Language of document : ECLI:EU:C:2002:569

ORDONNANCE DE LA COUR (première chambre)

8 octobre 2002 (1)

«Renvoi préjudiciel - Irrecevabilité»

Dans l'affaire C-190/02,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Giudice di pace di Genova-Voltri (Italie) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Viacom Outdoor Srl

et

Giotto Immobilier SARL,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 2 CE, 3, paragraphe 1, sous a), b) et c), CE, 23 CE, 27, sous a), b) et d), CE, 31, paragraphes 1 et 3, CE, 49 CE, 50 CE, 81 CE, 82 CE, 86 CE et 87 CE,

LA COUR (première chambre),

composée de MM. M. Wathelet, président de chambre, P. Jann et A. Rosas (rapporteur), juges,

avocat général: M. S. Alber,

greffier: M. R. Grass,

l'avocat général entendu,

rend la présente

Ordonnance

1.
    Par ordonnance du 9 avril 2002, parvenue au greffe de la Cour le 22 mai suivant, le Giudice di pace di Genova-Voltri a posé, en application de l'article 234 CE, trois questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 2 CE, 3, paragraphe 1, sous a), b) et c), CE, 23 CE, 27, sous a), b) et d), CE, 31, paragraphes 1 et 3, CE, 49 CE, 50 CE, 81 CE, 82 CE, 86 CE et 87 CE.

2.
    Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige de nature contractuelle opposant Viacom Outdoor Srl (ci-après «Viacom»), établie à Milan (Italie), à Giotto Immobilier SARL (ci-après «Giotto»), établie à Menton (France).

Le litige au principal et les questions préjudicielles

3.
    Il ressort de l'ordonnance de renvoi que Viacom a assigné Giotto devant le Giudice di pace pour la voir condamner au paiement de la somme de 2 082 235 ITL, soit 1 075,38 euros, au titre de la fourniture de services publicitaires consistant dans la pose d'affiches sur le territoire de la commune de Gênes pour le compte de la défenderesse au principal, ainsi qu'à 1 000 000 ITL, soit 516,46 euros, à titre de dommages et intérêts.

4.
    Giotto conteste les prétentions de Viacom au motif que la somme qui lui est réclamée comprend la taxe communale sur la publicité représentant 439 385 ITL, soit 226,92 euros, ainsi que des droits et charges payés à la commune de Gênes s'élevant à 277 850 ITL, soit 117,67 euros.

5.
    Giotto a soutenu notamment que ces montants réclamés en sus du prix de la prestation n'avaient pas été explicitement décrits dans le contrat quant à leur nature et ne pouvaient pas être connus d'elle puisque ni la taxe sur la publicité ni les droits d'affichage et les autres charges en faveur des communes n'existent en France.

6.
    Giotto a prétendu, en outre, que les dispositions de droit italien qui régissent la matière, et notamment le décret législatif n° 507 du 15 novembre 1993, tel que modifié, les dispositions qui y sont liées ainsi que les règlements prévus par ledit décret législatif et adoptés par les communes italiennes, en particulier celle de Gênes où l'obligation litigieuse est née, ne sont pas compatibles avec certaines dispositions du traité CE.

7.
    Ainsi, selon Giotto, la législation italienne serait manifestement contraire aux articles 49 CE et 50 CE dans la mesure où elle imposerait des restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de la Communauté.

8.
    Le décret législatif n° 507/93, tel que modifié, et les règlements communaux adoptés en application de ses dispositions violeraient également les règles de concurrence visées aux articles 81 CE, 82 CE, 86 CE et 87 CE.

9.
    La notion d'entreprise publique, telle qu'elle ressort du droit communautaire, s'appliquerait à l'activité exercée par les communes pour le service d'affichage. La législation italienne violerait ainsi les articles 81 CE et 82 CE dans la mesure où elle fausserait le jeu normal de la concurrence en favorisant l'exploitation abusive de la position dominante qu'occuperaient les communes dans l'exercice de cette activité économique. Elle enfreindrait aussi l'article 86 CE en reconnaissant à ces dernières des droits spéciaux et exclusifs en violation des dispositions du traité.

10.
    Giotto a également soutenu que la loi italienne qui régit la taxe communale sur la publicité et sur l'affichage public viole l'article 87 CE étant donné que, par le biais de ladite taxe et des autres droits et charges en cause au principal, l'État italien financerait de façon détournée l'entreprise communale, quand bien même l'activité serait gérée directement par des services ad hoc.

11.
    Par ailleurs, le Giudice di pace s'interroge sur le point de savoir si les articles 2 CE, 3, paragraphe 1, sous a), b) et c), CE, 23 CE, 27, sous a), b) et d), CE, et 31, paragraphes 1 et 3, CE s'opposent à la législation italienne en cause au principal, qui soumet des marchandises à un prélèvement de nature fiscale, également pour la partie définie comme des droits, alors que ces marchandises sont prêtes, avec la publicité nécessaire, à être offertes à la vente sur le territoire italien, tandis que ce prélèvement ne frappe pas les marchandises italiennes mises sur le marché dans le reste du territoire de la Communauté.

12.
    C'est dans ces conditions que le Giudice di pace di Genova-Voltri a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)    Violation des articles 49 CE et 50 CE

    L'interprétation correcte des articles 49 CE et 50 CE s'oppose-t-elle à la loi de l'État italien qui institue, prévoit et régit la taxe sur la publicité et les droits d'affichage en en réservant la gestion exclusive aux communes italiennes, et la notion de prestation de services, telle que prévue dans l'article 50 CE, englobe-t-elle l'activité exercée par les services communaux ou par des organes préposés à la gestion de ce champ d'activité économique?

    L'inexistence dans les autres États membres de dispositions analogues à la législation italienne est-elle, à la lumière de l'interprétation desdits articles du traité, considérée comme une entrave à la liberté concrète et réelle de prestation des services à l'intérieur de la Communauté? Y a-t-il entrave à la libre prestation des services sur le territoire de la Communauté:

    a)    du fait de l'existence d'une taxe telle que celle en cause,

    b)    du fait qu'il est nécessaire d'obtenir des autorisations particulières soumises à l'aval de commissions où le droit de vote est exclusivement réservé aux membres employés de la commune et non aux catégories économiques invitées à désigner leurs propres représentants mais sans droit de vote,

    

    c)    du fait des restrictions et limitations des zones d'exercice de l'activité et du paiement de droits et redevances même quand l'affichage est réalisé dans des espaces appartenant à des particuliers?

2)    Violation des articles 81 CE, 82 CE, 86 CE et 87 CE

    Les articles précités doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils font obstacle à une législation qui, en prévoyant une taxe sur la publicité extérieure ou un droit sur les affichages publics en faveur des communes sur le territoire desquelles ces activités économiques se déroulent, et en réservant aux communes l'exercice exclusif de l'activité d'affichage de messages publicitaires, finit par financer de façon détournée l'entreprise de publicité communale? Il semble en effet résulter de la législation italienne en vigueur que les communes italiennes dans l'exercice de l'activité d'entreprise d'affichage occupent une position dominante sur le marché de l'activité publicitaire sur le territoire national en se soustrayant à la libre concurrence. En fait, en reconnaissant aux communes et aux entreprises publiques communales d'affichage des droits spéciaux et exclusifs de façon contraire aux dispositions communautaires, l'État italien pourrait violer l'article 86 CE. En outre, puisque le service en question ne constitue pas un service d'intérêt économique général, pas plus que la mission principale et d'intérêt collectif des fonctions confiées aux communes ne peut résider dans l'exercice d'une activité économique telle que l'affichage d'affiches publicitaires, s'agissant manifestement d'une activité d'entreprise, quelle est l'interprétation de l'article 87 CE, eu égard aux dérogations qu'il prévoit, et les conditions et circonstances, prévues par la législation italienne en question, peuvent-elles être considérées comme des dérogations admises par le traité, également à la lumière de l'arrêt de la Cour de justice du 20 mars 1985, [Italie/Commission,] 41/83 [Rec. p. 873], selon lequel: ‘L'application de l'article 90, paragraphe 2, du traité (devenu article 86, paragraphe 2, CE) n'est pas laissée à la discrétion de l'État membre qui a chargé une entreprise de la gestion d'un service d'intérêt économique général. L'article 90, paragraphe 3, (devenu article 86, paragraphe 3, CE) confie, en effet, à la Commission, sous le contrôle de la Cour, une mission de surveillance en la matière’?

3)    Violation de l'article 2 CE, de l'article 3, paragraphe 1, sous a), b) et c), CE, de l'article 23 CE, de l'article 27, sous a), b) et d), CE, et de l'article 31, paragraphes 1 et 3, CE

    Les articles en question peuvent-ils être interprétés en ce sens qu'ils font obstacle à une loi d'un État membre - en l'occurrence l'Italie - qui prévoit une taxe sur la publicité et le paiement de droits sur les affichages publics, y compris ladite taxe, en faveur des communes qui, de façon exclusive, procèdent à l'affichage?»

Appréciation de la Cour

13.
    Il importe de vérifier si l'ordonnance de renvoi contient les éléments nécessaires permettant à la Cour de parvenir à une interprétation du droit communautaire qui soit utile à la juridiction de renvoi, après avoir entendu les parties intéressées visées à l'article 20 du statut CE de la Cour de justice.

14.
    Il convient de rappeler à cet égard que les informations fournies dans les décisions de renvoi ne servent pas seulement à permettre à la Cour de donner des réponses utiles, mais également à donner aux gouvernements des États membres ainsi qu'aux autres parties intéressées la possibilité de présenter des observations conformément à l'article 20 du statut CE de la Cour de justice (ordonnance du 2 mars 1999, Colonia Versicherung e.a., C-422/98, Rec. p. I-1279, point 5). Il incombe à la Cour de veiller à ce que cette possibilité soit sauvegardée, compte tenu du fait que, en vertu de la disposition précitée, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux parties intéressées (arrêt du 1er avril 1982, Holdijk e.a., 141/81 à 143/81, Rec. p. 1299, point 6; ordonnance du 13 mars 1996, Banco de Fomento e Exterior, C-326/95, Rec. p. I-1385, point 7; arrêt du 13 avril 2000, Lehtonen et Castors Braine, C-176/96, Rec. p. I-2681, point 23, et ordonnance du 28 juin 2000, Laguillaumie, C-116/00, Rec. p. I-4979, point 14).

15.
    Il résulte d'une jurisprudence constante que la nécessité de parvenir à une interprétation du droit communautaire qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s'insèrent les questions qu'il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées (voir, notamment, arrêt du 26 janvier 1993, Telemarsicabruzzo e.a., C-320/90 à C-322/90, Rec. p. I-393, point 6; ordonnances du 19 mars 1993, Banchero, C-157/92, Rec. p. I-1085, point 4; du 30 avril 1998, Testa et Modesti, C-128/97 et C-137/97, Rec. p. I-2181, point 5; du 8 juillet 1998, Agostini, C-9/98, Rec. p. I-4261, point 4; Colonia Versicherung e.a., précitée, point 4; arrêt Lehtonen et Castors Braine, précité, point 22, et ordonnance Laguillaumie, précitée, point 15).

16.
    La Cour a également insisté sur l'importance de l'indication, par le juge national, des raisons précises qui l'ont conduit à s'interroger sur l'interprétation du droit communautaire et à estimer nécessaire de poser des questions préjudicielles à la Cour (ordonnances du 25 juin 1996, Italia Testa, C-101/96, Rec. p. I-3081, point 6; Testa et Modesti, précitée, point 15, et Agostini, précitée, point 6). Ainsi, la Cour a jugé qu'il est indispensable que le juge national donne un minimum d'explications sur les raisons du choix des dispositions communautaires dont il demande l'interprétation et sur le lien qu'il établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige (ordonnance du 7 avril 1995, Grau Gomis e.a., C-167/94, Rec. p. I-1023, point 9).

17.
    Force est cependant de constater que l'ordonnance de renvoi ne contient pas d'indications suffisantes de nature à répondre à ces exigences.

18.
    Notamment, les éléments contestés comme pouvant être constitutifs de droits de douane ou de taxes d'effet équivalent au sens de l'article 23 CE, d'entraves au sens de l'article 49 CE, d'abus de position dominante au sens des articles 82 CE et 86 CE ou d'aides d'État au sens de l'article 87 CE sont qualifiés par la juridiction de renvoi de «taxe communale sur la publicité» et de «droits et charges» payés à la commune de Gênes. Toutefois, aucune indication n'est donnée sur les conditions de paiement de ladite taxe et desdits droits et charges.

19.
    Ainsi, l'absence de précision quant au fait générateur de la taxe ne permet pas de vérifier si elle serait perçue en raison du franchissement, par une marchandise, d'une frontière entre États membres, condition d'application de l'article 23 CE, ou si elle serait de nature à prohiber ou à gêner davantage les activités d'un prestataire ou d'un destinataire établi dans un autre État membre que l'Italie (voir, s'agissant d'une discrimination à l'encontre d'un prestataire de services, arrêt du 29 novembre 2001, De Coster, C-17/00, Rec. p. I-9445, point 35).

20.
    De même, l'absence d'indications quant au débiteur de ces sommes ne permet pas de déterminer quel est l'opérateur économique dont la prestation de services ou l'accès à une telle prestation pourraient être entravés. L'absence de description du contexte général de la législation mise en cause ne permet pas non plus de formuler des observations utiles sur l'existence d'une éventuelle raison impérieuse d'intérêt général, par exemple de nature financière, urbanistique ou autre, susceptible de justifier la prétendue entrave.

21.
    S'agissant de l'application des règles de concurrence, l'absence d'indications relatives à l'entité chargée par la loi de gérer l'affichage dans les communes, à sa structure et à son financement, ne permet notamment pas de vérifier, premièrement, s'il s'agit d'une «entreprise» au sens des dispositions communautaires applicables en matière de concurrence, deuxièmement, si, ainsi que l'affirme la juridiction de renvoi, cette entité ne constitue pas un «service d'intérêt économique général» au sens de l'article 86 CE, troisièmement, si les tarifs pratiqués peuvent constituer un abus de position dominante au sens de l'article 81 CE (voir, à cet égard, arrêt du 10 décembre 1991, Merci convenzionali porto di Genova, C-179/90, Rec. p. I-5889, points 16 à 20) et enfin, quatrièmement, si son financement est contraire aux règles communautaires applicables en matière d'aides étatiques (voir, à cet égard, arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra, C-379/98, Rec. p. I-2099, points 58 à 62).

22.
    En l'absence d'indications suffisantes, il n'est pas possible de délimiter le problème concret d'interprétation qui pourrait être soulevé par rapport à chacune des dispositions du droit communautaire dont la juridiction de renvoi demande l'interprétation. Or, l'exigence de précision quant au contexte factuel et réglementaire vaut tout particulièrement dans le domaine de la concurrence, qui est caractérisé par des situations de fait et de droit complexes (ordonnance Banchero, précitée, point 5; arrêt Lehtonen et Castors Braine, précité, point 22, et ordonnance Laguillaumie, précitée, point 19).

23.
    Certes, la juridiction de renvoi annexe à son ordonnance divers documents de procédure, et notamment de nombreux textes législatifs et réglementaires relatifs à la matière de l'affichage.

24.
    Il convient cependant de rappeler que c'est au juge national qu'il incombe d'expliciter, dans la décision de renvoi même, le cadre factuel et réglementaire du litige au principal, les raisons qui l'ont conduit à s'interroger sur l'interprétation de certaines dispositions communautaires en particulier ainsi que le lien qu'il établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable audit litige (ordonnance Laguillaumie, précitée, point 23).

25.
    C'est la décision de renvoi qui sert de fondement à la procédure qui se déroule devant la Cour. Ainsi qu'il a été rappelé au point 14 de la présente ordonnance, ce n'est d'ailleurs que cette seule décision qui est notifiée aux parties intéressées, notamment aux États membres, accompagnée d'une traduction dans la langue officielle de chaque État, conformément à l'article 20 du statut CE de la Cour de justice (ordonnance Laguillaumie, précitée, point 24).

26.
    Dans ces conditions, il convient de constater, en application des articles 92 et 103, paragraphe 1, du règlement de procédure, que les questions posées à la Cour sont manifestement irrecevables.

Sur les dépens

27.
    La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (première chambre)

ordonne:

La demande de décision préjudicielle formulée par le Giudice di pace di Genova-Voltri, par ordonnance du 9 avril 2002, est irrecevable.

Fait à Luxembourg, le 8 octobre 2002.

Le greffier

Le président de la première chambre

R. Grass

M. Wathelet


1: Langue de procédure: l'italien.