Language of document : ECLI:EU:T:2025:905

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

24 septembre 2025(*)

« Fonction publique – Personnel de la BEI – Plainte pour harcèlement moral – Décision adoptée en exécution d’un arrêt du Tribunal – Nouvelle enquête administrative – Erreur de fait – Erreur d’appréciation – Responsabilité »

Dans l’affaire T‑222/24,

KF, représentée par Me L. Levi, avocate,

partie requérante,

contre

Banque européenne d’investissement (BEI), représentée par MM. J. Pawlowicz, T. Gilliams et Mme K. Carr, en qualité d’agents, assistés de Me B. Wägenbaur, avocat,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé, lors des délibérations, de M. R. da Silva Passos, président, Mmes N. Półtorak (rapporteure) et I. Reine, juges,

greffier : M. L. Ramette, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 27 mars 2025,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 270 TFUE et sur l’article 50 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la requérante, KF, demande, d’une part, l’annulation de la décision de la Banque européenne d’investissement (BEI) du 17 janvier 2024 (ci-après la « décision attaquée ») en ce qu’elle porte rejet partiel de sa plainte pour harcèlement moral et, d’autre part, la réparation du préjudice moral qu’elle aurait subi de ce fait.

 Antécédents du litige

2        La requérante, ancienne cheffe de l’unité [confidentiel](1) de la BEI, a intégré celle-ci au mois de novembre 2014, au titre d’un contrat à durée déterminée. Le 1er novembre 2017, ce contrat a été prolongé jusqu’au 1er novembre 2020.

3        Un nouveau directeur de la direction [confidentiel] de la BEI (ci-après la « [confidentiel] »), A, a été nommé au mois de mai 2016. Il a occupé cette fonction jusqu’au mois de décembre 2018. Un nouveau chef de division par intérim, B, a été nommé au mois de février 2018.

4        Le 1er juillet 2018, la requérante a été placée en congé de maladie, car elle souffrait d’une [confidentiel] se manifestant par différents symptômes. Après s’être d’abord vu prescrire un traitement médicamenteux, elle a été hospitalisée [confidentiel] 2018.

5        Le 14 décembre 2018, le coordinateur de bien-être de la BEI a organisé une réunion en vue de la reprise du travail de la requérante, laquelle s’est tenue le 9 janvier 2019, en présence, notamment, dudit coordinateur, de représentants des services centraux et de membres du personnel du service des ressources humaines ainsi que de B et de la requérante (ci-après la « réunion du 9 janvier 2019 »).

6        Du 14 janvier au 31 mars 2019, la requérante a travaillé à temps partiel. À partir du 1er avril 2019, la requérante a repris un régime de travail à temps plein jusqu’au 31 mai 2019, date à laquelle elle a de nouveau été placée en congé de maladie.

7        Le 21 mars 2019, la requérante a déposé une plainte en raison des comportements de A et de B au titre de la procédure d’enquête prévue par la politique en matière de respect de la dignité de la personne au travail, dans sa version alors applicable.

8        Le 27 janvier 2020, le président de la BEI a rejeté la plainte de la requérante, décision contre laquelle la requérante a introduit un recours devant le Tribunal.

9        Par décision du 14 avril 2020, la BEI a arrêté que le contrat de la requérante ne serait pas renouvelé et qu’il expirerait donc le 31 octobre 2020.

10      Par arrêt du 30 mars 2022, KF/BEI (T‑299/20, non publié, EU:T:2022:171), le Tribunal a annulé la décision du 27 janvier 2020 de la BEI rejetant la plainte pour harcèlement présentée le 21 mars 2019 par la requérante.

11      Le 4 novembre 2022, à la suite de l’arrêt du 30 mars 2022, KF/BEI (T‑299/20, non publié, EU:T:2022:171), la BEI a ouvert une nouvelle procédure de dignité au travail, régie par la politique en matière de respect de la dignité de la personne au travail.

12      Le 5 décembre 2023, le comité d’enquête a adopté son rapport final et a conclu que, s’agissant de A, les allégations de la requérante étaient établies. En ce qui concerne B, le comité d’enquête a estimé que trois des quatre allégations formulées par la requérante dans sa plainte étaient fondées.

13      Dans la décision attaquée, l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») a entériné les conclusions du comité d’enquête et a conclu à l’existence d’un harcèlement en ce qui concernait A. Elle s’est toutefois écartée des conclusions du comité d’enquête concernant B, rejetant ainsi, partiellement, la plainte de la requérante.

 Conclusions des parties

14      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée en ce qu’elle rejette sa plainte pour harcèlement en tant qu’elle concerne B ;

–        condamner la BEI à la réparation de son préjudice moral, évalué à 50 000 euros ;

–        condamner la BEI aux dépens.

15      La BEI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

16      Au soutien de ses conclusions en annulation, la requérante invoque deux moyens, tirés, le premier, de la violation de la politique en matière de respect de la dignité de la personne au travail et des compétences respectives de l’AIPN et du comité d’enquête et, le second, de la violation de la notion de harcèlement et d’erreurs d’appréciation.

17      Le Tribunal estime qu’il convient d’examiner d’abord le second moyen.

18      Dans le cadre du second moyen, la requérante soutient que, en concluant, dans la décision attaquée, à l’absence de faits de harcèlement de la part de B, l’AIPN a méconnu la matérialité des éléments de fait ainsi que des éléments de preuve et commis une erreur d’appréciation desdits faits, pris isolément ou de façon combinée. Son argumentation se décline en trois griefs.

19      Premièrement, la requérante conteste la position de la BEI selon laquelle le comité d’enquête a commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que, à plusieurs reprises, B l’avait publiquement accusée d’avoir délibérément caché des rapports d’activité annuels et des données brutes concernant les [confidentiel].

20      Deuxièmement, la requérante s’oppose à l’appréciation de la BEI selon laquelle la rédaction par B d’un rapport d’évaluation à son retour de congé de maladie et le contenu de celui-ci ne constituaient pas des faits de harcèlement.

21      Troisièmement, la requérante remet en cause la position de la BEI selon laquelle les décisions managériales relatives à sa réintégration à son retour de congé de maladie en janvier 2019 ne sont ni constitutives de harcèlement ni imputables à B.

22      La BEI conteste l’argumentation de la requérante.

23      Premièrement, quant au caractère public des critiques prétendument formulées par B, la BEI affirme que les témoignages du témoin P indiquent uniquement que lesdites critiques avaient été formulées par le chef d’unité par intérim, et non par B lui-même, et ce non publiquement, et que le témoignage oral de P diffère substantiellement de son témoignage écrit. Elle ajoute qu’aucun autre témoin interrogé par le comité d’enquête n’a pu confirmer de manière certaine que B avait critiqué publiquement la requérante. Elle ajoute que le comité d’enquête a formulé, notamment au point 63 du rapport d’enquête, des considérations spéculatives en utilisant les expressions « il est très probable » ou « a probablement parlé de ce problème ». Par ailleurs, une discussion bilatérale entre B et le chef d’unité par intérim, dans le bureau de B, ne saurait être considérée comme ayant pris place dans un open space et serait dès lors non publique.

24      La BEI soutient qu’il n’est pas possible de retenir des éléments de preuve quant à une diffamation publique prétendument commise par B à l’encontre de la requérante du fait que B a reconnu que la prétendue impossibilité de localiser les données brutes avait créé des tensions au sein de l’unité et que cet épisode avait fait l’objet de discussions parmi les membres de l’unité ainsi que du fait que B a reconnu la possibilité d’avoir émis des critiques sur ce point. Il s’agirait, au contraire, de circonstances et de dynamiques de travail normales, pouvant survenir dans n’importe quelle unité, par rapport à un sujet qui revêt une importance certaine pour son fonctionnement. En tout état de cause, même si de telles critiques avaient été formulées parmi les membres de l’unité, qui n’avaient pas pu localiser lesdites données pendant l’absence de la requérante, elles ne sauraient être considérées comme ayant été formulées publiquement par B. En outre, la BEI argue que le fait, pour un supérieur, d’émettre une critique à l’égard d’un subordonné n’est pas en soi une preuve de harcèlement, ainsi que le confirmerait l’arrêt du 11 juillet 2013, Tzirani/Commission (F‑46/11, EU:F:2013:115, point 97), et souligne que la requérante ne conteste pas le point 64 de la décision attaquée, à savoir la déclaration de B quant au fait que les données brutes en question n’avaient pas été sauvegardées dans un endroit facilement accessible et que, même si cela ne les avait pas rendues impossibles à récupérer, cela avait entraîné un travail supplémentaire important pour le chef d’unité par intérim, ainsi que cela serait confirmé par le comité d’enquête au point 40 du rapport d’enquête.

25      Deuxièmement, en ce qui concerne le rapport d’évaluation de la requérante, la BEI avance que le comité d’enquête n’a pas rassemblé d’éléments pertinents et concordants démontrant que l’adoption du rapport en question était de nature à caractériser le fait que B avait instrumentalisé la procédure d’évaluation pour faussement accuser et attaquer la requérante.

26      À cet égard, tout d’abord, la BEI soutient que le rapport d’évaluation est préparé pour tous les membres du personnel, y compris ceux qui sont en congé de longue durée, même si le membre du personnel est évalué comme étant « performant » de manière automatique du fait d’une absence pour congé de maladie de plus de six mois. De fait, tous les autres membres du personnel de la BEI auraient également été soumis à l’établissement d’un rapport d’évaluation, sans exception, en vertu de l’article 22 du règlement du personnel de la BEI. En outre, cette évaluation automatique n’exclurait nullement que l’évaluateur ajoute des appréciations. Enfin, bien que les lignes directrices en matière de performances ne mentionnent pas explicitement la formulation d’observations dans les rapports d’évaluation établis pour les personnes en congé de longue durée, une telle ligne de conduite serait conseillée aux évaluateurs par les ressources humaines.

27      Ensuite, la BEI ajoute que la suggestion du service médical de reporter l’évaluation de la requérante devait être mise en balance avec les impératifs liés à la finalisation de l’exercice d’évaluation des performances au sein de la BEI. Ainsi, l’entretien d’évaluation du 18 janvier 2019 aurait eu lieu à la date la plus tardive possible en tenant compte de ces différentes exigences.

28      Enfin, de l’avis de la BEI, le rapport d’évaluation de la requérante ne démontre pas une intention de punir cette dernière, dès lors que B a simplement introduit un commentaire portant sur une question plus générale, qui se concentrait sur le partage d’informations clés et leur accessibilité. Étant donné que le chef d’unité par intérim avait dû se mettre à la recherche de ces informations et que les membres de l’unité n’étaient pas en mesure de les trouver, selon la BEI, B pouvait, en tant qu’évaluateur, mentionner objectivement ce point dans le rapport. Par ailleurs, les quatre témoignages cités au point 63 de la décision attaquée concorderaient en ce qu’ils indiqueraient que personne dans l’unité n’était parvenu à trouver les informations requises dans le système de gestion électronique des données (GED). Le comité d’enquête aurait commis une erreur manifeste en ne prenant pas en considération lesdits témoignages et il aurait omis de prendre en compte le fait que le service des ressources humaines avait conseillé à B d’évaluer la requérante.

29      Troisièmement, à propos de l’attitude de B à la suite de la reprise du travail de la requérante, la BEI souligne que la décision de réaffecter cette dernière de manière temporaire à d’autres fonctions n’émanait pas de B, mais d’une décision collégiale de la hiérarchie et que cette décision était justifiée d’un point de vue managérial, mais aussi par le respect du devoir de sollicitude, qui impliquait de réintégrer progressivement la requérante et de ne pas la soumettre à un stress non nécessaire alors qu’elle travaillait encore à temps partiel. Au soutien de sa position, la BEI invoque, notamment, le témoignage du témoin D, qui indiquerait ce qui suit :

« En général, lorsque [la BEI a] des personnes de niveau managérial, chef d’unité et au-dessus, qui partent en congé de maladie, lorsqu’elles retournent au travail, que ce soit sur une base de 50 %, 70 %, 80 % ou 100 %, nous leur confions normalement un rôle dans lequel elles n’ont pas à assumer des fonctions de gestionnaire dès le premier jour. »

30      À titre liminaire, en premier lieu, il convient de rappeler que le code de conduite du personnel du groupe BEI énonce, à son point 4.5, ce que suit :

« Toutes les formes de harcèlement, telles que définies dans la [p]olitique en matière de respect de la dignité de la personne au travail […], sont jugées inacceptables et ne sont ni tolérées, ni passées sous silence. La [p]olitique en matière de respect de la dignité de la personne au travail […] énonce des règles de conduite concrètes en la matière. »

31      L’article 1.1 de la politique en matière de respect de la dignité de la personne au travail dispose que « [l]e harcèlement moral désigne tout comportement abusif et non désiré se manifestant de façon durable, répétitive ou systématique par des comportements, des paroles, des écrits, des gestes ou d’autres actes intentionnels qui peuvent porter atteinte à la personnalité, la dignité ou l’intégrité physique ou psychique d’une personne », qu’« [u]n comportement peut être qualifié de [h]arcèlement au sens de la [p]olitique même s’il n’a pas été commis avec l’intention délibérée de nuire » et qu’« [i]l suffit qu’un tel comportement n’ait pas été accidentel et qu’il ait objectivement conduit à discréditer la [v]ictime [p]résumée ou à dégrader les conditions de travail de cette dernière ».

32      Par conséquent, au sens de la définition donnée du harcèlement moral à l’article 1.1 de la politique en matière de respect de la dignité de la personne au travail, des propos, des attitudes ou des agissements d’un membre du personnel de la BEI à l’égard d’un autre membre de ce personnel sont constitutifs de harcèlement moral dès lors qu’ils ont entraîné objectivement une atteinte à l’estime de soi et à l’assurance de cette personne.

33      La définition de la notion de « harcèlement moral » contenue à l’article 1.1 de la politique en matière de respect de la dignité de la personne au travail exige un caractère répétitif et durable des comportements, des paroles, des écrits, des gestes ou d’autres actes intentionnels hostiles ou déplacés afin que ceux-ci puissent relever de cette notion. De ce point de vue, cette définition présente une analogie avec celle, visée à l’article 12 bis du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), qui définit le harcèlement moral, pour les fonctionnaires et agents relevant de ce statut, comme étant une « conduite abusive » qui se matérialise par des comportements, des paroles, des actes, des gestes ou des écrits manifestés « de façon durable, répétitive ou systématique », ce qui implique que le harcèlement moral doit être compris comme un processus s’inscrivant nécessairement dans le temps et suppose l’existence d’agissements répétés ou continus et qui sont « volontaires », par opposition à « accidentels » (voir, en ce sens, arrêt du 30 mars 2022, KF/BEI, T‑299/20, non publié, EU:T:2022:171, point 34 et jurisprudence citée).

34      Dès lors, cette référence dans la jurisprudence relative à l’article 12 bis du statut à un « processus s’inscrivant nécessairement dans le temps et suppos[ant] l’existence d’agissements répétés ou continus » peut également s’appliquer, par analogie, aux fins de l’application de la notion de « harcèlement moral », aux agents de la BEI (voir arrêt du 30 mars 2022, KF/BEI, T‑299/20, non publié, EU:T:2022:171, point 35 et jurisprudence citée).

35      En tant que résultante d’un processus tel que celui décrit au point 34 ci-dessus, le harcèlement moral peut, par définition, être le résultat d’un ensemble de comportements différents d’un membre du personnel de la BEI à l’égard d’un autre, qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement constitutifs en soi d’un harcèlement moral, mais qui, appréciés globalement et de manière contextuelle, y compris en raison de leur accumulation dans le temps, pourraient être considérés comme ayant « port[é] atteinte à la personnalité, la dignité ou l’intégrité physique ou psychique » de la personne destinataire desdits comportements au sens de l’article 1.1 de la politique en matière de respect de la dignité de la personne au travail (voir, par analogie, arrêt du 30 mars 2022, KF/BEI, T‑299/20, non publié, EU:T:2022:171, point 36).

36      Lorsqu’est examinée la question de savoir si des comportements invoqués par une partie requérante sont constitutifs d’un harcèlement moral, il convient d’examiner ces faits tant isolément que conjointement en tant qu’éléments d’un environnement global de travail créé par les comportements d’un membre du personnel à l’égard d’un autre membre de ce personnel (arrêt du 30 mars 2022, KF/BEI, T‑299/20, non publié, EU:T:2022:171, point 37).

37      En outre, l’agissement en cause devant, en vertu de l’article 12 bis, paragraphe 3, du statut, présenter un caractère abusif, il s’ensuit que la qualification de harcèlement est subordonnée à la condition que celui-ci revête une réalité objective suffisante, au sens où un observateur impartial et raisonnable, doté d’une sensibilité normale et placé dans les mêmes conditions, considérerait le comportement ou l’acte en cause comme étant excessif et critiquable (voir arrêt du 13 juillet 2018, Curto/Parlement, T‑275/17, EU:T:2018:479, point 78 et jurisprudence citée).

38      En deuxième lieu, il convient de rappeler que l’objectif d’une enquête administrative est d’établir les faits et d’en tirer, en connaissance de cause, les conséquences appropriées tant au regard du cas faisant l’objet de l’enquête que d’une manière générale et afin de satisfaire au principe de bonne administration, pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise à l’avenir (voir arrêt du 13 juillet 2018, Curto/Parlement, T‑275/17, EU:T:2018:479, point 59 et jurisprudence citée).

39      Lorsque, en réponse à une demande d’assistance pour des faits allégués de harcèlement, l’AIPN ou l’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement estime être en présence d’un commencement de preuve suffisant, rendant nécessaire l’ouverture d’une enquête administrative, il faut nécessairement que cette enquête soit conduite jusqu’à son terme, afin que l’administration, éclairée par les conclusions du rapport établi à l’issue de cette enquête, puisse prendre une position définitive à cet égard, lui permettant alors soit de classer sans suite la demande d’assistance, soit, lorsque les faits allégués sont avérés et relèvent du champ d’application de l’article 12 bis du statut, notamment, d’engager une procédure disciplinaire en vue, le cas échéant, de prendre des sanctions disciplinaires à l’encontre du harceleur présumé (voir arrêt du 24 avril 2017, HF/Parlement, T‑570/16, EU:T:2017:283, points 56 et 57 et jurisprudence citée).

40      L’établissement des faits par l’institution à l’issue de l’enquête est essentiel pour la personne qui s’estime victime de harcèlement. Une situation de harcèlement, si elle est établie, porte préjudice à la personnalité, à la dignité et à l’intégrité physique ou psychique de la victime et la reconnaissance, à la suite de l’enquête administrative, de l’existence d’un harcèlement moral est en elle-même susceptible d’avoir un effet bénéfique dans le processus thérapeutique de reconstruction de la victime (arrêt du 14 juillet 2021, AI/ECDC, T‑65/19, EU:T:2021:454, point 95).

41      Il doit notamment être constaté que l’objet même de la procédure formelle d’enquête prévue par la politique en matière de respect de la dignité de la personne au travail est d’« établir les faits et [d’]adopter des mesures adéquates » (considérant 4 de cette politique). Dans le cadre de cette procédure formelle d’enquête, le mandat du comité consiste à « procéder à une enquête approfondie […] en vue d’établir les faits relatifs au [h]arcèlement allégué, tels que décrits dans la [p]lainte ou dans la [n]ote » [article 26.2, sous a), de ladite politique]. Ainsi, le comité est tenu de « mener l’[e]nquête, ce qui implique notamment une appréciation des faits » [article 27.1, sous a), de cette même politique]. La victime présumée est, pour sa part, tenue d’apporter un « commencement de preuve que le [h]arcèlement allégué a eu lieu » (article 28.1 de ladite politique).

42      En l’occurrence, les articles 33.1 et 33.2 de la politique en matière de respect de la dignité de la personne au travail disposent que l’AIPN, aux fins de l’adoption de la « décision finale », prend « en considération les constatations, les conclusions et les recommandations du [comité d’enquête] ainsi que les recommandations du [directeur général] ou du chef [des ressources humaines] » et qu’elle « adopte et notifie aux parties une décision motivée concernant la [p]lainte […] dans un délai de 20 jours ouvrables à compter du jour où [elle a reçu] le [r]apport [f]inal ».

43      En troisième lieu, il importe d’indiquer que, afin de statuer sur le bien-fondé du second moyen, dans lequel la requérante remet en cause l’appréciation, par l’AIPN, de différents comportements dont elle estime qu’ils sont constitutifs d’un harcèlement moral, il convient de rechercher si la BEI a commis une erreur d’appréciation des faits au regard de la définition de la notion de « harcèlement moral » visée à l’article 1.1 de la politique en matière de respect de la dignité de la personne au travail, et non une erreur manifeste d’appréciation de ces faits (voir, par analogie, arrêt du 30 mars 2022, KF/BEI, T‑299/20, non publié, EU:T:2022:171, point 44 et jurisprudence citée).

44      En quatrième lieu, selon la jurisprudence, l’administration est tenue, en vertu du principe de bonne administration qui est consacré par l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d’espèce dont elle est saisie et de réunir tous les éléments de fait et de droit nécessaires à l’exercice de son pouvoir d’appréciation ainsi que d’assurer le bon déroulement et l’efficacité des procédures qu’elle met en œuvre (voir arrêt du 5 juin 2019, Bernaldo de Quirós/Commission, T‑273/18, non publié, EU:T:2019:371, point 58 et jurisprudence citée).

45      La requérante estime que l’AIPN, en concluant à l’absence de faits de harcèlement de la part de B, a commis une erreur d’appréciation. L’AIPN aurait méconnu l’existence de faits de harcèlement, pris isolément ou de façon combinée, ainsi que la matérialité des éléments de faits et des éléments de preuve.

46      Dans le rapport d’enquête, le comité d’enquête a conclu que la plainte déposée par la requérante le 21 mars 2019 contre A et B ainsi que les allégations et accusations présentées par elle avaient été considérées lors de l’enquête comme étant établies. En ce qui concerne A, le comité a considéré que toutes les allégations devaient être considérées comme étant établies. En ce qui concerne B, le comité d’enquête a considéré que trois des quatre allégations visant cette personne étaient établies. Le comité d’enquête a conclu que « le comportement global et réitéré de [A] et de [B] envers la plaignante constitu[ait] clairement un cas de harcèlement moral au sens de l’article 1er de la [p]olitique en matière de [d]ignité de la personne au [t]ravail ».

47      Dans la décision attaquée, l’AIPN a considéré que, en ce qui concernait A, il n’y avait pas lieu de s’écarter des conclusions établies par le comité d’enquête. Elle a également considéré que, s’agissant de B, le comité d’enquête avait formulé des conclusions appropriées en considérant que la première allégation formulée par la requérante n’était pas constitutive d’un harcèlement moral. En revanche, l’AIPN a estimé que le comité d’enquête avait commis une erreur manifeste d’appréciation en concluant que trois des autres allégations soulevées par la requérante à l’encontre de B étaient constitutives d’un harcèlement moral.

48      Dans ce contexte, l’AIPN a estimé qu’il y avait lieu de s’écarter des conclusions du comité d’enquête à cet égard et a conclu que B ne s’était pas rendu coupable de harcèlement moral envers la requérante au sens de l’article 1.1 de la politique en matière de dignité de la personne au travail.

49      Partant, il convient d’examiner si, dans la décision attaquée, laquelle s’écarte des conclusions du comité d’enquête s’agissant de l’appréciation des trois griefs reprochés à B et tirés, premièrement, du comportement autoritaire et critique de B à l’égard du travail de la requérante, deuxièmement, de l’évaluation par B du niveau des prestations de la requérante et, troisièmement, d’une situation d’isolement et de mise à l’écart de la requérante à l’issue de son congé de maladie, l’AIPN a commis une erreur de fait et une erreur d’appréciation des faits au regard de la définition de la notion de « harcèlement moral ».

 Sur le comportement autoritaire de B

50      La requérante conteste la position de l’AIPN selon laquelle le comité d’enquête a commis une erreur manifeste en considérant que, à plusieurs reprises, B l’avait publiquement accusée d’avoir délibérément caché des rapports d’activité annuels et des données brutes [confidentiel] (ci-après les « données manquantes »).

51      Dans le rapport d’enquête, le comité d’enquête a considéré comme étant matériellement établi le fait que B avait, lors de ses discussions avec le chef d’unité par intérim, avec la hiérarchie et dans le service, à propos du problème allégué des données manquantes, exprimé de fortes critiques à l’égard du comportement de la requérante et fait des commentaires très critiques à son propos devant d’autres collègues du service, de manière injustifiée et injuste.

52      Dans la décision attaquée, l’AIPN a estimé que le comité d’enquête avait commis une erreur manifeste en considérant que, à plusieurs occasions, B avait accusé publiquement la requérante d’avoir délibérément caché des rapports annuels d’activité et fait de la rétention de données. L’AIPN remet en cause, en particulier, l’interprétation faite par le comité d’enquête des témoignages du témoin P, recueillis, le premier, en 2019, par le premier comité d’enquête et, le second, par le nouveau comité d’enquête.

53      S’écartant ainsi des conclusions du comité d’enquête, l’AIPN a considéré que le témoin P n’avait pas fourni de témoignage permettant de confirmer que B avait accusé publiquement la requérante d’avoir délibérément caché des rapports annuels d’activité et fait de la rétention de données.

54      Il convient de relever que, dans son premier témoignage, daté du 19 juillet 2019, le témoin P a indiqué ce qui suit :

« Pendant l’absence de [la requérante], [le chef d’unité par intérim] est ven[u] pratiquement tous les jours dans le bureau de [B] à côté du mien à l’époque, pour se plaindre du travail qui avait été fait par [la requérante], de manière virulente et publique et avec l’approbation de [B] sur les soi-disant manquements de [la requérante], faits que j’ai trouvés non seulement choquants et déplacés[,] mais également étonnants du fait du parcours professionnel de [la requérante]. Je me souviens particulièrement d’une plainte courant août concernant un travail que [la requérante] aurait dû finaliser mais du fait de son absence, ce document n’avait pas été remis comme [cela était] attendu par [B]. Ce dernier a appelé [la requérante] à plusieurs reprises pour lui demander de remettre ce travail, ce qu’elle a fait malgré son arrêt de maladie. [B] et [le chef d’unité par intérim] ont cependant continué à la blâmer publiquement (nous étions dans un open space), et à remettre en cause tout le travail exécuté par [la requérante], de façon générale, ce qui m’a marqué car ni l’un ni l’autre n’ont, à mes yeux, les compétences et connaissances nécessaires pour attaquer si violemment son professionnalisme. »

55      Le témoin P a confirmé avoir tenu les propos mentionnés au point 54 ci-dessus lors de son audition devant le nouveau comité d’enquête. Cependant, le témoin P a précisé « qu’il ne pouvait pas confirmer les cris et les critiques de [B] à l’égard de [la requérante], mais [qu’il] a[vait] entendu et vu un collègue de la requérante venir dans son bureau presque chaque jour pour se plaindre de la [requérante] dans des termes inappropriés » (ci-après le « nouveau témoignage »).

56      Dans la décision attaquée, l’AIPN soutient que les témoignages de P ne démontrent pas que B avait critiqué la requérante « en public » ni que la critique formulée à l’égard des données manquantes relevait d’une discussion de « personne à personne », entre B et le chef d’unité par intérim.

57      À cet égard, il y a lieu de noter que, dans ses écritures, la requérante ne conteste pas l’affirmation de l’AIPN selon laquelle, en dehors du témoin P, aucune autre personne entendue par le comité d’enquête n’a confirmé le caractère public des accusations alléguées.

58      Or, dans le nouveau témoignage, ainsi que cela est rappelé au point 55 ci-dessus, le témoin P affirme qu’il ne peut pas confirmer « les cris et les critiques » de B à l’égard de la requérante.

59      Cependant, le comité d’enquête a considéré que, malgré son caractère contradictoire, le nouveau témoignage avait confirmé le premier témoignage de P. Dans ces conditions, l’AIPN a pu considérer à juste titre que ce témoin n’avait pas fourni la confirmation que B avait publiquement accusé la requérante d’avoir délibérément caché des rapports d’activité annuels et des données brutes [confidentiel].

60      Par ailleurs, la circonstance selon laquelle B a pu évoquer avec sa hiérarchie les difficultés rencontrées par l’unité de la requérante du fait que certaines données brutes des rapports annuels en cause faisaient défaut ne permet pas de démontrer le caractère public des propos de B, contrairement aux affirmations de la requérante.

61      En outre, le fait que d’autres membres de l’unité de la requérante aient été informés des problèmes liés aux données manquantes n’est pas de nature à démontrer que B a formulé des accusations en public à ce sujet. En effet, ainsi que le souligne la BEI dans la duplique, d’autres membres de l’équipe ont appris l’existence desdits problèmes parce qu’il leur a été demandé de localiser les données en question afin de finaliser les rapports annuels en cause.

62      Il en résulte que l’AIPN n’a pas commis d’erreur de fait en considérant qu’il n’était pas prouvé que B avait publiquement accusé la requérante d’avoir délibérément caché des rapports d’activité annuels et des données brutes [confidentiel].

 Sur l’évaluation du niveau des prestations de la requérante

63      La requérante conteste l’appréciation de l’AIPN selon laquelle la rédaction par B d’un rapport d’évaluation à son retour de congé de maladie et le contenu de celui-ci ne constituent pas des faits de harcèlement.

64      En premier lieu, la requérante soutient qu’il n’existait pas d’obligation de procéder à son évaluation annuelle à son retour au travail en janvier 2019 et que le fait que B ait décidé de procéder malgré tout à cette évaluation, contre l’avis du service médical de la BEI, constitue un fait constitutif de harcèlement à son égard.

65      Lors de l’audience de plaidoiries et en réponse à une question du Tribunal, la requérante a précisé qu’elle ne contestait pas l’établissement du rapport d’évaluation en tant que tel, mais uniquement la circonstance selon laquelle B avait procédé à son évaluation, c’est-à-dire l’avait convoquée à un entretien d’évaluation et avait inséré des appréciations négatives et injustifiées dans son rapport d’évaluation pour l’année 2018. En ce sens, la requérante soutient que le fait qu’elle devait automatiquement être considérée comme étant « performante » dans ledit rapport sous-entend qu’il ne devait pas y avoir d’évaluation.

66      À titre liminaire, il convient de rappeler que la requérante a été placée en congé de maladie du 1er juillet 2018 au 14 janvier 2019 et qu’elle a fait l’objet d’une évaluation de milieu d’année établie par B en juillet 2018. En outre, le 19 janvier 2019, soit cinq jours après la reprise du travail par la requérante, B a rédigé et signé le rapport annuel de cette dernière pour l’année 2018.

67      Dans le rapport annuel de la requérante pour l’année 2018, sous les rubriques intitulées « Implication dans l’organisation 3 : soutient l’organisation » et « Compétences démontrées », B a jugé que le niveau de la requérante était « inférieur aux attentes ». En outre, dans un commentaire d’ordre général sur la compétence, il a ajouté l’appréciation suivante (ci-après l’« appréciation litigieuse ») :

« En ce qui concerne l’année écoulée, et durant la période d’absence [de la requérante], il a été constaté certains manquements au niveau du partage d’informations clés. En effet[,] lors de la préparation des rapports sur les activités de [confidentiel] destination des [directions générales,] [b]ien que les documents finaux [aient été] accessibles, la quasi-totalité des éléments et fichiers sources permettant les analyses, la réalisation des graphiques et tendances n’ont pu être trouvés sur [le système de gestion électronique des données (GED)] ou [les] disques partagés. Cela a nécessité de refaire l’ensemble des documents supports avec pour conséquence une surcharge de travail pour l’unité et un retard dans la diffusion des rapports. »

68      En l’espèce, il convient de rappeler que la requérante, qui a été placée en congé de maladie de longue durée pendant plus de six mois au cours de l’année 2018, devait, en vertu de l’annexe I des lignes directrices en matière de performance, être automatiquement considérée comme étant « performante » dans le cadre de son évaluation pour l’année 2018. En effet, selon ladite annexe, le fonctionnaire ou agent en « congé de maternité, parental, familial ou de maladie de longue durée pendant plus de six mois au cours de l’année de référence [est] automatiquement considéré comme “performant”, c’est-à-dire comme “répondant aux attentes” ».

69      Dans la décision attaquée, l’AIPN a estimé que le comité d’enquête avait considéré à tort que B avait pris, de manière vindicative, la décision d’évaluer la requérante pour l’année 2018, alors que cela n’était pas nécessaire au regard des règles applicables. L’AIPN a considéré que, au contraire, B était tenu d’évaluer la requérante et qu’il était conforme à la pratique de la BEI que, bien que la personne évaluée qui avait été en congé de maladie pour une durée de plus de six mois soit automatiquement considérée comme étant « performante » dans son rapport d’évaluation, l’évaluateur pouvait formuler des observations dans la rubrique intitulée « Attentes ». L’AIPN affirme également que les directeurs sont encouragés à documenter les rapports même si l’agent est automatiquement considéré comme étant « performant ».

70      Par ailleurs, s’agissant de la thèse selon laquelle B se serait conformé à la pratique de la BEI en insérant un commentaire dans le rapport d’évaluation de la requérante, l’AIPN se fonde sur le témoignage d’un représentant du service des ressources humaines [confidentiel], lequel aurait affirmé que, « en ce qui concern[ait] les commentaires d’ordre qualitatif, [il était possible de] soulever des préoccupations ».

71      À cet égard, il y a toutefois lieu de relever que, ainsi que le soutient la requérante, l’AIPN n’identifie pas, dans la décision attaquée, la source du témoignage mentionné au point 70 ci-dessus. Interrogée sur ce point lors de l’audience de plaidoiries, la BEI a indiqué ne pas disposer dudit témoignage, lequel n’a pas été versé au dossier du Tribunal.

72      A contrario, la requérante se réfère au témoignage du témoin D, membre du service des ressources humaines, duquel il ressort clairement que, conformément à la pratique de la BEI, « les règles prévoient qu’aucun rapport n’est établi et qu’une phrase standard est incluse dans le rapport ». Le témoin D affirme également que les règles applicables à l’époque confirment la règle selon laquelle une absence pendant plus de six mois implique qu’aucun rapport n’a besoin d’être établi.

73      Partant, la BEI ne démontre pas, d’une part, qu’il devait nécessairement être procédé à l’entretien d’évaluation de la requérante à son retour de congé maladie, en janvier 2019, ni, d’autre part, que l’insertion dans le rapport d’évaluation de celle-ci de commentaires additionnels était conforme à sa pratique.

74      Certes, ainsi que le souligne l’AIPN, l’appréciation litigieuse a été rédigée conformément à l’incitation faite en ce sens par A, dans un courriel du 14 janvier 2019, dans lequel celui-ci suggère à B de faire mention, dans le rapport d’évaluation de la requérante, du problème des données manquantes. Toutefois, force est de constater qu’il ne s’agit que d’une suggestion, A ayant laissé à la discrétion de B le choix d’insérer ou de ne pas insérer ladite remarque.

75      En outre, il est constant que A, auteur du courriel du 14 janvier 2019, a quitté ses fonctions de directeur de [confidentiel] le 1er janvier 2019 et ne les occupait donc plus lorsque le rapport d’évaluation en cause a été établi le 18 janvier suivant, de sorte que l’AIPN n’est pas fondée à soutenir, au point 75 de la décision attaquée, que l’insertion par B du commentaire litigieux est liée à la circonstance selon laquelle, compte tenu du lien de subordination hiérarchique entre B et A, une forte pression a été exercée sur B pour qu’il insère un tel commentaire.

76      Partant, le comité d’enquête a pu estimer à juste titre que B avait exercé son pouvoir discrétionnaire en convoquant la requérante à un entretien d’évaluation et en incluant dans le rapport d’évaluation l’appréciation litigieuse concernant les données manquantes.

77      Par ailleurs, il y a lieu de relever que, lors de la réunion du 9 janvier 2019 concernant la reprise du travail de la requérante, à laquelle B a assisté, le service médical de la BEI a suggéré que l’établissement d’un rapport d’évaluation de la requérante soit reporté afin d’éviter de soumettre cette dernière à un stress non nécessaire.

78      Pourtant, il apparaît que B a, dès le 9 janvier 2019, lors de la réunion du même jour, manifesté son intention d’établir le rapport d’évaluation de la requérante, ce qu’il a fait le 18 janvier suivant, soit cinq jours après la reprise du travail de cette dernière. En outre, B ne s’est pas limité à évaluer la requérante comme étant « performante », mais a également introduit l’appréciation litigieuse, alors même qu’il était informé de la recommandation du service médical visée au point 77 ci-dessus.

79      Ainsi, force est de constater que les décisions de B de procéder à une évaluation circonstanciée de la requérante pour l’année 2018 et de la convoquer à un entretien d’évaluation dès son retour au travail n’étaient pas nécessaires et ont eu pour effet de soumettre la requérante à un stress important, alors même qu’elle reprenait le travail après une longue absence pour raison de maladie.

80      Ainsi que l’a mis en exergue le comité d’enquête, il aurait été loisible à B de se contenter de mentionner, dans le rapport d’évaluation annuel pour l’année 2018, que la requérante avait été absente pour raison de maladie et de confirmer l’évaluation déjà établie en milieu d’année, soit en juillet 2018.

81      En second lieu, s’agissant de la teneur des appréciations portées par B dans le rapport d’évaluation litigieux, la requérante soutient que l’appréciation litigieuse n’est pas fondée, compte tenu de la circonstance selon laquelle elle repose sur des faits erronés. Ainsi que l’aurait relevé le comité d’enquête, les documents prétendument manquants auraient toujours figuré dans la base de données de l’unité de la requérante, qui les y avait stockés.

82      À cet égard, il convient de rappeler que des notes et des appréciations tant négatives que positives contenues dans un rapport de notation ne sauraient être, en tant que telles, considérées comme des indices de ce que ledit rapport aurait été établi dans un but de harcèlement moral (voir arrêt du 16 septembre 2013, Faita/CESE, F‑92/11, EU:F:2013:130, point 90 et jurisprudence citée).

83      Dans la décision attaquée, l’AIPN avance que les appréciations de B formulées dans le rapport d’évaluation n’étaient pas injustes ni injustifiées. Elle se fonde à cet égard sur les témoignages des témoins D, F, G, I et O, ainsi que sur le témoignage de B. Elle considère également que, en tout état de cause, l’appréciation portée par B dans le rapport d’évaluation pour l’année 2018 ne peut être considérée comme étant négative, dans la mesure où B a indiqué que la performance de la requérante au cours de l’année 2018 avait été satisfaisante.

84      Il convient de relever que les parties ne s’accordent pas sur l’élément de fait ayant fondé l’appréciation litigieuse, c’est-à-dire sur la question de savoir si la requérante a ou n’a pas mis à la disposition des membres de son unité certaines données brutes relatives à des rapports annuels qu’elle avait établis et transmis à B dans un format qui n’aurait pas permis d’extraire ces données brutes.

85      Selon le comité d’enquête, les griefs formulés par B quant au fait que la requérante aurait omis d’enregistrer les données manquantes n’étaient pas fondés.

86      Le comité d’enquête a indiqué à cet égard que, au moment de l’incident litigieux, le chef d’unité par intérim venait de prendre ses fonctions, en octobre 2018, et qu’il avait lui-même reconnu, lors de son audition devant ce même comité, qu’il n’avait jamais effectué ces tâches de « reporting » auparavant et que cela impliquait qu’il n’était vraisemblablement pas au fait des détails techniques liés au stockage des données brutes nécessaires à la production des rapports fournis par la requérante. D’après le comité d’enquête, cette circonstance pouvait expliquer « une certaine agitation lorsque [le chef] d’unité par intérim essayait de localiser une donnée et ne savait pas où la chercher ».

87      Le comité d’enquête a ajouté qu’il trouvait surprenant que A et B aient accusé la requérante d’avoir dissimulé ou égaré les données brutes en cause, alors que ces deux responsables étaient en poste depuis un certain temps et auraient dû, de ce fait, avoir connaissance des détails techniques nécessaires à la production des rapports en cause par la requérante ainsi que des interfaces informatiques disponibles, créées et mises en œuvre depuis le deuxième trimestre 2015 pour la production de ces rapports. Le comité a souligné que cela était particulièrement surprenant dans le cas de B, dans la mesure où celui-ci avait déclaré dans sa réponse écrite à la plainte de la requérante, déposée le 16 juillet 2019, qu’il avait supervisé le travail de cette dernière sur les dossiers prioritaires de son activité, dont les rapports d’activité en cause. En outre, le comité d’enquête a ajouté que, en tout état de cause, les critiques formulées par B à cet égard étaient injustes, car la requérante n’avait pas choisi de tomber malade.

88      Dans la décision attaquée, l’AIPN soutient, au contraire, que les commentaires insérés par B dans le rapport d’évaluation de la requérante pour l’année 2018 étaient fondés. Elle souligne que B n’a pas accusé la requérante d’avoir délibérément caché les rapports d’activité annuels et les données brutes [confidentiel] et avance que l’appréciation litigieuse portait uniquement sur le fait que la requérante n’avait pas organisé le stockage des données brutes concernant [confidentiel] d’une manière permettant à ses collègues de les trouver facilement, car elles n’étaient stockées ni dans la base de données GED ni sur des lecteurs partagés.

89      Au soutien de son argumentation, l’AIPN se fonde principalement sur les déclarations de plusieurs témoins, qui auraient confirmé au comité d’enquête ne pas avoir été en mesure de trouver les données brutes [confidentiel] pendant le congé de maladie de la requérante. En conséquence, l’AIPN relève qu’il a fallu au moins une semaine au chef d’unité par intérim pour récupérer les données brutes [confidentiel].

90      À cet égard, certes, les témoignages de D, F, G, I et O, tels que reproduits au point 63 de la décision attaquée, témoignent que l’unité de la requérante a fait face à des difficultés liées à la recherche des données brutes [confidentiel].

91      Toutefois, la circonstance selon laquelle l’unité de la requérante a rencontré des difficultés n’est pas de nature à remettre en cause la conclusion du comité d’enquête selon laquelle ces données avaient été effectivement stockées par la requérante.

92      En effet, selon le comité d’enquête, une interface informatique avait été mise en place déjà plusieurs années auparavant, permettant l’extraction des données pertinentes sous la forme de fichiers Excel et, ainsi, la production des rapports nécessaires. Le comité d’enquête a relevé que c’était cette interface informatique qui avait permis au chef d’unité par intérim de récupérer les données brutes nécessaires au reporting de l’année 2018.

93      En outre, la conclusion de l’AIPN selon laquelle les appréciations formulées par B ne peuvent être considérées comme étant négatives est sans pertinence, dès lors que l’appréciation litigieuse repose sur des faits erronément reprochés à la requérante.

94      En tout état de cause, il ne saurait être valablement soutenu que les appréciations de B formulées dans le rapport d’évaluation de la requérante ne sont pas négatives. D’une part, B se réfère expressément à un « manquement » de la part de la requérante en ce qui concerne le partage d’informations clés. D’autre part, ce constat justifie l’évaluation selon laquelle les compétences de la requérante étaient inférieures aux attentes.

95      Partant, il y a lieu de considérer que l’AIPN n’est pas fondée à soutenir, contrairement aux conclusions du comité d’enquête, qu’il n’existait pas d’éléments permettant de démontrer que B avait formulé des commentaires injustifiés et injustes dans le rapport d’évaluation de la requérante pour l’année 2018.

 Sur l’isolement et la mise à l’écart de la requérante à l’issue de son congé de maladie

96      La requérante remet en cause l’appréciation de l’AIPN selon laquelle les décisions managériales relatives à sa réintégration à son retour de congé de maladie en janvier 2019 ne sont pas constitutives de harcèlement au motif soit que B n’a fait que mettre en œuvre les recommandations de ses supérieurs hiérarchiques, soit que ces décisions découlaient du souci de se conformer au devoir de sollicitude.

97      Dans le rapport d’enquête, le comité d’enquête a estimé que les mesures de retour au travail adoptées à l’égard de la requérante, et notamment la décision de ne pas lui permettre de reprendre immédiatement ses fonctions, de la démettre de ses fonctions de cheffe d’équipe et de l’isoler de son équipe, voire de la mettre complètement à l’écart de son service, caractérisaient un comportement grave de harcèlement moral.

98      En ce qui concerne les décisions managériales relatives à la réintégration de la requérante à l’issue de son congé de maladie, il n’est pas contesté que, lors de son retour au travail à mi-temps le 14 janvier 2019, la requérante n’a pas été immédiatement réintégrée dans ses fonctions de cheffe d’unité et a été affectée, pour une durée de près de deux mois, à d’autres fonctions (ci-après la « réaffectation temporaire »), qu’il a été suggéré, lors de la réunion du 9 janvier 2019, que son retour au travail soit reporté de deux semaines, qu’un bureau individuel lui a été assigné à l’écart des membres de son ancienne unité, qu’il lui a été demandé de ne pas discuter avec ces derniers des travaux menés par ladite unité et qu’elle devait demander une autorisation afin de pouvoir participer aux réunions de service.

99      Premièrement, s’agissant de sa réaffectation temporaire, la requérante fait valoir que l’AIPN a considéré à tort que le comité d’enquête avait commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant que la recommandation du service médical de la BEI selon laquelle « aucun stress non nécessaire ne dev[a]it [lui] être imposé » n’emportait pas une recommandation de la réaffecter à un autre poste et ne justifiait donc pas la réaffectation temporaire.

100    Dans la décision attaquée, l’AIPN soutient que la décision de réaffectation temporaire était conforme à la recommandation du service médical ainsi qu’au devoir de sollicitude qui s’imposait à la BEI envers les membres de son personnel et que, par ailleurs, B était seulement le messager de cette décision, et non le décideur.

101    Tout d’abord, l’AIPN se fonde sur la circonstance selon laquelle la fonction qu’occupait la requérante, à savoir celle de cheffe d’unité, est une fonction impliquant une « forte pression, des délais opérationnels constants et des questions sensibles supplémentaires à gérer en matière de management ». Ensuite, l’AIPN soutient que la requérante n’était pas en mesure de reprendre le travail à temps plein et qu’elle disposait donc de deux fois moins de temps qu’auparavant pour gérer une équipe dont l’effectif avait, entre-temps, doublé. Enfin, elle indique que, selon la jurisprudence, il ne saurait être reconnu aux fonctionnaires le droit d’exercer ou de conserver des fonctions spécifiques et les institutions disposent d’un large pouvoir d’appréciation dans l’organisation de leurs services.

102    S’agissant du devoir de sollicitude, l’AIPN se fonde sur la jurisprudence en vertu de laquelle l’équilibre des droits et des obligations réciproques dans les relations entre l’autorité publique et les agents du service public implique notamment que, lorsqu’elle statue à propos de la situation d’un fonctionnaire, l’autorité prenne en considération l’ensemble des éléments qui sont susceptibles de déterminer sa décision et que, ce faisant, elle tienne compte non seulement de l’intérêt du service, mais aussi, notamment, de celui du fonctionnaire concerné. Elle ajoute que, selon cette jurisprudence, les obligations découlant pour l’administration du devoir de sollicitude sont substantiellement renforcées lorsqu’est en cause la situation d’un fonctionnaire dont il est avéré que la santé, physique ou mentale, est ou peut être affectée. En pareille hypothèse, l’administration doit examiner les demandes de celui-ci dans un esprit d’ouverture particulier.

103    En ce sens, l’AIPN indique que la décision de réaffecter temporairement la requérante a été prise dans l’intérêt de celle-ci, compte tenu de son état de santé et de la nécessité subséquente de lui permettre une réintégration progressive.

104    Il convient néanmoins de relever que, ainsi que le fait valoir la requérante, le service médical de la BEI, en consultation avec un médecin, a conclu qu’elle était apte à reprendre immédiatement ses fonctions de cheffe d’unité, bien que son retour au travail fasse l’objet d’un aménagement de travail à mi-temps.

105    Certes, le service médical de la BEI a recommandé de ne pas soumettre la requérante, à son retour de congé de maladie, à un stress important ou non nécessaire. Cependant, ainsi que l’a relevé le comité d’enquête dans son rapport d’enquête, la suggestion générale selon laquelle la requérante ne devait pas être soumise à un stress important ou non nécessaire n’impliquait pas pour autant la suggestion de ne pas lui permettre de reprendre ses fonctions de cheffe d’unité.

106    Ainsi que l’a constaté le comité d’enquête, il n’existait donc pas de recommandation médicale préconisant l’affectation temporaire de la requérante à un autre emploi que celui qu’elle occupait avant son congé de maladie.

107    À cet égard, la BEI soutient que, en tout état de cause, l’existence d’une recommandation médicale n’était pas nécessaire pour justifier l’application faite du devoir de sollicitude en l’espèce et qu’il lui aurait été reproché de violer le devoir de sollicitude si elle n’avait pas pris la mesure de réaffectation temporaire contestée.

108    Une telle argumentation ne saurait prospérer. En effet, le devoir de sollicitude impose que, lorsqu’elle statue à propos de la situation d’un agent, l’AIPN tienne compte non seulement de l’intérêt du service, mais aussi, notamment, de celui du fonctionnaire concerné, ce qui implique que, lorsqu’est en cause la situation d’un agent dont il est avéré que la santé, physique ou mentale, est ou peut être affectée, l’administration doit examiner les demandes de celui-ci dans un esprit d’ouverture particulier (arrêt du 13 octobre 2021, IB/EUIPO, T‑22/20, EU:T:2021:689, points 66 et 67).

109    En l’espèce, il est constant que la requérante a demandé à reprendre ses fonctions de cheffe d’unité à son retour de congé de maladie en janvier 2019.

110    Dans les circonstances de l’espèce, d’une part, le service médical de la BEI a considéré que la requérante était capable de reprendre ses fonctions et, d’autre part, il ressort du dossier que la pratique courante au sein de la BEI était de permettre au membre du personnel de retour de congé de maladie de retrouver les fonctions qui étaient les siennes, sauf dans l’hypothèse où celui-ci ne le souhaitait pas, ce qui n’était pas le cas de la requérante en l’espèce.

111    Il en ressort que la BEI n’est pas fondée à soutenir que la demande de la requérante de reprendre ses fonctions de cheffe d’unité à son retour de congé de maladie a été examinée dans un esprit d’ouverture particulier, conformément au devoir de sollicitude.

112    C’est donc à tort que l’AIPN soutient, dans la décision attaquée, que la décision de réaffectation temporaire découle de la volonté de B ou des représentants des services centraux de se conformer au devoir de sollicitude.

113    La décision attaquée se fonde également sur la circonstance selon laquelle la décision de ne pas réaffecter immédiatement la requérante à son poste de cheffe d’unité dès son retour au travail le 14 janvier 2019 n’est pas imputable à B, mais résulte d’une prise de décision émanant des services centraux, et sur la circonstance selon laquelle, en tout état de cause, cette décision est légitime compte tenu de ce que les institutions de l’Union européenne disposent d’un large pouvoir d’appréciation dans l’organisation de leurs services.

114    La requérante ne conteste pas que la décision de ne pas la réaffecter à son poste de cheffe d’unité dès son retour au travail était « une décision collectivement prise par la hiérarchie ». Elle soutient néanmoins que B a joué un rôle central et moteur dans cette prise de décision.

115    Dans la décision attaquée, afin de démontrer que la réaffectation temporaire n’était pas une décision personnelle de B, l’AIPN se fonde sur les témoignages du directeur de [confidentiel] et du responsable de [confidentiel], lesquels ont tous deux participé à la réunion organisée le 10 janvier 2019 à l’initiative de B, concernant le retour au travail de la requérante, et à l’occasion de laquelle il a été décidé de la réaffectation temporaire.

116    La requérante remet en cause l’interprétation faite par l’AIPN du témoignage du directeur de [confidentiel] et insiste sur la circonstance selon laquelle B les a induits en erreur, lors de la réunion du 10 janvier 2019, quant au sens des recommandations du service médical de la BEI à son égard.

117    À cet égard, il convient de noter que le témoignage du directeur de [confidentiel] révèle que celui-ci a été « informé des recommandations médicales selon lesquelles [la requérante] devait reprendre le travail progressivement, c’est-à-dire ne pas occuper le même poste pendant un certain temps ». Le directeur de [confidentiel] a également indiqué « qu’il avait été très clairement établi que [la requérante] ne devait pas être exposée au stress » et que « le poste de [chef d’unité] est continuellement exposé au stress, notamment en raison des interactions avec les clients ».

118    Dans son témoignage, le responsable de [confidentiel] indique « se rappeler que la décision de ne pas réintégrer [la requérante] à son poste [de cheffe d’équipe] était fondée sur les recommandations des services médicaux et de bien-être, qui visaient à faciliter [son] retour au travail […] en la protégeant de toute forme de stress ».

119    Contrairement à ce que prétend l’AIPN, il ressort des témoignages susmentionnés que tant le directeur de [confidentiel] que le responsable de [confidentiel] avaient compris que la recommandation du service médical correspondait à une recommandation de ne pas réintégrer la requérante dans ses fonctions. Par ailleurs, le directeur de [confidentiel] affirme avoir été « informé » de la recommandation médicale, ce qui n’est pas de nature à exclure toute influence de B à cet égard, bien au contraire.

120    Partant, force est de constater que l’AIPN s’appuie erronément sur les témoignages du directeur de [confidentiel] et du responsable de [confidentiel] pour soutenir que B n’a pas exercé une influence, lors de la réunion du 10 janvier 2019, en soutenant, notamment, que le service médical avait recommandé de ne pas réintégrer la requérante dans ses fonctions.

121    L’AIPN se fonde en outre sur un courriel du 7 novembre 2023 du directeur de [confidentiel] dans lequel celui-ci reconnaîtrait avoir pris, avec le directeur [confidentiel], la décision de réaffectation temporaire sur la base d’une recommandation du service des ressources humaines selon laquelle la requérante devait reprendre le travail à mi-temps et ne devait pas être soumise à un stress.

122    Toutefois, force est de constater que le courriel du 7 novembre 2023 auquel fait référence la décision attaquée n’a pas été versé au dossier. Interrogée à cet égard lors de l’audience de plaidoiries, la BEI a confirmé ne pas disposer dudit témoignage.

123    Par ailleurs, la décision attaquée ne remet pas en cause l’affirmation du comité d’enquête, contenue aux points 85 à 87 de son rapport final, selon laquelle le projet de procès-verbal de la réunion du 9 janvier 2019, auquel le comité d’enquête a eu accès, témoigne, à tout le moins, d’une inquiétude et d’une réticence marquée de B, en tant que supérieur direct de la requérante, quant au retour immédiat de celle-ci à son poste de cheffe d’unité.

124    Partant, il ne saurait être contesté que la recommandation du service médical, telle que présentée par B, a eu une incidence importante sur la décision de réaffecter la requérante. C’est donc à tort que l’AIPN a considéré que B n’avait pas joué un rôle central dans la décision de réaffectation temporaire et s’était conformé à une décision managériale de ses supérieurs hiérarchiques à cet égard.

125    Par ailleurs, en ce qui concerne l’allégation de la BEI selon laquelle la réaffectation temporaire était légitime compte tenu de ce que les institutions de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation dans l’organisation de leurs services, il y a lieu de rappeler que, certes, les institutions disposent d’un large pouvoir d’appréciation dans l’organisation de leurs services en fonction des missions qui leur sont dévolues et dans l’affectation, en vue de celles-ci, du personnel qui se trouve à leur disposition, à la condition cependant que cette affectation se fasse dans l’intérêt du service (voir arrêt du 30 juin 2021, FD/Entreprise commune Fusion for Energy, T‑641/19, non publié, EU:T:2021:388, point 130 et jurisprudence citée).

126    L’exercice du pouvoir d’appréciation des institutions de l’Union dans l’organisation de leurs services doit toutefois se faire dans le respect du devoir de sollicitude (voir arrêt du 30 juin 2021, FD/Entreprise commune Fusion for Energy, T‑641/19, non publié, EU:T:2021:388, point 131 et jurisprudence citée). En conséquence, ainsi que cela a été rappelé au point 108 ci-dessus, lorsqu’elle statue à propos de la situation d’un agent, l’AIPN doit prendre en considération l’ensemble des éléments qui sont susceptibles de déterminer sa décision et, ce faisant, doit tenir compte non seulement de l’intérêt du service, mais aussi, notamment, de celui de l’agent concerné.

127    En l’espèce, il a déjà été établi que la BEI n’était pas fondée à soutenir que la décision de réaffectation temporaire avait été adoptée conformément au devoir de sollicitude (voir point 112 ci-dessus). Au contraire, la décision de réaffectation temporaire a infligé, ainsi que l’a souligné le comité d’enquête, une humiliation ainsi que des souffrances considérables à la requérante et a gravement porté atteinte à sa réputation professionnelle auprès de ses collègues.

128    Deuxièmement, s’agissant de la suggestion de reporter le retour au travail de la requérante, dans la décision attaquée, l’AIPN a considéré que la suggestion de retarder de deux semaines la reprise effective du travail de la requérante émanait des services centraux et, en tout état de cause, n’était pas déraisonnable, compte tenu de la circonstance selon laquelle B ainsi que la direction des services centraux n’avaient été informés que le 9 janvier 2019 du fait que la requérante reprendrait le travail le 14 janvier suivant et qu’ils ne disposaient donc que d’une très courte période afin d’organiser sa réintégration.

129    La requérante conteste l’affirmation mentionnée au point 128 ci-dessus en faisant valoir qu’il était « établi et notifié » depuis le 14 décembre 2018 qu’elle allait reprendre le travail le 14 janvier 2019, ainsi que cela ressortait des témoignages du coordinateur de [confidentiel] et du [confidentiel] du service des ressources humaines.

130    À cet égard, il convient de relever qu’il ne ressort pas expressément des témoignages du coordinateur de [confidentiel] et du [confidentiel] du service des ressources humaines que les destinataires de l’invitation à la réunion du 9 janvier 2019 étaient informés, à la date du 14 décembre 2018, de ce que la requérante reprendrait le travail précisément le 14 janvier 2019.

131    Ainsi que le souligne l’AIPN, au contraire, le [confidentiel] du service des ressources humaines a déclaré ce qui suit :  

« Je crois que fin décembre, nous avons reçu une invitation pour une réunion de retour au travail le 9 janvier […] Mais à l’époque, nous n’étions pas sûrs que [la requérante] aller revenir ou que son contrat allait être prolongé [...] Et je pense que cela a été un peu un choc pour tout le monde le 9 janvier [d’apprendre que la requérante] allait revenir le 14 ou qu’elle prévoyait de revenir le 14 janvier. »

132    Toutefois, indépendamment de la date à laquelle B ainsi que les autres membres ayant participé à la réunion du 9 janvier 2019 ont été informés de la date de retour de la requérante au travail, il y a lieu de relever que ce motif n’était pas de nature à justifier la proposition d’un report du retour au travail de la requérante de deux semaines. Ainsi que le souligne le coordinateur de [confidentiel] de la BEI dans son témoignage devant le comité d’enquête, il ne s’agissait pas d’une pratique courante au sein de la BEI.

133    Pourtant, il ressort du point 86 du rapport du comité d’enquête que, lors de la réunion du 9 janvier 2019, B a pris position en faveur d’un report du retour au travail de la requérante. En outre, au point 97 de la décision attaquée, l’AIPN a indiqué qu’il ressortait du projet de procès-verbal de la réunion du 9 janvier 2019 que les « représentants des services centraux », dont B faisait partie, avaient requis que le retour au travail de la requérante soit reporté de deux semaines. Or, cette suggestion a pu créer chez la requérante l’impression que son retour au travail n’avait pas été dûment préparé, voire n’était pas souhaité.

134    Troisièmement, s’agissant de la décision d’attribuer un bureau individuel à la requérante, l’AIPN soutient, là encore, que cette décision n’a pas été prise par B, mais par la direction des services centraux de la BEI, en particulier par le directeur [confidentiel] et par le directeur [confidentiel].

135    À cet égard, il y a lieu de constater que l’AIPN, au point 118 de la décision attaquée, se fonde de nouveau sur le courriel du 7 novembre 2023 du directeur de [confidentiel], dans lequel celui-ci a indiqué que « la décision concernant la réintégration de [la requérante] a[vait] été prise par le directeur [confidentiel] et par [lui-même] » et que, s’agissant de l’attribution du bureau individuel, « c’était [sa] décision d’installer [la requérante] dans une pièce séparée à l’écart de l’équipe ». Cependant, ainsi que cela est évoqué au point 122 ci-dessus, cet élément de preuve n’a pas été versé au dossier du Tribunal.

136    Il y a lieu de relever que, ainsi que l’a fait valoir la requérante, les propos mentionnés au point 135 ci-dessus reflètent la position du directeur de [confidentiel] telle qu’exprimée dans son témoignage devant le comité d’enquête. En effet, à cette occasion, le directeur de [confidentiel] a déclaré que « c’était [sa] propre décision de placer [la requérante] dans une pièce séparée à l’écart de l’équipe ».

137    En tout état de cause, même à considérer que la décision d’installer la requérante dans un bureau individuel était une décision « collective », il y a lieu de constater que B ne s’est pas opposé à cette prise de décision, à laquelle il a, au contraire, participé.

138    Enfin, il convient de relever que, ainsi que le souligne la requérante, la décision attaquée ne remet pas en cause les conclusions du comité d’enquête selon lesquelles l’interdiction qui lui a été faite de parler à ses collègues, l’instruction donnée aux membres de son unité de ne pas aborder avec elle des questions administratives ainsi que l’interdiction qui lui a été faite de participer à des réunions sans autorisation étaient des décisions prises par B de sa propre initiative.

139    Partant, l’AIPN a considéré à tort que B n’avait pas joué un rôle majeur dans les décisions managériales relatives au retour au travail de la requérante.

140    Au vu de tout ce qui précède, d’une part, il y a lieu de conclure que l’AIPN a commis une erreur de fait en ce qui concerne les agissements de B à la fois dans le cadre de la procédure d’évaluation de la requérante pour l’année 2018 et dans le cadre de la gestion managériale de son retour au travail à la suite de son congé de maladie, en janvier 2019.

141    D’autre part, en ce que l’AIPN a considéré que le comité d’enquête avait commis une erreur d’appréciation en concluant que B s’était rendu coupable de harcèlement au regard de ses comportements adoptés à la fois dans le cadre de la procédure d’évaluation de la requérante pour l’année 2018 et dans le cadre de la gestion managériale du retour de la requérante au travail à la suite de son congé de maladie, en janvier 2019, il y a lieu de rappeler que, ainsi que cela ressort de la jurisprudence et des dispositions pertinentes du code de conduite du personnel du groupe BEI ainsi que de la politique en matière de respect de la dignité de la personne au travail rappelées aux points 30 et 31 ci-dessus, d’une part, l’existence d’un harcèlement moral suppose que les comportements mis en cause se soient répétés au cours d’une période assez longue et qu’ils soient analysés tant isolément que conjointement. D’autre part, elle exige que ces comportements aient pu porter atteinte à l’estime de soi et à l’assurance de celui qui en a fait l’objet.

142    En outre, il a également été précisé que rien n’excluait que le harcèlement puisse être le fait sinon d’une institution, du moins de plusieurs personnes, relevant d’une même institution, qui agissent de manière coordonnée ou, à tout le moins, univoque (voir arrêt du 30 mars 2022, KF/BEI, T‑299/20, non publié, EU:T:2022:171, point 126 et jurisprudence citée).

143    Or, en l’espèce, il a été établi, dans le cadre de l’analyse menée aux points 50 à 62 ci-dessus, d’une part, que l’établissement d’un rapport d’évaluation circonstancié et l’organisation de l’entretien d’évaluation le 18 janvier 2019 avaient eu pour effet de soumettre la requérante à un stress important, alors même qu’elle reprenait le travail après une longue absence pour raison de maladie, et que les appréciations portées par B dans le rapport d’évaluation pour l’année 2018 présentaient un caractère injuste et injustifié.

144    D’autre part, les mesures de retour au travail adoptées à l’égard de la requérante, soit par B lui-même soit de manière collective, et notamment les décisions de ne pas lui permettre de reprendre immédiatement ses fonctions de cheffe d’unité contre sa volonté et contre la pratique courante de la BEI ainsi que de l’isoler des membres de son unité, ont eu pour effet, ainsi que l’a souligné le comité d’enquête, de lui infliger une humiliation et des souffrances considérables et de porter gravement atteinte à sa réputation professionnelle auprès de ses collègues. En effet, en plaçant la requérante dans un bureau individuel, à l’écart de ses collègues, et en exigeant qu’elle demande une autorisation pour pouvoir participer aux réunions de service, B a contribué à rendre très difficile sa réintégration, alors même qu’elle se trouvait encore dans une situation de fragilité.

145    Pris ensemble, ces agissements, qui se sont déroulés de façon durable lors du retour au travail de la requérante, ont eu pour effet de dégrader les conditions de travail de cette dernière, de sorte qu’ils ont pu porter atteinte à son estime de soi et à son assurance au sens de l’article 1.1 de la politique en matière de respect de la dignité de la personne au travail.

146    Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que la requérante est fondée à soutenir que l’AIPN a, d’une part, commis une erreur de fait et, d’autre part, commis une erreur d’appréciation desdits faits, pris isolément ou de façon combinée, en considérant que les allégations qu’elle avait soulevées dans sa plainte ne pouvaient pas être qualifiées de faits de harcèlement moral commis par B à son égard.

147    En conséquence, il y a lieu d’accueillir le second moyen et d’annuler la décision attaquée en ce qu’elle porte rejet partiel de la plainte pour harcèlement de la requérante, sans qu’il soit besoin d’examiner le premier moyen.

 Sur la demande indemnitaire

148    La requérante soutient qu’elle a subi un préjudice moral du fait, en premier lieu, d’illégalités commises par la BEI, qui portent sur l’« excès de ses compétences » par l’AIPN, ainsi que de l’erreur d’appréciation dans l’évaluation des éléments du dossier et leur qualification au regard du concept de « harcèlement » et, en second lieu, de la durée excessive de la procédure compte tenu de la circonstance selon laquelle sa plainte a été introduite en mars 2019, soit il y a plus de cinq ans. Elle évalue ce préjudice, ex æquo et bono, à 50 000 euros.

149    La BEI conteste l’argumentation de la requérante. Elle soutient que les illégalités alléguées ne font que répéter les prétendues illégalités que la requérante a soulevées dans le cadre de ses conclusions en annulation de la décision attaquée et que celles-ci doivent, par conséquent, être rejetées. Elle ajoute que, même si la décision attaquée devait être considérée comme étant illégale, son annulation représenterait une réparation suffisante du préjudice moral prétendument subi par la requérante. En outre, la BEI conteste l’allégation selon laquelle elle a pris un temps déraisonnable pour donner suite à l’arrêt du 30 mars 2022, KF/BEI (T‑299/20, non publié, EU:T:2022:171), afin de l’exécuter.

150    Il convient de rappeler que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution de l’Union, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement de cette institution et le préjudice invoqué (voir arrêt du 29 janvier 2020, Aquino e.a./Parlement, T‑402/18, EU:T:2020:13, point 87 et jurisprudence citée).

151    Par ailleurs, l’annulation d’un acte entaché d’illégalité peut constituer, en elle-même, la réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que cet acte peut avoir causé, à moins que la partie requérante ne démontre avoir subi un préjudice moral, insusceptible d’être intégralement réparé par cette annulation (voir, en ce sens, ordonnance du 3 septembre 2019, FV/Conseil, C‑188/19 P, non publiée, EU:C:2019:690, point 26, et arrêt du 28 avril 2021, Correia/CESE, T‑843/19, EU:T:2021:221, point 86).

152    Premièrement, s’agissant des illégalités prétendument commises par la BEI portant sur l’« excès de ses compétences » par l’AIPN et sur l’erreur d’appréciation qu’elle aurait commise, il y a lieu de relever que le préjudice allégué trouve son origine dans la décision attaquée.

153    À cet égard, selon la jurisprudence citée au point 151 ci-dessus, l’annulation d’un acte de l’administration attaqué par un fonctionnaire constitue, en elle-même, une réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que celui-ci peut avoir subi, à moins que la partie requérante ne démontre avoir subi un préjudice moral, insusceptible d’être intégralement réparé par cette annulation. Or, en l’occurrence, la requérante ne démontre pas avoir subi un préjudice moral insusceptible d’être intégralement réparé par cette annulation.

154    Deuxièmement, s’agissant de l’allégation selon laquelle la BEI a pris un temps déraisonnable pour donner suite à la plainte de la requérante, compte tenu des délais d’adoption des mesures d’exécution de l’arrêt du 30 mars 2022, KF/BEI (T‑299/20, non publié, EU:T:2022:171), il y a lieu de relever que cet arrêt a été rendu le 30 mars 2022, que la BEI a ouvert une nouvelle procédure de dignité au travail le 4 novembre 2022, que le nouveau comité d’enquête a adopté son rapport final le 5 décembre 2023, après avoir réexaminé le dossier et entendu plusieurs témoins, et que la décision attaquée a été adoptée le 17 janvier 2024.

155    S’agissant de la circonstance selon laquelle le comité d’enquête a remis son rapport d’enquête environ un an et un mois après l’ouverture de la nouvelle procédure de dignité au travail, il y a lieu de relever que ce délai peut être justifié par le travail de réexamen mené par ledit comité, qui a entendu de nombreux témoins et fourni un rapport d’enquête détaillé de près de 170 pages.

156    Toutefois, force est de constater que, entre le 30 mars et le 4 novembre 2022, un peu plus de sept mois se sont écoulés durant lesquels aucune diligence n’a été accomplie à la suite de l’arrêt du 30 mars 2022, KF/BEI (T‑299/20, non publié, EU:T:2022:171), sans que la BEI puisse avancer de justification valable à cette carence. Ce délai d’un peu plus de sept mois pour ouvrir une nouvelle procédure de dignité au travail à la suite de cet arrêt ne saurait être considéré comme étant raisonnable, la requérante s’étant trouvée de nouveau dans une position d’attente quant au règlement définitif de la procédure de harcèlement à la suite de sa plainte du 21 mars 2019 (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2013, Tzirani/Commission, F‑46/11, EU:F:2013:115, point 193).

157    En outre, par l’effet du présent arrêt d’annulation de la décision attaquée, la requérante se retrouve à nouveau dans une position d’attente quant au règlement définitif et complet de la procédure ouverte à la suite de sa plainte déposée en 2019. Un tel prolongement de la situation d’attente et d’incertitude, provoqué par l’illégalité de la décision attaquée, constitue un préjudice moral, d’ores et déjà indemnisable (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2017, Lucaccioni/Commission, T‑551/16, non publié, EU:T:2017:751, point 144), qu’il appartient à la BEI de compenser par une réparation adéquate évaluée ex æquo et bono à 10 000 euros.

 Sur les dépens

158    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

159    La BEI ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la requérante, conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la Banque européenne d’investissement (BEI) du 17 janvier 2024 est annulée en ce qu’elle porte rejet partiel de la plainte pour harcèlement moral présentée par KF.

2)      La BEI est condamnée à verser à KF la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral.

3)      La BEI est condamnée aux dépens.

da Silva Passos

Półtorak

Reine

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 24 septembre 2025.

Signatures


*      Langue de procédure : le français


1 Données confidentielles occultées.