Language of document : ECLI:EU:C:2025:514

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

3 juillet 2025 (*)

« Renvoi préjudiciel – Politique d’asile – Protection internationale – Procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale – Directive 2013/32/UE – Article 46 – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47 – Droit à un recours effectif – Exigence d’un examen complet et ex nunc du recours – Obligation de comparution personnelle devant l’autorité chargée de l’examen du recours – Présomption d’introduction abusive d’un recours – Rejet du recours comme étant manifestement non fondé sans examen au fond – Principe de proportionnalité »

Dans l’affaire C‑610/23 [Al Nasiria] (i),

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Dioikitiko Protodikeio Thessalonikis (tribunal administratif de première instance de Thessalonique, Grèce), par décision du 30 juin 2023, parvenue à la Cour le 3 octobre 2023, dans la procédure

FO

contre

Ypourgos Metanastefsis kai Asylou,

LA COUR (première chambre),

composée de M. F. Biltgen, président de chambre, M. T. von Danwitz (rapporteur), vice‑président de la Cour, faisant fonction de juge de la première chambre, M. A. Kumin, Mme I. Ziemele et M. S. Gervasoni, juges,

avocat général : Mme L. Medina,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour le gouvernement hellénique, par Mme Z. Chatzipavlou, M. K. Georgiadis et Mme T. Papadopoulou, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mmes F. Blanc-Simonetti et A. Katsimerou, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 6 février 2025,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte, en substance, sur l’interprétation de l’article 46 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60), lu à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant FO à l’Ypourgos Metanastefsis kai Asylou (ministre de l’Immigration et de l’Asile, Grèce) au sujet du rejet de la demande de protection internationale présentée par FO.

 Le cadre juridique

 Le droit international

3        L’article 33 de de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 [Recueil des traités des Nations unies, vol. 189, p. 150, no 2545 (1954)], entrée en vigueur le 22 avril 1954 et complétée par le protocole relatif au statut des réfugiés, conclu à New York le 31 janvier 1967 et entré en vigueur le 4 octobre 1967, intitulé « Défense d’expulsion et de refoulement », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Aucun des États Contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. »

 Le droit de l’Union

 La directive 2008/115/CE

4        L’article 7 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98), dispose, à son paragraphe 4 :

« S’il existe un risque de fuite, ou si une demande de séjour régulier a été rejetée comme étant manifestement non fondée ou frauduleuse, ou si la personne concernée constitue un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale, les États membres peuvent s’abstenir d’accorder un délai de départ volontaire ou peuvent accorder un délai inférieur à sept jours. »

5        L’article 11, paragraphe 1, de cette directive énonce :

« Les décisions de retour sont assorties d’une interdiction d’entrée :

a)      si aucun délai n’a été accordé pour le départ volontaire, ou

b)      si l’obligation de retour n’a pas été respectée.

Dans les autres cas, les décisions de retour peuvent être assorties d’une interdiction d’entrée. »

 La directive 2011/95/UE

6        L’article 2 de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9), dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

d)      “réfugié”, tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 12 ;

[...]

f)      “personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire”, tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 15, l’article 17, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ;

[...] »

7        L’article 4 de cette directive, intitulé « Évaluation des faits et circonstances », prévoit :

« 1.      Les États membres peuvent considérer qu’il appartient au demandeur de présenter, aussi rapidement que possible, tous les éléments nécessaires pour étayer sa demande de protection internationale. Il appartient à l’État membre d’évaluer, en coopération avec le demandeur, les éléments pertinents de la demande.

[...]

3.      Il convient de procéder à l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale en tenant compte des éléments suivants :

a)      tous les faits pertinents concernant le pays d’origine au moment de statuer sur la demande, y compris les lois et règlements du pays d’origine et la manière dont ils sont appliqués ;

b)      les informations et documents pertinents présentés par le demandeur, y compris les informations permettant de déterminer si le demandeur a fait ou pourrait faire l’objet de persécutions ou d’atteintes graves ;

c)      le statut individuel et la situation personnelle du demandeur, y compris des facteurs comme son passé, son sexe et son âge, pour déterminer si, compte tenu de la situation personnelle du demandeur, les actes auxquels le demandeur a été ou risque d’être exposé pourraient être considérés comme une persécution ou une atteinte grave ;

[...]

5.      Lorsque les États membres appliquent le principe selon lequel il appartient au demandeur d’étayer sa demande, et lorsque certains aspects des déclarations du demandeur ne sont pas étayés par des preuves documentaires ou autres, ces aspects ne nécessitent pas confirmation lorsque les conditions suivantes sont remplies :

a)      le demandeur s’est réellement efforcé d’étayer sa demande ;

b)      tous les éléments pertinents à la disposition du demandeur ont été présentés et une explication satisfaisante a été fournie quant à l’absence d’autres éléments probants ;

c)      les déclarations du demandeur sont jugées cohérentes et plausibles et elles ne sont pas contredites par les informations générales et particulières connues et pertinentes pour sa demande ;

d)      le demandeur a présenté sa demande de protection internationale dès que possible, à moins qu’il puisse avancer de bonnes raisons pour ne pas l’avoir fait ; et

e)      la crédibilité générale du demandeur a pu être établie. »

 La directive 2013/32

8        Les considérants 18, 23, 25, 43 et 50 de la directive 2013/32 énoncent :

« (18)      Il est dans l’intérêt à la fois des États membres et des demandeurs d’une protection internationale que les demandes de protection internationale fassent l’objet d’une décision aussi rapide que possible, sans préjudice de la réalisation d’un examen approprié et exhaustif.

[...]

(23)      Dans le cadre des procédures de recours, les demandeurs devraient pouvoir bénéficier, sous réserve de certaines conditions, d’une assistance juridique et d’une représentation gratuites par des personnes compétentes pour assurer cette assistance et cette représentation en vertu du droit national. En outre, les demandeurs devraient, à tous les stades de la procédure, avoir le droit de consulter, à leurs frais, des conseils juridiques ou des conseillers reconnus en tant que tels ou autorisés à cette fin en vertu du droit national.

[...]

(25)      Afin de pouvoir déterminer correctement les personnes qui ont besoin d’une protection en tant que réfugiés au sens de l’article 1er de la convention [relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951,] ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, chaque demandeur devrait avoir un accès effectif aux procédures, pouvoir coopérer et communiquer de façon appropriée avec les autorités compétentes afin de présenter les faits pertinents le concernant, et disposer de garanties de procédure suffisantes pour faire valoir sa demande à tous les stades de la procédure. Par ailleurs, la procédure d’examen de sa demande de protection internationale devrait, en principe, donner au demandeur au moins : le droit de rester sur le territoire dans l’attente de la décision de l’autorité responsable de la détermination, [...] le droit à une notification correcte d’une décision et à une motivation de cette décision en fait et en droit, la possibilité de consulter un conseil juridique ou tout autre conseiller, le droit d’être informé de sa situation juridique aux stades décisifs de la procédure, dans une langue qu’il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu’il la comprend, et, en cas de décision négative, le droit à un recours effectif devant une juridiction.

[...]

(43)      Les États membres devraient examiner toutes les demandes au fond, c’est-à-dire évaluer si le demandeur concerné peut prétendre à une protection internationale conformément à la directive [2011/95], sauf dispositions contraires de la présente directive, notamment lorsqu’on peut raisonnablement supposer qu’un autre pays procéderait à l’examen ou accorderait une protection suffisante. [...]

[...]

(50)      Conformément à un principe fondamental du droit de l’Union, les décisions prises en ce qui concerne une demande de protection internationale, les décisions relatives à un refus de rouvrir l’examen d’une demande après que cet examen a été clos, et les décisions concernant le retrait du statut de réfugié ou du statut conféré par la protection subsidiaire font l’objet d’un recours effectif devant une juridiction. »

9        L’article 2 de la directive 2013/32, intitulé « Définitions », dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

f)      “autorité responsable de la détermination”, tout organe quasi juridictionnel ou administratif d’un État membre, responsable de l’examen des demandes de protection internationale et compétent pour se prononcer en première instance sur ces demandes ;

[...] »

10      L’article 28 de cette directive, intitulé « Procédure en cas de retrait implicite de la demande ou de renonciation implicite à celle-ci », prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.      Lorsqu’il existe un motif sérieux de penser qu’un demandeur a retiré implicitement sa demande ou y a renoncé implicitement, les États membres veillent à ce que l’autorité responsable de la détermination prenne la décision soit de clore l’examen de la demande, soit, pour autant que l’autorité responsable de la détermination considère la demande comme infondée sur la base d’un examen approprié de celle-ci quant au fond, conformément à l’article 4 de la directive [2011/95], de rejeter celle-ci.

Les États membres peuvent présumer que le demandeur a implicitement retiré sa demande de protection internationale ou y a implicitement renoncé, notamment lorsqu’il est établi :

a)      qu’il n’a pas répondu aux demandes l’invitant à fournir des informations essentielles pour sa demande, au regard de l’article 4 de la directive [2011/95], ou ne s’est pas présenté à un entretien personnel conformément aux articles 14 à 17 de la présente directive, sauf si le demandeur apporte la preuve, dans un délai raisonnable, que cette absence était indépendante de sa volonté ;

b)      qu’il a fui ou quitté sans autorisation le lieu où il vivait ou était placé en rétention, sans contacter l’autorité compétente dans un délai raisonnable ou qu’il n’a pas, dans un délai raisonnable, respecté l’obligation de se présenter régulièrement aux autorités ou d’autres obligations de communication, à moins que le demandeur ne démontre que cela était dû à des circonstances qui ne lui sont pas imputables.

Aux fins de l’application des présentes dispositions, les États membres peuvent fixer des délais ou élaborer des lignes directrices à ce sujet.

2.      Les États membres font en sorte qu’un demandeur qui se présente à nouveau devant l’autorité compétente après qu’une décision de clôture de l’examen visée au paragraphe 1 du présent article a été prise ait le droit de solliciter la réouverture de son dossier ou de présenter une nouvelle demande qui ne sera pas soumise à la procédure visée aux articles 40 et 41.

Les États membres peuvent prévoir un délai d’au moins neuf mois à l’issue duquel le dossier du demandeur ne peut plus être rouvert ou la nouvelle demande peut être traitée en qualité de demande ultérieure et être soumise à la procédure visée aux articles 40 et 41. Les États membres peuvent prévoir que le dossier du demandeur ne peut être rouvert qu’une seule fois.

Les États membres veillent à ce qu’une telle personne ne soit pas éloignée en violation du principe de non-refoulement.

Les États membres peuvent autoriser l’autorité responsable de la détermination à reprendre l’examen au stade auquel il avait été interrompu. »

11      L’article 31 de la directive 2013/32, intitulé « Procédure d’examen », énonce, à son paragraphe 8 :

« Les États membres peuvent décider, dans le respect des principes de base et des garanties fondamentales visés au chapitre II, d’accélérer une procédure d’examen et/ou de mener cette procédure à la frontière ou dans les zones de transit conformément à l’article 43 lorsque :

a)      le demandeur n’a soulevé, en soumettant sa demande et en exposant les faits, que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour obtenir le statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive [2011/95] ; ou

b)      le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de la présente directive ; ou

c)      le demandeur a induit les autorités en erreur en ce qui concerne son identité et/ou sa nationalité, en présentant de fausses indications ou de faux documents ou en dissimulant des informations ou des documents pertinents qui auraient pu influencer la décision dans un sens défavorable ; ou

d)      il est probable que, de mauvaise foi, le demandeur a procédé à la destruction ou s’est défait d’un document d’identité ou de voyage qui aurait aidé à établir son identité ou sa nationalité ; ou

e)      le demandeur a fait des déclarations manifestement incohérentes et contradictoires, manifestement fausses ou peu plausibles qui contredisent des informations suffisamment vérifiées du pays d’origine, ce qui rend sa demande visiblement peu convaincante quant à sa qualité de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive [2011/95] ; ou

f)      le demandeur a présenté une demande ultérieure de protection internationale qui n’est pas irrecevable conformément à l’article 40, paragraphe 5 ; ou

g)      le demandeur ne présente une demande qu’afin de retarder ou d’empêcher l’exécution d’une décision antérieure ou imminente qui entraînerait son éloignement ; ou

h)      le demandeur est entré ou a prolongé son séjour illégalement sur le territoire de l’État membre et, sans motif valable, ne s’est pas présenté aux autorités ou n’a pas présenté une demande de protection internationale dans les délais les plus brefs compte tenu des circonstances de son entrée ; ou

i)      le demandeur refuse de se conformer à l’obligation de donner ses empreintes digitales [...] ; ou

j)      il existe de sérieuses raisons de considérer que le demandeur représente un danger pour la sécurité nationale ou l’ordre public de l’État membre, ou le demandeur a fait l’objet d’une décision d’éloignement forcé pour des motifs graves de sécurité nationale ou d’ordre public au regard du droit national. »

12      L’article 32 de la directive 2013/32, intitulé « Demandes infondées », dispose :

« 1.      Sans préjudice de l’article 27, les États membres ne peuvent considérer une demande comme infondée que si l’autorité responsable de la détermination a établi que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre à une protection internationale en vertu de la directive [2011/95].

2.      En cas de demande infondée correspondant à l’une des situations, quelle qu’elle soit, énumérées à l’article 31, paragraphe 8, les États membres peuvent également considérer une demande comme manifestement infondée, si elle est définie comme telle dans la législation nationale. »

13      L’article 46 de la directive 2013/32, intitulé « Droit à un recours effectif », prévoit :

« 1.      Les États membres font en sorte que les demandeurs disposent d’un droit à un recours effectif devant une juridiction contre les actes suivants :

a)      une décision concernant leur demande de protection internationale, y compris :

i)      les décisions considérant comme infondée une demande quant au statut de réfugié et/ou au statut conféré par la protection subsidiaire ;

ii)      les décisions d’irrecevabilité de la demande en application de l’article 33, paragraphe 2 ;

iii)      les décisions prises à la frontière ou dans les zones de transit d’un État membre en application de l’article 43, paragraphe 1 ;

iv)      les décisions de ne pas procéder à un examen en vertu de l’article 39 ;

b)      le refus de rouvrir l’examen d’une demande après que cet examen a été clos en vertu des articles 27 et 28 ;

c)      une décision de retirer la protection internationale, en application de l’article 45.

[...]

3.      Pour se conformer au paragraphe 1, les États membres veillent à ce qu’un recours effectif prévoie un examen complet et ex nunc tant des faits que des points d’ordre juridique, y compris, le cas échéant, un examen des besoins de protection internationale en vertu de la directive [2011/95], au moins dans le cadre des procédures de recours devant une juridiction de première instance.

4.      Les États membres prévoient des délais raisonnables et énoncent les autres règles nécessaires pour que le demandeur puisse exercer son droit à un recours effectif en application du paragraphe 1. Les délais prévus ne rendent pas cet exercice impossible ou excessivement difficile.

Les États membres peuvent également prévoir un réexamen d’office des décisions prises en vertu de l’article 43.

5.      Sans préjudice du paragraphe 6, les États membres autorisent les demandeurs à rester sur leur territoire jusqu’à l’expiration du délai prévu pour l’exercice de leur droit à un recours effectif et, si ce droit a été exercé dans le délai prévu, dans l’attente de l’issue du recours.

6.      En cas de décision :

a)      considérant une demande comme manifestement infondée conformément à l’article 32, paragraphe 2, ou infondée après examen conformément à l’article 31, paragraphe 8, à l’exception des cas où les décisions sont fondées sur les circonstances visées à l’article 31, paragraphe 8, point h) ;

b)      considérant une demande comme irrecevable en vertu de l’article 33, paragraphe 2, points a), b, ou d) ;

c)      rejetant la réouverture du dossier du demandeur après qu’il a été clos conformément à l’article 28 ; ou

d)      de ne pas procéder à l’examen, ou de ne pas procéder à l’examen complet de la demande en vertu de l’article 39,

une juridiction est compétente pour décider si le demandeur peut rester sur le territoire de l’État membre, soit à la demande du demandeur ou de sa propre initiative, si cette décision a pour conséquence de mettre un terme au droit du demandeur de rester dans l’État membre et lorsque, dans ces cas, le droit de rester dans l’État membre dans l’attente de l’issue du recours n’est pas prévu par le droit national.

[...]

11.      Les États membres peuvent également fixer, dans la législation nationale, les conditions dans lesquelles il peut être présumé qu’un demandeur a implicitement retiré le recours visé au paragraphe 1 ou y a implicitement renoncé, ainsi que les règles sur la procédure à suivre. »

 Le droit grec

 La loi 3907/2011

14      Aux termes de l’article 22, paragraphe 4, du Nomos 3907/2011, Idrysi Ypiresias Asylou kai Ypiresias Protis Ypodochis, prosarmogi tis ellinikis nomothesias pros tis diatakseis tis Odigias 2008/115/EK schetika me tous koinous kanones kai diadikasies sta krati-meli gia tin epistrophi ton paranomos diamenonton ypikoon triton choron kai loipes diatakseis (loi 3907/2011 établissant un service d’asile et de premier accueil, harmonisant la législation grecque avec les dispositions de la [directive 2008/115] et autres dispositions) (FEK A’ 7/26.1.2011), intitulé « Départ volontaire » :

« S’il existe un risque de fuite, ou si le ressortissant d’un pays tiers constitue un danger pour la sécurité publique, l’ordre public ou la sécurité nationale [...] ou si la demande de séjour légal a été rejetée comme étant manifestement infondée ou abusive, les autorités spécifiquement compétentes n’accordent aucun délai de départ volontaire. »

 La loi 4375/2016

15      L’article 4, paragraphe 1, du Nomos 4375/2016, Organosi kai leitourgia Ypiresias Asylou, Archis Prosfygon, Ypiresias Ypodochis kai Taftopoiisis, systasi Genikis Grammateias Ypodochis, prosarmogi tis Ellinikis Nomothesias pros tis diatakseis tis Odigias 2013/32/ΕΕ tou Evropaikou Koinovouliou kai tou Symbouliou « schetika me tis koines diadikasies gia ti chorigisi kai anaklisi tou kathestotos diethnous prostasias (anadiatyposi) » (EE 2013 L 180), diatakseis gia tin ergasia dikaiouchon diethnous prostasias kai alles diatakseis (loi 4375/2016 relative à l’organisation et au fonctionnement d’un service d’asile, d’une autorité d’examen des recours et d’un service d’accueil et d’identification, portant création d’un secrétariat général d’accueil et harmonisant la législation grecque avec les dispositions de la [directive 2013/32] régissant le travail des bénéficiaires d’une protection internationale et d’autres dispositions) (FEK A’ 51/3.4.2016), telle que modifiée par la loi 4399/2016 (ci-après la « loi 4375/2016), a établi, afin de garantir le droit à un recours effectif, inscrit à l’article 46 de cette directive, des commissions de recours indépendantes, qui ont leur siège à Athènes et sont territorialement compétentes pour l’ensemble de la Grèce. Elles sont compétentes pour statuer sur les recours introduits par des demandeurs de protection internationale, afin d’examiner, en droit et sur le fond, les décisions de l’Ypiresia Asylou (service d’asile, Grèce) rejetant les demandes présentées par ceux-ci en première instance.

 La loi 4636/2019

16      La Nomos 4636/2019 peri diethnous prostasias kai alles diatakseis (loi 4636/2019 sur la protection internationale et autres dispositions) (FEK A’ 169/1.11.2019), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi 4636/2019 »), a transposé dans l’ordre juridique hellénique la directive 2013/32.

17      L’article 78, paragraphes 3 et 9, de cette loi disposait :

« 3.      Les demandeurs ont l’obligation de se présenter immédiatement, en personne, devant les autorités réceptrices pour introduire une demande de protection internationale, ainsi qu’à tout moment s’ils sont convoqués devant les autorités compétentes conformément à la présente Partie de cette loi. [...] Lors de leur comparution en personne, ils peuvent se faire assister d’avocats mandataires ad litem ainsi que d’autres conseils spécialement mandatés, conformément à l’article 71, paragraphe 1. L’obligation de comparaître en personne à chaque étape de la procédure d’examen de la demande ou du recours n’est pas supprimée du fait de la présence des personnes visées au paragraphe précédent. Par dérogation, les dispositions suivantes s’appliquent spécifiquement aux audiences d’examen des recours devant les commissions de recours indépendantes :

a)      Lorsque les demandeurs résident dans des structures d’accueil ou d’hébergement, ils ne sont pas tenus de comparaître en personne. Dans de tels cas, les demandeurs peuvent soit se faire représenter par des avocats mandataires ad litem ou par des conseils spécialement mandatés ou par d’autres personnes autorisées conformément à l’article 71, paragraphe 1, soit faire parvenir à l’autorité d’examen des recours, par tout moyen approprié et au plus tard la veille de la date de l’audience, une attestation du responsable de la structure d’accueil ou d’hébergement. Cette attestation doit indiquer que les demandeurs résident effectivement dans le centre d’accueil ou d’hébergement à la date de la demande d’attestation. Cette date ne peut être éloignée de plus de trois (3) jours de la date de l’audience d’examen du recours.

b)      Lorsque les demandeurs se sont vu imposer des restrictions à leur liberté de circulation ou une obligation de résider dans un lieu déterminé conformément à l’article 45, ils ne sont pas tenus de comparaître en personne. Dans de tels cas, les demandeurs peuvent soit se faire représenter par des avocats mandataires ad litem ou par des conseils spécialement mandatés ou par d’autres personnes autorisées conformément à l’article 71, paragraphe 1, soit faire parvenir à l’autorité d’examen des recours, par tout moyen approprié et au plus tard la veille de la date de l’audience, une attestation du commissariat de police ou du centre de services aux citoyens du lieu où ils résident, certifiant qu’ils se sont présentés en personne à la date de la demande d’attestation. Cette date ne peut être éloignée de plus de deux (2) jours de la date de l’audience d’examen du recours. Si les attestations visées aux points sous a) et sous b) ne parviennent pas à l’autorité d’examen des recours, le demandeur est réputé avoir implicitement retiré son recours conformément aux dispositions de l’article 81 de la présente loi.

En cas de force majeure, telle qu’une maladie grave, un handicap physique grave ou un obstacle insurmontable empêchant le demandeur de se présenter en personne, l’obligation de se présenter en personne est suspendue pendant la durée du cas de force majeure. Dans ce cas, le demandeur doit introduire une demande indiquant les circonstances qui constituent un cas de force majeure ou d’empêchement insurmontable l’empêchant de se présenter en personne, cette demande devant être dûment étayée par des pièces justificatives et des certificats ou attestations du service public compétent. Si les cas susmentionnés de force majeure ou d’empêchement insurmontable sont constatés, et à condition que le demandeur se présente en personne devant les autorités compétentes, les effets de la non-comparution au sens du présent paragraphe sont éliminés.

[...]

9.      En cas de violation de l’obligation de coopérer avec les autorités compétentes, telle que précisée aux paragraphes précédents, et notamment si l’intéressé ne communique pas ou ne coopère pas avec les autorités en vue de la constatation des éléments nécessaires à l’examen de la demande, ayant pour effet d’entraver le bon déroulement des procédures d’examen de la demande de protection internationale, ladite demande ou le recours sont réputés avoir été implicitement retirés conformément aux dispositions de l’article 81 de la présente loi. »

18      L’article 81 de ladite loi énonçait :

« 1.      Lorsqu’il existe un motif sérieux de penser qu’un demandeur a retiré implicitement sa demande, les autorités compétentes pour statuer procèdent à un examen approprié de celle-ci quant au fond, conformément à l’article 4 de la présente loi, sur la base des informations dont dispose le service, et, si ces autorités considèrent que la demande n’est pas fondée, elles la rejettent. Lorsqu’un examen approprié de la demande quant au fond n’est pas possible sur la base des informations dont dispose le service et conformément au paragraphe précédent, les autorités compétentes cessent d’examiner la demande et émettent une décision d’interruption. La décision prononçant l’interruption de l’examen de la demande de protection internationale ordonne simultanément le retour du demandeur, conformément aux dispositions de la loi 3907/2011 et de la loi 3386/2005. Les actes précités sont notifiés conformément aux dispositions de l’article 82 de la présente loi.

2.      Le retrait implicite est présumé, notamment, lorsqu’il est établi que le demandeur :

a)      n’a pas répondu aux demandes l’invitant à fournir des informations essentielles pour sa demande [...] ; ou

b)      ne s’est pas présenté à un entretien personnel ou à une audience devant la commission de recours [indépendante], conformément aux articles 77 et 97 de la présente loi, alors même qu’il avait été valablement convoqué ; ou

c)      a fui le lieu où il était placé en rétention [...]

d)      a quitté, sans en demander l’autorisation ou sans en informer les autorités compétentes alors qu’il en avait l’obligation, le lieu où il vivait ou a quitté le pays sans y avoir été autorisé par les autorités réceptrices compétentes ; ou

e)      ne s’est pas conformé aux obligations découlant de l’article 78 de la présente loi ou n’a pas respecté l’obligation de se présenter régulièrement aux autorités ou d’autres obligations de communication, [...] ou

f)      ne s’est pas présenté pour faire renouveler sa carte de demandeur de protection internationale [au plus tard] le lendemain de sa date d’expiration, conformément à l’article 70 ; ou

g)      ne coopère pas avec les autorités, en violation de son obligation de coopérer conformément à l’article 78,

[...]

3.      Le demandeur peut introduire devant les commissions de recours indépendantes, conformément à l’article 92 de la présente loi, un recours contre les décisions de rejet visées au paragraphe 1 du présent article.

4.      Lorsqu’une décision d’interruption au sens du paragraphe 1 a été émise, le demandeur a le droit de demander une seule fois, dans un délai de neuf (9) mois à compter de la date de la décision d’interruption, à l’autorité émettrice la poursuite de la procédure d’examen de son dossier, ou encore le droit d’introduire une nouvelle demande ne relevant pas de la procédure [des demandes ultérieures] visée à l’article 89. Le demandeur n’est pas expulsé du pays et aucune décision de retour n’est exécutée tant qu’il n’a pas été statué définitivement sur cette demande. »

19      L’article 92 de la loi 4636/2019, intitulé « Droit de recours », prévoyait, à ses paragraphes 1 et 4 :

« 1.      Le demandeur est en droit d’introduire devant l’autorité chargée de l’examen des recours, visée à l’article 4 de la loi 4375/2016, le recours administratif visé à l’article 7, paragraphe 5, de la loi 4375/2016 :

a)      contre une décision rejetant une demande de protection internationale comme étant non fondée dans le cadre de la procédure ordinaire, ou révoquant un statut de protection internationale, ainsi que contre une décision octroyant un statut de protection internationale, pour sa partie refusant de reconnaître au demandeur la qualité de réfugié, dans un délai de trente (30) jours à compter de la notification de la décision ou à compter de la date à laquelle l’auteur du recours est réputé en avoir pris connaissance conformément au paragraphe 5 de l’article 82 ;

b)      contre une décision rejetant une demande de protection internationale comme étant irrecevable ou la rejetant dans le cadre de la procédure accélérée [...]

[...]

4.      Lorsque le recours est rejeté, le demandeur est retenu – sauf s’il est un mineur non accompagné – en centre de rétention préalable au départ, jusqu’à ce que son éloignement ait été effectué ou jusqu’à ce qu’il soit définitivement fait droit à sa demande. L’introduction d’une demande ultérieure et/ou d’un recours en annulation et/ou d’un recours en suspension n’entraîne pas de plein droit la levée de la rétention. »

20      Aux termes de l’article 95, paragraphe 1, de cette loi :

« Lorsque le recours est introduit, l’autorité réceptrice compétente informe le même jour le demandeur de la date à laquelle ce recours fera l’objet d’une audience. »

21      L’article 97, paragraphe 2, de ladite loi disposait :

« Dans la procédure devant les commissions de recours indépendantes, l’auteur du recours comparaît obligatoirement, en personne ou par l’intermédiaire d’un avocat mandataire ad litem, sous réserve de l’article 78, paragraphe 3. Lorsque le demandeur ne comparaît pas en personne ou ne fait pas parvenir l’attestation visée à l’article 78, paragraphe 3, il est réputé avoir introduit le recours dans le seul but de retarder ou de faire obstacle à l’exécution d’une décision antérieure ou imminente d’expulsion ou d’éloignement par tout autre moyen et son recours est rejeté comme étant manifestement infondé. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

22      Le 28 février 2019, FO, ressortissant irakien, a introduit une demande de protection internationale auprès du Perifereiako Grafeio Asylou Samou (bureau régional de l’asile de Samos, Grèce), au motif que sa vie était en danger dans son pays d’origine.

23      Au cours d’un entretien, qui a eu lieu le 24 février 2020 au Perifereiako Grafeio Asylou Thessalonikis (bureau régional de l’asile de Thessalonique, Grèce), FO a précisé qu’il avait entretenu une relation amoureuse avec une jeune femme, raison pour laquelle il avait été attaqué et blessé par arme à feu par un membre de la famille de cette femme. FO aurait signalé cet incident à la police, sans que celle-ci n’y ait donné une suite. Ayant, après ledit incident, continué à être en relation avec ladite femme, FO aurait fait l’objet d’une décision tribale exigeant sa mise à mort. Au cours de la procédure administrative d’examen de sa demande de protection internationale, FO a produit un document daté du 1er octobre 2018, qui, selon la traduction non officielle qui y était jointe, est adressé à « toutes les tribus et ordonne que le demandeur soit mis à mort pour un manquement relatif à la tribu ».

24      Par décision du 18 mai 2020, le bureau régional de l’asile de Thessalonique a rejeté la demande de protection internationale présentée par FO, au motif que les allégations de celui-ci concernant sa relation avec une jeune femme et les raisons qui l’avaient contraint à quitter son pays n’étaient pas fiables. Le document daté du 1er octobre 2018 ordonnant prétendument la mise à mort de FO n’a pas été admis comme étant une preuve concluante, en raison de l’imprécision des affirmations qui y étaient portées et de l’impossibilité d’en vérifier l’authenticité.

25      Le 27 août 2021, FO a introduit, avec l’assistance d’un avocat mandaté, un recours contre cette décision devant la 3e commission de recours indépendante. Lors du dépôt de ce recours, il a été informé, premièrement, que la date d’examen de celui-ci était fixée au 11 octobre 2021, deuxièmement, que la procédure d’examen de ce type de recours était en règle générale de nature écrite, mais que, s’il était convoqué pour être entendu oralement, il en serait averti au moins dix jours ouvrables avant la date d’examen de son recours et que, troisièmement, même s’il n’était pas convoqué à une audience, il devait dans tous les cas comparaître en personne à la date de l’examen de ce recours, à 9 h 30, devant cette commission, sauf s’il séjournait légalement dans un centre d’accueil et d’identification ou s’il avait fait l’objet d’une mesure de restriction de circulation ou de séjour dans un lieu situé hors de la région de l’Attique (Grèce).

26      FO n’a pas comparu en personne devant la 3e commission de recours indépendante à la date de l’audience de l’examen de son recours. En conséquence, après avoir vérifié que FO ne résidait pas dans un centre d’accueil et d’identification, qu’il n’avait fait l’objet d’aucune mesure de restriction de circulation, et qu’il n’apparaissait pas non plus qu’il existait un cas de force majeure rendant impossible sa comparution à l’audience, cette commission a rejeté le recours comme étant manifestement infondé, sur le fondement de l’article 97, paragraphe 2, de la loi 4636/2019, sans en examiner le fond. En outre, elle a, conformément à l’article 22, paragraphe 4, de la loi 3907/2011, prononcé à l’égard de FO une mesure de retour sans délai de départ volontaire du pays.

27      FO a introduit un recours en annulation contre cette décision devant le Dioikitiko Protodikeio Thessalonikis (tribunal administratif de première instance de Thessalonique, Grèce), la juridiction de renvoi, en faisant valoir que la 3commission de recours indépendante avait, de manière illégale, rejeté son recours au seul motif qu’il était absent lors de l’audience d’examen de celui-ci et sans en examiner suffisamment le bien‑fondé, alors qu’il n’avait pas été en mesure de se présenter à cette audience en raison de difficultés financières qui l’auraient empêché de se rendre de Thessalonique, où il réside, à Athènes (Grèce).

28      La juridiction de renvoi relève, à titre liminaire, que les commissions de recours indépendantes ont été établies par l’article 4, paragraphe 1, de la loi 4375/2016 afin de garantir le droit à un recours effectif consacré à l’article 46 de la directive 2013/32 et à l’article 47 de la Charte en faveur des personnes visées par des décisions refusant la protection internationale demandée. Elle estime que, eu égard à la jurisprudence issue de l’arrêt du 31 janvier 2013, D. et A. (C‑175/11, EU:C:2013:45), ces commissions constituent des « juridictions », au sens de l’article 46 de cette directive.

29      Cela étant précisé, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si l’obligation de comparaître en personne devant lesdites commissions et les conséquences du non‑respect de cette obligation, prévues par la législation nationale, sont compatibles avec l’article 46 de la directive 2013/32 et, en l’absence de règle spécifique dans cette directive régissant la comparution des demandeurs de protection internationale devant l’organe juridictionnel saisi, avec les principes d’équivalence et d’effectivité.

30      À cet égard, elle relève, en premier lieu, que l’article 46, paragraphes 1 et 3, de la directive 2013/32 exige qu’un examen complet et ex nunc tant des faits que des points d’ordre juridique soit effectué par la juridiction saisie par un demandeur de protection internationale, ce que la législation nationale en cause au principal ne garantirait pas lorsque le demandeur ne comparaît pas en personne devant les commissions de recours indépendantes, dès lors que, en ce cas, le recours serait rejeté comme étant manifestement infondé sans être examiné au fond.

31      En deuxième lieu, la juridiction de renvoi se demande si, aux fins de l’application du principe d’équivalence, la procédure se déroulant devant de telles commissions doit être comparée avec la procédure prévue devant d’autres autorités administratives saisies de recours administratifs ou avec la procédure applicable à un recours au fond ou à un recours en annulation devant une juridiction administrative. Elle précise que, dans aucun de ces deux cas, l’intéressé n’est tenu de comparaître en personne lors de l’examen de son recours, mais qu’il peut se faire représenter, notamment, par un avocat mandaté.

32      En ce qui concerne, en troisième lieu, le principe d’effectivité, la juridiction de renvoi relève que l’article 97, paragraphe 2, de la loi 4636/2019 vise à permettre aux commissions de recours indépendantes de s’assurer que les demandeurs de protection internationale conservent un intérêt à l’issue de leur recours et qu’ils se trouvent encore sur le territoire grec, afin d’éviter un examen au fond de demandes devenues sans objet pour ces demandeurs et d’accélérer l’examen des autres recours. Toutefois, cette juridiction se demande si cette disposition, en imposant aux demandeurs, qui ne relèvent pas de l’une des exceptions visées à l’article 78, paragraphe 3, de cette loi, de se rendre, à partir de n’importe quel endroit de la Grèce, au siège de ces commissions à Athènes, sans pouvoir se faire représenter par un avocat ou une autre personne, et en prévoyant une présomption d’introduction abusive du recours en cas de non‑respect de cette obligation procédurale, ne rend pas l’application du droit de l’Union impossible ou excessivement difficile et ne fait pas peser une charge disproportionnée sur lesdits demandeurs.

33      À cet égard, la juridiction de renvoi fait valoir que, alors que l’article 97, paragraphe 2, de la loi 4636/2019 prévoit, dans de tels cas, le rejet du recours comme étant manifestement infondé, la directive 2013/32 prévoirait la faculté pour les États membres d’établir une présomption de retrait implicite de la demande de protection internationale en cas de non‑respect d’une des obligations de répondre aux autorités que cette directive énonce. En effet, selon ladite directive, le rejet d’une telle demande comme étant manifestement infondée supposerait que celle-ci soit à tout le moins infondée.

34      En outre, selon l’article 7, paragraphe 4, et l’article 11, paragraphe 1, sous a), de la directive 2008/115, le rejet d’une telle demande comme étant manifestement infondée ferait obstacle à l’octroi d’un délai de départ volontaire et entraînerait, en outre, l’imposition d’une interdiction d’entrée au ressortissant d’un pays tiers. Par ailleurs, si l’article 46, paragraphe 11, de la directive 2013/32 dispose que les États membres peuvent fixer les conditions permettant de présumer qu’un demandeur de protection internationale a implicitement retiré son recours ou y a implicitement renoncé, ainsi que les règles sur la procédure à suivre, cette directive ne comporterait aucune disposition relative à la possibilité de rejeter des recours comme étant manifestement infondés.

35      Dans ces conditions, le Dioikitiko Protodikeio Thessalonikis (tribunal administratif de première instance de Thessalonique) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Compte tenu de l’importance du recours visé à l’article 46 de la directive 2013/32, le législateur peut‑il établir une présomption d’introduction abusive de ce recours et prévoir comme conséquence que ce recours est rejeté comme étant manifestement infondé sans un examen complet et ex nunc de l’affaire (ce qui a également pour conséquence le non‑octroi d’un délai de départ volontaire au titre de l’article 22, paragraphe 4, de la loi 3907/2011 et de l’article 7 de la directive 2008/115), au motif que le demandeur [de protection internationale] n’a pas comparu en personne devant la commission chargée de l’examen du recours ?

2)      a)      S’il devait être considéré que cette question relève du principe de l’autonomie procédurale des États membres, convient‑il de retenir comme règles de procédure nationales similaires, dans le cadre de l’examen du principe d’équivalence, les règles régissant la procédure devant les commissions administratives saisies de recours administratifs de droit interne, ou bien les règles procédurales régissant l’introduction de recours au fond (ou de recours en annulation) devant les juridictions administratives ?

b)      Le fait de prévoir l’obligation de comparaître en personne (ou, dans les cas où cela est prévu, l’obligation d’envoyer l’attestation visée à l’article 78, paragraphe 3, de la loi 4636/2019) est‑il conforme au principe d’effectivité du droit de l’Union et, en particulier, à l’exercice efficace d’un recours effectif ? Dans ce contexte, il est en outre demandé si une quelconque pertinence revient, d’une part, au point de savoir si la présomption d’introduction abusive du recours établie à l’article 97, paragraphe 2, de la loi 4636/2019 est conforme aux enseignements de l’expérience commune et, d’autre part, au fait que, dans le cadre de l’examen (en premier ressort) des demandes de protection internationale, le même comportement aurait entraîné une présomption de retrait implicite et non un rejet de la demande comme étant manifestement infondée. »

 Sur les questions préjudicielles

 Considérations liminaires

36      Dans la mesure où la juridiction de renvoi s’interroge sur la compatibilité de la législation nationale mettant en œuvre l’article 46 de la directive 2013/32, qui prévoit une procédure de recours contre les décisions de l’autorité compétente pour se prononcer en première instance sur les demandes de protection internationale, il y a lieu de vérifier, à titre liminaire, si les commissions de recours indépendantes, qualifiées d’organes « quasi juridictionnels » dans l’exposé des motifs de l’article 86 de la loi 4399/2016, modifiant la loi 4375/2016, qui ont été instituées par l’article 4, paragraphe 1, de cette dernière loi, peuvent être considérées comme étant des « juridictions », au sens de l’article 46, paragraphe 1, de cette directive, permettant de garantir le droit à un recours effectif.

37      À cet égard, la juridiction de renvoi précise que, bien que les commissions de recours indépendantes ne soient pas considérées comme étant des juridictions, au sens de l’ordre juridique national, elles exercent des prérogatives de nature juridictionnelle, ce qui ne saurait être remis en cause par le fait que leurs actes sont susceptibles de faire l’objet de recours en annulation devant les juridictions administratives compétentes, dont les jugements impliquent une obligation d’exécution.

38      Il y a lieu de relever, tout d’abord, que, l’article 46, paragraphe 1, de la directive 2013/32 prévoit que les États membres font en sorte que les demandeurs de protection internationale disposent d’un droit à un recours effectif devant une juridiction contre différents actes portant sur leurs demandes de protection internationale, dont notamment les décisions de rejet de telles demandes comme étant infondées. Au demeurant, ainsi que l’énonce le considérant 50 de la directive 2013/32, conformément à un principe fondamental du droit de l’Union, les décisions prises en ce qui concerne notamment une demande de protection internationale doivent faire l’objet d’un recours effectif devant une juridiction.

39      À cet égard, afin de déterminer si un organisme constitue une « juridiction » aux fins de l’exercice d’un recours effectif contre les décisions de l’autorité responsable de la détermination, au sens de la directive 2005/85/CE du Conseil, du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres (JO 2005, L 326, p. 13), la Cour s’est référée aux mêmes critères que ceux développés pour apprécier si un organisme de renvoi possède le caractère d’une « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 31 janvier 2013, D. et A., C‑175/11, EU:C:2013:45, point 83 ainsi que jurisprudence citée), étant entendu que cette directive contenait, à son considérant 27, première phrase, une référence explicite à une « juridiction au sens de l’article [267 TFUE] ». Le fait que le considérant 50 de la directive 2013/32 ne contienne pas une telle référence ne change rien à cette appréciation.

40      Partant, selon une jurisprudence constante de la Cour, pour apprécier si un organisme compétent possède le caractère d’une « juridiction », il convient de tenir compte d’un ensemble d’éléments, tels que l’origine légale de l’organisme, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la nature contradictoire de la procédure, l’application, par l’organisme, des règles de droit ainsi que son indépendance (voir, en sens, arrêts du 17 septembre 1997, Dorsch Consult, C‑54/96, EU:C:1997:413, point 23, et du 7 mai 2024, NADA e.a., C‑115/22, EU:C:2024:384, point 35 ainsi que jurisprudence citée).

41      En l’occurrence, la législation nationale applicable dans l’affaire au principal institue les commissions de recours indépendantes, qui sont compétentes pour statuer sur les recours formés par les demandeurs de protection internationale, afin de contrôler, en droit et en fait, les décisions rejetant en première instance les demandes présentées par ceux-ci.

42      À cet égard, il ressort des informations fournies par la juridiction de renvoi, tout d’abord, que chacune de ces commissions est constituée d’une majorité de magistrats des juridictions administratives ordinaires, dont le mandat est d’une durée de trois ans et qui jouissent d’une indépendance personnelle et fonctionnelle dans l’exercice de leurs fonctions. En outre, lesdites commissions ont la qualité de tiers par rapport aux parties au recours dont elles sont saisies et aucun de leurs membres ne représente l’administration, ce qui garantit le respect du principe d’impartialité. Ensuite, la procédure devant elles respecte le droit d’être entendu ainsi que les droits de la défense, tout en tenant compte des particularités de la procédure de protection internationale impliquant le respect de la confidentialité. Enfin, les décisions des mêmes commissions sont adoptées après un examen approfondi en droit et en fait, et comportent une motivation complète, spécifique ainsi que concrète. Ces décisions sont contraignantes pour les parties, notamment le ministre compétent, et ne peuvent être remises en cause que dans le cadre d’un recours en annulation devant les juridictions administratives.

43      S’agissant, en particulier, du critère d’indépendance, il y a lieu de relever que le fait que les actes des commissions de recours indépendantes sont soumis à un contrôle juridictionnel exercé par les juridictions administratives ordinaires est, lui-même, de nature à prémunir ces commissions contre d’éventuelles tentations de céder à des interventions ou à des pressions extérieures susceptibles de mettre en péril l’indépendance de leurs membres (voir, par analogie, arrêt du 31 janvier 2013, D. et A., C‑175/11, EU:C:2013:45, point 103).

44      Dans ces conditions, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il y a lieu de constater que les commissions de recours indépendantes, instaurées par la législation nationale en cause au principal pour traiter des recours des demandeurs de protection internationale contre les décisions prises à leur égard, remplissent les conditions nécessaires pour être considérées comme étant des « juridictions », au sens de l’article 46 de la directive 2013/32. En effet, ni les informations fournies par la juridiction de renvoi ni les arguments avancés par le gouvernement hellénique et la Commission européenne ne contiennent d’éléments susceptibles de remettre en cause cette appréciation au regard des critères résultant de la jurisprudence constante de la Cour, telle que rappelée au point 40 du présent arrêt.

 Sur les questions posées

45      Par ses deux questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 46 de la directive 2013/32, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre, qui, en cas de non‑respect par un demandeur de protection internationale de l’obligation procédurale de comparaître en personne devant la juridiction compétente pour statuer sur son recours contre la décision de rejet de sa demande, établit une présomption d’introduction abusive de ce recours et prévoit que celui-ci doit être rejeté comme étant manifestement infondé sans aucun examen au fond.

46      En l’occurrence, les doutes de la juridiction de renvoi quant à l’interprétation du droit de l’Union proviennent du fait que, conformément à la législation nationale transposant l’article 46 de la directive 2013/32, lorsque le demandeur de protection internationale ne comparaît pas en personne devant la juridiction compétente pour statuer sur son recours contre la décision de rejet de sa demande, le recours est réputé avoir été introduit dans le seul but de retarder ou de faire obstacle à l’exécution d’une décision antérieure ou imminente d’expulsion ou d’éloignement par tout autre moyen, et doit être rejeté comme étant manifestement infondé. Toutefois, selon la juridiction de renvoi, le défaut de comparution en personne devant la juridiction compétente peut être dû à des raisons qui sont sans rapport avec l’intention d’empêcher ou de retarder l’exécution d’une décision antérieure ou imminente ordonnant l’expulsion du demandeur ou son éloignement par tout autre moyen. En outre, la juridiction de renvoi considère que, selon la directive 2013/32, il découlerait du non-respect par ce demandeur de l’obligation de comparaître devant les autorités une présomption de retrait implicite de la demande de protection internationale, et non un rejet de cette demande comme étant manifestement infondée.

47      Tout d’abord, il y a lieu de relever que l’article 46, paragraphe 1, de la directive 2013/32 impose aux États membres de garantir aux demandeurs de protection internationale le droit à un recours effectif devant une juridiction contre les décisions concernant leurs demandes, dont notamment les décisions rejetant une demande de protection internationale comme étant infondée, sans toutefois déterminer exhaustivement les règles procédurales encadrant ce recours.

48      Ensuite, l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, ayant pour objet de préciser la portée du droit au recours effectif, énonce que, pour se conformer à l’article 46, paragraphe 1, de celle-ci, les États membres doivent veiller à ce que la juridiction auprès de laquelle est contestée la décision relative à la demande de protection internationale procède à « un examen complet et ex nunc tant des faits que des points d’ordre juridique, y compris, le cas échéant, un examen des besoins de protection internationale en vertu de la directive [2011/95] » (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2018, Alheto, C‑585/16, EU:C:2018:584, points 105 et 106).

49      En particulier, conformément à l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, le recours introduit par le demandeur de protection internationale doit impliquer un examen, par le juge, de l’ensemble des éléments de fait et de droit qui lui permettent de procéder à une appréciation actualisée du cas d’espèce, de sorte que la demande de protection internationale puisse être traitée de manière exhaustive, sans qu’il soit besoin de renvoyer le dossier à l’autorité responsable de la détermination. Une telle interprétation favorise l’objectif poursuivi par la directive 2013/32, visant à garantir que de telles demandes fassent l’objet d’un traitement aussi rapide que possible, sans préjudice de la réalisation d’un examen approprié et exhaustif [arrêt du 8 février 2024, Bundesrepublik Deutschland (Recevabilité d’une demande ultérieure), C‑216/22, EU:C:2024:122, point 58 et jurisprudence citée].

50      Enfin, l’article 46, paragraphe 4, première phrase, de la directive 2013/32 laisse aux États membres le soin de prévoir les règles nécessaires pour que les demandeurs d’une protection internationale puissent exercer leur droit à un recours effectif [arrêt du 9 septembre 2020, Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (Rejet d’une demande ultérieure – Délai de recours), C‑651/19, EU:C:2020:681, point 33].

51      S’il appartient, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, à l’ordre juridique interne, en vertu du principe de l’autonomie procédurale des États membres et sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité, de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits individuels dérivés de l’ordre juridique de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 3 avril 2025, Barouk, C‑283/24, EU:C:2025:236, point 37), les États membres ont toutefois la responsabilité d’assurer, dans chaque cas, le respect du droit à une protection juridictionnelle effective desdits droits tel que garanti à l’article 47 de la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság, C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, point 142 et jurisprudence citée).

52      Par conséquent, les caractéristiques du recours prévu à l’article 46 de la directive 2013/32 doivent être déterminées en conformité avec cet article 47, qui consacre, en faveur de toute personne dont les droits et les libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés, le droit à un recours effectif devant un tribunal. Il s’ensuit que chaque État membre lié par cette directive doit aménager son droit national d’une manière qui permet aux demandeurs de protection internationale d’exercer leur droit à un recours effectif, tel que garanti par ledit article 47 et concrétisé par l’article 46 de la directive 2013/32 [voir, en ce sens, arrêt du 8 février 2024, Bundesrepublik Deutschland (Recevabilité d’une demande ultérieure), C‑216/22, EU:C:2024:122, point 61 et jurisprudence citée].

53      En l’occurrence, l’article 92 de la loi 4636/2019, qui transpose dans l’ordre juridique national l’article 46 de la directive 2013/32, prévoit le droit pour le demandeur de protection internationale d’introduire un recours contre une décision de rejet de sa demande. L’article 97 de cette loi régit la procédure d’examen de ce recours devant les commissions de recours indépendantes. En vertu du paragraphe 2 de cet article 97, les demandeurs de protection internationale sont obligés, quel que soit le lieu de leur séjour en Grèce, de se rendre au siège de ces commissions pour y comparaître, à moins qu’ils ne relèvent de l’une des exceptions visées à l’article 78, paragraphe 3, de cette loi. Or, lesdites commissions ont toutes leur siège à Athènes. En outre, l’article 97, paragraphe 2, seconde phrase, de ladite loi prévoit, comme conséquence juridique du non‑respect de cette obligation de comparution personnelle, que le demandeur est réputé avoir introduit le recours dans le seul but de retarder ou de faire obstacle à l’exécution d’une décision antérieure ou imminente d’expulsion ou d’éloignement par tout autre moyen, et que son recours est rejeté comme étant manifestement infondé.

54      En introduisant cette exigence procédurale et en prévoyant que son non-respect entraîne une telle conséquence, la législation en cause au principal se contente certes de définir une modalité d’exercice du recours des demandeurs contre une décision rejetant leur demande de protection internationale. Néanmoins, cette modalité est susceptible de limiter le droit à une protection juridictionnelle effective de ces demandeurs, dès lors qu’elle leur impose une contrainte liée à leur présence physique dans la procédure devant les commissions de recours indépendantes saisies, sous peine de se voir appliquer une présomption de retrait implicite de leurs demandes et de voir rejeter leurs demandes comme étant manifestement infondées, sans aucun examen au fond.

55      L’article 52, paragraphe 1, de la Charte admet que des limitations puissent être apportées à l’exercice de droits et de libertés consacrés par celle-ci pour autant que ces limitations soient prévues par la loi, qu’elles respectent le contenu essentiel de ces droits et libertés et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elles soient nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui [arrêt du 6 octobre 2020, État luxembourgeois (Droit de recours contre une demande d’information en matière fiscale), C‑245/19 et C‑246/19, EU:C:2020:795, point 51].

56      À cet égard, il y a lieu de relever que, si la directive 2013/32 ne prévoit pas d’exigences spécifiques quant aux obligations procédurales pesant sur le demandeur lors de l’examen du recours effectif dirigé contre une décision de rejet de sa demande de protection internationale, telles que la comparution personnelle, ni les conséquences du non‑respect de ces obligations, l’article 46, paragraphe 11, de la directive 2013/32 permet aux États membres de fixer, dans la législation nationale, les conditions dans lesquelles il peut être présumé qu’un demandeur a implicitement retiré le recours visé au paragraphe 1 de cet article 46 ou y a implicitement renoncé ainsi que les règles sur la procédure à suivre.

57      Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, l’exigence procédurale prévue par la législation nationale en cause au principal et la conséquence qui résulte de son non-respect visent à garantir que les demandeurs ont un intérêt réel à introduire un recours, en vérifiant qu’ils se trouvent sur le territoire national au moment où celui-ci sera examiné, et à contribuer ainsi au bon et rapide déroulement de la procédure devant la juridiction compétente. Or, les objectifs de célérité du traitement de tels recours et de préservation de l’efficacité du système juridictionnel constituent des buts légitimes en tant qu’ils contribuent à ce que les juges saisis de ces recours se concentrent sur ceux émanant de demandeurs qui ont un intérêt réel à l’issue de leur recours. Ils constituent ainsi des objectifs légitimes et justifient l’introduction d’une présomption, telle que celle en cause au principal, qui répond à la fois à l’intérêt des États membres et à celui des demandeurs d’une telle protection, ainsi que le précise le considérant 18 de cette directive.

58      En effet, la Cour a déjà jugé que des règles procédurales assurant un traitement plus rapide de demandes de protection internationales manifestement infondées permettent un traitement plus efficace des demandes présentées par les personnes qui sont bien fondées à bénéficier du statut de réfugié et contribuent, ainsi, au bon déroulement de la procédure d’examen des demandes de protection internationale [voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2020, Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (Rejet d’une demande ultérieure – Délai de recours), C‑651/19, EU:C:2020:681, points 54 et 55 ainsi que jurisprudence citée].

59      Par conséquent, une réglementation nationale prévoyant l’obligation de comparution personnelle devant la juridiction compétente pour statuer sur un recours contre une décision de rejet d’une demande de protection internationale, et, en cas de non‑respect de cette obligation, une présomption similaire à une présomption de retrait ou de renonciation implicite d’une telle demande peut, en principe, être justifiée eu égard à l’objectif de célérité auquel tend la directive 2013/32, au principe de sécurité juridique et au bon déroulement de la procédure d’examen des demandes de protection internationale [voir, par analogie, arrêt du 9 septembre 2020, Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (Rejet d’une demande ultérieure – Délai de recours), C‑651/19, EU:C:2020:681, point 56 ainsi que jurisprudence citée].

60      Néanmoins, la législation d’un État membre qui vise à mettre en œuvre le droit à un recours effectif prévu à l’article 46, paragraphe 1, de la directive 2013/32 doit respecter le principe de proportionnalité, ce qui suppose notamment qu’elle soit de nature à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi, qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif et qu’elle soit proportionnée [voir, par analogie, arrêt du 6 octobre 2020, État luxembourgeois (Droit de recours contre une demande d’information en matière fiscale), C‑245/19 et C‑246/19, EU:C:2020:795, point 85 ainsi que jurisprudence citée].

61      En premier lieu, ainsi qu’il ressort des points 53 et 57 du présent arrêt, la législation nationale en cause au principal vise à permettre aux commissions de recours indépendantes d’assurer la célérité du traitement des recours contre les décisions de rejet des demandes de protection internationale et à préserver l’efficacité du système juridictionnel, afin que ces commissions puissent se concentrer sur les demandeurs qui ont un intérêt réel à l’issue de leur recours. En effet, l’obligation procédurale contraignant les demandeurs à comparaître en personne devant lesdites commissions apparaît de nature à contribuer à la réalisation de ces objectifs. Ainsi, en ce qu’elle permet un traitement plus efficace des demandes présentées par les demandeurs qui conservent un intérêt à l’issue de leur recours, tout en évitant l’examen du fond de demandes devenues sans objet, elle participe au bon déroulement de la procédure d’examen des demandes de protection internationale.

62      S’agissant, en deuxième lieu, de la question de savoir si cette législation nationale ne va pas au‑delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis, il apparaît que, en l’occurrence, des mesures moins contraignantes, telles que la possibilité pour les demandeurs ayant introduit un recours de pouvoir se faire représenter par un avocat ou une autre personne habilitée à cet effet et, afin de prouver leur présence sur le territoire grec, de comparaître devant un commissariat de police ou une autre autorité publique ou judiciaire situés à proximité de leurs lieux de résidence, comparable à celle prévue à l’article 78, paragraphe 3, sous b), de la loi 4636/2019, pourraient être envisageables.

63      Certes, ainsi que le gouvernement hellénique l’a fait valoir dans ses observations écrites, l’obligation procédurale de comparution personnelle et les conséquences qu’implique le non‑respect de cette obligation sont clairement prévues par la loi nationale. À cet égard, conformément à l’article 95, paragraphe 1, de la loi 4636/2019, le demandeur qui introduit un recours contre la décision de rejet de sa demande de protection internationale est informé de la date d’audience relative à l’examen de son recours le jour même de l’introduction de celui-ci ainsi que de l’obligation de se présenter en personne à cette date devant la commission de recours indépendante compétente, à l’exception des cas de force majeure ou d’empêchement insurmontable empêchant sa comparution, au sens de l’article 78, paragraphe 3, second alinéa, de cette loi, dans lesquels une procédure permettant de suspendre l’obligation de comparution en personne pendant la durée du cas de force majeure et permettant d’éliminer les effets juridiques de la non-comparution peut être engagée.

64      Toutefois, en troisième lieu, il y a lieu encore de vérifier si les règles procédurales imposées par la législation nationale en cause au principal ne sont pas disproportionnées par rapport à l’objectif de célérité dans le traitement des demandes de protection internationale, eu égard à l’impact qu’elles peuvent avoir sur l’exercice par les demandeurs de leur droit à un recours effectif.

65      À cet égard, il y a lieu de relever que, si une règle nationale prévoyant une exigence procédurale de comparution personnelle et, en cas de non‑respect de cette exigence, une présomption de retrait ou de renonciation implicite à un recours juridictionnel peut être justifiée pour des raisons tenant à la sécurité juridique et au bon déroulement de la procédure d’examen des demandes de protection internationale, cette règle ne doit toutefois pas faire obstacle à la réalisation d’un examen approprié et exhaustif de ces demandes. Il ressort en effet du considérant 18 de la directive 2013/32 qu’une mesure visant à accélérer la procédure d’examen des demandes de protection internationale instaurée par la législation d’un État membre doit s’opérer sans préjudice de la réalisation d’un examen approprié et exhaustif de ces demandes.

66      Or, en l’occurrence, ainsi qu’il ressort des informations fournies par la juridiction de renvoi, l’obligation pour le demandeur de comparaître en personne devant la juridiction compétente pour statuer sur son recours contre une décision de rejet d’une telle demande, dont le seul objectif est de vérifier sa présence sur le territoire national et non d’être entendu, impose une charge déraisonnable et excessive aux demandeurs de protection internationale qui ne résident pas dans la région d’Athènes, tels que le requérant au principal, qui est domicilié à plusieurs centaines de kilomètres de cette dernière, dès lors que, à défaut de se trouver dans une situation constitutive de l’une des exceptions prévues à l’article 78, paragraphe 3, de la loi 4636/2019, ils sont tenus de se rendre à Athènes, où se trouvent les commissions de recours indépendantes, dans le seul but de faire acte de présence, sans toutefois être nécessairement entendus. À cet égard, le fait que, conformément à l’article 95, paragraphe 1, de la loi 4636/2019, les demandeurs soient informés en temps utile de leur obligation de comparaître en personne devant ces commissions n’est pas de nature à modifier cette constatation.

67      En effet, le caractère disproportionné de la législation nationale en cause au principal découle, notamment, de la conséquence juridique prévue par cette législation en cas de non‑respect de l’obligation de comparution personnelle ou en l’absence d’envoi d’une attestation établissant l’existence d’un cas de force majeure ou d’empêchement insurmontable, en ce qu’elle établit une présomption irréfragable d’introduction abusive du recours de sorte que celui-ci doit être rejeté comme étant manifestement infondé, sans aucun examen au fond. Ainsi que l’a souligné la juridiction de renvoi, le défaut de comparution en personne devant la juridiction compétente pour statuer sur le recours peut être due à des raisons sans rapport avec l’intention d’empêcher ou de retarder l’exécution d’une décision antérieure ou imminente ordonnant l’expulsion du demandeur ou son éloignement par tout autre moyen.

68      Dans ces conditions, ainsi que Mme l’avocate générale l’a en substance souligné aux points 77 à 89 de ses conclusions, dans des circonstances où les demandeurs de protection internationale doivent se rendre dans la capitale du pays pour comparaître en personne et non pour être entendus, en supportant des frais de transport, de résidence et d’hébergement qui peuvent être importants, une présomption d’introduction abusive du recours, conduisant à son rejet comme étant manifestement infondé, sans prévoir d’autres moyens par lesquels un tel demandeur peut prouver sa présence sur le territoire national et sans lui fournir les moyens matériels permettant de respecter l’obligation de présence physique à l’audience, est susceptible de rendre l’exercice du droit à un recours effectif, au sens de l’article 46, paragraphe 1, de la directive 2013/32, excessivement difficile, et de porter ainsi atteinte au droit à une protection juridictionnelle effective consacré à l’article 47 de la Charte.

69      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 46 de la directive 2013/32, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre, qui, en cas de non‑respect par un demandeur de protection internationale de l’obligation procédurale de comparaître en personne devant la juridiction compétente pour statuer sur son recours contre la décision de rejet de sa demande, dont le seul objectif est de vérifier sa présence sur le territoire national et non d’être entendu, établit une présomption d’introduction abusive de ce recours et prévoit que celui-ci doit être rejeté comme étant manifestement infondé.

 Sur les dépens

70      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

L’article 46 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, lu à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

doit être interprété en ce sens que :

il s’oppose à une réglementation d’un État membre, qui, en cas de nonrespect par un demandeur de protection internationale de l’obligation procédurale de comparaître en personne devant la juridiction compétente pour statuer sur son recours contre la décision de rejet de sa demande, dont le seul objectif est de vérifier sa présence sur le territoire national et non d’être entendu, établit une présomption d’introduction abusive de ce recours et prévoit que celui-ci doit être rejeté comme étant manifestement infondé.

Signatures


*      Langue de procédure : le grec.


i      Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.