Language of document : ECLI:EU:C:2019:53

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

23 janvier 2019 (*)

[Texte rectifié par ordonnance du 14 mars 2019]

« Renvoi préjudiciel – Politique d’asile – Critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale – Règlement (UE) n° 604/2013 – Clauses discrétionnaires – Critères d’appréciation »

Dans l’affaire C‑661/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la High Court (Haute Cour, Irlande), par décision du 21 novembre 2017, parvenue à la Cour le 27 novembre 2017, dans la procédure

M.A.,

S.A.,

A.Z.

contre

International Protection Appeals Tribunal,

Minister for Justice and Equality,

Attorney General,

Ireland,

LA COUR (première chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, vice-présidente de la Cour, faisant fonction de président de la première chambre, MM. J.‑C. Bonichot, A. Arabadjiev, E. Regan et C. G. Fernlund (rapporteur), juges,

avocat général : M. E. Tanchev,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour M.A., S.A. et A.Z., par M. M. de Blacam, SC, et M. G. O’Halloran, BL,

–        [Tel que rectifié par ordonnance du 14 mars 2019] pour l’Irlande, par Mmes M. Browne et G. Hodge ainsi que par M. A. Joyce, en qualité d’agents, assistés de Mme S.‑J. Hillery, BL, et de M. D. Conlan Smyth, SC,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et R. Kanitz, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement néerlandais, par M. J. Hoogveld et Mme M. K. Bulterman, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme C. Brodie ainsi que MM. S. Brandon et D. Blundell, en qualité d’agents, assistés de M. J. Holmes, QC,

–        pour la Commission européenne, par M. M. Wilderspin et Mme M. Condou-Durande, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 6 et 17, de l’article 20, paragraphe 3, ainsi que de l’article 27, paragraphe 1, du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31, ci-après le « règlement Dublin III »). 

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M.A., S.A. et A.Z. à l’International Protection Appeals Tribunal (tribunal d’appel pour la protection internationale, Irlande), au Minister for Justice and Equality (ministre de la Justice et de l’Égalité, Irlande), à l’Attorney General (Irlande) et à l’Ireland (Irlande) au sujet de la décision de transfert prise à leur égard dans la cadre du règlement Dublin III.

 Le cadre juridique

 Le droit international

 La convention de Genève

3        La convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 [Recueil des traités des Nations unies, vol. 189, p. 150, n° 2545 (1954), ci-après la « convention de Genève »], est entrée en vigueur le 22 avril 1954. Elle a été complétée par le protocole relatif au statut des réfugiés, conclu à New York le 31 janvier 1967 (ci-après le « protocole de 1967 »), lui-même entré en vigueur le 4 octobre 1967.

4        Tous les États membres sont parties contractantes à la convention de Genève et au protocole de 1967, de même que la République d’Islande, la Principauté de Liechtenstein, le Royaume de Norvège et la Confédération suisse. L’Union européenne n’est partie contractante ni à la convention de Genève ni au protocole de 1967, mais les articles 78 TFUE et 18 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») prévoient que le droit d’asile est garanti, notamment, dans le respect de cette convention et de ce protocole.

 La CEDH

5        La convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), est un accord international multilatéral conclu au sein du Conseil de l’Europe qui est entré en vigueur le 3 septembre 1953. Tous les membres du Conseil de l’Europe, dont tous les États membres de l’Union font partie, sont membres des Hautes Parties contractantes de cette convention.

6        L’article 3 de la CEDH énonce que « [n]ul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants».

 Le droit de l’Union

 La Charte

7        L’article 4 de la Charte dispose :

« Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

8        L’article 47, premier alinéa, de la Charte énonce :

« Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article. »

9        L’article 52, paragraphe 3, de la Charte prévoit :

« Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la [CEDH], leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue. »

 Le règlement Dublin III

10      À titre liminaire, il convient de rappeler que le traité d’Amsterdam, du 2 octobre 1997, a introduit l’article 63 dans le traité CE, qui donnait compétence à la Communauté européenne pour adopter les mesures recommandées par le Conseil européen, lors de sa réunion spéciale tenue à Tampere (Finlande) les 15 et 16 octobre 1999, relatives à la mise en place d’un régime d’asile européen commun. L’adoption de cette disposition a permis de remplacer, entre les États membres à l’exception du Royaume de Danemark, la convention relative à la détermination de l’État responsable de l’examen d'une demande d’asile présentée dans l’un des États membres des Communautés européennes, signée à Dublin le 15 juin 1990 (JO 1997, C 254, p. 1), par le règlement (CE) nº 343/2003 du Conseil, du 18 février 2003, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers (JO 2003, L 50, p. 1), entré en vigueur le 17 mars 2003. Le règlement Dublin III, entré en vigueur le 19 juillet 2013, adopté sur le fondement de l’article 78, paragraphe 2, sous e), TFUE, est venu remplacer le règlement nº 343/2003.

11      Les considérants 1 à 5 du règlement Dublin III sont libellés comme suit :

« (1)      Le règlement [nº 343/2003] doit faire l’objet de plusieurs modifications substantielles. Dans un souci de clarté, il convient de procéder à la refonte dudit règlement.

(2)      Une politique commune dans le domaine d’asile, incluant un régime d’asile européen commun (RAEC), est un élément constitutif de l’objectif de l’Union européenne visant à mettre en place progressivement un espace de liberté, de sécurité et de justice ouvert à ceux qui, poussés par les circonstances, recherchent légitimement une protection dans l’Union.

(3)      Le Conseil européen, lors de sa réunion spéciale de Tampere les 15 et 16 octobre 1999, est convenu d’œuvrer à la mise en place d’un RAEC, fondé sur l’application intégrale et globale de la [convention de Genève] complétée par le [protocole de 1967], et d’assurer ainsi que nul ne sera renvoyé où il risque à nouveau d’être persécuté, c’est-à-dire de maintenir le principe de non-refoulement. À cet égard, et sans affecter les critères de responsabilité posés par le présent règlement, les États membres, qui respectent tous le principe de non-refoulement, sont considérés comme des pays sûrs par les ressortissants des pays tiers.

(4)      Les conclusions de Tampere ont également précisé que le RAEC devrait comporter à court terme une méthode claire et opérationnelle pour déterminer l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile.

(5)      Une telle méthode devrait être fondée sur des critères objectifs et équitables tant pour les États membres que pour les personnes concernées. Elle devrait, en particulier, permettre une détermination rapide de l’État membre responsable afin de garantir un accès effectif aux procédures d’octroi d’une protection internationale et ne pas compromettre l’objectif de célérité dans le traitement des demandes de protection internationale. »

12      Les considérants 13 à 17 de ce règlement prévoient :

« (13)      Conformément à la convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant de 1989 et à la [Charte], l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être une considération primordiale des États membres lorsqu’ils appliquent le présent règlement. [...] 

(14)      Conformément à la [CEDH] et [à] la [Charte], le respect de la vie familiale devrait être une considération primordiale pour les États membres lors de l’application du présent règlement.

(15)      Le traitement conjoint des demandes de protection internationale des membres d’une famille par un même État membre est une mesure permettant d’assurer un examen approfondi des demandes, la cohérence des décisions prises à leur égard et d’éviter que les membres d’une famille soient séparés.

(16)      Afin de garantir le plein respect du principe de l’unité de la famille et dans l’intérêt supérieur de l’enfant, l’existence d’un lien de dépendance entre un demandeur et son enfant, son frère ou sa sœur ou son père ou sa mère, du fait de la grossesse ou de la maternité, de l’état de santé ou du grand âge du demandeur, devrait devenir un critère obligatoire de responsabilité. De même, lorsque le demandeur est un mineur non accompagné, la présence sur le territoire d’un autre État membre d’un membre de sa famille ou d’un autre proche pouvant s’occuper de lui devrait également constituer un critère obligatoire de responsabilité.

(17)      Il importe que tout État membre puisse déroger aux critères de responsabilité, notamment pour des motifs humanitaires et de compassion, afin de permettre le rapprochement de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent et examiner une demande de protection internationale introduite sur son territoire ou sur le territoire d’un autre État membre, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères obligatoires fixés dans le présent règlement. »

13      Les considérants 19, 32, 39 et 41 dudit règlement disposent :

« (19)      Afin de garantir une protection efficace des droits des personnes concernées, il y a lieu d’instaurer des garanties juridiques et le droit à un recours effectif à l’égard de décisions de transfert vers l’État membre responsable conformément, notamment, à l’article 47 de la [Charte]. Afin de garantir le respect du droit international, un recours effectif contre de telles décisions devrait porter à la fois sur l’examen de l’application du présent règlement et sur l’examen de la situation en fait et en droit dans l’État membre vers lequel le demandeur est transféré. 

[...]

(32)      Pour ce qui concerne le traitement des personnes qui relèvent du présent règlement, les États membres sont liés par les obligations qui leur incombent en vertu des instruments de droit international, y compris par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière. 

[...]

(39) Le présent règlement respecte les droits fondamentaux et observe les principes qui sont reconnus, notamment, par la [Charte]. En particulier, il vise à assurer le plein respect du droit d’asile garanti par l’article 18 de la [Charte] ainsi que des droits reconnus par ses articles 1er, 4, 7, 24 et 47. Le présent règlement devrait donc être appliqué en conséquence.

[...]

(41)      Conformément à l’article 3 et à l’article 4 bis, paragraphe 1, du protocole nº 21 sur la position du Royaume-Uni et de l’Irlande à l’égard de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, annexé au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ces États membres ont notifié leur souhait de participer à l’adoption et à l’application du présent règlement. »

14      L’article 1er du même règlement énonce :

« Le présent règlement établit les critères et les mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers [...] »

15      L’article 3 du règlement Dublin III dispose :

« 1.      Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l’un quelconque d’entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable.

2.      Lorsque aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l’examen.

Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la [Charte], l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable.

Lorsqu’il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable devient l’État membre responsable.

3.      Tout État membre conserve le droit d’envoyer un demandeur vers un pays tiers sûr, sous réserve des règles et garanties fixées dans la directive 2013/32/UE. ».

16      L’article 6 de ce règlement, intitulé « Garanties en faveur des mineurs », prévoit :

« 1.      L’intérêt supérieur de l’enfant est une considération primordiale pour les États membres dans toutes les procédures prévues par le présent règlement.

[...]

3.      Lorsqu’ils évaluent l’intérêt supérieur de l’enfant, les États membres coopèrent étroitement entre eux et tiennent dûment compte, en particulier, des facteurs suivants :

a)      les possibilités de regroupement familial ;

[...]

4.      Aux fins de l’application de l’article 8, l’État membre dans lequel le mineur non accompagné a introduit une demande de protection internationale prend dès que possible les mesures nécessaires pour identifier les membres de la famille, les frères ou sœurs ou les proches du mineur non accompagné sur le territoire des États membres, tout en protégeant l’intérêt supérieur de l’enfant.

[...] »

17      L’article 7, paragraphes 1 et 2, dudit règlement, figurant au chapitre III de celui-ci, énonce :

« 1.      Les critères de détermination de l’État membre responsable s’appliquent dans l’ordre dans lequel ils sont présentés dans le présent chapitre. 

2.      La détermination de l’État membre responsable en application de critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d’un État membre. »

18      L’article 8, paragraphe 1, du même règlement dispose :

« Si le demandeur est un mineur non accompagné, l’État membre responsable est celui dans lequel un membre de la famille ou les frères ou sœurs du mineur non accompagné se trouvent légalement, pour autant que ce soit dans l’intérêt supérieur du mineur. Lorsque le demandeur est un mineur marié dont le conjoint ne se trouve pas légalement sur le territoire des États membres, l’État membre responsable est l’État membre où le père, la mère, ou un autre adulte responsable du mineur de par le droit ou la pratique de l’État membre concerné, ou l’un de ses frères ou sœurs se trouve légalement. »

19      L’article 11 du règlement Dublin III, intitulé « Procédure familiale », prévoit :

« Lorsque plusieurs membres d’une famille et/ou des frères ou sœurs mineurs non mariés introduisent une demande de protection internationale dans un même État membre simultanément, ou à des dates suffisamment rapprochées pour que les procédures de détermination de l’État membre responsable puissent être conduites conjointement, et que l’application des critères énoncés dans le présent règlement conduirait à les séparer, la détermination de l’État membre responsable se fonde sur les dispositions suivantes :

a)      est responsable de l’examen des demandes de protection internationale de l’ensemble des membres de la famille et/ou des frères et sœurs mineurs non mariés l’État membre que les critères désignent comme responsable de la prise en charge du plus grand nombre d’entre eux ;

b)      à défaut, est responsable l’État membre que les critères désignent comme responsable de l’examen de la demande du plus âgé d’entre eux. »

20      L’article 17 de ce règlement, intitulé « Clauses discrétionnaires », est libellé comme suit :

« 1.      Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement.

L’État membre qui décide d’examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l’État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. [...] »

21      L’article 20, paragraphe 3, dudit règlement dispose :

« Aux fins du présent règlement, la situation du mineur qui accompagne le demandeur et répond à la définition de membre de la famille est indissociable de celle du membre de sa famille et relève de la responsabilité de l’État membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale dudit membre de la famille, même si le mineur n’est pas à titre individuel un demandeur, à condition que ce soit dans l’intérêt supérieur du mineur. Le même traitement est appliqué aux enfants nés après l’arrivée du demandeur sur le territoire des États membres, sans qu’il soit nécessaire d’entamer pour eux une nouvelle procédure de prise en charge. »

22      L’article 27, paragraphe 1, du même règlement prévoit :

« Le demandeur ou une autre personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point c) ou d), dispose d’un droit de recours effectif, sous la forme d’un recours contre la décision de transfert ou d’une révision, en fait et en droit, de cette décision devant une juridiction. »

23      L’article 29, paragraphes 1 et 2, du règlement Dublin III énonce :

« 1.      Le transfert du demandeur [...] de l’État membre requérant vers l’État membre responsable s’effectue conformément au droit national de l’État membre requérant, après concertation entre les États membres concernés, dès qu’il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois [...]

[...]

2.      Si le transfert n’est pas exécuté dans le délai de six mois, l’État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l’État membre requérant. [...] »

24      L’article 35, paragraphe 1, de ce règlement dispose :

« Chaque État membre notifie sans délai à la Commission les autorités chargées en particulier de l’exécution des obligations découlant du présent règlement et toute modification concernant ces autorités. Les États membres veillent à ce qu’elles disposent des ressources nécessaires pour l’accomplissement de leur mission et, notamment, pour répondre dans les délais prévus aux demandes d’informations, ainsi qu’aux requêtes aux fins de prise en charge et de reprise en charge des demandeurs. »

 Le droit irlandais

25      La législation nationale applicable est le European Union (Dublin System) Regulations 2014 [règlement relatif à l’Union européenne (système de Dublin) de 2014] (SI n° 525/2014, ci-après le « règlement national »). Ses principales dispositions aux fins de la présente affaire sont les suivantes.

26      L’article 2, paragraphe 2, du règlement national dispose qu’un terme, ou une expression, utilisé à la fois dans ce règlement et dans le règlement Dublin III devrait revêtir la même signification que celle que ce terme, ou cette expression, revêt dans le règlement de l’Union.

27      L’expression « décision de transfert » est définie à l’article 2, paragraphe 1, du règlement national, comme étant une décision prise par le Refugee Applications Commissioner (commissaire aux réfugiés, Irlande), conformément au règlement Dublin III, de transférer un demandeur lorsque l’État, en l’occurrence l’Irlande, est l’État membre requérant et que l’État membre requis a accepté la prise en charge ou la reprise en charge de ce demandeur.

28      L’article 3, paragraphe 1, du règlement national prévoit que le commissaire aux réfugiés exerce les fonctions d’un État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable, d’un État membre requérant et d’un État membre requis. Le paragraphe 2 de cet article indique que le ministre de la Justice et de l’Égalité exerce les fonctions d’un État membre procédant au transfert.

29      Selon l’article 3, paragraphe 3, du règlement national, le commissaire aux réfugiés exerce toutes les fonctions visées à l’article 6 du règlement Dublin III qui fait lui-même référence à l’intérêt supérieur de l’enfant « dans toutes les procédures prévues par le présent règlement ».

30      Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, du règlement national, un demandeur peut interjeter appel d’une décision de transfert.

31      L’article 6, paragraphe 9, du règlement national dispose que le tribunal d’appel confirme ou annule la décision de transfert.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

32      Il ressort de la décision de renvoi que S.A., ressortissante d’un État tiers, est entrée au Royaume-Uni, munie d’un visa d’étudiant, au cours de l’année 2010 et que, l’année suivante, M.A., également ressortissant d’un État tiers, l’a rejointe après avoir obtenu un visa pour personne à charge. A.Z., leur enfant, est né au Royaume-Uni au mois de février 2014. Les parents ont renouvelé leur visa chaque année jusqu’à la fermeture de l’établissement scolaire où S.A. étudiait, cette fermeture ayant entraîné l’expiration de leurs visas. 

33      S.A. et M.A. se sont alors rendus en Irlande où, le 12 janvier 2016, ils ont déposé des demandes d’asile. La demande concernant l’enfant était incluse dans celle concernant sa mère.

34      Le 7 avril 2016, le commissaire aux réfugiés a adressé au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord une requête aux fins de prise en charge de ces demandes d’asile sur le fondement du règlement Dublin III.

35      Le 1er mai 2016, cet État membre a donné son accord pour ladite prise en charge.

36      S.A. et M.A. ont invoqué devant le commissaire aux réfugiés des ennuis de santé rencontrés par M.A. ainsi que le fait que l’enfant faisait l’objet d’une évaluation par le Health Service Executive (administration des services de santé, Irlande) concernant un problème de santé.

37      Le commissaire aux réfugiés a recommandé le transfert vers le Royaume-Uni, estimant, par une décision défavorable à S.A. et à M.A., qu’il n’y avait pas lieu d’appliquer l’article 17 du règlement Dublin III.

38      S.A. et M.A. ont contesté la décision de transfert auprès de l’International Protection Appeals Tribunal (tribunal d’appel pour la protection internationale) en se fondant principalement sur cet article 17 et sur des moyens liés au retrait du Royaume-Uni de l’Union.

39      Le 10 janvier 2017, cette juridiction a confirmé la décision de transfert après avoir fait observer qu’elle n’était pas compétente pour exercer le pouvoir discrétionnaire visé audit article 17. Elle a également rejeté les arguments relatifs au retrait du Royaume-Uni de l’Union au motif que la situation pertinente pour apprécier la légalité de cette décision était celle qui existait à la date où elle était appelée à statuer.

40      S.A. et M.A. ont alors saisi la High Court (Haute Cour, Irlande).

41      Cette juridiction estime que, en principe, pour résoudre le litige devant elle, il y a lieu de déterminer, préalablement, les implications que peut avoir le processus de retrait du Royaume-Uni de l’Union pour le système de Dublin.

42      En outre, elle indique que les termes utilisés par le règlement national, qui reprennent ceux figurant dans le règlement Dublin III, doivent avoir le même sens que ces derniers. Elle en déduit alors qu’il est nécessaire d’interpréter ce dernier règlement afin de résoudre le litige pendant devant elle.

43      C’est dans ces conditions que la High Court (Haute Cour) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      S’agissant du transfert d’un demandeur de protection au titre du règlement [Dublin III] vers le Royaume-Uni, l’autorité nationale compétente, dans l’examen de toute question se posant à l’égard de la clause discrétionnaire visée à l’article 17 [de ce règlement] et/ou de toute question de protection des droits fondamentaux au Royaume-Uni, est-elle tenue de ne pas tenir compte des circonstances telles qu’elles se présentent au moment de cet examen en ce qui concerne le retrait proposé du Royaume-Uni de l’Union européenne ?

2)      La notion d’“État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable”, au sens du règlement [Dublin III,] comprend-elle la possibilité pour cet État membre d’appliquer la clause discrétionnaire prévue à son article 17 ?

3)      Le rôle attribué à l’État membre en vertu de l’article 6 du règlement [Dublin III] inclut-il le pouvoir reconnu ou conféré par l’article 17 de ce règlement ?

4)      La notion de “recours effectif” s’applique-t-elle à une décision de première instance prise en vertu de l’article 17 du règlement [Dublin III] de telle sorte qu’un appel ou un recours équivalent doit exister à l’égard d’une telle décision et/ou de telle sorte que la législation nationale qui prévoit une procédure d’appel contre une décision prise en première instance en vertu dudit règlement doit être interprétée comme incluant un recours contre une décision relative à cet article 17 ?

5)      L’article 20, paragraphe 3, du règlement [Dublin III] a-t-il pour effet que, en l’absence de tout élément de preuve permettant de renverser une présomption selon laquelle il relève de l’intérêt supérieur de l’enfant de traiter sa situation comme étant indissociable de celle de ses parents, l’autorité nationale compétente n’est pas tenue d’examiner cet intérêt supérieur séparément de l’affaire des parents en tant que question distincte ou en tant que point de départ afin d’examiner si le transfert doit avoir lieu ? »

 La procédure devant la Cour

44      La juridiction de renvoi a demandé que l’affaire soit soumise à la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 23 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. À titre subsidiaire, cette juridiction a demandé que l’affaire soit soumise à la procédure accélérée, en application de l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour.

45      En ce qui concerne, en premier lieu, la demande relative à la procédure préjudicielle d’urgence, le 4 décembre 2017, la Cour a décidé, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de ne pas donner suite à cette demande. 

46      S’agissant, en second lieu, de la demande de soumettre la présente affaire à la procédure accélérée prévue à l’article 105, paragraphe 1, du règlement procédure de la Cour, le président de la Cour a décidé, par son ordonnance du 20 décembre 2017, M.A. e.a. (C‑661/17, non publiée, EU:C:2017:1024), de la rejeter.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la recevabilité

47      L’Irlande soutient que, dès lors que les conséquences juridiques d’un éventuel retrait du Royaume-Uni de l’Union ne sont pas encore connues, les questions portant sur de telles conséquences doivent être considérées comme étant hypothétiques. Partant, toute décision que la Cour pourrait prendre à ce stade en ce qui concerne la situation qui se présentera après la date à laquelle il est prévu que cet État membre cesse d’être un État membre de l’Union serait de nature hypothétique. Or, selon une jurisprudence constante (arrêt du 27 février 2014, Pohotovosť, C‑470/12, EU:C:2014:101, points 27 et 29 ainsi que jurisprudence citée), la Cour ne fournit pas de réponse à des questions de nature hypothétique ou consultatives.

48      À cet égard, il y a lieu de rappeler que selon une jurisprudence constante, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher (arrêt du 8 décembre 2016, Eurosaneamientos e.a., C‑532/15 et C‑538/15, EU:C:2016:932, point 26 ainsi que jurisprudence citée).

49      Dans le cadre de cette coopération, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 8 décembre 2016, Eurosaneamientos e.a., C‑532/15 et C‑538/15, EU:C:2016:932, point 27 ainsi que jurisprudence citée).

50      Il s’ensuit que les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa propre responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 8 décembre 2016, Eurosaneamientos e.a., C‑532/15 et C‑538/15, EU:C:2016:932, point 28 ainsi que jurisprudence citée).

51      En l’occurrence, il convient de relever que la juridiction de renvoi a expliqué en détail la raison pour laquelle elle a estimé que, pour statuer sur le litige dont elle est saisie, il est nécessaire d’analyser les conséquences que pourrait avoir un éventuel retrait du Royaume-Uni de l’Union dans le cadre du règlement Dublin III.

52      Dans ces conditions, l’interprétation sollicitée par la juridiction de renvoi n’apparaît pas dépourvue de pertinence pour résoudre le litige dont elle est saisie. Par conséquent, il y a lieu de répondre aux questions posées par la High Court (Haute Cour).

 Sur le fond

 Sur la première question

53      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens que la circonstance qu’un État membre, déterminé comme « responsable » au sens de ce règlement, a notifié son intention de se retirer de l’Union conformément à l’article 50 TUE oblige l’État membre procédant à cette détermination à examiner lui-même, en application de la clause discrétionnaire prévue à cet article 17, paragraphe 1, la demande de protection en cause.

54      À cet égard, il convient de rappeler que la notification par un État membre de son intention de se retirer de l’Union conformément à l’article 50 TUE n’a pas pour effet de suspendre l’application du droit de l’Union dans cet État membre et que, par conséquent, ce droit reste pleinement en vigueur dans cet État jusqu’à son retrait effectif de l’Union (arrêt du 19 septembre 2018, RO, C‑327/18 PPU, EU:C:2018:733, point 45).

55      Ainsi qu’il a été exposé au point 10 du présent arrêt, le règlement Dublin III a remplacé le règlement nº 343/2003. S’agissant de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe 1, de ce premier règlement, la Cour a déjà précisé que les termes de cette disposition coïncidant essentiellement avec ceux de la clause de souveraineté qui figurait à l’article 3, paragraphe 2, du règlement nº 343/2003, l’interprétation de cette dernière disposition est également transposable à l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III (arrêt du 16 février 2017, C. K. e.a., C‑578/16 PPU, EU:C:2017:127, point 53).

56      Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, du règlement Dublin III, une demande de protection internationale est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III de ce règlement désignent comme responsable.

57      Par dérogation à cet article 3, paragraphe 1, l’article 17, paragraphe 1, dudit règlement prévoit que chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu de tels critères.

58      Il ressort clairement du libellé de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III que cette disposition est de nature facultative dans la mesure où elle laisse à la discrétion de chaque État membre la décision de procéder à l’examen d’une demande de protection internationale qui lui est présentée, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères de détermination de l’État membre responsable définis par ce règlement. L’exercice de cette faculté n’est, par ailleurs, soumis à aucune condition particulière (voir, en ce sens, arrêt du 30 mai 2013, Halaf, C‑528/11, EU:C:2013:342, point 36). Ladite faculté vise à permettre à chaque État membre de décider souverainement, en fonction de considérations politiques, humanitaires ou pratiques, d’accepter d’examiner une demande de protection internationale, même s’il n’est pas responsable en application des critères définis par ledit règlement (arrêt du 4 octobre 2018, Fathi, C‑56/17, EU:C:2018:803, point 53).

59      Au regard de l’étendue du pouvoir d’appréciation ainsi accordé aux États membres, il appartient à l’État membre concerné de déterminer les circonstances dans lesquelles il souhaite faire usage de la faculté conférée par la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III et d’accepter d’examiner lui-même une demande de protection internationale pour laquelle il n’est pas responsable en vertu des critères définis par ce règlement.

60      Cette constatation est d’ailleurs cohérente, d’une part, avec la jurisprudence de la Cour relative aux dispositions facultatives, selon laquelle ces dispositions accordent un pouvoir d’appréciation étendu aux États membres (arrêt du 10 décembre 2013, Abdullahi, C‑394/12, EU:C:2013:813, point 57 et jurisprudence citée) et, d’autre part, avec l’objectif dudit article 17, paragraphe 1, à savoir préserver les prérogatives des États membres dans l’exercice du droit d’octroyer une protection internationale (arrêt du 5 juillet 2018, X, C‑213/17, EU:C:2018:538, point 61 et jurisprudence citée).

61      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens que la circonstance qu’un État membre, déterminé comme « responsable » au sens de ce règlement, a notifié son intention de se retirer de l’Union conformément à l’article 50 TUE n’oblige pas l’État membre procédant à cette détermination à examiner lui-même, en application de la clause discrétionnaire prévue à cet article 17, paragraphe 1, la demande de protection en cause.

 Sur la deuxième question

62      Il ressort des éléments du dossier dont dispose la Cour que la deuxième question repose sur la prémisse que, en Irlande, c’est le commissaire aux réfugiés qui procède à la détermination de l’État membre responsable en vertu des critères définis par le règlement Dublin III, alors que l’exercice de la clause discrétionnaire, prévue à l’article 17, paragraphe 1, de ce règlement, est assuré par le ministre de la Justice et de l’Égalité.

63      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le règlement Dublin III doit être interprété en ce sens qu’il impose que la détermination de l’État responsable en application des critères définis par ce règlement et l’exercice de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe 1, dudit règlement soient assurés par la même autorité nationale.

64      Il convient de rappeler, tout d’abord, qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que le pouvoir d’appréciation conféré aux États membres par l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III fait partie intégrante des mécanismes de détermination de l’État membre responsable d’une demande d’asile prévus par ce règlement. Ainsi, la décision, adoptée par un État membre sur le fondement de cette disposition, d’examiner ou non une demande de protection internationale pour laquelle il n’est pas responsable au regard des critères énoncés au chapitre III dudit règlement met en œuvre le droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 16 février 2017, C. K. e.a., C‑578/16 PPU, EU:C:2017:127, point 53 ainsi que jurisprudence citée).

65      Ensuite, il y a lieu de constater que le règlement Dublin III ne contient, néanmoins, aucune disposition précisant quelle autorité est habilitée à prendre une décision en application des critères définis par ce règlement relatifs à la détermination de l’État membre responsable ou au titre de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe 1, dudit règlement. Ce dernier ne précise pas non plus si un État membre doit confier la charge de l’application de tels critères et celle de l’application de cette clause discrétionnaire à la même autorité.

66      En revanche, l’article 35, paragraphe 1, du règlement Dublin III prévoit que chaque État membre notifie sans délai à la Commission « les autorités chargées » en particulier de l’exécution des obligations découlant de ce règlement et toute modification concernant ces autorités.

67      Il découle du libellé de cette disposition, en premier lieu, qu’il appartient à un État membre de déterminer quelles autorités nationales sont compétentes pour appliquer le règlement Dublin III. En second lieu, l’expression « les autorités chargées » figurant à cet article 35 implique qu’un État membre est libre de confier la charge de l’application des critères définis par ce règlement relatifs à la détermination de l’État membre responsable et celle de l’application de la « clause discrétionnaire » prévue à l’article 17, paragraphe 1, dudit règlement à des autorités différentes.

68      Cette appréciation est également confortée par d’autres dispositions du règlement Dublin III, telles que l’article 4, paragraphe 1, l’article 20, paragraphes 2 et 4, ou l’article 21, paragraphe 3, de celui-ci, dans lesquelles les expressions « ses autorités compétentes », « les autorités », « aux autorités compétentes de l’État concerné », « des autorités compétentes d’un État membre » ou encore « aux autorités de l’État membre requis » ont été utilisées.

69      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la deuxième question que le règlement Dublin III doit être interprété en ce sens qu’il n’impose pas que la détermination de l’État responsable en vertu des critères définis par ce règlement et l’exercice de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe 1, dudit règlement soient assurés par la même autorité nationale.

 Sur la troisième question

70      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens qu’il impose à un État membre qui n’est pas responsable, en vertu des critères énoncés par ce règlement, de l’examen d’une demande de protection internationale de prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant et d’examiner lui-même cette demande, en application de l’article 17, paragraphe 1, dudit règlement. 

71      Étant donné qu’il ressort déjà des points 58 et 59 du présent arrêt que l’exercice de la faculté ouverte aux États membres par la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III n’est soumis à aucune condition particulière et qu’il appartient, en principe, à chaque État membre de déterminer les circonstances dans lesquelles il souhaite faire usage de cette faculté et d’accepter d’examiner lui-même une demande de protection internationale pour laquelle il n’est pas responsable en vertu des critères définis par ce règlement, il y a lieu de constater que les considérations relatives à l’intérêt supérieur de l’enfant ne sauraient non plus obliger un État membre à faire usage de ladite faculté et à examiner lui-même une demande qui ne lui incombe pas.

72      Il s’ensuit que l’article 6, paragraphe 1, du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens qu’il n’impose pas à un État membre qui n’est pas responsable, en vertu des critères énoncés par ce règlement, de l’examen d’une demande de protection internationale de prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant et d’examiner lui-même cette demande, en application de l’article 17, paragraphe 1, dudit règlement.

 Sur la quatrième question

73      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 27, paragraphe 1, du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens qu’il impose de prévoir un recours contre la décision de ne pas faire usage de la faculté prévue à l’article 17, paragraphe 1, du même règlement.

74      Aux termes de l’article 27, paragraphe 1, du règlement Dublin III, le demandeur de protection internationale dispose d’un droit de recours effectif, sous la forme d’un recours contre la décision de transfert ou d’une révision, en fait et en droit, de cette décision devant une juridiction.

75      Ainsi, cet article ne prévoit pas expressément de recours contre la décision de ne pas faire usage de la faculté prévue à l’article 17, paragraphe 1, de ce règlement.

76      De plus, l’objectif de célérité dans le traitement des demandes de protection internationale et notamment de la détermination de l’État membre responsable, sous-tendant la procédure mise en place par le règlement Dublin III et rappelé au considérant 5 de ce règlement, invite à ne pas multiplier les voies de recours.

77      Certes, le principe de protection juridictionnelle effective constitue un principe général du droit de l’Union qui est maintenant exprimé à l’article 47 de la Charte (arrêt du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission, C‑295/12 P, EU:C:2014:2062, point 40 ainsi que jurisprudence citée) et aux termes duquel toute personne dont les droits et les libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues à cet article.

78      Toutefois, si un État membre refuse de faire usage de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III, cela revient nécessairement, pour cet État membre, à adopter une décision de transfert. Le refus de l’État membre de faire usage de cette clause pourra, le cas échéant, être contesté à l’occasion d’un recours contre une décision de transfert.

79      Par conséquent, l’article 27, paragraphe 1, du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens qu’il n’impose pas de prévoir un recours contre la décision de ne pas faire usage de la faculté prévue à l’article 17, paragraphe 1, de ce règlement, sans préjudice que cette décision puisse être contestée à l’occasion d’un recours contre la décision de transfert. 

80      Par ailleurs, et afin de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi, dans la mesure où les questions posées sont, en l’occurrence, liées à la notification de l’État membre, déterminé comme responsable en vertu des critères définis par le règlement Dublin III, de son intention de se retirer de l’Union conformément à l’article 50 TUE, il y a lieu d’indiquer que cette notification, ainsi qu’il découle du point 54 du présent arrêt, n’a pas pour effet de suspendre l’application du droit de l’Union dans cet État membre et que, par conséquent, ce droit, dont fait partie le système européen commun d’asile, ainsi que la confiance mutuelle et la présomption de respect, par les États membres, des droits fondamentaux, reste pleinement en vigueur dans ledit État membre jusqu’à son retrait effectif de l’Union.

81      Il y a également lieu d’ajouter que, conformément à la jurisprudence de la Cour, le transfert d’un demandeur vers un tel État membre ne doit pas être opéré s’il y a de sérieuses raisons de croire que cette notification conduirait à ce que ce demandeur coure un risque réel d’être soumis dans cet État membre à des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte (arrêt du 16 février 2017, C. K. e.a., C‑578/16 PPU, EU:C:2017:127, point 65).

82      Dans ce contexte, il convient de souligner qu’une telle notification ne saurait, en elle-même, être considérée comme conduisant à exposer l’intéressé à un tel risque.

83      À cet égard, il importe de relever, premièrement, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des États y participant, qu’ils soient États membres ou États tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la convention de Genève et le protocole de 1967, à savoir le principe de non-refoulement, ainsi que dans la CEDH et, partant, que ces États peuvent s’accorder une confiance mutuelle en ce qui concerne le respect de ces droits fondamentaux (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2011, N. S. e.a., C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865, point 78), l’ensemble de ces mêmes États étant, par ailleurs, ainsi qu’il a été indiqué aux points 3 à 5 du présent arrêt, tous parties aussi bien à cette convention de Genève et à ce protocole de 1967 qu’à la CEDH.

84      Deuxièmement, s’agissant des droits fondamentaux reconnus à un demandeur de protection internationale, outre la codification, à l’article 3, paragraphe 2, du règlement Dublin III, de la jurisprudence de la Cour portant sur l’existence des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs dans l’État déterminé comme responsable, au sens de ce règlement, les États membres, ainsi qu’il découle des considérants 32 et 39 dudit règlement, sont également liés dans l’application de celui-ci, par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et par l’article 4 de la Charte (arrêt du 16 février 2017, C. K. e.a., C‑578/16 PPU, EU:C:2017:127, point 63). Cet article 4 correspondant à l’article 3 de la CEDH, l’interdiction de traitement inhumain ou dégradant prévue à cette première disposition a, conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, le même sens et la même portée que lui confère cette convention (voir, en ce sens, arrêt du 16 février 2017, C. K. e.a., C‑578/16 PPU, EU:C:2017:127, point 67).

85      Troisièmement, ainsi qu’il a été exposé au point 83 du présent arrêt, les États membres étant parties à la convention de Genève et au protocole de 1967 ainsi qu’à la CEDH, deux accords internationaux sur lesquels est fondé ce système européen commun d’asile, le maintien d’un État membre de sa participation dans ces conventions et ce protocole n’est pas lié à son appartenance à l’Union. Il s’ensuit que la décision d’un État membre de se retirer de l’Union n’a pas d’incidence sur ses obligations de respecter la convention de Genève et le protocole de 1967, y compris le principe de non-refoulement, ainsi que l’article 3 de la CEDH.

86      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la quatrième question que l’article 27, paragraphe 1, du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens qu’il n’impose pas de prévoir un recours contre la décision de ne pas faire usage de la faculté prévue à l’article 17, paragraphe 1, de ce règlement, sans préjudice que cette décision puisse être contestée à l’occasion d’un recours contre la décision de transfert.

 Sur la cinquième question

87      Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 20, paragraphe 3, du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens que, en l’absence de preuve contraire, cette disposition établit une présomption selon laquelle il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant de traiter la situation de cet enfant de manière indissociable de celle de ses parents.

88      Il y a lieu de constater qu’il ressort clairement du libellé de l’article 20, paragraphe 3, du règlement Dublin III que tel est le cas. Il en résulte que c’est seulement dans le cas où il est établi qu’un tel examen effectué conjointement avec celui des parents de l’enfant n’est pas dans l’intérêt supérieur de cet enfant qu’il y aura lieu de traiter la situation de ce dernier séparément de celle de ses parents.

89      Cette constatation est conforme aux considérants 14 à 16 ainsi que, entre autres, à l’article 6, paragraphe 3, sous a), et paragraphe 4, à l’article 8, paragraphe 1, et à l’article 11 du règlement Dublin III. Il découle de ces dispositions que le respect de la vie familiale et, plus particulièrement, la préservation de l’unité du groupe familial est, en principe, dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

90      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la cinquième question que l’article 20, paragraphe 3, du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens que, en l’absence de preuve contraire, cette disposition établit une présomption selon laquelle il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant de traiter la situation de cet enfant de manière indissociable de celle de ses parents.

 Sur les dépens

91      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

1)      L’article 17, paragraphe 1, du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, doit être interprété en ce sens que la circonstance qu’un État membre, déterminé comme « responsable » au sens de ce règlement, a notifié son intention de se retirer de l’Union européenne conformément à l’article 50 TUE n’oblige pas l’État membre procédant à cette détermination à examiner lui-même, en application de la clause discrétionnaire prévue à cet article 17, paragraphe 1, la demande de protection en cause. 

2)      Le règlement no 604/2013 doit être interprété en ce sens qu’il n’impose pas que la détermination de l’État responsable en vertu des critères définis par ce règlement et l’exercice de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe 1, dudit règlement soient assurés par la même autorité nationale.

3)      L’article 6, paragraphe 1, du règlement no 604/2013 doit être interprété en ce sens qu’il n’impose pas à un État membre qui n’est pas responsable, en vertu des critères énoncés par ce règlement, de l’examen d’une demande de protection internationale de prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant et d’examiner lui-même cette demande, en application de l’article 17, paragraphe 1, dudit règlement.

4)      L’article 27, paragraphe 1, du règlement no 604/2013 doit être interprété en ce sens qu’il n’impose pas de prévoir un recours contre la décision de ne pas faire usage de la faculté prévue à l’article 17, paragraphe 1, de ce règlement, sans préjudice que cette décision puisse être contestée à l’occasion d’un recours contre la décision de transfert.

5)      L’article 20, paragraphe 3, du règlement no 604/2013 doit être interprété en ce sens que, en l’absence de preuve contraire, cette disposition établit une présomption selon laquelle il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant de traiter la situation de cet enfant de manière indissociable de celle de ses parents.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.