Affaire T‑354/24
Mowi Poland S.A
contre
Commission européenne
Arrêt du Tribunal (sixième chambre) du 24 septembre 2025
« Santé publique – Règles spécifiques d’hygiène des denrées alimentaires d’origine animale – Règlement (CE) no 853/2004 – Point 3, sous e), de l’annexe du règlement délégué (UE) 2024/1141 – Recours en annulation – Qualité pour agir – Intérêt à agir – Recevabilité – Notion de “produit congelé” – Absence de consultation de l’EFSA – Article 13 du règlement no 853/2004 »
1. Recours en annulation – Personnes physiques ou morales – Actes réglementaires – Actes ne comportant pas de mesures d’exécution et concernant le requérant directement – Notion d’affectation directe – Critères – Acte produisant directement des effets sur la situation juridique du requérant – Règlement de la Commission modifiant les exigences spécifiques en matière d’hygiène des denrées alimentaires d’origine animale – Disposition attaquée imposant des obligations au requérant – Recevabilité
[Art. 263, 4e al., TFUE ; règlement de la Commission 2024/1141, annexe, point 3, e)]
(voir points 21-24, 34, 40, 53-57)
2. Santé publique – Hygiène des denrées alimentaires d’origine animale – Protection des consommateurs – Obligations des exploitants du secteur alimentaire – Exigences spécifiques – Produits de la pêche – Raidissage et entreposage – Notion de « produit congelé »
[Règlement du Parlement européen et du Conseil no 853/2004, annexe III, section VIII, chapitre VII, point 2 ; règlement de la Commission 2024/1141, annexe, point 3, e)]
(voir points 26, 27, 39, 43-52)
3. Recours en annulation – Personnes physiques ou morales – Intérêt à agir – Recours susceptible de procurer un bénéfice au requérant
(Art. 263, 4e al., TFUE)
(voir points 58-60)
4. Santé publique – Hygiène des denrées alimentaires d’origine animale – Protection des consommateurs – Règlement no 853/2004 – Obligation de la Commission de consulter l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) – Portée – Questions susceptibles d’avoir un effet important sur la santé publique
[Règlement du Parlement européen et du Conseil no 853/2004, art. 13 et annexe III, section VIII, chapitre VII, point 2 ; règlement de la Commission 2024/1141, considérant 13 et annexe, point 3, e)]
(voir points 69, 74-77, 82-93)
Résumé
Saisi d’un recours en annulation, qu’il accueille, le Tribunal se prononce, pour la première fois, sur l’obligation de la Commission européenne de consulter l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) avant l’adoption d’une disposition susceptible d’avoir un effet important sur la santé publique, conformément à l’article 13 du règlement no 853/2004 (1).
La requérante, Mowi Poland S.A., est une société qui utilise, pour trancher le saumon fumé, la technique du « raidissage », qui consiste à découper les filets de saumon fumé en abaissant leur température initiale à un niveau compris entre - 7 °C et - 14 °C.
Par son recours, la requérante demande, en substance, l’annulation du point 3, sous e), de l’annexe du règlement délégué 2024/1141 (2), adopté par la Commission (ci-après la « disposition attaquée »). Cette disposition ajoute à la section VIII, chapitre VII, de l’annexe III du règlement no 853/2004 le point 4, qui, d’une part, prévoit la possibilité de recourir au raidissage comme étape de production, en précisant que le maintien des produits de la pêche à la température requise par cette technique doit être limité à « une durée aussi brève que possible et, en tout état de cause, ne dépassant pas 96 heures » et, d’autre part, dispose que l’entreposage, le stockage et le transport à cette température ne sont pas autorisés.
Appréciation du Tribunal
Dans le cadre de l’examen de la recevabilité du recours, le Tribunal considère, dans un premier temps, que la requérante a qualité pour agir. En effet, le règlement dont fait partie la disposition attaquée est un acte réglementaire qui ne comporte pas de mesures d’exécution et qui concerne directement la requérante, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE.
Pour ce qui est de l’affectation directe, le Tribunal considère que les deux critères prévus par la jurisprudence sont remplis. D’une part, la mise en œuvre de la disposition attaquée a un caractère purement automatique et découle de la seule réglementation incriminée sans nécessiter l’application de règles intermédiaires. D’autre part, la disposition attaquée impose des obligations à la requérante. À cet égard, le Tribunal relève que, avant l’adoption de la disposition attaquée, aucune obligation juridiquement contraignante n’encadrait le recours au raidissage comme étape de production. En ce qui concerne les exigences relatives à l’entreposage ou au stockage, il ne ressortait pas avec évidence des dispositions en vigueur avant l’adoption de la disposition attaquée qu’il était interdit de maintenir le saumon fumé à la température requise par le raidissage pendant une période supérieure à 96 heures. En premier lieu, lesdites dispositions ne définissant pas la notion d’« entreposage », elles ne précisaient pas à partir de quel moment un produit de la pêche devait être considéré comme entreposé. En second lieu, le saumon fumé, en tant que produit transformé de la pêche, n’entrait pas dans le champ d’application de la section VIII, chapitre VII, point 1, de l’annexe III du règlement no 853/2004. S’agissant du point 2, ni le règlement no 853/2004 ni les règlements nos 178/2002 (3) et 852/2004 (4) ne définissent la notion de « produit congelé ». Cependant, le Tribunal observe que, dans différentes dispositions du règlement no 853/2004, la notion de « produit congelé » est associée à une température ne dépassant pas - 18 °C. Ainsi, il ne ressortait pas des dispositions en vigueur avant l’adoption de la disposition attaquée que le saumon fumé, placé à une température utilisée pour le raidissage, qui varie, en ce qui concerne la pratique de la requérante, entre - 7 °C et - 14 °C, devait être considéré comme un « produit congelé » au sens de la section VIII, chapitre VII, point 2, de l’annexe III du règlement no 853/2004. Il s’ensuit que, avant l’adoption de la disposition attaquée, les exploitants de saumon fumé « raidi » étaient soumis aux exigences prévues au chapitre IX, point 5, de l’annexe II du règlement no 852/2004, qui prévoit la possibilité de soustraire les produits aux températures requises « pour des périodes de courte durée », sans indication de limite de temps, et à condition qu’il n’en résulte pas de risque sanitaire.
Dans un second temps, le Tribunal constate que la requérante dispose d’un intérêt à agir, car l’éventuelle annulation de la disposition attaquée est susceptible de lui procurer un bénéfice, à savoir celui de ne pas avoir à se conformer aux exigences imposées par ladite disposition conformément à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 853/2004. Ainsi, le Tribunal déclare le recours recevable.
S’agissant du fond de l’affaire, le Tribunal examine le quatrième moyen selon lequel la Commission, en s’abstenant de consulter l’EFSA dans la procédure d’élaboration de la disposition attaquée, aurait violé l’article 13 du règlement no 853/2004. Ce dernier oblige la Commission à consulter l’EFSA sur toute question relevant du champ d’application dudit règlement susceptible d’avoir un effet important sur la santé publique.
En l’espèce, il est constant entre les parties que la Commission n’a pas consulté l’EFSA préalablement à l’adoption de la disposition attaquée. D’une part, la question sur laquelle porte la disposition attaquée relève du champ d’application du règlement no 853/2004. D’autre part, en ce qui concerne l’appréciation de l’effet important sur la santé publique, il peut être déduit des travaux préparatoires du règlement délégué 2024/1141 et des arguments de la Commission développés dans le cadre du présent recours que le motif ayant conduit à l’adoption de la disposition attaquée est lié au fait qu’il existait des « ambiguïtés » dans le cadre juridique antérieur en ce qui concerne le raidissage et l’interdiction d’entreposer et de stocker ou de transporter des produits de la pêche à la température requise par cette technique, alors que le maintien du saumon fumé à cette température pendant une longue période serait susceptible d’entraîner des risques sanitaires. Or, une telle question doit être qualifiée de question susceptible d’avoir un effet important sur la santé publique. En effet, il ressort des arguments de la Commission elle-même que le maintien du saumon fumé à la température requise par le raidissage pendant une longue période est susceptible d’avoir un impact sur la santé des consommateurs et, donc, d’avoir un effet sur la santé publique. De surcroît, un tel effet semble être important étant donné que, selon la Commission, admettre l’interprétation retenue par la requérante en ce qui concerne la section VIII, chapitre VII, point 2, de l’annexe III du règlement no 853/2004 conduirait à une situation « manifestement dangereuse pour la santé des consommateurs ». Dès lors, la Commission était tenue de consulter l’EFSA conformément à l’article 13 du règlement no 853/2004 avant d’adopter la disposition attaquée.
Ce constat est renforcé par le fait qu’il ressort du considérant 27 de ce règlement que la législation de l’Union européenne en matière d’hygiène des denrées alimentaires devrait s’appuyer sur des avis scientifiques. Or, la base scientifique prise en compte par la Commission aux fins de l’élaboration de la disposition attaquée ne ressort ni du règlement délégué 2024/1141 ni de son exposé des motifs. Certes, la présidente du Parlement européen a demandé à l’EFSA, dans une lettre du 14 mai 2024, d’émettre un avis scientifique sur l’impact des procédures de raidissage et de décongélation sur la survie et le développement des risques biologiques, à laquelle le directeur exécutif de l’EFSA a répondu par la lettre du 12 juin 2024. Toutefois, cet échange est postérieur à la date d’adoption du règlement délégué 2024/1141, à savoir le 14 décembre 2023, et, de ce fait, il est, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de ce règlement.
Partant, le Tribunal accueille le quatrième moyen et annule la disposition attaquée.