ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
11 novembre 2025 (*)
Table des matières
I. Le cadre juridique
A. Le traité FUE
B. La directive attaquée
II. Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour
III. Sur le recours
A. Sur les conclusions présentées à titre principal, tendant à l’annulation de la directive attaquée
1. Sur le premier moyen, tiré d’une méconnaissance de l’article 153, paragraphe 5, TFUE et d’un détournement des pouvoirs conférés par les traités au législateur de l’Union
a) Argumentation des parties
b) Appréciation de la Cour
1) Sur la finalité et le contenu de la directive attaquée
2) Sur la première branche du premier moyen, tirée d’une violation de l’exclusion de compétence relative aux « rémunérations »
i) L’article 4 de la directive attaquée
ii) L’article 5 de la directive attaquée
iii) L’article 6 de la directive attaquée
3) Sur la seconde branche du premier moyen, tirée d’une violation de l’exclusion de compétence relative au « droit d’association »
2. Sur le second moyen, tiré d’une impossibilité d’adopter la directive attaquée sur le fondement de l’article 153, paragraphe 1, sous b), TFUE
a) Argumentation des parties
b) Appréciation de la Cour
B. Sur les conclusions présentées à titre subsidiaire, tendant à l’annulation de l’article 4, paragraphe 1, sous d), et/ou de l’article 4, paragraphe 2, de la directive attaquée
IV. Sur les dépens
« Recours en annulation – Directive (UE) 2022/2041 – Salaires minimaux adéquats dans l’Union européenne – Article 153, paragraphe 1, sous b), TFUE – Article 153, paragraphe 2, sous b), TFUE – Respect des compétences conférées à l’Union par les traités – Article 153, paragraphe 5, TFUE – Exclusions de compétence – “Rémunérations” et “droit d’association” – Ingérence directe du droit de l’Union dans la détermination des rémunérations au sein de celle‑ci et dans le droit d’association – Annulation partielle – Article 5, paragraphe 1, en partie, paragraphes 2 et 3 in fine »
Dans l’affaire C‑19/23,
ayant pour objet un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, introduit le 18 janvier 2023,
Royaume de Danemark, représenté initialement par M. M. Jespersen, Mmes J. F. Kronborg et C. A.‑S. Maertens, puis par M. M. Jespersen, Mme C. A.‑S. Maertens et M. A. Skovsø Clausen, en qualité d’agents,
partie requérante,
soutenu par :
Royaume de Suède, représenté initialement par Mmes H. Eklinder, H. Shev et M. O. Simonsson, puis par Mme H. Eklinder et M. O. Simonsson, en qualité d’agents,
partie intervenante,
contre
Parlement européen, représenté par MM. W. D. Kuzmienko, U. Spliid, A. Tamás et L. Visaggio, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
soutenu par :
République fédérale d’Allemagne, représentée initialement par M. J. Möller et Mme A. Hoesch, en qualité d’agents, puis par M. J. Möller, en qualité d’agent,
République hellénique, représentée par M. V. Baroutas et Mme M. Tassopoulou, en qualité d’agents,
Royaume d’Espagne, représenté par Mme A. Gavela Llopis, en qualité d’agent,
République française, représentée initialement par MM. R. Bénard, J.‑L. Carré, B. Fodda et T. Lechevallier, puis par MM. B. Fodda et T. Lechevallier, en qualité d’agents,
Grand-Duché de Luxembourg, représenté par MM. A. Germeaux et T. Schell, en qualité d’agents, assistés de Me V. Verdanet, avocate,
Commission européenne, représentée initialement par MM. B.‑R. Killmann et C. Vang, en qualité d’agents, puis par M. B.‑R. Killmann, en qualité d’agent,
parties intervenantes,
Conseil de l’Union européenne, représenté initialement par Mme A. F. Jensen, M. A. Norberg et Mme S. Scarpa Ferraglio, puis par M. A. Norberg et Mme S. Scarpa Ferraglio, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
soutenu par :
Royaume de Belgique, représenté initialement par Mmes C. Pochet, A. Van Baelen et L. Van den Broeck, en qualité d’agents, puis par Mme C. Pochet, en qualité d’agent,
République fédérale d’Allemagne, représentée initialement par M. J. Möller et Mme A. Hoesch, en qualité d’agents, puis par M. J. Möller, en qualité d’agent,
République hellénique, représentée par M. V. Baroutas et Mme M. Tassopoulou, en qualité d’agents,
Royaume d’Espagne, représenté par Mme A. Gavela Llopis, en qualité d’agent,
République française, représentée initialement par MM. R. Bénard, J.‑L. Carré, B. Fodda et T. Lechevallier, puis par MM. B. Fodda et T. Lechevallier, en qualité d’agents,
Grand-Duché de Luxembourg, représenté par MM. A. Germeaux et T. Schell, en qualité d’agents, assistés de Me V. Verdanet, avocate,
République portugaise, représentée par Mmes C. Alves, P. Barros da Costa, P. Estevão, S. Leite, A. Pimenta et M. Sousa, en qualité d’agents,
Commission européenne, représentée initialement par MM. B.‑R. Killmann et C. Vang, en qualité d’agents, puis par M. B.‑R. Killmann, en qualité d’agent,
parties intervenantes,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. K. Lenaerts, président, M. T. von Danwitz, vice‑président, M. F. Biltgen (rapporteur), Mme K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, I. Jarukaitis, Mme I. Ziemele, M. J. Passer et Mme O. Spineanu‑Matei, présidents de chambre, MM. S. Rodin, E. Regan, A. Kumin, N. Jääskinen, M. Gavalec et Z. Csehi, juges,
avocat général : M. N. Emiliou,
greffier : Mme M. Krausenboeck, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 septembre 2024,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 janvier 2025,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, le Royaume de Danemark demande à la Cour, à titre principal, l’annulation de la directive (UE) 2022/2041 du Parlement européen et du Conseil, du 19 octobre 2022, relative à des salaires minimaux adéquats dans l’Union européenne (JO 2022, L 275, p. 33, ci‑après la « directive attaquée »), dans son intégralité et, à titre subsidiaire, l’annulation de l’article 4, paragraphe 1, sous d), et/ou de l’article 4, paragraphe 2, de la directive attaquée.
I. Le cadre juridique
A. Le traité FUE
2 Le titre X de la troisième partie du traité FUE, intitulé « Politique sociale », comprend les articles 151 à 161 TFUE.
3 Aux termes de l’article 151 TFUE :
« L’Union [européenne] et les États membres, conscients des droits sociaux fondamentaux, tels que ceux énoncés dans la [c]harte sociale européenne signée à Turin le 18 octobre 1961 et dans la [c]harte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989 [(ci-après la “charte des droits sociaux”)], ont pour objectifs la promotion de l’emploi, l’amélioration des conditions de vie et de travail, permettant leur égalisation dans le progrès, une protection sociale adéquate, le dialogue social, le développement des ressources humaines permettant un niveau d’emploi élevé et durable et la lutte contre les exclusions.
À cette fin, l’Union et les États membres mettent en œuvre des mesures qui tiennent compte de la diversité des pratiques nationales, en particulier dans le domaine des relations conventionnelles, ainsi que de la nécessité de maintenir la compétitivité de l’économie de l’Union.
Ils estiment qu’une telle évolution résultera tant du fonctionnement du marché intérieur, qui favorisera l’harmonisation des systèmes sociaux, que des procédures prévues par les traités et du rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives. »
4 L’article 152, premier alinéa, TFUE dispose :
« L’Union reconnaît et promeut le rôle des partenaires sociaux à son niveau, en prenant en compte la diversité des systèmes nationaux. Elle facilite le dialogue entre eux, dans le respect de leur autonomie. »
5 L’article 153 TFUE prévoit :
« 1. En vue de réaliser les objectifs visés à l’article 151, l’Union soutient et complète l’action des États membres dans les domaines suivants :
[...]
b) les conditions de travail ;
[...]
f) la représentation et la défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs, y compris la cogestion, sous réserve du paragraphe 5 ;
[...]
2. À cette fin, le Parlement européen et le Conseil [de l’Union européenne] :
[...]
b) peuvent arrêter, dans les domaines visés au paragraphe 1, points a) à i), par voie de directives, des prescriptions minimales applicables progressivement, compte tenu des conditions et des réglementations techniques existant dans chacun des États membres. Ces directives évitent d’imposer des contraintes administratives, financières et juridiques telles qu’elles contrarieraient la création et le développement de petites et moyennes entreprises.
Le Parlement européen et le Conseil statuent conformément à la procédure législative ordinaire après consultation du Comité économique et social [européen (CESE)] et du Comité [européen] des régions [(CdR)].
Dans les domaines visés au paragraphe 1, points c), d), f) et g), le Conseil statue conformément à une procédure législative spéciale, à l’unanimité, après consultation du Parlement européen et desdits Comités.
[...]
5. Les dispositions du présent article ne s’appliquent ni aux rémunérations, ni au droit d’association, ni au droit de grève, ni au droit de lock‑out. »
6 L’article 156 TFUE est ainsi libellé :
« En vue de réaliser les objectifs visés à l’article 151 et sans préjudice des autres dispositions des traités, la Commission [européenne] encourage la coopération entre les États membres et facilite la coordination de leur action dans tous les domaines de la politique sociale relevant du présent chapitre, et notamment dans les matières relatives :
[...]
– au droit syndical et aux négociations collectives entre employeurs et travailleurs.
[...] »
B. La directive attaquée
7 La directive attaquée a été adoptée sur le fondement de l’article 153, paragraphe 2, sous b), TFUE, lu en combinaison avec l’article 153, paragraphe 1, sous b), TFUE.
8 Les considérants 3, 7, 8, 12, 16, 18, 19, 22, 24, 25, 28 et 29 de cette directive énoncent :
« (3) L’article 31 de la [c]harte des droits fondamentaux de l’Union européenne [...] [(ci-après la “Charte”)] dispose que tout travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité. [...]
[...]
(7) De meilleures conditions de vie et de travail, notamment grâce à des salaires minimaux adéquats, sont bénéfiques pour les travailleurs et les entreprises de l’Union, ainsi que pour la société et l’économie en général, et constituent une condition préalable pour parvenir à une croissance équitable, inclusive et durable. Remédier aux différences importantes observées en ce qui concerne la couverture et le caractère adéquat de la protection offerte par des salaires minimaux contribue à renforcer l’équité du marché du travail de l’Union et à prévenir et réduire les inégalités de salaire et les inégalités sociales, ainsi qu’à promouvoir le progrès économique et social et la convergence vers le haut. [...]
(8) Lorsqu’ils sont fixés à des niveaux adéquats, les salaires minimaux, tels que prévus par le droit national ou des conventions collectives, protègent les revenus des travailleurs, en particulier des travailleurs défavorisés, et contribuent à garantir un niveau de vie décent, objectif poursuivi par la convention no 131 (1970) de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur la fixation des salaires minima. Les salaires minimaux qui assurent un niveau de vie décent, répondant ainsi à un seuil de décence, peuvent contribuer à réduire la pauvreté au niveau national et à soutenir la demande intérieure et le pouvoir d’achat, à renforcer les incitations au travail, à réduire les inégalités salariales, l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes et la pauvreté au travail, ainsi qu’à limiter la baisse des revenus en période de récession économique.
[...]
(12) Si la protection offerte par des salaires minimaux existe dans tous les États membres, dans certains, elle résulte de dispositions législatives ou administratives et de conventions collectives, tandis que dans d’autres, elle est prévue exclusivement par des conventions collectives. Les différentes traditions nationales des États membres devraient être respectées.
[...]
(16) Alors que des négociations collectives solidement ancrées, en particulier au niveau sectoriel ou interprofessionnel, contribuent à garantir un niveau adéquat de protection offerte par des salaires minimaux, les structures traditionnelles de négociation collective se sont érodées au cours des dernières décennies [...] En outre, les négociations collectives sectorielles et interprofessionnelles ont été remises en cause dans certains États membres à la suite de la crise financière de 2008. Or, la négociation collective au niveau sectoriel et interprofessionnel est essentielle pour parvenir à un niveau adéquat de protection offerte par des salaires minimaux et doit donc être encouragée et renforcée.
[...]
(18) Afin d’améliorer les conditions de vie et de travail ainsi que la convergence sociale vers le haut dans l’Union, la présente directive établit des exigences minimales à l’échelle de l’Union, définit des obligations procédurales pour le caractère adéquat des salaires minimaux légaux et améliore l’accès effectif des travailleurs à la protection offerte par des salaires minimaux, sous la forme d’un salaire minimum légal lorsqu’il existe, ou sous la forme prévue dans des conventions collectives telles que définies aux fins de la présente directive. La présente directive promeut également la négociation collective en vue de la fixation des salaires.
(19) Conformément à l’article 153, paragraphe 5, [TFUE], la présente directive ne vise ni à harmoniser le niveau des salaires minimaux dans l’ensemble de l’Union, ni à établir un mécanisme uniforme de fixation des salaires minimaux. Elle n’interfère pas avec la liberté des États membres de fixer des salaires minimaux légaux ou de promouvoir l’accès à la protection offerte par des salaires minimaux prévue par des conventions collectives, conformément au droit national, aux pratiques nationales et aux spécificités de chaque État membre et dans le plein respect des compétences nationales et du droit des partenaires sociaux à conclure des conventions. La présente directive n’impose pas et ne saurait être interprétée comme imposant aux États membres dans lesquels la formation des salaires est assurée exclusivement par voie de conventions collectives de mettre en place un salaire minimum légal ou de déclarer les conventions collectives d’application générale. En outre, la présente directive n’établit pas le niveau de rémunération, qui relève du droit des partenaires sociaux à conclure des conventions à l’échelon national et de la compétence des États membres en la matière.
[...]
(22) Le bon fonctionnement des négociations collectives en vue de la fixation des salaires est un moyen important de garantir que les travailleurs sont protégés grâce à des salaires minimaux adéquats qui leur assurent ainsi un niveau de vie décent. Dans les États membres où des salaires minimaux légaux sont en place, les négociations collectives soutiennent l’évolution générale des salaires et contribuent donc à améliorer le caractère adéquat des salaires minimaux ainsi que les conditions de vie et de travail des travailleurs. Dans les États membres où la protection offerte par des salaires minimaux est prévue exclusivement par les négociations collectives, leur niveau ainsi que la part des travailleurs protégés sont directement déterminés par le fonctionnement du système de négociation collective et la couverture des négociations collectives. Des négociations collectives solides et efficaces ainsi qu’une couverture élevée des conventions collectives sectorielles ou interprofessionnelles renforcent le caractère adéquat et la couverture des salaires minimaux.
[...]
(24) Dans un contexte de baisse de la couverture des négociations collectives, il est essentiel que les États membres promeuvent les négociations collectives, facilitent l’exercice du droit à la négociation collective sur la fixation des salaires et améliorent ainsi la fixation des salaires prévue par des conventions collectives pour améliorer la protection des travailleurs offerte par des salaires minimaux. Les États membres ont ratifié la convention no 87 de l’OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical[, adoptée à San Francisco le 9 juillet 1948,] et la convention no 98 de l’OIT sur le droit d’organisation et de négociation collective[, adoptée à Genève le 1er juillet 1949]. Le droit de négociation collective est reconnu par ces conventions de l’OIT, par la convention no 151 de l’OIT sur les relations de travail dans la fonction publique[, adoptée à Genève le 27 juin 1978,] et la convention no 154 de l’OIT sur la négociation collective[, adoptée à Genève le 19 juin 1981], ainsi que par la convention [européenne] de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales[, signée à Rome le 4 novembre 1950,] et la charte sociale européenne. Les articles 12 et 28 de la Charte garantissent respectivement la liberté de réunion et d’association et le droit de négociation et d’actions collectives. Selon son préambule, la Charte réaffirme ces droits tels qu’ils résultent notamment de la convention [européenne] de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et des chartes sociales adoptées par l’Union et par le Conseil de l’Europe. Les États membres devraient prendre, s’il y a lieu et conformément au droit national et aux pratiques nationales, des mesures visant à promouvoir la négociation collective en matière de fixation des salaires. Ces mesures pourraient comprendre, entre autres, des mesures visant à faciliter l’accès des représentants syndicaux aux travailleurs.
(25) Les États membres où la couverture des négociations collectives est importante se distinguent généralement par une faible proportion de travailleurs à bas salaires et par des salaires minimaux élevés. [...] Chaque État membre dans lequel la couverture des négociations collectives est inférieure à un seuil de 80 % devrait prévoir un cadre offrant des conditions propices à la tenue de négociations collectives, et établir un plan d’action pour promouvoir les négociations collectives afin d’augmenter progressivement le taux de couverture des négociations collectives. Afin de respecter l’autonomie des partenaires sociaux, ce qui inclut leur droit de négociation collective et exclut toute obligation de conclure des conventions collectives, le seuil de 80 % de couverture des négociations collectives ne devrait s’entendre que comme un indicateur entraînant l’obligation d’établir un plan d’action.
[...] Les taux de couverture des négociations collectives varient considérablement selon les États membres en raison d’un certain nombre de facteurs, dont les traditions et pratiques nationales et le contexte historique. Il convient d’en tenir compte lors de l’analyse des progrès accomplis en vue d’une plus grande couverture des négociations collectives, notamment en ce qui concerne le plan d’action prévu par la présente directive.
[...]
(28) Les salaires minimaux sont considérés comme adéquats s’ils sont équitables par rapport à la répartition des salaires dans l’État membre concerné et s’ils offrent un niveau de vie décent aux travailleurs sur la base d’une relation de travail à temps plein. La détermination et l’évaluation du caractère adéquat des salaires minimaux légaux par chaque État membre se font sur la base de ses conditions socio‑économiques nationales, y compris la croissance de l’emploi, la compétitivité et les évolutions régionales et sectorielles. Aux fins de cette détermination, les États membres devraient tenir compte du pouvoir d’achat, des niveaux et de l’évolution de la productivité nationale à long terme ainsi que des niveaux de salaires, de la répartition des salaires et de la croissance des salaires.
[...]
(29) Sans préjudice de la compétence des États membres de fixer le salaire minimum légal et d’autoriser des variations et retenues, il importe d’éviter que les variations et retenues soient largement utilisées car elles risquent d’avoir une incidence négative sur le caractère adéquat des salaires minimaux. [...] »
9 La directive attaquée comporte quatre chapitres. Le chapitre I de cette directive, intitulé « Dispositions générales », est constitué des articles 1er à 4 de celle-ci. Le chapitre II de ladite directive, intitulé « Salaires minimaux légaux », contient les articles 5 à 8 de celle‑ci. Le chapitre III de la même directive, intitulé « Dispositions transversales », comporte les articles 9 à 13 de celle‑ci. Le chapitre IV de la directive attaquée, intitulé « Dispositions finales », est constitué des articles 14 à 19 de celle‑ci.
10 L’article 1er de la directive attaquée, intitulé « Objet », prévoit, à ses paragraphes 1 à 4 :
« 1. Afin d’améliorer les conditions de vie et de travail dans l’Union, en particulier le caractère adéquat des salaires minimaux pour les travailleurs, dans l’objectif de contribuer à la convergence sociale vers le haut et de réduire les inégalités salariales, la présente directive établit un cadre aux fins suivantes :
a) le caractère adéquat des salaires minimaux légaux dans le but d’obtenir des conditions de vie et de travail décentes ;
b) la promotion des négociations collectives en vue de la fixation des salaires ;
c) l’amélioration de l’accès effectif des travailleurs aux droits à la protection offerte par des salaires minimaux lorsque le droit national et/ou les conventions collectives prévoient de tels droits.
2. La présente directive est sans préjudice du plein respect de l’autonomie des partenaires sociaux, ainsi que de leur droit de négocier et de conclure des conventions collectives.
3. Conformément à l’article 153, paragraphe 5, [TFUE], la présente directive est sans préjudice de la compétence des États membres en matière de fixation du niveau des salaires minimaux légaux, ainsi que du choix des États membres de fixer des salaires minimaux légaux, de promouvoir l’accès à une protection offerte par des salaires minimaux prévue par des conventions collectives, ou des deux.
4. L’application de la présente directive respecte pleinement le droit à la négociation collective. Aucune disposition de la présente directive ne peut être interprétée comme imposant à un État membre :
a) dans lequel la formation des salaires est assurée exclusivement par voie de conventions collectives, l’obligation de mettre en place un salaire minimum légal ; ou
b) l’obligation de déclarer toute convention collective d’application générale. »
11 L’article 2 de cette directive, intitulé « Champ d’application », prévoit qu’elle « s’applique aux travailleurs de l’Union qui ont un contrat de travail ou une relation de travail au sens du droit, des conventions collectives ou de la pratique en vigueur dans chaque État membre, compte tenu de la jurisprudence de la [Cour] ».
12 L’article 3 de ladite directive, intitulé « Définitions », est ainsi libellé :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
1) “salaire minimum” : la rémunération minimale fixée par la loi ou les conventions collectives qu’un employeur, y compris dans le secteur public, est tenu de verser aux travailleurs pour le travail accompli au cours d’une période donnée ;
2) “salaire minimum légal” : un salaire minimum fixé par la loi ou par d’autres dispositions juridiques contraignantes, à l’exclusion des salaires minimaux fixés par des conventions collectives qui ont été déclarées d’application générale sans aucune marge d’appréciation de la part de l’autorité qui les déclare quant au contenu des dispositions applicables ;
3) “négociations collectives” : toutes les négociations qui ont lieu, conformément au droit national et aux pratiques nationales dans chaque État membre, entre un employeur, un groupe d’employeurs ou une ou plusieurs organisations d’employeurs, d’une part, et un ou plusieurs syndicats, d’autre part, en vue de déterminer les conditions de travail et d’emploi ;
4) “convention collective” : une convention écrite concernant les dispositions relatives aux conditions de travail et d’emploi, conclue par les partenaires sociaux ayant la capacité de négocier au nom des travailleurs et des employeurs conformément au droit national et aux pratiques nationales, y compris les conventions collectives qui ont été déclarées d’application générale ;
5) “couverture des négociations collectives” : la part des travailleurs au niveau national à l’égard desquels une convention collective s’applique, correspondant au ratio entre le nombre de travailleurs couverts par des conventions collectives, et le nombre de travailleurs dont les conditions de travail peuvent être réglementées par des conventions collectives conformément au droit national et aux pratiques nationales. »
13 L’article 4 de la même directive, intitulé « Promotion des négociations collectives en vue de la fixation des salaires », prévoit :
« 1. Afin d’accroître la couverture des négociations collectives et de faciliter l’exercice du droit à la négociation collective en vue de la fixation des salaires, les États membres, avec la participation des partenaires sociaux et conformément au droit national et aux pratiques nationales :
[...]
c) prennent des mesures, le cas échéant, pour protéger l’exercice du droit à la négociation collective en vue de la fixation des salaires et pour protéger les travailleurs et les représentants syndicaux contre les actes de discrimination à leur encontre en matière d’emploi au motif qu’ils participent ou souhaitent participer à des négociations collectives en vue de la fixation des salaires ;
d) dans le but de promouvoir la négociation collective en vue de la fixation des salaires, prennent des mesures, le cas échéant, pour protéger les syndicats et les organisations d’employeurs participant ou souhaitant participer à la négociation collective contre tout acte d’ingérence des uns à l’égard des autres, soit directement, soit par leurs agents ou membres dans leur formation, leur fonctionnement ou leur administration.
2. En outre, chaque État membre dans lequel le taux de couverture des négociations collectives est inférieur à un seuil de 80 % prévoit un cadre offrant des conditions propices à la tenue de négociations collectives, soit sous la forme d’une loi après consultation des partenaires sociaux, soit sous la forme d’un accord avec lesdits partenaires sociaux. Cet État membre établit également un plan d’action pour promouvoir la négociation collective. L’État membre établit un tel plan d’action après consultation des partenaires sociaux ou en accord avec eux, ou encore, à la suite d’une demande conjointe des partenaires sociaux, d’un commun accord entre eux. Le plan d’action fixe un calendrier clair et des mesures concrètes pour augmenter progressivement le taux de couverture des négociations collectives, dans le plein respect de l’autonomie des partenaires sociaux. L’État membre réexamine son plan d’action régulièrement et le met à jour si nécessaire. Lorsqu’un État membre met à jour son plan d’action, il le fait après consultation des partenaires sociaux ou en accord avec eux, ou encore, à la suite d’une demande conjointe des partenaires sociaux, d’un commun accord entre eux. En tout état de cause, un tel plan d’action est réexaminé au moins tous les cinq ans. Le plan d’action et toute mise à jour sont rendus publics et notifiés à la Commission. »
14 L’article 5 de la directive attaquée, intitulé « Procédure de fixation de salaires minimaux légaux adéquats », est ainsi libellé :
« 1. Les États membres dans lesquels il existe des salaires minimaux légaux établissent les procédures nécessaires pour la fixation et l’actualisation de ces salaires. Ces procédures de fixation et d’actualisation reposent sur des critères conçus pour contribuer à leur caractère adéquat, dans le but d’atteindre un niveau de vie décent, de diminuer la pauvreté au travail, ainsi que de promouvoir la cohésion sociale et la convergence sociale vers le haut et de réduire l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes. Les États membres définissent ces critères conformément à leurs pratiques nationales dans le droit national applicable, dans les décisions de leurs organes compétents ou dans des accords tripartites. Les critères sont définis de manière claire. Les États membres peuvent décider du poids relatif de ces critères, y compris des éléments visés au paragraphe 2, en tenant compte de leurs conditions socio‑économiques nationales.
2. Les critères nationaux visés au paragraphe 1 comprennent au moins les éléments suivants :
a) le pouvoir d’achat des salaires minimaux légaux, compte tenu du coût de la vie ;
b) le niveau général et la répartition des salaires ;
c) le taux de croissance des salaires ;
d) les niveaux et évolutions de la productivité nationale à long terme.
3. Sans préjudice des obligations énoncées au présent article, les États membres peuvent en outre recourir à un mécanisme automatique d’indexation des salaires minimaux légaux, fondé sur tout critère approprié et conformément au droit national et aux pratiques nationales, à condition que l’application de ce mécanisme n’entraîne pas une diminution des salaires minimaux légaux.
4. Pour guider leur évaluation du caractère adéquat des salaires minimaux légaux, les États membres ont recours à des valeurs de référence indicatives. À cette fin, ils peuvent utiliser des valeurs de référence indicatives couramment utilisées au niveau international, telles que 60 % du salaire médian brut et 50 % du salaire moyen brut, et/ou des valeurs de référence indicatives utilisées au niveau national.
5. Les États membres veillent à ce que des mises à jour régulières et en temps utile des salaires minimaux légaux aient lieu au moins tous les deux ans ou, pour les États membres qui utilisent un mécanisme d’indexation automatique visé au paragraphe 3, au moins tous les quatre ans.
6. Chaque État membre désigne ou établit un ou plusieurs organes consultatifs chargés de conseiller les autorités compétentes sur les questions liées aux salaires minimaux légaux et permet le fonctionnement opérationnel de ces organes. »
15 Aux termes de l’article 6 de cette directive, intitulé « Variations et retenues » :
« 1. Lorsque les États membres autorisent des taux de salaires minimaux légaux différents pour des catégories spécifiques de travailleurs ou des retenues qui réduisent la rémunération versée à un niveau inférieur à celui du salaire minimum légal concerné, ils veillent à ce que ces variations et retenues respectent les principes de non‑discrimination et de proportionnalité, ce dernier comprenant la poursuite d’un objectif légitime.
2. Aucune disposition de la présente directive ne peut être interprétée comme imposant aux États membres l’obligation d’introduire des variations ou des retenues sur les salaires minimaux légaux. »
16 Les articles 7 et 8 de ladite directive sont intitulés, respectivement, « Participation des partenaires sociaux à la fixation et à l’actualisation des salaires minimaux légaux » et « Accès effectif des travailleurs aux salaires minimaux légaux ».
17 Les articles 9 à 11 de la même directive sont intitulés, respectivement, « Marchés publics », « Suivi et collecte de données » et « Informations relatives à la protection offerte par des salaires minimaux ».
18 L’article 12 de la directive attaquée, intitulé « Droit à réparation et protection contre un traitement défavorable ou des conséquences défavorables », dispose :
« 1. Les États membres veillent à ce que, sans préjudice des formes spécifiques de réparation et de règlement des litiges prévues, le cas échéant, dans des conventions collectives, les travailleurs, y compris ceux dont la relation de travail a pris fin, aient accès à un règlement des litiges effectif, en temps utile et impartial et bénéficient d’un droit à réparation, en cas de violation de droits en ce qui concerne les salaires minimaux légaux ou la protection offerte par des salaires minimaux, lorsque ces droits sont prévus dans le droit national ou des conventions collectives.
2. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour protéger les travailleurs et les représentants des travailleurs, y compris ceux qui sont membres ou représentants de syndicats, contre tout traitement défavorable de la part de l’employeur et contre toute conséquence défavorable résultant d’une réclamation déposée auprès de l’employeur ou découlant de toute procédure engagée dans le but de faire respecter leurs droits en cas de violation de droits en ce qui concerne la protection offerte par des salaires minimaux, dans les cas où ces droits sont prévus par le droit national ou des conventions collectives. »
19 L’article 13 de cette directive, intitulé « Sanctions », prévoit :
« Les États membres fixent le régime des sanctions applicables en cas de violation des droits et obligations entrant dans le champ d’application de la présente directive, dans la mesure où ces droits et obligations sont prévus par le droit national ou des conventions collectives. Dans les États membres sans salaires minimaux légaux, ce régime peut comprendre un renvoi à une indemnisation et/ou des sanctions contractuelles prévues, le cas échéant, dans les règles concernant l’exécution des conventions collectives, ou s’y limiter. Les sanctions ainsi prévues sont effectives, proportionnées et dissuasives. »
20 L’article 16 de ladite directive, intitulé « Non‑régression et dispositions plus favorables », dispose, à son paragraphe 1 :
« La présente directive ne constitue pas une justification valable pour la régression du niveau général de protection déjà accordé aux travailleurs dans les États membres, notamment en ce qui concerne l’abaissement ou la suppression des salaires minimaux. »
II. Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour
21 Le Royaume de Danemark demande à la Cour :
– d’annuler la directive attaquée ;
– à titre subsidiaire, d’annuler l’article 4, paragraphe 1, sous d), et/ou l’article 4, paragraphe 2, de la directive attaquée, et
– de condamner le Parlement et le Conseil aux dépens.
22 Le Parlement demande à la Cour :
– de rejeter le recours et
– de condamner le Royaume de Danemark au dépens.
23 Le Conseil demande à la Cour :
– de rejeter les conclusions présentées à titre principal comme étant non fondées ;
– de rejeter les conclusions présentées à titre subsidiaire comme étant irrecevables ou, à titre subsidiaire, comme étant non fondées, et
– de condamner le Royaume de Danemark aux dépens.
24 Par décisions du président de la Cour des 26 avril et 25 mai 2023, respectivement, le Royaume de Belgique et la République portugaise ont été admis à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.
25 Par décisions du président de la Cour des 8 et 26 mai, 5 et 7 juin 2023, respectivement, la Commission, le Royaume d’Espagne, la République fédérale d’Allemagne, la République hellénique et le Grand‑Duché de Luxembourg ainsi que la République française ont été admis à intervenir au soutien des conclusions du Parlement et du Conseil.
26 Par décision du président de la Cour du 26 mai 2023, le Royaume de Suède a été admis à intervenir au soutien des conclusions du Royaume de Danemark.
III. Sur le recours
27 Par son recours, le Royaume de Danemark, soutenu par le Royaume de Suède, demande, à titre principal, l’annulation de la directive attaquée dans son intégralité et, à titre subsidiaire, l’annulation de l’article 4, paragraphe 1, sous d), et/ou de l’article 4, paragraphe 2, de cette directive.
28 À l’appui de ses conclusions présentées à titre principal, le Royaume de Danemark soulève deux moyens tirés, le premier, de la méconnaissance de l’article 153, paragraphe 5, TFUE et d’un détournement des pouvoirs conférés par les traités au législateur de l’Union et, le second, de l’impossibilité d’adopter la directive attaquée sur le fondement de l’article 153, paragraphe 1, sous b), TFUE dès lors que cette directive poursuit plusieurs objectifs différents.
29 À l’appui de ses conclusions présentées à titre subsidiaire, le Royaume de Danemark soulève un moyen unique, tiré de ce que, en adoptant l’article 4, paragraphe 1, sous d), et paragraphe 2, de la directive attaquée, le Parlement et le Conseil ont méconnu le principe d’attribution et ont agi en violation de l’article 153, paragraphe 5, TFUE.
A. Sur les conclusions présentées à titre principal, tendant à l’annulation de la directive attaquée
1. Sur le premier moyen, tiré d’une méconnaissance de l’article 153, paragraphe 5, TFUE et d’un détournement des pouvoirs conférés par les traités au législateur de l’Union
a) Argumentation des parties
30 Dans la première branche de son premier moyen, le Royaume de Danemark soutient que la directive attaquée, au vu de son objet, du cadre qu’elle établit et de ses effets, considérés ensemble, comporte une ingérence directe du droit de l’Union dans la détermination des rémunérations au sein des États membres, en méconnaissance de l’article 153, paragraphe 5, TFUE ainsi que de la répartition des compétences entre l’Union et les États membres prévue à cet article.
31 Tout d’abord, la directive attaquée aurait pour objet la rémunération minimale. Or, selon la jurisprudence de la Cour, la rémunération minimale s’inscrirait au cœur de l’article 153, paragraphe 5, TFUE. Ensuite, conformément au cadre établi par cette directive, les États membres devraient mettre en œuvre diverses procédures et adopter diverses mesures ayant pour objet explicite de produire des effets sur le niveau minimal des rémunérations au sein de l’Union et de garantir ainsi son caractère adéquat. Enfin, ladite directive viserait manifestement à produire des effets sur le niveau des rémunérations dans les États membres, en conduisant à l’augmentation de celui‑ci.
32 Plusieurs dispositions viendraient étayer cette analyse.
33 Il ressortirait, en effet, de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive attaquée que celle‑ci a pour objet d’améliorer les conditions de vie et de travail dans l’Union, en particulier le caractère adéquat des salaires minimaux pour les travailleurs. Or, cela supposerait que les dispositions de cette directive produisent un effet sur le niveau des rémunérations dans les États membres et entraînent leur augmentation, ce qui coïnciderait également avec l’intention de la Commission. Le cadre visé à cette disposition pour assurer cet effet comporterait, d’une part, des mesures tendant à accroître la couverture des négociations collectives, prévues à l’article 4 de ladite directive, et, d’autre part, des mesures tendant à garantir la fixation de salaires minimaux légaux adéquats, prévues aux articles 5 et 6 de celle‑ci.
34 Premièrement, l’article 4, paragraphe 1, de la directive attaquée prévoirait tantôt des mesures qui s’apparentent à des « déclarations programmatiques », tantôt l’adoption de mesures par les États membres.
35 En outre, l’article 4, paragraphe 2, de la directive attaquée prescrirait aux États membres dans lesquels le taux de couverture des négociations collectives est inférieur à un seuil de 80 % de prévoir un cadre offrant des conditions de nature à favoriser la tenue des négociations collectives, soit sous la forme d’une loi, soit sous la forme d’un accord avec les partenaires sociaux, ainsi qu’un plan d’action pour promouvoir la négociation collective. Ce cadre offrant des « conditions propices » à la tenue de négociations collectives devrait être juridiquement contraignant dans l’État membre, au minimum pour les partenaires concernés.
36 Dans l’hypothèse où le taux de couverture des négociations collectives descendrait en deçà du seuil de 80 % dans un État membre, cela pourrait avoir une incidence sur le cadre juridique actuellement applicable aux partenaires sociaux pour la poursuite des négociations collectives, notamment en matière de rémunérations. Les États membres dans lesquels le taux de couverture des négociations collectives est inférieur à ce seuil devraient adopter des mesures et établir un plan d’action visant à promouvoir effectivement la négociation collective. Ces États membres seraient ainsi appelés à s’immiscer dans des domaines qui, comme au Danemark, relèvent de la compétence des partenaires sociaux.
37 L’article 4, paragraphe 2, de la directive attaquée comporterait ainsi une ingérence directe du droit de l’Union dans ce qui s’inscrirait « au cœur même du modèle danois », conformément auquel il appartiendrait exclusivement aux partenaires sociaux de négocier et de déterminer en toute autonomie le niveau des rémunérations.
38 Deuxièmement, l’article 5 de la directive attaquée, qui institue une procédure de fixation de salaires minimaux légaux adéquats, impliquerait, de fait, une ingérence du droit de l’Union dans la détermination des rémunérations au sein des États membres, indépendamment du caractère imprécis de ce à quoi correspond le caractère « adéquat » des salaires minimaux légaux pour permettre d’atteindre un « niveau de vie décent » et même si cet article ne fixe pas un niveau spécifique en deçà duquel un salaire minimum légal peut être considéré comme étant inadéquat.
39 Conformément à l’article 5, paragraphe 1, de la directive attaquée, les États membres devraient établir des procédures nécessaires pour la fixation et l’actualisation des salaires minimaux légaux, reposant sur des critères juridiquement contraignants, dont ceux énoncés au paragraphe 2, sous a) à d), de cet article. Or, au vu de l’ampleur de ces éléments, l’article 5 de cette directive pourrait ne pas laisser une liberté réelle aux États membres pour établir des critères supplémentaires, et ce alors même que ceux‑ci seraient libres de décider du poids relatif des critères ainsi énoncés. En tout état de cause, le fait que les États membres soient tenus d’inclure les critères établis à l’article 5, paragraphe 2, de ladite directive lors de la fixation et de l’actualisation des salaires minimaux légaux comporterait une ingérence du droit de l’Union dans la détermination des rémunérations au sein des États membres. Cette analyse serait étayée, en outre, par l’article 5, paragraphe 3, de la même directive, qui interdirait l’application d’un mécanisme automatique d’indexation qui entraîne « une diminution des salaires minimaux légaux », et par l’article 5, paragraphe 5, de celle‑ci, en vertu duquel des mises à jour régulières et en temps utile des salaires minimaux légaux devraient, selon le cas, avoir lieu au moins tous les deux ou quatre ans.
40 Il s’ensuivrait que l’article 5 de la directive attaquée impose, de fait, l’application de critères minimaux ainsi que le recours à des valeurs de référence indicatives se rattachant directement aux salaires minimaux légaux dans les États membres et visant directement à produire un effet à la hausse sur le niveau de ces salaires.
41 Troisièmement, l’article 6 de la directive attaquée limiterait, au regard de son contenu, la faculté des États membres de prévoir des variations et des retenues applicables aux salaires minimaux légaux, ce qui témoignerait d’une sérieuse limitation de l’autonomie des États membres en matière de détermination des salaires minimaux légaux et, partant, d’une incidence directe sur la détermination des rémunérations. Les États membres qui ont institué des salaires minimaux légaux et qui entendent autoriser des taux différents pour des catégories spécifiques de travailleurs devraient, en effet, respecter le principe de proportionnalité et justifier une telle différenciation par un « objectif légitime ».
42 En conséquence, le cadre global institué aux articles 4 à 6 de la directive attaquée présenterait un lien direct et immédiat avec la rémunération, en violation de l’article 153, paragraphe 5, TFUE.
43 Le Royaume de Danemark fait également valoir que la jurisprudence de la Cour relative à l’interprétation de l’article 153, paragraphe 5, TFUE n’est pas déterminante pour l’appréciation du point de savoir si la directive attaquée comporte une ingérence directe du droit de l’Union dans la détermination des rémunérations au sein des États membres.
44 Dans la seconde branche de son premier moyen, le Royaume de Danemark fait valoir que la directive attaquée régit des domaines relevant de la notion de « droit d’association » et méconnaît ainsi l’exclusion de compétence relative au droit d’association figurant à l’article 153, paragraphe 5, TFUE.
45 Le Royaume de Danemark soutient que l’article 153, paragraphe 5, TFUE a pour finalité de préserver l’autonomie conventionnelle des partenaires sociaux d’éventuelles ingérences. Des mesures ayant un lien avec le droit d’association ne pourraient, dès lors, être prises au titre de l’article 153, paragraphe 1, TFUE que pour autant que le droit national régissant ce droit ne soit pas directement affecté. Compte tenu du sens donné à la notion de « droit d’association » visée audit article 153, paragraphe 5, par la charte des droits sociaux, en particulier, cette notion devrait être comprise comme visant le droit de chaque travailleur et de chaque employeur de s’affilier à une organisation ou à un syndicat, ou de ne pas s’y affilier, et de participer librement aux négociations collectives.
46 À ce titre, le Royaume de Danemark considère que, dès lors que l’article 4, paragraphe 1, sous d), de la directive attaquée impose aux États membres de prendre des mesures pour protéger les syndicats et les organisations d’employeurs participant à la négociation collective contre toute ingérence dans leur formation, leur fonctionnement ou leur administration, cette disposition comporte une ingérence directe du droit de l’Union dans le « droit d’association », en méconnaissance de l’exclusion de compétence qui y est relative et qui figure à l’article 153, paragraphe 5, TFUE.
47 En outre, le Royaume de Danemark soutient que l’article 4, paragraphe 2, de la directive attaquée a également une incidence sur le cadre juridique de l’affiliation à un syndicat ou à une organisation et, par conséquent, touche au cœur même du droit d’association dans lequel opèrent les partenaires sociaux danois. En effet, afin qu’elle puisse déployer un quelconque effet, l’obligation prévue à cette disposition devrait nécessairement avoir pour objectif qu’un nombre plus élevé de travailleurs soient couverts par une convention en adhérant à une organisation syndicale.
48 Le Parlement, le Conseil, la Commission et les États membres qui interviennent au soutien des conclusions des institutions défenderesses font valoir quant à eux, s’agissant de la première branche du premier moyen, que la directive attaquée, dont le seul objectif est d’améliorer les conditions de travail au moyen de mesures concernant le caractère adéquat et la promotion des salaires minimaux ainsi que la promotion de la négociation collective en matière de fixation de salaires, pouvait être adoptée dans le plein respect de l’article 153, paragraphe 5, TFUE.
49 La directive attaquée définirait uniquement, au moyen d’exigences minimales à l’échelle de l’Union, des obligations procédurales relatives à la détermination du caractère adéquat des salaires minimaux légaux et promouvrait la négociation en vue de la fixation de ces salaires. Cette directive prévoirait ainsi des obligations procédurales de moyens, et non des obligations de résultat, dans le plein respect de l’autonomie des partenaires sociaux et des différents systèmes de fixation des rémunérations dans les États membres. Ainsi, ladite directive ne prescrirait pas de niveaux ou de composantes spécifiques de rémunération que les États membres seraient tenus de garantir de manière harmonisée et, par conséquent, elle ne serait pas à même de déterminer directement les rémunérations dans l’Union.
50 S’agissant de la seconde branche du premier moyen, le Parlement, le Conseil, la Commission et les États membres qui interviennent au soutien des conclusions des institutions défenderesses font valoir que, bien que le droit d’association soit une condition préalable au droit de négociation collective, ces deux droits sont toutefois distincts.
51 En l’espèce, la directive attaquée, et, en particulier, son article 4, ne prescrirait aucune règle en matière de droit d’association. Cette directive ne ferait qu’établir un cadre afin de faciliter l’exercice du droit de négociation collective, sans imposer d’obligation en ce qui concerne l’adhésion à des syndicats ou à des associations ni en ce qui concerne la sortie ou la dissolution de ces syndicats ou associations. Elle n’imposerait pas non plus une quelconque condition quant au fonctionnement desdits syndicats ou associations ni ne comporterait d’ingérence à leur égard.
b) Appréciation de la Cour
52 Conformément au principe d’attribution énoncé à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 5, paragraphes 1 et 2, TUE, l’Union n’agit que dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées dans les traités pour atteindre les objectifs que ces traités établissent et toute compétence non attribuée à l’Union dans les traités appartient aux États membres.
53 En adoptant la directive attaquée, le législateur de l’Union s’est fondé sur les dispositions combinées de l’article 153, paragraphe 2, sous b), et de l’article 153, paragraphe 1, sous b), TFUE qui habilitent le Parlement et le Conseil à arrêter, par voie de directives, des prescriptions minimales dans le domaine des « conditions de travail ».
54 Toutefois, en vertu de l’article 153, paragraphe 5, TFUE, les dispositions de cet article « ne s’appliquent ni aux rémunérations, ni au droit d’association, ni au droit de grève, ni au droit de lock‑out ». Les dispositions des paragraphes 1 à 4 dudit article ne sauraient donc être utilisées comme base juridique pour contourner l’exclusion expresse de toute compétence énoncée à cet article 153, paragraphe 5 (voir, par analogie, arrêt du 5 octobre 2000, Allemagne/Parlement et Conseil, C‑376/98, EU:C:2000:544, point 79).
55 Dès lors, il y a lieu de vérifier si, en adoptant la directive attaquée sur le fondement des dispositions de l’article 153, paragraphes 1 et 2, TFUE, le législateur de l’Union a enfreint les exclusions de compétence relatives aux « rémunérations » et au « droit d’association » énoncées au paragraphe 5 de cet article et, partant, a méconnu les compétences conférées à l’Union par les traités.
56 À cet égard, il convient de tenir compte de la jurisprudence constante selon laquelle le choix de la base juridique d’un acte de l’Union doit être fondé sur des éléments objectifs susceptibles de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, parmi lesquels figurent la finalité et le contenu de cet acte (arrêts du 12 novembre 1996, Royaume-Uni/Conseil, C‑84/94, EU:C:1996:431, point 25, ainsi que du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil, C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 38). En effet, c’est au regard de ces éléments objectifs qu’il convient d’examiner si un acte de l’Union relève, en tout ou en partie, d’une exclusion de compétence de l’Union prévue par les traités.
1) Sur la finalité et le contenu de la directive attaquée
57 En premier lieu, s’agissant de la finalité de la directive attaquée, celle‑ci vise, ainsi qu’il ressort de son article 1er, paragraphe 1, à améliorer les conditions de vie et de travail dans l’Union, en particulier le caractère adéquat des salaires minimaux pour les travailleurs, dans l’objectif de contribuer à la convergence sociale vers le haut et de réduire les inégalités salariales.
58 Le considérant 7 de cette directive énonce, à cet égard, que « [d]e meilleures conditions de vie et de travail, notamment grâce à des salaires minimaux adéquats, sont bénéfiques pour les travailleurs et les entreprises de l’Union, ainsi que pour la société et l’économie en général, et constituent une condition préalable pour parvenir à une croissance équitable, inclusive et durable ». Ce considérant précise, en outre, que « [r]emédier aux différences importantes en ce qui concerne la couverture et le caractère adéquat de la protection offerte par des salaires minimaux contribue à renforcer l’équité du marché du travail de l’Union et à prévenir et [à] réduire les inégalités de salaire et les inégalités sociales, ainsi qu’à promouvoir le progrès économique et social et la convergence vers le haut ». Le considérant 8 de ladite directive ajoute que, « [l]orqu’ils sont fixés à des niveaux adéquats, les salaires minimaux, tels que prévus par le droit national ou des conventions collectives, protègent les revenus des travailleurs, en particulier des travailleurs défavorisés, et contribuent à garantir un niveau de vie décent ».
59 En second lieu, s’agissant du contenu de la directive attaquée, celle‑ci comporte 19 articles. Les articles 1er et 2 de cette directive en définissent, respectivement, l’objet et le champ d’application, tandis que l’article 3 de ladite directive donne une définition harmonisée des notions de « salaire minimum », de « salaire minimum légal », de « négociations collectives », de « convention collective » et de « couverture des négociations collectives ».
60 En vue d’atteindre les finalités exposées aux points 57 et 58 du présent arrêt, la directive attaquée, conformément à son article 1er, paragraphe 1, lu à la lumière de son considérant 18, établit un cadre s’articulant autour de trois axes principaux, visés aux points a) à c) de cette disposition. Le premier axe concerne le caractère adéquat des salaires minimaux légaux dans le but d’obtenir des conditions de vie et de travail décentes. Le deuxième axe a trait à la promotion des négociations collectives en vue de la fixation des salaires. Enfin, le troisième axe porte sur l’amélioration de l’accès effectif des travailleurs aux droits à la protection offerte par des salaires minimaux lorsque le droit national et/ou les conventions collectives prévoient de tels droits.
61 En ce qui concerne le premier axe, l’article 5 de la directive attaquée prescrit, à son paragraphe 1, aux États membres dans lesquels il existe des salaires minimaux légaux d’établir des procédures nécessaires pour la fixation et l’actualisation de ces salaires qui doivent reposer sur des critères conçus pour contribuer à leur caractère adéquat et prévoit, à son paragraphe 2, des critères devant obligatoirement être pris en compte par les États membres à cette fin. L’article 5, paragraphe 3, de cette directive confirme expressément la faculté des États membres de recourir à un mécanisme automatique d’indexation des salaires minimaux légaux, sous réserve des obligations et de la condition qui y sont énoncées. En outre, l’article 5, paragraphe 4, de ladite directive prévoit que l’évaluation du caractère adéquat des salaires minimaux légaux doit être guidée par des valeurs de référence indicatives. Par ailleurs, les paragraphes 5 et 6 de l’article 5 de la même directive portent, respectivement, sur la fréquence des mises à jour des salaires minimaux légaux et sur la désignation ou l’établissement d’organes consultatifs chargés de conseiller les autorités compétentes sur les questions liées aux salaires minimaux légaux.
62 Les articles 6 à 8 de la directive attaquée concernent, respectivement, les variations et retenues sur les salaires minimaux légaux, la participation des partenaires sociaux à la fixation et à l’actualisation de ces salaires et l’accès effectif des travailleurs auxdits salaires.
63 En ce qui concerne le deuxième axe, d’une part, l’article 4, paragraphe 1, de la directive attaquée, afin d’accroître la couverture des négociations collectives et de faciliter l’exercice du droit à la négociation collective en vue de la fixation des salaires, prévoit notamment que les États membres prennent, le cas échéant, les mesures visées à ses points c) et d) pour protéger les travailleurs et les représentants syndicaux ainsi que les syndicats et les organisations d’employeurs lorsqu’ils participent ou souhaitent participer à de telles négociations collectives.
64 D’autre part, l’article 4, paragraphe 2, de cette directive impose aux États membres dans lesquels le taux de couverture de négociations collectives est inférieur à un seuil de 80 % de prévoir un cadre pour promouvoir la négociation collective, soit sous la forme d’une loi après consultation des partenaires sociaux, soit sous la forme d’un accord avec ceux‑ci, et d’établir un plan d’action à cette fin, fixant un calendrier clair et des mesures concrètes pour augmenter progressivement le taux de couverture des négociations collectives ainsi que devant être réexaminé régulièrement et mis à jour si nécessaire. Il ressort des considérants 16 et 22 de ladite directive que le législateur de l’Union s’est fondé, à cet égard, sur le postulat selon lequel il existe une corrélation entre un taux élevé de couverture des négociations collectives et le caractère adéquat des salaires minimaux.
65 En ce qui concerne le troisième axe, les articles 9 à 13 de la même directive prévoient des dispositions transversales concernant les marchés publics, le suivi et la collecte de données, les informations relatives à la protection offerte par des salaires minimaux, le droit à réparation et à la protection contre un traitement défavorable ou des conséquences défavorables ainsi que le régime des sanctions.
66 Dans ces conditions, il découle d’un examen de la finalité et du contenu de la directive attaquée que celle‑ci a établi, notamment, un cadre pour la fixation de salaires minimaux adéquats afin d’améliorer les conditions de vie et de travail dans l’Union. Cette directive relève dès lors à première vue d’une ou de plusieurs matières énumérées à l’article 153, paragraphe 1, TFUE, parmi lesquelles figurent les « conditions de travail » visées au point b) de cette disposition, tout en se rapportant à la matière des « rémunérations », ce qui pourrait relever de l’exclusion de compétence prévue à l’article 153, paragraphe 5, TFUE relative aux « rémunérations ».
2) Sur la première branche du premier moyen, tirée d’une violation de l’exclusion de compétence relative aux « rémunérations »
67 Compte tenu de la grille d’analyse exposée aux points 52 à 56 du présent arrêt, il y a lieu de rappeler que la Cour a itérativement jugé que l’exception relative aux « rémunérations » énoncée à l’article 153, paragraphe 5, TFUE trouve sa raison d’être dans le fait que la fixation des rémunérations relève de l’autonomie contractuelle des partenaires sociaux à l’échelon national ainsi que de la compétence des États membres en la matière. Dans ces conditions, il a été jugé approprié, en l’état actuel du droit de l’Union, d’exclure la détermination du niveau des rémunérations d’une harmonisation au titre des articles 151 TFUE et suivants (voir, en ce sens, arrêts du 13 septembre 2007, Del Cerro Alonso, C‑307/05, EU:C:2007:509, points 40 et 46, ainsi que du 7 juillet 2022, Coca-Cola European Partners Deutschland, C‑257/21 et C‑258/21, EU:C:2022:529, point 47).
68 Par conséquent, cette exclusion de compétence doit être comprise comme visant les mesures qui, telles qu’une uniformisation de tout ou partie des éléments constitutifs des salaires et/ou de leur niveau dans les États membres ou encore l’instauration d’un salaire minimal au niveau de l’Union, comporteraient une ingérence directe du droit de l’Union dans la détermination des rémunérations au sein de cette dernière. Elle ne saurait, cependant, s’étendre à toute question présentant un lien quelconque avec la rémunération, et ce sous peine de vider d’une grande partie de leur substance certains des domaines visés à l’article 153, paragraphe 1, TFUE (arrêts du 15 avril 2008, Impact, C‑268/06, EU:C:2008:223, points 124 et 125, ainsi que du 24 février 2022, Glavna direktsia « Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto », C‑262/20, EU:C:2022:117, point 30).
69 Certes, ainsi que le Royaume de Danemark et le Royaume de Suède l’ont souligné, dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts cités au point précédent, la Cour avait été appelée à examiner la délimitation des compétences entre l’Union et les États membres dans les domaines visés à l’article 153 TFUE s’agissant d’actes ne se rapportant pas à la matière des rémunérations, mais régissant d’autres conditions de travail ou encore ayant un autre objet et dont les dispositions pouvaient avoir certaines répercussions ou incidences sur la détermination des rémunérations. Il n’en demeure pas moins que, dans ces arrêts, la Cour a interprété la portée de l’exclusion relative aux « rémunérations » prévue au paragraphe 5 de cet article en des termes généraux, sans s’attacher au lien plus au moins étroit avec la matière des rémunérations des actes dont l’interprétation était sollicitée.
70 Dès lors, compte tenu des exigences de sécurité juridique, de clarté et de continuité dans l’application des critères régissant la répartition des compétences entre l’Union et les États membres, le critère d’« ingérence directe du droit de l’Union dans la détermination des rémunérations au sein de cette dernière » visé au point 68 du présent arrêt doit guider l’examen du respect de l’exclusion de compétence relative aux « rémunérations » prévue à l’article 153, paragraphe 5, TFUE, indépendamment du lien plus ou moins étroit de l’acte en cause avec la matière des « rémunérations ». Cela signifie que la compétence de l’Union ne saurait être considérée comme étant automatiquement exclue lorsque cet acte se rapporte à cette matière.
71 De surcroît, la capacité du législateur de l’Union à réaliser les objectifs de la politique sociale, tels qu’énoncés à l’article 151, premier alinéa, TFUE, et, plus généralement, à concrétiser la dimension sociale de l’intégration au sein de l’Union serait fortement compromise si ce législateur était empêché d’adopter des mesures ayant, en pratique, des incidences ou des répercussions positives sur le niveau des rémunérations, et ce même s’il agissait, à cette fin, dans le plein respect de la diversité des pratiques nationales des États membres et de l’autonomie des partenaires sociaux, conformément à l’article 151, deuxième alinéa, TFUE et à l’article 152, premier alinéa, TFUE.
72 Ce constat s’impose, à plus forte raison, en ce qui concerne les « conditions de travail », lesquelles figurent parmi les matières dans lesquelles l’article 153, paragraphe 1, TFUE confère à l’Union une compétence pour soutenir et compléter l’action des États membres et dont la portée se recoupe, en partie, avec le champ de l’exception relative aux « rémunérations » énoncée à l’article 153, paragraphe 5, TFUE, du fait que la rémunération fait partie intégrante des conditions de travail (voir, en ce sens, arrêts du 11 novembre 2004, Delahaye, C‑425/02, EU:C:2004:706, point 33, ainsi que du 22 décembre 2010, Gavieiro Gavieiro et Iglesias Torres, C‑444/09 et C‑456/09, EU:C:2010:819, point 58).
73 Par ailleurs, la circonstance évoquée par le Parlement selon laquelle le législateur de l’Union a déjà été amené à adopter d’autres actes concernant les rémunérations sur le fondement des bases juridiques figurant à l’article 153 TFUE est sans pertinence quant au point de savoir si la directive attaquée pouvait valablement être adoptée sur le fondement d’une base juridique figurant à cet article, sans enfreindre l’exclusion de compétence relative aux « rémunérations » prévue au paragraphe 5 de celui‑ci. Selon la jurisprudence, la détermination de la base juridique d’un acte doit, en effet, se faire en considération de sa finalité et de son contenu propres et non au regard de la base juridique qui a été retenue pour l’adoption d’autres actes de l’Union présentant, le cas échéant, des caractéristiques similaires (voir, en ce sens, arrêts du 28 juin 1994, Parlement/Conseil, C‑187/93, EU:C:1994:265, point 28, et du 12 février 2015, Parlement/Conseil, C‑48/14, EU:C:2015:91, point 30).
74 Dans ces conditions, même s’il découle de l’examen effectué aux points 57 à 66 du présent arrêt que la directive attaquée se rapporte à la matière des rémunérations et est susceptible d’avoir une incidence sur le niveau de celles‑ci, ces seules circonstances ne sauraient automatiquement conduire à la conclusion que, en adoptant cette directive, le législateur de l’Union aurait enfreint l’exclusion de compétence relative aux « rémunérations » prévue à l’article 153, paragraphe 5, TFUE.
75 Il importe encore de vérifier, à cette fin, si les articles 4 à 6 de la directive attaquée, sur lesquels portent essentiellement les critiques du Royaume de Danemark et du Royaume de Suède, comportent une ingérence directe du droit de l’Union dans la détermination des rémunérations au sein de celle‑ci, au sens de la jurisprudence visée aux points 67 et 68 du présent arrêt.
i) L’article 4 de la directive attaquée
76 Ainsi que le font valoir le Royaume de Danemark et le Royaume de Suède, l’article 4 de la directive attaquée prévoit certaines prescriptions formulées tantôt en des termes généraux, tantôt en ce sens qu’est requise l’adoption de mesures concrètes à prendre, dans le but de promouvoir les négociations collectives en vue de la fixation des salaires. Cet article impose, plus particulièrement, à son paragraphe 2, que les États membres dans lesquels le taux de couverture des négociations collectives est inférieur à un seuil de 80 % prévoient un cadre offrant des conditions favorables à la tenue des négociations collectives soit sous la forme d’une « loi » après consultation des partenaires sociaux, soit sous la forme d’un « accord » avec ceux‑ci. Ces États membres doivent également établir un « plan d’action » fixant un calendrier clair et des « mesures concrètes » pour augmenter progressivement le taux de couverture des négociations collectives, qu’ils doivent réexaminer régulièrement, rendre public et notifier à la Commission. Il y a lieu de préciser, en outre, que les notions de « négociations collectives », de « convention collective » et de « couverture des négociations collectives » visées à cette disposition font l’objet de définitions harmonisées à l’article 3, points 3 à 5, de cette directive.
77 Si l’article 4 de la directive attaquée introduit ainsi une certaine forme d’intervention étatique dans les modalités de négociations collectives en vue de la fixation des salaires, il n’en résulte pas pour autant que ses dispositions comporteraient une ingérence directe du droit de l’Union dans la détermination des rémunérations au sein de celle‑ci, au sens de la jurisprudence visée aux points 67 et 68 du présent arrêt.
78 D’une part, cet article 4 n’interfère pas avec le choix des États membres quant au modèle de fixation des salaires, à savoir soit par la voie législative, soit par la voie de négociations collectives, soit par une combinaison des deux. Le considérant 12 de la directive attaquée précise par ailleurs, que « [l]es différentes traditions nationales des États membres devraient être respectées ».
79 D’autre part, ledit article 4 ne régit pas le contenu ni ne prescrit le résultat des négociations collectives. Ainsi que le Parlement et le Conseil le font valoir, les différentes mesures que le même article 4 prévoit imposent aux États membres non pas des obligations de résultat, mais, tout au plus, des obligations de moyens. Ainsi, l’article 4, paragraphe 2, de la directive attaquée prévoit que les États membres doivent non pas atteindre le seuil de 80 % de couverture des négociations collectives visé à cette disposition, mais mettre en place un « cadre » offrant des conditions favorables à la tenue de négociations collectives et établir un « plan d’action » pour promouvoir celles‑ci. Cette disposition doit, au demeurant, être lue à la lumière du considérant 25 de la directive attaquée, qui précise, à cet effet, que « le seuil de 80 % de couverture des négociations collectives ne devrait s’entendre que comme étant un indicateur entraînant l’obligation d’établir un plan d’action » et qu’il convient de tenir compte, lors de l’analyse du progrès accompli en vue d’une plus grande couverture des négociations collectives, notamment en ce qui concerne le plan d’action prévu par cette directive, du fait que « [l]es taux de couverture des négociations collectives varient considérablement selon les États membres en raison d’un certain nombre de facteurs, dont les traditions et pratiques nationales et le contexte historique ».
80 Le défaut pour un État membre d’atteindre le taux de couverture de négociations collectives de 80 % visé à l’article 4, paragraphe 2, de ladite directive ne constitue donc pas en soi la violation d’une obligation incombant à cet État membre.
81 Il convient d’ajouter que l’article 4, paragraphe 2, de la directive attaquée est formulé de manière à garantir pleinement l’autonomie des partenaires sociaux. Conformément à cette disposition, les États membres relevant de son champ d’application sont tenus d’impliquer les partenaires sociaux dans l’établissement du cadre offrant des conditions favorables à la tenue de négociations collectives visées à ladite disposition, que ce « cadre » soit adopté sous la forme d’une loi ou sous la forme d’un accord, ainsi que dans l’établissement, dans la mise à jour et dans le réexamen du plan d’action qui y est visé. De même, l’article 1er de cette directive prévoit, à son paragraphe 2, que celle‑ci « est sans préjudice du plein respect de l’autonomie des partenaires sociaux, ainsi que de leur droit de négocier et de conclure des conventions collectives » et, à son paragraphe 4, que « [l]’application de la[dite] directive respecte pleinement le droit à la négociation collective ».
82 Cet article 4 doit être lu en combinaison avec le considérant 19 de la directive attaquée, qui précise que cette directive n’interfère pas avec la liberté des États membres, notamment, de promouvoir l’accès à la protection offerte par des salaires minimaux prévue par des conventions collectives, « conformément au droit national, aux pratiques nationales et aux spécificités de chaque État membre et dans le plein respect des compétences nationales et du droit des partenaires sociaux à conclure des conventions ».
83 Il s’ensuit que ledit article 4 respecte la large marge d’appréciation dont les partenaires sociaux jouissent dans le cadre de la négociation et de la conclusion des conventions collectives.
84 Au surplus, l’article 4 de la directive attaquée doit être lu à la lumière de l’article 152 TFUE, qui a été introduit par le traité de Lisbonne et qui consacre explicitement, à son premier alinéa, le respect de l’autonomie des partenaires sociaux. Dès lors, l’article 4, paragraphe 2, de cette directive ne saurait être interprété en ce sens qu’il prescrit aux États membres d’imposer l’adhésion d’un plus grand nombre de travailleurs à une organisation syndicale. Ainsi que l’article 1er, paragraphe 4, de ladite directive le rappelle expressément, il ne saurait davantage être interprété comme impliquant que les États membres déclarent une convention collective d’application générale.
85 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de conclure que l’article 4 de la directive attaquée ne comporte pas d’ingérence directe du droit de l’Union dans la détermination des rémunérations au sein de celle‑ci, au sens de la jurisprudence visée aux points 67 et 68 du présent arrêt.
ii) L’article 5 de la directive attaquée
86 Il convient de souligner, d’emblée, que l’article 5 de la directive attaquée, intitulé « Procédure de fixation de salaires minimaux légaux adéquats », s’applique, ainsi qu’il ressort de son paragraphe 1, aux États membres dans lesquels il existe des salaires minimaux légaux. L’article 1er, paragraphe 4, sous a), de cette directive, lu à la lumière du considérant 19 de celle‑ci, prévoit, à cet égard, qu’aucune disposition de ladite directive ne peut être interprétée comme imposant à un État membre dans lequel la formation des salaires est assurée par voie de conventions collectives l’obligation de mettre en place un salaire minimum légal. Partant, ainsi que l’admettent le Royaume de Danemark et le Royaume de Suède, l’article 5 de la même directive respecte la compétence des États membres de choisir le modèle de fixation des salaires.
87 Il importe néanmoins de vérifier si les dispositions spécifiques de cet article 5 comportent une ingérence directe du droit de l’Union dans la détermination des rémunérations au sein de celle‑ci, au sens de la jurisprudence citée aux points 67 et 68 du présent arrêt.
88 S’agissant, premièrement, de l’article 5, paragraphe 1, de la directive attaquée, cette disposition prescrit, à ses première et deuxième phrases, aux États membres dans lesquels il existe des salaires minimaux légaux d’établir « les procédures nécessaires pour la fixation et l’actualisation de ces salaires ». De plus, ces procédures doivent reposer sur des critères, définis de « manière claire », « conçus pour contribuer [au] caractère adéquat [des salaires minimaux légaux], dans le but d’atteindre un niveau de vie décent, de diminuer la pauvreté au travail, ainsi que de promouvoir la cohésion sociale et la convergence sociale vers le haut et de réduire l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes ».
89 Cependant, ainsi que le Parlement, le Conseil et la République française le font valoir à juste titre devant la Cour, ni l’article 5 de la directive attaquée ni aucune autre disposition de celle‑ci ne définissent la notion de « caractère adéquat » des salaires minimaux légaux. Au contraire, compte tenu des formulations larges qu’il utilise, l’article 5, paragraphe 1, de cette directive laisse une marge d’appréciation importante aux États membres pour définir cette notion et pour déterminer sa portée exacte. Le caractère adéquat des salaires minimaux légaux constitue, tout au plus, une valeur indicative vers laquelle les États membres devraient tendre lors de la fixation et de l’actualisation des salaires minimaux légaux. Cette lecture est confortée tant par la troisième phrase de l’article 5, paragraphe 1, de cette directive, qui renvoie, aux fins de la définition des critères visés à la deuxième phrase de cette disposition, aux pratiques nationales des États membres, aux décisions de leurs organes compétents et à des accords tripartites, que par la cinquième phrase de celle‑ci, qui permet aux États membres de décider du poids relatif de ces critères, en tenant compte de leurs conditions socio‑économiques nationales.
90 Dès lors, compte tenu du renvoi exprès opéré par ladite disposition notamment aux pratiques nationales définies dans les droits nationaux, la notion de « caractère adéquat » des salaires minimaux légaux ne saurait être considérée comme étant une notion autonome du droit de l’Union [voir, en ce sens, arrêt du 29 juillet 2024, CU et ND (Assistance sociale – Discrimination indirecte), C‑112/22 et C‑223/22, EU:C:2024:636, point 35 ainsi que jurisprudence citée], ce sur quoi le Parlement et le Conseil s’accordent également.
91 De plus, l’article 5, paragraphe 1, de la directive attaquée régit la « procédure » de fixation et d’actualisation des salaires minimaux légaux, en imposant aux États membres concernés d’établir des procédures qui reposent sur des critères qu’ils doivent concevoir au niveau national de manière à contribuer au caractère adéquat de ces salaires ainsi qu’à leur actualisation, et dont ils peuvent déterminer le poids relatif. Formulée en des termes généraux et reposant sur une approche procédurale, cette disposition ne confère ainsi pas un droit à un salaire minimal légal adéquat aux travailleurs ni un droit à l’actualisation desdits salaires, propres au droit de l’Union. Une telle lecture de cette disposition est confortée par les articles 12 et 13 de cette directive qui, s’agissant du premier, subordonne l’accès aux voies de recours qu’il prévoit, en cas de violation de « droits en ce qui concerne les salaires minimaux légaux ou la protection offerte par des salaires minimaux », à l’existence de ces droits dans les droits nationaux ou dans les conventions collectives, et, s’agissant du second, exige des États membres de fixer le régime de sanctions applicables en cas de violation « des droits et obligations entrant dans le champ d’application de [ladite] directive », « dans la mesure où ces droits et obligations sont prévus par le droit national ou des conventions collectives ».
92 Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que l’article 5, paragraphe 1, de la directive attaquée ne comporte pas une ingérence directe du droit de l’Union dans la détermination des rémunérations au sein de celle‑ci, au sens de la jurisprudence visée aux points 67 et 68 du présent arrêt.
93 Il convient d’ajouter que, compte tenu de l’exclusion de compétence relative aux « rémunérations » énoncée à l’article 153, paragraphe 5, TFUE, un droit à des salaires minimaux légaux « adéquats » ou « équitables », propre au droit de l’Union, ne saurait davantage être déduit d’une lecture combinée de l’article 5, paragraphe 1, de la directive attaquée et de l’article 31, paragraphe 1, de la Charte. En effet, en vertu de son article 51, paragraphe 2, la Charte n’étend pas le champ d’application du droit de l’Union au‑delà des compétences de l’Union, ni ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelles pour l’Union et ne modifie pas les compétences et les tâches définies dans les traités.
94 S’agissant, deuxièmement, de l’article 5, paragraphe 2, de la directive attaquée, il énumère, à ses points a) à d), quatre éléments, à savoir, respectivement, « le pouvoir d’achat des salaires minimaux légaux, compte tenu du coût de la vie », « le niveau général et la répartition des salaires », « le taux de croissance des salaires » ainsi que « les niveaux et évolutions de la productivité nationale à long terme », que les critères nationaux visés au paragraphe 1 de cet article doivent au moins comprendre.
95 Certes, ainsi qu’en atteste la locution « au moins » utilisée à cet article 5, paragraphe 2, cette énumération n’est pas exhaustive, les États membres étant libres d’y ajouter d’autres éléments. En outre, ainsi que cela est rappelé au point 89 du présent arrêt, il ressort de la troisième phrase de l’article 5, paragraphe 1, de la directive attaquée que les États membres définissent les critères nationaux visés à cette seconde disposition conformément, notamment, à leurs pratiques nationales et de la cinquième phrase de ce paragraphe que les États membres peuvent également décider du poids relatif des différents critères nationaux, y compris des éléments visés audit article 5, paragraphe 2. Au demeurant, ce sont les conditions socio‑économiques prévalant dans chaque État membre qui servent de point de référence pour ces différents critères nationaux. Il n’en demeure pas moins que, ainsi que le Royaume de Danemark le fait valoir à juste titre, le même article 5, paragraphe 2, impose aux États membres dans lesquels il existe des salaires minimaux légaux de veiller à ce que lesdits critères comprennent, à tout le moins, les quatre éléments qui y sont énumérés. Or, en imposant l’utilisation de ces éléments dans les procédures de fixation et d’actualisation des salaires minimaux légaux, le législateur de l’Union a établi une exigence qui porte sur les éléments constitutifs de ces salaires, ce qui a une incidence directe sur le niveau desdits salaires, et cela, contrairement à ce qui est indiqué à la dernière phrase du paragraphe 1 de l’article 5 de la directive attaquée, indépendamment de la pertinence desdits éléments au niveau national compte tenu des conditions socio‑économiques prévalant dans les États membres.
96 En conséquence, l’article 5, paragraphe 2, de la directive attaquée comporte une harmonisation d’une partie des éléments constitutifs desdits salaires et, partant, une ingérence directe du droit de l’Union dans la détermination des rémunérations au sein de celle‑ci, au sens de la jurisprudence visée aux points 67 et 68 du présent arrêt.
97 S’agissant, troisièmement, de l’article 5, paragraphe 3, de la directive attaquée, bien que cette disposition se borne à permettre aux États membres de recourir à un mécanisme automatique d’indexation des salaires minimaux légaux et opère un renvoi au droit national et aux pratiques nationales s’agissant des critères appropriés sur lesquels ce mécanisme doit reposer, elle subordonne toutefois, à son dernier membre de phrase, l’utilisation, par les États membres, d’un mécanisme automatique d’indexation à la « condition que l’application de ce mécanisme n’entraîne pas une diminution des salaires minimaux légaux ».
98 Il s’ensuit que ladite disposition, dans la mesure où elle impose une clause de non‑régression du niveau des salaires minimaux légaux aux États membres qui utilisent un mécanisme automatique d’indexation de ces salaires, comporte, ainsi que le Royaume de Danemark le soutient à juste titre, une ingérence directe du droit de l’Union dans la détermination des rémunérations au sein de celle‑ci, au sens de la jurisprudence visée aux points 67 et 68 du présent arrêt.
99 S’agissant, quatrièmement, de l’article 5, paragraphe 4, de la directive attaquée, il prévoit que les États membres peuvent recourir, pour guider leur évaluation du caractère adéquat des salaires minimaux légaux, à des « valeurs de référence indicatives » couramment utilisées au niveau international, telles que le seuil de 60 % du salaire médian brut et/ou des valeurs de référence indicatives utilisés au niveau national. Or, ainsi que la République fédérale d’Allemagne le fait valoir, en substance, ces valeurs de référence indicatives se distinguent des éléments devant obligatoirement être pris en compte en tant que critère dans les procédures de fixation et d’actualisation des salaires minimaux légaux nationaux, visés à l’article 5, paragraphe 2, de cette directive, en ce qu’elles constituent de simples paramètres de référence aux fins de l’évaluation du caractère adéquat des salaires minimaux légaux, parmi lesquels les États membres peuvent, de surcroît, librement choisir. Ainsi, les États membres peuvent utiliser soit des valeurs de référence indicatives utilisées au niveau national, soit les valeurs de référence indicatives utilisées au niveau international, soit une combinaison des deux. En conséquence, l’article 5, paragraphe 4, de ladite directive ne prescrit pas d’éléments obligatoires en ce qui concerne les niveaux des salaires minimaux légaux ni n’harmonise tout ou partie des éléments constitutifs de ces salaires, si bien qu’il ne comporte pas d’ingérence directe du droit de l’Union dans la détermination des rémunérations au sein de celle‑ci, au sens de la jurisprudence visée aux points 67 et 68 du présent arrêt.
100 Cinquièmement, l’article 5, paragraphe 5, de la directive attaquée impose aux États membres de mettre à jour régulièrement et en temps utile des salaires minimaux légaux, et au moins tous les deux ans ou, pour les États membres qui utilisent un mécanisme automatique d’indexation, au moins tous les quatre ans, tandis que l’article 5, paragraphe 6, de cette directive leur impose d’établir un ou plusieurs organes consultatifs chargés de conseiller les autorités compétentes sur les questions liées aux salaires minimaux légaux. Or, ces paragraphes se limitent à prévoir les modalités procédurales de la fixation et de l’actualisation des salaires minimaux légaux, sans prescrire d’éléments obligatoires, quant au fond, pour les États membres, en ce qui concerne le niveau des salaires minimaux légaux ni harmoniser tout ou partie des éléments constitutifs de ces salaires minimaux légaux. Partant, contrairement à ce que le Royaume de Danemark soutient, cet article 5, paragraphes 5 et 6, ne comporte pas d’ingérence directe du droit de l’Union dans la détermination des rémunérations au sein de celle‑ci, au sens de la jurisprudence visée aux points 67 et 68 du présent arrêt.
101 Il découle de ce qui précède que l’article 5 de la directive attaquée comporte, à son paragraphe 2 et au membre de phrase « à condition que l’application de ce mécanisme n’entraîne pas une diminution des salaires minimaux légaux » figurant à son paragraphe 3, une ingérence directe du droit de l’Union dans la détermination des rémunérations au sein de celle‑ci, au sens de la jurisprudence visée aux points 67 et 68 du présent arrêt et, partant, enfreint l’exclusion relative aux « rémunérations », prévue à l’article 153, paragraphe 5, TFUE.
iii) L’article 6 de la directive attaquée
102 L’article 6 de la directive attaquée, intitulé « Variations et retenues », prévoit, à son paragraphe 1, que les États membres, lorsqu’ils autorisent des taux de salaires minimaux légaux différents pour des catégories spécifiques de travailleurs ou des retenues qui réduisent la rémunération versée à un niveau inférieur à celui du salaire minimum légal concerné, doivent veiller au respect des principes de non‑discrimination et de proportionnalité, y compris celui de la poursuite d’un objectif légitime. Le paragraphe 2 de cet article 6 ajoute qu’aucune disposition de cette directive ne peut être interprétée comme imposant aux États membres l’obligation d’introduire des variations ou des retenues sur les salaires minimaux légaux. Ces dispositions doivent être lues à la lumière du considérant 29 de ladite directive, qui énonce qu’il importe d’éviter que ces variations et retenues soient « largement utilisées », car elles risquent d’avoir une incidence négative sur le caractère adéquat des salaires minimaux légaux.
103 Il convient de relever, à cet égard, que l’article 6 de la directive attaquée laisse les États membres libres d’introduire, ou non, des variations ou des retenues sur les salaires minimaux légaux qui réduisent la rémunération versée à un niveau inférieur à celui du salaire minimum légal concerné. Pour le reste, l’article 6 de la directive attaquée, qui se limite à exiger des États membres qu’ils respectent les principes de non‑discrimination et de proportionnalité lorsqu’ils autorisent des taux de salaires minimaux légaux différents pour des catégories spécifiques de travailleurs ou des retenues qui réduisent la rémunération versée à un niveau inférieur à celui du salaire minimum légal concerné, ne comporte pas d’ingérence directe du droit de l’Union dans la détermination des rémunérations au sein de celle‑ci, au sens de la jurisprudence visée aux points 67 et 68 du présent arrêt.
104 Par conséquent, il y a lieu d’accueillir la première branche du premier moyen en tant qu’elle vise l’article 5, paragraphe 2, de la directive attaquée et, en conséquence, le membre de phrase « y compris des éléments visés au paragraphe 2 » figurant à la cinquième phrase de l’article 5, paragraphe 1, de cette directive ainsi que le membre de phrase « à condition que l’application de ce mécanisme n’entraîne pas une diminution des salaires minimaux légaux » figurant à l’article 5, paragraphe 3, de ladite directive. La première branche du premier moyen doit être écartée pour le surplus.
3) Sur la seconde branche du premier moyen, tirée d’une violation de l’exclusion de compétence relative au « droit d’association »
105 L’article 153, paragraphe 5, TFUE prévoit que les dispositions de cet article ne s’appliquent pas, notamment, au « droit d’association ».
106 Si la notion de « droit d’association » visée à cet article 153, paragraphe 5, n’est pas définie dans le traité FUE, selon une jurisprudence constante, lors de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle‑ci et des objectifs qu’elle poursuit, mais également de son contexte, ainsi que de l’ensemble des dispositions du droit de l’Union, la genèse d’une telle disposition pouvant également revêtir des éléments pertinents pour son interprétation [voir, en ce sens, arrêts du 10 décembre 2018, Wightman e.a., C‑621/18, EU:C:2018:999, point 47 ainsi que jurisprudence citée, et du 19 novembre 2024, Commission/République tchèque (Éligibilité et qualité de membre d’un parti politique), C‑808/21, EU:C:2024:962, point 91].
107 Il importe de relever, à cet égard, que l’article 153, paragraphe 5, TFUE soustrait quatre matières, à savoir les « rémunérations », le « droit d’association », le « droit de grève » et le droit de « lock‑out », aux compétences en matière de politique sociale conférées à l’Union au titre des paragraphes 1 à 4 de cet article, matières qui, ainsi que M. l’avocat général l’a précisé au point 67 de ses conclusions, sont liées en ce qu’elles se rapportent toutes, à tout le moins partiellement, à des prérogatives des partenaires sociaux. Il y a lieu d’ajouter que, dans le domaine particulier de la politique sociale, la promotion du rôle des partenaires sociaux et la facilitation du dialogue entre eux, dans le respect de leur autonomie, s’inscrit parmi les finalités du titre X de la troisième partie du traité FUE, ainsi qu’il ressort de l’article 152, premier alinéa, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, EPSU/Commission, C‑928/19 P, EU:C:2021:656, points 60 et 61). Il est permis d’en déduire que l’exclusion relative au « droit d’association » a, tout comme l’exclusion relative aux « rémunérations », principalement pour objectif de préserver l’autonomie des partenaires sociaux à l’échelon national (voir, par analogie, arrêts du 13 septembre 2007, Del Cerro Alonso, C‑307/05, EU:C:2007:509, point 40, ainsi que du 7 juillet 2022, Coca-Cola European Partners Deutschland, C‑257/21 et C‑258/21, EU:C:2022:529, point 47).
108 En ce qui concerne l’articulation entre le droit de participer librement à des négociations collectives et le « droit d’association », visé à l’article 153, paragraphe 5, TFUE, le premier n’est, certes, pas explicitement mentionné parmi les matières dans lesquelles l’article 153 TFUE confère une compétence d’harmonisation à l’Union en vue de réaliser les objectifs visés à l’article 151 TFUE. En outre, il existe, ainsi que le Royaume de Danemark le fait observer à juste titre, un lien entre ces droits en ce que le droit d’association constitue un préalable à l’exercice du droit à la négociation collective. Cependant, il ne saurait en être déduit que le droit de libre participation à la négociation collective, en tant qu’élément inhérent au « droit d’association », serait exclu, à ce titre, des compétences de l’Union conformément à l’article 153, paragraphe 5, TFUE.
109 Tout d’abord, l’article 153, paragraphe 1, sous f), TFUE confère explicitement au législateur de l’Union la compétence pour adopter des mesures portant sur « la représentation et la défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs, y compris la cogestion ». Or, le libellé de cette disposition lui attribue une portée suffisamment large pour couvrir des mesures régissant le droit à la négociation collective, nonobstant l’exclusion relative au droit d’association formulée à l’article 153, paragraphe 5, TFUE.
110 Ensuite, il peut être déduit de la juxtaposition des notions du « droit syndical » et des « négociations collectives entre employeurs et travailleurs » au septième tiret de l’article 156, premier alinéa, TFUE que, aux fins de cet article, et, plus généralement, des dispositions du titre X de la troisième partie du traité FUE, les auteurs des traités ont entendu opérer une distinction entre les matières couvertes par chacune de ces deux notions.
111 Enfin, la charte des droits sociaux et la charte sociale européenne, en tant qu’instruments expressément visés à l’article 151, premier alinéa, TFUE, ainsi que la Charte traitent séparément le droit d’association et le droit de négociation collective.
112 S’agissant plus particulièrement de la Charte, d’une part, le droit d’association, prévu à l’article 12 de celle‑ci, renvoie notamment au « droit de toute personne de fonder avec d’autres des syndicats et de s’y affilier pour la défense de ses intérêts ». Ce droit comprend également le droit de ne pas constituer une organisation, y compris un syndicat, et de ne pas y adhérer. Il vise aussi, à ce titre, la possibilité, pour une association, de poursuivre ses activités et de fonctionner sans ingérence étatique injustifiée [voir, en ce sens, arrêts du 9 mars 2006, Werhof, C‑499/04, EU:C:2006:168, point 33, et du 18 juin 2020, Commission/Hongrie (Transparence associative), C‑78/18, EU:C:2020:476, point 113].
113 D’autre part, le droit de négociation collective, prévu à l’article 28 de la Charte, comporte, notamment, le droit des travailleurs et des employeurs, ou de leurs organisations respectives, « de négocier et de conclure des conventions collectives aux niveaux appropriés ».
114 À cet égard, il est certes exact que, ainsi que le Royaume de Danemark le fait valoir, la dérogation prévue à l’article 153, paragraphe 5, TFUE tire son origine de l’article 2, paragraphe 6, de l’accord sur la politique sociale, conclu entre les États membres de la Communauté européenne à l’exception du Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord (JO 1992, C 191, p. 91), annexé au protocole (no 14) sur la politique sociale annexé au traité CE, et précède donc l’adoption de la Charte. Cependant, la thèse du Royaume de Danemark selon laquelle les auteurs des traités ont entendu soustraire des compétences de l’Union, à l’article 153, paragraphe 5, TFUE, le sujet de la libre participation à des négociations collectives, en tant qu’élément inhérent au droit d’association, ne trouve pas non plus appui, outre dans la Charte, dans les dispositions de la charte sociale européenne et de la charte des droits sociaux qui sont, quant à elles, antérieures à l’adoption de l’accord sur la politique sociale. En effet, la charte sociale européenne et la charte des droits sociaux traitent, elles aussi, le droit d’association et le droit de négociation collective comme des droits distincts, à savoir, s’agissant de la première, à ses articles 5 et 6 et, s’agissant de la seconde, à ses articles 11 et 12.
115 Partant, la notion de « droit d’association » visée à l’article 153, paragraphe 5, TFUE doit être interprétée en ce sens qu’elle renvoie à la liberté des travailleurs et des employeurs de constituer ou de dissoudre des organisations, y compris des syndicats, ou d’y adhérer ou non, sans pour autant couvrir des mesures régissant le droit de négociation collective entre employeurs et travailleurs.
116 S’agissant du critère juridique applicable à l’examen du respect de l’exclusion relative au « droit d’association » prévue à l’article 153, paragraphe 5, TFUE, il y a lieu de considérer, à l’instar de M. l’avocat général au point 107 de ses conclusions, que l’exclusion de compétence relative au « droit d’association », tel que défini au point précédent du présent arrêt, recouvre non pas toute mesure présentant un lien avec le droit d’association, mais seulement les mesures qui comportent une ingérence directe du droit de l’Union dans ce droit ou l’exercice de celui‑ci. Ne relèvent en revanche pas de cette exclusion des mesures qui, tout en présentant un lien avec le droit d’association, ne régissent pas directement ce droit, mais régissent le droit de négociation collective.
117 Dès lors, contrairement à ce que le Royaume de Danemark soutient, la circonstance que l’article 4 de la directive attaquée puisse présenter un lien avec des matières relevant du droit de négociation collective ne permet pas, à elle seule, de conclure que le législateur de l’Union aurait agi en méconnaissance de l’exclusion de la compétence relative au droit d’association prévue à l’article 153, paragraphe 5, TFUE. Il y a lieu de vérifier cependant, à cet effet, si les dispositions de l’article 4, paragraphe 1, sous d), et l’article 4, paragraphe 2, de la directive attaquée, plus spécifiquement visées par les arguments du Royaume de Danemark, comportent une « ingérence directe » du droit de l’Union dans le droit d’association.
118 Premièrement, il y a lieu de relever, d’une part, bien que les arguments du Royaume de Danemark ne portent pas spécifiquement sur cette disposition, que l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la directive attaquée vise à protéger l’exercice du droit à la négociation collective en vue de la fixation des salaires ainsi que la protection des travailleurs et des représentants de ceux‑ci contre les actes de discrimination à leur égard en matière d’emploi au motif qu’ils participent ou souhaitent participer à des négociations collectives en vue de la fixation des salaires. Cette disposition ne régit pas la liberté des travailleurs et des employeurs de constituer ou de dissoudre des organisations, y compris des syndicats, ou d’y adhérer ou non, mais régit des matières relevant du droit de négociation collective.
119 D’autre part, l’article 4, paragraphe 1, sous d), de cette directive vise à protéger les syndicats et les organisations d’employeurs participant ou souhaitant participer à la négociation collective contre tout acte d’ingérence des uns à l’égard des autres soit directement, soit par leurs agents ou membres dans leur formation, leur fonctionnement ou leur administration. Conformément à ces dispositions, les États membres doivent « [prendre] des mesures, le cas échéant », à ces fins. La protection que vise à conférer cette disposition contre les actes d’ingérence concerne la « formation », le « fonctionnement » et l’« administration » des syndicats ainsi que des organisations d’employeurs, matières relevant du droit d’association, tant dans son volet positif que dans son volet négatif, à savoir le droit de constituer des organisations, y compris des syndicats, ainsi que de les organiser.
120 Or, le respect de l’exclusion de compétence relative au « droit d’association », prévue à l’article 153, paragraphe 5, TFUE, suppose que ni l’article 4, paragraphe 1, sous d), de la directive attaquée ni les mesures prises par les États membres pour assurer la transposition dans leur droit interne de cette disposition ne comportent une ingérence directe dans la formation, le fonctionnement et l’administration des associations.
121 À cet égard, il ressort du libellé même de l’article 4, paragraphe 1, sous d), de la directive attaquée que celui‑ci, tout en présentant un lien avec le droit d’association, vise à promouvoir le droit de libre participation à la négociation collective.
122 Partant, l’article 4, paragraphe 1, sous d), de la directive attaquée n’interfère pas dans la compétence que retiennent les États membres pour adopter des mesures régissant directement le droit d’association. Ce constat est corroboré par le fait que, ainsi qu’il ressort, d’une part, du renvoi opéré dans le libellé de l’article 4, paragraphe 1, de cette directive au « droit national » et aux « pratiques nationales » et, d’autre part, de la locution « le cas échéant » figurant à son point d), les États membres ne doivent pas obligatoirement prendre des « mesures » au titre de ce point d) et ne doivent, en tout état de cause, le faire que pour autant que leur droit national et leurs pratiques nationales le permettent. Il importe également de relever, à cet égard, que ces dispositions n’harmonisent pas le contenu des mesures prescrites. Au surplus, ainsi qu’il résulte du point 84 du présent arrêt, les dispositions de cet article 4 doivent être lues à la lumière de l’article 152, premier alinéa, TFUE, qui consacre expressément, depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le respect de l’autonomie des partenaires sociaux.
123 Il découle de ce qui précède que l’article 4, paragraphe 1, sous d), de la directive attaquée ne comporte pas d’ingérence directe du droit de l’Union dans le droit d’association.
124 Deuxièmement, s’agissant du respect, par l’article 4, paragraphe 2, de la directive attaquée, de l’exclusion relative au droit d’association énoncée à l’article 153, paragraphe 5, TFUE, le Royaume de Danemark soutient que cet article 4, paragraphe 2, comporte également une ingérence dans le droit d’association au sein de syndicats, car l’objectif d’accroissement du nombre de travailleurs couverts par une convention collective visé à cette disposition ne pourrait être atteint que par une augmentation du taux d’affiliation de travailleurs à des organisations syndicales.
125 Cet argument ne saurait toutefois prospérer. En effet, ainsi qu’il ressort du point 84 du présent arrêt, l’article 4, paragraphe 2, de la directive attaquée ne saurait être interprété en ce sens qu’il prescrit aux États membres d’imposer l’adhésion d’un plus grand nombre de travailleurs à des organisations syndicales.
126 Il s’ensuit que l’article 4, paragraphe 2, de la directive attaquée ne comporte pas d’ingérence directe du droit de l’Union dans le droit d’association.
127 Par conséquent, il convient d’écarter la seconde branche du premier moyen comme étant non fondée.
128 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d’accueillir le premier moyen en tant qu’il vise l’article 5, paragraphe 2, de la directive attaquée et, en conséquence, le membre de phrase « y compris des éléments visés au paragraphe 2 » figurant à la cinquième phrase de l’article 5, paragraphe 1, de cette directive ainsi que le membre de phrase « à condition que l’application de ce mécanisme n’entraîne pas une diminution des salaires minimaux légaux » figurant à l’article 5, paragraphe 3, de ladite directive, ce moyen devant être écarté pour le surplus.
2. Sur le second moyen, tiré d’une impossibilité d’adopter la directive attaquée sur le fondement de l’article 153, paragraphe 1, sous b), TFUE
a) Argumentation des parties
129 Par son second moyen, le Royaume de Danemark, soutenu par le Royaume de Suède, fait valoir que, à supposer même que la directive attaquée ne méconnaisse pas les exclusions de compétence relatives aux « rémunérations » et au « droit d’association » prévues à l’article 153, paragraphe 5, TFUE, le Parlement et le Conseil ne pouvaient pas valablement l’adopter sur le fondement de l’article 153, paragraphe 1, sous b), TFUE, conformément à la procédure décisionnelle prévue dans ce domaine à l’article 153, paragraphe 2, TFUE.
130 En effet, la directive attaquée poursuivrait deux finalités d’importance égale, en ce sens qu’elle viserait à réglementer non seulement les « conditions de travail » visées à l’article 153, paragraphe 1, sous b), TFUE, mais également la « représentation et la défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs » visée à l’article 153, paragraphe 1, sous f), TFUE. Or, chacune de ces bases juridiques impliquerait de suivre une procédure législative différente et ces procédures seraient incompatibles. L’article 153, paragraphe 1, sous f), TFUE requerrait l’unanimité au sein du Conseil, à la différence de l’article 153, paragraphe 1, sous b), TFUE, qui exigerait une majorité qualifiée au sein de celui‑ci.
131 Le Parlement et le Conseil, la Commission ainsi que les États membres qui interviennent au soutien des conclusions des institutions défenderesses contestent l’argumentation du Royaume de Danemark dans le cadre du second moyen.
b) Appréciation de la Cour
132 Ainsi qu’il est rappelé au point 56 du présent arrêt, selon une jurisprudence constante, le choix de la base juridique d’un acte de l’Union doit être fondé sur des éléments objectifs susceptibles de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, parmi lesquels figurent la finalité et le contenu de cet acte. Si l’examen d’un acte de l’Union démontre que celui‑ci poursuit plusieurs finalités ou qu’il a plusieurs composantes et si l’une de ces finalités ou de ces composantes est identifiable comme étant principale ou prépondérante tandis que les autres ne sont qu’accessoires ou n’ont qu’une portée extrêmement limitée, la base juridique pour adopter cet acte doit être déterminée conformément à cette finalité ou composante principale. Ce n’est qu’à titre exceptionnel qu’un acte de l’Union doit être fondé simultanément sur plusieurs bases juridiques, à savoir lorsque cet acte poursuit à la fois plusieurs finalités ou a plusieurs composantes qui sont liées de manière indissociable, sans que l’une soit accessoire par rapport à l’autre [voir, en ce sens, arrêts du 19 juillet 2012, Parlement/Conseil, C‑130/10, EU:C:2012:472, points 43 et 44, ainsi que du 20 novembre 2018, Commission/Conseil (AMP Antarctique), C‑626/15 et C‑659/16, EU:C:2018:925, points 77 et 78].
133 Toutefois, le recours à une double base juridique est exclu lorsque les procédures prévues pour l’une et l’autre de ces bases sont incompatibles [arrêt du 11 juin 1991, Commission/Conseil, C‑300/89, EU:C:1991:244, point 21, et avis 1/15 (Accord PNR UE-Canada), du 26 juillet 2017, EU:C:2017:592, point 78].
134 En ce qui concerne les champs d’application respectifs des points b) et f) de l’article 153, paragraphe 1, TFUE, il résulte des développements figurant aux points 72 et 109 du présent arrêt que, d’une part, l’article 153, paragraphe 1, sous b), TFUE, qui vise les « conditions de travail », est susceptible de recouvrir des mesures relatives à l’amélioration du caractère adéquat des salaires minimaux et, par là même, à l’amélioration des conditions de vie et de travail dans l’Union et, d’autre part, l’article 153, paragraphe 1, sous f), TFUE, qui vise « la représentation et la défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs, y compris la cogestion », est susceptible de recouvrir des mesures relatives à la promotion des négociations collectives, pour autant que les mesures ainsi adoptées respectent l’article 153, paragraphe 5, TFUE.
135 Si, dans chacun de ces deux domaines, le Parlement et le Conseil peuvent, conformément à l’article 153, paragraphe 2, sous b), TFUE, arrêter des « prescriptions minimales », ils statuent, dans le premier, conformément à une procédure législative ordinaire, le Conseil statuant à la majorité qualifiée, et, dans le second, conformément à une procédure législative spéciale, qui requiert l’unanimité au sein du Conseil.
136 En l’espèce, s’agissant des dispositions principales de la directive attaquée figurant à ses articles 4 à 8, tout d’abord, l’article 4 de celle-ci prévoit, ainsi qu’il ressort des points 63 et 64 du présent arrêt, des mesures relatives à la promotion des négociations collectives en vue de la fixation des salaires. De telles mesures sont certes susceptibles de relever du domaine de « la représentation et [de] la défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs, y compris la cogestion », visé à l’article 153, paragraphe 1, sous f), TFUE. Toutefois, ainsi que M. l’avocat général l’a fait observer, en substance, au point 119 de ses conclusions, il y a lieu de tenir compte du lien que cette directive établit, à son article 1er, paragraphe 1, lu à la lumière de ses considérants 16 et 22, entre la promotion des négociations collectives en vue de la fixation des salaires et l’objectif principal de ladite directive, qui est d’améliorer les conditions de vie et de travail dans l’Union et, en particulier, le caractère adéquat des salaires minimaux pour les travailleurs. Dans ce contexte, l’article 4 de la même directive ne représente qu’un moyen d’atteindre l’objectif principal de cette dernière, plutôt qu’une finalité ou une composante autonome et distincte de celle‑ci. Cet article 4 relève donc, lui aussi, du domaine des « conditions de travail » visé à l’article 153, paragraphe 1, sous b), TFUE. En tout état de cause, ledit article 4 constitue, tout au plus, une finalité ou une composante distincte se situant dans le domaine de la « représentation et [de] la défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs » purement accessoire par rapport à la finalité ou à la composante principale relevant du domaine des « conditions de travail ».
137 Ensuite, il résulte de l’examen du premier moyen que la directive attaquée comporte une disposition et deux membres de phrases soustraits aux compétences de l’Union conformément à l’article 153, paragraphe 5, TFUE, à savoir l’article 5, paragraphe 2, et, en conséquence, le membre de phrase « y compris des éléments visés au paragraphe 2 » figurant à la cinquième phrase de l’article 5, paragraphe 1, ainsi que le membre de phrase « à condition que l’application de ce mécanisme n’entraîne pas une diminution des salaires minimaux légaux » figurant à l’article 5, paragraphe 3, de cette directive. Cette disposition et ces deux membres de phrase échappent donc aux compétences législatives de l’Union dans les matières visées à l’article 153, paragraphe 1, sous b) et f), TFUE.
138 Enfin, les autres dispositions de l’article 5 de la directive attaquée ainsi que les articles 6 à 8 de celle‑ci prévoient, ainsi qu’il ressort des points 57 et 66 du présent arrêt, des mesures établissant un cadre pour la fixation de salaires minimaux adéquats afin d’améliorer les conditions de vie et de travail dans l’Union. Ces dispositions se rattachent donc au domaine des « conditions de travail », visé à l’article 153, paragraphe 1, sous b), TFUE.
139 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que, au vu de ses dispositions principales constituées par ses articles 4 à 8, la directive attaquée relève du domaine de compétence visé à l’article 153, paragraphe 1, sous b), TFUE et non de celui visé à l’article 153, paragraphe 1, sous f), TFUE.
140 Dans ces conditions, il convient d’écarter le second moyen comme étant non fondé.
141 Eu égard à ce qui précède, les conclusions présentées à titre principal par le Royaume de Danemark sont partiellement fondées, en tant qu’elles tendent à l’annulation de l’article 5, paragraphe 2, de la directive attaquée et du membre de phrase « à condition que l’application de ce mécanisme n’entraîne pas une diminution des salaires minimaux légaux » figurant à l’article 5, paragraphe 3, de celle‑ci, au motif que ces dispositions relèvent des domaines soustraits aux compétences de l’Union, conformément à l’article 153, paragraphe 5, TFUE. L’annulation de cet article 5, paragraphe 2, implique celle du membre de phrase « y compris des éléments visés au paragraphe 2 », figurant à la cinquième phrase de l’article 5, paragraphe 1, de cette directive.
B. Sur les conclusions présentées à titre subsidiaire, tendant à l’annulation de l’article 4, paragraphe 1, sous d), et/ou de l’article 4, paragraphe 2, de la directive attaquée
142 Le moyen unique soulevé par le Royaume de Danemark au soutien de ses conclusions présentées à titre subsidiaire est dirigé contre l’article 4, paragraphe 1, sous d) et/ou l’article 4, paragraphe 2, de la directive attaquée et est fondé sur les mêmes arguments que ceux qui sont invoqués au soutien du premier moyen soulevé au soutien des conclusions présentées à titre principal. Ces derniers arguments étant écartés dans le cadre de l’appréciation de ce premier moyen, ce moyen unique doit donc également être écarté, en tout état de cause, comme étant non fondé, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur sa recevabilité, et, partant, ces conclusions présentées à titre subsidiaire doivent être rejetées.
143 Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, le membre de phrase « y compris des éléments visés au paragraphe 2 », figurant à la cinquième phrase de l’article 5, paragraphe 1, de la directive attaquée, l’article 5, paragraphe 2, de cette directive ainsi que le membre de phrase « à condition que l’application de ce mécanisme n’entraîne pas une diminution des salaires minimaux légaux » figurant à l’article 5, paragraphe 3, de celle‑ci doivent être annulés. Le recours est rejeté pour le surplus.
IV. Sur les dépens
144 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
145 L’article 138, paragraphe 3, de ce règlement de procédure prévoit que, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, la Cour peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie.
146 En l’espèce, le Royaume de Danemark ayant partiellement succombé, il y a lieu de le condamner à supporter les deux tiers des dépens exposés par le Parlement et par le Conseil ainsi que les deux tiers de ses propres dépens. Il convient de condamner le Parlement et le Conseil à supporter un tiers des dépens du Royaume de Danemark et un tiers de leurs propres dépens.
147 Conformément à l’article 140, paragraphe 1, dudit règlement de procédure, le Royaume de Belgique, la République fédérale d’Allemagne, la République hellénique, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand‑Duché de Luxembourg, la République portugaise, le Royaume de Suède et la Commission supporteront leurs propres dépens exposés en tant que parties intervenantes.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :
1) Le membre de phrase « y compris des éléments visés au paragraphe 2 », figurant à la cinquième phrase de l’article 5, paragraphe 1, de la directive (UE) 2022/2041 du Parlement européen et du Conseil, du 19 octobre 2022, relative à des salaires minimaux adéquats dans l’Union européenne, l’article 5, paragraphe 2, de cette directive ainsi que le membre de phrase « à condition que l’application de ce mécanisme n’entraîne pas une diminution des salaires minimaux légaux » figurant à l’article 5, paragraphe 3, de celle‑ci sont annulés.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) Le Royaume de Danemark est condamné à supporter les deux tiers des dépens exposés par le Parlement européen et par le Conseil de l’Union européenne ainsi que les deux tiers de ses propres dépens.
4) Le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne sont condamnés à supporter un tiers des dépens exposés par le Royaume de Danemark et un tiers de leurs propres dépens.
5) Le Royaume de Belgique, la République fédérale d’Allemagne, la République hellénique, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand‑Duché de Luxembourg, la République portugaise, le Royaume de Suède et la Commission européenne supportent leurs propres dépens.
Signatures