance de l’intérêt public sous-tendant la protection que la directive 93/13 confère aux consommateurs, de sorte qu’un contrôle efficace du caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles, tel qu’exigé par cette directive, ne saurait être garanti si l’autorité de la chose jugée s’attachait aux décisions juridictionnelles qui ne font pas état d’un tel contrôle (arrêt du 17 mai 2022, Ibercaja Banco, C‑600/19, EU:C:2022:394, point 50).
56 Partant, dans la mesure où, en l’occurrence, l’examen du caractère abusif de clauses figurant dans un contrat dont une créance inscrite sur la liste des créances approuvée par le juge-commissaire tire son origine n’a pas eu lieu, ce qu’il appartiendra en définitive à la juridiction de renvoi de vérifier, la directive 93/13 impose au tribunal de la faillite d’apprécier le caractère éventuellement abusif de ces clauses ainsi que d’en tirer les conséquences nécessaires.
57 Il ne pourrait en aller autrement que si le juge-commissaire avait explicitement indiqué avoir procédé à un examen du caractère abusif des clauses contractuelles en cause au principal et que cet examen, motivé à tout le moins sommairement, n’avait révélé l’existence d’aucune clause abusive, le cas échéant en précisant par ailleurs que l’appréciation portée par ce juge-commissaire à l’issue dudit examen ne pouvait plus être remise en cause en l’absence de recours formé dans le délai prévu à cet effet (voir, par analogie, arrêt du 17 mai 2022, Ibercaja Banco, C‑600/19, EU:C:2022:394, point 51).
58 Compte tenu de l’ensemble des motifs qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui prévoit que, dans le cadre d’une procédure de faillite de personnes physiques, une fois la liste des créances approuvée par une instance juridictionnelle, sans qu’elle ait examiné le caractère éventuellement abusif des clauses du contrat concerné, et la procédure ouverte devant le tribunal de la faillite, ce dernier est lié par cette liste, de sorte qu’il ne peut apprécier le caractère abusif des clauses figurant dans un contrat de crédit sur lequel est fondée une créance inscrite sur ladite liste ni modifier celle-ci, mais doit surseoir à statuer et déférer la question du caractère éventuellement abusif de ces clauses à cette instance juridictionnelle.
Sur la seconde question
59 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, s’il convient d’interpréter l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui, dans le cadre d’une procédure de faillite de personnes physiques, ne prévoit pas la possibilité pour le tribunal de la faillite d’ordonner des mesures provisoires visant à aménager la situation du failli dans l’attente de l’issue de l’examen du caractère abusif des clauses figurant dans un contrat de crédit dont tire son origine une créance inscrite sur la liste des créances approuvée par une autre instance juridictionnelle sans qu’elle ait examiné le caractère éventuellement abusif des clauses du contrat concerné.
60 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler, d’une part, que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 impose aux États membres de veiller à ce que les clauses contractuelles abusives ne lient pas le consommateur, sans que celui-ci ait besoin de former un recours et d’obtenir un jugement confirmant le caractère abusif de ces clauses. Il s’ensuit que les juridictions nationales sont tenues d’écarter l’application desdites clauses afin qu’elles ne produisent pas d’effets contraignants à l’égard d’un consommateur, sauf si ce dernier s’y oppose [arrêt du 15 juin 2023, Getin Noble Bank (Suspension de l’exécution d’un contrat de crédit), C‑287/22, EU:C:2023:491, point 37 et jurisprudence citée].
61 En outre, ainsi qu’il est indiqué au point 39 du présent arrêt, il appartient, en définitive, aux États membres de veiller, conformément à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, à ce que, dans l’intérêt des consommateurs et des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.
62 D’autre part, ainsi qu’il ressort du point 40 du présent arrêt, les modalités de mise en œuvre de la protection des consommateurs prévue par la directive 93/13 relèvent de l’ordre juridique interne des États membres en vertu du principe de l’autonomie procédurale de ces derniers, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité.
63 S’agissant du principe d’équivalence, la Cour ne dispose d’aucun élément de nature à susciter un doute quant à la conformité avec ce principe de la réglementation nationale en cause au principal en ce qu’elle ne prévoit pas la possibilité, pour le tribunal de la faillite, d’ordonner des mesures provisoires afin de protéger le failli dans le cadre de la procédure de faillite.
64 En ce qui concerne le principe d’effectivité, ainsi qu’il est relevé, en substance, au point 42 du présent arrêt, le point de savoir si une réglementation nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysé en tenant compte de l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités.
65 Cela étant rappelé, s’agissant plus particulièrement de la question de savoir dans quelles circonstances il peut s’avérer nécessaire que le juge national octroie des mesures provisoires pour assurer l’effectivité de l’application de la directive 93/13, il doit être souligné que la nécessité de telles mesures doit être évaluée à la lumière de la finalité de la directive 93/13, qui est d’assurer un niveau élevé de protection du consommateur (voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2020, Banca B., C‑269/19, EU:C:2020:954, point 37).
66 Ainsi, le juge national doit pouvoir appliquer des mesures provisoires pour permettre la pleine efficacité des droits que le consommateur tire de la directive 93/13.
67 C’est en effet dans cette perspective que la Cour a jugé, notamment, que la protection garantie aux consommateurs par cette directive, en particulier à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, de celle-ci, requiert que le juge national, compétent pour apprécier le caractère abusif d’une clause contractuelle, doit pouvoir octroyer une mesure provisoire appropriée, si cela est nécessaire pour garantir la pleine efficacité de la décision à intervenir en ce qui concerne le caractère abusif de clauses contractuelles [arrêt du 15 juin 2023, Getin Noble Bank (Suspension de l’exécution d’un contrat de crédit), C‑287/22, EU:C:2023:491, point 43 et jurisprudence citée].
68 De la même manière, il peut être nécessaire d’octroyer de telles mesures lorsqu’il existe un risque que ce consommateur paie, au cours d’une procédure juridictionnelle dont la durée peut être considérable, des mensualités d’un montant plus élevé que celui effectivement dû si la clause concernée devait être écartée, si cela est nécessaire pour garantir la pleine efficacité de la décision à intervenir en ce qui concerne le caractère abusif de clauses contractuelles [arrêt du 15 juin 2023, Getin Noble Bank (Suspension de l’exécution d’un contrat de crédit), C‑287/22, EU:C:2023:491, points 42 et 43 ainsi que jurisprudence citée].
69 À cet égard, il découle des indications figurant dans la décision de renvoi que, premièrement, en vertu de la réglementation nationale en cause au principal, le tribunal de la faillite n’a pas la possibilité d’octroyer des mesures provisoires visant à alléger la situation financière du failli dans l’attente de l’issue de l’examen du caractère éventuellement abusif d’une clause contractuelle. Si, certes, le failli ne rembourse pas, avant la clôture de la procédure de faillite, les créances inscrites sur la liste des créances approuvée par le juge-commissaire, il n’en reste pas moins que ce failli est contraint de continuer, pendant cet examen, à alimenter la masse de la faillite sur la base d’une liste de créances qui comporte potentiellement une créance qui tire son origine d’une telle clause. Ainsi qu’il est relevé au point 46 du présent arrêt, dès lors que l’invocation du caractère abusif d’une clause contractuelle implique la prolongation de la procédure de faillite, ledit failli est susceptible d’être découragé de faire valoir son droit de réclamer la protection découlant de la directive 93/13. Deuxièmement, il ressort des explications de la juridiction de renvoi que, en l’occurrence, compte tenu du montant des fonds versés jusqu’à présent dans la masse de la faillite et de celui des dettes du même failli, ces fonds peuvent s’avérer suffisants pour satisfaire les créances inscrites sur cette liste, à l’exception de la créance de la banque G.
70 Il convient de considérer que, dans de telles circonstances, une mesure provisoire, ainsi que l’a expliqué, en substance, la juridiction de renvoi dans la réponse à la demande d’éclaircissements visée au point 47 du présent arrêt, tendant à la réduction des retenues opérées sur le salaire du failli dans l’attente d’une décision clôturant l’examen du caractère abusif d’une clause contractuelle, pourrait être nécessaire pour garantir la protection assurée par la directive 93/13 ainsi que la protection juridictionnelle effective qui en découle, ce qu’il appartiendra néanmoins à la juridiction de renvoi de déterminer.
71 Aux fins de cette détermination, cette juridiction doit, notamment, apprécier si l’adoption de mesures provisoires, consistant en une réduction des retenues sur le salaire du failli, est nécessaire afin de garantir à ce failli la protection que lui confère la directive 93/13. À cet effet, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 104 de ses conclusions, ladite juridiction devra tenir compte de toutes les circonstances pertinentes de l’espèce, dont, notamment, l’existence d’indices suffisants que les clauses contractuelles concernées sont abusives, de la possibilité concrète que la masse de la faillite soit déjà suffisamment constituée pour satisfaire les créanciers, à l’exception, le cas échéant, de la créance concernée, ainsi que de la situation financière dudit failli et du risque qu’il doive supporter une prolongation de la procédure de faillite qui pourrait conduire à une détérioration injustifiée de sa situation financière dans l’attente de la clôture de cette procédure.
72 Eu égard à l’ensemble des motifs qui précèdent, il convient de répondre à la seconde question que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui, dans le cadre d’une procédure de faillite de personnes physiques, ne prévoit pas la possibilité pour le tribunal de la faillite d’ordonner des mesures provisoires visant à aménager la situation du failli dans l’attente d’une décision clôturant l’examen du caractère abusif des clauses figurant dans un contrat de crédit dont tire son origine une créance inscrite sur la liste des créances approuvée par une autre instance juridictionnelle sans qu’elle ait examiné le caractère éventuellement abusif des clauses du contrat concerné.
Sur les dépens
73 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :
1) L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d’effectivité,
doivent être interprétés en ce sens que :
ils s’opposent à une réglementation nationale qui prévoit que, dans le cadre d’une procédure de faillite de personnes physiques, une fois la liste des créances approuvée par une instance juridictionnelle, sans qu’elle ait examiné le caractère éventuellement abusif des clauses du contrat concerné, et la procédure ouverte devant le tribunal de la faillite, ce dernier est lié par cette liste, de sorte qu’il ne peut apprécier le caractère abusif des clauses figurant dans un contrat de crédit sur lequel est fondée une créance inscrite sur ladite liste ni modifier celle-ci, mais doit surseoir à statuer et déférer la question du caractère éventuellement abusif de ces clauses à cette instance juridictionnelle.
2) L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d’effectivité,
doivent être interprétés en ce sens que :
ils s’opposent à une réglementation nationale qui, dans le cadre d’une procédure de faillite de personnes physiques, ne prévoit pas la possibilité pour le tribunal de la faillite d’ordonner des mesures provisoires visant à aménager la situation du failli dans l’attente d’une décision clôturant l’examen du caractère abusif des clauses figurant dans un contrat de crédit dont tire son origine une créance inscrite sur la liste des créances approuvée par une autre instance juridictionnelle sans qu’elle ait examiné le caractère éventuellement abusif des clauses du contrat concerné.
Signatures