ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
28 janvier 1999 (1)
«Marque Vin mousseux Article 13, paragraphe 2, sous b), du règlement
(CEE) n° 2333/92 Désignation du produit Protection du consommateur
Risque de confusion»
Dans l'affaire C-303/97,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177
du traité CE, par le Bundesgerichtshof (Allemagne) et tendant à obtenir, dans le
litige pendant devant cette juridiction entre
Verbraucherschutzverein eV
et
Sektkellerei G. C. Kessler GmbH und Co.,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 13, paragraphe 2, sous
b), du règlement (CEE) n° 2333/92 du Conseil, du 13 juillet 1992, établissant les
règles générales pour la désignation et la présentation des vins mousseux et des
vins mousseux gazéifiés (JO L 231, p. 9),
LA COUR (cinquième chambre),
composée de MM. J.-P. Puissochet, président de chambre, J. C. Moitinho de
Almeida, C. Gulmann, D. A. O. Edward et M. Wathelet (rapporteur), juges,
avocat général: M. N. Fennelly,
greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal,
considérant les observations écrites présentées:
pour Verbraucherschutzverein eV, par M. N. Reich, professeur à l'université
de Brême,
pour Sektkellerei G. C. Kessler GmbH und Co., par Me K. Bauer, avocat
à Cologne,
pour le gouvernement allemand, par M. E. Röder, Ministerialrat au
ministère fédéral de l'Économie, en qualité d'agent,
pour le gouvernement français, par M. F. Pascal, attaché d'administration
centrale à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires
étrangères, et Mme K. Rispal-Bellanger, sous-directeur à la même direction,
en qualité d'agents,
pour la Commission des Communautés européennes, par M. K.-D.
Borchardt, membre du service juridique, en qualité d'agent,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales de Verbraucherschutzverein eV, représentée
par M. N. Reich, de Sektkellerei G. C. Kessler GmbH und Co., représentée par
Me K. Bauer, du gouvernement français, représenté par Mme C. Vasak, secrétaire
adjoint à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères,
en qualité d'agent, et de la Commission, représentée par M. K.-D. Borchardt, à
l'audience du 9 juillet 1998,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 29 septembre
1998,
rend le présent
Arrêt
- 1.
- Par ordonnance du 26 juin 1997, parvenue à la Cour le 25 août suivant, le
Bundesgerichtshof a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, deux questions
préjudicielles sur l'interprétation de l'article 13, paragraphe 2, sous b), du règlement
(CEE) n° 2333/92 du Conseil, du 13 juillet 1992, établissant les règles générales
pour la désignation et la présentation des vins mousseux et des vins mousseux
gazéifiés (JO L 231, p. 9).
- 2.
- Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant
Verbraucherschutzverein eV (ci-après «Verbraucherschutzverein»), association de
protection des consommateurs, à Sektkellerei G. C. Kessler GmbH und Co.
(ci-après «Kessler») à propos de l'utilisation de la désignation «Hochgewächs» sur
l'étiquette des bouteilles de Sekt (vin mousseux) commercialisées par cette
dernière.
Le droit communautaire
- 3.
- Le règlement (CEE) n° 2392/89 du Conseil, du 24 juillet 1989, établit les règles
générales pour la désignation et la présentation des vins et des moûts de raisins
(JO L 232, p. 13).
- 4.
- Son article 11, paragraphe 1, énumère les indications descriptives qui doivent
apparaître sur l'étiquetage des vins de qualité produits dans des régions
déterminées (ci-après les «v.q.p.r.d.»). Il est précisé, au paragraphe 2, sous c), que,
pour ces vins, cette désignation
«peut être complétée par l'indication:
...
c) d'une marque dans les conditions prévues à l'article 40;
...
k) de précisions concernant:
le mode d'élaboration,
le type de produit,
une couleur particulière du v.q.p.r.d.
pour autant que ces indications soient définies par des dispositions
communautaires ou par l'État membre producteur. Toutefois, l'utilisation
de telles indications peut être interdite pour la désignation de v.q.p.r.d. issus
d'une région déterminée où elle n'est pas traditionnelle et d'usage;
...»
- 5.
- Il ressort de l'article 40, paragraphe 2, du règlement n° 2392/89 que la marque ne
doit pas être de nature à créer des confusions ou à induire le consommateur en
erreur.
- 6.
- Conformément à l'article 11, paragraphe 2, sous k), du règlement n° 2392/89,
l'article 14, paragraphe 3, sous a), du règlement (CEE) n° 3201/90 de la
Commission, du 16 octobre 1990, portant modalités d'application pour la
désignation et la présentation des vins et des moûts de raisins (JO L 309, p. 1),
dispose que la précision «Riesling-Hochgewächs» peut notamment être utilisée
pour la désignation d'un v.q.p.r.d. allemand.
- 7.
- La désignation et la présentation des vins mousseux et des vins mousseux gazéifiés
font l'objet de dispositions spécifiques contenues dans le règlement n° 2333/92.
- 8.
- L'article 3 de ce règlement précise les indications obligatoires qui doivent
apparaître sur l'étiquetage des bouteilles de mousseux ou de vin mousseux gazéifié.
- 9.
- En vertu de l'article 4, paragraphe 1, premier tiret, du règlement n° 2333/92, ces
informations peuvent être complétées par d'autres indications pour autant «qu'elles
ne soient pas susceptibles de créer un risque de confusion dans l'esprit des
personnes auxquelles ces informations s'adressent».
- 10.
- A cet égard, il ressort du huitième considérant que
«... afin de faciliter le commerce desdits produits, il convient de laisser aux
intéressés le choix des indications facultatives qu'ils souhaitent utiliser et de ne pas
établir de liste exhaustive; que ce choix doit toutefois se limiter à des indications
qui ne soient pas fausses et ne créent pas de risque de confusion dans l'esprit du
consommateur final ou d'autres personnes auxquelles elles s'adressent».
- 11.
- L'article 6 du règlement n° 2333/92 autorise la mention sur l'étiquette de divers
types d'indications facultatives. Son paragraphe 8, en particulier, prévoit:
«L'indication d'une mention relative à une qualité supérieure n'est admise que
pour un:
v.m.q.p.r.d.,
vin mousseux de qualité
...»
- 12.
- Aux termes de l'article 13 du règlement n° 2333/92,
«1. La désignation et la présentation de produits visés à l'article 1er paragraphe
1 ainsi que toute publicité relative auxdits produits ne doivent pas être erronées et
de nature à créer des confusions ou à induire en erreur les personnes auxquelles
elles s'adressent...
2. Lorsque la désignation, la présentation et la publicité se référant aux
produits visés à l'article 1er paragraphe 1 sont complétées par des marques, celles-ci
ne peuvent pas contenir des mots, parties de mots, signes ou illustrations qui soient:
a) de nature à créer des confusions ou à induire en erreur les personnes
auxquelles elles s'adressent au sens du paragraphe 1
ou
b) susceptibles d'être confondues avec tout ou partie de la désignation d'un vin
de table, d'un vin de qualité produit dans une région déterminée, y compris
un v.m.q.p.r.d., ou d'un vin importé dont la désignation est réglée par des
dispositions communautaires, ou avec la désignation d'un autre produit visé
à l'article 1er paragraphe 1, ou qui soient identiques avec la désignation d'un
tel produit sans que les produits utilisés pour la constitution de la cuvée du
vin mousseux aient droit à une telle désignation ou présentation.
3. Par dérogation au paragraphe 2 point b), le titulaire d'une marque notoire
et enregistrée pour un produit visé à l'article 1er paragraphe 1 qui contient des mots
identiques au nom d'une région déterminée, ou au nom d'une unité géographique
plus restreinte qu'une région déterminée, peut, même s'il n'a pas droit à ce nom
en vertu du paragraphe 2, continuer l'usage de cette marque lorsqu'elle correspond
à l'identité de son titulaire originaire ou du prête-nom originaire, pourvu que
l'enregistrement de la marque ait été effectué au moins 25 ans avant la
reconnaissance officielle du nom géographique en question par l'État membre
producteur conformément à l'article 1er paragraphe 3 du règlement (CEE)
n° 823/87 pour ce qui concerne les v.q.p.r.d. et que la marque ait effectivement été
utilisée sans interruption.
Les marques qui remplissent les conditions du premier alinéa ne peuvent
pas être opposées à l'usage des noms des unités géographiques utilisés pour
la désignation d'un v.q.p.r.d.»
- 13.
- Le dix-huitième considérant précise, dans ce contexte, que, dans le but d'établir les
conditions d'une concurrence loyale entre les différents vins mousseux gazéifiés, il
y a lieu
«d'interdire, dans la désignation ou la présentation de ces vins, les éléments
susceptibles de créer des confusions ou des opinions erronées dans l'esprit des
personnes auxquelles elles s'adressent; qu'il convient, notamment, de prévoir des
interdictions semblables pour les marques utilisées pour la désignation des vins
mousseux ou des vins mousseux gazéifiés».
Le litige au principal
- 14.
- Kessler élabore du Sekt à partir de vin d'origine française issu du cépage
«Chardonnay» et le commercialise, depuis une soixantaine d'années, sous la
désignation «Kessler Hochgewächs», protégée, en Allemagne, en tant que marque
depuis le 7 juin 1950.
- 15.
- Depuis 1986, la dénomination «Riesling Hochgewächs» est protégée en Allemagne
et désigne, en application de l'article 8 a de la Weinordnung (règlement sur le vin,
ci-après la «WeinVO») devenu, en 1995, l'article 34 de la WeinVO (BGBl I, p.
630) , un vin blanc répondant à certains critères de qualité et élaboré
exclusivement à partir de raisins du cépage «Riesling». Aux termes de cet article,
«Un vin blanc ne peut être désigné par la mention 'Riesling-Hochgewächs que
s'il est élaboré exclusivement à partir de raisins du cépage Riesling, le moût obtenu
à partir de ces raisins ayant un titre alcoométrique naturel supérieur au moins de
1,5 %, vol. du titre alcoométrique naturel minimal fixé pour la région de production
déterminée ou la partie de celle-ci dans laquelle les raisins ont été récoltés, et s'il
a obtenu une note de qualité d'au moins 3,0 lors du contrôle de qualité officiel».
- 16.
- Verbraucherschutzverein a saisi le Landgericht afin qu'il soit interdit à Kessler de
continuer à commercialiser ses mousseux sous la désignation «Hochgewächs», au
motif qu'elle était de nature à amener le consommateur à croire, à tort, que ce vin
a été élaboré à partir de «Riesling» et que, partant, elle était contraire à l'article
13, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 2333/92, ainsi qu'à certaines dispositionsdu Gesetz gegen den unlauteren Wettbewerb (loi allemande contre la concurrence
déloyale).
- 17.
- Devant le Landgericht, Kessler a soutenu, au contraire, qu'il était exclu que le
consommateur puisse être induit en erreur, car, d'une part, elle n'utiliserait pas
l'ensemble de la dénomination «Riesling Hochgewächs» et, d'autre part, le
consommateur ne déduirait pas de la désignation d'un mousseux l'identité du vin
de base utilisé. A titre subsidiaire, Kessler a fait valoir qu'elle s'était constitué un
droit acquis en ce qui concerne la désignation «Kessler Hochgewächs», du fait de
l'utilisation de celle-ci comme marque protégée en Allemagne depuis 1950, et que
l'interprétation du règlement n° 2333/92 ne pourrait avoir pour conséquence de
porter atteinte à ce droit de marque.
- 18.
- Le Landgericht a rejeté la demande de Verbraucherschutzverein qui a interjeté
appel devant l'Oberlandesgericht Köln. Ce dernier a rejeté à son tour le recours
au motif que, bien qu'il soit tout à fait concevable qu'une partie non négligeable
des consommateurs ait l'impression que le vin utilisé pour la fabrication de la cuvée
est conforme aux critères relatifs au cépage et à la qualité d'un vin «Riesling
Hochgewächs» au sens de la WeinVo, seuls les consommateurs connaissant la
dénomination «Riesling-Hochgewächs» en matière de vins peuvent être induits en
erreur et que, de toute façon, Verbraucherschutzverein n'avait pas fourni la preuve
qu'une partie non négligeable de ces consommateurs ait été induite en erreur. Or,
selon la juridiction d'appel, pour l'application de l'article 13, paragraphe 2, sous b),
du règlement n° 2333/92, il convenait non seulement de constater que l'identité du
terme «Hochgewächs», figurant sur l'étiquette de bouteilles de vin mousseux, avec
une partie de la désignation d'un autre vin élaboré selon des critères différents,
pouvait en elle-même entraîner un risque de confusion («abstrakte Verwechslungs -bzw. Irreführungsgefahr»), mais également de démontrer que ce terme était
réellement de nature à induire les consommateurs en erreur («konkrete
Verwechslungs - bzw. Irreführungsgefahr»).
- 19.
- Saisi par Verbraucherschutzverein d'un pourvoi en «Revision», le
Bundesgerichtshof exprime des doutes quant à l'interprétation de l'article 13,
paragraphe 2, sous b), du règlement n° 2333/92. Pour la juridiction de renvoi, la
question que soulève le litige au principal est celle de savoir si l'interdiction
d'utiliser certaines marques, établie par cette disposition, suppose un simple risque
de confusion, sans qu'il doive être démontré que l'indication utilisée est réellement
de nature à induire en erreur les consommateurs et à affecter, de ce fait, leur
comportement économique.
- 20.
- A cet égard, le Bundesgerichtshof se demande en particulier si l'emploi alternatif
des expressions «créer des confusions» et «induire en erreur» aux paragraphes 1
et 2, sous a), de l'article 13, alors que le paragraphe 2, sous b), du même article ne
vise que le point de savoir si les désignations en question sont «susceptibles d'être
confondues», pourrait indiquer que, dans les deux premières hypothèses,
l'interdiction présuppose la preuve du risque que les personnes soient effectivement
induites en erreur, alors que, dans l'hypothèse couverte par l'article 13, paragraphe
2, sous b), il suffirait de constater que les dénominations en présence sont elles-mêmes «susceptibles» d'être confondues.
- 21.
- La juridiction de renvoi s'interroge également, pour le cas où cette dernière
interprétation serait retenue, sur la légalité de l'atteinte au droit de propriété
intellectuelle qui en découlerait, au regard de la protection des droits
fondamentaux.
- 22.
- Dans ces conditions, le Bundesgerichtshof a décidé de surseoir à statuer pour poser
à la Cour les questions suivantes:
«1) Suffit-il, pour que l'interdiction visée à l'article 13, paragraphe 2, sous b), du
règlement précité soit applicable, que l'on constate qu'un terme de la
marque utilisée pour désigner le vin mousseux (en l'espèce: Hochgewächs)
est susceptible d'être confondu avec une partie de la désignation d'un vin
(non utilisé) pour la constitution de la cuvée du vin mousseux (en l'espèce:
Riesling-Hochgewächs), même si l'on ne constate ni des conceptions
erronées, influant sur l'achat, d'une partie non négligeable des
consommateurs sur la composition de la cuvée ni une intention de tromper
de la part du titulaire de la marque?
2) Au cas où la première question appellerait une réponse affirmative, la
propriété industrielle que le titulaire de la marque a acquise sur le territoire
national du fait de l'utilisation traditionnelle et paisible de son signe peut-elle s'opposer, en tant qu'intérêt supérieur digne de protection, à
l'application de l'interdiction relative à la désignation visée à l'article 13,
paragraphe 2, sous b), du règlement précité?»
Sur la première question
- 23.
- L'article 13, paragraphe 2, du règlement n° 2333/92 dispose que les marques,
complétant la désignation, la présentation ou la publicité d'un vin mousseux ne
peuvent pas contenir, notamment, des mots qui soient de nature à créer des
confusions ou à induire en erreur les personnes auxquelles elles s'adressent [sous
a)] ou qui soient susceptibles d'être confondus avec tout ou partie de la
désignation, notamment, d'un v.q.p.r.d. dont la désignation est réglée par des
dispositions communautaires ou encore qui soient identiques à la désignation d'un
tel vin «sans que les produits utilisés pour la constitution de la cuvée du vin
mousseux en question aient droit à une telle désignation ou présentation» [sous b)].
- 24.
- Selon le gouvernement français, le droit communautaire ne prévoit pas que la
preuve de la confusion doit être apportée dans les cas où une marque comporte
des termes faisant partie d'une dénomination réservée à la présentation de certains
vins. En effet, le droit communautaire accorderait une protection objective aux
dénominations qu'il énumère, en leur réservant l'exclusivité de la présentation des
vins à la vente. Ainsi, le législateur communautaire n'aurait pas posé de conditions
portant sur la preuve d'une confusion effective dans l'esprit des acheteurs avec une
mention réservée à la présentation de certains vins lorsque, comme en l'espèce au
principal, le produit comporte un terme identique à celui figurant dans une telle
mention.
- 25.
- De même, Verbraucherschutzverein estime que la réglementation communautaire
n'exige pas la preuve qu'une confusion ait réellement eu lieu. Le risque abstrait de
tromperie suffirait, indépendamment des effets engendrés par l'utilisation de la
marque sur un groupe déterminé de consommateurs.
- 26.
- A l'appui de son interprétation, Verbraucherschutzverein fait valoir que, dans
l'arrêt du 25 février 1981, Weigand (56/80, Rec. p. 583), qui concernait le règlement
(CEE) n° 355/79 du Conseil, du 5 février 1979, établissant les règles générales pour
la désignation et la présentation des vins et des moûts de raisins (JO L 54, p. 99),
la Cour aurait retenu une conception abstraite de l'interdiction d'indications
susceptibles de prêter à confusion, compte tenu des objectifs spécifiques de
l'organisation du marché en cause. Seule cette conception serait de nature à
garantir une application uniforme du droit communautaire, qui ne serait pas
fonction des perceptions forcément divergentes des consommateurs des différents
États membres.
- 27.
- Il convient d'abord de constater que la marque «Kessler Hochgewächs» n'est pas
identique à la désignation «Riesling Hochgewächs», de telle sorte que l'on ne se
trouve pas dans l'hypothèse visée par la seconde branche de l'alternative contenue
à l'article 13, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 2333/92 laquelle concerne une
usurpation de la désignation réservée, comme telle, à certains vins par la
réglementation communautaire.
- 28.
- En se plaçant ainsi dans l'hypothèse de la première branche de l'alternative
contenue à l'article 13, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 2333/92, il importe
de se demander, à l'instar de la juridiction de renvoi, s'il suffit de constater qu'une
marque qui contient un mot figurant dans la désignation de l'un des produits
mentionnés dans cette disposition est, en elle-même, susceptible d'être confondue
avec cette dernière désignation, ou s'il convient également d'établir que l'utilisation
de cette marque risque, en fait, de provoquer, dans l'esprit des consommateurs
concernés, des conceptions erronées sur la composition de la cuvée susceptibles
d'influencer leur comportement économique.
- 29.
- A cet égard, il convient d'abord d'observer que l'utilisation de mentions relatives
à la qualité supérieure est expressément autorisée par l'article 6, paragraphe 8, du
règlement n° 2333/92 pour certains vins et, notamment, les «vins mousseux de
qualité».
- 30.
- De telles mentions, si elles sont susceptibles de créer des confusions dans l'esprit
des consommateurs, relèvent de l'interdiction spécifique établie par l'article 13,
paragraphe 2, du règlement n° 2333/92 lorsqu'elles constituent une marque
protégée, alors que, dans les autres cas, elles relèvent de l'interdiction générale
établie par les articles 4, paragraphe 1, et 13, paragraphe 1. Or, rien ne permet
d'affirmer que le législateur communautaire ait entendu fixer des critères
d'appréciation différents de la notion de confusion selon que la mention constitue
ou non une marque protégée, et ce d'autant plus que l'article 13, paragraphe 1, et
l'article 13, paragraphe 2, sous a), utilisent, selon les versions linguistiques, soit la
même expression «de nature à créer des confusions ou à induire en erreur», soit
des expressions substantiellement identiques.
- 31.
- Il est vrai que le législateur communautaire a visé, à l'article 13, paragraphe 2, du
règlement n° 2333/92, deux types distincts de risques de confusion découlant de
l'utilisation de marques destinées à compléter la désignation, la présentation ou la
publicité d'un vin mousseux. Mais cette distinction, permettant de mettre en
évidence, sous la lettre b), les risques spécifiques de confusion touchant aux
caractéristiques du vin de base utilisé pour l'élaboration de la cuvée, ainsi que le
cas particulier d'une marque qui serait identique à une désignation protégée, ne
corrobore pas pour autant l'interprétation selon laquelle le législateur
communautaire aurait attribué un sens différent aux expressions «de nature à créer
des confusions ou à induire en erreur» et «susceptibles d'être confondues»
contenues respectivement aux lettres a) et b) de l'article 13, paragraphe 2.
- 32.
- De plus, ainsi que le relèvent la Commission et le gouvernement allemand, en
autorisant l'utilisation des marques pour compléter la désignation, la présentation
et la publicité des vins mousseux, le législateur communautaire a nécessairement
voulu opérer une pondération des intérêts entre, d'une part, la protection des
consommateurs et, en particulier, le droit à ne pas être induit en erreur sur les
qualités intrinsèques d'un produit et, d'autre part, la protection des droits de
propriété intellectuelle et, en particulier, l'intérêt légitime des titulaires d'une
marque à la voir utilisée et exploitée dans le commerce. Il serait gravement porté
atteinte à cette pondération si un simple risque de confusion, relevé sans même
que ne soient prises en considération les conceptions ou habitudes des
consommateurs visés, suffisait à empêcher l'utilisation d'une dénomination protégée
en tant que marque.
- 33.
- Enfin, dans l'arrêt du 29 juin 1995, Langguth (C-456/93, Rec. p. I-1737), relatif à
l'article 40 du règlement n° 2392/89, dont le libellé est presque identique à celui de
l'article 13 du règlement n° 2333/92, la Cour a jugé, au point 28, que l'on ne saurait
considérer qu'une marque, du fait qu'elle est présentée de manière accrocheuse,
est de nature à créer des confusions ou à induire en erreur les personnes
auxquelles elle s'adresse, et ce même si elle contient un mot désigné par la
réglementation en cause comme une indication susceptible d'être utilisée dans la
dénomination d'un v.q.p.r.d. La Cour a ajouté, au point 29, que le libellé del'article 40 du règlement n° 2392/89 montre que le but de cette disposition est
principalement d'interdire l'utilisation mensongère des marques. Il ressort de cet
arrêt que, pour que l'utilisation d'une marque puisse être considérée comme de
nature à créer des confusions ou à induire en erreur les personnes auxquelles elle
s'adresse, il convient d'établir, au regard des conceptions ou habitudes des
consommateurs visés, l'existence d'un risque réel que leur comportement
économique soit affecté.
- 34.
- Contrairement à ce que soutient Verbraucherschutzverein, l'arrêt Weigand, précité,
ne contredit pas l'interprétation retenue, dès lors qu'il n'en ressort pas que le
risque de confusion, au sens des dispositions visées par cet arrêt, pourrait être
constaté sans se référer aux conceptions ou habitudes des consommateurs visés.
- 35.
- Par ailleurs, Verbraucherschutzverein ne saurait objecter que l'interprétation ainsi
retenue entraînerait un coût considérable en temps et en argent en ce qu'elle
exigerait, pour l'application de l'article 13, paragraphe 2, sous b), du règlement
n° 2333/92, le recours à un sondage auprès d'un échantillon représentatif de
consommateurs ou à une expertise, ce qui aboutirait, en pratique, à un déni de
protection juridique et viderait de son contenu l'interdiction prévue par la
disposition susvisée.
- 36.
- En effet, ainsi que la Cour l'a jugé à plusieurs reprises à propos de dispositions
analogues à celles contenues à l'article 13 du règlement n° 2333/92, destinées à
éviter toute tromperie du consommateur et figurant dans un certain nombre d'actes
de droit dérivé de portée générale ou sectorielle, il incombe à la juridiction
nationale d'apprécier le caractère éventuellement trompeur d'une dénomination,
d'une marque ou d'une indication publicitaire (voir, notamment, arrêts du 17 mars
1983, De Kikvorsch, 94/82, Rec. p. 947; du 26 novembre 1996, Graffione, C-313/94,
Rec. p. I-6039; du 16 janvier 1992, X, C-373/90, Rec. p. I-131, points 15 et 16, et
du 16 juillet 1998, Gut Springenheide et Tusky, C-210/96, non encore publié au
Recueil). Il lui incombe, en l'occurrence, de vérifier au vu des circonstances si,
compte tenu des consommateurs auxquels elle s'adresse, une marque ou ses
composantes sont susceptibles d'être confondues avec tout ou partie de la
désignation de certains vins. A cet effet, il ressort également de la jurisprudence de
la Cour que la juridiction nationale doit prendre en considération l'attente
présumée d'un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement
attentif et avisé (arrêt Gut Springenheide et Tusky, précité, points 31 et 32).
- 37.
- Ce n'est que s'il éprouvait des difficultés particulières pour évaluer le caractère
trompeur de la marque que, en l'absence de toute disposition communautaire en
la matière, il appartiendrait au juge national d'apprécier s'il convient, dans les
conditions prévues par son droit national, de décider des mesures d'instruction
telles qu'une expertise ou un sondage d'opinion destinées à éclairer son jugement
(voir arrêt Gut Springenheide et Tusky, précité, points 35 à 37) et, le cas échéant,
d'adopter des mesures provisoires.
- 38.
- Compte tenu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de
répondre à la première question que l'article 13, paragraphe 2, sous b), du
règlement n° 2333/92 doit être interprété en ce sens que, pour que l'interdiction
établie par cette disposition soit appliquée, il ne suffit pas de constater qu'une
marque qui contient un mot figurant dans la désignation de l'un des produits
mentionnés dans cette disposition est, en elle-même, susceptible d'être confondue
avec cette dernière désignation. Il s'impose, en outre, d'établir que l'utilisation de
la marque est en fait de nature à induire en erreur les consommateurs concernés
et, par conséquent, à affecter leur comportement économique. A cet égard, il
incombe au juge national de se référer à l'attente présumée relative à cette
indication d'un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement
attentif et avisé.
Sur la seconde question
- 39.
- Compte tenu de la réponse négative apportée à la première question, la seconde
question est sans objet.
Sur les dépens
- 40.
- Les frais exposés par les gouvernements allemand et français, ainsi que par la
Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet
d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le
caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre),
statuant sur les questions à elle soumises par le Bundesgerichtshof, par ordonnance
du 26 juin 1997, dit pour droit:
L'article 13, paragraphe 2, sous b), du règlement (CEE) n° 2333/92 du Conseil, du
13 juillet 1992, établissant les règles générales pour la désignation et la
présentation des vins mousseux et des vins mousseux gazéifiés, doit être interprété
en ce sens que, pour que l'interdiction établie par cette disposition soit appliquée,
il ne suffit pas de constater qu'une marque qui contient un mot figurant dans la
désignation de l'un des produits mentionnés dans cette disposition est, en elle-même, susceptible d'être confondue avec cette dernière désignation. Il s'impose, en
outre, d'établir que l'utilisation de la marque est en fait de nature à induire en
erreur les consommateurs concernés et, par conséquent, à affecter leur
comportement économique. A cet égard, il incombe au juge national de se référer
à l'attente présumée relative à cette indication d'un consommateur moyen,
normalement informé et raisonnablement attentif et avisé.
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Puissochet Moitinho de Almeida
Gulmann
Edward Wathelet
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Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 28 janvier 1999.
Le greffier
Le président de la cinquième chambre
R. Grass
J.-P. Puissochet