Language of document : ECLI:EU:C:2023:966

ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

7 décembre 2023 (*)

« Renvoi préjudiciel – Environnement – Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages – Directive 92/43/CEE – Article 6, paragraphe 3 – Notion de “plan ou projet” sur un site protégé – Intervention dans une forêt pour assurer la protection de celle-ci contre les incendies – Nécessité d’effectuer une évaluation préalable des incidences de cette intervention sur le site concerné »

Dans l’affaire C‑434/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’administratīvā rajona tiesa, Rīgas tiesu nams (tribunal administratif de district, section de Riga, Lettonie), par décision du 30 juin 2022, parvenue à la Cour le 30 juin 2022, dans la procédure

« Latvijas valsts meži » AS

contre

Dabas aizsardzības pārvalde,

Vides pārraudzības valsts birojs,

en présence de :

Valsts meža dienests,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de M. J.‑C. Bonichot (rapporteur), faisant fonction de président de chambre, M. S. Rodin et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour « Latvijas valsts meži » AS, par M. M. Gūtmanis,

–        pour Dabas aizsardzības pārvalde, par M. A. Svilāns,

–        pour la Commission européenne, par MM. C. Hermes et I. Naglis, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 13 juillet 2023,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO 1992, L 206, p. 7, ci-après la directive « habitats »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant « Latvijas valsts meži » AS à l’administration régionale de Kurzeme de la Dabas aizsardzības pārvalde (service de protection de l’environnement, Lettonie) au sujet de la décision du directeur général de ce service, en date du 22 mars 2021, imposant à cette société de prendre différentes mesures destinées à réduire les incidences négatives d’un abattage d’arbres dans la zone spéciale de conservation d’importance communautaire (Natura 2000) d’Ances purvi un meži (Marais et forêts d’Ance), située en Lettonie.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive « habitats »

3        L’article 1er, sous l), de la directive « habitats » définit une zone spéciale de conservation comme étant « un site d’importance communautaire désigné par les États membres par un acte réglementaire, administratif et/ou contractuel où sont appliquées les mesures de conservation nécessaires au maintien ou au rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et/ou des populations des espèces pour lesquels le site est désigné ».

4        La désignation de zones spéciales de conservation est établie à l’article 4, paragraphe 4, de cette directive :

« Une fois qu’un site d’importance communautaire a été retenu en vertu de la procédure prévue au paragraphe 2, l’État membre concerné désigne ce site comme zone spéciale de conservation le plus rapidement possible et dans un délai maximal de six ans en établissant les priorités en fonction de l’importance des sites pour le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, d’un type d’habitat naturel de l’annexe I ou d’une espèce de l’annexe II et pour la cohérence de Natura 2000, ainsi qu’en fonction des menaces de dégradation ou de destruction qui pèsent sur eux. »

5        La protection des sites Natura 2000 est régie, notamment, à l’article 6 de ladite directive, lequel prévoit :

« 1.      Pour les zones spéciales de conservation, les États membres établissent les mesures de conservation nécessaires impliquant, le cas échéant, des plans de gestion appropriés spécifiques aux sites ou intégrés dans d’autres plans d’aménagement et les mesures réglementaires, administratives ou contractuelles appropriées, qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels de l’annexe I et des espèces de l’annexe II présents sur les sites.

2.      Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones spéciales de conservation, la détérioration des habitats naturels et des habitats d’espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles les zones ont été désignées, pour autant que ces perturbations soient susceptibles d’avoir un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive.

3.      Tout plan ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site mais susceptible d’affecter ce site de manière significative, individuellement ou en conjugaison avec d’autres plans et projets, fait l’objet d’une évaluation appropriée de ses incidences sur le site eu égard aux objectifs de conservation de ce site. Compte tenu des conclusions de l’évaluation des incidences sur le site et sous réserve des dispositions du paragraphe 4, les autorités nationales compétentes ne marquent leur accord sur ce plan ou projet qu’après s’être assurées qu’il ne portera pas atteinte à l’intégrité du site concerné et après avoir pris, le cas échéant, l’avis du public.

4.      Si, en dépit de conclusions négatives de l’évaluation des incidences sur le site et en l’absence de solutions alternatives, un plan ou projet doit néanmoins être réalisé pour des raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, l’État membre prend toute mesure compensatoire nécessaire pour assurer que la cohérence globale de Nature 2000 est protégée. L’État membre informe la Commission [européenne] des mesures compensatoires adoptées.

Lorsque le site concerné est un site abritant un type d’habitat naturel et/ou une espèce prioritaires, seules peuvent être évoquées des considérations liées à la santé de l’homme et à la sécurité publique ou à des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ou, après avis de la Commission, à d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur. »

 La directive EIE

6        Aux termes de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (JO 2012, L 26, p. 1, ci‑après la « directive EIE ») :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

a)      “projet” :

–        la réalisation de travaux de construction ou d’autres installations ou ouvrages,

–        d’autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, y compris celles destinées à l’exploitation des ressources du sol ».

 Le droit letton

 La loi sur les zones spéciales de conservation

7        La directive « habitats » a été transposée dans le droit letton par le likums « Par īpaši aizsargājamām dabas teritorijām » (loi sur les zones spéciales de conservation), du 2 mars 1993 (Latvijas Vēstnesis, 1993, no 5).

8        Aux termes de l’article 15 de cette loi, intitulé « Règles de protection et d’utilisation des zones de conservation » :

« (1)      Des règles de protection et d’utilisation peuvent être établies pour les zones de conservation afin d’assurer la protection de ces sites et la préservation de leur valeur naturelle.

(2)      Pour les zones de conservation, il existe des règles générales de protection et d’utilisation, des règles individuelles de protection et d’utilisation et des plans de protection de la nature ».

9        Aux termes de l’article 43 de ladite loi, intitulé « Zones spéciales de conservation d’importance communautaire » :

« [...]

(4)      toute activité envisagée ou tout document de planification (à l’exception des plans de protection de la nature pour les zones de conservation et des activités prévues dans ces plans qui sont nécessaires à la gestion ou au renouvellement des habitats d’espèces spécialement protégés, des habitats d’espèces spécialement protégés à usage restreint ou des biotopes spécialement protégés, ainsi qu’à l’aménagement d’infrastructures à des fins de recherche et de tourisme vert accessibles au public prévues dans les plans de protection de la nature pour les zones de conservation) qui, séparément ou conjointement avec d’autres activités envisagées ou documents de planification, est susceptible d’avoir un impact significatif sur une zone de conservation d’importance communautaire (Natura 2000) doit faire l’objet d’une évaluation des incidences sur l’environnement. [...] »

 La loi sur la protection et la lutte contre les incendies

10      L’article 10.1, paragraphe 1, de l’Ugunsdrošības un ugunsdzēsības likums (loi sur la protection et la lutte contre les incendies), du 24 octobre 2002 (Latvijas Vēstnesis, 2002, no 165), prévoit que le propriétaire ou le détenteur d’une forêt est tenu de veiller au respect des exigences en matière de protection des forêts contre les incendies.

11      L’article 12 de cette loi énonce que le Conseil des ministres détermine les exigences auxquelles doivent se conformer les personnes physiques ou morales afin de prévenir et d’éteindre efficacement les incendies et d’en atténuer les conséquences, indépendamment de la forme de propriété et de l’emplacement du bien concerné.

 Le décret no 238

12      Le point 1 du Ministru kabineta noteikumi Nr. 238 « Ugunsdrošības noteikumi » (décret no 238 du Conseil des ministres, relatif à la prévention des incendies), du 19 avril 2016 (Latvijas Vēstnesis, 2016, no 78) (ci-après le « décret no 238 »), énonce que ce décret fixe les exigences en matière de prévention des risques auxquelles doivent se conformer les personnes physiques ou morales afin de prévenir et d’éteindre efficacement les incendies et d’en atténuer les conséquences, indépendamment de la forme de propriété et de l’emplacement du bien concerné.

13      Le point 2.7.1 dudit décret précise que les infrastructures de protection des forêts contre les incendies sont les chemins en zone forestière, les coupe-feux, les bandes minéralisées, les routes naturelles, les « points d’eau incendie » avec accès et les tours de contrôle des incendies.

14      Le point 417.3 du même décret prévoit que le responsable du site forestier concerné élimine, avant le 1er mai de chaque année, tout débris pouvant gêner la circulation des véhicules de lutte contre l’incendie sur les routes et les chemins naturels du site forestier concerné susceptibles d’être utilisés à cette fin.

15      Le point 417.4 du décret no 238 indique que le responsable d’un site forestier doit, au plus tard le 1er mai de chaque année, aménager les routes et les voies d’accès aux « points d’eau incendie » et les maintenir en état de garantir l’accès des véhicules de lutte contre l’incendie.

16      Le point 418 de ce décret précise que, lorsque le responsable d’un site forestier gère une superficie de terrains forestiers contigus supérieure à 5 000 hectares, il établit un plan de prévention des risques d’incendies pour l’ensemble de ce site forestier et le met en œuvre. Ce plan est accompagné de cartes cartographiques dudit site forestier.

 Le décret no 478

17      Le point 2 du Ministru kabineta noteikumi Nr. 478 Dabas lieguma « Ances purvi un meži » individuālie aizsardzības un izmantošanas noteikumi » (décret no 478 du Conseil des ministres, fixant des règles spécifiques de préservation et d’utilisation de la zone naturelle protégée « Marais et forêts d’Ance », du 16 août 2017 (Latvijas Vēstnesis, 2017, no 164) (ci-après le « décret no 478 »), prévoit que cette zone naturelle est créée pour assurer la conservation du paysage de dépressions côtières et de dunes caractéristiques du site et pour protéger des biotopes et des espèces spécialement protégés, importants pour la République de Lettonie et l’Union européenne.

18      Le point 11 de ce décret dispose :

« Sont interdits dans les zones forestières :

[...] 11.2.      l’abattage d’arbres secs et l’enlèvement d’arbres tombés, d’arbres morts ou de parties de ceux-ci, dont le diamètre au point le plus épais est supérieur à 25 cm, si leur volume total est inférieur à 20 mètres cubes par hectare de peuplement forestier, à l’exception des cas suivants :

11.2.1.      l’abattage et l’enlèvement d’arbres dangereux, en les laissant dans le peuplement ;

11.2.2.      l’exercice de ces activités dans les biotopes forestiers prioritaires de l’Union : forêts marécageuses (91D0*), forêts de taillis (9080*), forêts alluviales riveraines et inondables (91E0*) et forêts boréales anciennes ou naturelles (9010*), où l’abattage d’arbres secs et l’enlèvement d’arbres tombés, d’arbres morts ou de parties de ceux-ci, dont le diamètre au point le plus épais est supérieur à 25 cm, sont interdits. [...] »

19      Le point 23.3.3 du décret énonce que, du 1er février au 31 juillet, les activités forestières sont interdites dans une zone naturelle protégée saisonnière, à l’exception des mesures de protection des forêts et de lutte contre les incendies.

20      La zone naturelle protégée « Marais et forêts d’Ance » fait en outre l’objet d’un plan de protection de la nature (plan couvrant les années 2016 à 2028, ci-après le « plan de protection »), qui a été approuvé par le vides aizsardzības un reģionālās attīstības ministra rīkojums Nr. 105 (arrêté no 105 du ministre de la Protection de l’environnement et du Développement régional), du 28 avril 2016.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

21      La zone naturelle protégée concernée est une zone spéciale de conservation d’importance communautaire (Natura 2000) située dans la commune de Ventspils (Lettonie). D’une superficie de 9 822 hectares, cette zone a été créée pour assurer la préservation et la gestion de biotopes et d’habitats d’espèces animales et végétales rares et protégés en Lettonie et dans l’Union ainsi que du paysage de dépressions et de dunes côtières typique de la région.

22      Les 7 et 14 janvier 2021, des agents du service de protection de l’environnement de l’administration régionale de Kurzeme ont inspecté la zone naturelle concernée et ont constaté que la requérante au principal avait fait abattre des arbres sur cette zone le long des routes naturelles sur environ 17 kilomètres.

23      Ce service de protection de l’environnement a considéré que la mesure concernée n’était prévue ni par le plan de protection ni par le décret no 478 et qu’elle aurait dû faire l’objet, au préalable, d’une procédure d’évaluation de ses incidences.

24      Par une décision du 15 janvier 2021, le même service a imposé à la requérante au principal de réduire les incidences négatives des activités exercées dans la zone naturelle protégée concernée et de laisser dans les peuplements forestiers les pins abattus dont le diamètre au point le plus épais est supérieur à 25 centimètres, afin que ces pins deviennent par leur décomposition un substrat propice au développement d’espèces d’insectes spécialement protégées dans cette zone, notamment le coléoptère des conifères (Tragosoma depsarium) et le grand coléoptère (Ergates faber). Le service de protection de l’environnement a également ordonné à la requérante au principal de reconstituer la quantité de bois mort dans le biotope prioritaire protégé 9010* « Forêts boréales anciennes ou naturelles », au motif que celle-ci était d’un niveau insuffisant.

25      La requérante au principal a contesté cette décision. Toutefois, le directeur général du service de protection de l’environnement a confirmé cette dernière par une décision du 22 mars 2021 (ci-après la « décision en cause au principal »).

26      La requérante au principal a saisi l’administratīvā rajona tiesa, Rīgas tiesu nams (tribunal administratif de district, section de Riga, Lettonie), qui est la juridiction de renvoi, d’un recours tendant à l’annulation de la décision en cause au principal.

27      Elle a fait valoir que les activités qui lui sont reprochées sont exigées par la réglementation nationale applicable en matière de prévention des risques d’incendies de forêts, laquelle implique l’entretien des chemins forestiers et des routes naturelles, y compris l’abattage d’arbres sur le fondement d’autorisations délivrées par le Valsts meža dienests (service des forêts de l’État, Lettonie), que ces activités ne sont pas soumises à la procédure d’évaluation prévue à l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » et que lesdites activités ont été réalisées conformément au plan de protection et au décret no 478.

28      La requérante au principal soutient par ailleurs que les mesures imposées par la décision en cause au principal ont des incidences négatives sur la protection et la lutte contre les incendies dans la zone naturelle protégée concernée. Selon la juridiction de renvoi, le service des forêts a effectué le même constat.

29      La juridiction de renvoi considère qu’elle doit déterminer si les activités exercées par la requérante au principal constituent des activités soumises à la procédure d’évaluation des incidences des plans et des projets envisagés dans les zones spéciales de conservation d’importance communautaire (Natura 2000), telle que prévue à l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats ».

30      À cet effet, la juridiction de renvoi estime devoir d’abord apprécier si les activités en cause au principal constituent un « plan » ou un « projet », au sens de l’article 6, paragraphe 3, de cette directive, dès lors que seuls les « plans » et les « projets » susceptibles d’affecter une zone spéciale de conservation doivent faire l’objet d’une évaluation appropriée de leurs incidences en vertu de cette disposition.

31      Si cette qualification doit être retenue pour les travaux concernés, la juridiction de renvoi se pose également la question de savoir si ces travaux sont directement liés ou nécessaires à la gestion de la zone naturelle protégée concernée, dans la mesure où ceux-ci visent à préserver cette zone naturelle protégée du risque d’incendies. En effet, en vertu de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », l’évaluation des incidences sur le site concerné n’est pas requise pour les plans ou les projets directement liés ou nécessaires à la gestion de ce site.

32      Même en l’absence d’un tel lien ou d’une telle nécessité pour la gestion du site, la juridiction de renvoi se demande si l’évaluation des incidences des activités en cause est néanmoins requise, alors que ces activités sont imposées par la réglementation nationale applicable en matière de prévention des risques d’incendies de forêts.

33      C’est dans ces conditions que l’administratīvā rajona tiesa, Rīgas tiesu nams (tribunal administratif de district, section de Riga) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      La notion de “projet”, au sens de l’article 1er , paragraphe 2, sous a), de la [directive EIE] vise-t-elle également les activités exercées dans une zone forestière afin d’assurer l’entretien des infrastructures de protection des forêts contre les incendies dans cette zone, conformément aux exigences prévues par la réglementation en matière de prévention des risques d’incendies de forêts ?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question, les activités exercées dans une zone forestière afin d’assurer l’entretien des infrastructures de protection des forêts contre les incendies dans cette zone, conformément aux exigences prévues par la réglementation en matière de prévention des risques d’incendies de forêts, doivent-elles être considérées, au sens de l’article 6, paragraphe 3, de la [directive “habitats”], comme un projet directement lié [ou] nécessaire à la gestion du site en cause, de sorte que ces activités ne sont pas soumises à la procédure d’évaluation des zones spéciales de conservation d’importance communautaire (Natura 2000) ?

3)      En cas de réponse négative à la deuxième question, l’article 6, paragraphe 3, de la [“directive habitats”] implique-t-il également l’obligation de procéder à une évaluation de plans et de projets (activités) qui, sans être directement liés ou nécessaires à la gestion de la zone spéciale de conservation en cause, sont susceptibles d’avoir un impact significatif sur les zones de conservation d’importance communautaire (Natura 2000), mais qui sont néanmoins réalisés dans le respect de la réglementation nationale afin de répondre aux exigences en matière de protection des forêts contre les incendies ?

4)      En cas de réponse affirmative à la troisième question, une telle activité peut-elle être poursuivie et achevée avant la mise en œuvre de la procédure d’évaluation ex post des zones spéciales de conservation d’importance communautaire (Natura 2000) ?

5)      En cas de réponse affirmative à la troisième question, les autorités compétentes sont-elles tenues d’exiger la réparation du dommage et d’adopter des mesures afin de remédier aux éventuelles incidences importantes, si l’importance des incidences n’a pas été appréciée au cours de la procédure d’évaluation des zones spéciales de conservation d’importance communautaire (Natura 2000) ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

34      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » doit être interprété en ce sens que la notion de « projet », au sens de cette disposition, inclut les activités exercées dans une zone forestière, désignée comme une zone spéciale de conservation, afin d’assurer l’entretien des infrastructures de protection des forêts contre les incendies dans cette zone, conformément aux exigences prévues par la réglementation nationale en matière de prévention des risques d’incendies de forêts.

35      À titre liminaire, il convient de rappeler que cette disposition prévoit que, dans les zones spéciales de conservation, au sens de l’article 1er, sous l), de la directive « habitats », « [t]out plan ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site mais susceptible d’affecter ce site de manière significative, individuellement ou en conjugaison avec d’autres plans et projets, fait l’objet d’une évaluation appropriée de ses incidences sur le site eu égard aux objectifs de conservation de ce site ».

36      En premier lieu, il importe de relever que la directive « habitats » ne comporte pas de définition de la notion de « projet ». En revanche, l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive EIE, auquel la juridiction de renvoi fait expressément référence dans sa question, en donne une définition, aux termes de laquelle un « projet », au sens de cette dernière directive, comprend la réalisation de travaux de construction ou d’autres installations ou ouvrages, ainsi que d’autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, y compris celles destinées à l’exploitation des ressources du sol.

37      Or, la Cour a jugé que la notion de « projet », au sens de la directive « habitats », englobe celle de « projet », au sens de la directive EIE, de sorte que, si une activité relève de la directive EIE, elle doit, à plus forte raison, relever de la directive « habitats » (arrêt du 9 septembre 2020, Friends of the Irish Environnement, C‑254/19, EU:C:2020:680, point 29 et jurisprudence citée).

38      En second lieu, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’un « projet », au sens de la directive EIE, implique la réalisation de travaux ou d’interventions modifiant la réalité physique du site concerné (voir, en ce sens, arrêt du 17 mars 2011, Brussels Hoofdstedelijk Gewest e.a., C‑275/09, EU:C:2011:154, point 24). En l’occurrence, les activités en cause au principal ont consisté en des abattages d’arbres destinés à assurer l’entretien des routes naturelles traversant la zone naturelle protégée concernée. Partant, elles satisfont au critère matériel de la notion de « projet », au sens de la directive EIE.

39      En revanche, aucun critère juridique ne limite cette notion. C’est pourquoi, la circonstance que les travaux d’abattage d’arbres en cause au principal auraient été imposés par la réglementation nationale applicable en matière de prévention des risques d’incendies de forêts n’est pas susceptible de remettre en cause la qualification de ces travaux de « projet », au sens de la directive EIE.

40      Il résulte de ce qui précède que lesdits travaux d’abattage constituent un « projet », au sens de la directive EIE et, par suite, un « projet », au sens de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats ».

41      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » doit être interprété en ce sens que la notion de « projet », au sens de cette disposition, inclut les activités exercées dans une zone forestière, désignée comme une zone spéciale de conservation, afin d’assurer l’entretien des infrastructures de protection des forêts contre les incendies dans cette zone, conformément aux exigences prévues par la réglementation nationale applicable en matière de prévention des risques d’incendies de forêts, lorsque ces activités modifient la réalité physique du site concerné.

 Sur la deuxième question

42      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » doit être interprété en ce sens que les activités exercées dans une zone forestière, désignée comme une zone spéciale de conservation, afin d’assurer l’entretien des infrastructures de protection des forêts contre les incendies dans cette zone, conformément aux exigences prévues par la réglementation nationale applicable en matière de prévention des risques d’incendies de forêts, doivent être considérées comme un projet « directement lié ou nécessaire à la gestion du site », au sens de cette disposition, et, par suite, n’ont pas à faire l’objet d’une évaluation de leurs incidences sur le site concerné.

43      En effet, en vertu de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », si les travaux en cause au principal, qui ont été exécutés conformément à la réglementation nationale applicable en matière de prévention des risques d’incendies de forêts, sont directement liés ou nécessaires à la gestion du site concerné, ils n’avaient pas à faire l’objet d’une évaluation de leurs incidences sur ce site.

44      En premier lieu, il ressort de l’article 1er, sous l), de la directive « habitats » qu’une zone spéciale de conservation est délimitée en vue du maintien ou du rétablissement, dans un état de conservation favorable, de certains habitats ou espèces naturels. À cet effet, les États membres établissent, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », les mesures de conservation nécessaires impliquant, le cas échéant, des plans de gestion appropriés spécifiques aux sites concernés ou intégrés dans d’autres plans d’aménagement et les mesures réglementaires, administratives ou contractuelles appropriées, qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels de l’annexe I de cette directive et des espèces de l’annexe II de celle-ci présents sur ces sites.

45      Il résulte de ce qui précède que les mesures de conservation visées à l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » doivent être directement liées ou nécessaires à la gestion du site concerné, au sens de l’article 6, paragraphe 3, de cette directive.

46      En second lieu, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale au point 37 de ses conclusions, des mesures de précaution visant à empêcher ou à combattre les incendies peuvent être liées ou nécessaires à la gestion d’un site protégé. D’ailleurs, selon la demande de décision préjudicielle, tant le plan de protection que le décret no 478 contiennent des indications indirectes sur la nécessité d’adopter des mesures de prévention des risques d’incendies de forêts sur le site concerné.

47      Néanmoins, toutes les mesures qui visent à assurer la protection d’une zone spéciale de conservation contre les risques d’incendies de forêts ne sont pas pour autant directement liées ou nécessaires à la gestion du site concerné. Encore faut-il que ces mesures soient nécessaires au maintien ou au rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats ou espèces protégés, et proportionnées à ces objectifs, ce qui suppose qu’elles soient adaptées à la zone concernée et de nature à permettre la réalisation desdits objectifs.

48      S’agissant, en l’occurrence, de travaux d’abattage d’arbres destinés à maintenir en état des routes naturelles dans une zone protégée, il convient d’apprécier si ces travaux affectent certains objectifs de conservation et, le cas échéant, si le risque d’une atteinte future au site concerné par les incendies justifie lesdits travaux compte tenu de l’ensemble des caractéristiques de cette zone.

49      Une telle appréciation requiert une évaluation appropriée des incidences des mesures envisagées au titre de la prévention des incendies, en application de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats ».

50      Il n’en va différemment que si ces mesures figurent déjà au nombre de celles qui ont été arrêtées en application de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » et qui sont, à ce titre, directement liées ou nécessaires à la gestion du site concerné.

51      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précédent, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » doit être interprété en ce sens que les activités exercées dans une zone forestière, désignée comme une zone spéciale de conservation, afin d’assurer l’entretien des infrastructures de protection des forêts contre les incendies dans cette zone, conformément aux exigences prévues par la réglementation nationale applicable en matière de prévention des risques d’incendies de forêts, ne peuvent être considérées, du seul fait qu’elles ont un tel objet, comme directement liées ou nécessaires à la gestion du site concerné et ne peuvent donc être dispensées à ce titre de l’évaluation de leurs incidences sur ce site, à moins qu’elles ne figurent au nombre des mesures de conservation du site déjà arrêtées en application de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats ».

 Sur la troisième question

52      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » doit être interprété en ce sens qu’il impose de procéder à une évaluation des plans et des projets visés à cette disposition, même lorsque leur réalisation est exigée par la réglementation nationale applicable en matière de prévention des risques d’incendies de forêts.

53      En premier lieu, il importe de rappeler que tout plan ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion d’un site, mais susceptible d’affecter ce site de manière significative doit faire l’objet d’une évaluation appropriée de ses incidences sur ledit site, exigence qui implique d’identifier, d’apprécier et de prendre en considération l’ensemble des incidences de ce plan ou de ce projet sur ce dernier. Un tel plan ou projet doit être soumis à une telle évaluation lorsqu’il existe une probabilité ou un risque qu’il affecte le site concerné d’une manière significative, condition qui, compte tenu du principe de précaution, doit être regardée comme étant satisfaite lorsque l’existence d’une probabilité ou d’un risque d’effets préjudiciables significatifs sur ce site ne peut être exclue sur la base des meilleures connaissances scientifiques en la matière, compte tenu, notamment, des caractéristiques ainsi que des conditions environnementales spécifiques dudit site (voir, en ce sens, arrêt du 10 novembre 2022, AquaPri, C‑278/21, EU:C:2022:864, points 49 et 50 ainsi que jurisprudence citée). Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si le projet en cause dans l’affaire au principal est susceptible d’affecter le site concerné de manière significative, étant entendu, ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé au point 45 de ses conclusions, que la réglementation nationale applicable en matière de prévention des risques d’incendies de forêts ne peut affranchir un plan ou un projet du respect des exigences de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats ».

54      Cela étant, et en deuxième lieu, il convient de souligner qu’il n’existe pas de contradiction entre l’obligation, en vertu du droit national, d’adopter certaines mesures destinées à prévenir et combattre les incendies de forêts et celle, prévue à l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », de soumettre, au préalable, ces mesures à une évaluation de leurs incidences sur le site concerné, lorsqu’elles sont susceptibles d’avoir un impact significatif sur une zone de conservation spéciale.

55      En effet, d’une part, cette évaluation permet, au contraire, de définir les modalités de mise en œuvre desdites mesures qui sont les plus adaptées au maintien ou au rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats ou espèces naturels pour la protection desquels la zone de conservation spéciale concernée a été instituée.

56      D’autre part, même dans le cas où l’évaluation conclut à des incidences négatives sur le site des mesures envisagées et où il n’existe pas de solutions alternatives, l’article 6, paragraphe 4, de la directive « habitats » prévoit que ces mesures peuvent néanmoins être réalisées lorsque des raisons impératives d’intérêt public majeur le justifient, pour autant que l’État membre prenne toute mesure compensatoire nécessaire pour assurer que la cohérence globale de Natura 2000 soit protégée [voir, en ce sens, arrêt du 17 avril 2018, Commission/Pologne (Forêt de Białowieża), C‑441/17, EU:C:2018:255, point 190].

57      En troisième lieu et en tout état de cause, il y a lieu de rappeler que la Cour a jugé que l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » ne saurait autoriser un État membre à édicter des règles nationales qui feraient échapper, de manière générale, certains types de plans ou de projets à l’obligation d’une évaluation de leurs incidences sur le site concerné [arrêt du 22 juin 2022, Commission/Slovaquie (Protection du grand tétras), C‑661/20, EU:C:2022:496, point 69 et jurisprudence citée].

58      En effet, la possibilité de dispenser de manière générale certaines activités, conformément à la réglementation nationale en vigueur, de l’évaluation de leurs incidences sur le site protégé concerné serait de nature à compromettre l’intégrité de ce site.

59      Au demeurant, il y a lieu de relever que, en l’occurrence, il ressort du dossier soumis à la Cour que la réglementation nationale applicable en matière de prévention des risques d’incendies de forêts ne prévoit pas une telle possibilité.

60      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la troisième question que l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » doit être interprété en ce sens qu’il impose de procéder à une évaluation des plans et projets visés par cet article, même lorsque leur réalisation est exigée par la réglementation nationale applicable en matière de prévention des risques d’incendies de forêts.

 Sur la quatrième question

61      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » doit être interprété en ce sens que les activités destinées à assurer l’entretien des infrastructures de protection des forêts contre les incendies dans une zone forestière, désignée comme une zone spéciale de conservation, peuvent être poursuivies et achevées avant la mise en œuvre de la procédure d’évaluation de leurs incidences prévue à cette disposition.

62      Aux termes de la deuxième phrase de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », « [c]ompte tenu des conclusions de l’évaluation des incidences sur le site et sous réserve des dispositions du paragraphe 4, les autorités nationales compétentes ne marquent leur accord sur ce plan ou projet qu’après s’être assurées qu’il ne portera pas atteinte à l’intégrité du site concerné et après avoir pris, le cas échéant, l’avis du public ». Ainsi, aucun plan ou projet ne peut être mis en œuvre dans une zone spéciale de conservation avant que ses incidences sur le site concerné n’aient été évaluées.

63      La Cour a confirmé à plusieurs reprises le caractère préalable de la procédure d’évaluation prévue à l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » (arrêts du 7 septembre 2004, Waddenvereniging et Vogelbeschermingsvereniging, C‑127/02, EU:C:2004:482, point 34, du 11 avril 2013, Sweetman e.a., C‑258/11, EU:C:2013:220, point 28, ainsi que du 21 juillet 2016, Orleans e.a., C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 43).

64      Ainsi que l’a indiqué Mme l’avocate générale au point 54 de ses conclusions, il est d’ailleurs indispensable que l’évaluation des incidences du plan ou du projet précède sa mise en œuvre. En effet, d’une part, une évaluation a posteriori ne permettrait pas d’éviter des atteintes à l’état de conservation du site. D’autre part, il serait souvent difficile d’évaluer l’ampleur de ces incidences en l’absence d’un inventaire préalable de l’état initial du site.

65      Ainsi, la directive « habitats » ne permet pas de réaliser un plan ou un projet dans une zone de conservation spéciale ni a fortiori d’en poursuivre et d’en achever la réalisation avant qu’une évaluation appropriée des incidences de celui-ci sur le site concerné ne soit effectuée.

66      Cette interdiction s’applique aux activités exercées dans une zone forestière, désignée comme une zone spéciale de conservation, afin d’assurer l’entretien des infrastructures de protection des forêts contre les incendies dans cette zone, lesquelles ont le caractère de projet, au sens de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », ainsi qu’il ressort de la réponse de la Cour à la première question.

67      En revanche, ladite interdiction ne s’applique pas aux activités accomplies au titre des mesures de conservation du site arrêtées en application de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats ». En effet, ainsi qu’il est indiqué aux points 52 et 53 du présent arrêt, ces activités doivent être considérées, à ce titre, comme directement liées ou nécessaires à la gestion du site.

68      Ainsi, si les activités d’entretien des infrastructures de protection des forêts contre les incendies ont été déjà prévues par les mesures de conservation du site en application de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », elles n’ont pas à faire l’objet de l’évaluation prévue à l’article 6, paragraphe 3, de cette directive.

69      Comme l’a relevé Mme l’avocate générale au point 57 de ses conclusions, il faut également réserver le cas où un risque actuel ou imminent impose l’accomplissement sans délai de mesures nécessaires à la protection du site. Dans une semblable hypothèse, l’accomplissement préalable de la procédure d’évaluation des incidences de ces mesures sur le site pourrait ne pas servir l’objectif de cette procédure, à savoir la préservation du site, mais risquerait, au contraire, d’être préjudiciable à celle-ci.

70      Tel peut être, en particulier, le cas de mesures prises d’urgence pour la protection et la lutte contre les incendies de forêts. Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si l’exécution des travaux en cause dans le litige au principal, sans évaluation préalable de leurs incidences sur la zone naturelle protégée concernée, pouvait être justifiée à ce titre.

71      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la quatrième question que l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » doit être interprété en ce sens que les activités destinées à assurer l’entretien des infrastructures de protection des forêts contre les incendies dans une zone forestière, désignée comme une zone spéciale de conservation, ne peuvent être engagées ni a fortiori poursuivies et achevées avant l’accomplissement de la procédure d’évaluation de leurs incidences prévue à cet article, à moins que ces activités ne figurent au nombre des mesures de conservation du site concerné déjà arrêtées en application de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive ou qu’un risque actuel ou imminent portant préjudice à la préservation de ce site n’en commande la réalisation immédiate.

 Sur la cinquième question

72      Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » doit être interprété en ce sens qu’il oblige les autorités compétentes à adopter des mesures afin de remédier aux éventuelles incidences importantes de travaux exécutés sans avoir fait l’objet de l’évaluation préalable prévue à cette disposition et à exiger la réparation du dommage causé par ces travaux.

73      À titre liminaire, il y a lieu de s’interroger sur l’utilité de la cinquième question, telle qu’elle est formulée, pour la solution du litige au principal.

74      En effet, par la décision en cause au principal, le directeur général du service de protection de l’environnement a fait injonction à la requérante au principal, d’une part, de laisser sur place les pins abattus dont la souche a un diamètre supérieur à 25 centimètres et, d’autre part, de reconstituer la quantité de bois mort dans le biotope prioritaire protégé 9010* « Forêts boréales anciennes ou naturelles », qu’elle a estimée être à un niveau insuffisant.

75      Or, ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé aux points 69 et 72 de ses conclusions, la première injonction vise à empêcher la poursuite des travaux exécutés en violation de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » et la seconde constitue un rappel du point 11.2 du décret no 478 imposant de renoncer à l’évacuation du bois mort, lorsque celui-ci est en quantité insuffisante.

76      En d’autres termes, la décision en cause au principal ne semble pas avoir pour objet de remédier aux incidences des travaux exécutés par la requérante au principal ni d’exiger de cette dernière la réparation du dommage causé par ces travaux.

77      Toutefois, il convient de rappeler qu’il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour.

78      En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la cinquième question porte, comme les autres questions posées, sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » et il n’est pas manifeste qu’elle soit dépourvue d’utilité pour la solution du litige au principal. La Cour est donc compétente pour y répondre.

79      En premier lieu, il convient de constater que la directive « habitats », en particulier l’article 6, paragraphe 3, de celle-ci, ne contient pas de dispositions relatives aux conséquences à tirer d’une violation de l’obligation d’évaluation préalable des incidences d’un plan ou d’un projet (voir, en ce sens, arrêt du 29 juillet 2019, Inter-Environnement Wallonie et Bond Beter Leefmilieu Vlaanderen, C‑411/17, EU:C:2019:622, point 169).

80      L’article 6, paragraphe 2, de cette directive impose seulement aux États membres de prendre « les mesures appropriées pour éviter, dans les zones spéciales de conservation, la détérioration des habitats naturels et des habitats d’espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles les zones ont été désignées, pour autant que ces perturbations soient susceptibles d’avoir un effet significatif eu égard aux objectifs de [ladite] directive ».

81      En vertu du principe de coopération loyale, prévu à l’article 4, paragraphe 3, TUE, les États membres sont néanmoins tenus d’effacer les conséquences illicites d’une violation du droit de l’Union (arrêts du 16 décembre 1960, Humblet/État belge, 6/60‑IMM, EU:C:1960:48, p. 1146, et du 7 janvier 2004, Wells, C‑201/02, EU:C:2004:12, point 64). Cette obligation s’adresse à chaque organe de l’État membre concerné et, notamment, aux autorités nationales qui, dans le cadre de leurs compétences, sont tenues de prendre toutes les mesures nécessaires afin de remédier à l’omission d’une évaluation des incidences d’un plan ou d’un projet sur l’environnement [voir, en ce sens, arrêt du 12 novembre 2019, Commission/Irlande (Parc éolien de Derrybrien), C‑261/18, EU:C:2019:955, point 75]. Ladite obligation incombe aussi aux entreprises appartenant à l’État membre concerné [voir, en ce sens, arrêt du 12 novembre 2019, Commission/Irlande (Parc éolien de Derrybrien), C‑261/18, EU:C:2019:955, point 91].

82      En vertu de ce principe, l’État membre concerné est également tenu de réparer tout préjudice causé par l’omission d’une évaluation des incidences d’un plan ou d’un projet sur l’environnement (arrêt du 7 janvier 2004, Wells, C‑201/02, EU:C:2004:12, point 66).

83      En revanche, il ne saurait résulter du seul principe de coopération loyale, qui ne s’impose qu’aux États membres et à leurs organes, une obligation des particuliers de réparer les dommages causés à l’environnement dans une zone spéciale de conservation par des travaux que ceux-ci ont entrepris sans que ces travaux aient fait l’objet de l’évaluation appropriée prévue à l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats ».

84      Dès lors que la directive « habitats » ne contient aucune disposition relative à la réparation d’un dommage environnemental et que, en tout état de cause, aucune obligation ne saurait être imposée à des particuliers sur le seul fondement de cette directive, l’obligation de réparer un dommage du type de celui en cause dans l’affaire au principal ne pourrait résulter que du seul droit letton.

85      Il convient d’ajouter que, dans le cas où une telle obligation serait prévue dans le droit letton, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, les autorités nationales compétentes seraient obligées d’en faire application.

86      Par conséquent, l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », lu à la lumière du principe de coopération loyale, ne saurait obliger les autorités compétentes à exiger des particuliers la réparation d’un tel dommage.

87      Partant, cette disposition n’oblige pas la requérante au principal à réparer le dommage causé par les travaux qu’elle a exécutés sans qu’une évaluation appropriée ait été préalablement effectuée et ne permet donc aux autorités compétentes de lui imposer la réparation de ce dommage que dans l’hypothèse, envisagée par Mme l’avocate générale au point 73 de ses conclusions, où elle devrait être assimilée à un organe de l’État membre concerné. En revanche, si elle a la qualité de particulier, ces autorités ne sauraient exiger d’elle, sur le seul fondement de ladite disposition et du principe de coopération loyale, la réparation des dommages susmentionnés.

88      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la cinquième question que l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », lu à la lumière du principe de coopération loyale, doit être interprété en ce sens qu’il oblige l’État membre concerné, en particulier les autorités compétentes de celui-ci, à adopter des mesures afin de remédier aux éventuelles incidences importantes sur l’environnement de travaux exécutés sans que l’évaluation appropriée de ces incidences, prévue à cette disposition, ait été préalablement effectuée et à réparer le dommage causé par ces travaux. En revanche, il n’oblige pas cet État membre à exiger de particuliers la réparation d’un tel dommage, dans le cas où il leur est imputable.

 Sur les dépens

89      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, doit être interprété en ce sens que la notion de « projet », au sens de cette disposition, inclut les activités exercées dans une zone forestière, désignée comme une zone spéciale de conservation, afin d’assurer l’entretien des infrastructures de protection des forêts contre les incendies dans cette zone, conformément aux exigences prévues par la réglementation nationale applicable en matière de prévention des risques d’incendies de forêts, lorsque ces activités modifient la réalité physique du site concerné.

2)      L’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43 doit être interprété en ce sens que les activités exercées dans une zone forestière, désignée comme une zone spéciale de conservation, afin d’assurer l’entretien des infrastructures de protection des forêts contre les incendies dans cette zone, conformément aux exigences prévues par la réglementation nationale applicable en matière de prévention des risques d’incendies de forêts, ne peuvent être considérées, du seul fait qu’elles ont un tel objet, comme directement liées ou nécessaires à la gestion du site concerné et ne peuvent donc être dispensées à ce titre de l’évaluation de leurs incidences sur ce site, à moins qu’elles ne figurent au nombre des mesures de conservation du site déjà arrêtées en application de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive.

3)      L’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43 doit être interprété en ce sens qu’il impose de procéder à une évaluation des plans et des projets visés à cette disposition, même lorsque leur réalisation est exigée par la réglementation nationale applicable en matière de prévention des risques d’incendies de forêts.

4)      L’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43 doit être interprété en ce sens que les activités destinées à assurer l’entretien des infrastructures de protection des forêts contre les incendies dans une zone forestière, désignée comme une zone spéciale de conservation, ne peuvent être engagées ni a fortiori poursuivies et achevées avant l’accomplissement de la procédure d’évaluation de leurs incidences prévue à cet article, à moins que ces activités ne figurent au nombre des mesures de conservation du site concerné déjà arrêtées en application de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive ou qu’un risque actuel ou imminent portant préjudice à la préservation de ce site n’en commande la réalisation immédiate.

5)      L’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43, lu à la lumière du principe de coopération loyale, doit être interprété en ce sens qu’il oblige l’État membre concerné, en particulier les autorités compétentes de celui-ci, à adopter des mesures afin de remédier aux éventuelles incidences importantes sur l’environnement de travaux exécutés sans que l’évaluation appropriée de ces incidences, prévue à cette disposition, ait été préalablement effectuée et à réparer le dommage causé par ces travaux. En revanche, il n’oblige pas cet État membre à exiger de particuliers la réparation d’un tel dommage, dans le cas où il leur est imputable.

Signatures


*      Langue de procédure : le letton.