Édition provisoire
CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. MACIEJ SZPUNAR
présentées le 9 octobre 2025 (1)
Affaire C‑589/24
Almirall BV,
Almirall SA
contre
Infinity Pharma BV,
Pharmaline BV
[demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas)]
« Renvoi préjudiciel – Rapprochement des législations – Médicaments à usage humain – Directive 2001/83/CE – Champ d’application – Médicaments préparés en pharmacie selon les indications d’une pharmacopée et destinés à être délivrés directement aux patients approvisionnés par cette pharmacie – Réglementation nationale limitant la portée de la dérogation à l’obligation d’obtenir une autorisation prévue pour de tels médicaments au moyen d’un critère relatif au nombre de délivrances mensuelles »
I. Introduction
1. Conformément à son article 3, point 2), le code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, institué par la directive 2001/83/CE (2), exclut de son champ d’application, notamment, les médicaments préparés en pharmacie selon les indications d’une pharmacopée et destinés à être délivrés directement aux patients approvisionnés par cette pharmacie (ci-après la « formule officinale »). La préparation et la délivrance de la formule officinale ne sont donc pas subordonnées aux conditions prévues par cette directive, à savoir, notamment, l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché (ci-après l’« AMM ») et d’une autorisation de fabrication (ci-après l’« AF »), l’ampleur de l’activité d’une pharmacie dans ce domaine étant sans pertinence à cet égard.
2. S’agissant de cette dispense, le droit néerlandais ajoute une condition de son application à celles découlant de la directive 2001/83, à savoir que la préparation et la délivrance de la formule officinale s’effectuent « à petite échelle » (ci-après la « condition quantitative »). Cette condition est considérée comme étant remplie lorsque le nombre mensuel de patients différents auxquels la formule officinale est délivrée n’excède pas une cinquantaine en cas d’utilisation à long terme du médicament (ci-après le « critère numérique »).
3. Compte tenu de cette condition quantitative et du critère numérique, Almirall BV et Almirall SA, deux sociétés appartenant à un groupe pharmaceutique international (ci-après, ensemble, « Almirall »), ont introduit différents recours à l’encontre d’Infinity Pharma BV et de Pharmaline BV, deux sociétés établies aux Pays-Bas (ci-après les « défenderesses au principal »), tendant, en substance, à interdire à ces dernières de délivrer la formule officinale en cas de dépassement du plafond fixé par le critère numérique. La juridiction de renvoi, le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas), saisie d’un pourvoi en cassation introduit par Almirall s’interroge sur le point de savoir, en substance, si, s’agissant de la dérogation à l’obligation d’obtenir une AMM et une AF, prévue pour la formule officinale, la directive 2001/83 s’oppose à la limitation de sa portée en conséquence de l’application d’une condition quantitative et d’un critère numérique.
II. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
4. Les considérants 2, 4 et 5 de la directive 2001/83 énoncent :
« (2) Toute réglementation en matière de production, de distribution ou d’utilisation des médicaments doit avoir comme objectif essentiel la sauvegarde de la santé publique.
[...]
(4) Les disparités de certaines dispositions nationales, et notamment des dispositions relatives aux médicaments, à l’exclusion des substances ou compositions qui sont des denrées alimentaires, des aliments destinés aux animaux ou des produits d’hygiène, ont pour effet d’entraver les échanges des médicaments au sein de la Communauté et elles ont de ce fait une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur.
(5) Il importe par suite d’éliminer ces entraves et pour atteindre cet objectif un rapprochement des dispositions dont il s’agit est nécessaire. »
5. L’article 1er de cette directive dispose, à son point 2 :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
2) médicament :
a) toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ; ou
b) toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l’homme ou pouvant lui être administrée en vue soit de restaurer, de corriger ou de modifier des fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique, soit d’établir un diagnostic médical. »
6. L’article 2, paragraphe 1, de ladite directive prévoit que celle-ci « s’applique aux médicaments à usage humain destinés à être mis sur le marché dans les États membres et préparés industriellement ou fabriqués selon une méthode dans laquelle intervient un processus industriel ».
7. L’article 3, point 2, de la même directive prévoit que celle-ci ne s’applique pas, notamment, « aux médicaments préparés en pharmacie selon les indications d’une pharmacopée et destinés à être délivrés directement aux patients approvisionnés par cette pharmacie (dénommés communément formule officinale) ».
8. L’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2001/83 dispose :
« Aucun médicament ne peut être mis sur le marché d’un État membre sans qu’une [AMM] n’ait été délivrée par l’autorité compétente de cet État membre, conformément à la présente directive, ou qu’une autorisation n’ait été délivrée conformément aux dispositions du règlement (CE) no 726/2004 [ (3)], lues en combinaison avec le règlement (CE) no 1901/2006 [...] [ (4)] et le règlement (CE) no 1394/2007 [ (5)] ».
9. L’article 40, paragraphes 1 et 2, de cette directive prévoit :
« 1. Les États membres prennent toutes les dispositions utiles pour que la fabrication des médicaments sur leur territoire soit soumise à la possession d’une autorisation. Cette [AF] est requise même si le médicament est fabriqué en vue de l’exportation.
[...]
2. L’autorisation visée au paragraphe 1 est exigée tant pour la fabrication totale ou partielle que pour les opérations de division, de conditionnement ou de présentation.
Toutefois, cette autorisation n’est pas exigée pour les préparations, divisions, changements de conditionnement ou présentation, dans la mesure où ces opérations sont exécutées, uniquement en vue de la délivrance au détail, par des pharmaciens dans une officine ou par d’autres personnes légalement autorisées dans les États membres à effectuer lesdites opérations. »
B. Le droit néerlandais
10. L’article 18, paragraphes 1 et 5, de la Geneesmiddelenwet (loi sur les médicaments), du 8 février 2007 (6), telle que modifiée par la loi du 7 novembre 2011 (7) (ci-après la « loi du 8 février 2007 ») dispose :
« 1. Il est interdit de préparer ou d’importer des médicaments expérimentaux sans autorisation [du] ministre. Il est également interdit, sans autorisation [du] ministre, de préparer, d’importer, de stocker, de mettre en vente, de délivrer ou d’exporter ou de faire entrer ou sortir du territoire néerlandais de toute autre manière des médicaments autres que ceux visés dans la première phrase ou de les distribuer en gros [...]
[...]
5. La deuxième phrase du premier paragraphe ne s’applique pas à la préparation de médicaments à petite échelle en vue de leur délivrance en pharmacie par ou pour le compte d’un pharmacien ou d’un médecin généraliste [disposant d’une autorisation pour préparer des médicaments] et au stockage ou la mise en vente des médicaments par leurs soins. »
11. L’article 40, paragraphes 1 à 3, de cette loi prévoit :
« 1. Il est interdit de mettre en circulation un médicament sans une [AMM] de l’Union européenne, accordée en vertu du [règlement no 726/2004] ou en vertu de ce règlement lu en combinaison avec le règlement no 1394/2007, ou de l’agence pour l’évaluation des médicaments, accordée en vertu du présent chapitre.
2. Il est interdit de stocker, de proposer à la vente, de vendre, de délivrer, de mettre à disposition, d’importer, d’exporter ou de faire entrer ou sortir d’une autre manière du territoire néerlandais, un médicament n’ayant pas obtenu l’[AMM].
3. L’interdiction visée au premier ou au deuxième paragraphe ne s’applique pas :
a) aux médicaments préparés et délivrés à petite échelle par ou pour le compte d’un pharmacien ou d’un médecin généraliste [disposant d’une autorisation pour préparer des médicaments], dans son officine ;
[...] »
III. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour
12. Almirall produit et distribue le médicament Skilarence, utilisé pour le traitement du psoriasis. Ce médicament contient du fumarate de diméthyle comme substance active et il est disponible sur le marché néerlandais depuis le 1er juillet 2008.
13. Jusqu’au mois de décembre 2021, Infinity Pharma, établie au Pays-Bas, préparait dans son officine le médicament Psorinovo, également destiné au traitement du psoriasis et contenant la même substance active que le Skilarence. Pharmaline, société sœur d’Infinity Pharma, prépare le Psorinovo dans son officine depuis le 1er janvier 2021.
14. Almirall est titulaire d’une AMM et d’une AF pour le Skilarence, conformément aux articles 18 et 40 de la loi du 8 février 2007. Les défenderesses au principal, quant à elles, ne détiennent pas ces autorisations pour le Psorinovo.
15. Le 8 avril 2019, le ministre néerlandais des Soins et des Sports (ci-après le « ministre ») a adressé un courrier à la Tweede Kamer (Chambre des représentants du Parlement néerlandais) précisant que le respect de la condition quantitative est subordonné à l’application du critère numérique (8).
16. Almirall a alors engagé, notamment, une procédure civile contre Infinity Pharma dans le cadre de laquelle le rechtbank Oost-Brabant (tribunal du Brabant oriental, Pays-Bas) a ordonné à cette dernière, par jugement exécutoire par provision du 8 septembre 2021, de ne plus préparer de médicaments destinés à être délivrés individuellement en tant que préparation magistrale que dans la mesure où la délivrance ou la remise de ces médicaments demeurait dans la limite de cinquante patients différents par mois en cas d’utilisation à long terme du médicament (ci-après le « jugement du 8 septembre 2021).
17. En outre, Almirall a également introduit une demande en référé tendant à imposer aux défenderesses au principal, en substance, une interdiction correspondant, à celle prévue par le jugement du 8 septembre 2021 et visant le Psorinovo. Par jugement du 15 décembre 2021, le rechtbank Overijssel (tribunal d’Overijssel, Pays-Bas) a interdit aux défenderesses au principal, à partir du 1er janvier 2022, de préparer ou de délivrer le Psorinovo ou une préparation pharmaceutique contenant le fumarate de diméthyle comme substance active, destinés à être délivrés individuellement, en tant que préparation magistrale, au-delà du plafond fixé par le critère numérique (ci-après le « jugement du 15 décembre 2021 »).
18. Les défenderesses au principal ont interjeté appel de ce jugement devant le Gerechtshof Arnhem-Leeuwarden (cour d’appel de Arnhem‑Leeuwarden, Pays-Bas). Par arrêt du 15 novembre 2022, cette juridiction, au motif que sa décision devait s’aligner sur le jugement du 8 septembre 2021, a imposé à Infinity Pharma une interdiction correspondant en substance à celle imposée par le jugement du 15 décembre 2021, mais visant le Psorinovo ou une préparation pharmaceutique contenant le fumarate de diméthyle comme substance active, destinés à être délivrés individuellement en tant que préparation officinale (9). En revanche, s’agissant de Pharmaline, ladite juridiction lui a imposé, compte tenu du fait que cette société n’était pas partie à la procédure clôturée par cette dernière décision, une interdiction de moindre portée, limitée, en substance, aux situations où les conditions prévues à l’article 3, point 2, de la directive 2001/83 ne sont pas réunies. Concrètement, Pharmaline s’est vu interdire de préparer ou de délivrer le Psorinovo ou une préparation pharmaceutique contenant le fumarate de diméthyle comme substance active, destinés à être délivrés individuellement en tant que préparation officinale, dès que le plafond fixé par le critère numérique est atteint, si la préparation officinale n’est pas conforme à la pharmacopée ou si la préparation n’est pas délivrée directement aux clients de son officine.
19. Il ressort de l’arrêt du 15 novembre 2022 que, selon le Gerechtshof Arnhem-Leeuwarden (cour d’appel de Arnhem Leeuwarden), Pharmaline remplit les conditions fixées à l’article 3, point 2, de la directive 2001/83 en ce qui concerne la préparation et la délivrance du Psorinovo. Étant donné que cette disposition n’impose pas de condition quantitative et compte tenu de l’interprétation conforme à cette directive de la loi du 8 février 2007 et de la réglementation qui en découle – pour autant que le courrier du ministre puisse être considéré comme telle –, cette juridiction a estimé que la condition quantitative et le critère numérique ne sauraient être pris en considération.
20. Almirall a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt devant la juridiction de renvoi en soutenant, notamment, que l’article 3, point 2, de la directive 2001/83 se limite à définir le champ d’application de cette directive. Selon elle, ladite directive ne s’applique pas si les conditions prévues par cette disposition sont remplies et, par conséquent, la souveraineté des États membres n’est pas limitée et une interprétation conforme à la même directive des dispositions nationales concernées ne s’impose pas.
21. Dans ce contexte, la juridiction de renvoi se demande si l’article 3, point 2, de la directive 2001/83 doit être interprété en ce sens que cette directive ne s’applique pas lorsqu’un médicament remplit les conditions prévues à cette disposition. Dans l’affirmative, ladite directive ne limiterait pas la souveraineté des États membres et la réglementation nationale ne devrait pas faire l’objet d’une interprétation conforme à la même directive, de sorte que les États membres seraient libres de soumettre un tel médicament à l’obligation d’obtenir une autorisation. Toutefois, selon cette juridiction, si un médicament satisfait, d’une part, à la définition prévue à l’article 2 de la directive 2001/83 et, d’autre part, aux conditions de l’article 3, point 2, de cette directive, on pourrait considérer que celui-ci n’échappe pas au champ d’application de cette directive. En conséquence la souveraineté des États membres en ce qui concerne ce médicament serait limitée et une interprétation conforme des dispositions nationales concernées à ladite directive s’imposerait.
22. À cet égard, la juridiction de renvoi fait valoir que, pour répondre à cette question, il convient d’examiner, d’une part, si la directive 2001/83 ou, à tout le moins, son article 3, point 2, prévoit une harmonisation complète et, d’autre part, si la condition quantitative exprimée par le critère numérique est compatible avec les conditions qualitatives prévues à l’article 3, point 2, de cette directive. Selon cette juridiction, il est possible d’inférer des versions en langues anglaise, française et italienne de l’article 40, paragraphe 2, second alinéa, de ladite directive que cette disposition vise à dispenser de l’obligation d’obtenir une autorisation certains actes réalisés par les pharmaciens dans le cadre de leur activité de détaillants et suppose donc le respect d’une condition qualitative.
23. C’est dans ces conditions que le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Une interprétation conforme à la directive 2001/83 [de l’article 18, paragraphe 5, et de l’article 40], paragraphe 3, de la loi du 8 février 2007 fait-elle obstacle à ce qu’une exception à l’obligation imposée en droit national de disposer d’une autorisation doive s’apprécier notamment sur la base d’un critère quantitatif exprimée sous la forme d’un critère numérique, eu égard à ce que prévoit l’article 3, point 2, de cette directive ?
2) Les autorités nationales sont-elles libres de soumettre un médicament relevant du champ d’application de l’article 3, point 2, de la directive 2001/83, lequel a pour effet de rendre inapplicables les obligations d’autorisation prévues aux articles 6 et 40 de cette directive, à une obligation nationale d’autorisation, en vertu d’une condition quantitative fixée par la réglementation nationale et exprimée sous la forme d’un critère numérique ?
3) Pour la réponse aux première et deuxième questions, importe-t-il de savoir si, en ce qui concerne les aspects pertinents dans la présente affaire, la directive 2001/83 prévoit une harmonisation complète et, dans l’affirmative, prévoit-elle effectivement cette harmonisation complète ?
4) Dans quelle mesure la circonstance que l’exception prévue à l’article 40, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2001/83 s’applique à la “verstrekking in het klein” [délivrance au détail ou délivrance en petites quantités] aux termes de la version en langue néerlandaise, ou qu’elle semble concerner un certain nombre d’actes accomplis par les pharmaciens dans leurs activités de détaillants, aux termes des versions en langues anglaise, française et italienne de cette directive, présente-t-elle un intérêt dans la réponse aux première et deuxième questions ? »
24. Des observations écrites ont été présentées par les parties au principal, par les gouvernements néerlandais, estonien, grec, polonais, par l’Irlande, ainsi que par la Commission européenne. Il n’a pas été tenu d’audience.
IV. Analyse
A. Observations liminaires
25. À titre liminaire, je relève que, dans ses observations écrites, Almirall conteste le cadre factuel présenté par la juridiction de renvoi et la qualification juridique de l’activité exercée par les défenderesses au principal au regard de l’article 3, point 2, de la directive 2001/83. Almirall propose également de « reformuler » les questions préjudicielles.
26. À cet égard, la juridiction de renvoi indique que le litige au principal concerne la formule officinale visée à l’article 3, point 2, de la directive 2001/83. Compte tenu de cette observation ainsi que de la formulation et de la motivation des questions préjudicielles, il y a lieu d’observer que cette juridiction part de la prémisse que l’activité des défenderesses au principal consistant à préparer et à délivrer le Psorinovo à leurs clients réunit l’ensemble des conditions prévues à cette disposition et considère donc, notamment, que les défenderesses au principal sont des pharmacies, au sens de ladite disposition, et que le Psorinovo est préparé selon les indications d’une pharmacopée (10).
27. En revanche, Almirall soutient, en substance, que ces deux conditions ne sont pas remplies. À cet égard, elle fait valoir, en premier lieu, que les défenderesses au principal sont détenues à 100 % par Fagron NV, un des plus importants fabricants de préparations pharmaceutiques dans l’Union, dont l’une des activités principales est la production de médicaments sans AMM. Or, aucun des établissements ou filiales de Fagron établis en Europe ne serait présenté, dans le rapport annuel de Fagron, comme une pharmacie, et encore moins comme une pharmacie d’officine. En deuxième lieu, le Psorinovo serait fabriqué non pas dans une officine, au sens traditionnel du terme, mais dans ce que Fagron présente comme l’une de ses « installations de préparation », à savoir un bâtiment industriel situé dans une zone industrielle de la commune d’Oldenzaal (Pays-Bas), et cette installation ne serait pas connue en tant que pharmacie fournissant des services pharmaceutiques ordinaires aux patients. En troisième lieu, le Psorinovo ne serait pas préparé conformément aux « indications » d’une pharmacopée qui décrirait la préparation ou la composition du fumarate de diméthyle. En quatrième lieu, ce médicament serait fabriqué à grande échelle.
28. Pour l’ensemble de ces raisons, Almirall invite la Cour à « reformuler » les questions préjudicielles ainsi qu’à interpréter deux des conditions prévues à l’article 3, point 2, de la directive 2001/83, à savoir celles tenant à ce que les médicaments soient préparés selon les indications d’une pharmacopée et soient livrés directement aux patients approvisionnés par la pharmacie.
29. Dans ce contexte, je rappelle, en premier lieu, qu’il est de jurisprudence constante que, dans le cadre de la répartition des compétences entre les juridictions de l’Union et les juridictions nationales, il incombe à la Cour de prendre en compte le contexte factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions préjudicielles, tel que défini par la décision de renvoi. Partant, dès lors que cette juridiction a défini le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’elle pose, il n’appartient pas à la Cour d’en vérifier l’exactitude (11).
30. En second lieu, si, formellement, Almirall propose de « reformuler » les questions, elle demande en réalité à la Cour de répondre à d’autres questions que celles posées par la juridiction de renvoi. À cet égard, je rappelle que, selon une jurisprudence constante, il appartient aux seules juridictions nationales, qui sont saisies du litige et doivent assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d’une question préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu’elles posent à la Cour. En particulier, il appartient à la seule juridiction de renvoi de déterminer et de formuler de telles questions. Les parties au principal ne sauraient en changer la teneur. Partant, il ne saurait être fait droit à la demande d’une partie au principal tendant à ce que les questions posées soient reformulées dans les termes qu’elle indique (12). Il en va ainsi d’autant plus lorsqu’une partie propose à la Cour de répondre à d’autres questions que celles posées par la juridiction de renvoi.
31. Eu égard à cette jurisprudence, je vais considérer que l’affaire au principal concerne une action introduite par Almirall à l’encontre de deux pharmacies et visant leur activité de préparation et de délivrance de la formule officinale, au sens de l’article 3, point 2, de la directive 2001/83. C’est en partant de cette prémisse que je vais analyser les présentes questions préjudicielles.
32. Cela étant, je tiens à rappeler que Cour a déjà observé, dans l’arrêt Abcur (13), que la mise en œuvre de la dérogation prévue à l’article 3, point 2, de la directive 2001/83 est subordonnée à la réunion d’un ensemble de conditions relatives aux médicaments concernés. Ceux-ci doivent être préparés « en pharmacie », « selon les indications d’une pharmacopée », « et destinés à être délivrés directement aux patients approvisionnés par cette pharmacie ». Ces conditions sont également cumulatives, de sorte que la dérogation prévue à cette disposition ne saurait trouver à s’appliquer dès lors que l’une d’elles fait défaut (14). Or, compte tenu des informations figurant dans la décision de renvoi, il convient, en l’espèce, de partir de l’hypothèse que toutes les conditions d’exclusion des médicaments du champ d’application de cette directive, prévues à l’article 3, point 2, de celle-ci, sont réunies.
B. Sur les questions préjudicielles
33. Dans la mesure où la formule officinale visée à l’article 3, point 2, de la directive 2001/83 est exclue du champ d’application de cette directive, la juridiction de renvoi s’interroge sur la compétence des États membres pour adopter une réglementation la concernant et, notamment, imposer des limitations quantitatives quant à l’activité s’y rapportant, à savoir, en l’espèce, celles prévues à l’article 18, paragraphe 5, et à l’article 40, paragraphe 3, sous a), de la loi du 8 février 2007 (ci-après les « dispositions nationales concernées »). Ces limitations découlent de l’introduction de la condition quantitative, interprétée en pratique au moyen du critère numérique indiqué dans le courrier du ministre.
34. La juridiction de renvoi pose à la Cour quatre questions préjudicielles. Les première et deuxième questions ont chacune un caractère distinct et visent, respectivement, l’interprétation conforme des dispositions nationales concernées à l’article 3, point 2, de la directive 2001/83 et la possibilité pour les États membres de soumettre la formule officinale à une obligation nationale d’obtenir une autorisation. En revanche, les troisième et quatrième questions complètent seulement les deux premières questions de prémisses susceptibles d’avoir une incidence sur les réponses à donner aux première et deuxième questions relatives, d’une part, à la nature de l’harmonisation opérée par la directive 2001/83 et, d’autre part, aux différences existant entre certaines versions linguistiques de l’article 40, paragraphe 2, second alinéa, de cette directive.
35. Compte tenu de leur caractère complémentaire, j’intégrerai l’examen des troisième et quatrième questions préjudicielles dans celui des deux premières.
1. Sur la première question préjudicielle
36. Si la première question préjudicielle porte explicitement sur l’interprétation conforme des dispositions nationales concernées avec l’article 3, point 2, de la directive 2001/83, il convient toutefois d’observer, à la lumière de la motivation des questions préjudicielles, que la juridiction de renvoi se demande, en réalité, si cette directive s’oppose à ces dispositions.
37. Dans ces circonstances, selon moi, il convient de considérer que, par sa première question, la juridiction de renvoi cherche en réalité à savoir, en substance, si la directive 2001/83, et notamment son article 3, point 2, s’oppose à une réglementation nationale qui dispense la formule officinale de l’obligation d’obtenir une AMM et une AF sous réserve que le nombre mensuel de patients approvisionnés par une pharmacie ne dépasse pas le plafond déterminé au moyen d’un critère numérique.
38. Afin de répondre à cette question, je présenterai, en premier lieu, la réglementation relative à la formule officinale établie par la directive 2001/83 et, en deuxième lieu, le contenu des dispositions nationales concernées ; j’examinerai, en troisième lieu, si cette directive s’oppose à celles-ci ; en quatrième lieu, j’expliquerai pourquoi, en l’espèce, il n’est pas possible d’examiner si le droit primaire s’oppose à ces dispositions et, en cinquième lieu, je proposerai une réponse à la présente question.
a) Sur la réglementation relative à la formule officinale dans la directive 2001/83
39. Adoptée sur le fondement de l’article 95 CE, devenu article 114 TFUE, la directive 2001/83 constitue une mesure de rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres ayant pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur. Selon ses considérants 2, 4 et 5, cette directive vise la « sauvegarde de la santé publique » et l’élimination des entraves aux « échanges des médicaments au sein de [l’Union] ».
40. La directive 2001/83 a vocation à s’appliquer aux médicaments à usage humain produits industriellement. À cet égard, l’article 2, paragraphe 1, de cette directive détermine, de manière positive, son champ d’application, en prévoyant qu’elle s’applique aux médicaments à usage humain destinés à être mis sur le marché dans les États membres et préparés industriellement ou fabriqués selon une méthode dans laquelle intervient un processus industriel. L’article 3 de ladite directive prévoit certaines dérogations à l’application de celle-ci. Il s’ensuit que, pour relever de la même directive, le produit concerné doit, d’une part, satisfaire aux conditions fixées à l’article 2, paragraphe 1, de celle-ci et, d’autre part, ne pas relever de l’une des dérogations expressément prévues à son article 3 (15), dont celle prévue au point 1 de cet article pour la formule magistrale et celle prévue à son point 2 pour la formule officinale.
41. Je relève que les dérogations prévues à l’article 3, points 1 et 2, de la directive 2001/83 ont été introduites dans la directive 65/65/CEE (16) par la directive 89/341/CEE (17), qui a élargi le champ d’application de la directive 65/65 aux médicaments fabriqués industriellement lesquels en étaient jusqu’alors exclus (18). Ces dérogations n’étaient pas prévues dans la proposition initiale de directive de la Commission (19), mais ont été ajoutées par le Parlement européen à la suite de la consultation du Comité économique et social européen qui avait indiqué, dans son avis, à propos de la disposition proposée élargissant le champ d’application de la directive, qu’« il [conviendrait] [...] d’introduire une limitation acceptable à la production de médicaments en pharmacies » (20).
42. Il ressort du contexte de l’adoption de la règle énoncée actuellement à l’article 3, point 2, de la directive 2001/83 que le législateur de l’Union avait l’intention claire de dispenser la formule officinale des obligations prévues par la directive 65/65, celle-ci ayant vocation à s’appliquer aux médicaments fabriqués industriellement et non pas à ceux préparés de manière artisanale comme, en principe, les médicaments préparés en pharmacie. Pour atteindre cet objectif, il a néanmoins décidé de ne pas légiférer de manière positive sur les obligations concernant ces derniers médicaments mais de les exclure du champ d’application de la directive 2001/83. Il s’ensuit, à mon avis, que cette directive ne contient pas de dispositions harmonisant la préparation et la délivrance de la formule officinale.
b) Sur la réglementation relative à la formule officinale dans les dispositions nationales concernées
43. Les dispositions nationales concernées visent les médicaments préparés et délivrés par ou pour le compte d’un pharmacien dans son officine. Ces dispositions contiennent ainsi une réglementation relative à la formule officinale, au sens de l’article 3, point 2, de la directive 2001/83. Certes, lesdites dispositions ne reprennent pas toutes les caractéristiques de la formule officinale et, notamment, ne mentionnent pas que les médicaments doivent être préparés selon les indications d’une pharmacopée. Toutefois, ainsi que l’a indiqué le gouvernement néerlandais dans ses observations écrites, cette condition figure dans une autre disposition de droit néerlandais (21).
44. Il existe deux différences en ce qui concerne le libellé de la réglementation nationale figurant dans la loi du 8 février 2007 et celui de la directive 2001/83.
45. S’agissant de la première différence, elle réside dans l’application d’une technique législative différente dans chacun de deux actes : dans la loi du 8 février 2007, les règles relatives à la formule officinale figurent dans deux chapitres relatifs, respectivement, à l’AMM et à l’AF des médicaments tandis que, dans la directive 2001/83, elles figurent dans les règles déterminant le champ d’application de cette directive. Cette différence ne conduit pas, selon moi, à des résultats contradictoires à ceux prévus par cette directive. En effet, les dispositions nationales concernées prévoient, pour la formule officinale, des dérogations à l’interdiction de mise sur le marché et de fabrication de médicaments sans autorisation. L’exclusion de la formule officinale du champ d’application de la directive 2001/83 a, quant à elle, pour effet que la formule officinale n’est pas soumise à l’obligation d’obtenir une AMM et une AF et que, par conséquent, sa préparation et sa délivrance sans autorisation ne sauraient être interdites.
46. S’agissant de la seconde différence, elle réside dans le fait que les dispositions nationales concernées prévoient, concernant la formule officinale, une condition qui ne figure pas dans la directive 2001/83. En effet, la loi du 8 février 2007 prévoit la condition quantitative, qui limite la portée des dérogations concernant la formule officinale. Ainsi, les dérogations aux interdictions prévues par cette loi s’appliquent uniquement si les médicaments sont préparés et délivrés « à petite échelle », le respect de cette condition étant apprécié au moyen du critère numérique.
47. Contrairement à la première différence, la seconde a pour effet de réduire considérablement la portée de la dérogation de la formule officinale à l’obligation d’obtenir l’AMM et l’AF par rapport à la portée de la dérogation qui résulte de la lecture de la directive 2001/83.
c) Sur l’interprétation de la directive 2001/83 en ce qui concerne la formule officinale
48. Si la juridiction de renvoi considère que la formule officinale est exclue du champ d’application de la directive 2001/83, elle envisage néanmoins qu’un médicament puisse satisfaire, d’une part, à la définition prévue à l’article 2 de la directive 2001/83 et, d’autre part, aux conditions prévues à l’article 3, point 2, de cette directive et, de ce fait, puisse ne pas échapper au champ d’application de ladite directive. Dans ses troisième et quatrième questions préjudicielles, cette juridiction mentionne deux éléments à propos desquels elle se demande s’ils sont susceptibles d’avoir une incidence sur l’interprétation de la directive 2001/83 en l’espèce.
49. Ainsi, en premier lieu, par sa troisième question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche à savoir si la nature de l’harmonisation opérée par la directive 2001/83 peut avoir une incidence sur l’appréciation de la marge de manœuvre des États membres en ce qui concerne l’adoption d’une réglementation relative à la formule officinale.
50. À cet égard, la Commission considère que la directive 2001/83 a établi un cadre réglementaire harmonisé pour les médicaments à usage humain et a également opéré une harmonisation exhaustive en ce qui concerne la signification et la portée des exceptions à l’application de cette directive, prévues à l’article 3 de celle-ci. Les défenderesses au principal expriment le même point de vue dans leurs observations écrites. Le gouvernement estonien, quant à lui, considère que la directive 2001/83 introduit le principe selon lequel les médicaments préparés en pharmacie sont dispensés d’AMM ou d’AF. En revanche, les gouvernements grec, néerlandais et l’Irlande sont d’avis qu’un domaine exclu du champ d’application de cette directive, conformément à son article 3, point 2, ne saurait être considéré comme ayant été harmonisé.
51. Je partage ce dernier avis.
52. Certes, en cas d’harmonisation « complète » ou « totale » d’un domaine, la marge de manœuvre des États membres pour adopter une réglementation mettant en œuvre une directive est limitée (22).
53. S’agissant de la directive 2001/83, la Cour a déjà considéré, notamment, que celle-ci prévoit un système exhaustif de procédures d’autorisation des médicaments (23) et a établi, s’agissant de l’enregistrement et de l’AMM des médicaments à usage humain, un cadre réglementaire complet (24). Il en ressort, notamment, que si un produit est correctement qualifié de « médicament », au sens de cette directive, sa commercialisation est subordonnée à l’octroi d’une AMM, conformément à l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive, les procédures d’octroi et les effets de cette autorisation étant précisés de manière détaillée aux articles 7 à 39 de la même directive (25). En revanche, la Cour a également jugé qu’une réglementation nationale relative à certaines conditions de délivrance des médicaments ne relève pas d’un domaine harmonisé du droit de l’Union (26).
54. Ainsi que l’a observé M. l’avocat général Bot, répondre à la question de savoir si la directive 2001/83 a réalisé une harmonisation complète dans chacun des domaines qu’elle régit implique d’examiner l’articulation entre les dispositions qui figurent au sein de chaque titre de cette directive. La démarche consistant à vérifier si ladite directive a prévu une harmonisation exhaustive ne peut être entreprise que domaine par domaine et non de façon générale (27).
55. Force est néanmoins de constater que la question de la nature de l’harmonisation opérée par la directive 2001/83 et de ses implications n’est pertinente qu’au regard du domaine harmonisé par cette directive, dont l’étendue est déterminée, d’abord, par le champ d’application de ladite directive.
56. À cet égard, ainsi qu’il ressort de mon analyse de la réglementation s’y rapportant, contenue dans la directive 2001/83 (28), la formule officinale est expressément exclue du champ d’application de cette directive en vertu de l’article 3, point 2, de celle-ci. À mon avis, lorsqu’un produit remplit toutes les conditions cumulatives de la dérogation prévue à cette disposition et, ainsi, ne relève pas du champ d’application de ladite directive, la nature de l’harmonisation opérée par la même directive n’a pas d’incidence sur la marge de manœuvre dont disposent les États membres pour adopter une réglementation nationale concernant ce produit. Par conséquent, la prémisse indiquée dans la troisième question de la juridiction de renvoi n’a pas d’incidence sur la réponse à donner à la première question.
57. En second lieu, dans sa quatrième question préjudicielle, il semble que la juridiction de renvoi envisage que la formule officinale, au sens de l’article 3, point 2, de la directive 2001/83, puisse être régie en partie par l’article 40, paragraphe 2, second alinéa, de cette directive, dont certaines versions linguistiques plaideraient en faveur de la conformité avec ladite directive de la condition quantitative prévue par les dispositions nationales concernées.
58. Cependant, lorsqu’un médicament est exclu du champ d’application de la directive 2001/83, dans la mesure où les conditions pour le qualifier de formule officinale sont réunies, les dispositions de cette directive ne trouvent pas à s’appliquer. Dans ces circonstances, je suis d’avis que l’existence d’éventuelles différences entre les versions linguistiques de l’article 40, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2001/83 n’a aucune incidence sur l’éventuelle existence d’obligations des États membres concernant la formule officinale La prémisse indiquée dans la quatrième question de la juridiction de renvoi n’a ainsi, elle non plus, pas d’incidence sur la réponse à donner à la première question préjudicielle.
59. Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis que, dans la mesure où la préparation et la délivrance de la formule officinale sont exclues du champ d’application de la directive 2001/83 (29), cette directive ne s’oppose pas, en principe, à ce que les États membres adoptent une réglementation nationale en ce qui concerne cette activité.
60. Cela étant, une réglementation nationale relative à un domaine exclu du champ d’application de la directive 2001/83 devrait être conforme aux exigences imposées aux États membres par le droit de l’Union. En particulier, l’application d’une telle réglementation, d’une part, ne doit pas mettre en péril la réalisation des objectifs poursuivis par cette directive (30). D’autre part, elle doit être conforme aux traités et, notamment, à la libre circulation des marchandises.
61. Par conséquent, dans la mesure où la juridiction de renvoi considère que la préparation et la délivrance du Psorinovo réunissent les conditions de la dérogation prévue à l’article 3, point 2, de la directive 2001/83, la réponse à donner à la première question préjudicielle dépend du point de savoir si l’application des dispositions nationales concernées porte atteinte aux objectifs poursuivis par cette directive, à savoir la sauvegarde de la santé publique et l’élimination des entraves aux échanges des médicaments au sein de l’Union.
62. S’agissant de l’objectif de sauvegarde de la santé publique, ainsi que l’a relevé le gouvernement estonien dans ses observations écrites, la préparation de médicaments en officine dans le cadre du service pharmaceutique n’est pas un substitut à la fabrication de médicaments, mais répond avant tout à une nécessité et à des motifs d’ordre médical.
63. Dans ce contexte, il me semble que l’exclusion de la formule officinale du champ d’application de la directive 2001/83 atteste bien l’expression de la volonté du législateur de l’Union de ne pas instaurer des règles susceptibles de mettre en danger l’intérêt des patients d’avoir accès à certains médicaments pouvant être préparés en pharmacie.
64. Les dispositions nationales concernées prennent en compte cet intérêt dans la mesure où elles n’interdisent pas aux pharmacies de délivrer la formule officinale mais imposent certaines limitations à l’ampleur de leur activité. En effet, la condition quantitative s’applique non pas aux patients mais aux pharmacies. Qui plus est, le critère numérique qui la précise prend en compte non pas le nombre total de patients d’une pharmacie mais uniquement le nombre de ses patients utilisant un médicament à long terme.
65. Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis que la réalisation de l’objectif de sauvegarde de la santé publique n’est pas mise en péril par les dispositions nationales concernées et par l’application du critère numérique.
66. S’agissant de l’objectif consistant à éliminer les entraves aux échanges des médicaments au sein de l’Union en vue de l’établissement du marché intérieur, je rappelle que la formule officinale est, aux termes de sa définition, un médicament délivré par la pharmacie qui l’a préparé directement au patient approvisionné par elle. Il ressort de cette définition qu’il est peu probable que la formule officinale fasse l’objet d’une circulation.
67. Dans ce contexte, la réalisation de l’objectif consistant à éliminer les entraves aux échanges des médicaments au sein de l’Union ne me semble pas non plus mise en péril par les dispositions nationales concernées et par l’application du critère numérique.
d) Sur l’impossibilité d’examiner si le droit primaire s’oppose aux dispositions nationales concernées
68. Dans ses observations écrites, le gouvernement néerlandais a procédé à une analyse des dispositions nationales concernées au regard des règles du droit primaire relatives à la libre circulation des marchandises et des services et à la liberté d’établissement.
69. À cet égard, certes, dans la mesure où la délivrance de la formule officinale est exclue du champ d’application de la directive 2001/83, la question pourrait se poser de savoir si le droit primaire s’oppose aux dispositions nationales concernées. Toutefois, le contenu de la demande de décision préjudicielle ne permet pas d’y répondre.
70. En effet, les dispositions du traité FUE, notamment en matière de libre circulation des marchandises, de liberté d’établissement ou de libre prestation des services, ne trouvent, en principe, pas à s’appliquer à une situation dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre (31). À la lumière des informations figurant dans la décision de renvoi, tel est le cas du litige au principal. Or, la Cour, saisie par une juridiction nationale dans le contexte d’une situation dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre, ne saurait, sans indication de cette juridiction en ce sens, considérer que la demande d’interprétation préjudicielle portant sur les dispositions du traité FUE relatives aux libertés fondamentales est nécessaire à la solution du litige pendant devant ladite juridiction (32). En effet, les éléments concrets permettant d’établir un lien entre l’objet ou les circonstances d’un litige, dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur de l’État membre concerné, et les articles 49, 56 ou 63 TFUE doivent ressortir de la décision de renvoi (33).
e) Proposition de réponse à la première question préjudicielle
71. Dans ces conditions, je propose à la Cour de répondre à la première question préjudicielle que l’article 3, point 2, de la directive 2001/83 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui dispense la formule officinale de l’obligation d’obtenir une AMM et une AF sous réserve que le nombre mensuel de patients approvisionnés par cette pharmacie ne dépasse pas le plafond déterminé au moyen d’un critère numérique.
2. Sur la deuxième question préjudicielle
72. Par sa deuxième question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si la directive 2001/83, et notamment son article 3, point 2, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce que la formule officinale soit soumise à une obligation nationale d’autorisation dans la situation où le nombre mensuel de patients approvisionnés par une pharmacie dépasse un plafond déterminé au moyen d’un critère numérique.
73. Cette question est basée sur la prémisse, posée par la juridiction de renvoi, qu’une réglementation nationale prévoit la possibilité pour une pharmacie d’obtenir une autorisation pour préparer et délivrer la formule officinale en cas de dépassement du plafond déterminé par la condition quantitative et le critère numérique. Toutefois, la décision de renvoi ne comporte aucune information sur les procédures nationales prévues pour obtenir une telle autorisation. La possibilité de les engager semble être inférée par la juridiction de renvoi des seules dispositions nationales concernées. Or, ces dispositions, je le rappelle, se limitent à prévoir une dérogation à l’interdiction, notamment, de préparer et de délivrer les médicaments sans autorisation.
74. Je suis d’avis qu’il est impossible de donner une réponse utile à la deuxième question préjudicielle sans avoir connaissance du cadre juridique national relatif aux procédures d’autorisation nationales applicables à l’obtention d’une autorisation pour préparer et délivrer la formule officinale.
75. Je tiens à souligner que, dans la mesure où la directive 2001/83 ne prévoit aucune obligation d’obtenir une autorisation pour la formule officinale, on ne saurait considérer que, afin d’obtenir une autorisation prévue par le droit national, seules les procédures mettant en œuvre cette directive peuvent être appliquées. Cela me semblerait d’ailleurs hypothétique. En effet, la procédure relative à l’obtention d’une AMM prévue par cette directive n’est pas adaptée à la formule officinale, dans la mesure où elle a été établie non pas pour les médicaments préparés par les pharmacies mais pour les médicaments produits à grande échelle. Si cette procédure trouvait à s’appliquer, j’éprouve des doutes, compte tenu de son coût et de sa complexité, quant au fait qu’elle présente un intérêt pour les pharmacies, au sens commun de ce terme, c’est-à-dire les pharmacies d’officine. Il est fort probable, ainsi que l’a observé le gouvernement estonien, que l’application de cette procédure à la formule officinale ait en réalité pour seul effet d’interdire la délivrance de la formule officinale en cas de dépassement du plafond fixé par le critère numérique. En revanche, il ne saurait être exclu qu’il existe, en droit néerlandais, d’autres procédures qui régissent l’obtention d’une autorisation pour délivrer une formule officinale.
76. En tout état de cause, je suis d’avis que, en l’absence d’informations sur les procédures nationales régissant l’obtention, aux Pays-Bas, d’autorisations pour la préparation et la délivrance de la formule officinale, il n’est pas possible d’apprécier si leur application pourrait mettre en péril la réalisation des objectifs poursuivis par la directive 2001/83.
77. L’article 94, sous b), du règlement de procédure de la Cour prévoit que la demande de décision préjudicielle contient la teneur des dispositions nationales susceptibles de s’appliquer à l’affaire en cause au principal et, le cas échéant, la jurisprudence nationale pertinente. En l’espèce, dans la mesure où la décision de renvoi ne comporte pas ces éléments, la deuxième question est, à mon avis, irrecevable.
V. Conclusion
78. Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) de la manière suivante :
1) L’article 3, point 2, de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, telle que modifiée par le règlement (CE) no 1394/2007,
doit être interprété en ce sens que :
il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui dispense la formule officinale, c’est-à-dire les médicaments préparés en pharmacie selon les indications d’une pharmacopée et destinés à être délivrés directement aux patients approvisionnés par cette pharmacie, de l’obligation d’obtenir une autorisation de mise sur le marché et une autorisation de fabrication sous réserve que le nombre mensuel de patients approvisionnés par cette pharmacie ne dépasse pas le plafond déterminé au moyen d’un critère numérique.
2) La deuxième question préjudicielle est irrecevable.