Language of document : ECLI:EU:C:2025:688

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

11 septembre 2025 (*)

« Renvoi préjudiciel – Convention d’application de l’accord de Schengen – Article 54 – Article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Principe ne bis in idem – Notion de “mêmes faits” – Condamnation dans un État membre d’un membre d’une association terroriste pour participation à cette association en vue de la préparation d’un acte de terrorisme – Poursuite dans un autre État membre en raison des mêmes actes de terrorisme »

Dans l’affaire C‑802/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Audiencia Nacional (Cour centrale, Espagne), par décision du 4 décembre 2023, parvenue à la Cour le 28 décembre 2023, dans la procédure pénale contre

MSIG,

en présence de :

Ministerio Fiscal,

LA COUR (première chambre),

composée de M. F. Biltgen, président de chambre, M. T. von Danwitz (rapporteur), vice‑président de la Cour, M. A. Kumin, Mme I. Ziemele et M. S. Gervasoni, juges,

avocat général : M. D. Spielmann,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour le Ministerio Fiscal, par M. C. García-Berro Montilla, fiscal,

–        pour le gouvernement espagnol, par Mme A. Gavela Llopis, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement hongrois, par Mme Zs. Biró‑Tóth et M. M. Z. Fehér, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. J. Baquero Cruz et I. Zaloguin, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (JO 2000, L 239, p. 19), signée à Schengen le 19 juin 1990 et entrée en vigueur le 26 mars 1995 (ci-après la « CAAS »), lu à la lumière de l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre MSIG pour des infractions de destructions terroristes, de tentatives d’assassinat terroriste ainsi que de coups et blessures.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 54 de la CAAS, figurant au chapitre 3, intitulé « Application du principe ne bis in idem », du titre III de celle-ci, prévoit :

« Une personne qui a été définitivement jugée par une Partie Contractante ne peut, pour les mêmes faits, être poursuivie par une autre Partie Contractante, à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de la Partie Contractante de condamnation. »

 Le droit espagnol

 La loi organique 7/2014

4        Aux termes de l’article 14 de la Ley Orgánica 7/2014, sobre intercambio de información de antecedentes penales y consideración de resoluciones judiciales penales en la Unión Europea (loi organique 7/2014, relative aux échanges d’informations sur les casiers judiciaires et à la prise en compte des décisions de condamnation entre les États membres de l’Union européenne), du 12 novembre 2014 (BOE no 275, du 13 novembre 2014, p. 93204), dans sa version en vigueur à la date de l’introduction de la demande de décision préjudicielle (ci-après la « loi organique 7/2014 ») :

« 1.      Les effets juridiques attachés à une condamnation définitive antérieure prononcée dans un autre État membre à l’égard de la même personne pour des faits différents sont équivalents, à l’occasion d’une nouvelle procédure pénale, à ceux qui auraient découlé de cette même condamnation si elle avait été prononcée en Espagne, pour autant que les conditions suivantes soient remplies :

a)      les condamnations ont été imposées pour des faits punissables conformément à la loi espagnole en vigueur à la date de leur commission ;

b)      des informations suffisantes sur ces condamnations ont été obtenues grâce aux instruments d’entraide judiciaire applicables ou à l’échange d’informations extraites du casier judiciaire.

2.      Sans préjudice des dispositions contenues au paragraphe précédent, les condamnations définitives prononcées dans un autre État membre sont sans effet sur les actes suivants, et ne peuvent entraîner leur annulation ou leur révision :

a)      les arrêts définitifs adoptés antérieurement par les juridictions espagnoles et les décisions relatives à leur exécution ;

b)      les arrêts de condamnation prononcés lors de procédures ultérieures en Espagne liées à des infractions commises avant que la juridiction de l’autre État membre n’ait prononcé un arrêt de condamnation ;

c)      les ordonnances prononcées ou qui doivent être prononcées en vertu de l’article 988, troisième alinéa, de la Ley de Enjuiciamiento Criminal (code de procédure pénale) fixant les limites à l’exécution des peines, dont celles visées au point b).

3.      Les casiers judiciaires figurant dans le registre central sont réputés annulés, même s’ils résultent de condamnations prononcées dans d’autres États, aux fins de leur prise en compte en Espagne par les juges et les tribunaux conformément au droit espagnol, à moins que leur radiation par l’État de condamnation n’ait été préalablement communiquée. »

5        L’unique disposition additionnelle de cette loi dispose :

« Les condamnations prononcées par une juridiction d’un État membre de l’Union européenne avant le 15 août 2010 ne sont en aucun cas prises en considération pour l’application de la présente loi. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

6        Après avoir été arrêtée, le 3 octobre 2004, par la police française, MSIG a été remise aux autorités espagnoles, le 4 septembre 2019, en exécution d’un mandat d’arrêt européen émis par le Juzgado Central de Instrucción no 2 de l’Audiencia Nacional (tribunal central d’instruction no 2 de la Cour centrale, Espagne).

7        L’Audiencia Nacional (Cour centrale), qui est la juridiction de renvoi, est saisie d’une procédure pénale engagée contre MSIG en tant qu’auteure d’un attentat terroriste survenu à Oviedo (Espagne) le 21 juillet 1997. MSIG est accusée d’avoir commis les infractions de destructions terroristes, de tentative d’assassinat terroriste ainsi que de coups et blessures.

8        Les faits à l’origine de cette accusation sont décrits, par la juridiction de renvoi, comme suit :

« Pendant son séjour en France, et sans quitter ce pays, à compter d’une date indéterminée et jusqu’à y être arrêtée au mois d’octobre 2004, [MSIG] aurait été, en tant que dirigeante de l’organisation terroriste Euskadi Ta Askatasuna (ETA), la personne chargée de transmettre les instructions établies par les plus hautes instances de l’organisation et de déterminer, conformément à ces instructions, les lignes d’action des commandos terroristes qui opéraient en Espagne, en leur faisant parvenir les informations depuis la France, habituellement au moyen de notes qui étaient placées dans des lieux prédéfinis, ainsi que les moyens matériels (armes, grenades et explosifs) pour mener leurs campagnes d’actions, d’ordinaire par l’intermédiaire de tiers, qui étaient les dépositaires des armes. Il revenait le plus souvent aux membres de ces commandos, suivant les instructions générales reçues de la part de la direction de l’ETA, de décider concrètement de l’action terroriste à mener, de la planifier en détail, en utilisant les moyens matériels et les armes qui leur avaient été remis, et, une fois que l’action avait été menée, de rendre compte de son résultat à la direction de l’organisation terroriste.

Dans le cas spécifique donnant lieu aux poursuites, deux membres de l’ETA, alors inconnus des services de police, qui opéraient au sein d’un commando “légal” (“KATU” ou “KATTU”) [...], probablement aidés par d’autres personnes qui n’étaient pas connues, et agissant selon les instructions générales qu’ils avaient reçues d’attaquer des cibles policières ou militaires, ont décidé d’attaquer le commissariat de police de la localité d’Oviedo, capitale de la Comunidad Autónoma de Asturias (Communauté autonome des Asturies, Espagne), en fabriquant à cette fin, avec les armes qu’ils avaient reçues et stockées, un dispositif artisanal automatisé de lancement de grenades antichars, qu’ils ont placé, vers 8 heures du matin le 21 juillet 1997, à une certaine distance du commissariat, en posant également un engin explosif artisanal à retardement dans les environs afin qu’il explose au moment où il était supposé que la structure de lancement pourrait être inspectée par la police.

Seules trois des grenades prévues ont été tirées, et aucune d’entre elles n’a atteint l’objectif, ces grenades ayant explosé de manière aléatoire dans plusieurs endroits proches, en ne causant que des dommages matériels et, en raison du bruit de l’explosion, des lésions auditives à une personne qui se trouvait dans les environs. Le piège que constituait l’explosif a été repéré par la police lors de l’inspection du site et cet explosif a immédiatement été désamorcé. »

9        Il ressort de la décision de renvoi que, selon le procureur espagnol, MSIG doit être considérée comme étant l’auteur matériel des infractions en cause en raison, d’une part, de sa qualité de responsable, à l’époque des faits en cause, des « commandos légaux » de l’ETA et, d’autre part, de la fourniture, depuis la France, de différentes armes au « commando légal » « KATU » ou « KATTU » (ci-après « KATTU ») en vue de commettre des attentats terroristes. La peine requise par ce procureur pour les faits en cause s’élève, selon les indications de cette juridiction, à 71 ans d’emprisonnement au total. La juridiction de renvoi précise que l’exécution de cette peine devrait, ex lege, donner lieu à l’application d’une limitation à un maximum de 30 ans d’emprisonnement, conformément aux dispositions du code pénal.

10      Toutefois, MSIG aurait déjà été condamnée par défaut, en France, pour des faits de « participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme ». À cet égard, la juridiction de renvoi fait état de quatre jugements, rendus en France, condamnant MSIG (ci-après les « jugements français »). Les trois premiers, datant des 21 février 2000, 23 février 2000 et 13 février 2003, couvriraient différentes périodes au cours des années 1996 et 1997 et auraient donné lieu, chacun, au prononcé d’une peine de cinq ans d’emprisonnement. Le quatrième, daté du 17 décembre 2010, concernerait la période prenant fin le 10 mars 2004, à l’exception de la période débutant au courant de l’année 1996 et se terminant le 31 décembre 1997, et aurait donné lieu au prononcé d’une peine de 20 ans de réclusion.

11      En vertu d’une décision de confusion des peines de la cour d’appel de Paris (France) du 13 février 2014, les peines infligées par les jugements français auraient été confondues pour donner lieu à une seule peine de 20 ans d’emprisonnement, laquelle aurait été purgée par MSIG en France avant sa remise aux autorités espagnoles.

12      La juridiction de renvoi indique, en outre, que MSIG, après sa remise aux autorités espagnoles, a été poursuivie et condamnée en Espagne dans le cadre de procédures relatives, pour certaines, à des actes commis intégralement en Espagne, en tant que membre de l’ETA, avant qu’elle ne se soit installée en France, et, pour d’autres, dont celle en cause au principal, à sa participation à partir du territoire français, en tant que dirigeante de l’ETA, à des actes de terrorisme commis en Espagne.

13      Ladite juridiction indique qu’elle a, par une ordonnance du 20 février 2023, confondu les peines infligées à MSIG par huit arrêts définitifs rendus en Espagne et fixé une limite de 30 ans d’emprisonnement pour l’ensemble des condamnations définitives aux fins de leur exécution, conformément à l’article 76, paragraphe 1, du code pénal et à l’article 988 du code de procédure pénale, dès lors que les infractions concernées étaient considérées, conformément à cette dernière disposition, comme connexes et susceptibles de faire l’objet de poursuites dans le cadre d’une seule procédure.

14      Cependant, la juridiction de renvoi relève que le droit espagnol ne permet pas de procéder à une confusion des peines résultant des condamnations prononcées par les juridictions françaises et par les juridictions espagnoles, en dépit du lien juridique existant dans de nombreux cas entre ces condamnations. Ainsi, après avoir purgé la peine de 20 ans d’emprisonnement en France, MSIG devrait purger une peine de 30 ans d’emprisonnement, soit un total minimal de 50 ans d’emprisonnement, sans qu’il soit possible de fixer une limite de peine.

15      Or, la juridiction de renvoi relève que les jugements français couvrent, sur le plan temporel, l’ensemble de l’activité menée par MSIG depuis la France en tant que dirigeante de l’ETA. Ces jugements auraient donné lieu à des condamnations à des peines s’élevant à 35 ans d’emprisonnement au total, ayant été confondues, en vertu de la décision de confusion des peines de la cour d’appel de Paris du 13 février 2014, en une peine unique de 20 ans d’emprisonnement, au motif que lesdits jugements concernaient une même activité infractionnelle, couvrant des actes commis par l’intéressée en tant que dirigeante responsable des « commandos légaux » opérant en Espagne, qui se rapportaient aussi bien à la conception des opérations de l’ETA qu’à la fourniture des moyens en vue de réaliser des attentats. MSIG aurait ainsi participé, à différentes périodes, à la préparation d’attentats terroristes qui sont survenus en Espagne.

16      Tant les actes de MSIG qui ont été jugés en France que ceux en cause au principal auraient été intégralement commis depuis la France, sans que MSIG ne se soit jamais déplacée en Espagne. En outre, les actes poursuivis en Espagne portaient sur l’organisation par cette dernière, en tant que dirigeante de l’ETA, de l’action des « commandos légaux », en l’occurrence KATTU, dont les membres étaient autonomes pour décider des objectifs à atteindre, en utilisant le matériel reçu et en faisant part a posteriori à la direction de l’ETA, notamment, de l’issue des attentats perpétrés ou des échecs survenus. Les poursuites engagées en Espagne contre MSIG porteraient donc sur la même activité que celle visée dans les jugements français.

17      Les autorités françaises auraient enquêté et statué sur l’ensemble de l’activité infractionnelle de MSIG en tant que membre dirigeant de l’ETA et auraient acquis une connaissance précise et détaillée des actes de MSIG liés aux actions terroristes de l’ETA en Espagne et en France, ce qui serait reflété dans les jugements français.

18      Selon la juridiction de renvoi, il ne fait aucun doute que toutes les informations recueillies par les enquêteurs français ont été utilisées dans le cadre des poursuites engagées contre MSIG. Ainsi, les juridictions françaises auraient disposé d’informations approfondies sur les activités de MSIG et il pourrait être considéré qu’elles ont statué sur l’ensemble de l’activité infractionnelle de MSIG en France en lien avec des commandos terroristes de l’ETA opérant en Espagne, parmi lesquels KATTU. Par ailleurs, l’ensemble du matériel d’enquête portant sur l’ETA et permettant d’établir le rôle précis de MSIG au sein de cette organisation aurait été remis à la police espagnole par les autorités françaises afin de compléter le travail d’enquête mené en Espagne, portant sur des faits non encore élucidés.

19      La juridiction de renvoi considère que les jugements français portent sur l’ensemble des actes commis par MSIG depuis la France en tant que dirigeante de l’ETA. Ainsi, un jugement du tribunal de grande instance de Paris (France) du 13 février 2003 ferait état de ce que « [la] prévenue a, au cours de l’année 1997 [...], participé à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation d’actes terroristes, en l’espèce ETA-MILITAIRE », et ferait référence aux actions qu’elle a menées pendant la période au cours de laquelle a eu lieu l’attentat terroriste survenu à Oviedo le 21 juillet 1997.

20      Par ailleurs, la juridiction de renvoi indique que, par un arrêt du 21 janvier 2021, elle a estimé être en présence d’un « cas de bis in idem » compte tenu des différentes condamnations prononcées par les juridictions françaises contre MSIG pour son activité depuis la France en tant que dirigeante de l’ETA et sa participation à la préparation d’attentats, qui couvraient, sur le plan temporel, des faits faisant l’objet des poursuites engagées devant elle. Cependant, cet arrêt aurait été annulé par un arrêt du Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) du 21 mars 2023, qui aurait constaté, en substance, que la condamnation de MSIG en France ne couvrait pas, même de manière générale ou indéterminée, la participation à des actions terroristes concrètes, et qui aurait jugé qu’il n’existait pas de « cas de bis in idem », précisant à cet égard qu’il ne saurait être considéré comme ayant été jugé ce qui n’a pas fait l’objet d’un traitement juridictionnel. Le Tribunal Supremo (Cour suprême) aurait annulé ledit arrêt pour défaut de motivation et aurait renvoyé l’affaire à la juridiction de renvoi pour qu’elle statue de nouveau. Bien que la majorité des membres de la juridiction de renvoi soient convaincus de l’existence d’un « cas de bis in idem », cette juridiction indique que cette appréciation ne serait pas partagée par le Tribunal Supremo (Cour suprême), ce qui, eu égard au caractère autonome de la notion « ne bis in idem », aurait amené la juridiction de renvoi à saisir la Cour.

21      À cet égard, la juridiction de renvoi rappelle que le principe ne bis in idem, tel qu’interprété par la Cour, exige une identité des faits matériels, comprise comme l’existence d’un ensemble de faits ou de circonstances factuelles indissociablement liés entre eux, indépendamment de la qualification juridique de ces faits ou de l’intérêt juridique protégé. Cependant, la juridiction de renvoi se pose la question de savoir comment il faut comprendre la notion de « fait » aux fins de l’appréciation du principe ne bis in idem, au regard notamment des différentes manières dont les « faits » sont présentés dans les jugements prononcés dans les États membres. Cette notion pourrait se rapporter à la seule survenance d’un événement, détaché de sa qualification juridique, ou pourrait être considérée comme ayant un contenu juridique et comme se rapportant non pas à un fait objectif, mais à son rattachement à l’une des qualifications pénales existantes ou au fait juridique qualifié.

22      La juridiction de renvoi relève que, en l’occurrence, les mêmes faits auraient fait l’objet de qualifications juridiques distinctes par les juridictions françaises et espagnoles. Les juridictions françaises auraient fait référence à l’activité de MSIG en tant que dirigeante d’une organisation terroriste, en vue de la préparation d’actes terroristes, au moyen d’un ou de plusieurs actes, même si les actes terroristes eux‑mêmes auraient été matériellement exécutés par d’autres personnes. En revanche, en Espagne, MSIG serait davantage considérée comme l’auteure directe de l’infraction concernée, bien qu’il soit tenu compte du fait que l’acte terroriste lui-même a été matériellement exécuté par des tiers. Or, selon la juridiction de renvoi, les mêmes actes de MSIG seraient concernés par les procédures devant les juridictions françaises et devant les juridictions espagnoles.

23      La juridiction de renvoi souligne que, dans l’hypothèse où il n’y aurait pas une identité de faits mais une simple concomitance de faits, MSIG devrait très probablement purger une peine de 30 ans d’emprisonnement en Espagne après avoir purgé une peine de 20 ans d’emprisonnement en France, ce qui constituerait une peine d’une grave disproportion, donnant lieu notamment à un traitement discriminatoire de MSIG par rapport aux personnes qui font l’objet de condamnations dans un seul État membre.

24      C’est dans ces conditions que l’Audiencia Nacional (Cour centrale) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Existe-t-il, en l’espèce, eu égard aux circonstances factuelles décrites et aux motifs de droit pris en considération dans la procédure pénale suivie contre MSIG en Espagne, à la lumière des diverses condamnations prononcées antérieurement en France à son égard, un cas de “bis in idem” au sens de l’article 50 de la [Charte] et de l’article 54 de la [CAAS] concernant les poursuites menées contre elle en Espagne, au motif qu’il s’agit “des mêmes faits”, selon la portée conférée par la jurisprudence européenne à cette notion ?

2)      En tout état de cause, l’absence de disposition normative en droit espagnol permettant la reconnaissance des effets des condamnations définitives prononcées antérieurement par les juridictions d’autres États membres aux fins de l’éventuelle constatation, dans l’affaire examinée, de l’existence d’un cas de bis in idem en raison de l’identité des faits est-elle compatible avec l’article 50 de la [Charte] et l’article 54 de la CAAS, ainsi qu’avec l’article 1er, paragraphe 3, l’article 3, paragraphe 2, et l’article 4, points 3 et 5, de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres [(JO 2002, L 190, p. 1)] ?

3)      En l’espèce, ou de manière générale, l’absence de disposition normative, de pratique ou, en définitive, de mécanisme ou de procédure légaux en droit espagnol permettant la reconnaissance des effets des condamnations définitives prononcées antérieurement par les juridictions des États membres, en vue de la détermination de la peine, de sa confusion, de son adaptation ou de la limitation de sa durée maximale d’exécution, que ce soit au stade des poursuites et du jugement ou de l’exécution ultérieure de celui‑ci, afin, à titre subsidiaire, si une situation de bis in idem en raison de l’identité des faits n’est pas constatée, d’assurer la proportionnalité de la sanction pénale, dans un cas tel que celui où, dans la procédure examinée, il existe une condamnation antérieure, prononcée par les juridictions d’un autre État membre, à des peines graves, qui ont déjà été purgées, pour des faits concomitants (temporellement concurrents, et qui sont étroitement liés ou associés ou qui présentent une relation de connexité infractionnelle ou similaire) à ceux qui sont jugés en Espagne, est-elle contraire à l’article 45 et à l’article 49, paragraphe 3, de la [Charte], ou aux considérants 7, 8, 9, 13 et 14 ainsi qu’[à] l’article 3, paragraphes 1, 2, 4 et 5, de la décision-cadre [2008/675/JAI du Conseil, du 24 juillet 2008, relative à la prise en compte des décisions de condamnation entre les États membres de l’Union européenne à l’occasion d’une nouvelle procédure pénale (JO 2008, L 220, p. 32)], et au considérant 12 ainsi qu’à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision-cadre [2002/584] ?

4)      Compte tenu des circonstances de l’espèce, et d’une manière générale, l’exclusion absolue des effets des décisions de justice définitives antérieures rendues dans d’autres États membres de l’Union, telle qu’elle est expressément prévue à l’article 14, paragraphe 2, sous b), [de la loi organique 7/2014] sur les décisions de condamnation prononcées en Espagne, et à l’article 14, paragraphe 2, sous c), [de la loi organique 7/2014] sur les ordonnances adoptées à des fins d’exécution des décisions, ainsi que dans la disposition additionnelle unique [de la loi organique 7/2014] (visant les décisions antérieures au 15 août 2010 et valable dans l’un et l’autre cas) [...] portant transposition de la réglementation européenne, est-elle compatible avec :

a)      l’article 50 de la [Charte] et l’article 54 de la [CAAS], tous deux relatifs au bis in idem international, et

b)      les considérants 7, 8, 9, 13 et 14 ainsi que l’article 3, paragraphes 1, 2, 4 et 5, de la décision-cadre [2008/675], et l’article 45 et l’article 49, paragraphe 3, de la [Charte] ainsi que le principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice au sein de l’Union ? »

 La procédure devant la Cour

25      Par un courrier du 4 décembre 2024, parvenu au greffe de la Cour le 19 décembre 2024, la juridiction de renvoi a informé la Cour de l’entrée en vigueur, le 8 novembre 2024, d’une nouvelle loi organique qui a modifié des aspects substantiels de la loi organique 7/2014 et de la dissipation de ses doutes quant à la compatibilité de cette dernière loi avec les dispositions du droit de l’Union visées par les deuxième à quatrième questions préjudicielles. La juridiction de renvoi estimant que ces questions sont devenues sans objet, il convient, dès lors, de se prononcer uniquement sur la première question préjudicielle.

 Sur la première question

 Sur la recevabilité

26      Le gouvernement espagnol émet des doutes quant à la recevabilité de la première question au motif que la juridiction de renvoi n’aurait pas exposé les éléments de fait et les raisons l’ayant amenée à s’interroger sur l’interprétation du droit de l’Union, de sorte qu’il ne serait pas possible d’y répondre. À titre subsidiaire, ce gouvernement considère que les éléments de fait et de droit fournis par la juridiction de renvoi ne permettent pas d’apprécier l’identité des faits en cause. Ainsi, la décision de renvoi ne ferait pas état des faits pris en compte dans le cadre de l’attentat commis à Oviedo le 21 juillet 1997, en ce qui concerne MSIG, de sorte qu’il serait difficile de constater une identité entre ces faits et ceux visés dans le cadre des condamnations prononcées contre MSIG par les juridictions françaises.

27      Aux termes de l’article 94, sous a) et b), du règlement de procédure de la Cour, une demande de décision préjudicielle doit contenir « un exposé sommaire de l’objet du litige ainsi que des faits pertinents, tels qu’ils ont été constatés par la juridiction de renvoi ou, à tout le moins, un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées », ainsi que de « la teneur des dispositions nationales susceptibles de s’appliquer en l’espèce, et, le cas échéant, la jurisprudence nationale pertinente ». En outre, comme l’énonce l’article 94, sous c), du règlement de procédure, une demande de décision préjudicielle doit contenir « l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation [...] de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal ».

28      Selon la jurisprudence de la Cour, les informations contenues dans les décisions de renvoi servent non seulement à permettre à celle-ci de fournir des réponses utiles, mais également à donner aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres intéressés la possibilité de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Il incombe à la Cour de veiller à ce que cette possibilité soit sauvegardée, compte tenu du fait que, en vertu de cet article, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux intéressés (arrêt du 28 novembre 2023, Commune d’Ans, C‑148/22, EU:C:2023:924, point 47 et jurisprudence citée).

29      En l’occurrence, la demande de décision préjudicielle expose tant les faits reprochés à MSIG qui ont eu lieu en Espagne que les faits qui ont été jugés en France, tels qu’ils résultent des jugements français, tout en explicitant les informations dont disposaient les autorités françaises. En outre, la juridiction de renvoi précise les raisons l’ayant amenée à poser la première question et expose la teneur des dispositions nationales susceptibles de s’appliquer en l’occurrence.

30      Dans ces conditions, la première question est recevable.

 Sur le fond

31      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la notion de « mêmes faits », au sens de l’article 54 de la CAAS, lu à la lumière de l’article 50 de la Charte, doit être interprétée en ce sens qu’elle couvre les faits reprochés à une personne dans le cadre d’une procédure pénale engagée dans un État membre du chef d’actes de terrorisme lorsque cette personne a déjà été condamnée dans un autre État membre, en raison des mêmes actes, du chef d’actes de participation à une association terroriste en vue de la préparation d’un acte de terrorisme.

32      L’article 54 de la CAAS, laquelle a été incorporée dans le droit de l’Union par le protocole intégrant l’acquis de Schengen dans le cadre de l’Union européenne, annexé au traité sur l’Union européenne et au traité instituant la Communauté européenne par le traité d’Amsterdam (JO 1997, C 340, p. 93), consacre le principe ne bis in idem [arrêt du 23 mars 2023, Generalstaatsanwaltschaft Bamberg (Exception au principe ne bis in idem), C‑365/21, EU:C:2023:236, point 46].

33      Ce principe résultant des traditions constitutionnelles communes aux États membres, il y a lieu d’interpréter l’article 54 de la CAAS à la lumière de l’article 50 de la Charte, dont il assure le respect du contenu essentiel [arrêts du 28 octobre 2022, Generalstaatsanwaltschaft München (Extradition et ne bis in idem), C‑435/22 PPU, EU:C:2022:852, point 65, ainsi que du 23 mars 2023, Generalstaatsanwaltschaft Bamberg (Exception au principe ne bis in idem), C‑365/21, EU:C:2023:236, point 32].

34      Il ressort des termes de l’article 54 de la CAAS qu’une personne ne peut être poursuivie dans un État membre pour les mêmes faits que ceux pour lesquels elle a déjà été définitivement jugée dans un autre État membre, à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de ce dernier État.

35      Ainsi, l’application du principe ne bis in idem est soumise à une double condition, à savoir, d’une part, qu’il y ait une décision antérieure définitive (condition « bis »), et, d’autre part, que les mêmes faits soient visés par la décision antérieure et par les poursuites ou les décisions postérieures (condition « idem ») (arrêts du 12 octobre 2023, INTER CONSULTING, C‑726/21, EU:C:2023:764, point 45, et du 19 octobre 2023, Központi Nyomozó Főügyészség, C‑147/22, EU:C:2023:790, point 26).

36      S’agissant de la condition « idem », qui doit être examinée au regard de la jurisprudence rappelée au point 33 du présent arrêt, il découle des termes même de l’article 50 de la Charte que celui-ci interdit de poursuivre ou de sanctionner pénalement une même personne plus d’une fois pour une même infraction [voir, en ce sens, arrêts du 12 mai 2021, Bundesrepublik Deutschland (Notice rouge d’Interpol), C‑505/19, EU:C:2021:376, point 78, ainsi que du 12 octobre 2023, INTER CONSULTING, C‑726/21, EU:C:2023:764, point 71].

37      La condition « idem » requiert, selon une jurisprudence bien établie, que les faits matériels soient identiques. Par conséquent, le principe ne bis in idem n’a pas vocation à s’appliquer lorsque les faits en cause sont non pas identiques, mais seulement similaires [arrêts du 18 juillet 2007, Kraaijenbrink, C‑367/05, EU:C:2007:444, point 27 ; du 23 mars 2023, Generalstaatsanwaltschaft Bamberg (Exception au principe ne bis in idem), C‑365/21, EU:C:2023:236, point 37, ainsi que du 12 octobre 2023, INTER CONSULTING, C‑726/21, EU:C:2023:764, point 74].

38      La notion d’identité des faits matériels s’entend comme un ensemble de circonstances concrètes découlant d’événements qui sont, en substance, les mêmes, en ce qu’ils impliquent le même auteur et sont indissociablement liés entre eux dans le temps et dans l’espace [voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2007, Kraaijenbrink, C‑367/05, EU:C:2007:444, points 26 et 27 ; du 28 octobre 2022, Generalstaatsanwaltschaft München (Extradition et ne bis in idem), C‑435/22 PPU, EU:C:2022:852, point 128, ainsi que du 12 octobre 2023, INTER CONSULTING, C‑726/21, EU:C:2023:764, point 75].

39      En revanche, si les faits matériels ne forment pas un tel ensemble, la seule circonstance que l’instance saisie de la seconde procédure constate que l’auteur présumé de ces faits a agi avec la même intention criminelle ne saurait suffire pour assurer l’existence d’un ensemble de circonstances concrètes indissociablement liées entre elles qui relève de la notion de « mêmes faits », au sens de l’article 54 de la CAAS (arrêts du 18 juillet 2007, Kraaijenbrink, C‑367/05, EU:C:2007:444, points 29 et 30, ainsi que du 12 octobre 2023, INTER CONSULTING, C‑726/21, EU:C:2023:764, point 76).

40      En outre, il est de jurisprudence constante que tant l’article 54 de la CAAS que l’article 50 de la Charte visent la seule matérialité des faits indépendamment de la qualification juridique de ces faits ou de l’intérêt juridique protégé, dans la mesure où la protection conférée par ces dispositions ne saurait varier d’un État membre à un autre [voir, en ce sens, arrêts du 16 novembre 2010, Mantello, C‑261/09, EU:C:2010:683, point 39 ; du 22 mars 2022, Nordzucker e.a., C‑151/20, EU:C:2022:203, point 39, ainsi que du 12 octobre 2023, INTER CONSULTING, C‑726/21, EU:C:2023:764, point 73 et jurisprudence citée].

41      Il s’ensuit que l’éventualité de qualifications juridiques divergentes des mêmes faits, au sens de l’article 54 de la CAAS, lu à la lumière de l’article 50 de la Charte, dans deux États membres différents ou encore la poursuite d’intérêts juridiques différents dans ces États ne saurait faire obstacle à l’application du principe ne bis in idem.

42      En l’occurrence, c’est à la juridiction de renvoi, seule compétente pour statuer sur les faits, et non à la Cour, qu’il incombe de déterminer si les faits faisant l’objet de la procédure pénale en cause au principal sont les mêmes que ceux qui ont été définitivement jugés par les juridictions françaises. Cela étant, la Cour peut fournir à ladite juridiction des éléments d’interprétation du droit de l’Union dans le cadre de l’appréciation de l’identité des faits en cause [voir, en ce sens, arrêts du 28 octobre 2022, Generalstaatsanwaltschaft München (Extradition et ne bis in idem), C‑435/22 PPU, EU:C:2022:852, point 133, et du 12 octobre 2023, INTER CONSULTING, C‑726/21, EU:C:2023:764, point 79 ainsi que jurisprudence citée].

43      Dans cette perspective, il convient de préciser d’emblée que, eu égard à la jurisprudence rappelée au point 40 du présent arrêt, et pour autant qu’il est établi que la procédure pénale au principal et les jugements français auxquels se réfère la juridiction de renvoi portaient sur des faits matériellement identiques, la circonstance que ces jugements portaient sur des infractions différentes de celles en cause au principal est dépourvue de pertinence aux fins de l’appréciation de la condition « idem » (voir, en ce sens, arrêt du 25 janvier 2024, Parchetul de pe lângă Curtea de Apel Craiova, C‑58/22, EU:C:2024:70, point 70).

44      En effet, est pertinente, à cet égard, non pas la question de savoir si les éléments constitutifs des infractions en cause dans les jugements français étaient ou non identiques, mais celle de savoir si les faits reprochés à la personne concernée dans le cadre de ces jugements et de la procédure pénale au principal se réfèrent à la même conduite. Lorsqu’est en cause une même conduite, par la même personne, ayant eu lieu dans le même cadre temporel, il convient de vérifier si les faits pour lesquels cette personne a d’abord été condamnée et ceux visés par la procédure pénale postérieure sont identiques ou sont en substance les mêmes (Cour EDH, 19 décembre 2017, Ramda c. France, CE:ECHR:2017:1219JUD007847711, § 87 et jurisprudence citée).

45      Ainsi, il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si, en l’occurrence, les faits précis reprochés à MSIG permettant d’établir la responsabilité pénale de cette dernière en Espagne sont identiques à ceux ayant conduit les juridictions pénales françaises à la condamner.

46      À cet égard, il ressort de la demande de décision préjudicielle que MSIG est accusée en Espagne d’une infraction de destructions terroristes, de trois infractions de tentative d’assassinat terroriste et d’une infraction de coups et blessures, commises, le 21 juillet 1997, à Oviedo par deux membres de KATTU. Selon la juridiction de renvoi, elle serait poursuivie comme auteur matériel de ces infractions, en sa qualité de responsable, à l’époque des faits au principal, des « commandos légaux » de l’ETA, ainsi que pour la fourniture de différentes armes à KATTU en vue de perpétrer des attentats terroristes.

47      À l’époque des faits au principal, selon les indications de la juridiction de renvoi, MSIG aurait été chargée de transmettre les instructions établies par les plus hautes instances de l’ETA et de déterminer, conformément à ces instructions, les lignes d’action des commandos terroristes qui opéraient en Espagne. MSIG aurait exclusivement agi à partir du territoire français.

48      Selon ces mêmes indications, les deux membres de KATTU ayant commis l’attentat du 21 juillet 1997 à Oviedo auraient agi, selon les instructions générales qu’ils avaient reçues, et auraient décidé de manière autonome d’attaquer le commissariat de police de la localité d’Oviedo.

49      Or, toujours selon la juridiction de renvoi, les jugements français ne comporteraient aucune mention de l’attentat en cause au principal et se limiteraient à faire état des actes commis par MSIG sur le territoire français. Partant, les faits reprochés à MSIG dans le cadre de la procédure au principal n’apparaissent, à première vue, pas être les mêmes que ceux qui ont fait l’objet des jugements français.

50      Toutefois, la juridiction de renvoi précise que ces jugements couvriraient, sur les plans temporel et matériel, l’ensemble des actes réalisés par MSIG en France en tant que dirigeante responsable des « commandos légaux » opérant en Espagne, incluant aussi bien la conception des opérations de l’ETA que la fourniture des moyens pour réaliser des attentats.

51      Selon les explications de la juridiction de renvoi, il apparaît que les faits qui sont concrètement reprochés à MSIG dans le cadre de la procédure au principal permettant d’établir sa responsabilité pénale pour l’attentat en cause sont, en substance, ceux ayant consisté à donner, à partir du territoire français, des lignes d’action générales à des commandos terroristes opérant en Espagne et à faire parvenir à ces commandos les moyens matériels pour mener les actions que ces commandos décidaient, pour leur part, d’effectuer et planifiaient en détail de manière autonome. À cet égard, il semble que, selon les explications de la juridiction de renvoi, aucun autre élément factuel spécifique ne soit reproché à MSIG en rapport avec l’attentat perpétré à Oviedo, et que ce sont les mêmes faits qui ont conduit les juridictions françaises à établir la responsabilité pénale de MSIG pour ses actions menées en France.

52      Il convient d’ajouter que, aux fins de l’appréciation de l’identité des faits en cause, la juridiction de renvoi devra prendre en considération non seulement les faits mentionnés dans le dispositif des jugements définitifs rendus en France et dans le dispositif des actes d’accusation établis par les autorités françaises compétentes, mais également les faits mentionnés dans les motifs de ces jugements et ceux sur lesquels a porté la procédure d’instruction mais qui n’ont pas été repris dans les actes d’accusation ainsi que toutes informations pertinentes concernant les faits matériels visés par la ou les procédures pénales antérieures engagées en France et clôturées par une décision définitive (voir, en ce sens, arrêt du 12 octobre 2023, INTER CONSULTING, C‑726/21, EU:C:2023:764, point 85).

53      À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 57, paragraphe 1, de la CAAS, lorsqu’une personne est accusée d’une infraction dans un État membre et que les autorités compétentes de cet État ont des raisons de croire que l’accusation concerne les mêmes faits que ceux ayant fait l’objet d’une décision définitive dans un autre État membre, ces autorités peuvent demander, si elles l’estiment nécessaire, les renseignements pertinents aux autorités compétentes de l’État membre sur le territoire duquel cette décision a été rendue. Le mécanisme de coopération instauré par cette disposition permet aux autorités compétentes du second État membre chargé des poursuites pénales contre une même personne de demander, afin de clarifier, par exemple, la nature précise d’une décision qui a été rendue sur le territoire du premier État membre ou encore les faits précis faisant l’objet de cette décision, les informations juridiques pertinentes auprès des autorités de ce premier État (arrêt du 12 octobre 2023, INTER CONSULTING, C‑726/21, EU:C:2023:764, points 50 et 51).

54      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 54 de la CAAS, lu à la lumière de l’article 50 de la Charte, doit être interprété en ce sens que la notion de « mêmes faits » couvre les faits reprochés à une personne dans le cadre d’une procédure pénale engagée dans un État membre du chef d’actes de terrorisme lorsque cette personne a déjà été condamnée dans un autre État membre, en raison des mêmes actes, du chef d’actes de participation à une association terroriste en vue de la préparation d’un acte de terrorisme.

 Sur les dépens

55      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

L’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signée à Schengen le 19 juin 1990 et entrée en vigueur le 26 mars 1995, lu à la lumière de l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

doit être interprété en ce sens que :

la notion de « mêmes faits » couvre les faits reprochés à une personne dans le cadre d’une procédure pénale engagée dans un État membre du chef d’actes de terrorisme lorsque cette personne a déjà été condamnée dans un autre État membre, en raison des mêmes actes, du chef d’actes de participation à une association terroriste en vue de la préparation d’un acte de terrorisme.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.