Language of document : ECLI:EU:T:2025:943

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

8 octobre 2025 (*)

« Énergie – Marché intérieur de l’électricité – Ligne directrice sur l’équilibrage du système électrique – Article 1er, paragraphes 6 et 7, du règlement (UE) 2017/2195 – Plateforme européenne pour l’échange d’énergie d’équilibrage à partir des réserves de restauration de la fréquence avec activation automatique – Absence de participation du gestionnaire de réseau de transport suisse – Recours formé devant la commission de recours de l’ACER – Conditions et modalités particulières de recours – Article 28 du règlement (UE) 2019/942 – Irrecevabilité pour absence de qualité pour agir devant la commission de recours – Défaut d’affectation directe – Exception d’illégalité »

Dans l’affaire T‑558/23,

Swissgrid AG, établie à Aarau (Suisse), représentée par Mes P. De Baere, P. L’Ecluse, K. T’Syen, V. Lefever et V. Ion, avocats,

partie requérante,

contre

Agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie (ACER), représentée par MM. P. Martinet et E. Tremmel, en qualité d’agents, assistés de Mes B. Creve et T. Kölsch, avocats,

partie défenderesse,

soutenue par

Commission européenne, représentée par Mme O. Beynet, MM. T. Scharf, B. De Meester et C. Hödlmayr, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie),

composé, lors des délibérations, de Mme P. Škvařilová‑Pelzl, présidente, M. I. Nõmm (rapporteur), Mme G. Steinfatt, MM. D. Kukovec et R. Meyer, juges,

greffier : Mme I. Kurme, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 12 mars 2025,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Swissgrid AG, demande l’annulation de la décision A‑008‑2022 de la commission de recours de l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie (ACER), du 29 juin 2023, rejetant comme irrecevable le recours contre la décision 15/2022 de l’ACER, du 30 septembre 2022 (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        La requérante est une société anonyme de droit suisse qui constitue l’unique gestionnaire de réseau de transport d’électricité (ci-après « GRT ») en Suisse.

3        En 2018, la requérante et d’autres GRT ont conclu un protocole d’accord formalisant les conditions de leur participation au projet devant conduire à une plateforme pour la coordination internationale de la restauration automatisée de la fréquence et de l’exploitation stable du système (Platform for the International Coordination of Automated Frequency Restoration and Stable System Operation, ci-après « Picasso »).

4        Sur le fondement du règlement (CE) no 714/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, sur les conditions d’accès au réseau pour les échanges transfrontaliers d’électricité et abrogeant le règlement (CE) no 1228/2003 (JO 2009, L 211, p. 15), la Commission européenne a adopté le règlement (UE) 2017/2195, du 23 novembre 2017, concernant une ligne directrice sur l’équilibrage du système électrique (JO 2017, L 312, p. 6), lequel prévoit la mise en place de plateformes européennes communes pour la mise en œuvre du processus de compensation des déséquilibres et la réalisation des conditions de l’échange d’énergie d’équilibrage provenant des réserves de restauration de la fréquence et des réserves de remplacement (considérant 10) et, notamment, à son article 20, une plateforme européenne pour l’échange d’énergie d’équilibrage à partir des réserves de restauration de la fréquence avec activation automatique.

5        Le 24 juin 2020, l’ACER a adopté la décision 02/2020 portant sur la création d’une plateforme européenne pour l’échange d’énergie d’équilibrage à partir des réserves de restauration de la fréquence avec activation automatique (ci-après la « plateforme aFRR »), comprenant, en annexe, le cadre de mise en œuvre de ladite plateforme aFRR (ci-après le « cadre de mise en œuvre »).

6        L’article 2, paragraphe 1, sous l), du cadre de mise en œuvre définissait la notion de « GRT membre » comme « tout GRT qui a[vait] rejoint la plateforme aFRR » et l’article 2, paragraphe 1, sous m), la notion de « GRT participant » comme « tout GRT membre utilisant la plateforme aFRR afin d’échanger des produits standard d’énergie d’équilibrage aFRR ».

7        L’article 2, paragraphe 1, sous n), du cadre de mise en œuvre indiquait que Picasso « [était] le projet de mise en œuvre qui évolu[ait] vers la plateforme aFRR » et son article 5, paragraphe 2, que « tous les GRT membres établiss[ai]ent le projet de mise en œuvre de la plateforme aFRR, qui [était] fondé sur le projet de mise en œuvre Picasso qui [était] transformé en projet de mise en œuvre de la plateforme aFRR par suite de l’adoption du présent cadre de mise en œuvre de la plateforme aFRR ».

8        Le 1er juillet 2020, les GRT membres de Picasso, y compris la requérante, ont conclu l’accord de coopération de la plateforme Picasso, lequel remplace le protocole antérieur (ci-après l’« accord de coopération Picasso »). Cet accord de coopération est soumis à un accord principal concernant les plateformes d’équilibrage – commun à l’ensemble des plateformes – également entré en vigueur le 1er juillet 2020 (ci-après l’« accord principal »).

9        Par courrier du 17 décembre 2020, la directrice de la direction générale de l’énergie de la Commission a souligné qu’elle ne voyait pas de raison d’adopter une décision autorisant la Suisse à participer aux plateformes européennes d’équilibrage au titre de l’article 1er, paragraphe 7, du règlement 2017/2195. La requérante a introduit un recours contre ce courrier, lequel a été rejeté par l’ordonnance du 21 décembre 2022, Swissgrid/Commission (T‑127/21, non publiée, EU:T:2022:868), comme étant irrecevable. Cette ordonnance a été annulée par l’arrêt du 13 février 2025, Swissgrid/Commission (C‑121/23 P, EU:C:2025:83).

10      Le 31 mars 2022, en application de l’article 17 du cadre de mise en œuvre, le réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d’électricité (ci-après l’« ENTSO-E ») a soumis à l’ACER une proposition de modification dudit cadre de mise en œuvre, s’agissant de la désignation des entités qui exerceraient les fonctions qui y sont définies.

11      Le 30 septembre 2022, l’ACER a adopté la décision 15/2022 modifiant le cadre de mise en œuvre. L’article 1er, sous b), de l’annexe I de cette décision a modifié la définition de « GRT membre » figurant, désormais, à l’article 2, paragraphe 1, sous m), dudit cadre de mise en œuvre, afin qu’elle vise désormais « tout GRT auquel le [règlement 2017/2195] s’applique et qui a rejoint la plateforme aFRR, y compris les GRT issus de zones [de réglage fréquence puissance] multi-GRT ».

12      Le 30 novembre 2022, la requérante a formé un recours contre cette décision auprès de la commission de recours de l’ACER.

13      Par la décision attaquée, la commission de recours a retenu que la décision 15/2022 ne constituait pas un acte susceptible d’affecter la situation juridique de la requérante, de sorte qu’il n’y avait pas lieu d’examiner plus avant si celle-ci était directement et individuellement concernée par ladite décision au sens de l’article 28, paragraphe 1, du règlement (UE) 2019/942 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juin 2019, instituant une agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie (JO 2019, L 158, p. 22) et a, partant, rejeté son recours comme étant irrecevable. La commission de recours a :

–        rappelé que la recevabilité des recours au titre de l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942 devait être examinée à la lumière de la jurisprudence portant sur l’article 263 TFUE et en a déduit qu’il convenait de vérifier si la décision 15/2022 produisait des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la requérante, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique ;

–        retenu qu’il découlait du règlement 2017/2195 que seuls les GRT soumis au droit de l’Union européenne étaient autorisés à participer aux plateformes relevant de son champ d’application, (à l’exception des GRT suisses pour les plateformes européennes pour l’échange de produits standard d’équilibrage et pour autant que la Commission ait adopté une décision en ce sens au titre de l’article 1er, paragraphe 7, dudit règlement) ;

–        déduit de ce qui précède que, en l’absence de décision adoptée par la Commission au titre de l’article 1er, paragraphe 7, du règlement 2017/2195, la décision 15/2022 se limitait à appliquer l’article 1er, du règlement 2017/2195 et que la participation de la requérante ne dépendait pas d’une décision de l’ACER, mais de la Commission ;

–        réfuté l’argumentation de la requérante tirée de qu’elle aurait été membre de la plateforme aFRR antérieurement à la décision 15/2022 en soulignant qu’elle n’avait jamais été admise en tant que membre de ladite plateforme, que la décision 03/2020 ne lui était pas adressée, que le règlement 2017/2195 était applicable depuis le 18 décembre 2017 et que son article 1er n’avait pas été modifié.

 Conclusions des parties

14      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’ACER aux dépens.

15      L’ACER conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

16      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

17      À l’appui de son recours, la requérante avance trois moyens.

18      Le premier moyen est tiré d’une erreur de droit en ce que la commission de recours aurait, à tort, interprété le règlement 2017/2195 comme imposant que la Commission adopte une décision au titre de l’article 1er, paragraphe 7, du règlement 2017/2195 afin qu’elle puisse participer à la plateforme aFRR.

19      Le deuxième moyen est tiré d’une erreur d’appréciation à l’occasion de l’application de l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942 aux circonstances de l’espèce. La requérante fait valoir que la commission de recours a erronément retenu que le recours contre la décision 15/2022 était irrecevable.

20      Par son troisième moyen, présenté à titre subsidiaire, la requérante soulève une exception d’illégalité, au titre de l’article 277 TFUE, contre le règlement 2017/2195, dans l’éventualité où celui-ci devrait être interprété comme interdisant aux GRT de l’Union de l’inclure dans la plateforme aFRR.

 Sur le premier moyen, tiré d’une erreur de droit dans l’interprétation du règlement 2017/2195

21      La requérante reproche à la commission de recours d’avoir retenu que sa participation à la plateforme aFRR n’était possible qu’à la suite de l’adoption d’une décision de la Commission en ce sens au titre de l’article 1er, paragraphe 7, du règlement 2017/2195 et qu’une telle décision faisait défaut. Elle soutient, en substance, que la commission de recours aurait dû retenir que sa participation à cette plateforme était possible dès lors, premièrement, que les conditions de sa participation figurant à l’article 1er, paragraphe 6, étaient remplies en raison des risques que présentent son absence de participation pour la sécurité du réseau, deuxièmement, que les motifs par lesquels la Commission aurait refusé de faire droit à une telle participation dans le courrier du 17 décembre 2020 étaient erronées, troisièmement, que la commission de recours doit disposer de la compétence pour vérifier si les conditions de ladite participation sont remplies et, quatrièmement, que l’ordonnance du 21 décembre 2022, Swissgrid/Commission (T‑127/21, non publiée, EU:T:2022:868), rejetant son recours en annulation contre le courrier du 17 décembre 2020 comme irrecevable est dénuée de pertinence. À cet égard elle a rappelé lors de l’audience que cette ordonnance avait été annulée par l’arrêt du 13 février 2025, Swissgrid/Commission (C‑121/23 P, EU:C:2025:83).

22      L’ACER et la Commission estiment que la commission de recours n’a pas commis l’erreur de droit alléguée. L’ACER souligne, en outre, que l’argumentation de la requérante présentée pour la première fois dans la réplique est irrecevable.

23      À titre liminaire, il convient de rejeter la fin de non-recevoir de l’ACER tirée du caractère irrecevable de l’argumentation présentée par la requérante dans sa réplique au motif qu’elle s’apparenterait à la présentation tardive d’un moyen nouveau.

24      Selon l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite, à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Cependant, un moyen qui constitue l’ampliation d’un moyen énoncé antérieurement, explicitement ou implicitement, dans la requête et qui présente un lien étroit avec celui-ci doit être déclaré recevable. Pour pouvoir être regardé comme une ampliation d’un moyen ou d’un grief antérieurement énoncé, un nouvel argument doit présenter, avec les moyens ou les griefs initialement exposés dans la requête, un lien suffisamment étroit pour pouvoir être considéré comme résultant de l’évolution normale du débat au sein d’une procédure contentieuse (voir arrêt du 20 novembre 2017, Petrov e.a./Parlement, T‑452/15, EU:T:2017:822, point 46 et jurisprudence citée).

25      Force est de constater que, dès sa requête, la requérante a soutenu, en substance, que la commission de recours ne pouvait se fonder sur l’absence de décision l’autorisant à participer à la plateforme aFRR. Partant, en faisant valoir, dans sa réplique, que la commission de recours aurait dû examiner le bien-fondé de la position de la Commission concernant sa participation ou, tout au moins, examiner si les conditions d’une telle participation étaient remplies, la requérante s’est limitée à développer l’argumentation figurant dans sa requête.

26      L’article 1er du règlement 2017/2195, intitulé « Objet et champ d’application » prévoit à son paragraphe 6 que « les plateformes européennes pour l’échange de produits standard d’équilibrage peuvent être ouvertes aux GRT exerçant en Suisse, à la condition que la législation nationale de la Suisse applique les principales dispositions de la législation de l’Union relative au marché de l’électricité et qu’il existe un accord intergouvernemental sur la coopération dans le domaine de l’électricité entre l’Union et la Suisse, ou si l’exclusion de la Suisse peut aboutir à ce que des flux physiques d’électricité non programmés passent par la Suisse et menacent la sécurité du réseau de la région ».

27      Selon l’article 1er, paragraphe 7, du règlement 2017/2195, « sous réserve que les conditions prévues au paragraphe 6 soient remplies, la participation de la Suisse aux plateformes européennes pour l’échange de produits standard d’équilibrage est décidée par la Commission sur la base d’un avis rendu par l’[ACER] et par tous les GRT conformément aux procédures énoncées à l’article 4, paragraphe 3 [ ; l]es droits et les responsabilités des GRT suisses sont en cohérence avec les droits et responsabilités des GRT exerçant dans l’Union, afin de permettre le bon fonctionnement du marché de l’équilibrage au niveau de l’Union, et de garantir que des règles équitables s’appliquent à toutes les parties intéressées ».

28      Selon une jurisprudence constante, il y a lieu, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (voir arrêt du 14 mars 2024, VR Bank Ravensburg-Weingarten, C‑536/22, EU:C:2024:234, point 35 et jurisprudence citée).

29      Force est de constater qu’il ressort d’une interprétation tant littérale que contextuelle du règlement 2017/2195 que, si l’article 1er, paragraphe 6, du règlement 2017/2195 prévoit les circonstances dans lesquelles une admission des GRT suisses aux plateformes européennes pour l’échange de produits standard d’équilibrage peut avoir lieu et, au nombre de celles-ci, l’éventualité que des flux physiques d’électricité non programmés passent par la Suisse et menacent la sécurité du réseau de la région, le paragraphe 7 de ce même article établit la procédure devant être suivie en vue de l’obtention d’une telle admission.

30      À cet égard, le libellé de l’article 1er, paragraphe 7, du règlement 2017/2195 est clair. Il s’en déduit que si l’ACER et les GRT de l’Union sont appelés à donner leur avis, c’est à la Commission que le pouvoir de décision est dévolu et que, à l’occasion de son exercice, elle ne prend pas seulement en compte les incidences sur la sécurité du réseau, mais vérifie également que les droits et les responsabilités des GRT suisses sont en cohérence avec ceux des GRT de l’Union.

31      Il en découle, en premier lieu, que c’est à juste titre que la commission de recours a retenu que, en l’absence de décision de la Commission au titre de l’article 1er, paragraphe 7, du règlement 2017/2195, la requérante ne disposait pas du droit de participer à la plateforme aFRR, dès lors qu’il est constant, d’une part, que ladite plateforme relève de la notion de « plateforme européenne pour l’échange de produits standard d’équilibrage » utilisée à l’article 1er, paragraphe 7, du règlement 2017/2195 et, d’autre part, qu’aucune décision de la Commission en ce sens n’a été adoptée.

32      En deuxième lieu et par voie de conséquence, dès lors qu’il découle de l’article 1er, paragraphes 6 et 7, du règlement 2017/2195 que c’est à la Commission qu’il appartient d’adopter une décision sur la participation de la Suisse aux plateformes et dans ce cadre, d’examiner si les conditions prévues à l’article 1er, paragraphe 6, dudit règlement sont remplies, c’est à tort que la requérante reproche à la commission de recours de ne pas avoir examiné si lesdites conditions étaient remplies ou si la Commission aurait dû adopter une décision au titre de l’article 1er, paragraphe 7, de ce règlement.

33      De même, il convient de relever que sont dénuées de pertinence les critiques de la requérante portant sur les appréciations figurant dans le courrier du 17 décembre 2020 s’agissant des incidences sur la sécurité du réseau qu’implique son absence de participation à la plateforme aFRR, ainsi que la référence à l’arrêt du 13 février 2025, Swissgrid/Commission (C‑121/23 P, EU:C:2025:83), annulant l’ordonnance du 21 décembre 2022, Swissgrid/Commission (T‑127/21, non publiée, EU:T:2022:868), laquelle avait déclaré irrecevable le recours en annulation qu’elle avait introduit à l’encontre dudit courrier.

34      En effet, dans l’éventualité même où le Tribunal devrait, à la suite de la reprise de la procédure dans l’affaire T‑127/21, annuler l’éventuelle décision de refus qui serait contenue dans le courrier du 17 décembre 2020, une telle annulation ne produirait pas d’effets équivalents à l’adoption d’une décision de la Commission autorisant la Suisse à participer à la plateforme aFRR au titre de l’article 1er,  paragraphe 7, du règlement 2017/2195. En application de l’article 264, premier alinéa, TFUE, les effets de l’annulation se limiterait à une élimination rétroactive de ladite décision de l’ordre juridique. Les parties se retrouveraient ainsi placées dans la situation où elles étaient avant le 17 décembre 2020, situation caractérisée par une absence de décision de la Commission autorisant la participation de la Suisse au titre de l’article 1er, paragraphe 7, du règlement 2017/2195.

35      En troisième lieu, la référence faite par la requérante à la nécessité pour l’ACER et la commission de recours d’être en mesure d’examiner si les conditions de sa participation à la plateforme aFRR étaient remplies, afin d’éviter qu’existe une « grave lacune dans le système juridictionnel de l’Union », ne saurait non plus prospérer.

36      Par une telle argumentation, la requérante soutient, en substance, qu’il existerait une lacune dans le contrôle juridictionnel de l’article 1er, paragraphes 6 et 7, du règlement 2017/2195, laquelle serait contraire à l’Union de droit, dans laquelle ses institutions, organes et organismes sont soumis au contrôle de la conformité de leurs actes, notamment, avec le traité et les principes généraux du droit (arrêt du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement, 294/83, EU:C:1986:166, point 23 ; voir, également, arrêt du 26 juin 2012, Pologne/Commission, C‑336/09 P, EU:C:2012:386, point 36 et jurisprudence citée).

37      À cet égard, dans la mesure où c’est à la Commission qu’il appartient de prendre la décision envisagée à l’article 1er, paragraphe 7, du règlement 2017/2195, il est loisible à la requérante, dans l’éventualité où elle estimerait que la Commission refuserait, à tort, d’adopter une telle décision de faire usage de la voie de droit prévue à l’article 265 TFUE, laquelle vise la carence par l’abstention de statuer ou de prendre position (arrêt du 13 juillet 1971, Deutscher Komponistenverband/Commission, 8/71, EU:C:1971:82, point 2 ; voir, également, arrêt du 19 novembre 2013, Commission/Conseil, C‑196/12, EU:C:2013:753, point 22 et jurisprudence citée).

38      Il convient, partant, de rejeter le premier moyen.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur d’appréciation dans l’application de l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942 aux circonstances de l’espèce

39      La requérante soutient que la commission de recours a méconnu l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942 en retenant que la décision 15/2022 ne modifiait pas de façon caractérisée sa situation juridique. Dans le cadre d’une première branche, elle reproche à la commission de recours de ne pas avoir pris en compte l’ajout par la décision 15/2022 d’une condition supplémentaire à sa participation à la plateforme aFRR par rapport au cadre de mise en œuvre tel qu’il résultait de la décision 03/2020, dès lors qu’il ne serait plus suffisant qu’elle obtienne une décision l’autorisant à participer au titre de l’article 1er, paragraphe 7, du règlement 2017/2195, mais qu’il faudrait également qu’elle soit soumise au droit de l’Union. Par sa seconde branche, elle estime que c’est à tort que la commission de recours n’a pas pris en compte les effets de la décision 15/2022 sur les contrats auxquels elle est partie.

40      L’ACER, soutenue par la Commission, estime que la commission de recours n’a pas méconnu l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942. L’ACER fait également valoir que la seconde branche du moyen est irrecevable.

41      Aux points 62 à 67 de la décision attaquée, la commission de recours a conclu que la décision 15/2022 ne produisait pas d’effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la requérante en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique aux motifs, premièrement, que ladite situation juridique n’était pas régie par la décision 15/2022, mais par le règlement 2017/2195, deuxièmement, que, dans la mesure où la requérante ne disposait pas d’un droit de participer à la plateforme aFRR au titre de la décision 03/2020, il ne pouvait être retenu que la décision 15/2022 l’affectait directement et individuellement et, troisièmement, que la participation passée de la requérante à des projets de plateforme ou aux contrats qui y étaient afférents était dépourvue de pertinence.

42      L’article 28 du règlement 2019/942, intitulé « Décisions pouvant faire l’objet d’un recours », précise, à son paragraphe 1, que toute « personne physique ou morale, y compris des autorités de régulation, peut former un recours contre une décision visée à l’article 2, [sous] d), dont elle est le destinataire ou contre une décision qui, bien qu’elle ait été prise sous la forme d’une décision dont une autre personne est le destinataire, la concerne directement et individuellement ».

43      Cette disposition étant inspirée de celle relative au recours en annulation devant la Cour et, plus particulièrement, sur la première partie de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, elle doit être interprétée à la lumière de la jurisprudence afférente à cette dernière disposition.

44      À cet égard, il y a lieu de rappeler, d’une part, que lorsque le recours en annulation est introduit par une personne physique ou morale, celui-ci n’est ouvert que si les effets juridiques obligatoires de l’acte contesté sont de nature à affecter les intérêts de la partie requérante, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celle-ci. D’autre part, s’agissant plus particulièrement d’un recours en annulation contre un acte dont elle n’est pas le destinataire, cette exigence se chevauche avec les conditions posées à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, tenant à ce que la partie requérante soit affectée directement et individuellement par l’acte attaqué (voir, en ce sens, arrêt du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission, C‑463/10 P et C‑475/10 P, EU:C:2011:656, points 37 et 38).

45      En ce qui concerne la condition de l’affectation directe, il ressort d’une jurisprudence constante que la condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par l’acte faisant l’objet du recours requiert que cet acte produise directement des effets sur sa situation juridique et ne laisse aucun pouvoir d’appréciation à ses destinataires qui sont chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires (voir arrêt du 13 mars 2008, Commission/Infront WM, C‑125/06 P, EU:C:2008:159, point 47 et jurisprudence citée).

46      En ce qui concerne l’affectation individuelle, selon une jurisprudence constante, une personne physique ou morale autre que le destinataire d’un acte ne saurait prétendre être concernée individuellement, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, que si elle est atteinte par l’acte en cause, en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, l’individualise d’une manière analogue à celle dont le serait le destinataire de l’acte (arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, EU:C:1963:17, p. 223 ; voir, également, arrêt du 27 février 2014, Stichting Woonlinie e.a./Commission, C‑133/12 P, EU:C:2014:105, point 44 et jurisprudence citée).

47      C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu d’examiner les deux branches du moyen.

 Sur la première branche du moyen

48      Par sa première branche, la requérante soutient que la décision 15/2022 a ajouté une condition à sa participation, en plus de celle tenant à l’obtention d’une décision de la Commission au titre de l’article 1er, paragraphe 7, du règlement 2017/2195. Essentiellement, elle fait valoir que, dans l’éventualité même où elle obtiendrait une décision de la Commission autorisant sa participation à la plateforme aFRR au titre dudit article 1er, paragraphe 7, elle ne répondrait pas à la définition de « GRT membre » qui figure dans le cadre de mise en œuvre à la suite de sa modification par la décision 15/2022.

49      À cet égard, il suffit de souligner qu’une telle argumentation repose sur une interprétation erronée du cadre de mise en œuvre, tel que modifié par la décision 15/2022. En effet, la notion de « GRT auquel le règlement 2017/2195 s’applique » figurant désormais dans la définition de « GRT membre » (voir point 11 ci-dessus) ne pourrait être interprétée que comme incluant la requérante, dans l’éventualité où elle aurait obtenu une décision de la Commission approuvant sa participation à la plateforme aFRR au titre de l’article 1er, paragraphe 7, du règlement 2017/2195.

50      En effet, dans la mesure où la décision 15/2022 a été adoptée sur le fondement du règlement 2017/2195, les dispositions du cadre de mise en œuvre, tel que modifié par cette décision, doivent faire l’objet d’une interprétation conforme aux dispositions de ce règlement, à moins qu’elles ne disposent d’un sens clair et dépourvu d’ambiguïté et qui n’exige donc aucune interprétation (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2021, Daimler/Commission, T‑359/19, EU:T:2021:568, point 92).

51      Or, dès lors que le règlement 2017/2195 prévoit explicitement la participation des GRT suisses dans les conditions et selon les modalités prévues par son article 1er, paragraphes 6 et 7, il en résulte nécessairement que la notion de « GRT auquel le règlement [2017/2195] s’applique » figurant à l’article 2, paragraphe 1, sous q), du cadre de mise en œuvre doit être interprétée comme incluant un GRT suisse dont la participation a été admise au titre de ce règlement.

52      Il convient, partant, de rejeter la première branche du deuxième moyen.

 Sur la seconde branche du moyen

53      Par sa seconde branche, la requérante invoque les effets de la modification du libellé du cadre de mise en œuvre sur l’accord de coopération Picasso pour soutenir que la décision 15/2022 a modifié de façon caractérisée sa situation juridique.

–       Sur la recevabilité de la seconde branche, contestée par l’ACER

54      L’ACER estime que la présente branche du moyen est irrecevable dans la mesure où la requérante n’a pas fourni la copie de l’accord de coopération Picasso en annexe à sa requête et se réfère d’une manière vague et générale à son contenu.

55      En vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal conformément à l’article 53, premier alinéa, du même statut, ainsi que de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, la requête doit contenir l’objet du litige, les moyens et arguments invoqués ainsi qu’un exposé sommaire desdits moyens. Ces éléments doivent être suffisamment clairs et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans autres informations. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il est nécessaire, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent d’une façon cohérente et compréhensible du texte de la requête elle-même (voir, en ce sens, ordonnance du 28 avril 1993, De Hoe/Commission, T‑85/92, EU:T:1993:39, point 20 et jurisprudence citée). La requête doit, de ce fait, expliciter en quoi consiste le moyen sur lequel le recours est fondé, de sorte que sa seule énonciation abstraite ne répond pas aux exigences du règlement de procédure. Des exigences analogues sont requises lorsqu’un grief est invoqué au soutien d’un moyen (voir arrêt du 25 mars 2015, Belgique/Commission, T‑538/11, EU:T:2015:188, point 131 et jurisprudence citée ; ordonnance du 27 novembre 2020, PL/Commission, T‑728/19, non publiée, EU:T:2020:575, point 64).

56      La requérante, premièrement, soutient disposer d’un droit contractuel à participer à la plateforme aFRR en vertu de l’accord de coopération Picasso. Deuxièmement, elle estime que le cadre de mise en œuvre, tel qu’il figure en annexe à la décision 15/2022, aboutit à la priver de ce droit contractuel. Troisièmement, elle déduit d’une application par analogie de la position du Tribunal dans les arrêts du 11 juillet 2007, Alrosa/Commission (T‑170/06, EU:T:2007:220, point 39), et du 12 décembre 2018, Groupe Canal +/Commission (T‑873/16, EU:T:2018:904, points 22 à 27), que la décision 15/2022 a modifié de façon caractérisée sa situation juridique.

57      Une telle argumentation est tout à fait conforme à l’article 76, sous d), du règlement de procédure.

58      Ce que conteste l’ACER concerne plutôt l’absence de preuve par la requérante de la prémisse factuelle sur laquelle repose cette argumentation, à savoir l’existence d’un droit contractuel à participer à la plateforme aFRR en vertu de l’accord de coopération Picasso, dans la mesure où elle n’a pas fourni en annexe à sa requête une copie de cet accord.

59      Il est exact que la requérante n’a pas produit une copie de l’accord de coopération Picasso en annexe à sa requête. Dans sa réplique, elle a justifié cette absence par la complexité et la longueur de ce document et le caractère inutile d’une telle production, mais a émis une offre de preuve en ce sens. À la suite d’une mesure d’organisation de la procédure, la requérante a communiqué au Tribunal une copie de l’accord de coopération Picasso ainsi que de l’accord principal.

60      En application de l’article 85, paragraphe 1, du règlement de procédure, les « preuves et les offres de preuve sont présentées dans le cadre du premier échange de mémoires » et, selon son paragraphe 2, les « parties principales peuvent encore produire des preuves ou faire des offres de preuve dans la réplique et la duplique à l’appui de leur argumentation, à condition que le retard dans la présentation de celles-ci soit justifié ».

61      Force est de constater que la requérante a justifié au sens de l’article 85, paragraphe 2, du règlement de procédure le retard dans son offre de preuve, en soulignant, en substance, qu’elle estimait qu’il n’était pas nécessaire qu’elle démontre l’existence à son égard d’un droit contractuel de participer à la plateforme aFRR.

62      À cet égard, il y a lieu de relever que, dès son acte de recours devant la commission de recours, la requérante a soutenu que la décision 15/2022 affectait ses droits contractuels, ainsi que l’a résumé la commission de recours au point 48 de la décision attaquée. Or, ladite commission a écarté cet argument comme étant dénué de pertinence plutôt qu’en raison de l’absence de démonstration par la requérante des droits dont elle se prévalait, en soulignant au point 64 de la décision attaquée que la participation passée à des projets de plateforme ou à des arrangements contractuels ne pouvait être invoquée d’une manière qui remet en cause les dispositions particulières figurant dans le règlement 2017/2195. La requérante pouvait donc légitimement estimer ne pas avoir à démontrer l’existence de ces droits contractuels dont la matérialité n’avait pas été remise en cause par la commission de recours.

63      La fin de non-recevoir de l’ACER doit donc être écartée.

–       Sur l’examen au fond de la seconde branche

64      S’agissant de l’examen au fond de cette branche du moyen, il convient de relever que la requérante est signataire tant de l’accord principal que de l’accord de coopération Picasso.

65      En outre, il convient de relever que les contrats auxquels la requérante est partie ont pour objet de régir le fonctionnement de la plateforme aFRR dans le prolongement du règlement 2017/2195 et du cadre de mise en œuvre. Ainsi, il découle de la lecture du préambule de l’accord principal, commun à l’ensemble des plateformes prévues par le règlement 2017/2195, que celui-ci vise à déterminer le cadre des obligations réciproques des parties concernant le développement, la maintenance et l’exploitation desdites plateformes et conformément aux cadres de mise en œuvre adoptés au titre de ce règlement. De même, il ressort du préambule de l’accord de coopération Picasso qu’il a été adopté dans le prolongement du règlement 2017/2195, du cadre de mise en œuvre et de l’accord principal.

66      Il n’en résulte cependant pas que la modification de la définition de la notion de « GRT membre » a abouti à priver la requérante de l’exercice de ses droits contractuels et, dès lors, a produit directement des effets sur sa situation juridique au sens de la jurisprudence citée au point 44 ci-dessus.

67      Premièrement, il convient de rappeler que l’objet de la plateforme aFRR consiste en l’échange de produits standard d’énergie d’équilibrage à partir de réserves de restauration de la fréquence avec activation automatique.

68      Deuxièmement, force est de constater que, même antérieurement à la décision 15/2022, la requérante ne disposait pas d’un droit contractuel inconditionnel à utiliser la plateforme aFRR à de telles fins.

69      En effet, il est constant entre les parties, d’une part, que cette possibilité n’est pas offerte à l’ensemble des « GRT membres », mais seulement à ceux relevant de la qualification de « GRT participants » et, d’autre part, que les contrats auxquels la requérante est partie conditionnent la possibilité pour la requérante de participer à la plateforme aFRR à l’adoption d’une décision de la Commission au titre de l’article 1er du règlement 2017/2195, ainsi qu’en atteste, notamment, le point 8.3 de l’accord principal.

70      Troisièmement, dans la mesure où, antérieurement à la décision 15/2022, la requérante, au titre des contrats en question, et cela indépendamment de son éventuelle qualification de « GRT membre », ne disposait pas du droit contractuel d’utiliser la plateforme aFRR afin d’échanger des produits standard d’énergie d’équilibrage en l’absence de décision de la Commission en ce sens, il ne saurait être considéré que la décision 15/2022 l’a privée d’un tel droit et partant a produit directement des effets sur sa situation juridique au sens de la jurisprudence citée au point 45 ci-dessus.

71      Il résulte de tout ce qui précède que la commission de recours n’a pas commis d’erreur de droit en écartant le recours comme irrecevable au motif que les conditions prévues à l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942 n’étaient pas remplies.

72      Il convient, partant, de rejeter la seconde branche et, par voie de conséquence, le deuxième moyen.

 Sur le troisième moyen, présenté à titre subsidiaire et tiré, en substance, de l’illégalité du règlement 2017/2195

73      Par son troisième moyen, la requérante soulève une exception d’illégalité au sens de l’article 277 TFUE contre le règlement 2017/2195 dans l’éventualité où l’article 1er, paragraphes 6 et 7, du règlement 2017/2195 devrait être interprété comme excluant la participation de la Suisse aux plateformes d’équilibrage, alors même qu’une telle exclusion mettrait en danger la sécurité d’exploitation du réseau.

74      L’ACER estime que le présent moyen est irrecevable dans la mesure où la requérante n’a pas introduit de recours en annulation contre le règlement 2017/2195 et ne démontre pas qu’il aurait existé un doute quant à la recevabilité d’un tel recours.

75      Le Tribunal estime que, dans les circonstances de l’espèce, la bonne administration de la justice justifie de se prononcer sur le fond de l’exception d’illégalité soulevée par la requérante, sans qu’il soit nécessaire de statuer préalablement sur la recevabilité de celle-ci (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C‑23/00 P, EU:C:2002:118, point 52).

76      L’exception d’illégalité est constituée de cinq branches tirées, respectivement, en substance, premièrement, d’une méconnaissance par la Commission de l’étendue de ses compétences d’exécution, deuxièmement, de la violation de l’article 3, sous h) et i), et de l’article 6, paragraphe 3, du règlement (UE) 2019/943 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juin 2019 sur le marché intérieur de l’électricité (JO 2019, L 158, p. 54), troisièmement, de la violation de l’article 218, paragraphe 6, TFUE, quatrièmement, de la violation de l’article 13, paragraphe 1, de l’accord entre la Communauté économique européenne et la Confédération suisse, du 22 juillet 1972 (JO 1972, L 300, p. 188, ci-après l’« accord de libre-échange ») et, cinquièmement, de la violation du principe de prévention issu du droit international coutumier.

77      L’ACER, soutenue par la Commission, estime que l’exception d’illégalité doit être rejetée.

 Sur la première branche du moyen

78      La requérante soutient que la Commission ne disposait pas de la compétence pour réglementer la question de la participation de la Suisse à la plateforme aFRR dans le règlement 2017/2195. D’une part, elle fait valoir que la participation de la Suisse à la plateforme aFRR s’apparente à une matière essentielle ne pouvant faire l’objet d’un acte d’exécution. D’autre part et en toute hypothèse, la Commission, en adoptant des règles sur cette question, aurait dépassé l’étendue de l’habilitation qui lui était conférée en réglementant un domaine à l’égard duquel le règlement 2019/943 est silencieux et en se reconnaissant un pouvoir d’appréciation illimité afin de décider de la participation de la Suisse aux plateformes d’équilibrage.

79      À titre liminaire, il convient de relever que le règlement 2017/2195 a comme base juridique l’article 18, paragraphe 3, sous b) et d), et paragraphe 5, du règlement no 714/2009. Dans la mesure où il découle de l’article 18, paragraphe 5, première phrase, de ce dernier règlement que, en ce qui concerne le paragraphe 3 dudit article, la Commission ne peut adopter que des orientations, ses pouvoirs, au regard de la distinction effectuée par le traité FUE à ses articles 290 et 291 entre « acte délégué » et « acte d’exécution », relèvent de cette seconde catégorie. Cette interprétation est confirmée par le règlement 2019/943, lequel a procédé à une refonte du règlement no 714/2009 dont la disposition correspondante, à savoir l’article 61, paragraphes 4 à 6, se réfère explicitement à l’adoption d’« actes d’exécution ».

80      Aux termes de l’article 291, paragraphe 2, TFUE, lorsque des conditions uniformes d’exécution des actes juridiquement contraignants de l’Union sont nécessaires, ces actes confèrent des compétences d’exécution à la Commission ou, dans des cas spécifiques dûment justifiés et dans les cas prévus aux articles 24 et 26 TUE, au Conseil de l’Union européenne.

81      Lorsqu’un pouvoir d’exécution est conféré à la Commission sur le fondement de l’article 291, paragraphe 2, TFUE, celle-ci est appelée à préciser le contenu de l’acte législatif, afin d’assurer sa mise en œuvre dans des conditions uniformes dans tous les États membres (voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 2014, Parlement/Commission, C‑65/13, EU:C:2014:2289, point 43).

82      Selon une jurisprudence constante de la Cour, l’adoption des règles essentielles d’une matière telle que celle en cause dans la présente affaire est réservée à la compétence du législateur de l’Union et ces règles doivent être arrêtées dans la réglementation de base. Il s’ensuit que les dispositions établissant les éléments essentiels d’une réglementation de base, dont l’adoption nécessite d’effectuer des choix politiques relevant des responsabilités propres du législateur de l’Union, ne sauraient faire l’objet d’une délégation ni figurer dans des actes d’exécution (voir, en ce sens, arrêt du 5 septembre 2012, Parlement/Conseil, C‑355/10, EU:C:2012:516, points 64 à 66 et jurisprudence citée).

83      La question de savoir quels sont les éléments d’une matière qui doivent être qualifiés d’essentiels doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel et impose de prendre en compte les caractéristiques et les particularités du domaine concerné (voir, en ce sens, arrêt du 5 septembre 2012, Parlement/Conseil, C‑355/10, EU:C:2012:516, points 67 et 68).

84      En outre, en application d’une jurisprudence constante, la Commission précise l’acte législatif si les dispositions de l’acte d’exécution qu’elle adopte, d’une part, respectent les objectifs généraux essentiels poursuivis par l’acte législatif et, d’autre part, sont nécessaires ou utiles pour la mise en œuvre de celui-ci sans qu’elles le complètent ni le modifient, même dans ses éléments non essentiels (voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 2014, Parlement/Commission, C‑65/13, EU:C:2014:2289, points 45 et 46).

85      Force est de constater que de telles conditions sont respectées en l’espèce.

86      Ainsi qu’il ressort notamment du considérant 1 du règlement no 714/2009 et du considérant 2 du règlement 2019/943, ceux-ci ont pour objectif la création d’un marché intérieur de l’électricité, sur la base de règles équitables pour les échanges transfrontaliers d’électricité afin d’améliorer la concurrence sur le marché intérieur de l’électricité. Le règlement 2017/2195 s’inscrit dans la perspective de la réalisation de cet objectif, ainsi qu’en attestent ses considérants 1 et 10, dont il découle que ledit règlement vise l’intégration des marchés de l’énergie d’équilibrage, qui devrait être facilitée par la mise en place de plateformes européennes communes dans la perspective de la création d’un marché intérieur de l’énergie pleinement fonctionnel et interconnecté.

87      Or, ainsi que la Cour a eu l’occasion de le souligner, la Confédération suisse, de par son refus de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE), n’a pas souscrit au projet d’un ensemble économique intégré avec un marché unique, fondé sur des règles communes entre ses membres, mais a préféré la voie d’arrangements bilatéraux avec l’Union et ses États membres, dans des domaines précis. Dès lors, la Confédération suisse n’a pas adhéré au marché intérieur de l’Union (arrêts du 12 novembre 2009, Grimme, C‑351/08, EU:C:2009:697, point 27, et du 7 mars 2013, Suisse/Commission, C‑547/10 P, EU:C:2013:139, points 78 et 79).

88      Force est donc de constater que l’exclusion des GRT exerçant en Suisse de la participation aux plateformes envisagées dans le règlement 2017/2195, sous réserve d’un arrangement bilatéral alternatif qui reste toujours possible, est pleinement justifiée au regard des objectifs poursuivis par le règlement no 714/2009 et, notamment, de celui de la création d’un marché intérieur.

89      À cet égard, il y a lieu de relever que la première des deux hypothèses mises en exergue par l’article 1er, paragraphe 6, du règlement 2017/2195 vise précisément l’hypothèse de l’adoption d’un arrangement bilatéral avec la Confédération suisse, au sens de la jurisprudence citée au point 87 ci-dessus, dès lors qu’elle porte sur l’éventualité que « la législation nationale de la Suisse applique les principales dispositions de la législation de l’Union relative au marché de l’électricité et qu’il existe un accord intergouvernemental sur la coopération dans le domaine de l’électricité entre l’Union et la Suisse ».

90      En outre, il convient de rappeler que la seconde hypothèse mise en exergue par l’article 1er, paragraphe 6, du règlement 2017/2195 porte sur l’éventualité « que l’exclusion de la Suisse [puisse] aboutir à ce que des flux physiques d’électricité non programmés passent par la Suisse et menacent la sécurité du réseau de la région ». Force est de constater que, en permettant, à titre d’exception, la possibilité d’une participation unilatérale de la Suisse aux plateformes pour des motifs liés à la sécurité du réseau, la Commission s’est limitée à l’adoption d’une règle « nécessaire ou utile » au sens de la jurisprudence citée au point 84 ci-dessus, dès lors qu’elle a concilié l’absence de participation de la Suisse au marché intérieur avec l’impératif d’assurer la sécurité et la fiabilité du réseau, lequel apparaissait de manière transversale dans le règlement no 714/2009 et se retrouve également dans le règlement 2019/943.

91      À cet égard, s’agissant du pouvoir d’appréciation de la Commission à l’occasion de l’adoption de la décision envisagée à l’article 1er, paragraphe 7, du règlement 2017/2195, il convient de relever que celui-ci n’est pas incompatible avec la nature d’acte d’exécution du règlement 2017/2195. En effet, ce pouvoir d’appréciation est inhérent à l’examen des questions de savoir si l’exclusion de la Suisse peut aboutir à ce que des flux physiques d’électricité non programmés y passent, si ceux-ci sont susceptibles de menacer la sécurité du réseau de la région et si les droits et responsabilités des GRT suisses sont cohérents avec ceux des GRT exerçant dans l’Union. Il ne s’apparente pas à l’exercice d’un choix politique au sens de la jurisprudence citée au point 82 ci-dessus.

92      Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que la Commission n’a pas méconnu les limites de sa compétence d’exécution à l’occasion de l’adoption du règlement 2017/2195.

93      Il y a donc lieu de rejeter la première branche du moyen.

 Sur la deuxième branche du moyen

94      La requérante allègue que le règlement 2017/2195, en ce qu’il l’exclurait de la plateforme aFRR, serait contraire à l’article 3, sous h) et i), du règlement 2019/943 ainsi qu’à l’article 6, paragraphe 3, du même règlement.

95      Premièrement, s’agissant de l’article 3 du règlement 2019/943, celui-ci est intitulé « Principes relatifs au fonctionnement des marchés de l’électricité » et relève du chapitre II portant sur les « règles générales applicables au marché de l’électricité ». Selon cette disposition :

« Les États membres, les autorités de régulation, les gestionnaires de réseau de transport, les gestionnaires de réseau de distribution, les opérateurs du marché et les gestionnaires délégués veillent à ce que les marchés de l’électricité soient exploités conformément aux principes suivants :

[…]

h)      les obstacles aux flux transfrontaliers d’électricité entre les zones de dépôt des offres ou les États membres et aux transactions transfrontalières sur les marchés de l’électricité et les marchés de service connexes sont progressivement levés ;

i)      les règles du marché prévoient la coopération régionale lorsque celle-ci est efficace ;

[…] »

96      Force est de constater qu’il n’existe aucune contrariété entre la limitation du champ d’application des GRT susceptibles de participer à la plateforme aFRR figurant à l’article 1er du règlement 2017/2195 et ces objectifs. En effet, la participation à ladite plateforme ne constitue pas l’unique moyen d’atteindre l’objectif explicité à l’article 3, sous h), du règlement 2019/943. À cet égard, il suffit de souligner que l’article 13 du règlement (UE) 2017/1485 de la Commission, du 2 août 2017, établissant une ligne directrice sur la gestion du réseau de transport de l’électricité (JO 2017, L 220, p. 1) prévoit explicitement que, « lorsqu’une zone synchrone englobe des GRT de l’Union et de pays tiers, dans un délai de dix-huit mois après l’entrée en vigueur du présent règlement, tous les GRT de l’Union présents dans cette zone synchrone s’efforcent de conclure avec les GRT des pays tiers non liés par le présent règlement un accord fixant la base de leur coopération en ce qui concerne le fonctionnement sûr du réseau et définissant les modalités de la mise en conformité des GRT des pays tiers avec les obligations prévues par le règlement ».

97      De même, si l’objectif d’une coopération régionale figurant à l’article 3, sous i), du règlement 2019/943 peut être interprété comme incluant la coopération avec les GRT de pays tiers, ainsi que le souligne, notamment, le considérant 70 du règlement 2019/943 en ce qui concerne l’exploitation sûre du réseau, cette coopération ne passe pas nécessairement par un accès aux plateformes envisagées par le règlement 2017/2195, mais peut prendre la forme d’accords entre les GRT de l’Union et les GRT des pays tiers concernés, ainsi qu’en atteste l’article 13 du règlement 2017/1485 cité au point 96 ci-dessus.

98      Deuxièmement, s’agissant de l’article 6, paragraphe 3, du règlement 2019/943, il précise que « les marchés d’équilibrage garantissent la sécurité d’exploitation tout en permettant un usage maximal et une allocation efficiente de la capacité d’échange entre zones aux différentes échéances ». Il convient cependant de relever que cet objectif doit être concilié avec l’établissement de « règles équitables pour les échanges transfrontaliers d’électricité afin d’améliorer la concurrence sur le marché intérieur de l’électricité » figurant à l’article 1er, sous c), de ce même règlement et l’absence de participation de la Suisse au marché intérieur. Pour des raisons analogues à celles déjà exposées aux points 90 et 91 ci-dessus, une telle conciliation est précisément effectuée par l’article 1er, paragraphes 6 et 7, du règlement 2017/2195, en ce que celui-ci prévoit la possibilité d’un accès de la requérante à la plateforme aFRR, pour des motifs liés à la sécurité du réseau tout en assurant un contrôle de la cohérence des droits et des responsabilités des GRT exerçant dans l’Union et en Suisse.

99      La seconde branche du moyen doit, partant, également être rejetée.

 Sur la troisième branche du moyen

100    Selon la requérante, si l’article 1er, paragraphes 6 et 7, du règlement 2017/2195 devait être interprété comme permettant à la Commission de refuser sa participation aux plateformes d’équilibrage dans l’éventualité même où un accord entre la Confédération suisse et l’Union serait conclu, la décision du Conseil portant conclusion de l’accord adoptée au titre de l’article 218, paragraphe 6, TFUE pourrait s’en trouver privée d’effet.

101    Ainsi, le présent moyen repose sur le postulat selon lequel, dans l’éventualité où un accord entre la Confédération suisse et l’Union serait conclu, la Commission serait en mesure d’exclure que cet accord produise ses effets en n’adoptant pas la décision prévue à l’article 1er, paragraphe 7, du règlement 2017/2195.

102    Or, force est de constater qu’un tel postulat est erroné.

103    En vertu de l’article 216, paragraphe 2, TFUE, lorsque des accords internationaux sont conclus par l’Union, les institutions de l’Union sont liées par de tels accords et, par conséquent, ceux-ci priment les actes de l’Union (voir arrêt du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a., C‑366/10, EU:C:2011:864, point 50 et jurisprudence citée).

104    En outre, il convient de rappeler qu’une disposition d’un accord international est d’effet direct lorsque, eu égard à ses termes ainsi qu’à l’objet et à la nature de l’accord, elle comporte une obligation claire et précise qui n’est subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l’intervention d’aucun acte ultérieur (voir, en ce sens, arrêts du 30 septembre 1987, Demirel, 12/86, EU:C:1987:400, point 14, et du 13 septembre 2018, Gazprom Neft/Conseil, T‑735/14 et T‑799/14, EU:T:2018:548, point 150).

105    En toute hypothèse, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dès lors qu’une réglementation de l’Union existe dans le domaine concerné, la primauté des accords internationaux conclus par l’Union sur les textes de droit dérivé commande d’interpréter ces derniers, dans la mesure du possible, en conformité avec ces accords (voir arrêt du 22 novembre 2012, Digitalnet e.a., C‑320/11, C‑330/11, C‑382/11 et C‑383/11, EU:C:2012:745, point 39 et jurisprudence citée).

106    Il en résulte que, dans l’éventualité même où la disposition de l’accord international prévoyant la participation de la Suisse ne répondrait pas aux conditions précisées dans la jurisprudence citée au point 104 ci-dessus, la Commission ne pourrait omettre de prendre en compte l’existence dudit accord.

107    Il convient, partant, de rejeter la troisième branche du moyen.

 Sur la quatrième branche du moyen

108    La requérante soutient que le règlement 2017/2195 constitue une restriction quantitative à l’importation d’énergie électrique contraire à l’article 13, paragraphe 1, de l’accord de libre-échange, applicable à l’énergie électrique. Elle fait valoir que les conditions dans lesquelles l’article 13, paragraphe 1, peut être invoqué devant les juridictions de l’Union sont remplies. Partant, dans la mesure où le règlement 2017/2195 aboutirait à empêcher la requérante de soumettre des offres par l’intermédiaire de la plateforme aFRR, alors que ce règlement prévoit que l’énergie d’équilibrage dans l’Union ne peut être échangée qu’au moyen des plateformes d’équilibrage, celui-ci serait contraire à l’article 13, paragraphe 1, de l’accord de libre-échange. En outre, aucune justification au titre de la sécurité publique en application de l’article 20 dudit accord ne serait applicable.

109    Selon l’article 13, paragraphe 1, de l’accord de libre-échange, « [a]ucune nouvelle restriction quantitative à l’importation ni mesure d’effet équivalent ne sont introduites dans les échanges entre la Communauté et la Suisse ».

110    En l’espèce, force est de constater que la présente branche du moyen encourt le rejet sans qu’il soit nécessaire d’examiner si la légalité du règlement 2017/2195 peut être appréciée au regard de l’article 13 de l’accord de libre-échange.

111    Tout d’abord, il convient de relever que l’interprétation donnée aux dispositions du droit de l’Union, y compris celles du traité relatives au marché intérieur, dont l’article 28 TFUE, ne peut pas être automatiquement transposée à l’interprétation des notions de « restriction quantitative » et de « mesures d’effet équivalent » figurant à l’article 13, paragraphe 1, de l’accord de libre-échange, en l’absence de dispositions expresses à cet effet prévues par l’accord lui-même (voir, en ce sens, arrêts du 9 février 1982, Polydor et RSO Records, 270/80, EU:C:1982:43, points 14 à 16 ; du 12 novembre 2009, Grimme, C‑351/08, EU:C:2009:697, point 29, et du 24 septembre 2013, Demirkan, C‑221/11, EU:C:2013:583, point 44). Or, aucune stipulation en ce sens ne figure dans l’accord de libre-échange.

112    Ensuite, pour les motifs déjà exposés aux points 86 et 87 ci-dessus, il ressort de la lecture combinée des considérants 1 et 10 du règlement 2017/2195 que la création de plateformes communes s’inscrit dans la perspective de la mise en œuvre du marché intérieur de l’électricité, c’est-à-dire d’un ensemble économique intégré reposant sur le respect de règles communes auquel la Confédération suisse n’a pas adhéré, dès lors qu’elle a préféré la voie d’arrangements bilatéraux avec l’Union et ses États membres, dans des domaines précis.

113    Enfin, ainsi que le fait valoir la Commission dans ses écritures, l’objectif et la finalité de l’accord de libre-échange, tels qu’ils sont énoncés à son article 1er, sont de « promouvoir, par l’expansion des échanges commerciaux réciproques, le développement harmonieux des relations économiques entre la Communauté économique européenne et la Confédération suisse ». En revanche, l’accord de libre-échange n’a pas pour objectif la création d’un espace économique doté d’un environnement réglementaire homogène.

114    Il s’ensuit que l’exclusion de la requérante de la participation à la plateforme aFRR ne peut pas être considérée comme une restriction quantitative à l’importation d’énergie d’équilibrage, ou comme une mesure d’effet équivalent, au sens de l’article 13 de l’accord de libre-échange.

115    En tout état de cause, la requérante n’est pas soumise au respect des mêmes règles communes que les GRT de l’Union et ne peut pas, dès lors, être considérée comme étant dans une situation comparable à celles des GRT de l’Union par rapport à l’objectif de création d’un marché intérieur de l’électricité. La requérante ne peut donc utilement invoquer l’existence d’une discrimination arbitraire à son égard.

116    La quatrième branche doit, dès lors, être rejetée.

 Sur la cinquième branche du moyen

117    La requérante fait valoir, en substance, que, dans l’éventualité où le règlement 2017/2195 devrait être interprété comme excluant sa participation à la plateforme aFRR, ce règlement serait manifestement contraire au principe de prévention issu du droit international coutumier, que l’Union est tenue de respecter en application de l’article 3, paragraphe 5, TUE. Elle souligne que cette règle de droit international coutumier implique de ne pas utiliser son territoire aux fins d’actes contraires aux droits d’autres États. En l’espèce, la Commission aurait manifestement méconnu l’obligation qui lui incombe de faire preuve de la diligence requise en vue de prévenir la survenance de dommages importants sur le territoire suisse en raison des nombreux flux physiques d’électricité non programmés à travers la Suisse susceptibles d’être créés par une plateforme aFRR fonctionnant sans sa participation et des effets de congestion et de leurs conséquences négatives en résultant.

118    Premièrement, il convient de rappeler qu’il ressort de l’article 3, paragraphe 5, TUE que l’Union contribue au strict respect et au développement du droit international. Par conséquent, lorsqu’elle adopte un acte, elle est tenue de respecter le droit international dans son ensemble, y compris le droit international coutumier qui lie les institutions de l’Union (voir arrêt du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a., C‑366/10, EU:C:2011:864, point 101 et jurisprudence citée).

119    À cet égard, il est exact que, dès son arrêt Détroit de Corfou [(Royaume-Uni c. Albanie), du 9 avril 1949, Recueil 1949, p. 22], la Cour internationale de justice (CIJ) a mis en avant, au titre de certains principes généraux et bien reconnus, l’« obligation, pour tout État, de ne pas laisser utiliser son territoire aux fins d’actes contraires aux droits d’autres États ». L’existence de cette règle coutumière a été rappelée par la CIJ, notamment, dans son arrêt Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay [(Argentine c. Uruguay), du 20 avril 2010, Recueil 2010, p. 45 et 46, point 101], dont il découle, en substance, qu’un sujet de droit international est soumis à une obligation de diligence requise à l’occasion de l’exercice de ses compétences.

120    Deuxièmement, il découle d’une jurisprudence constante que, pour qu’un principe du droit international coutumier puisse être invoqué par un justiciable aux fins de l’examen par le juge de l’Union de la validité d’un acte de l’Union, il est nécessaire que, d’une part, il soit susceptible de mettre en cause la compétence de l’Union pour adopter ledit acte et, d’autre part, l’acte en cause soit susceptible d’affecter des droits que le justiciable tire du droit de l’Union ou de créer à son égard des obligations au regard de ce droit (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a., C‑366/10, EU:C:2011:864, point 107 et jurisprudence citée).

121    En l’espèce, il ne saurait être exclu que ces deux conditions soient remplies à l’égard de la requérante.

122    D’une part, il est constant que la Suisse fait partie de la zone synchrone de l’Europe continentale et est, de facto, géographiquement entourée par des États membres de l’Union. Sous cet angle, il pourrait être considéré que le principe de prévention est susceptible de remettre en cause la compétence de l’Union pour adopter une réglementation susceptible d’avoir une incidence sur l’ensemble de ladite zone synchrone, y compris la Suisse.

123    D’autre part, dès lors que la requérante est le gestionnaire unique du réseau électrique suisse, dans l’éventualité où son absence de participation à la plateforme aFRR aurait pour conséquence qu’elle doive prendre les mesures impliquées par des flux physiques d’électricité non programmés, il pourrait être retenu que le règlement 2017/2195 crée des obligations à son égard au sens de la jurisprudence citée au point 120 ci-dessus.

124    Troisièmement, dès lors qu’un principe du droit international coutumier ne revêt pas le même degré de précision qu’une disposition d’un accord international, le contrôle juridictionnel doit nécessairement se limiter à la question de savoir si les institutions de l’Union, en adoptant l’acte en cause, ont commis des erreurs manifestes d’appréciation quant aux conditions d’application de ce principe (voir arrêt du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a., C‑366/10, EU:C:2011:864, point 110 et jurisprudence citée).

125    Cette troisième condition, en revanche, ne saurait être considérée comme satisfaite.

126    D’une part, ainsi que cela a déjà été exposé aux points 96 et 97 ci-dessus, le droit de l’Union, par le truchement de l’article 13 du règlement 2017/1485, prévoit explicitement la conclusion d’accords entre GRT de l’Union et GRT de pays tiers lorsque ceux-ci sont présents dans une même zone synchrone. Il en découle que l’absence de participation de la requérante à la plateforme aFRR n’exclut nullement une collaboration entre la requérante et les GRT de l’Union s’agissant de la sécurité du réseau dans la zone synchrone, laquelle est, au contraire, promue.

127    D’autre part, ainsi qu’il a déjà été souligné au point 90 ci-dessus, il convient de rappeler que l’article 1er, paragraphes 6 et 7, du règlement 2017/2195 envisage la possibilité pour la requérante de participer à la plateforme aFRR, dans l’éventualité où la Commission retiendrait que « l’exclusion de la Suisse peut aboutir à ce que des flux physiques d’électricité non programmés passent par la Suisse et menacent la sécurité du réseau de la région » et pour autant que les droits et les responsabilités des GRT suisses soient en cohérence avec ceux des GRT exerçant dans l’Union.

128    Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que la Commission a, de manière manifeste, méconnu l’obligation de diligence requise de l’Union découlant de la règle coutumière invoquée par la requérante en limitant, en principe, la participation à la plateforme aFRR aux seuls GRT de l’Union.

129    Il y a, partant, lieu de rejeter la cinquième branche et, par voie de conséquence, le présent moyen et le recours dans leur intégralité.

 Sur les dépens

130    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En l’espèce, la requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de l’ACER, conformément aux conclusions de celle-ci.

131    Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les institutions qui sont intervenues au litige supportent leurs propres dépens. La Commission supportera donc ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Swissgrid AG supportera ses propres dépens ainsi que ceux de l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie (ACER).

3)      La Commission européenne supportera ses propres dépens.

Škvařilová-Pelzl

Nõmm

Steinfatt

Kukovec

 

      Meyer

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 octobre 2025.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.