Affaire C‑665/23
IL
Contre
Veracash SAS
[demande de décision préjudicielle, introduite par Cour de cassation (France)]
Arrêt de la Cour(quatrième chambre) du 1 août 2025
« Renvoi préjudiciel – Services de paiement dans le marché intérieur – Directive 2007/64/CE – Article 56, paragraphe 1, sous b) – Obligation pour l’utilisateur de services de paiement d’informer “sans tarder” le prestataire de services de paiement de la perte, du vol, du détournement ou de toute utilisation non autorisée de son instrument de paiement – Article 58 – Notification des opérations de paiement non autorisées – Correction d’une telle opération par le prestataire de services de paiement soumise à l’obligation pour l’utilisateur de ces services de signaler cette opération “sans tarder [...] et au plus tard dans les treize mois suivant la date de débit” – Articles 60 et 61 – Responsabilités respectives du prestataire de services de paiement et du payeur en cas d’opération de paiement non autorisée – Succession d’opérations de paiement non autorisées consécutives à la perte, au vol, au détournement ou à toute utilisation non autorisée d’un instrument de paiement – Notification tardive non intentionnelle et non due à une négligence grave – Portée du droit au remboursement »
1. Rapprochement des législations – Services de paiement dans le marché intérieur – Directive 2007/64 – Responsabilité du prestataire de services de paiement en cas d’opérations de paiement non autorisées – Utilisateur n’ayant pas notifié sans tarder ces opérations au prestataire, tout en les ayant notifiées dans le délai de treize mois suivant la date de débit – Privation, en principe, du droit à une correction des opérations
(Directive du Parlement européen et du Conseil 2007/64, art. 58)
(voir points 37, 40-44, 46-51, 56, disp. 1)
2. Rapprochement des législations – Services de paiement dans le marché intérieur – Directive 2007/64 – Responsabilité du prestataire de services de paiement en cas d’opérations de paiement non autorisées – Opération non autorisée consécutive à une utilisation d’un instrument de paiement perdu, volé ou détourné ou à toute utilisation non autorisée d’un tel instrument – Utilisateur ayant notifié cette opération au prestataire dans le délai de treize mois suivant la date de débit – Signalement tardif de l’opération de manière intentionnelle ou résultant d’une négligence grave – Privation du droit à une correction de cette opération – Admissibilité
[Directive du Parlement européen et du Conseil 2007/64, art. 56, § 1, b), 58, 60, § 1, et 61, § 2]
(voir points 62-65, 67-71, 76, disp. 2)
3. Rapprochement des législations – Services de paiement dans le marché intérieur – Directive 2007/64 – Responsabilité du prestataire de services de paiement en cas d’opérations de paiement non autorisées – Succession d’opérations non autorisées consécutives à une utilisation d’un instrument de paiement perdu, volé ou détourné ou à toute utilisation non autorisée d’un tel instrument – Utilisateur ayant notifié ces opérations au prestataire dans le délai de treize mois suivant la date de débit – Opérations individuelles signalées tardivement de manière intentionnelle ou résultant d’une négligence grave – Privation du droit à une correction de ces seules opérations – Admissibilité
[Directive du Parlement européen et du Conseil 2007/64, art. 56, § 1, b), 58, 60, § 1, et 61, § 2]
(voir points 82-85, 87-90, disp. 3)
Résumé
Dans le cadre d’un litige portant sur le refus de remboursement à un particulier de retraits d’argent prétendument non autorisés, en raison d’un signalement jugé tardif, la Cour clarifie certains aspects de la responsabilité en matière d’opérations non autorisées réalisées au moyen d’un instrument de paiement, conformément à la directive 2007/64 (1), en tenant compte de l’équilibre établi par le législateur entre les intérêts du payeur et ceux du prestataire de services de paiement.
Il est une personne physique qui détient un compte de dépôt auprès de Veracash. Le 24 mars 2017, cette dernière a envoyé à l’adresse d’IL une nouvelle carte de retrait et de paiement.
Le 23 mai 2017, IL a signalé à Veracash que des retraits quotidiens avaient été effectués sur ce compte entre le 30 mars 2017 et le 17 mai 2017, alors qu’il n’aurait ni réceptionné la nouvelle carte de paiement ni autorisé ces retraits.
Il a alors engagé une procédure judiciaire afin d’obtenir notamment le remboursement des sommes correspondant à ces retraits.
À la suite du rejet de son recours par la cour d’appel de Paris (France), qui a considéré que le signalement à Veracash des retraits en cause était tardif car intervenu près de deux mois après le premier retrait contesté, IL s’est pourvu en cassation devant la Cour de cassation (France), qui est la juridiction de renvoi.
Selon la juridiction de renvoi, la solution de ce litige dépend, notamment, de la possibilité pour le prestataire de services de paiement de refuser le remboursement du montant d’une opération non autorisée lorsque le payeur, tout en ayant signalé cette opération avant l’expiration du délai de treize mois suivant la date de débit, tel que prévu par l’article 58 de la directive 2007/64 et le droit national (2), a tardé à le faire, mais sans que ce retard ait été intentionnel ou résulte d’une négligence grave de sa part.
Constatant que les dispositions pertinentes du droit national doivent être interprétées à la lumière de la directive 2007/64, la juridiction de renvoi a saisi la Cour de questions préjudicielles relatives à l’interprétation de ladite directive.
Appréciation de la Cour
En premier lieu, la Cour considère que l’utilisateur de services de paiement est, en principe, privé du droit d’obtenir la correction d’une opération s’il n’a pas signalé sans tarder à son prestataire de services de paiement qu’il a constaté une opération de paiement non autorisée, alors même qu’il la lui a signalée dans les treize mois suivant la date de débit.
En effet, selon le libellé de l’article 58 de la directive 2007/64, l’utilisateur de services de paiement est tenu à une double condition temporelle : il doit à la fois signaler sans tarder à son prestataire de services de paiement qu’il a constaté une opération de paiement non autorisée – obligation qui se déclenche à compter du moment où cet utilisateur a pris connaissance de cette opération et dont le respect doit être apprécié en fonction des circonstances dans lesquelles il se trouve – et faire ce signalement dans les treize mois suivant la date de débit.
L’obligation de signalement « sans tarder » se distingue donc de l’obligation de signalement dans le délai de treize mois suivant la date de débit, tel que le suggère également l’emploi de l’expression « obligation de notification dès que possible » au considérant 31 de la directive 2007/64.
En outre, dans l’hypothèse où l’obligation d’information de la perte, du vol, du détournement ou de toute utilisation non autorisée d’un instrument de paiement, conformément aux prescriptions de l’article 56, paragraphe 1, sous b), de la directive 2007/64 (3), prend naissance concomitamment à l’obligation de notification prévue à l’article 58 de celle-ci, il serait incohérent de considérer que l’obligation de notification au titre de cet article 58 peut être dûment réalisée dans le seul respect du délai de treize mois à compter de la date de débit, alors que l’obligation prévue par cette disposition de l’article 56 doit être effectuée plus rapidement.
Enfin, l’obligation de notifier « sans tarder » prévue à l’article 58 de la directive 2007/64 vise un objectif préventif de réduction des risques et conséquences liés aux opérations non autorisées. Or, cet objectif serait compromis si cette obligation pouvait être exécutée dans la seule limite du délai de treize mois à compter de la date de débit. Au demeurant, l’objectif de l’obligation de notifier dans le délai de treize mois, qui est de garantir la sécurité juridique des parties (4), serait également compromis si l’utilisateur de services de paiement était en droit d’obtenir la correction d’une opération de paiement non autorisée dont il aurait eu connaissance, mais qu’il aurait tardé à signaler à son prestataire de services de paiement. L’existence de deux objectifs distincts corrobore le fait que l’article 58 impose deux conditions temporelles distinctes.
En deuxième lieu, la Cour précise toutefois que, lorsqu’est en cause une opération de paiement non autorisée consécutive à l’utilisation d’un instrument de paiement perdu, volé ou détourné ou à toute utilisation non autorisée d’un tel instrument, et que cette opération a été signalée par le payeur à son prestataire de services de paiement dans les treize mois suivant la date de débit, ce payeur n’est, en principe et sauf agissement frauduleux de sa part, privé de son droit d’obtenir la correction effective de cette opération que s’il a tardé à signaler celle-ci à son prestataire de services de paiement de manière intentionnelle ou à la suite d’une négligence grave consistant en une violation caractérisée d’une obligation de diligence.
À cet égard, il ressort de l’article 61, paragraphe 2, première phrase, de l’article 56, paragraphe 1, sous b), et de l’article 60, paragraphe 1, de la directive 2007/64, que ce n’est que lorsqu’il agit frauduleusement ou lorsqu’il a tardé, de manière intentionnelle ou à la suite d’une négligence grave, à informer son prestataire de services de paiement ou l’entité désignée par celui-ci de la perte, du vol, du détournement ou de toute utilisation non autorisée de cet instrument de paiement, que le prestataire de services de paiement est déchargé de son obligation de rembourser au payeur le montant des opérations de paiement non autorisées consécutives à un tel évènement.
En dernier lieu, la Cour précise que, en cas de succession d’opérations de paiement non autorisées, consécutives à l’utilisation d’un instrument de paiement perdu, volé ou détourné ou à toute utilisation non autorisée d’un tel instrument, le payeur ne peut être privé que du droit au remboursement des pertes résultant des seules opérations qu’il a intentionnellement ou de manière gravement négligente tardé à signaler à son prestataire de services de paiement.
En effet, tout d’abord, le libellé de l’article 61, paragraphe 2, établit un lien de causalité entre, d’une part, le comportement du payeur et, d’autre part, les pertes subies dont il ne pourra pas obtenir la correction. Ensuite, l’article 58 de la directive 2007/64 visant expressément la notification d’opérations de paiement individuelles, le caractère tardif du signalement doit s’apprécier de manière distincte pour chaque opération.
Cette interprétation littérale est corroborée par le contexte dans lequel s’insèrent les dispositions pertinentes de la directive 2007/64 ainsi que par les objectifs poursuivis par celle-ci. En effet, d’une part, tant l’article 61, paragraphe 4 (5), que l’article 61, paragraphe 5 (6), de la directive, confirment que le payeur ne saurait être tenu pour responsable des pertes qu’il n’aurait pas pu éviter. D’autre part, en ce que cette directive impose un lien de causalité entre le comportement du payeur et les pertes subies, elle équilibre les intérêts des utilisateurs et des prestataires de services de paiement. Ainsi, l’utilisateur est incité à signaler rapidement toute opération non autorisée qu’il constate, tandis que le prestataire doit remplir ses obligations pour permettre cette constatation.