Language of document : ECLI:EU:C:2017:877


ORDONNANCE DE LA COUR (grande chambre)

20 novembre 2017 (*)

« Référé – Demande de mesures provisoires – Directive 92/43/CEE – Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages – Directive 2009/147/CE – Conservation des oiseaux sauvages »

Dans l’affaire C‑441/17 R,

ayant pour objet une demande de mesures provisoires au titre de l’article 279 TFUE et de l’article 160, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, introduite le 20 juillet 2017,

Commission européenne, représentée par MM. C. Hermes et H. Krämer ainsi que par Mmes K. Herrmann et E. Kružíková, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

République de Pologne, représentée par M. J. Szyszko, ministre de l’Environnement, ainsi que par MM. B. Majczyna et D. Krawczyk, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Tizzano (rapporteur), vice-président, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. T. von Danwitz, J. L. da Cruz Vilaça, A. Rosas, C. G. Fernlund et C. Vajda, présidents de chambre, MM. E. Juhász, A. Arabadjiev, Mme C. Toader, M. D. Šváby, Mmes M. Berger, A. Prechal et M. E. Jarašiūnas, juges,

l’avocat général, M. M. Wathelet, entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        Par sa demande en référé, la Commission européenne demande à la Cour d’ordonner à la République de Pologne que celle-ci, dans l’attente de l’arrêt de la Cour statuant sur le fond, cesse, sauf en cas de menace pour la sécurité publique, les opérations de gestion forestière active dans des habitats 91D 0 – tourbières boisées – et 91E0 – forêts alluviales à saules, peupliers, aulnes et frênes –, et dans les peuplements forestiers centenaires de l’habitat 9170 – chênaies-charmaies subcontinentales, ainsi que dans les habitats du pic à dos blanc (Dendrocopos leucotos), du pic tridactyle (Picoides tridactylus), de la chevêchette (Glaucidium passerinum), de la chouette de Tengmalm (Aegolius funereus), de la bondrée apivore (Pernis apivorus), du gobemouche nain (Ficedula parva), du gobemouche à collier (Ficedula albicollis) et du pigeon colombin (Colomba oenas) et dans les habitats des coléoptères saproxyliques – le cucujus vermillon (Cucujus cinnaberinus), le Boros schneideri, le phryganophile à cou roux (Phryganophilus ruficollis), le Pytho kolwensis, le rhysode silloné (Rhysodes sulcatus) et le bupreste splendide (Buprestis splendens), et cesse l’enlèvement d’épicéas centenaires morts et l’abattage d’arbres dans le cadre de l’augmentation du volume de bois exploitable sur le site PLC200004 Puszcza Białowieska (Pologne, ci-après le « site Natura 2000 Puszcza Białowieska »), lesquelles opérations découlent de la décision du ministre de l’Environnement de la République de Pologne du 25 mars 2016 et de l’article 1er, points 2 et 3, de la décision no 51 du directeur général des Lasy Państwowe (Office des forêts, Pologne), du 17 février 2017 (ci-après la « décision no 51 »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit par la Commission le 20 juillet 2017 et visant à faire constater que la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent :

–        en vertu de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO 1992, L 206, p. 7), telle que modifiée par la directive 2013/17/UE du Conseil, du 13 mai 2013 (JO 2013, L 158, p. 193) (ci-après la « directive “habitats” »), en approuvant, le 25 mars 2016, une modification du plan de gestion forestière concernant le district forestier de Białowieża (Pologne) et en mettant en œuvre les opérations de gestion forestière prévues dans cette modification sans s’être assurée que cela ne porterait pas atteinte à l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska ;

–        en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » ainsi que de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO 2010, L 20, p. 7), telle que modifiée par la directive 2013/17 (ci-après la « directive “oiseaux” »), en omettant d’établir les mesures de conservation nécessaires qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels de l’annexe I et des espèces de l’annexe II de la directive « habitats », ainsi que des oiseaux de l’annexe I de la directive « oiseaux » et des espèces migratrices non visées à ladite annexe dont la venue est régulière, pour lesquels le site d’importance communautaire et la zone de protection spéciale des oiseaux du site Natura 2000 Puszcza Białowieska ont été désignés ;

–        en vertu de l’article 12, paragraphe 1, sous a) et d), de la directive « habitats », en omettant d’assurer une protection stricte des coléoptères saproxyliques [le cucujus vermillon (Cucujus cinnaberinus), le bupreste splendide (Buprestis splendens), le phryganophile à cou roux (Phryganophilus ruficollis) et le Pytho kolwensis] mentionnés à l’annexe IV, sous a), de ladite directive, à savoir en ne veillant pas à ce qu’il soit effectivement interdit de les tuer intentionnellement ou de les perturber et de détériorer ou de détruire leurs sites de reproduction dans le district forestier de Białowieża, et

–        en vertu de l’article 5, sous b) et d), de la directive « oiseaux », en omettant d’assurer la protection d’espèces d’oiseaux visées à l’article 1er de cette directive, notamment le pic à dos blanc (Dendrocopos leucotos), le pic tridactyle (Picoides tridactylus), la chevêchette (Glaucidium passerinum) et la chouette de Tengmalm (Aegolius funereus), à savoir en omettant de veiller à ce que ces espèces ne soient pas tuées ou perturbées durant la période de reproduction et de dépendance et à ce que leurs nids et leurs œufs ne soient pas intentionnellement détruits, endommagés ou enlevés dans le district forestier de Białowieża.

3        La Commission a également demandé, en vertu de l’article 160, paragraphe 7, du règlement de procédure de la Cour, l’octroi des mesures provisoires mentionnées au point 1 de la présente ordonnance avant même que la partie défenderesse n’ait présenté ses observations en raison du risque de préjudice grave et irréparable pour les habitats et l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska.

4        Par ordonnance du 27 juillet 2017, Commission/Pologne(C‑441/17 R, non publiée, EU:C:2017:622), le vice-président de la Cour a provisoirement fait droit à cette demande jusqu’à l’adoption de l’ordonnance mettant fin à la présente procédure de référé.

5        Le 4 août 2017, la République de Pologne a présenté ses observations écrites sur la demande de mesures provisoires.

6        Le 11 septembre 2017, les parties ont été entendues en leurs observations orales lors d’une audition devant le vice-président de la Cour.

7        À la suite de cette audition, la Commission a, le 13 septembre 2017, complété sa demande de mesures provisoires, en sollicitant de la Cour qu’elle ordonne en outre à la République de Pologne de payer une astreinte pour le cas où celle-ci ne se conformerait pas aux injonctions prononcées dans le cadre de la présente procédure.

8        Le 19 septembre 2017, la République de Pologne a demandé que la Commission soit invitée à déposer les éléments de preuve sur lesquels sa demande complémentaire était fondée.

9        Sur invitation de la Cour, la Commission a, le 21 septembre 2017, communiqué les éléments de preuve sollicités.

10      Dans des observations déposées le 28 septembre 2017, la République de Pologne a conclu à l’irrecevabilité et, en tout état de cause, au caractère non fondé de la demande complémentaire de la Commission.

11      En outre, dans ces mêmes observations et se prévalant de l’article 16, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la République de Pologne a demandé que la présente affaire soit attribuée à la grande chambre de la Cour.

12      Bien que la Cour ne soit pas tenue de faire droit à une telle demande lorsque celle-ci a été présentée à un stade très avancé de la procédure, ce qui est le cas en l’occurrence (voir, par analogie, arrêt du 7 septembre 2006, Espagne/Conseil, C‑310/04, EU:C:2006:521, point 23), le vice-président de la Cour, en application de l’article 161, paragraphe 1, du règlement de procédure, a cependant déféré l’affaire à la Cour qui, compte tenu de son importance, l’a attribuée, conformément à l’article 60, paragraphe 1, dudit règlement, à la grande chambre.

13      Le 17 octobre 2017, les parties ont été entendues en leurs observations orales devant la grande chambre.

 Le cadre juridique

 La directive « habitats »

14      Conformément à son article 2, paragraphe 1, la directive « habitats » a pour objet de contribuer à assurer la biodiversité par la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages sur le territoire européen des États membres où le traité FUE s’applique.

15      L’article 4, paragraphe 2, troisième alinéa, de cette directive prévoit :

« La liste des sites sélectionnés comme sites d’importance communautaire, faisant apparaître les sites abritant un ou plusieurs types d’habitats naturels prioritaires ou une ou plusieurs espèces prioritaires, est arrêtée par la Commission selon la procédure visée à l’article 21. »

16      L’article 6, paragraphes 1, 3 et 4, de ladite directive énonce :

« 1.      Pour les zones spéciales de conservation, les États membres établissent les mesures de conservation nécessaires impliquant, le cas échéant, des plans de gestion appropriés spécifiques aux sites ou intégrés dans d’autres plans d’aménagement et les mesures réglementaires, administratives ou contractuelles appropriées, qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels de l’annexe I et des espèces de l’annexe II présents sur les sites.

[...]

3.      Tout plan ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site mais susceptible d’affecter ce site de manière significative, individuellement ou en conjugaison avec d’autres plans et projets, fait l’objet d’une évaluation appropriée de ses incidences sur le site eu égard aux objectifs de conservation de ce site. Compte tenu des conclusions de l’évaluation des incidences sur le site et sous réserve des dispositions du paragraphe 4, les autorités nationales compétentes ne marquent leur accord sur ce plan ou projet qu’après s’être assurées qu’il ne portera pas atteinte à l’intégrité du site concerné et après avoir pris, le cas échéant, l’avis du public.

4.      Si, en dépit de conclusions négatives de l’évaluation des incidences sur le site et en l’absence de solutions alternatives, un plan ou projet doit néanmoins être réalisé pour des raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, l’État membre prend toute mesure compensatoire nécessaire pour assurer que la cohérence globale de Nature 2000 est protégée. L’État membre informe la Commission des mesures compensatoires adoptées.

Lorsque le site concerné est un site abritant un type d’habitat naturel et/ou une espèce prioritaires, seules peuvent être évoquées des considérations liées à la santé de l’homme et à la sécurité publique ou à des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ou, après avis de la Commission, à d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur. »

17      L’article 12, paragraphe 1, sous a) et d), de la même directive est ainsi libellé :

« 1.      Les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l’annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant :

a)      toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature ;

[...]

d)      la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos. »

 La directive « oiseaux »

18      Aux termes de l’article 1er de la directive « oiseaux » :

« 1.      La présente directive concerne la conservation de toutes les espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen des États membres auquel le traité est applicable. Elle a pour objet la protection, la gestion et la régulation de ces espèces et en réglemente l’exploitation.

2.      La présente directive s’applique aux oiseaux ainsi qu’à leurs œufs, à leurs nids et à leurs habitats. »

19      L’article 4, paragraphes 1 et 2, de cette directive dispose :

« 1.      Les espèces mentionnées à l’annexe I font l’objet de mesures de conservation spéciale concernant leur habitat, afin d’assurer leur survie et leur reproduction dans leur aire de distribution.

[...]

2.      Les États membres prennent des mesures similaires à l’égard des espèces migratrices non visées à l’annexe I dont la venue est régulière, compte tenu des besoins de protection dans la zone géographique maritime et terrestre d’application de la présente directive en ce qui concerne leurs aires de reproduction, de mue et d’hivernage et les zones de relais dans leur aire de migration. À cette fin, les États membres attachent une importance particulière à la protection des zones humides et tout particulièrement de celles d’importance internationale. »

20      L’article 5, sous b) et d), de ladite directive énonce :

« Sans préjudice des articles 7 et 9, les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un régime général de protection de toutes les espèces d’oiseaux visées à l’article 1er et comportant notamment l’interdiction :

[...]

b)      de détruire ou d’endommager intentionnellement leurs nids et leurs œufs et d’enlever leurs nids ;

[...]

d)      de les perturber intentionnellement, notamment durant la période de reproduction et de dépendance, pour autant que la perturbation ait un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive. »

 Les antécédents du litige

21      Il résulte de la demande en référé que, par décision du 13 novembre 2007, la Commission a approuvé la désignation du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, conformément à l’article 4, paragraphe 2, troisième alinéa, de la directive « habitats », en tant que site d’« importance communautaire » en raison de la présence d’habitats naturels et d’habitats de certaines espèces d’animaux et d’oiseaux. Ce site constitue également une zone de protection spéciale des oiseaux désignée conformément à la directive « oiseaux ».

22      Selon ladite demande, le site Natura 2000 Puszcza Białowieska est l’une des forêts naturelles les mieux conservées d’Europe, se caractérisant par de grandes quantités de bois mort et de vieux arbres, notamment centenaires. Il compte sur son territoire des habitats naturels très bien conservés définis comme « prioritaires », au sens de l’annexe I de la directive « habitats », tels que des tourbières boisées (code Natura 2000 91D 0) et des forêts alluviales à saules, peupliers, aulnes et frênes (code Natura 2000 91E0), ainsi que d’autres habitats d’« importance communautaire », notamment des chênaies-charmaies subcontinentales (code Natura 2000 9170).

23      Eu égard à l’importante quantité de bois mort, qui caractérise la forêt naturelle par opposition aux forêts exploitées, se trouvent sur le territoire d’une forêt telle que le site Natura 2000 Puszcza Białowieska de nombreuses espèces de coléoptères saproxyliques, tels le cucujus vermillon (Cucujus cinnaberinus), le Boros schneideri, le bupreste splendide (Buprestis splendens), le phryganophile à cou roux (Phryganophilus ruficollis), le Pytho kolwensis et le rhysode silloné (Rhysodes sulcatus), figurant à l’annexe II et à l’annexe IV, sous a), de la directive « habitats », ainsi que, notamment, des espèces d’oiseaux visées à l’annexe I de la directive « oiseaux », dont l’habitat est constitué par les épicéas moribonds et morts, y compris ceux colonisés par le bostryche typographe (Ips typographus), telles que le pic à dos blanc (Dendrocopos leucotos), le pic tridactyle (Picoides tridactylus), la chevêchette (Glaucidium passerinum) et la chouette de Tengmalm (Aegolius funereus). Compte tenu de sa valeur naturelle, la forêt de Białowieża est également inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco).

24      Ainsi que la Commission l’indique dans sa demande en référé, le site Natura 2000 Puszcza Białowieska, qui s’étend sur 63 147 hectares, est placé sous l’autorité de deux entités différentes, à savoir, d’une part, le Białowieski Park Narodowy (directeur du parc national de Białowieża), qui gère un territoire représentant 17 % de la superficie du site, et d’autre part, l’Office des forêts, qui gère les districts forestiers de Białowieża, de Browsk et de Hajnówka. Le district forestier de Białowieża représente à lui seul 19 % de la superficie du site.

25      Invoquant la propagation du bostryche typographe, le ministre de l’Environnement a approuvé, le 25 mars 2016, une annexe du plan de gestion forestière du district forestier de Białowieża, lequel avait été adopté le 9 octobre 2012 (ci-après l’« annexe de 2016 »), aux fins de permettre l’augmentation de l’exploitation du bois dans ce district forestier ainsi que d’effectuer des opérations de gestion forestière active dans des zones dans lesquelles toute intervention était jusque-là exclue, telles que les coupes sanitaires, le reboisement et les coupes de rajeunissement.

26      À la suite de l’adoption de la décision no 51, il a été procédé à l’enlèvement d’arbres secs et d’arbres colonisés par le bostryche typographe dans les trois districts forestiers de Białowieża, de Browsk et de Hajnówka, sur environ 34 000 hectares du site Natura 2000 Puszcza Białowieska.

27      Selon la Commission, plusieurs scientifiques et organisations environnementales estiment que les opérations de gestion forestière mentionnées au point précédent ont des répercussions négatives sur le maintien d’un état de conservation favorable des habitats naturels et des habitats des espèces d’animaux et d’oiseaux pour la conservation desquels le site Natura 2000 Puszcza Białowieska a été désigné. Dans ces conditions, elle a décidé d’introduire la présente demande de mesures provisoires.

 Sur la demande en référé

28      L’article 160, paragraphe 3, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

29      Ainsi, les mesures provisoires ne peuvent être accordées par le juge des référés que s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et que si elles sont urgentes en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts du requérant, qu’elles soient édictées et produisent leurs effets dès avant la décision au principal. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnances du président de la Cour du 24 avril 2008, Commission/Malte, C‑76/08 R, non publiée, EU:C:2008:252, point 21, et du 10 décembre 2009, Commission/Italie, C‑573/08 R, non publiée, EU:C:2009:775, point 11, ainsi que ordonnance du vice-président de la Cour du 3 décembre 2014, Grèce/Commission, C‑431/14 P‑R, EU:C:2014:2418, point 19).

30      Les conditions ainsi posées sont cumulatives, de sorte que les mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une de ces conditions fait défaut (ordonnances du président de la Cour du 24 avril 2008, Commission/Malte, C‑76/08 R, non publiée, EU:C:2008:252, point 22, et du 10 décembre 2009, Commission/Italie, C‑573/08 R, non publiée, EU:C:2009:775, point 12).

 Sur le fumus boni juris

31      S’agissant de la condition relative à l’existence d’un fumus boni juris, il est satisfait à celle-ci dès lors qu’il existe, au stade de la procédure de référé, un différend juridique ou factuel important dont la solution ne s’impose pas d’emblée, de telle sorte que, à première vue, le recours au principal n’est pas dépourvu de fondement sérieux (voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 13 juin 1989, Publishers Association/Commission, 56/89 R, EU:C:1989:238, point 31, et du 8 mai 2003, Commission/Artegodan e.a., C‑39/03 P‑R, EU:C:2003:269, point 40, ainsi que ordonnance du vice-président de la Cour du 3 décembre 2014, Grèce/Commission, C‑431/14 P‑R, EU:C:2014:2418, point 20).

32      En l’occurrence, la Commission soutient que les opérations d’abattage d’arbres, principalement des épicéas, colonisés par le bostryche typographe, d’enlèvement d’arbres morts ou moribonds ou de chandelles et de peuplements forestiers centenaires ainsi que de reboisement sur le site Natura 2000 Puszcza Białowieska, mises en œuvre sur le fondement de l’annexe de 2016 et de la décision no 51 (ci‑après les « opérations de gestion forestière active en cause »), sont contraires au droit de l’Union à plusieurs égards.

33      En premier lieu, l’adoption de l’annexe de 2016 n’aurait pas été conforme à l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats ». En effet, cette annexe aurait constitué un « plan » au sens de cette disposition, de telle sorte que les autorités polonaises, avant de l’adopter, auraient dû s’assurer, conformément aux meilleures connaissances scientifiques en la matière, qu’elle ne portait pas atteinte à l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska. Or, ces autorités n’auraient tenu compte, à aucun moment du processus décisionnel, des avis émis par plusieurs organismes scientifiques, dont elles avaient pourtant connaissance, selon lesquels, en substance, lesdites opérations étaient de nature à causer des préjudices à ce site. En outre, par l’annexe de 2016, les autorités polonaises auraient précisément procédé à des opérations de gestion forestière active dont l’exclusion était jusque-là considérée comme une mesure de conservation dudit site, et cela alors même que l’action du bostryche typographe, à savoir la colonisation des épicéas et sa propagation, ne serait pas considérée comme une menace pour ses habitats protégés.

34      En deuxième lieu, selon la Commission, les opérations de gestion forestière active en cause sont contraires à l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » ainsi qu’à l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive « oiseaux », étant donné qu’elles entravent, voire privent d’effet, les mesures de conservation des habitats naturels visés à l’annexe I de la directive « habitats », dont les tourbières boisées (code Natura 2000 91D 0), les forêts alluviales à saules, peupliers, aulnes et frênes (code Natura 2000 91E0) et les chênaies-charmaies subcontinentales (code Natura 2000 9170), des espèces animales mentionnées à l’annexe II de cette directive, dont les coléoptères saproxyliques tels que le cucujus vermillon (Cucujus cinnaberinus), le Boros schneideri, le bupreste splendide (Buprestis splendens), le Pytho kolwensis, le rhysode silloné (Rhysodes sulcatus) et le phryganophile à cou roux (Phryganophilus ruficollis), et des espèces d’oiseaux visées à l’annexe I de la directive « oiseaux », dont le pic à dos blanc (Dendrocopos leucotos), le pic tridactyle (Picoides tridactylus), la chevêchette (Glaucidium passerinum) et la chouette de Tengmalm (Aegolius funereus) ainsi que, comme la Commission l’a précisé lors de l’audition du 11 septembre 2017, la bondrée apivore, le gobemouche nain, le gobemouche à collier et le pigeon colombin. À cet égard, la Commission fait valoir que l’exécution desdites opérations va à l’encontre des mesures de conservation par ailleurs prévues pour les habitats concernés, ces mesures recommandant précisément d’« exclure toute opération de gestion », d’« exclure des opérations de gestion tous les peuplements d’une espèce composés pour au moins 10 % de spécimens centenaires », de « conserver les arbres morts » ainsi que de « conserver tous les épicéas centenaires morts jusqu’à leur complète minéralisation ».

35      En troisième lieu, selon la Commission, les opérations de gestion forestière active en cause contribuent à la dégradation et à la destruction de l’habitat des populations de coléoptères saproxyliques mentionnés au point précédent et donc à la disparition de spécimens, ce qui constitue un manquement à l’article 12, paragraphe 1, sous a) et d), de la directive « habitats ».

36      Il en irait de même, en quatrième et dernier lieu, pour certaines espèces d’oiseaux mentionnées à l’annexe I de la directive « oiseaux ». En effet, non seulement de telles opérations n’empêcheraient pas, mais elles pourraient même provoquer la destruction ou l’endommagement intentionnels des nids et des œufs des oiseaux concernés, ainsi que la perturbation de ces derniers, notamment durant la période de reproduction, en violation des interdictions énoncées à l’article 5, sous b) et d), de cette directive.

37      La République de Pologne rétorque que la Commission n’est pas parvenue à établir à suffisance de droit que ses griefs sont à première vue fondés. Elle fait observer en particulier que ceux-ci reposent, en réalité, sur des hypothèses et sur des considérations qui ne tiennent pas compte de nombreux avis scientifiques exprimant un point de vue opposé à celui défendu par cette institution.

38      Force est de constater que les arguments invoqués par la Commission n’apparaissent pas, à première vue, comme étant dépourvus de fondement sérieux et qu’il ne saurait donc être exclu que les opérations de gestion forestière active en cause ne respectent pas les exigences de protection découlant des directives « habitats » et « oiseaux ».

39      En effet, s’agissant du premier moyen de recours, il suffit de relever que, d’une part, la République de Pologne, dans le cadre de la présente procédure en référé, n’a pas contesté le fait que les autorités polonaises ne s’étaient pas assurées que, conformément aux meilleures connaissances scientifiques en la matière, les opérations de gestion forestière active en cause ne porteraient pas atteinte à l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska. D’autre part, la circonstance même que les avis scientifiques invoqués par les parties ne soient pas concordants impose au juge des référés, dont l’appréciation est nécessairement sommaire (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 31 juillet 2003, Le Pen/Parlement, C‑208/03 P‑R, EU:C:2003:424, point 97), de ne pas considérer comme dénués de fondement les arguments de la Commission.

40      À cet égard, la Cour a déjà jugé que l’autorisation d’un plan au sens de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » ne peut être octroyée qu’à la condition que les autorités compétentes, une fois identifiés tous les aspects dudit plan ou projet pouvant, par eux-mêmes ou en combinaison avec d’autres plans ou projets, affecter les objectifs de conservation du site concerné, et compte tenu des meilleures connaissances scientifiques en la matière, aient acquis la certitude qu’il est dépourvu d’effets préjudiciables durables à l’intégrité de ce site. Il en est ainsi lorsqu’il ne subsiste aucun doute raisonnable d’un point de vue scientifique quant à l’absence de tels effets (arrêt du 11 avril 2013, Sweetman e.a., C‑258/11, EU:C:2013:220, point 40 ainsi que jurisprudence citée).

41      Quant aux arguments soulevés au soutien des autres moyens de recours, force est de constater que, si la République de Pologne s’efforce de prouver, en réponse à ces arguments, qu’il est urgent de poursuivre les opérations de gestion forestière active en cause, sa démonstration n’est toutefois pas de nature à priver de tout fondement les arguments de la Commission tirés de violations de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 12, paragraphe 1, sous a) et d), de la directive « habitats », ainsi que de l’article 4, paragraphes 1 et 2, et de l’article 5, sous b) et d), de la directive « oiseaux ».

42      Il s’ensuit que, compte tenu également du principe de précaution, qui est l’un des fondements de la politique de protection d’un niveau élevé poursuivie par l’Union européenne dans le domaine de l’environnement, conformément à l’article 191, paragraphe 2, premier alinéa, TFUE, et à la lumière duquel la législation de l’Union sur la protection de l’environnement doit être interprétée (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 10 décembre 2009, Commission/Italie, C‑573/08 R, non publiée, EU:C:2009:775, point 24 et jurisprudence citée), il y a lieu de considérer que le recours au principal ne peut pas être considéré à première vue comme étant dépourvu de fondement sérieux.

 Sur l’urgence

43      Quant à la condition relative à l’urgence, il y a lieu de rappeler que la finalité de la procédure en référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par la Cour. Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire (ordonnances du président de la Cour du 24 avril 2008, Commission/Malte, C‑76/08 R, non publiée, EU:C:2008:252, point 31, et du 10 décembre 2009, Commission/Italie, C‑573/08 R, non publiée, EU:C:2009:775, point 17).

44      C’est à la partie qui se prévaut d’un tel préjudice d’en établir l’existence. S’il n’est pas exigé, à cet égard, une certitude absolue que le dommage se produira, seule une probabilité suffisante qu’il se réalise étant requise, il n’en reste pas moins que le requérant demeure tenu de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un tel dommage (ordonnances du président de la Cour du 24 avril 2008, Commission/Malte, C‑76/08 R, non publiée, EU:C:2008:252, point 32, et du 10 décembre 2009, Commission/Italie, C‑573/08 R, non publiée, EU:C:2009:775, point 18).

45      En l’espèce, la Commission fait valoir que les opérations de gestion forestière active en cause sont susceptibles de causer un préjudice irréparable et grave à l’environnement.

46      En particulier, le préjudice qui résulterait des coupes et de la suppression des arbres sénescents et des bois morts, y compris des arbres moribonds sur pied, serait irréparable, puisque, une fois accomplies ces opérations, il ne serait pas possible de rétablir l’état initial des zones touchées par ces dernières. En outre, la poursuite desdites opérations menacerait de bouleverser en profondeur la structure et les fonctions des peuplements d’arbres touchés dans les habitats concernés, lesquels ne pourraient pas être rétablis dans leur état antérieur par une indemnisation ou d’autres formes de compensation. Ces mêmes opérations auraient donc pour conséquence la métamorphose irréversible d’une forêt naturelle en forêt exploitée, avec un risque de perte d’habitats d’espèces rares.

47      Le préjudice serait également grave en raison du fait que l’annexe de 2016 a prévu que le cubage de bois extrait serait augmenté jusqu’à 188 000 m³ avant l’année 2021, alors qu’il avait été fixé à 63 471 m³ pour l’année 2012. Ensuite, depuis le début de l’année 2017, dans la forêt de Białowieża, les coupes auraient porté au total sur plus de 35 000 m³ de bois, dont plus de 29 000 m³ d’épicéa, et auraient concerné 29 000 arbres. De même, les coupes de peuplements centenaires auraient produit, jusqu’au mois de mai 2017, plus de 10 000 m3 de bois dans les trois districts forestiers de Białowieża, de Browsk et de Hajnówka. En outre, le ministère de l’Environnement aurait lui-même précisé que les opérations de gestion forestière active en cause seront menées sur une superficie de 34 000 hectares dans la forêt de Białowieża. Enfin, ces opérations compromettraient la conservation du caractère primaire et, partant, l’intégrité de l’une des rares forêts naturelles d’Europe dont la préservation serait pourtant primordiale.

48      Afin de contester le caractère urgent des mesures provisoires sollicitées, la République de Pologne rétorque que la Commission elle-même n’a pas fait preuve de diligence dans le traitement de la présente affaire, étant donné qu’elle a laissé s’écouler neuf mois après avoir reçu la réponse à la lettre de mise en demeure avant d’envoyer l’avis motivé. Au demeurant, les opérations de gestion forestière active en cause se dérouleraient dans le site concerné depuis plus de cent ans et rien ne justifierait leur cessation immédiate, cela d’autant plus que le niveau d’exploitation du bois visé dans l’annexe de 2016 serait nettement inférieur aux niveaux précédents.

49      De surcroît, la thèse de la Commission selon laquelle lesdites opérations causeraient un dommage grave et irréparable ne serait pas étayée. Au contraire, la cessation de ces opérations et la propagation du bostryche typographe entraîneraient des effets négatifs substantiels pour l’écosystème de la forêt de Białowieża. Il en résulterait une dégradation considérable et durable de l’état de conservation d’habitats naturels précieux, protégés dans le cadre du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, tels que, notamment, les chênaies-charmaies subcontinentales.

50      En réalité, les opérations de gestion forestière active en cause seraient des mesures de conservation en rapport avec la gestion durable des forêts et seraient d’ailleurs de la même nature que celles pratiquées dans d’autres États membres. De plus, elles seraient limitées à une portion du territoire du site Natura 2000 Puszcza Białowieska et ne concerneraient pas la partie strictement protégée de celui-ci.

51      S’agissant des études scientifiques citées par la Commission, portant sur le caractère préjudiciable desdites opérations, la République de Pologne fait observer que, selon d’autres études sérieuses, c’est précisément l’absence d’intervention contre le bostryche typographe dans la forêt de Białowieża qui rendrait fortement probable la survenance d’un préjudice grave et irréparable pour les habitats naturels et pour les habitats des espèces animales, y compris des oiseaux, pour la conservation desquels le site Natura 2000 Puszcza Białowieska a été désigné. À cet égard, la République de Pologne précise que les avis scientifiques fondés sur les données recueillies dans la forêt de Białowieża font état, dans leur grande majorité, de la nécessité d’intervenir contre le bostryche typographe, alors que les avis en sens contraire s’appuient le plus souvent sur des données provenant d’autres écosystèmes qui ne tiennent, dès lors, pas compte de la grande spécificité et du caractère unique de la forêt de Białowieża.

52      La République de Pologne souligne qu’il a été décidé d’appliquer, dans la forêt de Białowieża, deux mesures alternatives de conservation des habitats. La première de ces mesures, à savoir l’interdiction des opérations actives de protection, notamment de l’abattage des arbres ainsi que de l’enlèvement des arbres morts et scolytés, serait actuellement pratiquée sur une zone étendue de cette forêt. En revanche, la seconde desdites mesures, consistant en la mise en œuvre d’opérations actives de protection, ne s’appliquerait que dans certaines parties des districts forestiers de Białowieża, de Browsk et de Hajnówka. Ainsi, s’agissant plus particulièrement du district forestier de Białowieża, 58 % de la superficie de celui-ci serait exclue, conformément à l’annexe de 2016, de ces opérations, tandis que la part de ce district forestier concernée par lesdites opérations ne représenterait que 5,4 % de la superficie totale du site Natura 2000 Puszcza Białowieska.

53      Enfin, selon la République de Pologne, compte tenu des données concernant la population actuelle du pic à dos blanc (Dendrocopos leucotos), du pic tridactyle (Picoides tridactylus), de la chevêchette (Glaucidium passerinum) et de la chouette de Tengmalm (Aegolius funereus), les éventuels effets négatifs des opérations de gestion forestière active en cause ne constituent pas une menace pour la population de ces espèces. Au demeurant, la tendance actuelle serait même celle d’une augmentation de cette population.

54      À cet égard, dans le cadre de l’appréciation de l’urgence, il y a lieu de rappeler que la procédure en référé n’est pas conçue pour établir la réalité de faits complexes et hautement controversés. Le juge des référés ne dispose pas des moyens nécessaires pour procéder aux vérifications requises et, dans de nombreux cas, il ne serait que difficilement à même d’y avoir procédé en temps utile (ordonnances du président de la Cour du 24 avril 2008, Commission/Malte, C‑76/08 R, non publiée, EU:C:2008:252, point 36, et du 10 décembre 2009, Commission/Italie, C‑573/08 R, non publiée, EU:C:2009:775, point 22).

55      Il convient de rappeler également que le juge des référés doit postuler, aux seules fins de l’appréciation de l’existence d’un préjudice grave et irréparable, que les griefs présentés au fond par le demandeur en référé sont susceptibles d’être accueillis. En effet, le préjudice grave et irréparable dont la survenance probable doit être établie est celui qui résulterait, le cas échéant, du refus d’accorder les mesures provisoires sollicitées dans l’hypothèse où le recours au fond aboutirait par la suite et il doit donc être apprécié en partant de cette prémisse, sans que cela implique une quelconque prise de position par le juge des référés quant au bien-fondé des griefs avancés [voir, en ce sens, ordonnances du vice-président de la Cour du 19 décembre 2013, Commission/Allemagne, C‑426/13 P(R), EU:C:2013:848, points 51 et 52, ainsi que du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 30].

56      Afin d’établir l’urgence, la Commission soutient que les opérations de gestion forestière active en cause, dont la réalisation n’est pas contestée par la République de Pologne, ont des effets négatifs sur les habitats concernés, qui sont, en substance, constitués d’arbres sénescents, moribonds ou morts, scolytés ou pas.

57      Or, de telles opérations consistant précisément en l’enlèvement de ces arbres, il semble effectivement très probable qu’elles aient une incidence sur ces habitats. En témoigne d’ailleurs le fait que l’une des mesures de conservation desdits habitats était, jusqu’à l’adoption de l’annexe de 2016, précisément l’exclusion d’opérations de cette nature dans certaines zones.

58      Au demeurant, la République de Pologne ne conteste pas le fait que les opérations de gestion forestière active sont de nature, d’une part, à altérer, à court terme, des habitats naturels mentionnés à l’annexe I de la directive « habitats », tels que les tourbières boisées (code Natura 2000 91D 0), les forêts alluviales à saules, peupliers, aulnes et frênes (code Natura 2000 91E0) et les chênaies-charmaies subcontinentales (code Natura 2000 9170), ainsi que des espèces animales protégées visées à l’annexe II et à l’annexe IV, sous a), de cette directive, tels que les coléoptères saproxyliques, et, d’autre part, à affecter des espèces d’oiseaux figurant à l’annexe I de la directive « oiseaux », notamment le pic tridactyle (Picoides tridactylus), le pic à dos blanc (Dendrocopos leucotos), la chevêchette (Glaucidium passerinum)et la chouette de Tengmalm (Aegolius funereus).

59      Or, de telles conséquences sont susceptibles de constituer un préjudice grave et irréparable pour les intérêts de l’Union et pour le patrimoine commun. En effet, une fois survenu, le préjudice résultant des coupes et de la suppression des arbres sénescents et des bois morts, y compris des arbres moribonds sur pied, ne pourrait être réparé ultérieurement, dans l’hypothèse où les manquements que la Commission reproche à la République de Pologne seraient constatés, et ce en raison de l’impossibilité manifeste – comme le soutient à juste titre la Commission – de rétablir l’état initial des zones touchées par de telles opérations. En outre, la gravité du préjudice invoqué par la Commission est attestée par le fait que ces opérations, compte tenu également de leur ampleur et de leur intensité, risquent de provoquer, si elles se poursuivent, la métamorphose irréversible, concernant une superficie non négligeable, d’une forêt naturelle en une forêt exploitée, ce qui pourrait conduire à une perte d’habitats d’espèces rares, dont de nombreux coléoptères en voie de disparition et d’oiseaux. Même si les parties ne s’accordent pas sur la question de savoir si la quantité de bois enlevé s’inscrit dans une tendance à la hausse ou à la baisse par rapport à la période antérieure à la modification introduite par l’annexe de 2016, il suffit de relever, aux fins de l’appréciation de la condition de l’urgence dans le cadre de la présente procédure en référé, que, en se limitant à considérer les données fournies par la République de Pologne elle-même dans ses observations écrites, cette quantité pourrait s’élever à 188 000 m3, ce qui représente un niveau important d’exploitation du bois.

60      Par ailleurs, ainsi qu’il a été rappelé au point 42 de la présente ordonnance, la législation de l’Union sur la protection de l’environnement doit être interprétée à la lumière du principe de précaution.

61      Par conséquent, en l’absence, à première vue, d’informations scientifiques de nature à exclure, au-delà de tout doute raisonnable, que les opérations de gestion forestière active en cause produisent d’effets préjudiciables et irréversibles sur les habitats protégés du site Natura 2000 Puszcza Białowieska mentionnés dans le recours de la Commission, il y a lieu de considérer que l’urgence des mesures provisoires demandées par la Commission est établie.

 Sur la mise en balance des intérêts

62      Il convient encore de déterminer, conformément à la jurisprudence rappelée au point 29 de la présente ordonnance, si la mise en balance des intérêts plaide en faveur de l’octroi des mesures provisoires sollicitées ou du rejet de la demande.

63      Selon la Commission, l’intérêt public au maintien d’un état de conservation favorable des habitats naturels et des espèces des forêts naturelles du site Natura 2000 Puszcza Białowieska prévaut sur l’intérêt de la République de Pologne à lutter contre le bostryche typographe, compte tenu notamment du principe de précaution.

64      En effet, tout d’abord, le plan de gestion forestière en vigueur avant la modification introduite par l’annexe de 2016 n’aurait ni reconnu la propagation du bostryche typographe comme étant une menace pour l’état de conservation des habitats dudit site ni considéré que la lutte contre le bostryche typographe au moyen de l’abattage de peuplements d’arbres et de l’enlèvement des épicéas colonisés constituait une mesure de conservation appropriée. Il ressortirait au contraire de ce plan de gestion forestière que, pour les habitats de la chouette de Tengmalm (Aegolius funereus), de la chevêchette (Glaucidium passerinum) et du pic tridactyle (Picoides tridactylus), l’enlèvement des épicéas centenaires colonisés par le bostryche typographe représentait un danger.

65      Ensuite, en l’état actuel des connaissances, les phases de propagation du bostryche typographe devraient être considérées comme faisant partie du cycle naturel des vieilles forêts comprenant des épicéas. Ainsi, selon les études scientifiques, il ne serait pas souhaitable de lutter activement contre la propagation de celui-ci en abattant massivement les arbres colonisés et les arbres secs dans des forêts dont la fonction principale est la préservation et la conservation de la biodiversité. Il ne pourrait en aller différemment que dans les forêts exploitées, où le critère d’appréciation de l’état des forêts est la qualité des peuplements et la valeur commerciale des matières premières qu’ils représentent, le bostryche typographe étant alors un organisme nuisible.

66      Enfin, la Commission souligne que l’attrait récréatif, touristique ou paysager de la forêt de Białowieża n’est en rien compromis par les épisodes de propagation du bostryche typographe.

67      De son côté, la République de Pologne soutient que l’annexe de 2016 n’a été adoptée ni pour des intérêts de nature économique ni à la seule fin de lutter, dans le cadre de la gestion habituelle des ressources forestières, contre le bostryche typographe. Selon cet État membre, cette annexe a seulement pour objet de limiter les risques de dégradation des habitats naturels de la forêt de Białowieża.

68      Alors que les autorités polonaises appliqueraient deux mesures de protection alternatives, l’une active et l’autre passive, la Commission entendrait au contraire uniformiser les modalités de conservation des habitats dans l’ensemble de l’Union, et ce en faveur de la seule mesure de protection passive, quelles que soient les répercussions prévisibles sur l’environnement.

69      En réalité, la cessation des opérations de gestion forestière active en cause risquerait, selon la République de Pologne, de provoquer la destruction d’habitats naturels importants, protégés en vertu du droit de l’Union et du droit polonais, ce qui pourrait causer un préjudice irréparable à l’environnement.

70      À ce titre, sur la base du droit polonais, lequel prévoit une obligation d’indemnisation lorsqu’une forêt est privée de sa nature de terrain forestier, le préjudice à l’environnement résultant de la cessation des opérations de gestion forestière active en cause s’élèverait à 3 240 000 000 zlotys polonais (PLN) (soit environ 757 000 000 euros).

71      La République de Pologne fait observer, en outre, que la cessation de ces opérations risquerait d’entraîner des dommages économiques et sociaux impossibles à quantifier, puisque la population environnante se verrait interdire l’exercice des diverses activités économiques qu’elle pratique actuellement dans la forêt de Białowieża, à savoir, notamment, l’exploitation du sous-étage forestier ou la production de miel.

72      À cet égard, il convient de relever que, sur la base des éléments fournis par les parties, les intérêts à mettre en balance sont, d’une part, la préservation des habitats et des espèces mentionnés au point 1 de la présente ordonnance d’une éventuelle menace constituée par les opérations de gestion forestière active en cause et, d’autre part, l’intérêt à empêcher la dégradation des habitats naturels de la forêt de Białowieża liés à la présence du bostryche typographe.

73      Or, tout d’abord, alors que la Commission invoque de manière fondée l’existence d’un risque de dommage grave et irréparable touchant à plusieurs habitats concernés par ces opérations, la République de Pologne se limite, quant à elle, à affirmer que celles-ci sont nécessaires notamment pour lutter contre le bostryche typographe et, partant, pour assurer la conservation des habitats naturels protégés dans le cadre du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, parmi lesquels elle ne mentionne que celui des chênaies-charmaies subcontinentales.

74      Ensuite, la République de Pologne ne précise pas les raisons pour lesquelles la cessation desdites opérations jusqu’au prononcé de l’arrêt au fond, et donc vraisemblablement pour quelques mois seulement à compter de la date de la présente ordonnance, serait susceptible de causer un dommage grave et irréparable à cet habitat.

75      En outre, la circonstance, évoquée par la République de Pologne, que les opérations de gestion forestière active en cause sont limitées à une portion réduite du site Natura 2000 Puszcza Białowieska ne plaide pas en faveur de la thèse défendue par cet État membre, mais tend, au contraire, à renforcer la position de la Commission selon laquelle la cessation temporaire de ces opérations ne ferait subir aucun dommage grave à ce site.

76      Enfin, alors qu’il est manifeste que les opérations de gestion forestière active en cause ont une incidence directe sur les habitats mentionnés par la Commission, les conséquences d’une cessation de ces opérations sur l’habitat des chênaies-charmaies subcontinentales ne seraient qu’indirectes et dépendraient de la propagation effective du bostryche typographe et du caractère nuisible d’une telle propagation. Étant donné que, comme le maintient la République de Pologne, lesdites opérations relèvent d’une gestion habituelle des ressources forestières, leur cessation pendant une période de quelques mois seulement à compter de la date de la présente ordonnance ne saurait avoir des effets aussi préjudiciables que ceux causés par la poursuite de ces mêmes opérations sur les autres habitats concernés. En tout état de cause, la République de Pologne n’a pas expliqué sur quels éléments elle se fonde pour prétendre que la cessation des opérations de gestion forestière active en cause causerait la destruction de l’habitat des chênaies-charmaies subcontinentales.

77      Au demeurant, afin précisément de réduire le plus possible la durée pendant laquelle les opérations de gestion forestière active en cause cesseraient dans l’attente de l’arrêt sur le fond, et en tenant compte des arguments soulevés par la République de Pologne au regard de l’urgence à statuer sur le recours en manquement, le président de la Cour a non seulement, le 9 août 2017, décidé de faire droit à la demande de la Commission de soumettre l’affaire C‑441/17 à un traitement prioritaire conformément à l’article 53 du règlement de procédure, mais, également, par ordonnance du 11 octobre 2017, décidé d’office de soumettre le traitement de cette affaire à la procédure accélérée prévue à l’article 133, paragraphe 3, dudit règlement de procédure.

78      S’agissant des dommages de nature sociétale invoqués par la République de Pologne, celle-ci ne fournit aucune explication quant aux raisons pour lesquelles la cessation des opérations de gestion forestière active en cause entraînerait « le blocage complet de l’utilisation de la fonction socio-économique du site concerné » et, en particulier, empêcherait la population environnante d’utiliser la forêt de Białowieża à des fins économiques. En tout état de cause, de tels intérêts n’apparaissent pas avoir une valeur supérieure à l’intérêt de la préservation des habitats et des espèces en cause.

79      Par conséquent, en l’absence d’informations circonstanciées portant sur les nuisances susceptibles d’être causées à court terme par le bostryche typographe, il est plus urgent d’éviter la survenance des dommages que la poursuite desdites opérations ferait subir au site protégé.

80      Compte tenu de tout ce qui précède, il convient de faire droit à la demande de mesures provisoires de la Commission, visée au point 1 de la présente ordonnance.

81      Cependant, et conformément à cette demande, il y a lieu d’exclure, à titre exceptionnel, des mesures provisoires ainsi ordonnées les opérations de gestion forestière active en cause lorsque celles-ci sont strictement nécessaires, et dans la mesure où elles sont proportionnées, pour assurer, de manière directe et immédiate, la sécurité publique des personnes, et cela à condition que d’autres mesures moins radicales ne soient pas possibles pour des raisons objectives.

82      Par conséquent, lesdites opérations ne peuvent être poursuivies que dans la seule mesure où elles constituent l’unique moyen de préserver la sécurité publique des personnes aux abords immédiats des voies de communication ou d’autres infrastructures importantes lorsqu’il n’est pas possible de préserver cette sécurité, pour des raisons objectives, par l’adoption d’autres mesures moins radicales telles qu’une signalisation adéquate des dangers ou l’interdiction temporaire, assortie le cas échéant de sanctions appropriées, d’accès du public à ces abords immédiats.

83      À cet égard, la réserve de sécurité publique mentionnée aux points 81 et 82 de la présente ordonnance constituant une dérogation aux mesures provisoires octroyées, il y a lieu de préciser que, d’une part, cette exception doit être interprétée de manière stricte, et ce d’autant plus qu’une telle interprétation assure l’effet utile desdites mesures.

84      D’autre part, il incombe à la République de Pologne de prouver que les conditions visées auxdits points sont réunies dans chaque cas où elle envisage de recourir à cette dérogation, notamment par la prise de photographies avant et après la poursuite des opérations de gestion forestière active en cause. En effet, la charge de la preuve que les circonstances exceptionnelles justifiant une dérogation existent effectivement incombe à la partie qui entend se prévaloir d’une telle dérogation (voir, en ce sens, arrêt du 8 avril 2008, Commission/Italie, C‑337/05, EU:C:2008:203, point 58 et jurisprudence citée).

 Sur la demande de constitution d’une caution

85      La République de Pologne estime que, dans le cas où la demande de la Commission devrait être accueillie, il serait nécessaire de subordonner l’exécution de l’ordonnance de mesures provisoires à la constitution par la Commission, conformément à l’article 162, paragraphe 2, du règlement de procédure, d’une caution à hauteur du montant des dommages pouvant résulter de l’exécution de cette ordonnance, soit 3 240 000 000 PLN, ce montant étant calculé sur la base de la législation polonaise qui prévoit une obligation d’indemnisation lorsque un terrain est privé de sa nature de terrain forestier, ainsi qu’il a été mentionné au point 70 de la présente ordonnance.

86      Il y a lieu de relever à cet égard que la constitution d’une caution, conformément à ladite disposition, ne saurait être envisagée que dans l’hypothèse où la partie à qui elle est imposée s’avérerait être le débiteur de sommes dont la caution doit garantir le paiement et où il y aurait un risque d’insolvabilité dans son chef (ordonnance du 12 juillet 1990, Commission/Allemagne, C‑195/90 R, EU:C:1990:314, point 48).

87      Or, tel ne saurait être le cas dans la présente affaire, puisque, en toute hypothèse, il n’y a pas lieu de s’attendre à ce que l’Union ne soit pas en mesure d’assumer les conséquences d’une condamnation éventuelle à des dommages-intérêts qui serait prononcée contre elle (voir, par analogie, ordonnance du 12 juillet 1990, Commission/Allemagne, C‑195/90 R, EU:C:1990:314, point 49).

88      Il en résulte qu’il n’y a pas lieu de subordonner l’octroi des mesures provisoires demandées à la constitution, par la Commission, d’une caution.

 Sur la demande complémentaire de la Commission tendant à ce que soit ordonné le paiement d’une astreinte

89      Dans sa demande complémentaire du 13 septembre 2017, la Commission allègue que les activités dont la cessation a été provisoirement ordonnée par l’ordonnance du vice-président de la Cour du 27 juillet 2017, Commission/Pologne (C‑441/17 R, non publiée, EU:C:2017:622), se sont poursuivies après la notification de celle-ci à cet État membre, en méconnaissance des mesures provisoires ordonnées. Au soutien de son allégation, la Commission se réfère, en particulier, à un rapport établi par le Centre commun de recherche (JRC) du 6 septembre 2017, basé sur des images satellites du site de Białowieża, ainsi qu’à une étude réalisée par les services de la Commission, fondée sur la comparaison entre des photographies émanant de membres de la société civile polonaise et les données officielles fournies par l’Office des forêts concernant la localisation des habitats naturels et des espèces protégées.

90      Sur la base de ces éléments et sur le fondement de l’article 279 TFUE, la Commission demande qu’il soit ordonné à la République de Pologne de payer une astreinte pour le cas où celle-ci ne respecterait pas les injonctions prononcées dans la présente ordonnance. La Commission ne précise pas le montant de l’astreinte demandée mais suggère, afin de lui permettre de surveiller le respect par la République de Pologne de cette ordonnance et de calculer, le cas échéant, ce montant, que celui-ci soit fixé en tenant compte de la réduction de la surface des arbres dans les habitats protégés.

91      La République de Pologne rétorque, en substance, que ladite demande complémentaire est manifestement irrecevable, étant donné que, contrairement à l’article 260 TFUE, l’article 279 TFUE n’habilite pas expressément la Cour à imposer des astreintes aux États membres et qu’une telle compétence ne saurait être fondée sur une simple interprétation téléologique de cette dernière disposition. En outre, faire droit à cette demande en l’occurrence violerait les droits de la défense de la République de Pologne, celle-ci n’ayant eu la possibilité de faire valoir sa position ni sur la question de savoir si les opérations de gestion forestière active en cause respectent l’exception de sécurité publique reconnue dans l’ordonnance du vice-président de la Cour du 27 juillet 2017 (Commission/Pologne, C‑441/17 R, non publiée, EU:C:2017:622), ni sur le montant de l’astreinte demandée.

92      En tout état de cause, cette demande complémentaire serait non fondée, dès lors que la Commission, afin de conclure au non-respect de ladite ordonnance, s’appuierait, d’une part, sur une lecture erronée de celle-ci, méconnaissant la portée de l’exception de sécurité publique qu’elle prévoit, et, d’autre part, sur des éléments dépourvus de toute valeur probante.

93      À l’audition du 17 octobre 2017, les parties ont en substance réitéré leur argumentation.

94      Afin de statuer sur la demande complémentaire présentée par la Commission, il y a lieu de relever que, comme il a été rappelé au point 43 de la présente ordonnance, la finalité de la procédure en référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par la Cour.

95      Par conséquent, cette procédure a un caractère accessoire par rapport à la procédure principale sur laquelle elle se greffe. Dans ce contexte, la décision du juge des référés doit présenter un caractère provisoire en ce sens qu’elle ne saurait préjuger le sens de la future décision au fond en la privant d’effet utile (voir, en ce sens, ordonnance du 17 mai 1991, CIRFS e.a./Commission, C‑313/90 R, EU:C:1991:220, point 24).

96      Or, dans le système des voies de recours établi par le traité, une partie peut non seulement demander, conformément à l’article 278 TFUE, le sursis à l’exécution de l’acte attaqué dans l’affaire au fond, mais également invoquer l’article 279 TFUE, afin de solliciter l’octroi de mesures provisoires. En vertu de cette dernière disposition, le juge des référés peut notamment adresser, à titre provisoire, les injonctions appropriées à l’autre partie (ordonnance du président de la Cour du 24 avril 2008, Commission/Malte, C‑76/08 R, non publiée, EU:C:2008:252, point 19).

97      L’article 279 TFUE confère dès lors à la Cour la compétence pour prescrire toute mesure provisoire qu’elle juge nécessaire afin de garantir la pleine efficacité de la décision définitive.

98      Certes, il découle de l’article 160, paragraphe 3, du règlement de procédure qu’il appartient au requérant de demander les mesures provisoires qu’il estime nécessaires à cette fin ainsi que d’établir que les conditions requises pour leur octroi sont remplies.

99      Cependant, une fois saisi, le juge des référés doit s’assurer que les mesures qu’il envisage d’ordonner sont suffisamment efficaces pour atteindre leur objectif. C’est précisément à cet effet que l’article 279 TFUE confère audit juge une large marge d’appréciation dans l’exercice de laquelle celui-ci est notamment habilité, au regard des circonstances de chaque espèce, à préciser l’objet et la portée des mesures provisoires demandées ainsi que, s’il l’estime approprié, à adopter, le cas échéant d’office, toute mesure accessoire visant à garantir l’efficacité des mesures provisoires qu’il ordonne.

100    En particulier, le juge des référés doit être en mesure d’assurer l’efficacité d’une injonction adressée à une partie au titre de l’article 279 TFUE, en adoptant toute mesure visant à faire respecter par cette partiel’ordonnance de référé. Une telle mesure peut notamment consister à prévoir l’imposition d’une astreinte pour le cas où ladite injonction ne serait pas respectée par la partie concernée.

101    La République de Pologne considère que seul l’article 260 TFUE habilite la Cour à imposer des sanctions aux États membres. Elle en déduit que, si la Commission estime qu’elle a manqué aux obligations découlant de l’ordonnance du vice-président de la Cour du 27 juillet 2017 (Commission/Pologne, C‑441/17 R, non publiée, EU:C:2017:622), il lui appartient d’introduire au préalable un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, et que ce n’est que dans le cas où la Cour devrait accueillir ce recours et où la République de Pologne n’exécuterait pas la décision de la Cour que la Commission serait alors habilitée à introduire un recours au titre de l’article 260 TFUE.

102    Force est toutefois de constater que, d’une part, une astreinte ne peut pas, dans les circonstances de la présente espèce, être considérée comme étant une sanction et, d’autre part, l’interprétation faite par la République de Pologne du système des voies de recours en droit de l’Union en général et de la procédure en référé en particulier aurait pour effet de réduire considérablement la possibilité pour cette procédure d’atteindre son objectif en cas de non-respect par l’État membre concerné des mesures provisoires ordonnées à son encontre. En effet, le fait de faire respecter par un État membre les mesures provisoires adoptées par le juge des référés, en prévoyant l’imposition d’une astreinte en cas de non-respect de celles-ci, vise à garantir l’application effective du droit de l’Union, laquelle est inhérente à la valeur de l’État de droit consacrée à l’article 2 TUE et sur laquelle l’Union est fondée.

103    Ainsi, s’il est vrai que la portée de la procédure en référé au titre de l’article 279 TFUE est limitée par son caractère accessoire à la procédure au fond et par la nature provisoire des mesures qui peuvent être adoptées à son issue, elle se caractérise néanmoins par l’étendue des prérogatives reconnues au juge des référés afin de permettre à celui‑ci de garantir la pleine efficacité de la décision définitive.

104    À cette fin, s’il estime que les circonstances de l’affaire exigent que des mesures supplémentaires soient prises afin d’assurer l’efficacité des mesures provisoires demandées, le juge des référés est notamment compétent, au titre de l’article 279 TFUE, pour prévoir l’imposition d’une astreinte à un État membre pour le cas où celui-ci ne respecterait pas les mesures provisoires ordonnées.

105    En effet, dès lors que la perspective de l’imposition d’une astreinte en pareil cas contribue à dissuader l’État membre concerné de ne pas respecter les mesures provisoires ordonnées, elle renforce l’efficacité de celles-ci et, par là même, garantit la pleine efficacité de la décision définitive, se plaçant ainsi pleinement dans le cadre de l’objectif de l’article 279 TFUE.

106    S’agissant de l’argument de la République de Pologne selon lequel l’imposition d’une astreinte ne serait pas réversible et sortirait donc du champ d’application de l’article 279 TFUE, il convient de rappeler que la décision du juge des référésprésente un caractère provisoire en ce sens qu’elle ne saurait préjuger le sens de la future décision au fond en la privant d’effet utile.

107    Or, le fait de prévoir l’imposition d’une astreinte dans le seul but d’assurer le respect des mesures provisoires en cause ne préjuge en rien le sens de la future décision au fond.

108    Par conséquent, une mesure accessoire consistant à prévoir l’imposition d’une astreinte en cas de non-respect par l’État membre concerné des mesures provisoires ordonnées relève du champ d’application de l’article 279 TFUE.

109    En l’occurrence, sans qu’il soit nécessaire d’établir à ce stade si, comme le prétend la Commission, la République de Pologne n’a pas respecté l’ordonnance du vice-président de la Cour du 27 juillet 2017, Commission/Pologne(C‑441/17 R, non publiée, EU:C:2017:622), il convient de relever que le dossier contient un faisceau d’indices suffisants pour faire douter la Cour que cet État membre ait respecté cette ordonnance etqu’il soit disposé à respecter la présente ordonnance jusqu’au prononcé de l’arrêt au fond.

110    En effet, la République de Pologne a soutenu qu’une interprétation restrictive de l’exception de sécurité publique prévue par l’ordonnance du vice-président de la Cour du 27 juillet 2017, Commission/Pologne(C‑441/17 R, non publiée, EU:C:2017:622) ne saurait être retenue, et a affirmé de manière générale que cette ordonnance avait été pleinement respectée et que les opérations poursuivies postérieurement à la notification de celle-ci avaient pour seul but d’assurer la sécurité publique.

111    En outre, à l’appui de sa demande complémentaire, la Commission a soumis à la Cour des images satellites mettant en évidence que les opérations de gestion forestière active en cause s’étaient poursuivies dans des portions de terrain forestier où la nécessité, au regard des exigences de sécurité publique, de ne pas cesser de telles opérations ne s’imposait pas avec évidence.

112    Si la République de Pologne dénie toute valeur probante à ces images satellites, celles-ci n’en sont pas moins suffisantes, dans leur ensemble, pour soulever des doutes quant au plein respect par celle-ci de l’ordonnance du vice-président de la Cour du 27 juillet 2017 (Commission/Pologne, C‑441/17 R, non publiée, EU:C:2017:622), ainsi qu’à l’intention de cet État membre de respecter la présente ordonnance en ce qui concerne notamment l’interprétation de l’exception de sécurité publique prévue par celle-ci. À cet égard, la circonstance que la République de Pologne ait confié l’appréciation des exigences tenant à la sécurité publique à un comité indépendant constitué ad hoc ne saurait libérer cet État membre de sa responsabilité d’assurer le respect des limites de cette exception.

113    Dans ces conditions, le risque ne saurait être exclu que, si la présente ordonnance devait se borner à confirmer les mesures ordonnées par l’ordonnance du vice-président de la Cour du 27 juillet 2017, Commission/Pologne (C‑441/17 R, non publiée, EU:C:2017:622), son efficacité demeure limitée.

114    Eu égard aux circonstances particulières de la présente espèce, il apparaît dès lors nécessaire, après avoir, aux points 81 et 82 de la présente ordonnance, précisé, comme l’a demandé la Commission lors des auditions des 11 septembre 2017 et 17 octobre 2017, la portée de l’exception de sécurité publique, de renforcer l’efficacité des mesures provisoires ordonnées par la présente ordonnance, en prévoyant l’imposition d’une astreinte dans le cas où la République de Pologne ne devrait pas immédiatement et pleinement respecter lesdites mesures provisoires, aux fins de dissuader cet État membre de retarder la mise en conformité de son comportement avec la présente ordonnance.

115    Ainsi, à cette fin, il y a lieu d’ordonner à la République de Pologne de communiquer à la Commission, au plus tard quinze joursaprès la notification de la présente ordonnance, toutes les mesures qu’elle aura adoptées afin de la respecter pleinement, y compris la suspension, en ce qui concerne la forêt en cause, des actes mentionnés aux points 25 et 26 de la présente ordonnance, en précisant, de manière motivée, les opérations de gestion forestière active en cause qu’elle prévoit de poursuivre en raison de leur nécessité pour assurer la sécurité publique conformément aux points 81 et 82 de la présente ordonnance.

116    Si la Commission devait considérer que la République de Pologne n’a pas pleinement respecté la présente ordonnance, elle pourra demander que laprocédure soit reprise. Au soutien d’une telle demande,il appartiendra, le cas échéant, à la Commission de prouver que la République de Pologne n’a pas cessé les opérations de gestion forestière active en cause et, si la preuve en est rapportée, à cet État membre d’établir que la poursuite de ces opérations se justifie au regard de leur nécessité pour assurer la sécurité publique conformément aux points 81 et 82 de la présente ordonnance. La Cour statuera, par une nouvelle ordonnance, sur la violation éventuelle de la présente ordonnance.

117    À cet égard, il convient de considérer, tout d’abord, que la présente ordonnance confirme des mesures provisoires déjà ordonnées par l’ordonnance du vice-président de la Cour du 27 juillet 2017, Commission/Pologne (C‑441/17 R, non publiée, EU:C:2017:622), et s’inscrit dans une procédure portant sur des mesures provisoires dont le respect est nécessaire pour éviter un dommage grave et irréparable au site en question et dont l’octroi a été décidé sur la base notamment d’une mise en balance des intérêts en présence. Ensuite, le comportement exigé de la République de Pologne consiste en la cessationdes opérations de gestion forestière active en cause, de sorte que le caractère efficace de ces mesures provisoires est lié à leur exécution immédiate. Enfin, à supposer même que l’exécution de la présente ordonnance donne lieu à des doutes d’interprétation de la part de la République de Pologne, ceux-ci devraient être résolus en accord avec la Commission dans le respect du devoir général de coopération loyale.

118    Si la violation devait être constatée, la Cour ordonnera à la République de Pologne de payer à la Commission une astreinte d’au moins 100 000 euros par jour, et cela à partir du jour de la notification de la présente ordonnance à la République de Pologne et jusqu’à ce que cet État membre respecte celle-ci ou jusqu’au prononcé de l’arrêt qui mettra fin à l’affaire C‑441/17.

119    Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de réserver la décision sur la demande complémentaire de la Commission.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) ordonne :

1)      La République de Pologne cesse, immédiatement et jusqu’au prononcé de l’arrêt qui mettra fin à l’affaire C441/17,

–        les opérations de gestion forestière active dans des habitats 91D 0 – tourbières boisées – et 91E0 – forêts alluviales à saules, peupliers, aulnes et frênes –, et dans les peuplements forestiers centenaires de l’habitat 9170 – chênaies-charmaies subcontinentales, ainsi que dans les habitats du pic à dos blanc (Dendrocopos leucotos), du pic tridactyle (Picoides tridactylus), de la chevêchette (Glaucidium passerinum), de la chouette de Tengmalm (Aegolius funereus), de la bondrée apivore (Pernis apivorus), du gobemouche nain (Ficedula parva), du gobemouche à collier (Ficedula albicollis) et du pigeon colombin (Colomba oenas)et dans les habitats des coléoptères saproxyliques – le cucujus vermillon (Cucujus cinnaberinus), le Boros schneideri, le phryganophile à cou roux (Phryganophilus ruficollis), le Pytho kolwensis, le rhysode silloné (Rhysodes sulcatus) et le bupreste splendide (Buprestis splendens), et

–        l’enlèvement d’épicéas centenaires morts ainsi que l’abattage d’arbres dans le cadre de l’augmentation du volume de bois exploitable sur le site PLC200004 Puszcza Białowieska (Pologne),

ces mesures découlant de la décision du ministre de l’Environnement de la République de Pologne du 25 mars 2016 et de l’article 1er, points 2 et 3, de la décision no 51 du directeur général des Lasy Państwowe (Office des forêts, Pologne), du 17 février 2017.

2)      À titre exceptionnel, la République de Pologne peut poursuivre les mesures mentionnées au point 1 du dispositif de la présente ordonnance, lorsque celles-ci sont strictement nécessaires, et dans la mesure où elles sont proportionnées, pour assurer, de manière directe et immédiate, la sécurité publique des personnes, et cela à condition que d’autres mesures moins radicales ne soient pas possibles pour des raisons objectives.

Par conséquent, lesdites opérations ne peuvent être poursuivies que dans la seule mesure où elles constituent l’unique moyen de préserver la sécurité publique des personnes aux abords immédiats des voies de communication ou d’autres infrastructures importantes lorsqu’il n’est pas possible de préserver cette sécurité, pour des raisons objectives, par l’adoption d’autres mesures moins radicales telles qu’une signalisation adéquate des dangers ou l’interdiction temporaire, assortie le cas échéant de sanctions appropriées, d’accès du public à ces abords immédiats.

3)      La République de Pologne communique à la Commission européenne, au plus tard quinze joursaprès la notification de la présente ordonnance, toutes les mesures qu’elle aura adoptées afin de la respecter pleinement, en précisant, de manière motivée, les opérations de gestion forestière active qu’elle prévoit de poursuivre en raison de leur nécessité pour assurer la sécurité publique conformément aux points 81 et 82 de la présente ordonnance.

4)      La décision sur la demande complémentaire de la Commission européenneest réservée.

5)      Les dépens sont réservés.

Signatures


*      Langue de procédure : le polonais.