Language of document : ECLI:EU:T:2025:913

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

24 septembre 2025 (*)

« Santé publique – Règles spécifiques d’hygiène des denrées alimentaires d’origine animale – Règlement (CE) no 853/2004 – Point 3, sous e), de l’annexe du règlement délégué (UE) 2024/1141 – Recours en annulation – Qualité pour agir – Intérêt à agir – Recevabilité – Notion de “produit congelé” – Absence de consultation de l’EFSA – Article 13 du règlement no 853/2004 »

Dans l’affaire T‑354/24,

Mowi Poland S.A., établie à Ustka (Pologne), représentée par Me Z. Kiedacz et K. Puchalska, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mme M. Owsiany-Hornung, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

soutenue par

République française, représentée par M. B. Fodda, Mmes B. Travard et P. Chansou, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

Composé, lors des délibérations, de Mme M. J. Costeira (rapporteure), présidente, MM. U. Öberg et P. Zilgalvis, juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Mowi Poland S.A., demande, en substance, l’annulation du point 3, sous e), de l’annexe du règlement délégué (UE) 2024/1141 de la Commission, du 14 décembre 2023, modifiant les annexes II et III du règlement (CE) no 853/2004 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les exigences spécifiques en matière d’hygiène applicables à certaines viandes, aux produits de la pêche, aux produits laitiers et aux œufs (JO L, 2024/1141, ci-après la « disposition attaquée »).

 Antécédents du litige

2        La requérante est une société de droit polonais spécialisée notamment dans la transformation du saumon fumé.

3        Pour trancher le saumon fumé, la requérante utilise la technique du « raidissage », qui consiste à découper les filets de saumon fumé en abaissant leur température initiale à un niveau compris entre – 7 °C et – 14 °C.

4        Le 14 décembre 2023, la Commission européenne a adopté le règlement délégué 2024/1141 qui comprend la disposition attaquée. Cette dernière ajoute à la section VIII, chapitre VII, de l’annexe III du règlement (CE) no 853/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, fixant des règles spécifiques d’hygiène applicables aux denrées alimentaires d’origine animale (JO 2004, L 139, p. 55), le point suivant :

« 4)      Lorsque des produits frais de la pêche, des produits de la pêche non transformés décongelés ou des produits de la pêche transformés doivent être à une température inférieure à celle de la glace fondante pour permettre l’utilisation de machines qui tranchent ou découpent les produits de la pêche, ils peuvent être maintenus à la température requise sur le plan technologique pendant une durée aussi brève que possible et, en tout état de cause, ne dépassant pas 96 heures. L’entreposage et le transport à cette température ne sont pas autorisés.

Lorsque des produits de la pêche congelés doivent être à une température supérieure à – 18 °C pour permettre l’utilisation de machines qui tranchent ou découpent les produits de la pêche, ils peuvent être maintenus à la température requise sur le plan technologique pendant une durée aussi brève que possible et, en tout état de cause, ne dépassant pas 96 heures. Le stockage et le transport à cette température ne sont pas autorisés. »

 Conclusions des parties

5        La requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la disposition attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

6        La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

7        La République française conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours.

 En droit

 Considérations liminaires sur les règles d’hygiène applicables aux produits de la pêche

8        La sécurité sanitaire des denrées alimentaires est régie par un ensemble de règlements qui vise à harmoniser les règles sanitaires au niveau de l’Union européenne.

9        En particulier, le règlement (CE) no 178/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2002, établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires (JO 2002, L 31, p. 1), édicte, conformément à son article 1er, paragraphe 2, les principes généraux régissant les denrées alimentaires et l’alimentation animale en général.

10      Le règlement (CE) no 852/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relatif à l’hygiène des denrées alimentaires (JO 2004, L 139, p. 1), établit, en vertu de son article 1er, paragraphe 1, les règles générales en matière d’hygiène des denrées alimentaires.

11      Le règlement no 853/2004 prévoit, en application de son article 1er, paragraphe 1, des règles spécifiques d’hygiène applicables aux denrées alimentaires d’origine animale.

12      Concernant ces dernières, il résulte de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 853/2004 que les exploitants du secteur alimentaire doivent se conformer aux dispositions correspondantes des annexes II et III dudit règlement.

13      L’annexe III du règlement no 853/2004 prévoit des exigences spécifiques à l’égard de différents secteurs alimentaires. Le secteur des produits de la pêche est régi par la section VIII de cette annexe.

14      Avant l’adoption de la disposition attaquée, la section VIII, chapitre VII, de l’annexe III du règlement no 853/2004 , concernant l’entreposage des produits de la pêche, prévoyait ce qui suit :

« Les exploitants du secteur alimentaire qui entreposent des produits de la pêche doivent assurer le respect des exigences mentionnées ci-après :

1)      les produits de la pêche frais, les produits de la pêche non transformés décongelés, ainsi que les produits de crustacés et de mollusques cuits et réfrigérés, doivent être maintenus à une température approchant celle de la glace fondante [;]

2)      [l]es produits de la pêche congelés doivent être conservés à une température ne dépassant pas les – 18 °C en tous points du produit ; cependant, les poissons entiers initialement congelés en saumure et destinés à l’industrie de la conserve peuvent être maintenus à une température ne dépassant pas – 9 °C ;

[...] »

15      Comme indiqué au point 4 ci-dessus, la disposition attaquée modifie ce chapitre, en y ajoutant le point suivant :

« 4)      Lorsque des produits frais de la pêche, des produits de la pêche non transformés décongelés ou des produits de la pêche transformés doivent être à une température inférieure à celle de la glace fondante pour permettre l’utilisation de machines qui tranchent ou découpent les produits de la pêche, ils peuvent être maintenus à la température requise sur le plan technologique pendant une durée aussi brève que possible et, en tout état de cause, ne dépassant pas 96 heures. L’entreposage et le transport à cette température ne sont pas autorisés.

Lorsque des produits de la pêche congelés doivent être à une température supérieure à – 18 °C pour permettre l’utilisation de machines qui tranchent ou découpent les produits de la pêche, ils peuvent être maintenus à la température requise sur le plan technologique pendant une durée aussi brève que possible et, en tout état de cause, ne dépassant pas 96 heures. Le stockage et le transport à cette température ne sont pas autorisés. »

 Sur la recevabilité du recours

16      Sans soulever formellement d’exception d’irrecevabilité par acte séparé sur le fondement de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, la Commission, soutenue par la République française, conteste la recevabilité du recours au motif, en substance, que la requérante, d’une part, n’a pas qualité pour agir et, d’autre part, n’a pas intérêt à agir.

 Sur la qualité pour agir de la requérante

17      La Commission, soutenue par la République française, fait valoir que la disposition attaquée ne concerne pas directement la requérante au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Cette disposition ne modifierait pas sa situation juridique dans la mesure où, avant son adoption, le droit de l’Union ne permettait pas d’entreposer le saumon fumé à la température utilisée pour son raidissage. En particulier, avant l’adoption de la disposition attaquée, la section VIII, chapitre VII, point 2, de l’annexe III du règlement no 853/2004 aurait été applicable au saumon fumé. En effet, d’une part, si la notion d’« entreposage » n’est pas définie dans le règlement no 853/2004, il conviendrait de se référer à « l’acception généralement admise » et à celle ressortant du contexte du règlement no 853/2004. D’autre part, les produits issus du raidissage seraient des « produits congelés » au sens dudit point 2. Dès lors, avant l’adoption de la disposition attaquée, le recours à la température utilisée pour le raidissage aurait dû avoir lieu dans le processus de production ainsi que pendant une période aussi brève que possible et ne dépassant pas les 96 heures. L’absence de référence à la durée de 96 heures dans les dispositions applicables n’aurait pas eu pour effet d’autoriser la requérante à appliquer la température utilisée pour le raidissage pendant une période plus longue. En outre, la référence à 96 heures prévue par la disposition attaquée ne porterait pas atteinte à la situation juridique de la requérante en ce que cette limite aurait été « déjà connue précédemment comme étant la durée maximale autorisée » et aurait figuré dans différents documents. Ainsi, la disposition attaquée confirmerait la possibilité de recourir au raidissage et se bornerait à apporter davantage de clarté et de lisibilité aux dispositions déjà existantes.

18      La requérante soutient, en substance, qu’elle a qualité pour agir. Elle fait valoir que le règlement délégué 2024/1141 est un acte réglementaire et que la disposition attaquée la concerne directement et ne comporte pas de mesures d’exécution.

19      À cet égard, il convient de rappeler que la recevabilité d’un recours introduit par une personne physique ou morale contre un acte dont elle n’est pas le destinataire, au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, est subordonnée à la condition que lui soit reconnue la qualité pour agir, laquelle se présente dans deux cas de figure. D’une part, un tel recours peut être formé à condition que cet acte la concerne directement et individuellement. D’autre part, une telle personne peut introduire un recours contre un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution si celui-ci la concerne directement (voir arrêt du 30 juin 2022, Danske Slagtermestre/Commission, C‑99/21 P, EU:C:2022:510, point 41 et jurisprudence citée).

20      Partant, il convient de déterminer si, comme le soutient la requérante, elle justifie d’une qualité pour agir au motif que la disposition attaquée est un acte réglementaire qui ne comporte pas de mesures d’exécution et qui la concerne directement.

21      En premier lieu, il convient de constater que, ainsi que le soutient la requérante, d’une part, le règlement délégué 2024/1141 n’a pas été adopté selon la procédure législative. Partant, il ne constitue pas un acte législatif au sens de l’article 289, paragraphe 3, TFUE. D’autre part, ce règlement a une portée générale en ce qu’il s’applique à des situations déterminées objectivement et produit des effets juridiques à l’égard d’une catégorie de personnes envisagées de manière générale et abstraite, à savoir les exploitants du secteur alimentaire. Il s’ensuit que le règlement délégué 2024/1141 est un acte réglementaire au sens de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE.

22      En deuxième lieu, il convient de relever, à l’instar de la requérante, qu’il ressort du libellé de la disposition attaquée qu’elle prévoit des exigences spécifiques en ce qui concerne la technique du raidissage sans que d’autres mesures soient nécessaires. Il s’ensuit que la disposition attaquée ne comporte pas de mesures d’exécution à l’égard de la requérante au sens de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE.

23      En troisième lieu, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par la décision faisant l’objet du recours requiert que deux critères soient cumulativement réunis, à savoir, d’une part, que la mesure incriminée produise directement des effets sur la situation juridique d’une partie requérante et, d’autre part, qu’elle ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires de cette mesure chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation incriminée sans application d’autres règles intermédiaires (arrêts du 5 mai 1998, Dreyfus/Commission, C‑386/96 P, EU:C:1998:193, point 43, et du 10 septembre 2009, Commission/Ente per le Ville Vesuviane et Ente per le Ville Vesuviane/Commission, C‑445/07 P et C‑455/07 P, EU:C:2009:529, point 45).

24      S’agissant du premier critère, il convient d’observer que, conformément à la jurisprudence, une disposition produit directement des effets sur la situation juridique d’un particulier si elle restreint ses droits ou si elle lui impose des obligations (arrêt du 7 juillet 2015, Federcoopesca e.a./Commission, T‑312/14, EU:T:2015:472, point 36).

25      Il convient donc d’examiner si la disposition attaquée restreint les droits de la requérante ou lui impose des obligations.

26      À cet égard, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort du point 15 ci-dessus, la disposition attaquée, d’une part, prévoit expressément la possibilité de recourir au raidissage comme étape de production, en précisant que le maintien des produits de la pêche à la température requise par cette technique doit être limité à « une durée aussi brève que possible et, en tout état de cause, ne dépassant pas 96 heures » et, d’autre part, dispose que l’entreposage, le stockage et le transport à cette température ne sont pas autorisés.

27      S’agissant de la possibilité de recourir au raidissage comme étape de production, il convient d’observer, à l’instar de la requérante, que, avant l’adoption de la disposition attaquée, aucune disposition des règlements nos 178/2002, 852/2004 ou 853/2004 n’y faisait référence.

28      En effet, ainsi que le soutient la Commission, avant l’adoption de cette disposition, le raidissage était décrit à l’annexe III du « Guide européen de bonnes pratiques applicables aux poissons fumés et/ou salés et/ou marinés » de la European Salmon Smokers Association (ESSA, Association européenne des fumeurs de saumon fumé).

29      Ce guide constitue un guide de l’Union de bonnes pratiques d’hygiène et d’application des principes de l’analyse des risques et de la maîtrise des points critiques (ci-après, « HACCP ») au sens de l’article 9 du règlement no 852/2004.

30      Or, ainsi qu’il ressort de l’article 7, second alinéa, du règlement no 852/2004, si l’utilisation des guides de l’Union est encouragée, les exploitants du secteur alimentaire peuvent les utiliser sur une base facultative.

31      Il en va de même, en application de cette dernière disposition, des guides nationaux de bonnes pratiques au sens de l’article 8 du règlement no 852/2004.

32      En outre, ainsi que le fait valoir la Commission, la section 14.1.13 du Code d’usages sur les poissons et les produits de la pêche (Codex Alimentarius), établi par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS), adopté en 2003 et amendé, en dernier lieu, en 2016, prévoit également des conseils techniques pour le tranchage du saumon fumé par la technique du raidissage et il ressort du considérant 15 du règlement no 852/2004 que les exigences concernant le système HACCP devraient prendre en considération les principes énoncés dans le Codex alimentarius.

33      Force est néanmoins de constater que, ainsi qu’il ressort de la partie introductive de ce code, il « fourni[t] des conseils d’ordre général sur la production, l’entreposage et la manipulation des poissons et des produits de la pêche à bord des bateaux de pêche et à terre ».

34      Il s’ensuit que, avant l’adoption de la disposition attaquée, il n’y avait pas d’obligation juridiquement contraignante encadrant le recours au raidissage comme étape de production.

35      En ce qui concerne les exigences relatives à l’entreposage ou au stockage, il convient de vérifier si, ainsi que le fait valoir, en substance, la Commission, soutenue par la République française, avant l’adoption de la disposition attaquée, les dispositions en vigueur prévoyaient déjà l’interdiction de maintenir le saumon fumé à la température requise par le raidissage pendant une période supérieure à 96 heures.

36      À titre liminaire, il convient de relever que, contrairement à ce que soutient la requérante, avant l’adoption de la disposition attaquée, la section VIII de l’annexe III du règlement no 853/2004 était applicable au saumon fumé. À cet égard, il convient de constater que les parties s’accordent à bon droit sur le fait que le saumon fumé est un « produit transformé de la pêche » au sens du point 7.4 de l’annexe I du règlement no 853/2004. Or, comme précisé par la République française, l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 853/2004 établit des règles spécifiques applicables aux denrées alimentaires d’origine animale transformées ou non transformées. En outre, ainsi que le relève la Commission, la section VIII de l’annexe III du règlement no 853/2004 prévoit des dispositions qui s’appliquent aux produits transformés. C’est notamment le cas du chapitre IV de cette section qui prévoit des exigences applicables à certains produits de la pêche transformés.

37      Si la section VIII, point 1, troisième alinéa, de l’annexe III du règlement no 853/2004 prévoit que « [l]a[dite] section s’applique aux produits de la pêche non transformés décongelés et aux produits frais de la pêche auxquels des additifs alimentaires ont été ajoutés conformément à la législation de l’Union », force est de constater, à l’instar de la Commission, que cette disposition a été ajoutée par le règlement no 558/2010 de la Commission, du 24 juin 2010, modifiant l’annexe III du règlement no 853/2004 (JO 2010, L 159, p. 18), dont le considérant 11 prévoit que « [d]ans un souci de cohérence de la législation de l’Union, les exigences applicables à ces produits devraient être les mêmes que celles s’appliquant aux produits frais de la pêche ». Ainsi, il convient de considérer que la section VIII, point 1, troisième alinéa, de l’annexe III du règlement no 853/2004 se borne à préciser que cette section s’applique également aux produits de la pêche non transformés décongelés et aux produits frais de la pêche auxquels des additifs alimentaires ont été ajoutés conformément à la législation de l’Union.

38      S’agissant en particulier des dispositions relatives à l’entreposage des produits de la pêche en vigueur avant l’adoption de la disposition attaquée, il convient d’observer que, premièrement, ainsi qu’il ressort du point 14 ci-dessus, les exigences prévues dans la section VIII, chapitre VII, de l’annexe III du règlement no 853/2004 s’imposent aux exploitants du secteur alimentaire qui entreposent des produits de la pêche.

39      Or, force est de constater que ni le règlement no 853/2004 ni les règlements nos 178/2002 et 852/2004 auxquels il renvoie ne définissent la notion d’« entreposage ». La Commission l’admet d’ailleurs dans ses écritures.

40      Ainsi, il ne ressort pas des dispositions en vigueur avant l’adoption de la disposition attaquée à partir de quel moment un produit de la pêche devait être considéré comme entreposé.

41      Ce constat est renforcé par le fait que, dans la partie sur le contexte de l’exposé des motifs du règlement délégué 2024/1141, il est précisé qu’il est approprié de « clarifier » les exigences en ce qui concerne « l’opération visant à réduire légèrement la température pour le tranchage des produits frais de la pêche ou des produits transformés de la pêche ou à augmenter la température des produits de la pêche congelés et l’interdiction d’entreposer ou de transporter des produits de la pêche à cette température temporaire requise sur le plan technologique » « afin d’éviter toute ambiguïté ».

42      En outre, en réponse au deuxième moyen de la requérante, la Commission soutient que la disposition attaquée « précise la délimitation entre ce qui peut être considéré comme nécessaire dans le cadre de l’étape de production du raidissage, d’une part, et l’entreposage, d’autre part ».

43      L’interprétation de la notion d’« entreposage » proposée par la Commission au regard de « l’acception généralement admise », à savoir « l’action de garder ou de conserver quelque chose dans un endroit déterminé pendant un certain temps, jusqu’à son utilisation ultérieure » ou la protection de quelque chose « contre toute altération, destruction, disparition, etc., par son placement dans des conditions appropriées », n’apporte pas davantage de précisions sur la question de savoir à partir de quel moment un produit de la pêche devait être considéré comme entreposé.

44      S’agissant de l’interprétation contextuelle de cette notion proposée par la Commission, à savoir celle selon laquelle « [l]’entreposage au sens [de la section VIII, chapitre VII,] point 2, [de l’annexe III du règlement no 853/2004] intervient lorsqu’un produit est conservé dans un endroit déterminé dans l’attente de son utilisation ultérieure, par opposition à la situation dans laquelle il serait placé dans un état déterminé en raison d’une nécessité inhérente au processus de production (comme dans le cas du recours au “raidissage” en vue du tranchage) », et de l’argument selon lequel le raidissage, comme étape de production, n’était autorisé « que dans le cadre de la transformation du saumon et pendant une durée aussi brève que possible », de sorte que, après cette période, il s’agissait d’un entreposage, force est de constater que la disposition attaquée introduit une limite de temps de 96 heures. Or, une telle limite de temps constitue une obligation imposée à la requérante conformément à la jurisprudence citée au point 24 ci-dessus, indépendamment de la question de savoir si, comme le soutient la Commission, elle « était déjà connue précédemment comme étant la durée maximale autorisée » et figurait dans différents documents qui, par ailleurs, pour les raisons exposées aux points 28 à 34 ci-dessus, n’ont pas de valeur contraignante.

45      Deuxièmement, il convient de relever que les parties s’accordent à bon droit sur le fait que, avant l’adoption de la disposition attaquée, le saumon fumé, en tant que produit transformé de la pêche, n’entrait pas dans le champ d’application de la section VIII, chapitre VII, point 1, de l’annexe III du règlement no 853/2004.

46      S’agissant de la section VIII, chapitre VII, point 2, de l’annexe III du règlement no 853/2004, force est de constater que ni le règlement no 853/2004 ni les règlements nos 178/2002 et 852/2004 auxquels il renvoie ne définissent la notion de « produit congelé ».

47      L’interprétation de cette notion retenue par la Commission repose sur un document technique de la FAO, sur la partie relative aux produits réfrigérés et réfrigérés à moins de 0 °C du « Guide européen de bonnes pratiques applicables aux poissons fumés et/ou salés et/ou marinés » de l’ESSA ou encore sur une illustration qui figure sur le site Internet du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) et n’est appuyée par aucune référence aux règlements mentionnés au point 46 ci-dessus.

48      En outre, comme le soutient la requérante, dans la section VIII, chapitre VII, point 2, de l’annexe III du règlement no 853/2004, tout comme dans d’autres dispositions de cette annexe, telles que la section I, relative aux viandes d’ongulés domestiques, chapitre VII, point 4, la section V, relative aux viandes hachées, préparations de viandes et viandes séparées mécaniquement, chapitre III, point 2, sous c), ii), ou encore la section VIII, relative aux produits de la pêche, chapitre I, partie I, C, point 1, la notion de « produit congelé » est associée à une température ne dépassant pas – 18 °C.

49      Ainsi, il ne ressort pas des dispositions en vigueur avant l’adoption de la disposition attaquée que le saumon fumé, placé à une température utilisée pour le raidissage, qui varie, en ce qui concerne la pratique de la requérante, entre ‑ 7 °C et ‑ 14 °C, devait être considéré comme un « produit congelé » au sens de la section VIII, chapitre VII, point 2, de l’annexe III du règlement no 853/2004.

50      Ce constat est corroboré par le fait que, aux termes de l’annexe III du « Guide européen de bonnes pratiques applicables aux poissons fumés et/ou salés et/ou marinés » de l’ESSA, à laquelle fait référence la Commission elle-même, les produits « raidis » sont classés dans la catégorie des produits jamais congelés.

51      Il s’ensuit que, avant l’adoption de la disposition attaquée, les exploitants du saumon fumé « raidi » étaient soumis aux exigences prévues au chapitre IX, point 5, de l’annexe II du règlement no 852/2004, auquel fait référence la Commission dans ses écritures et aux termes duquel :

« Les matières premières, les ingrédients, les produits semi-finis et les produits finis susceptibles de favoriser la reproduction de micro-organismes pathogènes ou la formation de toxines ne doivent pas être conservés à des températures qui pourraient entraîner un risque pour la santé. La chaîne du froid ne doit pas être interrompue. Toutefois, il est admis de les soustraire à ces températures pour des périodes de courte durée à des fins pratiques de manutention lors de l’élaboration, du transport, de l’entreposage, de l’exposition et du service des denrées alimentaires, à condition que cela n’entraîne pas de risque pour la santé. Les exploitations du secteur alimentaire procédant à la fabrication, à la manipulation et au conditionnement de produits transformés doivent disposer de locaux adéquats suffisamment vastes pour l’entreposage séparé des matières premières, d’une part, et des produits transformés, d’autre part, et disposer d’un espace d’entreposage réfrigéré suffisant. »

52      Or, il convient de constater que cette disposition fait référence à la possibilité de soustraire les produits des températures auxquelles il n’y a pas de risque sanitaire « pour des périodes de courte durée », sans indication de limite de temps.

53      Dès lors, contrairement à ce que fait valoir, en substance, la Commission, soutenue par la République française, avant l’adoption de la disposition attaquée, il ne ressortait pas avec évidence des dispositions en vigueur qu’il était interdit de maintenir le saumon fumé à la température requise par le raidissage pendant une période supérieure à 96 heures.

54      Dès lors, il y a lieu de considérer que la disposition attaquée impose des obligations à la requérante et que le premier critère de l’affectation directe est rempli.

55      S’agissant du second critère, il convient de constater que la mise en œuvre de la disposition attaquée a un caractère purement automatique et découle de la seule réglementation incriminée sans nécessiter l’application de règles intermédiaires. Il s’ensuit que le second critère de l’affectation directe est également rempli.

56      La requérante doit ainsi être considérée comme étant directement concernée par la disposition attaquée.

57      À la lumière des considérations qui précèdent, il y a lieu de considérer que la requérante a qualité pour agir.

 Sur l’intérêt à agir de la requérante

58      Selon une jurisprudence constante, un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale n’est recevable que dans la mesure où cette dernière a un intérêt à voir annuler l’acte attaqué. Un tel intérêt suppose que l’annulation de cet acte soit susceptible, par elle-même, d’avoir des conséquences juridiques et que le recours puisse ainsi, par son résultat, procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 55 et jurisprudence citée).

59      En l’espèce, il suffit de constater que l’éventuelle annulation de la disposition attaquée est susceptible de procurer un bénéfice à la requérante, à savoir celui de ne pas avoir à se conformer aux exigences imposées par ladite disposition conformément à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 853/2004.

60      Dès lors, la requérante dispose d’un intérêt à agir.

61      À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de déclarer le recours recevable.

 Sur le fond

62      À l’appui de son recours, la requérante invoque formellement quatre moyens, tirés :

–        le premier, de la violation de l’article 290 TFUE, en ce que la disposition attaquée concerne un élément essentiel du règlement no 853/2004 ;

–        le deuxième, de la violation du principe de proportionnalité consacré à l’article 5, paragraphe 4, TUE ;

–        le troisième, de la violation de l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 853/2004, en ce que la disposition attaquée ne s’inscrit pas dans la réalisation des objectifs poursuivis par ce règlement ;

–        le quatrième, de la violation de l’article 13 du même règlement, en ce que la Commission n’a pas consulté l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) lors de la procédure d’élaboration de la disposition attaquée.

63      Le Tribunal estime opportun d’examiner en premier lieu le quatrième moyen.

64      Dans le cadre du quatrième moyen, la requérante soutient, en substance, que, en s’abstenant de consulter l’EFSA dans la procédure d’élaboration de la disposition attaquée, la Commission a violé l’article 13 du règlement no 853/2004.

65      En outre, par des arguments invoqués dans le cadre des premier, deuxième et troisième moyens, elle fait valoir, en substance, que la limite de 96 heures imposée par la disposition attaquée ne repose sur aucune donnée scientifique, que la Commission n’a pas fourni de justification concernant cette limite de temps et que cette institution aurait dû consulter l’EFSA sur la limite de temps à prendre en compte.

66      La Commission, soutenue par la République française, fait valoir que la disposition attaquée ne concerne pas une question susceptible d’avoir un effet important sur la santé publique au sens de l’article 13 du règlement no 853/2004. En effet, cet article limiterait la consultation de l’EFSA à certains cas uniquement, à savoir lorsque les modifications apportées ont une ampleur suffisamment importante. Or, en l’espèce, la disposition attaquée n’apportant pas de modification aux dispositions en vigueur avant son adoption, aucun effet important sur la santé ne saurait être constaté. Cette interprétation serait d’ailleurs confirmée par une lettre du 12 juin 2024 du directeur exécutif de l’EFSA à la présidente du Parlement européen. Par ailleurs, la disposition attaquée clarifierait la situation juridique et ne concernerait pas des questions scientifiques. En outre, il n’existerait pas de preuve scientifique d’une incidence positive des pratiques de la requérante sur la santé des consommateurs.

67      Dans la duplique, en réponse aux arguments de la requérante invoqués dans le cadre des premier, deuxième et troisième moyens, la Commission, soutenue par la République française, relève que, dans son mémoire en défense, elle s’est fondée sur des études démontrant que la température et la durée de congélation du saumon fumé influent considérablement sur sa qualité. En outre, la limite de temps à 96 heures tiendrait compte du temps maximal nécessaire pour procéder au tranchage. Ainsi, cette limite de temps prendrait en considération l’objectif de protection des consommateurs dans le domaine de la sécurité des aliments et les besoins du secteur.

68      Aux termes de l’article 13 du règlement no 853/2004, la Commission consulte l’EFSA sur toute question relevant du champ d’application dudit règlement susceptible d’avoir un effet important sur la santé publique.

69      En l’espèce, il est constant entre les parties que la Commission n’a pas consulté l’EFSA préalablement à l’adoption de la disposition attaquée.

70      Contrairement à ce que soutient la Commission, soutenue par la République française, ainsi qu’il résulte des points 26 à 54 ci-dessus, la disposition attaquée introduit de nouvelles obligations à l’égard de la requérante.

71      La circonstance invoquée par la Commission selon laquelle, dans sa lettre adressée à la présidente du Parlement, le directeur exécutif de l’EFSA a indiqué que « la réduction des risques microbiologiques est déjà couverte par la législation en vigueur, qui définit les conditions de l’entreposage des produits de la pêche », que « [l]e règlement […] no 853/2004 prescrit les températures d’environ 0 °C (glace fondante) pour les produits frais et de – 18 °C pour les produits congelés » et que « [l]e Codex Alimentarius impose que les produits de la pêche frais soient entreposés à la température de glace fondante, et les produits de la pêche congelés, à – 18 °C » est sans incidence sur une telle interprétation.

72      En effet, outre le fait que, conformément à l’article 22, paragraphe 2, du règlement no 178/2002, la mission de l’EFSA est de fournir des avis scientifiques, une telle appréciation n’apporte aucune précision sur les éventuelles dispositions en vigueur avant l’adoption de la disposition attaquée qui définissaient les notions d’« entreposage » ou de « produit congelé », qui indiquaient à partir de quel moment un produit de la pêche devait être considéré comme entreposé ou qui précisaient la température à laquelle un tel produit devait être considéré comme un produit congelé.

73      Il convient donc de vérifier si la Commission était tenue de consulter l’EFSA avant d’adopter la disposition attaquée conformément à l’article 13 du règlement no 853/2004.

74      À cet égard, il convient d’observer que les parties s’accordent à bon droit sur le fait que la question sur laquelle porte la disposition attaquée relève du champ d’application du règlement no 853/2004.

75      S’agissant du point de savoir si ladite question est susceptible d’avoir un effet important sur la santé publique, il convient de constater, au préalable, que, contrairement à ce que soutient la Commission, une telle question implique des appréciations scientifiques. En effet, l’introduction d’une limite de temps pendant laquelle les exploitants des produits de la pêche sont autorisés à maintenir ces produits à la température requise par le raidissage suppose d’analyser et de prendre en compte le temps pendant lequel il peut être considéré que lesdits produits, maintenus à une telle température, n’entraînent pas de risque sanitaire.

76      En ce qui concerne en particulier l’appréciation de l’effet important sur la santé publique, il convient d’observer que, si le règlement délégué 2024/1141 ne contient aucune justification quant à l’introduction des exigences relatives au raidissage, ainsi que cela est précisé au point 41 ci-dessus, il ressort de la partie sur le contexte de l’exposé des motifs de ce règlement qu’il est approprié de « clarifier » les exigences en ce qui concerne « l’opération visant à réduire légèrement la température pour le tranchage des produits frais de la pêche ou des produits transformés de la pêche ou à augmenter la température des produits de la pêche congelés et l’interdiction d’entreposer ou de transporter des produits de la pêche à cette température temporaire requise sur le plan technologique » « afin d’éviter toute ambiguïté ».

77      En outre, il ressort, en substance, du considérant 13 de la version initiale de l’exposé des motifs du règlement délégué 2024/1141 à laquelle renvoie la requérante que, « pour éviter les pratiques abusives consistant à utiliser des exigences de production pour entreposer des produits de la pêche à une température non conforme à la section VIII, chapitre VII, point 2, de l’annexe III [dudit règlement], il convient que l’abaissement ou, pour les produits déjà congelés, l’augmentation de la température aux fins du raidissage se fasse le plus rapidement possible et que l’entreposage des produits de la pêche à une température facilitant le découpage ou le tranchage soit limité dans le temps ».

78      Il convient également de relever que, dans le cadre du présent recours, si la Commission ne se prononce pas expressément sur le point de savoir si la question sur laquelle porte la disposition attaquée est susceptible d’avoir un effet important sur la santé publique, elle soutient, en réponse au deuxième moyen de la requérante, que certains producteurs ont abusé de la tolérance de la législation de l’Union quant au fait de recourir au raidissage dans le processus de production au détriment des consommateurs, étant donné que les filets entreposés à la température du raidissage sont de moins bonne qualité et que le consommateur, pensant acheter un produit qui n’a pas été congelé, est induit en erreur.

79      La Commission relève qu’il ressort d’un certain nombre d’études scientifiques que la température et la durée de congélation du saumon fumé influent considérablement sur sa qualité. Elle renvoie à cet égard, d’une part, à l’étude « Quantification and mapping of tissue damage from freezing in cod by magnetic resonance imaging – ScienceDirect » (Quantification et cartographie des lésions tissulaires causées par la congélation chez le cabillaud à l’aide de l’imagerie par résonance magnétique – ScienceDirect) (Food Control, volume 123, mai 2021, 107734), dont il ressortirait que « [l]a congélation du poisson est une méthode de transformation importante qui peut prolonger la durée de conservation du produit, mais qui peut également entraîner des dommages importants aux tissus si elle n’est pas effectuée correctement » et que « plus la procédure de congélation est à une température négative, moins le processus est dommageable ». D’autre part, elle fait référence à l’étude intitulée « Effect of Freezing on the Shelf Life of Salmon » (Effet de la congélation sur la durée de conservation du saumon) (International Journal of Food Science, août 2018, 1686121), dont il ressortirait que « [l]a durée et la température de stockage sont des facteurs majeurs affectant la perte de qualité et la durée de conservation du poisson, la fraction lipidique étant principalement soumise à des changements autoxydatifs et hydrolytiques au cours du stockage à l’état congelé » et que « [l]es lipides du poisson [...] sont très sensibles à l’oxydation ; celle-ci réduit donc la qualité nutritionnelle, la texture et la couleur du poisson ».

80      Par ailleurs, dans le cadre de ses considérations liminaires sur le cadre juridique, la Commission fait valoir que le saumon fumé, ramené à une température inférieure à celle de congélation, doit être considéré comme un produit congelé et, en tant que tel, dans la mesure où il est entreposé, comme un produit soumis aux dispositions relatives à l’entreposage des produits congelés, à savoir la section VIII, chapitre VII, point 2, de l’annexe III du règlement no 853/2004. Elle précise à cet égard que, du fait de l’entreposage du saumon fumé à la température prévue pour le découpage en tranches, il subsiste un certain pourcentage d’eau qui, à cette température, n’est pas cristallisé, ce qui peut, dans certains cas, permettre le développement de la flore bactérienne dans cette eau. La Commission ajoute que l’entreposage de ce produit à la température du raidissage, en cas de fluctuation des températures, est susceptible de provoquer une lyse cellulaire, c’est-à-dire une désintégration des cellules (lorsque les cristaux de glace endommagent la structure des cellules), ce qui entraîne une augmentation des risques sanitaires et affecte la texture, le goût et la valeur nutritive du produit fini. Elle relève qu’il ressort de la documentation disponible sur le site Internet de la FAO que « [l]es protéines de poisson sont durablement modifiées lors de la congélation et du stockage à froid », que « la vitesse à laquelle cette dénaturation intervient dépend dans une large mesure de la température », que, « à des températures proches du point de congélation, par exemple 28 °F [– 2 °C], des changements importants se produisent rapidement » et que, « même à 15 °F [– 10 °C], les changements sont si rapides qu’un produit initialement de bonne qualité peut se détériorer en quelques semaines ».

81      La Commission soutient également que, si l’on admettait comme étant correcte l’interprétation de la requérante selon laquelle seuls les produits dont la température a été abaissée à – 18 °C peuvent être considérés comme congelés, cela signifierait que les produits de la pêche dont la température n’aurait été abaissée qu’à, par exemple, – 17,5 °C ne seraient pas soumis à l’obligation d’entreposage à une température de – 18 °C et pourraient être vendus aux consommateurs en tant que produits n’ayant jamais été congelés et que cette situation serait « manifestement dangereuse pour la santé des consommateurs », compte tenu du risque auquel ceux-ci seraient exposés du fait de la possibilité que ce même produit ait été décongelé à plusieurs reprises.

82      Ainsi, il peut être déduit des travaux préparatoires du règlement délégué 2024/1141 et des arguments de la Commission développés dans le cadre du présent recours que le motif ayant conduit à l’adoption de la disposition attaquée est lié au fait qu’il existait des « ambiguïtés » dans le cadre juridique antérieur en ce qui concerne le raidissage et l’interdiction d’entreposer et de stocker ou de transporter des produits de la pêche à la température requise par cette technique, alors que le maintien du saumon fumé à cette température pendant une longue période serait susceptible d’entraîner des risques sanitaires.

83      Or, une telle question doit être qualifiée de question susceptible d’avoir un effet important sur la santé publique.

84      À cet égard, il suffit de constater que, ainsi que cela est précisé au point 82 ci-dessus, il ressort, en substance, des arguments de la Commission elle-même que le maintien du saumon fumé à la température requise par le raidissage pendant une longue période est susceptible d’avoir un impact sur la santé des consommateurs et, donc, d’avoir un effet sur la santé publique.

85      En outre, ainsi qu’il ressort également des écritures de la Commission, un tel effet sur la santé publique semble être important. En effet, la Commission précise qu’admettre l’interprétation retenue par la requérante en ce qui concerne la section VIII, chapitre VII, point 2, de l’annexe III du règlement no 853/2004 conduirait à une situation « manifestement dangereuse pour la santé des consommateurs ».

86      Dès lors, il y a lieu de considérer que la Commission était tenue de consulter l’EFSA conformément à l’article 13 du règlement no 853/2004 avant d’adopter la disposition attaquée.

87      Ce constat est renforcé par le fait que, ainsi que le fait valoir la Commission elle-même, il ressort du considérant 27 du règlement no 853/2004 que la législation de l’Union en matière d’hygiène des denrées alimentaires devrait s’appuyer sur des avis scientifiques.

88      Or, force est de relever, à l’instar de la requérante, que la base scientifique prise en compte par la Commission aux fins de l’élaboration de la disposition attaquée ne ressort ni du règlement délégué 2024/1141 ni de son exposé des motifs.

89      D’ailleurs, la Commission ne conteste pas les arguments de la requérante tirés d’une telle absence de base scientifique. En effet, dans la duplique, elle se borne à préciser que, dans le mémoire en défense, elle s’est fondée sur des études démontrant que la température et la durée de congélation du saumon fumé influent considérablement sur sa qualité, mais ne se prononce pas sur l’absence de base scientifique de la disposition attaquée dans le cadre de son élaboration.

90      L’absence de base scientifique de la disposition attaquée dans le cadre de son élaboration peut, en outre, être déduite de l’argument de la Commission en réponse au deuxième moyen de la requérante, selon lequel la durée maximale de 96 heures résulte d’un « consensus parmi les producteurs du secteur » quant au temps nécessaire au tranchage du saumon fumé faisant l’objet d’un raidissage et selon lequel il « s’agit sans doute d’un délai raisonnable et suffisant pour réaliser le processus de tranchage à proprement parler, compte tenu des besoins logistiques et organisationnels du secteur à cette étape de la production ».

91      Certes, ainsi que le fait valoir la Commission, la présidente du Parlement a demandé à l’EFSA, conformément à l’article 29, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 178/2002, dans une lettre du 14 mai 2024, d’émettre un avis scientifique sur l’impact des procédures de raidissage et de décongélation sur la survie et le développement des risques biologiques, à laquelle le directeur exécutif de cette dernière a répondu par la lettre du 12 juin 2024, dans laquelle il précise qu’il n’est « en mesure d’identifier aucune question en suspens en matière de sécurité alimentaire ou de risque pour la santé publique dans les conditions d’entreposage décrites dans la demande ».

92      Toutefois, force est de constater qu’un tel échange est postérieur à l’adoption du règlement délégué 2024/1141, à savoir le 14 décembre 2023, et que, de ce fait, il est, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de ce règlement.

93      Dès lors, à la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’accueillir le quatrième moyen et d’annuler la disposition attaquée, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres arguments et moyens invoqués par la requérante.

 Sur les dépens

94      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la requérante, conformément aux conclusions de celle-ci.

95      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Il s’ensuit que la République française supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le point 3, sous e), de l’annexe du règlement délégué (UE) 2024/1141 de la Commission, du 14 décembre 2023, modifiant les annexes II et III du règlement (CE) no 853/2004 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les exigences spécifiques en matière d’hygiène applicables à certaines viandes, aux produits de la pêche, aux produits laitiers et aux œufs, est annulé.

2)      La Commission européenne est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par Mowi Poland S.A.

3)      La République française supportera ses propres dépens.

Costeira

Öberg

Zilgalvis

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 24 septembre 2025.

Signatures


*      Langue de procédure : le polonais.