Demande de décision préjudicielle présentée par le Juzgado de lo Social nº 3 de Murcia (Espagne) le 3 avril 2025 – AIMS/Ayuntamiento de Murcia
(Affaire C-253/25, Ayuntamiento de Murcia II e.a.)
Langue de procédure : l’espagnol
Juridiction de renvoi
Juzgado de lo Social nº 3 de Murcia
Parties à la procédure au principal
Partie requérante : AIMS
Partie défenderesse : Ayuntamiento de Murcia
Questions préjudicielles
Bien que le point 115 de l’arrêt du 13 juin 2024 (C-331/22 et C-332/22) 1 énonce que la transformation de la relation de travail d’un travailleur du secteur public victime d’un abus est possible uniquement lorsqu’une telle transformation n’implique pas une interprétation contra legem du droit national, dans la mesure où (i) la directive 1999/70 2 et la clause 5 de son accord-cadre imposent l’obligation de sanctionner les abus incompatibles avec la directive 1999/70/CE au moyen d’une mesure de sanction proportionnée et suffisamment effective et dissuasive pour garantir la réalisation des objectifs de la clause 5 de l’accord-cadre et assurer son effet utile et où (ii) l’arrêt du 8 mars 2022, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (Effet direct) (C-205/20) 3 précise que le principe de primauté du droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il impose aux autorités nationales l’obligation de laisser inappliquée une réglementation nationale dont une partie est contraire à l’exigence de proportionnalité des sanctions prévue dans la seule mesure nécessaire pour permettre l’infliction de sanctions proportionnées (voir point 57), lorsqu’un État membre, tel que l’Espagne, n’a pas transposé la directive 1999/70 en droit interne en ce qui concerne le secteur public et qu’il n’existe dans la législation nationale aucune mesure de sanction garantissant la réalisation des objectifs de la clause 5 de l’accord-cadre, les autorités nationales sont-elles tenues de sanctionner les abus commis en laissant inappliquée une réglementation nationale contraire à l’exigence de proportionnalité des sanctions, de telle sorte que ces autorités, afin de ne pas porter atteinte à l’objectif et à l’effet utile de la directive 1999/70 et d’en assurer la pleine efficacité, peuvent décider de transformer une relation de travail temporaire abusive en une relation de travail permanente, même si cette transformation implique une interprétation contra legem du droit national ?
En cas de réponse négative à la question précédente :
Est-il conforme au droit de l’Union que l’effet direct soit reconnu par l’arrêt du 8 mars 2022, [C-205/20], en ce qui concerne la directive 2014/67/UE 1 et ne soit pas reconnu en ce qui concerne la directive 1999/70, alors que, selon une jurisprudence constante de la Cour, ces deux directives exigent que les abus soient sanctionnés par une mesure effective, proportionnée et dissuasive, compte tenu du fait que l’article 20 de la directive 2014/67 prévoit que les États membres établissent le régime de sanctions applicable en cas d’infraction aux dispositions nationales adoptées en vertu de la présente directive et prennent toutes les mesures nécessaires pour que lesdites dispositions soient appliquées et respectées et que l’article 2 de la directive 1999/70 dispose que les États membres doivent adopter toute disposition nécessaire leur permettant d’être à tout moment en mesure de garantir les résultats imposés par la directive à la clause 5 de l’accord-cadre ?
À titre subsidiaire, comment l’affirmation contenue dans l’arrêt du 13 juin 2024, DG de la Función Pública, Generalitat de Catalunya et Departamento de Justicia de la Generalitat de Catalunya (C-331/22 et C-332/22, EU:C:2024:496), selon laquelle la transformation n’est possible que si elle [n’implique pas une interprétation] contra legem du droit national, se concilie-t-elle avec la jurisprudence constante de la Cour en vertu de laquelle :
« l’accord-cadre doit être interprété en ce sens que, pour autant que l’ordre juridique interne de l’État membre concerné ne comporte pas, dans le secteur considéré, d’autre mesure effective pour éviter et, le cas échéant, sanctionner l’utilisation abusive de contrats à durée déterminée successifs, l’accord-cadre fait obstacle à l’application d’une réglementation nationale qui interdit d’une façon absolue, dans le seul secteur public, de transformer en un contrat de travail à durée indéterminée une succession de contrats à durée déterminée qui, en fait, ont eu pour objet de couvrir des “besoins permanents et durables” de l’employeur et doivent être considérés comme abusifs » (voir arrêts du 4 juillet 2006, Adeneler e.a., C-212/04 1 , EU:C:2006:443, point 10[5], du 14 septembre 2016, C-184/15 et C-197/15 2 , point 41, et du 25 octobre 2018, C-331/17 3 , points 70 et 71 ; ordonnance du 30 septembre 2020, C-135/20 4 ; arrêts du 13 janvier 2022, C-282/19 5 , du 22 février 2024, C-59/22, C-110/22 et C-159/22 6 , et également du 13 juin 2024, points 98 et 110) ?
Une procédure de sélection dont l’issue est incertaine, en ce que (1) elle ne garantit pas que tous les agents temporaires victimes d’un abus incompatible avec la directive [1999/70] deviendront des agents publics permanents ; (2) elle est aléatoire et imprévisible, puisqu’elle dépend de l’appréciation discrétionnaire, du simple caprice ou de la volonté de l’administration employeuse qui a commis l’abus ; et (3) il n’en découle aucune sanction ou aucun effet préjudiciable ou négatif pour l’administration employeuse responsable de ces abus qui la dissuade de continuer à commettre des abus à l’égard de ses agents temporaires, peut-elle être conçue comme une mesure de sanction garantissant la réalisation des objectifs de la clause 5 de l’accord-cadre ?
La clause 5 de l’accord-cadre s’oppose-t-elle à une réglementation nationale qui prévoit uniquement, en tant que mesure de sanction, le versement aux agents, au moment de la cessation ou de l’extinction de la relation de travail et dans le cas où la victime de l’abus ne réussit pas la procédure de sélection en vue de l’acquisition du statut d’agent permanent, d’une indemnité correspondant à 20 jours [de rémunération] par année de service, dans la limite de douze mensualités, sans que – comme l’exigent l’arrêt du 7 mars 2018, Santoro 1 et l’ordonnance du 8 janvier 2024, C-278/23 2 – cette indemnité soit accompagnée d’une compensation pour la perte d’opportunités ou de tout autre mécanisme de sanction complémentaire effectif et dissuasif ?
Le fait que le droit espagnol exige de la victime de l’abus qu’elle établisse le dommage ou préjudice subi viole-t-il le principe d’effectivité du droit de l’Union, dans la mesure où cette exigence de preuve imposée par le droit national rend pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice par les agents de leur droit à la réparation intégrale du préjudice subi résultant du recours abusif par l’employeur public à des contrats temporaires successifs et, partant, la possibilité d’effacer les conséquences d’une telle violation du droit de l’Union ?
Étant donné qu’il n’existe en droit espagnol, dans le secteur public, aucune mesure effective visant à sanctionner de manière effective, proportionnée et dissuasive le recours abusif aux contrats à durée déterminée successifs – contrairement à ce qui se passe dans le secteur privé ou le régime commun, dans lequel les relations de travail temporaires des travailleurs sont transformées en relations de travail permanentes ou à durée indéterminée lorsque les travailleurs ont effectué, au cours d’une période de 30 mois, plus de 24 mois de service auprès d’un même employeur –, dans la mesure où la clause 5 susmentionnée fait obstacle à l’application d’une réglementation nationale qui interdit d’une façon absolue, dans le seul secteur public, de transformer en un contrat de travail à durée indéterminée une succession de contrats à durée déterminée qui, en fait, ont eu pour objet de couvrir les « besoins permanents et durables » de l’employeur et doivent être considérés comme abusifs, serait-il conforme à la directive 1999/70 d’appliquer cette même transformation [de la relation de travail temporaire] en une relation de travail permanente dans le secteur public, afin d’éviter que les abus ne restent impunis dans ce secteur, de respecter les objectifs et de garantir l’effet utile de la clause 5 de l’accord-cadre, même si une telle transformation implique une interprétation contra legem du droit national ?
Lorsqu’une autorité nationale introduit devant la Cour une demande de décision préjudicielle, les autres autorités administratives et judiciaires nationales sont-elles tenues de suspendre les procédures dont elles sont saisies si l’issue de ces dernières dépend de l’arrêt qui sera rendu par la Cour dans le cadre de la procédure préjudicielle, même si le droit interne ne prévoit pas ou bien interdit une telle suspension ?
Dans la mesure où la notion de travailleur est une notion autonome propre au droit de l’Union, lorsque la directive 1999/70 et son accord-cadre, ou les arrêts de la Cour rendus en application de cette directive, font référence à un travailleur temporaire, faut-il considérer qu’ils visent tous les travailleurs du secteur public, quels que soient leur type, le corps ou la catégorie dont ils relèvent, qu’ils soient agents contractuels de droit privé, agents non titulaires ou personnel statutaire temporaire de santé, de sorte que ladite directive ainsi que les arrêts de la Cour s’appliquent à l’ensemble du personnel temporaire du secteur public, même si ces arrêts concernent un type ou une catégorie spécifique de travailleurs du secteur public ?
Lorsqu’il existe un abus incompatible avec la clause 5 de l’accord-cadre, le droit de l’Union, en particulier la directive 1999/70 et la directive 2012/29/CE 1 , exigent-ils que des mesures immédiates soient prises pour protéger le travailleur victime de l’abus, afin d’éviter une seconde victimisation, des intimidations ou des représailles de la part de l’administration employeuse à l’origine de l’abus, ou, au contraire, le droit de l’Union permet-il que la victime de l’abus reste entre les mains de l’administration employeuse responsable de cet abus, en prolongeant sa situation temporaire abusive par le maintien dans son poste jusqu’à ce que l’administration décide de nommer à ce poste un agent public permanent, si bien que le travailleur victime de l’abus reste pendant ce temps dans une situation caractérisée par une absence de protection et une vulnérabilité vis-à-vis de l’employeur, de l’insécurité, de la pénibilité et une souffrance psychologique, par l’absence de droits du travail et de droits sociaux ainsi qu’une précarité personnelle, familiale et sociale ?
Lorsqu’un État membre n’a pas transposé la directive 1999/70 et son accord-cadre en droit national en ce qui concerne le secteur public ni prévu une mesure de sanction qui garantisse le respect des objectifs de la clause 5 de l’accord-cadre dans ce secteur, et lorsque la réglementation régissant la responsabilité patrimoniale des administrations publiques et les indemnisations qu’elle prévoit ne garantissent pas non plus le respect de ces objectifs, les autorités nationales peuvent-elles se prévaloir de l’absence de mesures de sanction effectives et proportionnées ainsi que d’indemnités adéquates en droit interne pour ne pas satisfaire à leur obligation de sanctionner les abus incompatibles avec la clause 5 de l’accord-cadre et, partant, pour laisser impuni l’abus ayant été commis ?
Une indemnité peut-elle être considérée comme répondant aux objectifs de la clause 5 de l’accord-cadre, visant à prévenir et à éviter l’utilisation abusive de contrats ou relations de travail dans le secteur public, lorsque, d’une part, le responsable de l’abus est une administration employeuse qui gère des fonds et des budgets de plusieurs millions d’euros, de sorte que le versement d’une indemnité financière à ses travailleurs victimes d’un abus ne la dissuade pas de continuer à commettre des abus à l’encontre de ses agents ; que, d’autre part, s’agissant d’une administration publique, c’est l’ensemble des citoyens qui assument avec leurs impôts les conséquences financières du versement de ces indemnités et non pas l’employeur, autrement dit, les autorités responsables de ces abus ; et que, enfin, ces autorités peuvent considérer qu’il est davantage dans leur intérêt que l’administration employeuse verse l’indemnité afin de ne pas nuire à leur image ou à leur carrière politique ?
Une indemnité garantit-elle la réalisation des objectifs de la clause 5 de l’accord-cadre lorsque la législation nationale exige, comme condition préalable, que la victime de l’abus démontre l’existence de dommages ou de préjudices résultant de sa nomination temporaire abusive ou, au contraire, une telle exigence de preuve du dommage rend-elle pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice de leurs droits par les agents victimes d’un abus ?
Après avoir constaté l’existence d’un abus incompatible avec la clause 5 de l’accord-cadre, les autorités judiciaires peuvent-elles obliger la victime à intenter une nouvelle action en vue de la détermination de la sanction appropriée – en l’espèce, une indemnité qui a déjà été demandée lorsque la victime a contesté la cessation de la relation de travail ou a sollicité l’application de la directive 1999/70 –, dans la mesure où il en résulte pour ce travailleur victime d’abus des inconvénients procéduraux, en termes, notamment, de coût, de durée et de règles de représentation, de nature à rendre excessivement difficile l’exercice des droits qui lui sont conférés par l’ordre juridique de l’Union ?
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1 Arrêt du 13 juin 2024, DG de la Función Pública, Generalitat de Catalunya et Departamento de Justicia de la Generalitat de Catalunya (C-331/22 et C-332/22, EU:C:2024:496).
1 Directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée
(JO 1999, L 175, p. 43).
1 Arrêt du 8 mars 2022, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (Effet direct) (C-205/20, EU:C:2022:168).
1 Directive 2014/67/UE du Parlement Européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à l’exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services et modifiant le règlement (UE) n ° 1024/2012 concernant la coopération administrative par l’intermédiaire du système d’information du marché intérieur (« règlement IMI ») (JO 2014, L 159, p. 11).
1 Arrêt du 4 juillet 2006, Adeneler e.a. (C-212/04, EU:C:2006:443).
1 Arrêt du 14 septembre 2016, Martínez Andrés et Castrejana López (C-184/15 et C-197/15, EU:C:2016:680).
1 Arrêt du 25 octobre 2018, Sciotto (C-331/17, EU:C:2018:859).
1 Ordonnance du 30 septembre 2020, Câmara Municipal de Gondomar (C-135/20, non publiée, EU:C:2020:760).
1 Arrêt du 13 janvier 2022, MIUR et Ufficio Scolastico Regionale per la Campania (C-282/19, EU:C:2022:3).
1 Arrêt du 22 février 2024, Consejería de Presidencia, Justicia e Interior de la Comunidad de Madrid e.a. (C-59/22, C-110/22 et C-159/22, EU:C:2024:149).
1 Arrêt du 7 mars 2018, Santoro (C-494/16, EU:C:2018:166).
1 Ordonnance du 8 janvier 2024, Ministero della Difesa (C-278/23, EU:C:2024:111).
1 Directive 2012/29/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité et remplaçant la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil (JO 2012, L 315, p. 57).