Language of document : ECLI:EU:C:2010:452

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

29 juillet 2010 (*)

«Transfert d’entreprises – Directive 2001/23/CE – Maintien des droits des travailleurs – Représentants des travailleurs – Autonomie de l’entité transférée»

Dans l’affaire C‑151/09,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Juzgado de lo Social Único de Algeciras (Espagne), par décision du 26 mars 2009, parvenue à la Cour le 28 avril 2009, dans la procédure

Federación de Servicios Públicos de la UGT(UGT-FSP)

contre

Ayuntamiento de La Línea de la Concepción,

María del Rosario Vecino Uribe,

Ministerio Fiscal,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. G. Arestis, J. Malenovský (rapporteur) et D. Šváby, juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour le Ministerio Fiscal, par M. J. L. M. Retamino, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement espagnol, par Mme B. Plaza Cruz, en qualité d’agent,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par MM. J. Enegren et R. Vidal Puig, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 mai 2010,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2001/23/CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements (JO L 82, p. 16).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Federación de Servicios Públicos de la UGT (UGT-FSP) à l’Ayuntamiento de La Línea de la Concepción (ci-après l’«Ayuntamiento de La Línea»), Mme del Rosario Vecino Uribe et dix-neuf autres défendeurs ainsi que le Ministerio Fiscal au sujet du refus de l’Ayuntamiento de La Línea de reconnaître la qualité de représentants légaux des travailleurs aux personnes élues pour assumer cette fonction dans diverses entreprises en charge de concessions de services publics transférées à cette municipalité.

 Le cadre juridique

 La réglementation de l’Union

3        La directive 2001/23 a procédé à la codification de la directive 77/187/CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements (JO L 61, p. 26), telle que modifiée par la directive 98/50/CE du Conseil, du 29 juin 1998 (JO L 201, p. 88).

4        Le troisième considérant de la directive 2001/23 énonce que «[d]es dispositions sont nécessaires pour protéger les travailleurs en cas de changement de chef d’entreprise en particulier pour assurer le maintien de leurs droits».

5        L’article 1er, paragraphe 1, de cette directive dispose:

«a)      La présente directive est applicable à tout transfert d’entreprise, d’établissement ou de partie d’entreprise ou d’établissement à un autre employeur résultant d’une cession conventionnelle ou d’une fusion.

b)      Sous réserve du point a) et des dispositions suivantes du présent article, est considéré comme transfert, au sens de la présente directive, celui d’une entité économique maintenant son identité, entendue comme un ensemble organisé de moyens, en vue de la poursuite d’une activité économique, que celle-ci soit essentielle ou accessoire.

c)      La présente directive est applicable aux entreprises publiques et privées exerçant une activité économique, qu’elles poursuivent ou non un but lucratif. Une réorganisation administrative d’autorités administratives publiques ou le transfert de fonctions administratives entre autorités administratives publiques ne constitue pas un transfert au sens de la présente directive.»

6        L’article 2, paragraphe 1, de ladite directive prévoit:

«Aux fins de la présente directive, on entend par:

[…]

c)      ‘représentants des travailleurs’ et expressions connexes: les représentants des travailleurs prévus par la législation ou la pratique des États membres;

[…]»

7        Selon l’article 6 de la même directive:

«1.      Si l’entreprise, l’établissement ou la partie d’entreprise ou d’établissement conserve son autonomie, le statut et la fonction des représentants ou de la représentation des travailleurs concernés par le transfert subsistent, selon les mêmes modalités et suivant les mêmes conditions qu’avant la date du transfert en vertu d’une disposition législative, réglementaire, administrative ou d’un accord, sous réserve que les conditions nécessaires pour la formation de la représentation des travailleurs soient réunies.

Le premier alinéa ne s’applique pas si, selon les dispositions législatives, réglementaires et administratives ou la pratique des États membres, ou aux termes d’un accord avec les représentants des travailleurs, les conditions nécessaires à la nouvelle désignation des représentants des travailleurs ou à la nouvelle formation de la représentation des travailleurs sont réunies.

Lorsque le cédant fait l’objet d’une procédure de faillite ou d’une procédure d’insolvabilité analogue ouverte en vue de la liquidation des biens du cédant et se trouvant sous le contrôle d’une autorité publique compétente (qui peut être un syndic autorisé par une autorité compétente), les États membres peuvent prendre les mesures nécessaires pour assurer que les travailleurs transférés sont convenablement représentés jusqu’à la nouvelle élection ou désignation des représentants des travailleurs.

Si l’entreprise, l’établissement ou la partie d’entreprise ou d’établissement ne conserve pas son autonomie, les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les travailleurs transférés qui étaient représentés avant le transfert continuent à être convenablement représentés durant la période nécessaire à une nouvelle formation ou désignation de la représentation des travailleurs, conformément à la législation ou pratique nationale.

2.      Si le mandat des représentants des travailleurs concernés par le transfert expire en raison du transfert, les représentants continuent à bénéficier des mesures de protection prévues par les dispositions législatives, réglementaires et administratives ou la pratique des États membres.»

 La réglementation nationale

8        La directive 2001/23 a été transposée en droit espagnol par le décret royal législatif n° 1/1995, du 24 mars 1995, portant approbation du texte refondu de la loi portant statut des travailleurs (BOE n° 75, du 29 mars 1995, p. 9654), dans sa version résultant de la loi 12/2001, du 9 juillet 2001 (BOE n° 164, du 10 juillet 2001, p. 24890, ci-après le «statut des travailleurs»).

9        En vertu de l’article 44 du statut des travailleurs:

«1.      Le transfert d’une entreprise, d’un centre de travail ou d’une unité de production autonome de cette entreprise ne met pas fin, par lui-même, à la relation d’emploi; le nouvel employeur est subrogé dans les droits et obligations de l’employeur précédent au titre du contrat de travail et en matière de sécurité sociale, y compris dans les engagements liés aux pensions, dans les conditions prévues par la réglementation spécifique applicable et, de manière générale, dans toutes les obligations en matière de protection sociale complémentaire que le cédant aurait souscrites.

[…]

5.      Lorsque l’entreprise, le centre de travail ou l’unité de production faisant l’objet du transfert conserve son autonomie, le changement d’employeur ne met pas fin par lui-même au mandat des représentants légaux des travailleurs, lesquels continuent à exercer leurs fonctions dans les mêmes conditions qu’auparavant.»

10      L’article 67, paragraphe 1, in fine, du statut des travailleurs prévoit la possibilité d’organiser des élections partielles dans une entreprise, pour répondre à une augmentation du personnel, dans les termes suivants:

«Des élections partielles peuvent être organisées à la suite de démissions, de révocations ou pour procéder à un ajustement de la représentation des salariés après une augmentation de personnel. Les conventions collectives prévoient les mesures nécessaires pour adapter la représentation des salariés aux réductions significatives de personnel susceptibles de survenir dans une entreprise. À défaut, cette adaptation fera l’objet d’un accord entre l’entreprise et les représentants des salariés.»

11      Selon l’article 67, paragraphe 3, du statut des travailleurs:

«La durée du mandat des délégués du personnel et des membres du comité d’entreprise est fixée à quatre ans, étant entendu qu’ils conservent leurs fonctions, dans l’exercice de leurs compétences et des garanties qui y sont attachées, jusqu’à la convocation et l’organisation de nouvelles élections.

Les délégués du personnel et les membres du comité d’entreprise peuvent être révoqués uniquement sur décision des salariés qui les ont élus, adoptée au cours d’une assemblée convoquée à cette fin et réunissant au minimum un tiers des électeurs, à la majorité absolue de celle-ci et au suffrage universel individuel, libre, direct et secret. Néanmoins, aucune révocation ne peut intervenir au cours de la négociation d’une nouvelle convention collective ni être envisagée avant un délai d’au moins six mois.»

 Le litige au principal et la question préjudicielle

12      Le 25 août 2008, le maire de l’Ayuntamiento de La Línea a pris un arrêté par lequel il a décidé le rachat d’une série de concessions de services publics dont la prestation était jusqu’alors confiée à quatre entreprises concessionnaires privées. Les services qui faisaient l’objet des concessions qui ont été rachetées concernaient la conciergerie et le nettoyage des établissements scolaires publics, le nettoyage de la voirie et l’entretien des parcs et des jardins.

13      Il ressort de la décision de renvoi que, après le rachat des diverses concessions de services publics par l’Ayuntamiento de La Línea, les salariés qui faisaient partie du personnel des entreprises jusqu’alors concessionnaires ont été repris par l’administration municipale et intégrés à son personnel, mais ce sont, sans exception, ces mêmes salariés qui continuent d’occuper les mêmes postes de travail et d’exercer les mêmes fonctions que préalablement audit rachat, dans les mêmes centres de travail et sous les ordres des mêmes responsables directs, sans modification substantielle de leurs conditions de travail, la seule différence étant que leurs supérieurs hiérarchiques les plus élevés, situés au-dessus de ces responsables, sont désormais les élus compétents, à savoir les conseillers municipaux ou le maire.

14      Les représentants légaux des salariés de chacune de ces entreprises concessionnaires ont, à la suite du rachat des concessions, introduit des demandes auprès de l’Ayuntamiento de La Línea en vue de bénéficier d’heures de délégation. Ces demandes ont été rejetées par décision du 10 septembre 2008, au motif que les salariés concernés n’assumaient plus, du fait de leur intégration au personnel municipal, leurs fonctions de représentants légaux.

15      Dans ce contexte, le 28 octobre 2008, après avoir pris connaissance de cette décision, la requérante au principal, à savoir l’UGT-FSP, a sollicité des éclaircissements auprès de l’Ayuntamiento de La Línea, puis a saisi, le 13 novembre 2008, le Juzgado de lo Social Único de Algeciras d’un recours contre ladite décision.

16      Par décision du 26 mars 2009, le Juzgado de lo Social Único de Algeciras a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«La condition relative au maintien de l’autonomie, à laquelle se réfère l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2001/23 […] est-elle remplie dans une situation de fait (telle que celle de l’espèce) dans laquelle, après le rachat de diverses concessions de services publics par une commune, les salariés qui faisaient partie du personnel des entreprises jusqu’alors concessionnaires sont repris par l’administration municipale et intégrés à son personnel, lorsque ce sont ces mêmes salariés (sans exception) qui continuent d’occuper les mêmes postes de travail et d’exercer les mêmes fonctions que préalablement audit rachat, dans les mêmes centres de travail et sous les ordres des mêmes responsables directs (supérieurs hiérarchiques), sans modification substantielle de leurs conditions de travail, la seule différence étant que leurs supérieurs hiérarchiques les plus élevés (situés au-dessus des responsables susmentionnés) sont désormais les élus compétents (conseillers municipaux ou maire)?»

 Sur la question préjudicielle

17      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si une entité économique transférée conserve son autonomie, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2001/23, dès lors que les salariés qui faisaient partie de son personnel sont repris par une commune et intégrés au personnel de cette dernière, et que ce sont les mêmes salariés qui continuent d’occuper les mêmes postes de travail et d’exercer les mêmes fonctions que préalablement au transfert, dans les mêmes centres de travail et sous les ordres des mêmes supérieurs hiérarchiques, sans modification substantielle de leurs conditions de travail, la seule différence étant que des élus deviennent les supérieurs hiérarchiques les plus élevés de l’entité transférée.

18      Le gouvernement espagnol considère que les conditions d’un transfert au sens de la directive 2001/23 ne sont pas remplies dans l’affaire au principal. En effet, il fait valoir qu’il n’y a pas de transfert d’éléments matériels significatifs entre les entreprises concessionnaires et l’Ayuntamiento de La Línea, dans la mesure où les établissements scolaires publics, les rues ainsi que les parcs et les jardins municipaux appartenaient déjà à l’Ayuntamiento de La Línea. Seul l’ensemble du personnel employé par les entreprises concessionnaires aurait été repris. Or, il ne serait pas possible d’ignorer, même si la main-d’œuvre en constitue un facteur important, l’élément matériel sur lequel reposent les services de conciergerie, de nettoyage et d’entretien confiés auxdites entreprises concessionnaires.

19      Afin de répondre à cette question, il convient donc, à titre liminaire, de déterminer si un transfert tel que celui de l’affaire au principal relève de l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive 2001/23. En effet, ce n’est que si cette dernière question appelle une réponse affirmative que se pose celle de l’autonomie au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2001/23.

 Sur l’existence d’un transfert au sens de l’article 1er de la directive 2001/23

20      Il résulte de la décision de renvoi que, dans l’affaire au principal, est en cause la reprise par une commune, personne morale de droit public, d’une série de concessions de services publics dont la prestation était jusqu’alors confiée à diverses entreprises concessionnaires privées. L’acte par lequel s’est effectuée cette reprise est un arrêté municipal.

21      Aux termes de son article 1er, paragraphe 1, la directive 2001/23 est applicable à tout transfert d’entreprise, d’établissement ou de partie d’entreprise ou d’établissement à un autre employeur résultant d’une cession conventionnelle ou d’une fusion.

22      Selon une jurisprudence constante, la directive 2001/23 vise à assurer la continuité des relations de travail existant dans le cadre d’une entité économique, indépendamment d’un changement de propriétaire. Le critère décisif pour établir l’existence d’un transfert au sens de cette directive est donc de savoir si l’entité en question garde son identité, ce qui résulte notamment de la poursuite effective de l’exploitation ou de sa reprise (voir, notamment, arrêts du 18 mars 1986, Spijkers, 24/85, Rec. p. 1119, points 11 et 12, ainsi que du 15 décembre 2005, Güney‑Görres et Demir, C-232/04 et C-233/04, Rec. p. I-11237, point 31 et jurisprudence citée).

23      La Cour a jugé, sous l’empire de la directive 77/187, telle que modifiée par la directive 98/50, que le simple fait que le cessionnaire soit une personne morale de droit public, en l’occurrence une commune, ne permet pas d’exclure l’existence d’un transfert relevant du champ d’application de ladite directive (arrêt du 26 septembre 2000, Mayeur, C-175/99, Rec. p. I-7755, point 33). Une telle conclusion s’impose également sous l’empire de la directive 2001/23.

24      La circonstance que la décision par laquelle s’est effectuée la reprise des concessions de services publics soit un arrêté, à savoir une décision prise de manière unilatérale par l’Ayuntamiento de La Línea, ne fait pas obstacle à la constatation d’un transfert, au sens de la directive 2001/23, entre les entreprises concessionnaires privées et l’Ayuntamiento de La Línea.

25      En effet, la Cour a précédemment jugé que le fait que le transfert résulte de décisions unilatérales des pouvoirs publics et non d’un concours de volontés n’exclut pas l’application de ladite directive (voir arrêts du 19 mai 1992, Redmond Stichting, C-29/91, Rec. p. I-3189, points 15 à 17, ainsi que du 14 septembre 2000, Collino et Chiappero, C-343/98, Rec. p. I-6659, point 34).

26      Pour que la directive 2001/23 soit applicable, le transfert doit porter sur une entité économique organisée de manière stable, dont l’activité ne se borne pas à l’exécution d’un ouvrage déterminé (voir, notamment, arrêt du 19 septembre 1995, Rygaard, C-48/94, Rec. p. I-2745, point 20). La notion d’entité renvoie ainsi à un ensemble organisé de personnes et d’éléments permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre (voir, notamment, arrêts du 11 mars 1997, Süzen, C‑13/95, Rec. p. I-1259, point 13; du 20 novembre 2003, Abler e.a., C‑340/01, Rec. p. I-14023, point 30, ainsi que Güney-Görres et Demir, précité, point 32).

27      Pour déterminer si les conditions d’un transfert d’une entité économique organisée de manière stable sont remplies, il y a lieu de prendre en considération l’ensemble des circonstances de fait qui caractérisent l’opération en cause, au nombre desquelles figurent notamment le type d’entreprise ou d’établissement dont il s’agit, le transfert ou non d’éléments corporels, tels que les bâtiments et les biens mobiliers, la valeur des éléments incorporels au moment du transfert, la reprise ou non de l’essentiel des effectifs par le nouveau chef d’entreprise, le transfert ou non de la clientèle, ainsi que le degré de similarité des activités exercées avant et après le transfert et la durée d’une éventuelle suspension de ces activités. Ces éléments ne constituent toutefois que des aspects partiels de l’évaluation d’ensemble qui s’impose et ne sauraient, de ce fait, être appréciés isolément (voir, notamment, arrêts précités Spijkers, point 13; Redmond Stichting, point 24; Süzen, point 14; Abler e.a., points 33 et 34, ainsi que Güney-Görres et Demir, points 33 et 34).

28      Par ailleurs, la Cour a relevé qu’une entité économique peut, dans certains secteurs, fonctionner sans éléments d’actifs, corporels ou incorporels, significatifs, de sorte que le maintien de l’identité d’une telle entité par-delà l’opération dont elle est l’objet ne saurait, par hypothèse, dépendre de la cession de tels éléments (voir arrêts Süzen, précité, point 18; du 10 décembre 1998, Hernández Vidal e.a., C‑127/96, C-229/96 et C-74/97, Rec. p. I-8179, point 31, ainsi que Hidalgo e.a., C-173/96 et C-247/96, Rec. p. I-8237, point 31).

29      La Cour a ainsi jugé que, dans la mesure où, dans certains secteurs dans lesquels l’activité repose essentiellement sur la main-d’œuvre, une collectivité de travailleurs que réunit durablement une activité commune peut correspondre à une entité économique, une telle entité est susceptible de maintenir son identité par-delà son transfert quand le nouveau chef d’entreprise ne se contente pas de poursuivre l’activité en cause, mais reprend également une partie essentielle, en termes de nombre et de compétence, des effectifs que son prédécesseur affectait spécialement à cette tâche. Dans cette hypothèse, le nouveau chef d’entreprise acquiert en effet l’ensemble organisé d’éléments qui lui permettra la poursuite des activités ou de certaines activités de l’entreprise cédante de manière stable (arrêts précités Süzen, point 21; Hernández Vidal e.a., point 32, ainsi que Hidalgo e.a., point 32).

30      Plus particulièrement, la Cour a jugé, concernant une entreprise de nettoyage, qu’un ensemble organisé de salariés qui sont spécialement et durablement affectés à une tâche commune peut, en l’absence d’autres facteurs de production, correspondre à une entité économique (arrêt Hernández Vidal e.a., précité, point 27).

31      Ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 39 de ses conclusions, la circonstance que, dans l’affaire au principal, les éléments faisant l’objet des services fournis par les entreprises concessionnaires privées, tels que les bâtiments scolaires, les rues, les parcs et les jardins publics, n’aient pas été transférés s’avère dénuée de toute pertinence. En effet, les actifs matériels qui devraient, le cas échéant, être pris en compte sont les installations, les machines et/ou les équipements qui sont effectivement utilisés pour fournir les services de conciergerie, de nettoyage et d’entretien.

32      Il appartient à la juridiction de renvoi d’établir, à la lumière de l’ensemble des éléments d’interprétation qui précèdent, si un transfert, au sens de la directive 2001/23, a eu lieu dans l’affaire au principal.

 Sur la notion d’«autonomie» au sens de l’article 6 de la directive 2001/23

33      Le gouvernement espagnol soutient que la notion d’«autonomie», figurant à l’article 6 de la directive 2001/23, doit être interprétée comme équivalente à la notion d’«identité» figurant à l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de cette directive. Toutefois, une telle interprétation ne saurait prospérer.

34      En effet, ainsi qu’il découle de l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive 2001/23, la question relative au maintien de l’identité s’apprécie au moment de l’opération de cession conventionnelle ou de fusion de l’entité économique concernée. Ce n’est que si l’identité de cette entité est maintenue qu’une telle opération peut être qualifiée de «transfert» au sens de cette directive.

35      En revanche, la question relative au maintien de l’autonomie ne s’apprécie qu’à partir du moment où l’existence du transfert, au sens de la directive 2001/23, a déjà été constatée. En effet, cette directive a vocation à s’appliquer à tout transfert répondant aux conditions énoncées à son article 1er, paragraphe 1, que l’entité économique transférée conserve ou non son autonomie dans la structure du cessionnaire (voir arrêt du 12 février 2009, Klarenberg, C‑466/07, Rec. p. I‑803, point 50).

36      Si les notions d’identité et d’autonomie étaient équivalentes, la partie introductive de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2001/23 qui pose la condition relative à la conservation de son autonomie par l’entreprise, l’établissement ou la partie d’entreprise ou d’établissement en cause serait privée d’effet utile, dès lors que l’article 6, paragraphe 1, de cette directive serait automatiquement applicable en cas de conservation de l’identité de l’entité commerciale, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de ladite directive. Partant, ces notions ne sont pas équivalentes et la question de savoir si une entreprise a conservé son autonomie, aux fins de l’article 6 de la directive 2001/23, ne doit être envisagée qu’une fois qu’il a été établi qu’un transfert a bien eu lieu au sens de cette directive.

37      Concernant la notion d’autonomie, il y a lieu de constater que ledit article 6 ne comporte aucune définition de celle-ci. Ladite notion n’est pas davantage définie dans les autres articles de ladite directive.

38      Or, selon une jurisprudence constante, il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union européenne, une interprétation autonome et uniforme (voir, en ce sens, en dernier lieu, arrêt du 3 décembre 2009, Yaesu Europe, C‑433/08, non encore publié au Recueil, point 18 et jurisprudence citée).

39      En outre, selon une jurisprudence également constante, la détermination de la signification et de la portée des termes pour lesquels le droit de l’Union ne fournit aucune définition doit être établie conformément au sens habituel en langage courant de ceux-ci, tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie (voir en ce sens, notamment, arrêts du 10 mars 2005, easyCar, C-336/03, Rec. p. I-1947, point 21; du 22 décembre 2008, Wallentin-Hermann, C-549/07, Rec. p. I-11061, point 17, et du 5 mars 2009, Commission/France, C‑556/07, point 50).

40      Il convient de rappeler, tout d’abord, que la directive 2001/23 tend à assurer le maintien des droits des travailleurs en cas de changement de chef d’entreprise en leur permettant de rester au service du nouvel employeur dans les mêmes conditions que celles convenues avec le cédant (voir, notamment, arrêts du 10 février 1988, Foreningen af Arbejdsledere i Danmark, 324/86, Rec. p. 739, point 9; du 9 mars 2006, Werhof, C-499/04, Rec. p. I-2397, point 25, et du 27 novembre 2008, Juuri, C‑396/07, Rec. p. I‑8883, point 28). Le droit des travailleurs d’être représentés n’y fait pas exception. Il s’ensuit que, en règle générale, cette représentation ne doit pas être affectée par le transfert.

41      En effet, l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2001/23, contenant la règle générale relative à la représentation des travailleurs, dispose que, si l’entreprise, l’établissement ou la partie d’entreprise ou d’établissement conserve son autonomie, le statut et la fonction des représentants ou de la représentation des travailleurs concernés par le transfert subsistent, selon les mêmes modalités et suivant les mêmes conditions qu’avant la date du transfert.

42      Ensuite, il y a lieu de relever que, selon le sens habituel en langage courant, le terme «autonomie» désigne le droit de se gouverner par ses propres lois.

43      Appliqué à une entité économique, ce terme signifie les pouvoirs, accordés aux responsables de cette entité, d’organiser, de manière relativement libre et indépendante, le travail au sein de ladite entité dans la poursuite de l’activité économique qui lui est propre et, plus particulièrement, les pouvoirs de donner des ordres et des instructions, de distribuer des tâches aux travailleurs subordonnés relevant de l’entité en cause ainsi que de décider de l’emploi des moyens matériels mis à sa disposition, ceci sans intervention directe de la part d’autres structures d’organisation de l’employeur (ci-après les «pouvoirs organisationnels»).

44      Dès lors, l’autonomie est en principe maintenue, au sens de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2001/23, lorsque, postérieurement au transfert, les pouvoirs organisationnels des responsables de l’entité transférée demeurent, au sein des structures d’organisation du cessionnaire, en substance, inchangés par rapport à la situation telle qu’elle existait avant le transfert.

45      Ainsi, dans ce cas de figure, le droit des travailleurs d’être représentés doit, en principe, s’exercer selon les mêmes modalités et suivant les mêmes conditions qu’avant le transfert.

46      En revanche, dans une situation dans laquelle les travailleurs relèvent, à la suite du transfert, de responsables dont les pouvoirs organisationnels ont été réduits et ne peuvent plus être qualifiés d’autonomes, les intérêts de ces travailleurs ne sont dès lors plus les mêmes et, par conséquent, les modalités et les conditions de leur représentation doivent s’adapter aux changements survenus. C’est pourquoi, ainsi qu’il ressort de l’article 6, paragraphe 1, quatrième alinéa, de la directive 2001/23, le mandat des représentants des travailleurs concernés par le transfert doit, dans un tel cas de figure, être limité à la seule période nécessaire à une nouvelle formation ou désignation de la représentation des travailleurs.

47      S’agissant de l’hypothèse d’une éventuelle redistribution de certains pouvoirs organisationnels à l’intérieur de l’entité transférée, celle-ci n’est pas, en principe, susceptible de porter atteinte à son autonomie. Ce qui importe, c’est que l’ensemble des responsables de l’entité transférée puisse exercer les pouvoirs organisationnels dont il disposait déjà, antérieurement au transfert, par rapport à d’autres structures d’organisation du nouvel employeur.

48      Par ailleurs, le simple changement des supérieurs hiérarchiques les plus élevés, comme dans l’affaire au principal, ne saurait être en soi préjudiciable à l’autonomie de l’entité transférée.

49      Seuls des pouvoirs permettant à ces supérieurs hiérarchiques d’organiser directement l’activité des travailleurs de cette entité et de se substituer dans la prise de décision à l’intérieur de cette dernière seraient susceptibles de porter atteinte à l’autonomie de ladite entité. Il est cependant entendu qu’une telle substitution dans la prise de décision à l’intérieur de l’entité transférée ne saurait être considérée comme préjudiciable à son autonomie si elle intervient, par exception, dans des circonstances d’urgence telles qu’un incident grave préjudiciable au fonctionnement de cette entité, à titre temporaire et en vertu des règles fixées à cette fin.

50      Par ailleurs, le simple pouvoir de contrôle de la part des supérieurs hiérarchiques les plus élevés n’affecte pas, en règle générale, l’autonomie de l’entité transférée, à moins qu’il ne comprenne également des pouvoirs tels que spécifiés au point précédent.

51      Une telle interprétation de la notion d’autonomie permet, au demeurant, de préserver l’effet utile de l’article 6 de la directive 2001/23, étant donné que, dans la pratique, le transfert d’une entreprise, d’un établissement ou d’une partie d’entreprise ou d’établissement s’accompagne presque toujours du remplacement des supérieurs hiérarchiques les plus élevés.

52      Cette interprétation ne saurait être remise en cause par les arguments du gouvernement espagnol selon lesquels une telle interprétation, impliquant la continuation, dans l’affaire au principal, de la représentation existante des travailleurs, d’une part, générerait une forme de «double représentation» au sein du personnel du nouvel employeur et, d’autre part, reviendrait à négliger le préjudice économique qui serait causé au nouvel employeur du fait de son obligation d’accorder, aux représentants des travailleurs transférés, des «heures de délégation». En effet, ces arguments tendent simplement à remettre en cause les conséquences légales du choix opéré par le législateur de l’Union en introduisant l’article 6 de la directive 2001/23.

53      De même, doit être rejeté l’argument du gouvernement espagnol tiré d’une discrimination et d’une violation du principe d’égalité de traitement à l’égard des représentants du personnel et des délégués syndicaux des effectifs existants du nouvel employeur.

54      À cet égard, ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 88 de ses conclusions, à supposer même que les travailleurs transférés et ceux employés par le nouvel employeur se trouvent dans des situations comparables, la différence de traitement qui découlerait d’un possible déséquilibre au sein de l’organisation du nouvel employeur, au détriment des délégués syndicaux qui y sont déjà représentés et des représentants du personnel concernés, dont le nombre reste inchangé, serait justifiée à la lumière de l’objectif de la directive 2001/23, qui est d’assurer, dans toute la mesure du possible et en pratique, que les nouveaux travailleurs ne soient pas désavantagés du fait du transfert par rapport à la situation antérieure à celui-ci.

55      Enfin, concernant l’argument tiré d’une atteinte à la liberté syndicale des effectifs existants, il suffit de constater que le gouvernement espagnol ne démontre pas en quoi, dans les circonstances de l’affaire au principal, l’exercice de cette liberté fondamentale est affecté par le maintien des représentants des travailleurs de l’entité transférée.

56      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée qu’une entité économique transférée conserve son autonomie, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2001/23, dès lors que les pouvoirs accordés aux responsables de cette entité, au sein des structures d’organisation du cédant, à savoir le pouvoir d’organiser, de manière relativement libre et indépendante, le travail au sein de ladite entité dans la poursuite de l’activité économique qui lui est propre et, plus particulièrement, les pouvoirs de donner des ordres et des instructions, de distribuer des tâches aux travailleurs subordonnés relevant de l’entité en cause ainsi que de décider de l’emploi des moyens matériels mis à sa disposition, ceci sans intervention directe de la part d’autres structures d’organisation de l’employeur, demeurent, au sein des structures d’organisation du cessionnaire, en substance, inchangés. Le simple changement des supérieurs hiérarchiques les plus élevés ne saurait être en soi préjudiciable à l’autonomie de l’entité transférée, à moins que les nouveaux supérieurs hiérarchiques les plus élevés ne disposent de pouvoirs leur permettant d’organiser directement l’activité des travailleurs de cette entité et de se substituer ainsi aux supérieurs immédiats de ces travailleurs dans la prise de décision à l’intérieur de cette dernière.

 Sur les dépens

57      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

Une entité économique transférée conserve son autonomie, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2001/23/CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements, dès lors que les pouvoirs accordés aux responsables de cette entité, au sein des structures d’organisation du cédant, à savoir le pouvoir d’organiser, de manière relativement libre et indépendante, le travail au sein de ladite entité dans la poursuite de l’activité économique qui lui est propre et, plus particulièrement, les pouvoirs de donner des ordres et des instructions, de distribuer des tâches aux travailleurs subordonnés relevant de l’entité en cause ainsi que de décider de l’emploi des moyens matériels mis à sa disposition, ceci sans intervention directe de la part d’autres structures d’organisation de l’employeur, demeurent, au sein des structures d’organisation du cessionnaire, en substance, inchangés.

Le simple changement des supérieurs hiérarchiques les plus élevés ne saurait être en soi préjudiciable à l’autonomie de l’entité transférée, à moins que les nouveaux supérieurs hiérarchiques les plus élevés ne disposent de pouvoirs leur permettant d’organiser directement l’activité des travailleurs de cette entité et de se substituer ainsi aux supérieurs immédiats de ces travailleurs dans la prise de décision à l’intérieur de cette dernière.

Signatures


* Langue de procédure: l’espagnol.