Language of document :

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (sixième chambre)

25 septembre 2025 (*)

« Recours en annulation – Régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union – Mesures de protection du budget de l’Union contre les violations des principes de l’État de droit en Hongrie – Interdiction de contracter des engagements juridiques avec une fiducie (ou trust) d’intérêt public établie sur la base de la loi hongroise n° IX de 2021 ou avec une entité détenue par une telle fiducie – Décision de ne pas contracter un nouvel engagement juridique avec la requérante – Identification de la partie défenderesse – Irrecevabilité partielle »

Dans l’affaire T‑570/24,

Modul University Vienna GmbH, établie à Vienne (Autriche), représentée par Mes V. Łuszcz et G. Illés, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. J. Baquero Cruz, Mmes D. Drambozova et C. Ehrbar, en qualité d’agents,

et

Agence exécutive européenne pour la santé et le numérique (HADEA), représentée par Mmes Y. Arevalo Torres, A. Cecere et M. S. Filis, en qualité d’agents, assistés de Me A. Duron,

parties défenderesses,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé, lors des délibérations, de Mme M. J. Costeira, présidente, MM. U. Öberg (rapporteur) et P. Zilgalvis, juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Modul University Vienna GmbH, demande, en substance, l’annulation de la décision contenue dans le courriel de l’Agence exécutive européenne pour la santé et le numérique (HADEA) du 23 août 2024, de ne pas contracter un nouvel engagement juridique avec elle conformément à l’article 2, paragraphe 2, de la décision d’exécution (UE) 2022/2506 du Conseil du 15 décembre 2022, relative à des mesures de protection du budget de l’Union contre les violations des principes de l’État de droit en Hongrie (JO 2022, L 325, p. 94).

 Antécédent du litige

2        La requérante est une université basée à Vienne (Autriche), fondée en 2007, qui succède au Tourism College MODUL, fondé en 1908. Elle est une entité de droit privé dont le statut et les activités sont régis par le droit autrichien.

3        Le 15 décembre 2022, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision d’exécution 2022/2506, par laquelle il a, notamment, décidé, à l’article 2, paragraphe 2, que, « [l]orsque la Commission exécute le budget de l’Union en gestion directe ou indirecte, conformément à l’article 62, paragraphe 1, points a) et c), du règlement (EU, Euratom) 2018/1046, aucun engagement juridique n’est contracté avec une fiducie (un trust) d’intérêt public établi(e) sur la base de la loi hongroise IX de 2021 ou avec une entité détenue par une telle fiducie (un tel trust) d’intérêt public ».

4        Le 12 mai 2023, Univinvest Kft., une société de droit hongrois, détenait 90 % des parts de la requérante. Les 10 % restants étaient détenus par la Wirtschaftskammer Wien (chambre de commerce de Vienne, Autriche). Univinvest Kft. était, quant à elle, détenue à 100 % par l’entité MCC Liber Invest Kft., soumise au droit hongrois et, elle-même, détenue à 100 % par une fondation, à savoir Mathias Corvinus Collegium (MCC) Alapítvány. L’activité de cette dernière est régie par les dispositions de a közfeladatot ellátó közérdekű vagyonkezelő alapítványokról szóló 2021. évi IX. Törvény (loi hongroise no IX de 2021 relative aux fiducies d’intérêt public investies d’une mission de service public).

5        Le 14 septembre 2023, l’HADEA a publié, sur le portail de l’Union européenne pour les financements et les appels d’offres, l’appel à propositions intitulé « Cloud, Data and Artificial Intelligence » (DIGITAL-2023-CLOUD-DATA-AI-05), dans le cadre du programme de travail pour une Europe numérique 2023-2024.

6        Le 20 janvier 2024, un consortium de 41 participants, dont la requérante, a soumis pour financement la proposition 101173388, intitulée « Déploiement d’un espace européen commun fiable et sécurisé de données relatives au tourisme », portant l’acronyme « DEPLOYTOUR », sous le thème de l’appel à propositions « Espace de données relatives au tourisme » (DIGITAL-2023-CLOUD-DATA-AI-05-DATATOURISM).

7        Le 23 avril 2024, le consortium en cause a reçu une invitation à préparer la demande de subvention.

8        Par courriel du 5 juillet 2024, l’HADEA a demandé à la requérante divers documents concernant son bénéficiaire effectif et sa structure d’entreprise afin d’évaluer si celle-ci était soumise à des restrictions prévues par la décision d’exécution 2022/2506.

9        Par courriel du 12 juillet 2024, la requérante a fourni à l’HADEA les documents demandés.

10      Par courriel du 29 juillet 2024, l’HADEA a communiqué à la requérante son appréciation préliminaire, réalisée sur la base des documents fournis. Selon elle, la requérante relevait du champ d’application de l’interdiction énoncée à l’article 2, paragraphe 2, de la décision d’exécution 2022/2506. Dans ce courriel, elle a également informé la requérante de la possibilité de lui soumettre des informations supplémentaires avant le 9 août 2024.

11      Par courriel du 9 août 2024, la requérante a indiqué à l’HADEA qu’elle contestait l’appréciation préliminaire en cause.

12      Par courriel du 23 août 2024, l’HaDEA a communiqué à la requérante son appréciation définitive. Selon elle, étant donné que la requérante devait être considérée comme étant visée par la décision d’exécution 2022/2506, elle ne pouvait pas contracter un nouvel engagement juridique avec celle-ci. Dans ce courriel, elle lui a également indiqué qu’elle prendrait contact avec le coordinateur du consortium en cause, afin de l’inviter à envisager d’éventuelles modifications acceptables dans la composition dudit consortium.

13      Le 3 octobre 2024, la convention de subvention « DEPLOYTOUR » a été signée avec le consortium en cause, dont la composition a été modifiée en ce sens que la requérante ne participe plus.

 Conclusions des parties

14      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision de l’HADEA et de la Commission européenne, contenue dans le courriel du 23 août 2024 à son Research and Knowledge Transfer Support Manager (responsable du soutien à la recherche et au transfert de connaissances), consistant à lui appliquer l’article 2, paragraphe 2, de la décision d’exécution 2022/2506 ;

–        à titre subsidiaire, annuler la décision de l’HADEA et de la Commission, contenue dans ledit courriel, consistant à lui appliquer l’article 2, paragraphe 2, de cette décision d’exécution en ce qui concerne le projet DEPLOYTOUR ;

–        condamner aux dépens l’HADEA, la Commission et toute partie intervenante à leur soutien.

15      Dans les exceptions d’irrecevabilité, l’HADEA et la Commission concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

16      Dans ses observations sur les exceptions d’irrecevabilité, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter les exceptions d’irrecevabilité de l’HADEA et de la Commission.

 En droit

17      En vertu de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, si la partie défenderesse le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément à l’article 130, paragraphe 7, dudit règlement, le Tribunal statue dans les meilleurs délais sur la demande ou, si des circonstances particulières le justifient, joint l’examen de celle-ci au fond.

18      La Commission excipe de l’irrecevabilité du recours notamment en ce qu’il est dirigé contre elle. Elle estime qu’elle ne saurait être une partie défenderesse en l’espèce, étant donné qu’elle n’est ni l’auteur ni l’auteur conjoint du courriel du 23 août 2024.

19      La requérante soutient que la décision contenue dans le courriel du 23 août 2024 doit également être imputée à la Commission, compte tenu de ses termes et de ses effets juridiques. Selon elle, cette dernière est donc également partie défenderesse dans le cadre du présent recours.

20      À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE doit être porté contre l’institution qui a adopté l’acte attaqué et qu’un tel recours serait irrecevable en tant que dirigé contre une autre institution (arrêt du 11 septembre 2003, Autriche/Conseil, C‑445/00, EU:C:2003:445, point 32).

21      En l’espèce, l’auteur du courriel du 23 août 2024 est l’HaDEA et la conclusion dudit courriel est que cette dernière ne peut pas prendre un nouvel engagement juridique avec la requérante.

22      L’HADEA a été instituée par la décision d’exécution (UE) 2021/173 de la Commission, du 12 février 2021, instituant l’Agence exécutive européenne pour le climat, les infrastructures et l’environnement, l’Agence exécutive européenne pour la santé et le numérique, l’Agence exécutive européenne pour la recherche, l’Agence exécutive pour le Conseil européen de l’innovation et les PME, l’Agence exécutive du Conseil européen de la recherche et l’Agence exécutive européenne pour l’éducation et la culture, et abrogeant les décisions d’exécution 2013/801/UE, 2013/771/UE, 2013/778/UE, 2013/779/UE, 2013/776/UE et 2013/770/UE (JO 2021, L 50, p. 9).

23      Le statut de l’HADEA est régi par le règlement (CE) no 58/2003 du Conseil, du 19 décembre 2002, portant statut des agences exécutives chargées de certaines tâches relatives à la gestion de programmes communautaires (JO 2003, L 11, p. 1). Conformément à l’article 4, paragraphe 2, de ce règlement, « [l]’agence exécutive a la personnalité juridique [et] jouit dans tout État membre de la capacité juridique la plus large reconnue aux personnes morales par les législations nationales [; e]lle peut notamment acquérir ou aliéner des biens mobiliers et immobiliers et ester en justice ».

24      Il s’ensuit que l’HADEA est un organisme de l’Union doté de la personnalité juridique, responsable de la gestion de certains volets de programmes communautaires dans les domaines de la santé et du numérique.

25      Par ailleurs, l’HADEA dispose d’une compétence en matière de contrôles d’admissibilité et d’éligibilité, qui lui sont délégués conformément à l’annexe I de la Décision C(2021) 948 finale de la Commission du 12 février 2021, portant délégation à l’Agence exécutive européenne pour la santé et le numérique en vue de l’exécution de tâches liées à la mise en œuvre de programmes de l’Union dans les domaines de l’action de l’Union en matière de santé (EU4Health), du marché unique, de la recherche et innovation, de l’Europe numérique et du volet numérique du mécanisme pour l’interconnexion en Europe, et comprenant notamment l’exécution de crédits inscrits au budget général de l’Union. Les décisions prises par l’HADEA en matière de contrôles d’admissibilité et d’éligibilité ne sont pas subordonnées à un accord préalable de la Commission.

26      Par conséquent, il convient de conclure que la décision contenue dans le courriel du 23 août 2024 a été prise par l’HADEA en vertu de compétences propres et n’est pas imputable à la Commission.

27      Certes, dans certains cas, le Tribunal a constaté que des actes adoptés en vertu de pouvoirs délégués étaient imputables à l’institution délégante à laquelle il appartenait de défendre l’acte en cause. Il en va notamment ainsi lorsque l’auteur de l’acte n’exerce qu’une compétence consultative, ou bien lorsque l’adoption de la décision dont l’annulation est demandée était subordonnée à un accord préalable de l’institution délégante (arrêt du 21 octobre 2010, Agapiou Joséphidès/Commission et EACEA, T‑439/08, non publié, EU:T:2010:442, point 34).

28      En l’espèce, il est vrai que le courriel du 23 août indique que l’HADEA a achevé l’analyse des arguments avancés dans le courriel de la requérante du 9 août 2024 en collaboration avec les services de la Commission. Néanmoins, comme l’a relevé à juste titre la Commission, cela indique simplement que l’HADEA a consulté la Commission au cours de cette analyse. Une telle consultation n’a pas pour effet, en soi, d’imputer également à la Commission la décision contenue dans ledit courriel.

29      En ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel le cadre de l’évaluation de l’HADEA était déterminé par le FAQ 22172, le Tribunal constate que le simple fait que l’HADEA ait inclus un document élaboré par la Commission dans son évaluation n’implique pas d’imputer également à la Commission la décision contenue dans le courriel du 23 août 2024.

30      Faute de pouvoir imputer à la Commission la décision contenue dans le courriel du 23 août 2024, il y a donc lieu de déclarer la présente demande en annulation irrecevable en ce qu’elle est dirigée contre la Commission.

 Sur les dépens

31      En vertu de l’article 133 du règlement de procédure, il est statué sur les dépens dans l’arrêt ou l’ordonnance qui met fin à l’instance. La présente ordonnance ne mettant pas fin à l’instance en tant qu’elle oppose la requérante au l’HADEA, il convient de réserver les dépens à cet égard.

32      En revanche, il résulte de ce qui précède que la présente ordonnance met fin à l’instance en ce qu’elle oppose la requérante à la Commission. Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Il y a donc lieu de condamner, dans cette mesure, la requérante aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable pour autant qu’il est dirigé contre la Commission européenne.

2)      Modul University Vienna GmbH supporte ses propres dépens et est condamnée à supporter les dépens exposés par la Commission dans le cadre de la procédure afférente à l’exception d’irrecevabilité de cette dernière.

Fait à Luxembourg, le 25 septembre 2025.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

M. J. Costeira


*Langue de procédure : l’anglais.