Language of document : ECLI:EU:C:2017:881

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

22 novembre 2017 (*)

« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Sixième directive 77/388/CEE – Article 4, paragraphe 3, sous a), et article 13, B, sous g) – Exonération des livraisons de bâtiments et du sol y attenant autres que ceux visés à l’article 4, paragraphe 3, sous a) – Principe d’interdiction de pratiques abusives – Applicabilité en l’absence de dispositions nationales transposant ce principe – Principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime »

Dans l’affaire C‑251/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Supreme Court (Cour suprême, Irlande), par décision du 21 avril 2016, parvenue à la Cour le 2 mai 2016, dans la procédure

Edward Cussens,

John Jennings,

Vincent Kingston

contre

T. G. Brosnan,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. T. von Danwitz (rapporteur), président de chambre, MM. C. Vajda, E. Juhász, Mme K. Jürimäe et M. C. Lycourgos, juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 27 avril 2017,

considérant les observations présentées :

–        pour MM. Cussens, Jennings et Kingston, par MM. D. Lynch et J. O’Malley, solicitors, ainsi que par M. B. Murray, SC, et M. F. Mitchell, barrister,

–        pour l’Irlande, par Mmes E. Creedon et J. Quaney, ainsi que par M. A. Joyce, en qualité d’agents, assistés de M. N. Travers, SC,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme G. Galluzzo, avvocato dello Stato,

–        pour la Commission européenne, par Mme M. Owsiany-Hornung et M. R. Lyal, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 septembre 2017,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1, ci-après la « sixième directive »), ainsi que sur le principe d’interdiction de pratiques abusives en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant MM. Edward Cussens, John Jennings et Vincent Kingston à M. T. G. Brosnan, Inspector of Taxes (inspecteur des impôts, Irlande), en tant que représentant de l’Office of the Revenue Commissioners (bureau des commissaires aux recettes, Irlande) (ci-après l’« administration fiscale »), au sujet du recouvrement de la TVA afférente aux ventes de biens immobiliers.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Conformément à l’article 2, point 1, de la sixième directive, sont soumises à la TVA « les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel ». 

4        L’article 4, paragraphe 3, de cette directive dispose :

« Les États membres ont la faculté de considérer également comme assujetti quiconque effectue, à titre occasionnel, une opération relevant des activités visées au paragraphe 2 et notamment une seule des opérations suivantes :

a)      la livraison d’un bâtiment ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant, effectuée avant sa première occupation ; les États membres peuvent définir les modalités d’application de ce critère aux transformations d’immeubles, ainsi que la notion de sol y attenant.

Les États membres ont la faculté d’appliquer d’autres critères que celui de la première occupation, tels que celui du délai écoulé entre la date d’achèvement de l’immeuble et celle de la première livraison, ou celui du délai écoulé entre la date de la première occupation et celle de la livraison ultérieure, pour autant que ces délais ne dépassent pas respectivement cinq et deux ans.

Est considérée comme bâtiment toute construction incorporée au sol ;

[...] »

5        L’article 13, B, sous g), de la sixième directive énonce :

« Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels :

[...]

g)      les livraisons de bâtiments ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant autres que ceux visés à l’article 4 paragraphe 3 sous a) ».

6        L’article 94 du règlement de procédure de la Cour dispose :

« Outre le texte des questions posées à la Cour à titre préjudiciel, la demande de décision préjudicielle contient :

a)      un exposé sommaire de l’objet du litige ainsi que des faits pertinents, tels qu’ils ont été constatés par la juridiction de renvoi ou, à tout le moins, un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées ;

b)      la teneur des dispositions nationales susceptibles de s’appliquer en l’espèce et, le cas échéant, la jurisprudence nationale pertinente ;

c)      l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal. »

 Le droit irlandais

7        Le Value Added Tax Act 1972 (loi de 1972 relative à la taxe sur la valeur ajoutée), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi sur la TVA »), dispose à son article 4, paragraphes 1, 2 et 4 :

« (1) (a)      Le présent article s’applique aux biens immeubles

(i)      qui ont été construits par la personne livrant ceux-ci ou pour son compte [...]

[...]

b)      Dans le présent article, le terme “droit” en relation avec des biens immeubles signifie un droit sur ces biens qui, à sa création, a été prévu pour une période d’au moins dix ans [...] et une référence à la cession d’un droit inclut une référence à la création d’un droit [...]

[...]

(2)      [...] [U]ne livraison de biens immeubles est réputée, pour l’application de la présente loi, avoir lieu si, et seulement si, une personne ayant un droit sur des biens immeubles auxquels le présent article s’applique cède (y compris au moyen d’une renonciation ou d’un transfert), pour tout ou partie de ces biens, ce droit ou un droit qui en découle.

[...]

(4)      Lorsqu’une personne ayant un droit sur des biens immeubles auxquels le présent article s’applique cède, pour tout ou partie de ces biens, un droit qui découle de ce droit dans des circonstances dans lesquelles elle conserve le droit de retour sur le droit cédé, elle est réputée, concernant le droit de retour conservé, [...] s’être appropriée les biens ou une partie de ceux-ci, selon le cas, pour un besoin autre que les besoins de son entreprise. »

8        L’article 4, paragraphe 6, sous a), de cette loi dispose que n’est pas soumise à la TVA, notamment, la livraison de biens immeubles :

« à l’égard de laquelle n’était pas né et n’aurait pas été né [...] un droit à déduction, au titre de l’article 12, en faveur de la personne effectuant la livraison, de toute TVA supportée ou payée sur la livraison ou la construction des biens [...] »

9        L’article 4, paragraphe 9, de ladite loi énonce :

« Lorsque la cession d’un droit sur des biens immeubles est imposable à la TVA et lorsque ces biens n’ont pas été construits depuis la date de la cession de ce droit (ci-après, dans ce paragraphe, le “droit imposable”), toute cession d’un droit sur ces biens après cette date par une personne autre que la personne qui a acquis le droit imposable sera réputée, aux fins de la présente loi, être une livraison de biens immeubles à laquelle l’article 4, paragraphe 6, s’applique. »

10      L’article 10, paragraphe 9, de la loi sur la TVA porte sur l’évaluation du montant soumis à la TVA en ce qui concerne les livraisons de biens immeubles et les prestations de services consistant en la construction de biens immeubles. Cet article 10, paragraphe 9, sous a) et b), prévoit :

« (a)      [...] [L]a valeur de tout droit sur le bien qui est cédé en relation avec la livraison est incluse dans le prix.

(b)      La valeur de tout droit sur des biens immeubles est le prix normal de marché de ce droit. [...] »

11      Conformément à l’article 19, paragraphe 2, sous b), du Value Added Tax Regulations 1979 (décret de 1979 relatif à la taxe sur la valeur ajoutée), qui met en œuvre ledit article 10, paragraphe 9, il n’est pas tenu compte de la valeur du droit de retour conservé par un cédant lors de la cession d’un droit découlant d’un droit sur des biens immeubles, si, aux termes du contrat de cession, le droit est cédé pour une durée de 20 ans ou plus.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

12      Les requérants au principal étaient copropriétaires d’une zone de développement située dans la ville de Baltimore, en Irlande, sur laquelle ils ont construit quinze résidences de vacances destinées à la vente.

13      Avant de procéder à ces ventes, ils ont réalisé, aux mois de mars et d’avril 2002, plusieurs opérations avec une société qui leur est liée, à savoir Shamrock Estates Limited. Le 8 mars 2002, ils ont conclu deux contrats de bail avec cette société, à savoir, d’une part, un contrat de bail par lequel ils lui ont donné en location lesdits biens immobiliers pour une durée de 20 ans et un mois à compter de cette date (ci-après le « bail de longue durée ») et, d’autre part, un contrat de bail prévoyant la relocation, par Shamrock Estates, de ces mêmes biens immobiliers aux requérants au principal pour une durée de deux ans.

14      Le 3 avril 2002, ces deux contrats de bail ont pris fin en raison d’une renonciation mutuelle de chacun des locataires, de sorte que les requérants au principal ont récupéré la pleine propriété des biens immobiliers en cause au principal.

15      Au mois de mai 2002, les requérants au principal ont vendu tous les biens immobiliers à des tiers, qui en ont acquis la pleine propriété.

16      Il ressort de la décision de renvoi que, en application de l’article 4, paragraphe 9, de la loi sur la TVA, aucune TVA n’était due sur ces ventes, dès lors que les biens immobiliers en cause au principal avaient auparavant fait l’objet d’une première livraison soumise à la TVA dans le cadre du bail de longue durée. Selon la réglementation nationale en cause au principal, seul le bail de longue durée était soumis à la TVA.

17      Par avis d’imposition du 27 août 2004, l’administration fiscale a demandé aux requérants au principal un paiement de TVA supplémentaire au titre des ventes des biens immobiliers réalisées au mois de mai 2002. Cette administration a, en effet, considéré que les contrats de bail en cause au principal, prévoyant la location et la relocation de ces biens immobiliers, constituaient une première livraison artificiellement créée afin d’éviter un assujettissement des ventes ultérieures, livraison dont il n’y avait donc pas lieu de tenir compte aux fins de la détermination de la TVA.

18      Les requérants au principal ont introduit un recours contre les avis d’imposition du 27 août 2004 devant un Appeal Commissioner (commissaire des recours, Irlande), qui a été rejeté.

19      Le Circuit Court de Cork (tribunal itinérant de Cork, Irlande) ayant rejeté le recours intenté par les requérants au principal contre la décision de rejet de l’Appeal Commissioner (commissaire des recours), cette juridiction a néanmoins, à la demande de ces derniers, déféré certaines questions de droit à la High Court (Haute Cour, Irlande), en se fondant sur la constatation selon laquelle les contrats de bail en cause au principal n’avaient aucune réalité commerciale et avaient été conclus afin de réduire le montant de la TVA dû dans le cadre de la vente des biens immobiliers en cause au principal.

20      En réponse à ces questions, la High Court (Haute Cour) a dit pour droit que lesdits contrats de bail n’ayant eu aucune réalité commerciale, ils étaient constitutifs d’une pratique abusive conformément à l’arrêt du 21 février 2006, Halifax e.a. (C‑255/02, ci-après l’« arrêt Halifax », EU:C:2006:121). En outre, elle a considéré que le principe d’interdiction de pratiques abusives, tel qu’il ressort de la jurisprudence issue de l’arrêt Halifax, est d’application générale et exige que les juridictions nationales requalifient des mesures abusives conformément à la réalité, même en l’absence d’une législation nationale transposant ce principe.

21      Les requérants au principal ont formé un recours contre la décision de la High Court (Haute Cour) devant la Supreme Court (Cour suprême, Irlande). Ils soutiennent que, en l’absence de règle nationale transposant le principe d’interdiction de pratiques abusives, ce principe ne peut leur être opposé afin d’écarter leur droit à l’exonération des ventes des biens immobiliers en cause au principal résultant de l’article 4, paragraphe 9, de la loi sur la TVA. Une telle application dudit principe porterait atteinte aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.

22      Ils font également valoir que les opérations en cause au principal ne sont pas constitutives d’un abus de droit au sens de la jurisprudence de la Cour résultant de l’arrêt Halifax au motif que, selon eux, ces opérations n’ont pas formellement respecté les dispositions de la sixième directive ou des dispositions nationales transposant cette directive, lesdites opérations étant fondées sur l’article 4, paragraphe 9, de la loi sur la TVA qui est, toujours selon eux, incompatible avec ladite directive. En outre, le but poursuivi par ces mêmes opérations, consistant en la cession des biens immobiliers en cause au principal d’une manière fiscalement efficace, ne serait pas contraire aux objectifs de la sixième directive. L’administration fiscale s’oppose à leur argumentation.

23      La juridiction de renvoi relève qu’elle est liée par les constatations du Circuit Court de Cork (tribunal itinérant de Cork) énoncées au point 19 du présent arrêt. Elle précise que, dans le cadre de la procédure au principal, l’administration fiscale n’a pas soutenu que les requérants au principal ont commis une fraude et n’a pas non plus démontré l’existence de règles nationales qui lui imposeraient d’ignorer des opérations constitutives d’une pratique abusive.

24      Dans ces conditions, la Supreme Court (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Le principe de l’abus de droit, tel qu’affirmé dans l’arrêt [Halifax] comme étant applicable en matière de TVA, est-il d’effet direct à l’encontre d’un particulier en l’absence d’une mesure nationale, que ce soit législative ou judiciaire, donnant effet à ce principe, lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, la requalification des transactions antérieures aux ventes et des ventes aux acheteurs (ci-après dénommées collectivement les “transactions des requérants”), telle que préconisée par [l’administration fiscale], ferait naître un assujettissement des requérants à la TVA, alors que, selon une application correcte des dispositions de la législation nationale en vigueur à l’époque aux transactions des requérants, un tel assujettissement n’avait pas eu lieu ?

2)      S’il est répondu à la première question que le principe de l’abus de droit est directement applicable à un particulier, même en l’absence d’une mesure nationale, que ce soit législative ou judiciaire, donnant effet à ce principe, ledit principe était-il suffisamment clair et précis pour être appliqué aux transactions des requérants qui avaient été réalisées avant que ne soit rendu l’arrêt Halifax, et notamment au regard des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime des requérants ?

3)      Si le principe de l’abus de droit s’applique aux transactions des requérants de sorte qu’elles doivent être requalifiées,

a)      quel est le mécanisme juridique par lequel la TVA due sur les transactions des requérants est évaluée et prélevée, étant donné qu’aucune TVA n’est due, déterminable ou perceptible conformément au droit national, et

b)      comment les juridictions nationales peuvent-elles imposer un tel assujettissement ?

4)      Pour déterminer si le but essentiel des transactions des requérants était d’obtenir un avantage fiscal, la juridiction nationale doit-elle prendre en compte les transactions antérieures aux ventes (qui, comme il a été jugé, n’ont été effectuées que pour des raisons fiscales) de façon isolée, ou faut-il prendre en compte le but d’ensemble des transactions des requérants ?

5)      L’article 4, paragraphe 9, de la loi sur la TVA doit-il être traité comme une législation nationale transposant la sixième directive, malgré le fait qu’il est incompatible avec la disposition législative contenue à l’article 4, paragraphe 3, de la sixième directive qui, interprétée correctement, conduirait à traiter les requérants, en ce qui concerne la livraison avant la première occupation des biens immobiliers, comme des assujettis, alors qu’une cession antérieure soumise à TVA avait déjà eu lieu ?

6)      Si l’article 4, paragraphe 9, [de la loi sur la TVA] est incompatible avec la sixième directive, les requérants qui s’appuient sur cette disposition, ont-ils commis un abus de droit contraire aux principes affirmés dans l’arrêt Halifax ?

7)      À titre subsidiaire, si l’article 4, paragraphe 9, [de la loi sur la TVA] n’est pas incompatible avec la sixième directive, les requérants ont-ils obtenu un avantage fiscal contraire à l’objectif de cette directive et/ou de l’article 4 ?

8)      Même si l’article 4, paragraphe 9, de la loi sur la TVA ne doit pas être traité comme transposant la sixième directive, le principe de l’abus de droit tel qu’établi par l’arrêt Halifax s’applique-t-il néanmoins aux transactions en cause par référence aux critères fixés par la Cour dans l’arrêt Halifax ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur les première et deuxième questions

25      Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe d’interdiction de pratiques abusives doit être interprété en ce sens qu’il peut, indépendamment d’une mesure nationale lui donnant effet dans l’ordre juridique interne, être directement appliqué afin de refuser d’exonérer de la TVA des ventes de biens immeubles, telles que celles en cause au principal. Les opérations en cause au principal ayant été réalisées avant que ne soit rendu l’arrêt Halifax, cette juridiction s’interroge également sur le point de savoir si une telle application du principe d’interdiction de pratiques abusives à ces opérations est conforme aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime et, notamment, si ledit principe peut être considéré comme ayant un contenu suffisamment clair et précis.

26      À titre liminaire, il convient de constater que ces questions sont formulées dans des termes qui évoquent la jurisprudence relative à l’effet direct des directives. Selon cette jurisprudence, les dispositions d’une directive apparaissant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises peuvent être directement invoquées à l’encontre de l’État, mais ne peuvent pas par elles-mêmes créer d’obligations dans le chef d’un particulier et ne peuvent donc être invoquées en tant que telles à l’encontre d’une telle personne devant une juridiction nationale (voir en ce sens, notamment, arrêt du 12 décembre 2013, Portgás, C‑425/12, EU:C:2013:829, points 18 et 22 ainsi que jurisprudence citée). Ainsi, les obligations découlant d’une directive doivent être transposées dans le droit national pour pouvoir être directement invoquées à l’encontre d’un particulier.

27      En revanche, il importe de relever que le principe d’interdiction de pratiques abusives, tel qu’appliqué en matière de TVA par la jurisprudence issue de l’arrêt Halifax, ne constitue pas une règle établie par une directive, mais trouve son fondement dans la jurisprudence constante, citée aux points 68 et 69 de cet arrêt, selon laquelle, d’une part, les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes du droit de l’Union (voir, notamment, arrêts du 12 mai 1998, Kefalas e.a., C‑367/96, EU:C:1998:222, point 20 ; du 23 mars 2000, Diamantis, C‑373/97, EU:C:2000:150, point 33, ainsi que du 3 mars 2005, Fini H, C‑32/03, EU:C:2005:128, point 32) et, d’autre part, l’application de la réglementation de l’Union ne saurait être étendue jusqu’à couvrir les pratiques abusives d’opérateurs économiques (voir en ce sens, notamment, arrêts du 11 octobre 1977, Cremer, 125/76, EU:C:1977:148, point 21 ; du 3 mars 1993, General Milk Products, C‑8/92, EU:C:1993:82, point 21, et du 14 décembre 2000, Emsland-Stärke, C‑110/99, EU:C:2000:695, point 51).

28      Si la Cour a jugé, aux points 70 et 71 de l’arrêt Halifax, que le principe d’interdiction de pratiques abusives s’applique également au domaine de la TVA, en soulignant que la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels est un objectif reconnu et encouragé par la sixième directive, il n’en découle pas que l’application de ce principe dans ce domaine soit soumise à une exigence de transposition, comme le sont les dispositions de cette directive.

29      En outre, il convient de souligner, d’une part, que la jurisprudence citée au point 27 du présent arrêt a été rendue dans diverses matières du droit de l’Union, telles que, notamment, le droit des sociétés (arrêts du 12 mai 1998, Kefalas e.a., C‑367/96, EU:C:1998:222, ainsi que du 23 mars 2000, Diamantis, C‑373/97, EU:C:2000:150), la politique agricole commune (arrêts 11 octobre 1977, Cremer, 125/76, EU:C:1977:148 ; du 3 mars 1993, General Milk Products, C‑8/92, EU:C:1993:82, et du 14 décembre 2000, Emsland-Stärke, C‑110/99, EU:C:2000:695) et le domaine de la TVA (arrêt du 3 mars 2005, Fini H, C‑32/03, EU:C:2005:128).

30      Il ressort, d’autre part, de la jurisprudence de la Cour que l’application du principe d’interdiction de pratiques abusives aux droits et aux avantages prévus par le droit de l’Union se fait indépendamment du point de savoir si ces droits et avantages trouvent leur fondement dans les traités (voir, en ce qui concerne les libertés fondamentales, notamment arrêts du 3 décembre 1974, van Binsbergen, 33/74, EU:C:1974:131, point 13, et du 9 mars 1999, Centros, C‑212/97, EU:C:1999:126, point 24), dans un règlement (arrêts du 6 avril 2006, Agip Petroli, C‑456/04, EU:C:2006:241, points 19 et 20, ainsi que du 13 mars 2014, SICES e.a., C‑155/13, EU:C:2014:145, points 29 et 30) ou dans une directive (voir, en matière de TVA, notamment arrêts du 3 mars 2005, Fini H, C‑32/03, EU:C:2005:128, point 32 ; Halifax, points 68 et 69, ainsi que du 13 mars 2014, FIRIN, C‑107/13, EU:C:2014:151, point 40). Il apparait ainsi que ce principe n’est pas de même nature que les droits et les avantages auxquels il s’applique.

31      Le principe d’interdiction de pratiques abusives, tel qu’appliqué au domaine de la TVA par la jurisprudence issue de l’arrêt Halifax, présente, ainsi, le caractère général qui est, par nature, inhérent aux principes généraux du droit de l’Union (voir, par analogie, arrêt du 15 octobre 2009, Audiolux e.a., C‑101/08, EU:C:2009:626, point 50).

32      Il y a encore lieu d’ajouter que, selon la jurisprudence de la Cour, le refus d’un droit ou d’un avantage en raison de faits abusifs ou frauduleux n’est que la simple conséquence de la constatation selon laquelle, en cas de fraude ou d’abus de droit, les conditions objectives requises aux fins de l’obtention de l’avantage recherché ne sont, en réalité, pas satisfaites et que, dès lors, un tel refus ne nécessite pas de base légale spécifique (voir, en sens, arrêts du 14 décembre 2000, Emsland-Stärke, C‑110/99, EU:C:2000:695, point 56 ; Halifax, point 93 et du 4 juin 2009, Pometon, C‑158/08, EU:C:2009:349, point 28).

33      Partant, le principe d’interdiction de pratiques abusives peut être opposé à un assujetti pour lui refuser le bénéfice, notamment, du droit à exonération de la TVA, même en l’absence de dispositions du droit national prévoyant un tel refus (voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2014, Schoenimport «Italmoda» Mariano Previti e.a., C‑131/13, C‑163/13 et C‑164/13, EU:C:2014:2455, point 62).

34      Contrairement à ce que soutiennent les requérants au principal, la circonstance selon laquelle la situation ayant donné lieu à l’arrêt cité au point précédent concernait des cas de fraude ne permet pas de conclure que cette jurisprudence serait uniquement applicable à de tels cas, et non pas à des cas d’abus. En effet, ainsi qu’il ressort notamment des points 56 et 57 de l’arrêt du 18 décembre 2014, Schoenimport «Italmoda» Mariano Previti e.a. (C‑131/13, C‑163/13 et C‑164/13, EU:C:2014:2455), pour arriver au constat énoncé au point précédent, la Cour s’est, notamment, fondée sur sa jurisprudence constante, rappelée aux points 27 et 32 du présent arrêt, qui vise tant des cas de fraude que des situations impliquant des pratiques abusives.

35      La jurisprudence que les requérants au principal invoquent dans leurs observations écrites soumises à la Cour ne saurait pas non plus mettre en cause la conclusion figurant au point 33 du présent arrêt.

36      En effet, si la Cour a jugé, aux points 87, 90 et 91 de l’arrêt Halifax, que, en l’absence de disposition de la sixième directive portant sur la question du recouvrement de la TVA, il appartient aux États membres de déterminer les conditions dans lesquelles la TVA peut être recouvrée a posteriori par le Trésor public lorsque l’existence d’une pratique abusive a été constatée, elle a, toutefois, statué non pas sur les conditions d’application du principe d’interdiction de pratiques abusives, mais uniquement sur les modalités procédurales du recouvrement de la TVA auquel les autorités nationales sont tenues de procéder après avoir constaté, conformément à ce principe, l’existence d’une pratique abusive.

37      Les arrêts du 13 février 2014, Maks Pen (C‑18/13, EU:C:2014:69), et du 12 février 2015, Surgicare (C‑662/13, EU:C:2015:89), que les requérants au principal invoquent dans ce même contexte, concernent également, tout comme la jurisprudence issue de l’arrêt Halifax citée au point précédent, les modalités procédurales relatives à la mise en œuvre dudit principe, ayant trait à la faculté ou à l’obligation, pour le juge national, de contrôler d’office l’existence d’une fraude fiscale (arrêt du 13 février 2014, Maks Pen, C‑18/13, EU:C:2014:69, point 39) et à la possibilité de soumettre l’application des règles nationales de lutte contre l’abus de droit et la fraude à une procédure préalable caractérisée, notamment, par l’audition de la personne concernée (arrêt du 12 février 2015, Surgicare, C‑662/13, EU:C:2015:89, point 34).

38      S’agissant, enfin, de l’arrêt du 5 juillet 2007, Kofoed (C‑321/05, EU:C:2007:408), il ressort des points 38 et 48 de cet arrêt que la Cour s’est prononcée non pas sur les conditions d’application du principe d’interdiction de pratiques abusives, mais sur celles d’une disposition spécifique contenue dans une directive et permettant aux États membres de refuser l’exonération prévue par cette directive, lorsque l’opération concernée a comme objectif principal, ou comme l’un de ses objectifs principaux, la fraude ou l’évasion fiscale. Si la Cour a, au point 48 dudit arrêt, mis l’accent sur l’existence de règles du droit interne portant sur l’abus de droit, la fraude ou l’évasion fiscale qui peuvent faire l’objet d’une interprétation conforme, cette jurisprudence concerne ladite disposition du droit secondaire et n’est donc pas applicable au principe général d’interdiction de pratiques abusives.

39      La juridiction de renvoi s’interroge également sur la conformité, avec les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, d’une application du principe d’interdiction de pratiques abusives, tel qu’il ressort de l’arrêt Halifax, aux opérations en cause au principal réalisées avant que ne soit rendu cet arrêt.

40      Or, une telle application du droit de l’Union est conforme aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime (voir en ce sens, notamment, arrêts du 22 janvier 2015, Balazs, C‑401/13 et C‑432/13, EU:C:2015:26, points 49 et 50 ainsi que jurisprudence citée, et du 19 avril 2016, DI, C‑441/14, EU:C:2016:278, points 38 à 40).

41      En effet, l’interprétation que la Cour donne du droit de l’Union, dans l’exercice de la compétence que lui confère l’article 267 TFUE, éclaire et précise, lorsque besoin en est, la signification et la portée de ce droit, tel qu’il doit ou aurait dû être compris et appliqué depuis la date de son entrée en vigueur. Il en résulte que, en dehors de circonstances tout à fait exceptionnelles, dont l’existence n’a toutefois pas été alléguée en l’occurrence, le droit de l’Union ainsi interprété doit être appliqué par le juge même à des rapports juridiques nés et constitués avant l’arrêt statuant sur la demande d’interprétation, si, par ailleurs, les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l’application de ce droit se trouvent réunies (voir, notamment, arrêts du 29 septembre 2015, Gmina Wrocław, C‑276/14, EU:C:2015:635, points 44 et 45 ainsi que jurisprudence citée, et du 19 avril 2016, DI, C‑441/14, EU:C:2016:278, point 40).

42      De surcroît, il y a lieu de relever que, dans l’arrêt Halifax, la Cour n’a pas limité les effets dans le temps de l’interprétation qu’elle a donnée du principe de l’interdiction de pratiques abusives dans le domaine de la TVA. Or, une telle limitation ne peut être admise que dans l’arrêt même qui statue sur l’interprétation sollicitée, cette exigence garantissant l’égalité de traitement des États membres et des autres justiciables face à ce droit et remplissant par là même les exigences découlant du principe de sécurité juridique (voir, en ce sens, arrêts du 6 mars 2007, Meilicke e.a., C‑292/04, EU:C:2007:132, point 36, ainsi que du arrêt du 23 octobre 2012, Nelson e.a., C‑581/10 et C‑629/10, EU:C:2012:657, point 91).

43      En ce qui concerne, par ailleurs, la question de savoir si les requérants au principal peuvent, dans le cadre du litige au principal, invoquer les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime pour contester le refus de l’exonération de TVA leur étant imposé, il est de jurisprudence constante qu’un assujetti qui a créé les conditions afférentes à l’obtention d’un droit de manière abusive ou frauduleuse n’est pas fondé à se prévaloir de ces principes afin de s’opposer au refus d’octroi du droit concerné en application du principe d’interdiction de pratiques abusives (voir, en ce sens, arrêts du 8 juin 2000, Breitsohl, C‑400/98, EU:C:2000:304, point 38 ; Halifax, point 84, ainsi que du 18 décembre 2014, Schoenimport «Italmoda» Mariano Previti e.a., C‑131/13, C‑163/13 et C‑164/13, EU:C:2014:2455, point 60).

44      Eu égard à ces considérations, il y a lieu de répondre aux première et deuxième questions que le principe d’interdiction de pratiques abusives doit être interprété en ce sens qu’il peut, indépendamment d’une mesure nationale lui donnant effet dans l’ordre juridique interne, être directement appliqué afin de refuser d’exonérer de la TVA des ventes de biens immeubles, telles que celles en cause au principal, réalisées avant le prononcé de l’arrêt Halifax, sans que les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime s’y opposent.

 Sur la troisième question

45      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir comment doit être interprétée la sixième directive afin de déterminer, dans l’hypothèse où les opérations en cause au principal devraient faire l’objet d’une requalification en application du principe d’interdiction de pratiques abusives, sur quel fondement juridique celles de ces opérations qui ne sont pas constitutives d’une telle pratique peuvent être assujetties à la TVA.

46      Il convient de rappeler que, lorsque l’existence d’une pratique abusive a été constatée, les opérations impliquées doivent être redéfinies de manière à rétablir la situation telle qu’elle aurait existé en l’absence des opérations constitutives de cette pratique abusive. Cette requalification ne doit cependant pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l’exacte perception de la TVA et éviter la fraude (voir, en ce sens, arrêts Halifax, point 92, 94 et 98, ainsi que du 22 décembre 2010, Weald Leasing, C‑103/09, EU:C:2010:804, points 48 et 52).

47      Il découle de cette jurisprudence que l’application du principe d’interdiction de pratiques abusives en matière de TVA implique, d’abord, de déterminer la situation telle qu’elle aurait existé en l’absence des opérations constitutives d’une telle pratique et, ensuite, d’apprécier cette situation requalifiée au regard des dispositions pertinentes du droit national et de la sixième directive.

48      Ainsi, le principe d’interdiction de pratiques abusives oblige les autorités nationales, en substance, à appliquer la réglementation pertinente en matière de TVA aux opérations concernées, tout en faisant abstraction de celles de ces opérations qui sont constitutives d’une pratique abusive.

49      En l’occurrence, dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi constaterait que les contrats de bail précédant les ventes des biens immobiliers en cause au principal étaient constitutifs d’une pratique abusive, l’éventuel assujettissement desdites ventes à la TVA devrait être fondé sur les dispositions pertinentes de la réglementation nationale prévoyant un tel assujettissement. En effet, la sixième directive ne peut pas, par elle-même, créer d’obligations dans le chef d’un particulier et ne peut donc être invoquée en tant que telle à l’encontre d’une telle personne devant une juridiction nationale (voir, en ce sens, arrêt du 21 septembre 2017, DNB Banka, C‑326/15, EU:C:2017:719, point 41 et jurisprudence citée).

50      Dès lors, dans cette hypothèse, il incomberait à la juridiction de renvoi de vérifier, ainsi qu’il ressort des indications concordantes fournies par l’Irlande et par la Commission européenne lors de l’audience devant la Cour, que les ventes de biens immobiliers en cause au principal seraient soumises à la TVA en vertu de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la loi sur la TVA, qui constituerait ainsi la base légale de l’assujettissement de ces ventes.

51      Partant, il y a lieu de répondre à la troisième question que la sixième directive doit être interprétée en ce sens que, dans l’hypothèse où les opérations en cause au principal devraient faire l’objet d’une requalification en application du principe d’interdiction de pratiques abusives, celles de ces opérations qui ne sont pas constitutives d’une telle pratique peuvent être assujetties à la TVA sur le fondement des dispositions pertinentes de la réglementation nationale prévoyant un tel assujettissement.

 Sur la quatrième question

52      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si le principe d’interdiction de pratiques abusives doit être interprété en ce sens que, afin de déterminer, sur le fondement du point 75 de l’arrêt Halifax, si le but essentiel des opérations en cause au principal est ou non l’obtention d’un avantage fiscal, il convient de prendre en compte l’objectif des contrats de bail antérieurs aux ventes de biens immobiliers en cause au principal de manière isolée, ou l’objectif commun de l’ensemble de ces contrats de bail et de ces ventes.

53      À cet égard, il y a lieu de souligner d’emblée que, contrairement à ce que soutiennent les requérants au principal dans leurs observations écrites soumises à la Cour, la jurisprudence issue de l’arrêt Halifax n’exige pas d’établir que l’obtention d’un avantage fiscal constitue le seul objectif des opérations en cause. Si des opérations poursuivant exclusivement un tel objectif sont susceptibles de remplir l’exigence résultant de cette jurisprudence, la Cour a précisé, au point 45 de son arrêt du 21 février 2008, Part Service (C‑425/06, EU:C:2008:108), qu’il en allait de même lorsque la recherche d’un avantage fiscal constitue le but essentiel des opérations en cause.

54      En ce qui concerne l’appréciation de cet objectif dans une situation telle que celle en cause au principal, il y a lieu de relever que, selon les indications figurant dans la décision de renvoi, les opérations en cause au principal consistent en plusieurs contrats portant sur les mêmes biens immobiliers et conclus entre différentes personnes, à savoir les deux contrats de bail entre les requérants au principal et Shamrock Estates ainsi que, après la résiliation de ces contrats, la vente desdits biens immobiliers à des tiers.

55      Il découle de l’article 2 de la sixième directive que chaque prestation doit normalement être considérée comme distincte et indépendante (arrêts du 21 février 2008, Part Service, C‑425/06, EU:C:2008:108, point 50 et jurisprudence citée, ainsi que du 27 septembre 2012, Field Fisher Waterhouse, C‑392/11, EU:C:2012:597, point 14).

56      Lorsque la Cour est amenée à préciser l’examen nécessaire pour déterminer le but essentiel des opérations en cause, elle ne prend en considération que l’objectif de la ou des opérations dont il y a lieu d’apprécier le caractère abusif et non celui des prestations qui, du fait de ces premières opérations, remplissent formellement les conditions pour l’obtention d’un avantage fiscal (voir, notamment, arrêts du 22 décembre 2010, Weald Leasing, C‑103/09, EU:C:2010:804, points 10 à 15 et 31, et du 17 décembre 2015, WebMindLicenses, C‑419/14, EU:C:2015:832, points 20 et 43 à 45).

57      Il ressort également de la jurisprudence de la Cour que l’application du principe d’interdiction de pratiques abusives conduit seulement à écarter les opérations constitutives d’une telle pratique, tandis que les prestations qui n’en sont pas constitutives doivent faire l’objet d’une application des dispositions pertinentes en matière de TVA (arrêt Halifax, points 94 à 97). Ce traitement distinct des opérations constitutives d’une pratique abusive implique d’apprécier leur objectif également de manière distincte.

58      Partant, afin de déterminer si les contrats de bail antérieurs aux ventes de biens immobiliers en cause au principal poursuivaient essentiellement le but d’obtenir un avantage fiscal, il y a lieu de prendre en compte, de manière spécifique, l’objectif de ces contrats de bail.

59      Dès lors, il appartient à la juridiction nationale de vérifier, conformément aux règles de preuve du droit national, pour autant qu’il n’est pas porté atteinte à l’efficacité du droit de l’Union, si les éléments constitutifs d’une pratique abusive sont réunis dans le cadre du litige au principal. Toutefois, la Cour, statuant sur renvoi préjudiciel, peut, le cas échéant, apporter des précisions visant à guider la juridiction nationale dans son interprétation (voir, notamment, arrêts Halifax, points 76 et 77, ainsi que du 17 décembre 2015, WebMindLicenses, C‑419/14, EU:C:2015:832, point 34).

60      Afin de déterminer le contenu et la signification réelle des contrats de bail en cause au principal, la juridiction de renvoi peut, notamment, prendre en considération le caractère purement artificiel de ces opérations ainsi que les liens de nature juridique, économique et/ou personnelle entre les opérateurs en cause (voir, en ce sens, arrêt Halifax, points 75 et 81). De tels éléments sont de nature à montrer que l’obtention de l’avantage fiscal constitue le but essentiel poursuivi, nonobstant l’existence éventuelle, par ailleurs, d’objectifs économiques (arrêt du 21 février 2008, Part Service, C‑425/06, EU:C:2008:108, point 62).

61      En l’occurrence, les contrats de bail en cause au principal n’avaient, selon les indications figurant dans la décision de renvoi, aucune réalité commerciale et ont été conclus, entre les requérants au principal et une société qui leur est liée, dans le but de réduire l’assujettissement à la TVA des ventes de biens immobiliers en cause au principal qu’ils envisageaient de réaliser ultérieurement. S’agissant de la circonstance selon laquelle ces contrats de bail visaient, ainsi que les requérants au principal l’ont soutenu devant la Cour, à réaliser lesdites ventes de la manière la plus efficace du point de vue fiscal, cet objectif ne saurait être considéré comme constituant un but autre que l’obtention d’un avantage fiscal, dès lors que l’effet recherché devait précisément être réalisé par une réduction de la charge fiscale.

62      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la quatrième question que le principe d’interdiction de pratiques abusives doit être interprété en ce sens que, afin de déterminer, sur le fondement du point 75 de l’arrêt Halifax, si le but essentiel des opérations en cause au principal est ou non l’obtention d’un avantage fiscal, il convient de prendre en compte l’objectif des contrats de bail antérieurs aux ventes de biens immobiliers en cause au principal de manière isolée.

 Sur les cinquième et sixième questions

63      Les cinquième et sixième questions sont fondées sur la prémisse que l’article 4, paragraphe 9, de la loi sur la TVA est incompatible avec la sixième directive.

64      À cet égard, il convient de rappeler que, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci respecte scrupuleusement les exigences concernant le contenu d’une demande de décision préjudicielle et figurant de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure, dont la juridiction de renvoi est censée avoir connaissance (voir, en ce sens, arrêts du 5 juillet 2016, Ognyanov, C‑614/14, EU:C:2016:514, points 18 et 19 ainsi que jurisprudence citée, et du 27 octobre 2016, Audace e.a., C‑114/15, EU:C:2016:813, point 35).

65      Ainsi, il est indispensable, comme l’énonce l’article 94, sous c), du règlement de procédure, que la décision de renvoi elle-même contienne l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal.

66      Or, s’agissant des cinquième et sixième questions, la demande de décision préjudicielle ne satisfait pas à ces exigences.

67      En effet, la décision de renvoi n’explique pas les raisons qui ont pu amener la juridiction de renvoi à douter de la compatibilité de l’article 4, paragraphe 9, de la loi sur la TVA avec la sixième directive, mais se limite à faire état des conclusions des parties au principal sur ce point. Notamment, elle ne précise pas le lien pouvant exister entre cette incompatibilité et le litige au principal. Ainsi, ladite décision ne fait pas apparaître en quoi l’éventuelle incompatibilité impliquerait, selon cette juridiction, que l’article 4, paragraphe 9, de la loi sur la TVA ne doit pas être considéré comme transposant cette directive ni ne permet de déterminer l’incidence que ce constat pourrait avoir, toujours selon ladite juridiction, sur l’application de la jurisprudence issue de l’arrêt Halifax relative au principe d’interdiction de pratiques abusives.

68      Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que les cinquième et sixième questions sont irrecevables.

 Sur la septième question

69      Par sa septième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe d’interdiction de pratiques abusives doit être interprété en ce sens que des livraisons de biens immobiliers, telles que celles en cause au principal, aboutissent à l’obtention d’un avantage fiscal contraire à l’objectif des dispositions pertinentes de la sixième directive.

70      À cet égard, il convient de rappeler, d’une part, que la Cour a jugé, au point 74 de l’arrêt Halifax, que la constatation de l’existence d’une pratique abusive dans le domaine de la TVA exige que les opérations en cause, malgré l’application formelle des conditions prévues par les dispositions pertinentes de la sixième directive et de la législation nationale transposant cette directive, aient pour résultat l’obtention d’un avantage fiscal dont l’octroi serait contraire à l’objectif poursuivi par ces dispositions.

71      D’autre part, l’article 13, B, sous g), de ladite directive, lu ensemble avec l’article 4, paragraphe 3, sous a), de celle-ci, exonère les livraisons de bâtiments ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant qui ont déjà fait l’objet d’une « première occupation ». Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 88 de ses conclusions, le critère de la « première occupation » vise à distinguer les immeubles neufs, dont la construction et la commercialisation doivent être soumises à la TVA, des immeubles anciens. À cet effet, ce critère détermine « le moment où le produit est susceptible de sortir de la chaîne de la production pour entrer dans le secteur de la consommation, c’est-à-dire l’utilisation du bien par son propriétaire ou par un locataire » (voir la proposition de la sixième directive du Conseil en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme [COM(73) 950 final, du 20 juin 1973]).

72      Ainsi, l’exonération prévue à l’article 13, B, sous g), de la sixième directive vise les livraisons de biens immobiliers intervenant après que ces biens immobiliers ont fait l’objet d’une utilisation effective par leur propriétaire ou par leur locataire. En revanche, n’est pas exonérée la première livraison d’un bien immobilier neuf au consommateur final.

73      Si, ainsi qu’il a été rappelé au point 59 du présent arrêt, il appartient à la juridiction nationale de vérifier l’existence de l’élément constitutif d’une pratique abusive visé au point 70 du présent arrêt dans le cadre du litige au principal, il convient de relever que l’utilisation d’un bien immobilier neuf par son premier locataire peut, certes, selon les circonstances de l’espèce, constituer une première occupation au sens de l’article 4, paragraphe 3, sous a), de la sixième directive.

74      Toutefois, selon les indications figurant dans la décision de renvoi, les biens immobiliers neufs en cause au principal ont fait l’objet de deux contrats de bail. Or, ces contrats de bail ont été conclus le même jour entre les requérants au principal et une société qui leur est liée et prévoyaient la location et la relocation immédiate de ces biens immobiliers. En outre, lesdits contrats de bail ont été résiliés, d’un commun accord, moins d’un mois après leur conclusion, avant que les requérants au principal ne vendent, peu de temps après, lesdits biens immobiliers à des acheteurs tiers. Il apparaît ainsi, comme M. l’avocat général l’a relevé au point 94 de ses conclusions, que les biens immobiliers en cause au principal n’avaient, avant leur vente à des acheteurs tiers, pas encore fait l’objet d’une utilisation effective par leur propriétaire ou leur locataire, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

75      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la septième question que le principe d’interdiction de pratiques abusives doit être interprété en ce sens que des livraisons de biens immobiliers, telles que celles en cause au principal, sont susceptibles d’aboutir à l’obtention d’un avantage fiscal contraire à l’objectif des dispositions pertinentes de la sixième directive, lorsque ces biens immobiliers n’avaient, avant leur vente à des acheteurs tiers, pas encore fait l’objet d’une utilisation effective par leur propriétaire ou leur locataire. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si tel est le cas dans le cadre du litige au principal.

 Sur la huitième question

76      Par sa huitième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe d’interdiction de pratiques abusives doit être interprété en ce sens qu’il trouve à s’appliquer dans une situation telle que celle en cause au principal, qui concerne l’éventuelle exonération de la TVA d’une opération de livraison de biens immobiliers.

77      À cet égard, il convient de rappeler le principe général résultant de l’article 2, point 1, de la sixième directive, selon lequel la TVA est perçue sur chaque livraison de biens réalisée à titre onéreux par un assujetti. Une telle livraison portant sur des biens immobiliers relève ainsi, en principe, de cette taxe.

78      Par dérogation à ce principe, l’article 13, B, sous g), de cette directive prévoit que les États membres exonèrent les livraisons de bâtiments ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant autres que ceux visés à l’article 4, paragraphe 3, sous a), de ladite directive, à savoir des livraisons autres que celles effectuées avant la première occupation du bâtiment ou de la fraction de bâtiment concernée.

79      Ainsi, seule la première livraison d’un bâtiment ou de la fraction d’un bâtiment est, en principe, soumise à la TVA, étant précisé que, afin de déterminer quelle livraison est la première, il y a lieu de ne pas prendre en considération celles ayant un caractère purement artificiel, dont le but essentiel est l’obtention d’un avantage fiscal.

80      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la huitième question que le principe d’interdiction de pratiques abusives doit être interprété en ce sens qu’il trouve à s’appliquer dans une situation telle que celle en cause au principal, qui concerne l’éventuelle exonération de la TVA d’une opération de livraison de biens immobiliers.

 Sur les dépens

81      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

1)      Le principe d’interdiction de pratiques abusives doit être interprété en ce sens qu’il peut, indépendamment d’une mesure nationale lui donnant effet dans l’ordre juridique interne, être directement appliqué afin de refuser d’exonérer de la taxe sur la valeur ajoutée des ventes de biens immeubles, telles que celles en cause au principal, réalisées avant le prononcé de l’arrêt du 21 février 2006, Halifax e.a. (C‑255/02, EU:C:2006:121), sans que les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime s’y opposent.

2)      La sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, doit être interprétée en ce sens que, dans l’hypothèse où les opérations en cause au principal devraient faire l’objet d’une requalification en application du principe d’interdiction de pratiques abusives, celles de ces opérations qui ne sont pas constitutives d’une telle pratique peuvent être assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée sur le fondement des dispositions pertinentes de la réglementation nationale prévoyant un tel assujettissement.

3)      Le principe d’interdiction de pratiques abusives doit être interprété en ce sens que, afin de déterminer, sur le fondement du point 75 de l’arrêt du 21 février 2006, Halifax e.a. (C‑255/02, EU:C:2006:121), si le but essentiel des opérations en cause au principal est ou non l’obtention d’un avantage fiscal, il convient de prendre en compte l’objectif des contrats de bail antérieurs aux ventes de biens immobiliers en cause au principal de manière isolée.

4)      Le principe d’interdiction de pratiques abusives doit être interprété en ce sens que des livraisons de biens immobiliers, telles que celles en cause au principal, sont susceptibles d’aboutir à l’obtention d’un avantage fiscal contraire à l’objectif des dispositions pertinentes de la sixième directive 77/388/CEE, lorsque ces biens immobiliers n’avaient, avant leur vente à des acheteurs tiers, pas encore fait l’objet d’une utilisation effective par leur propriétaire ou leur locataire. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si tel est le cas dans le cadre du litige au principal.

5)      Le principe d’interdiction de pratiques abusives doit être interprété en ce sens qu’il trouve à s’appliquer dans une situation telle que celle en cause au principal, qui concerne l’éventuelle exonération de la taxe sur la valeur ajoutée d’une opération de livraison de biens immobiliers.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.