ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
23 octobre 2025 (*)
« Pourvoi – Concurrence – Article 101 TFUE – Ententes – Marché du modafinil – Accord de règlement amiable entre deux entreprises pharmaceutiques en matière de brevets afin de retarder la mise sur le marché d’une version générique du modafinil – Décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE – Critères d’appréciation – Restriction par objet »
Dans l’affaire C‑2/24 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 4 janvier 2024,
Teva Pharmaceutical Industries Ltd, établie à Petah Tikva (Israël),
Cephalon Inc., établie à West Chester (États-Unis),
représentées par Mes S. Ortoli et D. Tayar, avocats,
parties requérantes,
l’autre partie à la procédure étant :
Commission européenne, représentée initialement par MM. G. Conte, T. Franchoo et Mme C. Sjödin, puis par MM. G. Conte et T. Franchoo, en qualité d’agents,
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (quatrième chambre),
composée de M. I. Jarukaitis, président de chambre, MM. M. Condinanzi et N. Jääskinen (rapporteur), juges,
avocat général : M. A. Rantos,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 27 mars 2025,
rend le présent
Arrêt
1 Par leur pourvoi, les requérantes demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 18 octobre 2023, Teva Pharmaceutical Industries et Cephalon/Commission (T‑74/21, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2023:651), par lequel celui-ci a rejeté leur recours tendant à l’annulation de la décision C(2020) 8153 final de la Commission européenne, du 26 novembre 2020, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT.39686-CEPHALON) (ci-après la « décision litigieuse »), et, à titre subsidiaire, à la suppression ou à la réduction de l’amende qui leur a été infligée par cette décision.
Les antécédents du litige
2 Pour les besoins de la présente procédure, les antécédents du litige, tels qu’ils ont été exposés aux points 2 à 23 de l’arrêt attaqué, peuvent être résumés de la manière suivante.
3 Cephalon Inc. est une société biopharmaceutique basée aux États-Unis qui fournit des produits pharmaceutiques à la fois princeps et génériques dans le monde entier. Les activités principales de Cephalon englobent la recherche et le développement ainsi que la mise sur le marché de médicaments, avec un accent particulier mis sur les troubles du système nerveux central.
4 Teva Pharmaceutical Industries Ltd (ci-après « Teva ») est une société multinationale pharmaceutique active dans le développement, la production et la commercialisation de médicaments génériques ainsi que de produits pharmaceutiques innovants et spécialisés, d’ingrédients pharmaceutiques actifs et de produits en vente libre.
5 Au mois d’octobre 2011, après que la Commission a approuvé la concentration notifiée, par décision C(2011) 7435 final (affaire COMP/M. 6258 – Teva/Cephalon), du 13 octobre 2011, sur la base de l’article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (« le règlement CE sur les concentrations ») (JO 2004, L 24, p. 1) (ci-après la « décision de concentration »), Cephalon a été rachetée par Teva.
Le produit concerné et les brevets concernant celui-ci
6 Le produit concerné correspond aux médicaments contenant le principe pharmaceutique actif (ci-après l’« IPA ») dénommé « modafinil ». Le modafinil, découvert au cours de l’année 1976 par le laboratoire Lafon, une entreprise pharmaceutique française, est un agent stimulant de longue durée favorisant l’éveil utilisé pour le traitement de certains troubles du sommeil.
7 Au cours de l’année 1993, Cephalon a obtenu les droits exclusifs sur le modafinil et, au cours de l’année 1997, cette entreprise a commencé à vendre du modafinil sous la marque Provigil au Royaume-Uni. Au cours de l’année 2005, elle vendait du modafinil dans plusieurs pays de l’Espace économique européen (EEE).
8 En ce qui concerne l’EEE, les différents brevets nationaux de molécule de Cephalon pour l’IPA du modafinil ont expiré au plus tard au cours de l’année 2003, tandis que la protection des données concernant cet IPA a expiré au plus tard au cours de l’année 2005.
9 Bien que les brevets sur la molécule du modafinil aient expiré, Cephalon détenait encore des brevets secondaires sur la taille des particules et d’autres brevets liés au modafinil ayant une date d’expiration au cours de l’année 2015 dans l’EEE.
10 Le médicament Provigil était le produit le plus important du portefeuille de Cephalon en termes de ventes. Compte tenu de l’arrivée sur le marché des produits génériques dans un avenir proche et pour protéger ses activités dans le domaine en cause, Cephalon a travaillé sur un produit de deuxième génération, dénommé « Nuvigil », basé sur l’IPA du modafinil, qu’elle envisageait de mettre sur le marché pour remplacer progressivement le Provigil à partir de l’année 2006, d’abord aux États-Unis, puis dans l’EEE. En outre, Cephalon avait prévu le lancement d’un autre médicament à base de modafinil, dénommé « Sparlon ». Finalement, Cephalon n’a lancé ni le Nuvigil ni le Sparlon dans l’EEE.
11 À la fin de l’année 2002, lorsque quatre sociétés du secteur des génériques, dont Teva, ont demandé une autorisation réglementaire pour commercialiser leurs produits génériques du modafinil aux États-Unis, Cephalon a engagé une procédure de contrefaçon de brevet aux États-Unis.
12 Au mois de juin 2005, Teva a lancé son produit générique du modafinil au Royaume-Uni.
13 Le 6 juillet 2005, après un échange de lettres, Cephalon a engagé une procédure judiciaire en matière de brevets contre Teva devant la High Court of Justice (England & Wales) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), Royaume-Uni] et a demandé une injonction provisoire pour empêcher Teva de vendre son produit générique du modafinil au Royaume-Uni. Teva a ensuite déposé une demande reconventionnelle en nullité.
14 Avant l’audience sur la demande d’injonction provisoire prévue pour le 11 juillet 2005, Teva a accepté de cesser de vendre des produits génériques du modafinil au Royaume-Uni. En contrepartie, Cephalon a accepté de fournir une garantie de 2,1 millions de livres sterling (GBP) (soit environ 3,07 millions d’euros) au cas où Teva obtiendrait gain de cause lors de la procédure judiciaire et serait en droit de réclamer des dommages et intérêts pour le manque à gagner.
15 Les négociations en vue d’un accord de règlement amiable ont débuté à la fin du mois de novembre 2005.
L’accord de règlement
16 Le 8 décembre 2005, Cephalon et Teva ont conclu un accord de règlement amiable (ci-après l’« accord de règlement »). Cet accord a été également conclu pour leurs affiliés et a pris effet le 4 décembre 2005.
17 Aux termes de l’accord de règlement, il était prévu, notamment, que, en vertu de l’article 2, Teva s’engageait à ne pas entrer de manière indépendante ni concurrencer Cephalon sur le marché du modafinil (ci‑après la « clause de non-concurrence ») et à ne pas contester les brevets du modafinil de Cephalon (ci-après la « clause de non-contestation ») (ci-après, prises ensemble, les « clauses restrictives »).
18 Les articles 2.2 à 2.6 de l’accord de règlement comportaient un ensemble de transactions portant sur :
– une licence de Teva à Cephalon concernant les droits de propriété intellectuelle de Teva ;
– une licence de Cephalon à Teva pour utiliser les données, dites « CEP1347 », codéveloppées par Cephalon dans le cadre d’études sur le traitement de la maladie de Parkinson ;
– la fourniture de l’IPA du modafinil par Teva à Cephalon ;
– des paiements par Cephalon à Teva pour les frais de contentieux évités, et
– la distribution des produits de Cephalon au Royaume-Uni par Teva.
19 De même, l’accord de règlement prévoyait, à son article 3, des droits génériques en faveur de Teva. Aux termes de cet article, Cephalon accordait à Teva une licence non exclusive pour le lancement de son produit générique du modafinil, y compris dans l’EEE, à partir de l’année 2012 (ou plus tôt, dans le cas où une quelconque entité introduirait sur le marché un produit générique du modafinil).
20 Conformément à l’article 4 de l’accord de règlement, Teva et Cephalon s’étaient engagées à mettre immédiatement fin à leur contentieux au sujet du modafinil aux États-Unis et au Royaume-Uni.
21 L’accord de règlement comprenait également les montants ou redevances impliqués dans les différentes transactions mentionnées aux points 17 et 18 du présent arrêt.
La décision litigieuse
22 Le 26 novembre 2020, la Commission a adopté la décision litigieuse.
23 Dans cette décision, la Commission a considéré que les requérantes avaient enfreint l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord EEE en participant à l’accord de règlement dans le secteur pharmaceutique, contre paiement inversé (article 1er de la décision litigieuse).
24 Pour cette infraction, la Commission a infligé à Cephalon et à Teva des amendes s’élevant respectivement à 30 480 000 euros et à 30 000 000 euros (article 2 de la décision litigieuse).
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
25 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 février 2021, Teva et Cephalon ont demandé l’annulation de la décision litigieuse et, à titre subsidiaire, la suppression ou la réduction du montant des amendes.
26 Au soutien de leur recours, les requérantes ont soulevé quatre moyens.
27 Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné, en premier lieu, le premier moyen tiré d’une erreur de droit et de fait en ce que la Commission avait qualifié l’accord de règlement de restriction de concurrence par objet (points 27 à 205 de l’arrêt attaqué).
28 Premièrement, il a écarté les griefs relatifs à la non-application du critère juridique adéquat (points 30 à 57 de l’arrêt attaqué).
29 À cet égard, le Tribunal a jugé, notamment, que, compte tenu de la jurisprudence issue de l’arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C‑307/18, ci-après l’ « arrêt Generics (UK) », EU:C:2020:52), la qualification d’un accord en tant que restriction par objet nécessite une appréciation globale incluant les intérêts et les incitations des parties concernées, afin de vérifier si les transactions commerciales figurant dans un accord de règlement pouvaient avoir d’autres explications que l’intérêt commercial, tant du titulaire de brevet que du contrefacteur allégué, à ne pas se livrer à une concurrence par les mérites (points 37 à 43 de l’arrêt attaqué). Partant, la Commission était tenue de vérifier si les transactions commerciales visées par l’accord de règlement auraient également pu être conclues, à des conditions aussi favorables, en l’absence des clauses restrictives. Selon le Tribunal, si la Commission est en mesure de constater que les transactions en question n’auraient pas été conclues ou pas à des conditions aussi favorables en l’absence desdites clauses, il peut en être conclu que lesdites transactions ne peuvent avoir d’autre explication que l’intérêt commercial du titulaire du brevet en cause et du contrefacteur allégué à ne pas se livrer à une concurrence par les mérites (point 45 de l’arrêt attaqué).
30 Le Tribunal a ensuite relevé que le critère juridique appliqué par la Commission n’équivalait pas à une analyse contrefactuelle relevant de l’appréciation des accords en tant que restriction par effet (point 47 de l’arrêt attaqué).
31 En effet, selon le Tribunal, il résulte de la jurisprudence de la Cour que l’appréciation à laquelle il convient de procéder afin de déterminer si un accord relève ou non de la qualification de « restriction par objet » a pour finalité non pas d’identifier ni de quantifier les effets anticoncurrentiels d’une pratique, mais uniquement de déterminer la gravité objective de celle-ci, pouvant précisément justifier que ses effets n’ont pas à être appréciés (point 49 de l’arrêt attaqué).
32 Par ailleurs, le Tribunal a précisé que le fait que cette appréciation doit être effectuée, au besoin, à l’issue d’une analyse détaillée de l’accord concerné et particulièrement de l’effet incitatif des transferts de valeurs qu’il prévoit, mais également de ses objectifs ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel il s’inscrit n’implique pas davantage une appréciation des effets anticoncurrentiels de cet accord sur le marché. Il suppose uniquement de procéder à une appréciation globale et minutieuse des accords complexes eux-mêmes, afin non seulement d’écarter la qualification de « restriction par objet » lorsqu’un doute apparaît quant à leur suffisante nocivité pour la concurrence, mais également d’éviter que des accords puissent échapper à cette même qualification en raison de leur seule complexité et alors même que l’analyse minutieuse de ceux-ci révélerait qu’ils présentent objectivement un degré suffisant de nocivité pour la concurrence (point 50 de l’arrêt attaqué).
33 Deuxièmement, le Tribunal a écarté les griefs relatifs à l’existence d’une explication plausible concernant les transactions conclues en marge de l’accord de règlement autre que celle de servir uniquement de contrepartie aux clauses restrictives (points 58 à 166 de l’arrêt attaqué).
34 Troisièmement, le Tribunal a écarté les griefs relatifs au critère établi par l’arrêt Generics (UK)visant l’existence d’effets proconcurrentiels avérés, pertinents, propres à l’accord concerné et suffisamment importants (points 167 à 191 de l’arrêt attaqué).
35 Le Tribunal a considéré, s’agissant des arguments tirés de la décision de concentration, que le cadre de référence de cette décision est différent de celui sur lequel est fondée l’analyse de l’accord de règlement au regard de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Alors que, dans la décision litigieuse, la Commission a évalué la restriction de concurrence causée par l’accord de règlement et a comparé son incidence à un scénario contrefactuel dans lequel l’accord de règlement n’aurait pas été conclu, la décision de concentration prend l’accord de règlement pour acquis et évalue l’incidence probable de la concentration des parties sur la concurrence dans un avenir prévisible au regard des règles de l’Union en matière de contrôle des concentrations, à partir de l’année 2011 (point 182 de l’arrêt attaqué).
36 Par ailleurs, le Tribunal a relevé que le fait que la Commission a estimé, dans la décision de concentration, qu’après et malgré la conclusion de l’accord de règlement, Teva était toujours la contrainte concurrentielle la plus probable exercée sur Cephalon ne signifiait pas qu’elle aurait considéré que les droits génériques de Teva avaient un effet proconcurrentiel (point 183 de l’arrêt attaqué).
37 Quatrièmement, le Tribunal a écarté les griefs relatifs aux erreurs prétendument commises par la Commission dans le cadre de l’appréciation du contexte économique et juridique de l’accord de règlement (points 192 à 205 de l’arrêt attaqué).
38 En deuxième lieu, le Tribunal a écarté le deuxième moyen, tiré d’une erreur en ce que la Commission a qualifié l’accord de règlement de restriction par effet en ce qu’elle se serait uniquement fondée sur les effets potentiels de l’accord de règlement (points 206 à 255 de l’arrêt attaqué).
39 À cet égard, le Tribunal a notamment relevé que, selon une jurisprudence constante, il est possible de se fonder sur la concurrence potentielle représentée par un entrant potentiel, éliminé par l’accord en question, et sur la structure du marché en cause et que l’article 101 TFUE vise à protéger non pas uniquement la concurrence actuelle, mais également la concurrence potentielle (points 227 à 229 de l’arrêt attaqué).
40 En troisième lieu, le Tribunal a écarté les troisième et quatrième moyens, invoqués par les requérantes à titre subsidiaire, portant respectivement sur une application erronée de l’article 101, paragraphe 3, TFUE et sur les amendes qui leur avaient été infligées (points 256 à 307 de l’arrêt attaqué).
41 En quatrième lieu, le Tribunal a rejeté la demande des requérantes visant à ce que celui-ci supprime ou réduise le montant des amendes infligées (points 308 à 311 de l’arrêt attaqué).
42 Eu égard à ces considérations, le Tribunal a rejeté le recours des requérantes dans son intégralité.
Les conclusions des parties au pourvoi
43 Par leur pourvoi, les requérantes demandent à la Cour :
– d’accueillir le pourvoi et de déclarer le recours recevable ;
– d’annuler l’arrêt attaqué ;
– de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue à nouveau, à moins que la Cour ne s’estime suffisamment éclairée pour annuler la décision litigieuse, et
– de condamner la Commission aux dépens.
44 La Commission demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi et
– de condamner les requérantes aux dépens.
Sur le pourvoi
45 Au soutien de leur pourvoi, les requérantes soulèvent deux moyens.
Sur le premier moyen, tiré d’erreurs de droit dans l’application du critère juridique issu de l’arrêt Generics (UK) afin d’établir l’existence d’une restriction de concurrence par objet
46 Par leur premier moyen, les requérantes soutiennent que le Tribunal a appliqué erronément le critère juridique issu de l’arrêt Generics (UK) afin d’établir l’existence d’une restriction de la concurrence par objet dans le cadre d’un accord de règlement amiable.
47 La première branche de ce moyen porte sur l’interprétation effectuée par le Tribunal du premier volet de ce critère, qui figure au point 87 de cet arrêt, selon lequel la qualification de restriction de la concurrence par objet doit être retenue lorsqu’il ressort de l’analyse de l’accord de règlement amiable concerné que les transferts de valeurs prévus par celui-ci s’expliquent uniquement par l’intérêt commercial tant du titulaire du brevet que du contrefacteur allégué à ne pas se livrer une concurrence par les mérites. La seconde branche du premier moyen vise le deuxième volet dudit critère, retenu au point 111 dudit arrêt, selon lequel les accords de règlement amiable qui sont assortis d’effets proconcurrentiels avérés de nature à faire raisonnablement douter de leur caractère suffisamment nocif à l’égard de la concurrence ne sauraient constituer des restrictions par objet.
Sur la première branche, relative à une application incorrecte du premier volet du critère juridique établi par l’arrêt Generics (UK)
– Argumentation des parties
48 Dans le cadre de la première branche du premier moyen, les requérantes contestent les points 45 à 47 de l’arrêt attaqué.
49 Premièrement, le critère juridique retenu aux points 46 et 47 de cet arrêt serait contraire à la jurisprudence issue de l’arrêt Generics (UK)et correspondrait à une analyse contrefactuelle relevant de l’appréciation des accords en tant que restriction par effet.
50 Dans ce cadre, les requérantes reprochent au Tribunal de ne pas avoir expliqué la raison pour laquelle le critère juridique énoncé par la Commission dans la décision litigieuse n’équivaut pas, en réalité, à une analyse contrefactuelle relevant d’une appréciation des accords en tant que restriction par effet. En outre, le critère entériné par le Tribunal exigerait, en réalité, d’apprécier, pour chaque transaction commerciale, si une telle transaction aurait effectivement été conclue, ou si elle l’aurait été aux mêmes conditions, en l’absence de l’accord de règlement pris dans son ensemble, ce qui serait contraire à la jurisprudence issue de l’arrêt Generics (UK).
51 Deuxièmement, le Tribunal aurait formulé, au point 45 de l’arrêt attaqué, une règle juridique plus stricte que celle énoncée dans l’arrêt Generics (UK).
52 Les requérantes rappellent que, selon les enseignements issus de l’arrêt Generics (UK), un accord de règlement amiable constitue un accord ayant pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence s’il ressort de l’ensemble des éléments disponibles que les transferts de valeurs peuvent s’expliquer uniquement par l’intérêt commercial des parties à cet accord à ne pas se livrer une concurrence par les mérites. En outre, il ressortirait de cet arrêt que, pour que de tels transferts de valeurs ne relèvent pas de la définition de l’accord restrictif de concurrence par objet, il suffit que l’explication alternative de ces transferts soit plausible.
53 Or, en jugeant que la Commission était tenue de vérifier si les transactions commerciales visées par l’accord de règlement auraient également pu être conclues, à des conditions aussi favorables, en l’absence des clauses restrictives, le Tribunal aurait non seulement dénaturé le critère établi par la jurisprudence de la Cour, mais également procédé, contrairement à celle-ci, à un renversement de la charge de la preuve.
54 Troisièmement, le Tribunal aurait approuvé un critère impossible à satisfaire par les parties, en contradiction avec la jurisprudence issue de l’arrêt Generics (UK).
55 Les requérantes font, à ce propos, grief au Tribunal d’avoir appliqué de manière erronée le critère retenu au point 43 de l’arrêt attaqué afin de vérifier si les transactions commerciales figurant dans un accord de règlement pouvaient avoir d’autres explications que l’intérêt commercial, tant du titulaire du brevet que du contrefacteur allégué, à ne pas se livrer à une concurrence par les mérites.
56 Elles soulignent que, au moment où l’accord de règlement a été conclu, celles-ci étaient impliquées dans des litiges au niveau mondial relatifs aux brevets de Cephalon protégeant le modafinil et que, en l’absence de l’accord de règlement, les parties auraient poursuivi leur litige. Dans une telle situation, Cephalon n’aurait eu aucun intérêt à conclure une quelconque transaction commerciale avec Teva en rapport avec l’objet du litige et n’aurait eu que peu d’intérêt à conclure le moindre accord, ainsi que la Commission elle-même l’aurait reconnu au considérant 794 de la décision litigieuse.
57 Or, un critère tel que celui appliqué par le Tribunal exclurait nécessairement la conclusion de transactions commerciales concomitamment à un accord de règlement, ce qui serait contraire à la jurisprudence issue de l’arrêt Generics (UK).
58 Selon les requérantes, la question pertinente à poser dans ce cadre aurait été celle de savoir si, à supposer que Teva et Cephalon aient réglé leur litige, chacune des transactions commerciales pouvait s’expliquer de manière plausible.
59 La Commission considère que la première branche du premier moyen doit être rejetée comme étant non fondée.
– Appréciation de la Cour
60 Par la première branche du premier moyen, les requérantes contestent les points 45 à 47 de l’arrêt attaqué et, en particulier, le critère juridique retenu par le Tribunal pour qualifier les engagements de non-concurrence et de non-contestation pris dans le cadre de l’accord de règlement de restrictions de la concurrence par objet.
61 À titre liminaire, il importe de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, les accords de règlement amiable par lesquels un fabricant de médicaments génériques, candidat à l’entrée sur un marché, reconnaît, au moins temporairement, la validité d’un brevet détenu par un fabricant de médicaments princeps et s’engage, de ce fait, à ne pas la contester, pas plus qu’à entrer sur le marché concerné, sont susceptibles d’emporter des effets restrictifs de concurrence, dès lors que la contestation de la validité et de la portée d’un brevet fait partie du jeu normal de la concurrence dans les secteurs dans lesquels existent des droits d’exclusivité sur des technologies [arrêts Generics (UK), point 81 , et du 27 juin 2024, Servier e.a./Commission, C‑201/19 P, EU:C:2024:552, point 293].
62 En effet, un fabricant de médicaments génériques peut, après avoir évalué ses chances d’obtenir gain de cause dans la procédure juridictionnelle qui l’oppose au fabricant du médicament princeps concerné, décider de renoncer à entrer sur le marché en cause et de conclure avec ce dernier un accord de règlement amiable de cette procédure (arrêt du 27 juin 2024, Servier e.a./Commission, C‑201/19 P, EU:C:2024:552, point 163 et jurisprudence citée).
63 Or, un tel accord ne saurait être considéré, dans tous les cas, comme une restriction par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Le fait qu’un tel accord est assorti de transferts de valeurs par le fabricant de médicaments princeps au profit d’un fabricant de médicaments génériques ne constitue pas un motif suffisant pour le qualifier de restriction de la concurrence par objet, ces transferts de valeurs pouvant s’avérer justifiés. Tel peut être le cas lorsque le fabricant de médicaments génériques perçoit du fabricant de médicaments princeps des sommes correspondant effectivement à la compensation de frais ou de désagréments liés au litige qui les oppose ou correspondant à une rémunération pour la fourniture effective de biens ou de services au fabricant de médicaments princeps (arrêt du 27 juin 2024, Servier e.a./Commission, C‑201/19 P, EU:C:2024:552, point 163 et jurisprudence citée).
64 Par conséquent, dès lors qu’un accord de règlement amiable d’un litige relatif à la validité d’un brevet opposant un fabricant de médicaments génériques à un fabricant de médicaments princeps, titulaire de ce brevet, est assorti de transferts de valeurs du fabricant de médicaments princeps au profit du fabricant de médicaments génériques, il y a lieu de vérifier, dans un premier temps, si le solde net positif de ces transferts peut se justifier de manière intégrale, ainsi que cela est envisagé aux points 62 et 63 du présent arrêt, par la nécessité de compenser des frais ou des désagréments liés à ce litige, tels que les frais et honoraires des conseils de ce dernier fabricant, ou par celle de rémunérer la fourniture effective et avérée de biens ou de services de celui-ci au fabricant du médicament princeps. En effet, le règlement amiable d’un tel litige implique que le fabricant de médicaments génériques reconnaisse la validité du brevet en cause, car il renonce à la contester. Il s’ensuit que, au titre d’un paiement dit « inversé », par le fabricant de médicaments princeps en faveur du fabricant de médicaments génériques, seule la prise en charge de tels frais ou la rémunération de tels biens ou services fournis peut être considérée comme étant cohérente par rapport à une telle reconnaissance et, partant, comme étant susceptible d’être justifiée à l’égard de la concurrence (arrêt du 27 juin 2024, Servier e.a./Commission, C‑201/19 P, EU:C:2024:552, point 164 et jurisprudence citée).
65 Dans un second temps, si ce solde net positif des transferts n’est pas justifié de manière intégrale par une telle nécessité, il importe de vérifier si, en l’absence d’une telle justification, ces transferts s’expliquent uniquement par l’intérêt commercial de ces fabricants de médicaments à ne pas se livrer une concurrence par les mérites. Aux fins de cet examen, il y a lieu de déterminer si ledit solde, y compris d’éventuels frais justifiés, est suffisamment important pour inciter effectivement le fabricant de médicaments génériques à renoncer à entrer sur le marché concerné, sans qu’il soit requis que ce solde positif net soit nécessairement supérieur aux bénéfices qu’il aurait réalisés s’il avait obtenu gain de cause dans la procédure en matière de brevets (arrêt du 27 juin 2024, Servier e.a./Commission, C‑201/19 P, EU:C:2024:552, point 165 et jurisprudence citée).
66 À l’instar de M. l’avocat général au point 45 de ses conclusions, il convient de considérer que la qualification de restriction de concurrence par objet ne peut dès lors être retenue que lorsque les restrictions de la concurrence issues des clauses de non-concurrence et de non-contestation prévues par l’accord de règlement amiable reposent non pas sur une reconnaissance de la validité des brevets du fabricant de médicaments princeps, mais sur un transfert de valeur de celui-ci en faveur du fabricant de médicaments génériques en cause constituant une incitation, pour ce dernier, à renoncer à se livrer à une concurrence par les mérites.
67 Ainsi, des accords de règlement amiable, tels que l’accord de règlement, doivent être qualifiés de restrictions de la concurrence par objet lorsqu’il ressort de leur examen que les transferts de valeurs opérés par le fabricant du médicament princeps au profit du fabricant du médicament générique s’expliquent, au final, uniquement par l’intérêt commercial de ces opérateurs à ne pas se livrer une concurrence par les mérites [voir, en ce sens, arrêts Generics (UK), point 87, et du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission, C‑591/16 P, EU:C:2021:243, point 114].
68 Afin de déterminer si un accord peut être qualifié de restriction de la concurrence par objet, il convient non pas d’analyser chacune de ses clauses de manière séparée, mais d’évaluer si cet accord, pris comme un tout, présente un degré de nocivité économique sur le bon fonctionnement de la concurrence dans le marché concerné (arrêt du 27 juin 2024, Servier e.a./Commission, C‑201/19 P, EU:C:2024:552, point 294).
69 C’est au regard de ces considérations qu’il convient d’apprécier, premièrement, si c’est à juste titre que, dans le cadre de l’examen visant à déterminer si l’accord de règlement devait être qualifié de « restriction de la concurrence par objet », le Tribunal a considéré, au point 46 de l’arrêt attaqué, que, afin de déterminer si chacune des transactions commerciales figurant dans cet accord avait pour seule explication plausible l’objectif d’inciter Teva à accepter les clauses restrictives et, ainsi, à renoncer à concurrencer Cephalon par ses mérites ou si ces transactions auraient, en tout état de cause, été conclues dans des conditions normales de marché, il convenait d’analyser si les transactions commerciales contenues dans ledit accord auraient effectivement été conclues ou si elles l’auraient été aux mêmes conditions en l’absence des clauses restrictives.
70 À cet égard, lorsque le solde net positif des transferts de valeurs ne peut se justifier de manière intégrale par la nécessité de compenser des frais ou des désagréments liés au litige relatif à la validité d’un brevet opposant un fabricant de médicaments génériques à un fabricant de médicaments princeps, le critère juridique retenu par la jurisprudence pour qualifier un accord de règlement amiable de restriction de la concurrence par objet impose de vérifier si la seule contrepartie du transfert de valeur reçu par le fabricant de médicaments génériques de la part du fabricant du médicament princeps est suffisamment importante pour inciter effectivement ce fabricant de médicaments génériques à renoncer à entrer sur le marché concerné (voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 2024, Servier e.a./Commission, C‑201/19 P, EU:C:2024:552, points 164 et 165 ainsi que jurisprudence citée).
71 Dans ces conditions, c’est à tort que les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir centré son examen sur les engagements de non-concurrence et de non-contestation figurant dans l’accord de règlement, ces derniers consistant, en substance, en une renonciation à entrer sur le marché.
72 Certes, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 71 de ses conclusions, une lecture isolée des points 45 et 46 de l’arrêt attaqué pourrait suggérer que le Tribunal a effectué une analyse abstraite des clauses restrictives, au moyen de l’examen du scénario hypothétique fondé sur une comparaison de « ce qui s’était réellement passé avec ce qui se serait passé en l’absence des clauses restrictives ».
73 Toutefois, ainsi qu’il ressort des points 43 à 46 et 61 à 162 de l’arrêt attaqué, c’est à l’issue d’une analyse détaillée et d’une appréciation globale de l’accord de règlement que le Tribunal a conclu que le transfert de valeur effectué par Cephalon au profit de Teva au moyen de transactions commerciales constituait la contrepartie de l’insertion de clauses restrictives dans l’accord de règlement et, partant, de l’engagement de Teva de renoncer à entrer de manière indépendante sur le marché des médicaments génériques.
74 Plus particulièrement, le Tribunal a d’abord énoncé, aux points 43 à 46 de l’arrêt attaqué, qu’il envisageait d’établir, sur la base d’un scénario hypothétique, si les transactions commerciales entre les requérantes s’écartaient des conditions normales du marché en s’attachant, notamment, aux objectifs et au contexte économique et juridique dans lequel ces transactions s’inscrivaient au moment de la conclusion de l’accord de règlement, afin de déterminer l’effet incitatif des transferts de valeurs prévus par cet accord.
75 Or, rien n’interdit la prise en compte des éléments contrefactuels pour constater une restriction de la concurrence par objet (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 2020, Budapest Bank e.a. C‑228/18, EU:C:2020:265, points 82 et 83).
76 Si l’analyse énoncée par le Tribunal au point 46 de l’arrêt attaqué, consistant à examiner les transactions commerciales figurant dans l’accord de règlement en l’absence de clauses restrictives, implique, comme celui-ci l’a relevé aux points 47 à 50 de l’arrêt attaqué, la prise en compte d’une situation hypothétique, cette analyse ne saurait être confondue avec la méthode dite « contrefactuelle ».
77 Alors que cette dernière consiste en la comparaison de la situation concurrentielle résultant de l’accord concerné et de celle qui existerait en son absence afin d’apprécier l’existence d’effets anticoncurrentiels causés par un accord entre entreprises (voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 2024, Commission/KRKA, C‑151/19 P, EU:C:2024:546, point 316 et jurisprudence citée), l’analyse effectuée par le Tribunal dans le cadre de l’appréciation de l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, ainsi qu’il ressort des points 43 à 50 et 61 de l’arrêt attaqué, visait à déterminer si ces clauses constituaient une incitation pour Teva à renoncer à concurrencer Cephalon par ses mérites afin de déterminer la gravité objective de la pratique concernée, et non pas à apprécier l’existence des effets anticoncurrentiels de l’accord de règlement. Cette dernière appréciation a été effectuée aux points 221 à 223 et 230 à 254 de l’arrêt attaqué.
78 Partant, le critère entériné par le Tribunal n’exige pas d’apprécier, contrairement à ce que font valoir les requérantes, pour chaque transaction commerciale, si elle aurait effectivement été conclue, ou si elle l’aurait été aux mêmes conditions, en l’absence de l’accord de règlement pris dans son ensemble. Ce critère vise, au contraire, à établir si, ainsi que le requiert la jurisprudence visée au point 67 du présent arrêt, les transferts de valeurs s’expliquent, au final, uniquement par l’intérêt commercial des opérateurs concernés à ne pas se livrer une concurrence par les mérites.
79 Par ailleurs, compte tenu des explications contenues aux points 47 à 50 de l’arrêt attaqué, dont les points 48 à 50 ne sont pas contestés par les requérantes, quant à la différence entre l’analyse effectuée dans le cadre de la détermination de l’existence d’une restriction de la concurrence par objet et la méthode contrefactuelle devant être appliquée seulement dans le cadre de l’appréciation des effets anticoncurrentiels d’un accord, le Tribunal a bien explicité, contrairement à ce qu’allèguent les requérantes, les raisons pour lesquelles cette analyse n’équivaut pas à cette méthode contrefactuelle.
80 Deuxièmement, il convient d’examiner si le Tribunal s’est écarté, au point 46 de l’arrêt attaqué, de la jurisprudence issue de l’arrêt Generics (UK)lorsqu’il a considéré que, pour déterminer si chacune des transactions commerciales avait pour seule explication plausible l’objectif d’inciter Teva à accepter les clauses restrictives et, ainsi, à renoncer à concurrencer Cephalon par ses mérites ou si ces transactions auraient, en tout état de cause, été conclues dans des conditions normales de marché, la Commission devait comparer ce qui s’était réellement passé avec ce qui se serait passé en l’absence des clauses restrictives.
81 Par ce grief, les requérantes visent, en substance, à démontrer que le critère énoncé par le Tribunal correspond à celui issu de l’arrêt Generics (UK) pour l’examen de l’existence d’une restriction de la concurrence par effet et ne saurait donc, sauf à entraîner une erreur de droit, être utilisé pour établir l’existence d’une restriction de la concurrence par objet.
82 Or, ainsi qu’il ressort du point 43 de l’arrêt attaqué, le Tribunal entendait procéder à une appréciation globale des intérêts et des incitations des parties concernées, afin de vérifier si les transactions commerciales figurant dans l’accord de règlement pouvaient avoir d’autres explications que l’intérêt commercial des requérantes à ne pas se livrer à une concurrence par les mérites.
83 Une telle appréciation doit se fonder, ainsi que l’a observé à juste titre le Tribunal aux points 50 et 56 de l’arrêt attaqué, non contestés par les requérantes, sur une analyse conjointe des transactions commerciales et de l’accord de règlement lorsque ces transactions et cet accord s’intègrent dans un même ensemble contractuel.
84 En effet, ainsi que la Cour l’a précisé, afin de déterminer si un accord peut être qualifié de restriction de la concurrence par objet, il est indispensable, notamment en raison des liens étroits entre les clauses de non-contestation, de non-commercialisation et d’approvisionnement exclusif d’un accord de règlement amiable, d’analyser non pas chacune des clauses restrictives de manière séparée, mais d’évaluer si cet accord, pris comme un tout, présente un degré de nocivité économique sur le bon fonctionnement de la concurrence dans le marché concerné qui justifie une telle qualification (voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 2024, Servier e.a./Commission, C‑201/19 P, EU:C:2024:552, point 294).
85 Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 57 de ses conclusions, il en est d’autant plus ainsi lorsque, comme en l’espèce, l’objectif de cette analyse consiste à identifier l’effet potentiellement incitatif des transferts de valeurs et à déterminer si l’insertion des clauses restrictives dans l’accord de règlement représentait la contrepartie des transferts de valeurs effectués par Cephalon au moyen des transactions commerciales visées par l’accord de règlement.
86 En effet, s’il est constaté que, en l’absence des clauses restrictives contenues dans l’accord de règlement, les parties n’auraient pas conclu les transactions commerciales prévues par cet accord, il peut en être déduit que ces transactions ne s’expliquent que par la restriction de la concurrence convenue dans cet accord.
87 Par ailleurs, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il ne ressort nullement de l’arrêt attaqué, d’une part, que le Tribunal n’aurait pas procédé à une telle analyse, les points 61 et 162 de cet arrêt témoignant du contraire, ni, d’autre part, qu’il aurait requis la démonstration de ce qui se serait passé en l’absence de l’accord de règlement pris dans sa globalité.
88 Ainsi, le présent grief, se fondant sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué, ne saurait être accueilli.
89 De même, il y a lieu de rejeter le grief des requérantes, pris de la dénaturation du critère établi par la jurisprudence de la Cour, visée au point 53 du présent arrêt, et du renversement de la charge de la preuve exigée par cette jurisprudence.
90 En effet, c’est sans commettre d’erreur que le Tribunal a jugé, au point 45 de l’arrêt attaqué, que la Commission était tenue de vérifier si les transactions commerciales visées par l’accord de règlement auraient également pu être conclues, à des conditions aussi favorables, en l’absence des clauses restrictives.
91 Ainsi qu’il ressort du point 53 de l’arrêt attaqué, lequel n’est pas contesté par les requérantes, le Tribunal a rappelé, en se référant aux points 83 et 87 de l’arrêt Generics (UK), qu’il incombe à la Commission de démontrer que, dans le contexte en cause, les clauses restrictives conclues dans le cadre de l’accord de règlement amiable ont donné lieu à un accord restrictif de concurrence par objet et, donc, de démontrer qu’il résulte de l’examen de cet accord que les transferts de valeurs prévus par celui-ci s’expliquent uniquement par l’intérêt commercial tant du titulaire du brevet en cause que du contrefacteur allégué à ne pas se livrer une concurrence par les mérites.
92 Devant le Tribunal, les requérantes ont soutenu que chacune des transactions commerciales figurant dans l’accord de règlement avait une explication plausible autre que celle de servir uniquement de contrepartie aux clauses restrictives. Le Tribunal a dès lors vérifié, ainsi qu’il ressort du point 61 de l’arrêt attaqué, si, pour chacune de ces transactions commerciales prévues par cet accord, la Commission avait commis une erreur d’appréciation en concluant que lesdites transactions avaient pour objet de servir de transfert de valeur de Cephalon à Teva en contrepartie de l’engagement de Teva de renoncer à entrer de manière indépendante sur les marchés des médicaments génériques et à concurrencer Cephalon en ce qui concerne le modafinil.
93 À l’issue d’une analyse de la décision litigieuse et de chaque transaction commerciale figurant dans l’accord de règlement, le Tribunal est parvenu, au point 162 de l’arrêt attaqué, à la conclusion, non contestée par les requérantes, que la Commission avait appliqué le critère juridique approprié en établissant que chacune des transactions commerciales prévues dans l’accord de règlement n’avait eu d’autre but que d’augmenter le niveau du transfert de valeur globalement opéré en faveur de Teva par cet accord afin de l’inciter à se soumettre aux clauses restrictives.
94 Il s’ensuit que, contrairement à ce que font valoir les requérantes, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que la Commission avait dûment prouvé, conformément à la jurisprudence issue du point 87 de l’arrêt Generics (UK), que les transferts de valeurs opérés dans le cadre des transactions commerciales figurant dans l’accord de règlement s’expliquaient uniquement par l’intérêt commercial de Teva et de Cephalon à ne pas se livrer une concurrence par les mérites.
95 Troisièmement, il importe d’apprécier si, comme le soutiennent les requérantes, le Tribunal a effectivement appliqué un critère impossible à satisfaire par les parties, en contradiction avec la jurisprudence issue de l’arrêt Generics (UK)et si le Tribunal a correctement appliqué le critère qu’il a lui-même retenu au point 43 de l’arrêt attaqué, afin de vérifier si les transactions commerciales figurant dans un accord de règlement amiable pouvaient avoir d’autres explications que l’intérêt commercial, tant du titulaire du brevet que du contrefacteur allégué, à ne pas se livrer à une concurrence par les mérites.
96 À cet égard, tout d’abord, dans la mesure où ce grief repose sur l’argument, déjà examiné aux points 83 à 87 du présent arrêt, selon lequel le Tribunal aurait envisagé d’examiner les transactions commerciales « en l’absence de l’accord de règlement », il convient de le rejeter.
97 Ensuite, il convient également de rejeter les arguments des requérantes selon lesquels l’appréciation globale que le Tribunal a effectuée portait, contrairement à ce qu’il a énoncé au point 43 de l’arrêt attaqué, sur la question de savoir si les requérantes auraient conclu une quelconque transaction commerciale indépendamment de l’accord de règlement.
98 En effet, rien dans l’arrêt attaqué n’indique que le Tribunal n’aurait pas procédé, comme énoncé au point 43 de l’arrêt attaqué, à la détermination du point de savoir si les transactions commerciales figurant dans l’accord de règlement pouvaient avoir d’autres explications que l’intérêt commercial des requérantes à ne pas se livrer à une concurrence par les mérites. Ainsi, comme il ressort, notamment, des points 61 et 162 de l’arrêt attaqué, c’est précisément cette analyse que le Tribunal a effectuée.
99 Enfin, contrairement à ce qu’affirment les requérantes, il ne ressort pas de l’arrêt attaqué que le Tribunal aurait exclu la possibilité de conclure des transactions commerciales concomitamment à un accord de règlement amiable. Les points 56, 61 et 162 de l’arrêt attaqué montrent, au contraire, que le Tribunal a reconnu une telle possibilité en examinant l’ensemble des transactions commerciales conclues entre les parties dans le cadre du règlement amiable de leurs litiges.
100 Partant, et ainsi que l’a observé, en substance, M. l’avocat général au point 71 de ses conclusions, la question pertinente, en l’espèce, pour établir une restriction de la concurrence par objet est celle de savoir si les transactions commerciales conclues dans le cadre d’un accord de règlement amiable peuvent s’expliquer de manière plausible, en ce sens que leur but ne consiste pas à restreindre ou à fausser le jeu de la concurrence sur le marché en incitant un concurrent potentiel à renoncer à entrer sur le marché en échange d’un transfert de valeur non justifié par la nécessité de compenser des frais ou des désagréments liés au litige entre les parties à cet accord.
101 Dès lors, le Tribunal ne saurait être critiqué pour avoir effectué une telle analyse, laquelle ressort des points 61 et 162 de l’arrêt attaqué.
102 Il s’ensuit que la première branche du premier moyen doit être rejetée comme étant non fondée.
Sur la seconde branche, relative à l’application erronée du second volet du critère juridique établi par l’arrêt Generics (UK)
– Argumentation des parties
103 Dans le cadre de la seconde branche du premier moyen, les requérantes font valoir que les points 182 et 183 de l’arrêt attaqué sont entachés d’une erreur de droit, au motif que la motivation qui y figure est insuffisante et contradictoire.
104 À cet égard, les requérantes rappellent que, selon les enseignements issus du point 111 de l’arrêt Generics (UK), les accords de règlement qui sont assortis d’effets proconcurrentiels avérés de nature à faire raisonnablement douter de leur caractère suffisamment nocif à l’égard de la concurrence ne sauraient constituer des restrictions par objet. Selon cette jurisprudence, ces effets doivent être avérés, pertinents et propres à l’accord concerné et suffisamment importants, de sorte qu’ils permettent de raisonnablement douter du caractère suffisamment nocif à l’égard de la concurrence de l’accord de règlement amiable concerné, et, partant, de son objet anticoncurrentiel.
105 Or, dans la décision de concentration, la Commission aurait indiqué que, dans la mesure où l’accord de règlement avait supprimé les obstacles en matière de propriété intellectuelle qui rendaient l’entrée d’autres fabricants de médicaments génériques extrêmement incertaine à court terme, l’accord de règlement permettait à Teva de devenir le concurrent le plus important de Cephalon sur le marché du modafinil.
106 La contrainte concurrentielle exercée par Teva sur Cephalon aurait été jugée telle que la Commission avait exigé de Teva qu’elle cède ses droits de production et de vente de son produit modafinil afin d’éliminer le chevauchement d’activité entre les parties à la concentration.
107 À la lumière de ces éléments, les requérantes reprochent au Tribunal, d’une part, de ne pas avoir exposé, pour répondre aux arguments qu’elles avaient avancés en première instance pour démontrer que les effets proconcurrentiels découlant de l’accord de règlement ressortaient clairement de la décision de concentration, les motifs pour lesquels les restrictions de concurrence contenues dans l’accord de règlement l’emporteraient sur les effets proconcurrentiels évidents résultant de cet accord. En outre, le Tribunal n’aurait pas indiqué les motifs pour lesquels la différence entre le cadre analytique retenu dans la décision litigieuse et celui figurant dans la décision de concentration aurait pour conséquence qu’aucun effet proconcurrentiel ne découlait de l’accord de règlement.
108 D’autre part, les requérantes estiment que la motivation de l’arrêt attaqué ne permet pas de comprendre comment le Tribunal est parvenu à la conclusion contradictoire, au point 183 de l’arrêt attaqué, selon laquelle le fait que la Commission a estimé, dans la décision de concentration, que, après et malgré la conclusion de l’accord de règlement, Teva était toujours la contrainte concurrentielle la plus probable exercée sur Cephalon ne signifiait pas qu’elle aurait considéré que les droits génériques de Teva avaient un effet proconcurrentiel.
109 En particulier, cette motivation ne permettrait pas de comprendre les raisons pour lesquelles la décision de concentration n’a pas permis de raisonnablement douter du caractère suffisamment nocif à l’égard de la concurrence de l’accord de règlement amiable.
110 La Commission estime que les arguments présentés par les requérantes dans leur réplique concernant le caractère prétendument contradictoire du raisonnement du Tribunal figurant aux points 182 et 183 de l’arrêt attaqué doivent, en tant qu’arguments nouveaux, être rejetés comme étant irrecevables. En tout état de cause, la Commission considère que la seconde branche du premier moyen est non fondée.
– Appréciation de la Cour
111 Par la seconde branche du premier moyen, les requérantes soutiennent que les points 182 et 183 de l’arrêt attaqué sont entachés d’une erreur de droit tirée d’une motivation insuffisante et contradictoire.
112 À titre liminaire, la Commission fait valoir que les arguments avancés par les requérantes concernant le caractère contradictoire du raisonnement du Tribunal, avancés dans le cadre de leur réplique, doivent être déclarés irrecevables en tant qu’arguments nouveaux.
113 À cet égard, il importe de constater que les requérantes se sont bornées à mentionner, dans l’intitulé de la seconde branche du premier moyen et dans un point de leur pourvoi, le caractère contradictoire du raisonnement du Tribunal, sans fournir d’explication ni exposer une quelconque argumentation pour établir un tel caractère. Ce n’est qu’au stade du mémoire en réplique que la prétendue contradiction a fait l’objet de développements en ce qui concerne le seul point 183 de l’arrêt attaqué.
114 Par conséquent, dans la mesure où l’argument tiré d’une contradiction de motifs n’a aucunement été étayé dans la requête et qu’il a seulement été articulé pour la première fois dans le mémoire en réplique à l’égard du point 183 de l’arrêt attaqué, sans, en outre, qu’il repose sur des éléments qui se sont révélés après l’introduction du recours ni qu’il constitue l’ampliation d’un moyen énoncé dans la requête, il doit être considéré comme étant irrecevable, conformément à l’article 127, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 190, paragraphe 1, de ce règlement.
115 En outre, il importe de souligner que les requérantes ne remettent pas en cause l’intégralité de la motivation développée par le Tribunal pour rejeter la troisième branche de leur premier moyen soulevé en première instance. Plus précisément, elles contestent uniquement la motivation exposée par le Tribunal aux points 182 et 183 de l’arrêt attaqué pour rejeter les arguments qu’elles avaient avancés afin de démontrer que les effets proconcurrentiels découlant de l’accord de règlement ressortaient clairement de la décision de concentration.
116 Or, à supposer même que la motivation contenue aux points 182 et 183 de l’arrêt attaqué soit entachée d’une erreur de droit tenant au caractère insuffisant de celle-ci, une telle erreur ne saurait avoir comme conséquence l’annulation de cet arrêt.
117 En effet, les requérantes n’ont contesté, dans le cadre de la seconde branche du premier moyen, qu’un seul élément du raisonnement sur lequel s’est appuyé le Tribunal pour rejeter la troisième branche du premier moyen soulevé en première instance.
118 À cet égard, il ressort, d’une part, des points 178 à 180 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a examiné et écarté les arguments tirés du caractère principalement proconcurrentiel de l’accord de règlement, en jugeant que l’entrée de Teva sur les marchés du modafinil devrait être qualifiée « d’entrée retardée, contrôlée et limitée sur ces marchés, plutôt que d’entrée précoce », comme l’avaient soutenu les requérantes. D’autre part, il a jugé, aux points 186 à 190 de cet arrêt, que la constatation de l’existence d’une restriction de la concurrence par objet ne saurait être écartée en raison du caractère prétendument accessoire des clauses restrictives.
119 Il s’ensuit que la seconde branche du premier moyen doit être rejetée comme étant, pour partie, irrecevable, et, pour partie, inopérante.
120 Dans ces conditions, le premier moyen doit être rejeté dans son intégralité.
Sur le second moyen, tiré d’erreurs de droit commises dans le cadre de l’appréciation de l’existence d’une restriction par effet au sens de l’article 101 TFUE
121 À l’appui de leur second moyen, les requérantes font valoir, en substance, que le Tribunal a commis plusieurs erreurs de droit dans l’examen des effets anticoncurrentiels de l’accord de règlement.
122 À cet égard, il ressort de la jurisprudence que l’objet et l’effet anticoncurrentiel d’un accord sont des conditions non pas cumulatives mais alternatives pour appliquer l’interdiction énoncée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner les effets d’un accord dès lors que l’objet anticoncurrentiel de ce dernier est établi (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a., C‑501/06 P, C‑513/06 P, C‑515/06 P et C‑519/06 P, EU:C:2009:610, point 55 et jurisprudence citée).
123 Or, dès lors que l’examen du premier moyen, portant sur les appréciations effectuées par le Tribunal dans le cadre de la détermination de l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, n’a révélé aucune erreur de droit, il n’est pas nécessaire d’examiner le second moyen, relatif aux effets anticoncurrentiels de l’accord de règlement.
124 Dans ces conditions, il convient de rejeter le présent pourvoi.
Sur les dépens
125 Conformément à l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.
126 L’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, prévoit que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
127 Les requérantes ayant succombé en leurs moyens et la Commission ayant conclu à la condamnation de celles-ci aux dépens, il y a lieu de condamner les requérantes aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Teva Pharmaceutical Industries Ltd. et Cephalon Inc. sont condamnées aux dépens.
Signatures