Language of document : ECLI:EU:C:2025:514

Affaire C610/23 [Al Nasiria] (i)

FO

contre

Ypourgos Metanastefsis kai Asylou

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Dioikitiko Protodikeio Thessalonikis)

 Arrêt de la Cour (première chambre) du 3 juillet 2025

« Renvoi préjudiciel – Politique d’asile – Protection internationale – Procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale – Directive 2013/32/UE – Article 46 – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47 – Droit à un recours effectif – Exigence d’un examen complet et ex nunc du recours – Obligation de comparution personnelle devant l’autorité chargée de l’examen du recours – Présomption d’introduction abusive d’un recours – Rejet du recours comme étant manifestement non fondé sans examen au fond – Principe de proportionnalité »

1.        Questions préjudicielles – Saisine de la Cour – Juridiction nationale au sens de l’article 267 TFUE – Notion – Commissions helléniques de recours indépendantes – Inclusion

(Art. 267 TFUE ; directive du Parlement européen et du Conseil 2013/32, art. 46 ; directive du Conseil 2005/85)

(voir points 39-44)

2.        Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Procédures pour l’octroi et le retrait de la protection internationale – Directive 2013/32 – Droit à un recours juridictionnel effectif – Recours contre une décision relative à une demande de protection internationale – Non-respect par un demandeur de protection internationale de l’obligation procédurale de comparaître en personne devant la juridiction compétente pour statuer sur son recours – Réglementation nationale établissant une présomption d’introduction abusive de ce recours et prévoyant son rejet comme étant manifestement infondé – Réglementation visant à vérifier la présence du demandeur sur le territoire national et non son droit d’être entendu – Inadmissibilité

(Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47 ; directive du Parlement européen et du Conseil 2013/32, art. 46)

(voir points 47-69 et disp.)

Résumé

Saisie à titre préjudiciel dans le cadre d’un litige relatif au rejet d’une demande de protection internationale, la Cour apporte des précisions sur le droit à un recours effectif contre une décision portant un tel rejet, consacré par l’article 46 de la directive 2013/32 (1). Plus précisément, elle se prononce sur la compatibilité avec cette disposition d’une réglementation nationale établissant une présomption d’introduction abusive d’un tel recours lorsqu’un demandeur ne comparaît pas en personne devant la juridiction examinant son recours.

En février 2019, FO, un ressortissant irakien, a introduit une demande de protection internationale auprès d’une autorité grecque, au motif que sa vie était en danger dans son pays d’origine. Lors d’un entretien devant un bureau régional de l’asile ayant eu lieu en février 2020, il a précisé les conditions dans lesquelles il avait été blessé par arme à feu par un membre de la famille d’une jeune femme avec qui il avait entretenu une relation amoureuse, indiquant avoir fait l’objet d’une décision tribale ordonnant sa mise à mort. Par une décision adoptée en mai 2020, ce bureau régional de l’asile a rejeté la demande de protection internationale de FO, estimant ses allégations non fiables.

En août 2021, FO a introduit un recours contre cette décision devant une commission de recours indépendante. Il a alors été informé que la date d’examen de son recours était fixée au 11 octobre 2021. Par ailleurs, il lui a été précisé que, même s’il n’était pas convoqué à une audience, il serait tenu de comparaître en personne à la date de l’examen de son recours, sauf s’il résidait légalement dans un centre d’accueil et d’identification ou s’il faisait l’objet d’une restriction de circulation ou de séjour dans un lieu situé hors de la région de l’Attique (Grèce). FO n’ayant pas comparu en personne devant cette commission, cette dernière, après avoir vérifié qu’il ne relevait pas de l’une des exceptions permettant de déroger à la règle de la comparution personnelle, a rejeté son recours comme manifestement infondé, sans l’examiner au fond.

Saisie d’un recours de FO contre cette décision, la juridiction de renvoi a décidé d’interroger la Cour, notamment, sur le point de savoir si l’obligation procédurale de comparaître en personne devant lesdites commissions et, en particulier, les conséquences juridiques du non-respect de cette obligation, prévues par la législation nationale en cause, sont compatibles avec l’article 46 de la directive 2013/32.

Appréciation de la Cour

À titre liminaire, la Cour constate, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, que les commissions de recours indépendantes, instaurées par la législation nationale en cause au principal pour traiter des recours des demandeurs de protection internationale contre les décisions prises à leur égard, remplissent les conditions nécessaires pour être considérées comme étant des « juridictions », au sens de l’article 46 de la directive 2013/32. En effet, en se référant, à cet égard, aux mêmes critères que ceux développés pour apprécier si un organisme de renvoi possède le caractère d’une « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE, la Cour conclut que ni les informations fournies par la juridiction de renvoi ni les arguments avancés par le gouvernement hellénique et la Commission européenne ne contiennent d’éléments susceptibles de remettre en cause cette appréciation.

Sur le fond, la Cour dit pour droit que l’article 46 de la directive 2013/32, lu à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») (2), s’oppose à une réglementation d’un État membre qui, en cas de non-respect par un demandeur de protection internationale de l’obligation procédurale de comparaître en personne devant la juridiction compétente pour statuer sur son recours contre la décision de rejet de sa demande, dont le seul objectif est de vérifier sa présence sur le territoire national et non d’être entendu, établit une présomption d’introduction abusive de ce recours et prévoit que celui-ci doit être rejeté comme manifestement infondé.

Pour parvenir à cette conclusion, la Cour relève que l’article 46, paragraphe 1, de la directive 2013/32 impose aux États membres de garantir aux demandeurs de protection internationale le droit à un recours effectif devant une juridiction contre les décisions concernant leurs demandes, dont notamment les décisions rejetant une demande de protection internationale comme étant infondée, sans toutefois déterminer exhaustivement les règles procédurales encadrant ce recours. S’il appartient, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, à l’ordre juridique interne, en vertu du principe de l’autonomie procédurale des États membres et sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité, de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits individuels dérivés de l’ordre juridique de l’Union, les États membres ont toutefois la responsabilité d’assurer, dans chaque cas, le respect du droit à une protection juridictionnelle effective desdits droits tel que garanti à l’article 47 de la Charte. Partant, les caractéristiques du recours prévu à l’article 46 de la directive 2013/32 doivent être déterminées en conformité avec cet article 47.

En l’occurrence, la réglementation nationale en cause, qui transpose l’article 46 de la directive 2013/32, prévoit que les demandeurs de protection internationale ayant introduit un recours contre une décision de rejet de leur demande sont obligés, quel que soit le lieu de leur séjour en Grèce, de se rendre au siège des commissions de recours indépendantes pour y comparaître, à moins qu’ils ne relèvent de l’une des exceptions visées par cette réglementation. Or, ces commissions ont toutes leur siège à Athènes. En outre, ladite réglementation prévoit, comme conséquence juridique du non-respect de cette obligation de comparution personnelle, que le demandeur est réputé avoir introduit le recours dans le seul but de retarder ou de faire obstacle à l’exécution d’une décision antérieure ou imminente d’expulsion ou d’éloignement et que son recours est rejeté comme étant manifestement infondé.

À cet égard, l’article 46, paragraphe 11, de la directive 2013/32 permet aux États membres de fixer, dans la législation nationale, les conditions dans lesquelles il peut être présumé qu’un demandeur a implicitement retiré son recours ou y a implicitement renoncé. En l’occurrence, les objectifs de célérité du traitement de tels recours et de préservation de l’efficacité du système juridictionnel, poursuivis par la réglementation nationale en cause, constituent des buts légitimes en ce qu’ils contribuent à ce que les juges saisis de ces recours se concentrent sur ceux émanant de demandeurs qui ont un intérêt réel à l’issue de leur recours. Ils constituent ainsi des objectifs légitimes et justifient l’introduction d’une présomption, telle que celle en cause au principal, qui répond à la fois à l’intérêt des États membres et à celui des demandeurs.

Ainsi, la Cour relève qu’une réglementation nationale prévoyant l’obligation de comparution personnelle devant la juridiction compétente pour statuer sur un recours contre une décision de rejet d’une demande de protection internationale et, en cas de non-respect de cette obligation, une présomption similaire à une présomption de retrait ou de renonciation implicite d’une telle demande peut, en principe, être justifiée eu égard à l’objectif de célérité auquel tend la directive 2013/32, au principe de sécurité juridique et au bon déroulement de la procédure d’examen des demandes de protection internationale.

Néanmoins, la législation d’un État membre qui vise à mettre en œuvre le droit à un recours effectif prévu à l’article 46, paragraphe 1, de la directive 2013/32 doit respecter le principe de proportionnalité, ce qui suppose notamment qu’elle soit de nature à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi, qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif et qu’elle soit proportionnée.

À cet égard, en premier lieu, la Cour constate que l’obligation procédurale contraignant les demandeurs ayant introduit un recours à comparaître en personne devant les commissions de recours indépendantes, prévue par la législation nationale en cause, apparaît de nature à contribuer à la réalisation des objectifs poursuivis susmentionnés. En effet, en ce qu’elle permet un traitement plus efficace des demandes présentées par les demandeurs qui conservent un intérêt à l’issue de leur recours, tout en évitant l’examen de demandes devenues sans objet, elle participe au bon déroulement de la procédure d’examen des demandes de protection internationale.

S’agissant, en deuxième lieu, de la question de savoir si cette législation nationale ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis, il apparaît que des mesures moins contraignantes, telles que la possibilité pour les demandeurs ayant introduit un recours de pouvoir se faire représenter par un avocat ou une autre personne habilitée à cet effet et, afin de prouver leur présence sur le territoire grec, de comparaître devant un commissariat de police ou une autre autorité publique ou judiciaire situés à proximité de leurs lieux de résidence, pourraient être envisageables.

En troisième lieu, en ce qui concerne le caractère proportionné de la législation nationale en cause, la Cour relève que l’obligation pour le demandeur de comparaître en personne devant la juridiction compétente pour statuer sur son recours, dont le seul objectif est de vérifier sa présence sur le territoire national et non d’être entendu, impose une charge déraisonnable et excessive aux demandeurs de protection internationale qui ne résident pas dans la région d’Athènes, tels que le requérant au principal, qui est domicilié à plusieurs centaines de kilomètres de cette dernière, dès lors que, à défaut de se trouver dans une situation constitutive de l’une des exceptions prévues par cette législation, ils sont tenus de se rendre à Athènes dans le seul but de faire acte de présence, sans toutefois être nécessairement entendus. En effet, le caractère disproportionné de ladite législation découle, notamment, de la conséquence juridique qu’elle prévoit en cas de non-respect de l’obligation de comparution personnelle, en ce qu’elle établit une présomption irréfragable d’introduction abusive du recours de sorte que celui-ci doit être rejeté comme étant manifestement infondé, sans aucun examen au fond. Or, le défaut de comparution en personne devant la juridiction compétente pour statuer sur le recours peut être dû à des raisons sans rapport avec l’intention d’empêcher ou de retarder l’exécution d’une décision antérieure ou imminente ordonnant l’expulsion du demandeur ou son éloignement par tout autre moyen.


i      Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.


1      Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60).


2      L’article 47 de la Charte consacre, en faveur de toute personne dont les droits et les libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés, le droit à un recours effectif devant un tribunal.