Language of document : ECLI:EU:C:2021:291

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 15 avril 2021 (1)

Affaire C561/19

Consorzio Italian Management,

Catania Multiservizi SpA

contre

Rete Ferroviaria Italiana SpA

[demande de décision préjudicielle formée par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Article 267, troisième alinéa, TFUE – Juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne – Obligation de renvoi préjudiciel – Portée – Exceptions et critères de l’arrêt CILFIT e.a. »






Table des matières


I. Introduction

II. Le cadre juridique

III. Les faits, la procédure au principal et les questions préjudicielles

IV. Appréciation

A. Les niveaux

1. Le premier niveau : la décision appartient toujours au juge national

2. Le niveau plus profond : faut-il vraiment déférer toutes les questions ?

B. L’arrêt CILFIT (et sa lignée)

1. Les justifications de l’obligation de renvoi préjudiciel

2. Les exceptions à l’obligation

3. L’application pratique (par la Cour) qui s’en est suivie

C. Les problèmes posés par la jurisprudence liée à l’arrêt CILFIT

1. Les problèmes d’ordre conceptuel

2. L’applicabilité

3. La cohérence systémique des voies de recours en droit de l’Union

4. Les évolutions du droit de l’Union et du système juridictionnel

5. Synthèse d’étape

D. Ce qui est proposé

1. Une question général(isabl)e d’interprétation du droit de l’Union

2. Autres interprétations raisonnablement envisageables

3. L’absence de jurisprudence de la Cour

4. L’obligation de motivation (et la question ouverte du contrôle du respect de l’obligation de renvoi)

V. Conclusion


I.      Introduction

1.        Contrairement aux juridictions nationales statuant en dernier ressort, quelque chose me dit que les étudiants en droit de l’Union ont toujours eu un faible pour l’arrêt CILFIT e.a. (2). Au cours de la dernière ou des deux dernières décennies, le cœur de bien des étudiants en droit de l’Union a dû battre la chamade et se réjouir avec soulagement à la vue des termes « CILFIT », « exceptions à l’obligation de renvoi préjudiciel » et « commentez » dans l’intitulé d’un sujet d’examen ou d’un devoir. En effet, s’interroger sur l’applicabilité des exceptions à l’obligation de procéder à un renvoi préjudiciel qui découlent de l’arrêt CILFIT, notamment de l’exception relative à l’absence de tout doute raisonnable pour la juridiction nationale statuant en dernier ressort, ne relève probablement pas de l’exercice intellectuel le plus ardu. Ces juridictions sont-elles vraiment tenues de comparer (toutes) les versions linguistiques du droit de l’Union faisant également foi ? Sur un plan pratique, comment peuvent-elles déterminer si une réponse paraît tout aussi évidente pour les juridictions des autres États membres et pour la Cour ?

2.        Les questions relatives à l’obligation de procéder à un renvoi préjudiciel en vertu de l’article 267, troisième alinéa, TFUE, aux exceptions à cette obligation et, surtout, à sa mise en œuvre ont longtemps été vues métaphoriquement comme « un chat qui dort » du droit de l’Union. Nous sommes conscients de son existence. Nous savons tous en débattre ou même écrire des traités doctrinaux à son sujet. Cependant, en vérité, il est préférable de ne pas le déranger. De manière pragmatique (ou cynique), le système du renvoi préjudiciel ne fonctionne que parce que, en réalité, nul n’applique la jurisprudence liée à l’arrêt CILFIT, en tout cas certainement pas à la lettre. Bien souvent, mieux vaut penser à un chat que d’avoir affaire à cet animal en chair et en os.

3.        Pour plusieurs raisons que je serai amené à développer dans les présentes conclusions, je suggère à la Cour qu’il est temps de procéder à un réexamen de la jurisprudence qui découle de l’arrêt CILFIT. Ma proposition est assez simple : adapter l’obligation de renvoi préjudiciel de l’article 267, troisième alinéa, TFUE et ses exceptions pour répondre aux besoins du système juridictionnel contemporain de l’Union de sorte qu’elles puissent être raisonnablement appliquées (et, un jour peut-être, mises en œuvre).

4.        Le processus d’adaptation appelle cependant un renversement de paradigme majeur. L’obligation de renvoi préjudiciel avec ses exceptions doit avoir pour logique et reposer non plus sur l’absence de tout doute raisonnable sur l’application correcte du droit de l’Union dans un cas d’espèce, établie par l’existence d’un doute subjectif sur le plan juridique, mais sur l’impératif plus objectif d’assurer une interprétation uniforme du droit de l’Union dans toute l’Union européenne. En d’autres termes, l’obligation de renvoi préjudiciel devrait moins s’attacher aux bonnes réponses qu’à la détermination des bonnes questions.

II.    Le cadre juridique

5.        L’article 267 TFUE dispose :

« La Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel :

a)      sur l’interprétation des traités,

b)      sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union.

Lorsqu’une telle question est soulevée devant une juridiction d’un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.

Lorsqu’une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour.

[...] »

6.        L’article 99 du règlement de procédure de la Cour énonce :

« Lorsqu’une question posée à titre préjudiciel est identique à une question sur laquelle la Cour a déjà statué, lorsque la réponse à une telle question peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à la question posée à titre préjudiciel ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée. »

III. Les faits, la procédure au principal et les questions préjudicielles

7.        Le 23 février 2006, Rete Ferroviaria Italiana SpA (ci-après « RFI ») a attribué à Consorzio Italian Management et à Catania Multiservizi SpA (ci-après les « requérantes ») un marché de « services de nettoyage, d’entretien du décor des locaux et d’autres espaces ouverts au public, ainsi que de services accessoires dans des gares, des installations, des bureaux et des ateliers disséminés sur l’ensemble du territoire relevant de la Direzione Compartimentale Movimento de Cagliari (direction régionale de la circulation de Cagliari, Italie) ».

8.        Ce marché comportait une clause excluant la révision de prix. Au cours de l’exécution dudit marché, les requérantes ont demandé à RFI la révision du prix du marché précédemment convenu afin qu’il soit tenu compte d’une hausse des coûts contractuels découlant de l’augmentation des frais de personnel. RFI a rejeté cette demande.

9.        Les requérantes ont saisi le Tribunale amministrativo regionale per la Sardegna (tribunal administratif régional pour la Sardaigne, Italie ; ci-après le « TAR ») d’un recours. Par jugement du 11 juin 2014, le TAR a rejeté ce recours. Il a estimé que l’article 115 du decreto legislativo (décret législatif) no 163/2006, du 12 avril 2006 (supplément ordinaire à la GURI no 100, du 2 mai 2006), n’était pas applicable à des prestations, telles que des prestations de services de nettoyage, accessoires à l’exercice des activités relevant des secteurs spéciaux en ce qu’elles portaient sur des éléments nécessaires faisant partie du réseau de transport ferroviaire. Le TAR a ajouté qu’une révision des prix n’était pas non plus obligatoire en vertu de l’article 1664 du codice civile (code civil, Italie) et que les parties pouvaient déroger à cette disposition.

10.      Les requérantes ont interjeté appel de ce jugement devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie). Elles concluent à l’applicabilité de l’article 115 du décret législatif no 163/2006 ou, subsidiairement, de l’article 1664 du code civil. Elles sont en outre d’avis que la réglementation nationale est contraire à la directive 2004/17/CE (3) en ce qu’elle tend à exclure la révision des prix dans le secteur des transports, plus particulièrement dans les contrats connexes de nettoyage. Ces dispositions font naître un déséquilibre contractuel injuste et disproportionné, conduisant à fausser les règles relatives au fonctionnement du marché. Si la directive 2004/17 devait être interprétée dans un sens excluant la révision du prix dans tous les contrats conclus et appliqués dans les secteurs spéciaux, elle serait alors invalide.

11.      C’est dans ce contexte que, le 24 novembre 2016, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les deux questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’interprétation du droit interne qui exclut la révision des prix dans les marchés afférents aux secteurs dits spéciaux est-elle conforme au droit de [l’Union] (et, en particulier, à l’article 3, paragraphe 3, TUE, aux articles 26, 56 à 58 et 101 TFUE ainsi qu’à l’article 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne) et à la directive 2004/17, notamment en ce qui concerne les marchés qui ont un objet différent de ceux visés par cette directive, mais qui sont liés à ces derniers par un lien fonctionnel ?

2)      La directive 2004/17 (si l’exclusion de la révision des prix dans tous les contrats conclus et appliqués dans le cadre des secteurs dits spéciaux est considérée comme découlant directement de celle-ci) est-elle conforme aux principes de [l’Union] (et, en particulier, à l’article 3, paragraphe 1, TUE, aux articles 26, 56 à 58 et 101 TFUE ainsi qu’à l’article 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne), “eu égard à son caractère injuste, disproportionné, à la modification de l’équilibre contractuel et, partant, des règles d’un marché performant” » ?

12.      La Cour a répondu par un arrêt du 19 avril 2018 (4). S’agissant de la première question préjudicielle, elle a relevé que la décision de renvoi ne donnait aucune explication quant à la pertinence de l’interprétation de l’article 3, paragraphe 3, TUE ainsi que des articles 26, 57, 58 et 101 TFUE pour la solution du litige au principal. L’article 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), comme toutes les autres de ses dispositions, s’adresse aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. La Cour a donc conclu à l’irrecevabilité de la première question préjudicielle au regard de ces dispositions (5).

13.      Toutefois, concernant la directive 2004/17 et les principes généraux qui la sous-tendent, notamment le principe d’égalité et le principe de transparence, la Cour les a interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à des règles de droit national qui ne prévoient pas la révision périodique des prix après la passation des marchés relevant des secteurs visés par cette directive. Compte tenu de cette réponse, la Cour a considéré que la seconde question était de nature hypothétique.

14.      Le 28 octobre 2018, après que la Cour a rendu cet arrêt et en vue de l’audience publique du 14 novembre 2018, les requérantes ont demandé au Consiglio di Stato (Conseil d’État) de saisir la Cour de nouvelles questions préjudicielles. En substance, les requérantes affirment que la Cour ne s’est pas prononcée sur le caractère fonctionnel ou non du service de nettoyage par rapport au service de transport. Elles soulignent que, dans son arrêt, la Cour suppose que, comme cela est précisé dans l’appel d’offres, la durée de la relation contractuelle ne pouvait être prolongée. Or, cela ne correspond pas aux réalités italiennes, où les marchés de services sont souvent prolongés par l’administration, parfois pour une durée indéterminée, bouleversant ainsi l’équilibre contractuel. Les requérantes invoquent les considérants 9, 10 et 45 de la directive 2004/17 ainsi que son article 57 à l’appui de leurs conclusions.

15.      Le Consiglio di Stato (Conseil d’État), juridiction de renvoi dans la présente espèce également, est d’avis que les requérantes soulèvent donc de nouvelles questions préjudicielles. Cette juridiction de renvoi s’interroge cependant sur le point de savoir si, étant donné les circonstances du litige au principal, son renvoi préjudiciel doit être fondé sur l’article 267, troisième alinéa, TFUE. Elle estime que le caractère obligatoire du renvoi préjudiciel par la juridiction statuant en dernier ressort ne saurait être dissocié d’un système d’« obstacles procéduraux » de nature à inciter les parties à soumettre au juge national « une fois pour toutes » les aspects du droit national applicable au litige qu’elles considèrent comme étant contraires au droit de l’Union. Dans le cas contraire, le renvoi « en chaîne » de questions préjudicielles – outre que cela prêterait à d’éventuels usages abusifs, de nature à constituer, dans des cas extrêmes, un véritable « abus de procédure » – finirait (eu égard à l’obligation de renvoi préjudiciel) par priver d’intérêt le droit à la protection juridictionnelle ainsi que le principe de la solution rapide et efficace du litige.

16.      C’est dans ce contexte juridique et factuel que le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour des questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Aux termes de l’article 267 TFUE, la juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel est-elle tenue, en principe, de procéder au renvoi préjudiciel d’une question d’interprétation du droit de l’Union, même si cette question lui est soumise par une des parties à la procédure après son premier acte introductif d’instance ou son mémoire de comparution à la procédure, après que l’affaire a été mise pour la première fois en délibéré, ou même après un premier renvoi préjudiciel à la [Cour] ?

2)      En raison de ce qui a été exposé ci-dessus, les articles 115, 206 et 217 du décret législatif no 163/2006, tels qu’interprétés par la jurisprudence administrative en ce sens qu’ils excluent la révision des prix dans les marchés afférents aux secteurs dits spéciaux, sont-ils conformes au droit de l’Union [en particulier, l’article 4, paragraphe 2, l’article 9, l’article 101, paragraphe 1, sous e), l’article 106, l’article 151 – ainsi que la charte sociale européenne signée à Turin le 18 octobre 1961 et la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989 que cite ce dernier article – l’article 152, l’article 153 et l’article 156 TFUE ; les articles 2 et 3 TUE et l’article 28 de la Charte], notamment en ce qui concerne les marchés qui ont un objet différent de ceux qui sont visés par la directive 2004/17, mais qui sont liés à ces derniers par un lien fonctionnel ?

3)      En raison de ce qui a été exposé ci-dessus, les articles 115, 206 et 217 du décret législatif no 163/2006 tels qu’interprétés par la jurisprudence administrative en ce sens qu’ils excluent la révision des prix dans les marchés afférents aux secteurs dits spéciaux sont-ils conformes au droit de l’Union (notamment, l’article 28 de la [Charte], le principe d’égalité de traitement consacré par les articles 26 et 34 TFUE et le principe de la liberté d’entreprise reconnu également par l’article 16 de la [Charte]), notamment en ce qui concerne les marchés qui ont un objet différent de ceux qui sont visés par la directive 2004/17, mais qui sont liés à ces derniers par un lien fonctionnel ? »

17.      Les requérantes, RFI, le gouvernement italien et la Commission européenne ont présenté des observations écrites. Ces parties intéressées ainsi que les gouvernements allemand et français ont participé à l’audience tenue le 15 juillet 2020.

IV.    Appréciation

18.      À l’invitation de la Cour, les présentes conclusions porteront sur la première question préjudicielle déférée par la juridiction de renvoi. Cette question comprend deux niveaux. D’un côté, de par son libellé, elle peut se lire comme une simple demande de savoir si une juridiction nationale statuant en dernier ressort est tenue de procéder à un renvoi préjudiciel dans le contexte d’une situation factuelle particulière comprenant trois éléments : premièrement, la question est soulevée par l’une des parties ; deuxièmement, la question est soulevée après qu’une partie a introduit un premier mémoire ; et, troisièmement, même après que la Cour a déjà été saisie d’un renvoi préjudiciel. Il n’est pas difficile de répondre à ces questions. Ces réponses découlent d’une jurisprudence bien établie de la Cour (comme cela sera démontré à la section A ci-dessous).

19.      D’un autre côté, je ne pense pas qu’une telle réponse rende justice aux réelles interrogations posées par la juridiction de renvoi. Celle-ci relève que les parties soulèvent d’autres questions qui peuvent effectivement être résolues sur le fondement de la réponse déjà apportée par la Cour. Elle reconnaît cependant qu’il est des questions nouvelles qui ne peuvent être traitées ainsi. S’agissant de ces dernières, la juridiction de renvoi souligne que, étant une juridiction statuant en dernier ressort en vertu du droit national, elle est tenue de procéder à un renvoi préjudiciel à la Cour, car une question d’interprétation du droit de l’Union est soulevée dans le cadre d’un litige dont elle est saisie (6).

20.      À ce stade, l’interrogation plus large soulevée par la première question préjudicielle se révèle au grand jour : peut-il y avoir des cas où des doutes subsistent sur l’application correcte du droit de l’Union dans le cadre du cas d’espèce, indépendamment du fait que ce même litige a déjà fait l’objet d’une demande de décision préjudicielle en vertu de l’obligation en ce sens qui incombe aux juridictions statuant en dernier ressort ? Quelle est la juste portée de l’obligation de renvoi préjudiciel et quelles sont les exceptions à cette obligation, notamment à la lumière de litiges tels que celui au principal ?

21.      Pour proposer une réponse à cette question, je commencerai d’abord par préciser les limites actuelles de l’obligation de renvoi préjudiciel et de ses exceptions (section B). J’examinerai ensuite les différents problèmes que pose cette jurisprudence pour les redéfinir, autant de raisons pour lesquelles je propose à la Cour d’appréhender l’obligation de renvoi préjudiciel selon une autre approche (section C). Enfin, je conclurai par une proposition de réponse spécifique à cet égard (section D).

A.      Les niveaux

22.      Les éléments invoqués par la juridiction de renvoi portent sur trois points : premièrement, le rôle des parties soulevant une question ; deuxièmement le stade de la procédure devant le juge national auquel cette question est soulevée et, troisièmement, la possibilité de former un second renvoi préjudiciel dans le cadre d’une seule et même procédure. Si ces points sont compris comme formant trois questions distinctes et non comme trois volets d’une seule et même question, la réponse se déduit aisément de la jurisprudence établie par la Cour.

1.      Le premier niveau : la décision appartient toujours au juge national

23.      En premier lieu, c’est à la seule juridiction de renvoi qu’il appartient de déterminer si une décision de la Cour s’impose pour qu’elle puisse apporter une solution au litige dont elle est saisie. Assurément, une juridiction nationale, comme toute autre juridiction, examinera les avis des parties sur la nécessité de procéder à un renvoi préjudiciel. Toutefois, l’article 267 TFUE institue une coopération directe entre la Cour et les juridictions nationales par une procédure étrangère à toute initiative des parties (7). Par conséquent, il ne suffit pas qu’une partie soutienne que le litige pose une question d’interprétation du droit de l’Union pour que la juridiction concernée soit tenue de considérer qu’une question est soulevée au sens de l’article 267 TFUE qui lui imposerait de procéder à un renvoi préjudiciel (8). Inversement, cela signifie également que le juge national peut procéder d’office à un renvoi préjudiciel (9).

24.      En deuxième lieu, il appartient également à la seule juridiction nationale de décider à quel stade de la procédure il y a lieu, pour cette juridiction, de déférer une question préjudicielle à la Cour (10). Le juge national est ainsi le mieux placé pour apprécier le stade de la procédure auquel il a besoin d’une décision préjudicielle de la Cour (11). La Cour exige seulement que le litige soit pendant devant la juridiction nationale (12).

25.      Certes, du point de vue de la Cour et de sa disponibilité à assister au mieux la juridiction de renvoi, il est hautement souhaitable que le juge national ne se décide de la saisir d’un renvoi préjudiciel qu’une fois qu’un litige avec toutes ses implications se soit pleinement matérialisé devant lui. Par conséquent, il peut, le cas échéant, s’avérer de l’intérêt d’une bonne administration de la justice que la question préjudicielle ne soit posée qu’à la suite d’un débat contradictoire. Cependant, en tant que telle, ce n’est certainement pas une condition requise par la Cour (13).

26.      Dans la même veine, je ne pense pas que la Cour s’opposerait à des réglementations ou dispositions nationales exigeant ou imposant un regroupement des procédures, notamment devant les juridictions d’appel ou les juridictions suprêmes, en demandant aux parties de présenter des éléments nouveaux ou supplémentaires à certains moments ou étapes de la procédure juridictionnelle. Toutefois, il est vrai que, par le passé, la Cour s’est généralement prononcée si de tels délais ou regroupements de procédures mettent effectivement le juge national dans l’impossibilité de vérifier la compatibilité d’un acte national avec le droit de l’Union (14).

27.      La logique de la jurisprudence de la Cour en la matière vise donc à s’assurer que les règles procédurales nationales ne font pas obstacle à ce que des questions concernant le droit de l’Union soient soulevées et qu’un renvoi préjudiciel puisse être formé, quel que soit le stade de la procédure. Ce vers quoi elle tend, sur un plan pratique, est le fait d’écarter potentiellement toute règle nationale restrictive (15).

28.      Or, dans le contexte de la présente espèce, il semblerait que la question de savoir si une éventuelle obligation de renvoi préjudiciel d’une question préjudicielle en vertu de l’article 267 TFUE peut exister, « même si cette question lui [le juge national] est soumise par une des parties à la procédure après son premier acte introductif d’instance ou son mémoire de comparution à la procédure, après que l’affaire a été mise pour la première fois en délibéré », est posée dans un autre but. En l’espèce, le droit national ne semble pas connaître de règle limitative et les parties sont libres de (re)débattre devant la juridiction de renvoi des éléments qui ont déjà fait l’objet d’une demande de décision préjudicielle. Il serait cependant pour le moins paradoxal d’invoquer la jurisprudence « permissive » rapportée ci-dessus, qui a toujours catégoriquement insisté sur le fait que le juge national est libre de poser toute question concernant le droit de l’Union à tout stade de la procédure, pour chercher aujourd’hui à obtenir le contraire : clore tout débat autorisé par le droit national après qu’une décision de la Cour a été reçue au niveau national.

29.      En troisième lieu, cela s’inscrirait également très mal dans l’approche traditionnelle de la Cour concernant le troisième élément souligné par la juridiction de renvoi : la possibilité de saisir la Cour une nouvelle fois. Sur ce point, la Cour a toujours insisté sur le fait que les juridictions nationales conservent l’entière liberté de la saisir si elles l’estiment opportun, sans que la circonstance qu’elle a déjà interprété les dispositions dont l’interprétation est demandée ait pour conséquence de faire obstacle à ce qu’elle statue de nouveau (16).

30.      Il en va de même dans le cadre d’une même procédure nationale. Selon la Cour, « un tel recours peut être justifié lorsque le juge national se heurte à des difficultés de compréhension ou d’application de l’arrêt, lorsqu’il pose à la Cour une nouvelle question de droit, ou encore lorsqu’il lui soumet de nouveaux éléments d’appréciation susceptibles de conduire la Cour à répondre différemment à une question déjà posée » (17). Par conséquent, un nouveau renvoi préjudiciel reste possible, non seulement sur les mêmes dispositions du droit de l’Union, mais également sur d’autres dispositions ou questions soulevées dans le cadre de la même procédure.

31.      Il s’ensuit que la réponse courte à la première question préjudicielle est qu’il peut être procédé à un renvoi préjudiciel à tout instant, même si la Cour s’est déjà prononcée dans une affaire préjudicielle concernant la même procédure, tant que la juridiction de renvoi estime que la réponse de la Cour est nécessaire pour qu’elle puisse statuer. Le juge national doit toujours prendre une telle décision en cas de doute raisonnable qu’il peut avoir sur l’application correcte du droit de l’Union dans une affaire dont il est saisi.

2.      Le niveau plus profond : faut-il vraiment déférer toutes les questions ?

32.      En deux mots, tout cela relève de la compétence exclusive de la juridiction de renvoi et de son appréciation de la nécessité (subjective) d’être encore éclairée par la Cour. Toutefois, est-ce vraiment la réponse ? Cette affirmation n’est-elle pas plutôt une description du problème ? Une obligation de procéder à un renvoi préjudiciel doit-elle réellement subsister dans un cas tel que celui de la présente espèce ?

33.      Vue dans ce contexte, la première question déférée par la juridiction de renvoi atteint un niveau beaucoup plus profond. Le fait que les trois points analysés à la section précédente en tant que questions autonomes soient tous soulevés concomitamment dans la procédure au principal vient le confirmer. La question qui se pose donc est de savoir si, en dépit de toutes ces circonstances, la juridiction de renvoi demeure tenue par l’obligation de renvoi préjudiciel.

34.      Par conséquent, je ne pense pas qu’une telle question puisse recevoir une réponse adéquate telle que celle exposée à la section précédente. De même, je ne crois pas qu’il puisse y être répondu en déclarant que le présent litige ne concerne qu’une question d’autorité de la chose jugée et de respect dû à un arrêt antérieur de la Cour. Il est certainement vrai que, depuis l’arrêt Da Costa e.a. (18), confirmé en cela par l’arrêt CILFIT (19), l’autorité de l’interprétation donnée par la Cour en vertu de l’article 267 TFUE peut priver cette obligation de sa cause et la vider ainsi de son contenu (20). A fortiori, tel sera également le cas lorsque la question soulevée est matériellement identique à une question ayant déjà fait l’objet d’une décision à titre préjudiciel dans le cadre de la même affaire nationale (21).

35.      Toutefois, la juridiction de renvoi a clairement indiqué que des éléments nouveaux, supplémentaires, lui étaient soumis dans cette affaire et n’ont donc pas été examinés par la Cour. Dès lors, il n’est nullement question d’écarter une décision antérieure de la Cour.

36.      Dans un tel contexte, il est impossible d’affirmer que le droit de l’Union ferait obstacle à la pratique italienne permettant aux parties à un litige de présenter des observations se rapportant à la réponse apportée par une juridiction supérieure à une demande formée dans le cadre de cette même procédure. Lors de l’audience, le gouvernement italien a fait savoir que cette pratique était suivie non seulement à propos des réponses de la Cour, mais également de celles de la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle, Italie) à la suite de sa saisine par un juge national d’une question de constitutionnalité. Dans de telles circonstances, les parties au principal sont autorisées à s’exprimer sur les conséquences qui devraient être tirées pour leur litige au vu des éclairages apportés par une juridiction supérieure.

37.      En substance, à moins que la Cour entende rappeler une évidence, sans se prononcer sur les implications plus profondes de cette affaire, ou alors revenir radicalement sur certains points exposés ci-dessus, je pense que le contexte de la présente espèce appelle une discussion sur la nature et la portée de l’obligation de renvoi préjudiciel. Les parties intéressées n’ont pas les mêmes avis en la matière.

38.      Les observations des requérantes et de la défenderesse au principal portent essentiellement sur les deuxième et troisième questions préjudicielles. Sur la première question, elles rappellent qu’une demande de décision préjudicielle est superflue en présence d’une jurisprudence établie, à moins que celle-ci ne soit trop ancienne ou que de nouveaux arguments aient été soulevés devant la juridiction de renvoi, comme c’est le cas en l’espèce. La défenderesse au principal est d’avis que la juridiction de renvoi n’avait pas à déférer de nouvelles questions préjudicielles, car l’interprétation des règles du droit de l’Union en cause est claire et la jurisprudence de la Cour y répond déjà.

39.      Les gouvernements allemand, français et italien, ainsi que la Commission, ont examiné la première question de manière plus approfondie et présentent un large éventail d’avis. Le gouvernement allemand et la Commission estiment qu’il n’y a pas lieu de revenir sur la jurisprudence liée à l’arrêt CILFIT. Le gouvernement allemand a souligné que les critères formulés dans l’arrêt CILFIT avaient résisté au temps et devraient être maintenus.

40.      Le gouvernement italien appelle à un meilleur équilibre entre l’obligation de renvoi préjudiciel et la bonne administration de la justice. Il est d’avis que les juridictions statuant en dernier ressort ne méconnaîtraient l’article 267 TFUE que si elles ne prenaient pas en considération des questions de droit de l’Union soulevées par les parties et les déclaraient dénuées de fondement, sans aucune motivation. Ce gouvernement estime que la motivation est essentielle. Celle-ci pourrait même venir atténuer la responsabilité encourue par les États membres en cas de manquement par leurs juridictions statuant en dernier ressort à se conformer à l’obligation de renvoi préjudiciel.

41.      Le gouvernement français propose que les critères formulés dans l’arrêt CILFIT soient (ré)interprétés à la lumière de l’objectif poursuivi par l’article 267 TFUE et de l’état actuel du droit de l’Union, en tenant compte des changements structurels qui sont intervenus. L’obligation de renvoi préjudiciel devrait porter sur des questions importantes d’interprétation ainsi que sur des questions susceptibles de faire l’objet de divergences d’interprétation à l’intérieur de l’Union et non nécessairement sur des cas d’espèce dans un État membre. Des questions relatives à l’application du droit de l’Union ne devraient pas déclencher l’obligation de renvoi préjudiciel. Cette obligation devrait être réservée aux questions de portée générale ou à celles qui, bien que plus théoriques, demandent que la Cour établisse un cadre général d’analyse ou les critères du raisonnement juridique. Bien que les juridictions statuant en dernier ressort demeurent libres de déférer des questions d’une autre nature, le juge national doit tenir compte des exigences d’une bonne administration de la justice et de rendre la justice dans des délais raisonnables, notamment lorsque la Cour s’est déjà prononcée à titre préjudiciel sur ce même litige.

B.      L’arrêt CILFIT (et sa lignée)

42.      Aux termes de l’article 267, troisième alinéa, TFUE, les juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne sont tenues de saisir la Cour en cas de question sur l’interprétation ou sur la validité du droit de l’Union.

43.      Le libellé même du traité impose donc clairement aux juridictions statuant en dernier ressort (22) une obligation de saisir la Cour des questions visées à l’article 267, premier alinéa, TFUE. Toutefois, comme pour bien des dispositions du droit primaire, le surplus résulte de la construction jurisprudentielle.

44.      En premier lieu, sur la portée de l’obligation de renvoi préjudiciel, le libellé du traité ne distingue pas les questions d’interprétation de celles sur la validité. S’agissant des questions de validité, la Cour a cependant jugé que toutes les juridictions nationales, c’est-à-dire pas uniquement celles statuant en dernier ressort, sont tenues par une obligation inconditionnelle de la saisir de telles questions. Les juridictions nationales n’ont pas le pouvoir de déclarer invalides les actes des institutions de l’Union (23). L’exigence d’uniformité est particulièrement impérieuse lorsque la validité d’un acte de l’Union est en cause. Des divergences entre les juridictions des États membres quant à la validité des actes de l’Union seraient susceptibles de compromettre l’unité même de l’ordre juridique de l’Union et de porter atteinte à l’exigence fondamentale de la sécurité juridique (24).

45.      De telles considérations placent les questions concernant la validité des actes de l’Union sur un autre plan, distinct. Surtout, tout comme la raison pour laquelle toutes les juridictions nationales sont tenues par une obligation catégorique de saisir la Cour de toute question sur la validité se distingue des raisons motivant l’obligation de renvoi préjudiciel de toute question sur l’interprétation, il en va de même de leurs exceptions. Les exceptions posées par l’arrêt CILFIT ne sont pas applicables à l’obligation de renvoi préjudiciel des questions de validité (25).

46.      Il convient d’ores et déjà de souligner que l’analyse développée ci-dessous dans les présentes conclusions porte exclusivement sur les demandes de décisions préjudicielles relatives à l’interprétation du droit de l’Union.

47.      En second lieu, il est juste d’admettre que, pris à la lettre, l’article 267, troisième alinéa, TFUE énonce une obligation catégorique de renvoi qui incombe aux juridictions nationales statuant en dernier ressort, sans aucune exception : « [l]orsqu’une telle question est soulevée [...], cette juridiction est tenue de saisir la Cour » (mise en italique par mes soins). À cet égard, c’est la jurisprudence de la Cour qui a effectivement défini dans l’arrêt CILFIT les exceptions concernant les questions en interprétation.

48.      Je ne fais certainement pas valoir ce point pour insinuer que de telles exceptions seraient inexactes ou illicites. Bien au contraire, elles sont effectivement nécessaires. Toutefois, j’entends faire valoir cet argument en tant que prémisse de l’analyse qui va suivre pour mettre en relief le fait que, dès qu’il est question de la nature et de la portée de l’obligation de renvoi préjudiciel ou de ses exceptions, l’argument consistant à dire qu’« on ne peut pas y toucher, car c’est écrit tel quel dans le traité » est un peu léger. L’article 267 TFUE est un texte particulièrement ouvert en ce qui concerne la portée exacte de l’obligation de renvoi préjudiciel. Sur les exceptions à cette obligation, le traité est totalement muet. Plus précisément, au risque de passer pour un affreux textualiste, il pourrait même être avancé que la lettre de l’article 267 TFUE ne permet aucune exception à l’obligation de renvoi préjudiciel.

1.      Les justifications de l’obligation de renvoi préjudiciel

49.      D’une manière générale, « [l]e système instauré à l’article 267 TFUE établit [...] une coopération directe entre la Cour et les juridictions nationales dans le cadre de laquelle ces dernières participent de façon étroite à la bonne application et à l’interprétation uniforme du droit de l’Union ainsi qu’à la protection des droits conférés par cet ordre juridique aux particuliers » (26).

50.      Cependant, le traité se montre plus exigeant à l’égard des juridictions nationales statuant en dernier ressort, visées à l’article 267, troisième alinéa, TFUE, qu’à l’égard des autres juridictions visées à l’article 267, deuxième alinéa, TFUE. D’autres raisons, structurelles, doivent donc venir expliquer pourquoi, en plus de la faculté ouverte à toute juridiction nationale, les juridictions statuant en dernier ressort sont tenues de saisir la Cour.

51.      La raison structurelle sous-tendant l’obligation de renvoi préjudiciel qui incombe aux juridictions statuant en dernier ressort a été énoncée très tôt dans l’arrêt Hoffmann-La Roche : « prévenir que s’établisse, dans un État membre quelconque, une jurisprudence nationale ne concordant pas avec les règles du droit [de l’Union] » (27). En d’autres termes, la logique de l’article 267, troisième alinéa, TFUE est la nécessité d’« éviter que s’établissent des divergences de jurisprudence à l’intérieur de [l’Union] sur des questions de droit de [l’Union] » (28). Il est justifié de limiter cette obligation aux seules juridictions statuant en dernier ressort, car « une juridiction statuant en dernier ressort constitue par définition la dernière instance devant laquelle les particuliers peuvent faire valoir les droits que le droit de l’Union leur reconnaît. Les juridictions statuant en dernier ressort sont chargées d’assurer à l’échelle nationale l’interprétation uniforme des règles de droit » (29).

52.      Par conséquent, outre le souhait d’assister le juge national dans l’interprétation ou l’application correcte du droit de l’Union dans un cas d’espèce, ce qui est la logique générale de l’article 267 TFUE, la raison sous-tendant l’obligation de renvoi préjudiciel est exprimée dans des termes systémiques, structurels : éviter des divergences dans la jurisprudence sur le droit de l’Union. De manière assez logique, cet objectif est mieux atteint au niveau de ces juridictions nationales qui tendent à être chargées de la mission d’assurer l’uniformité au niveau national.

53.      Il faut cependant reconnaître que, au fil du temps, dans ses considérants (et dans sa mise en œuvre pratique), la Cour n’a pas toujours justifié l’obligation de renvoi préjudiciel en des termes aussi cohérents. Elle se réfère parfois à l’interprétation et à l’application uniforme du droit de l’Union (30), parfois à la bonne application et à l’interprétation uniforme du droit de l’Union (31), parfois simplement à une application uniforme (32).

54.      Il peut s’agir de variations involontaires dans la rédaction. Toutefois, elles expriment parfois des divergences plus profondes. Elles constituent un indice de la tension permanente dans la manière d’interpréter l’obligation posée à l’article 267, troisième alinéa, TFUE et la faculté prévue à l’article 267, deuxième alinéa, TFUE.

55.      La faculté prévue à l’article 267, deuxième alinéa, TFUE ainsi que la finalité générale de la procédure de renvoi préjudiciel visent indubitablement à assister le juge national dans la résolution des cas d’espèce faisant intervenir des éléments de droit de l’Union. Ce « micro-objectif » casuistique sert à long terme le « macro-objectif » d’ordre plus systémique de la procédure du renvoi préjudiciel. Il conduit à l’édification progressive d’un système de précédents (la « jurisprudence établie » dans le vocabulaire de la Cour) permettant d’assurer l’application uniforme du droit de l’Union dans toute l’Union.

56.      Cependant, l’obligation de renvoi préjudiciel peut-elle être comprise comme un simple prolongement de la faculté de renvoi, comme une tentative de distinguer des cas où un élément qui, d’abord optionnel, se transforme ensuite en une obligation structurelle, où un juge national pouvant éprouver un « doute subjectif » se trouve soudain tenu par une « nécessité objective » de solliciter l’assistance de la Cour ?

2.      Les exceptions à l’obligation

57.      L’arrêt CILFIT concernait un litige opposant des sociétés importatrices de laine au ministère italien de la Santé à propos du paiement d’un droit fixe d’inspection sanitaire de laines importées de pays non membres de (ce qui était) la Communauté. Ces sociétés invoquaient une réglementation interdisant aux États membres d’imposer des taxes d’effet équivalent aux droits de douane sur les produits d’origine animale importés. Le ministre de la Santé a objecté que les laines n’étaient pas comprises dans le traité et qu’elles ne relevaient donc pas de cette réglementation.

58.      C’est dans ce contexte que la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie) avait déféré une question sur l’interprétation de l’article 177, troisième alinéa, du traité CEE (devenu l’article 267 TFUE), demandant en substance si l’obligation de renvoi préjudiciel était automatique ou si elle était subordonnée à l’existence préalable d’un doute d’interprétation raisonnable. Selon le ministère de la Santé, les circonstances de fait étaient d’une évidence telle qu’elles excluaient la possibilité même d’envisager un doute d’interprétation et, par conséquent, étaient de nature à exclure l’exigence d’un renvoi préjudiciel à la Cour. Les importateurs concernés faisaient valoir que, dès lors qu’une question sur l’interprétation d’un règlement était posée devant une juridiction suprême, dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction ne pouvait pas échapper à l’obligation de saisir la Cour de l’affaire.

59.      Dans son arrêt, la Cour a d’abord rappelé que l’obligation de renvoi préjudiciel avait été « instituée en vue d’assurer la bonne application et l’interprétation uniforme du droit [de l’Union] dans l’ensemble des États membres [...] [L’’article 177, troisième alinéa] vise plus particulièrement à éviter que s’établissent des divergences de jurisprudence à l’intérieur de [l’Union] sur des questions de droit [de l’Union]. La portée de cette obligation doit dès lors être appréciée d’après ces finalités [...] » (33).

60.      Ensuite, à la lumière desdites finalités, la Cour a jugé que l’obligation de renvoi préjudiciel n’était pas absolue. Elle a relevé trois exceptions à l’obligation de renvoi préjudiciel incombant aux juridictions statuant en dernier ressort.

61.      En premier lieu, les juridictions statuant en dernier ressort ne sont pas tenues de déférer une question d’interprétation « si la question n’est pas pertinente, c’est-à-dire dans les cas où la réponse à cette question, quelle qu’elle soit, ne pourrait avoir aucune influence sur la solution du litige » (34).

62.      Je partage l’avis selon lequel le point de savoir s’il s’agit là en réalité d’une exception à l’obligation de renvoi préjudiciel, ou plutôt d’une confirmation de l’absence d’obligation, se prête à discussion. En l’absence de question (pertinente) de droit de l’Union, qu’est-ce qui devrait ou pourrait être demandé ? Si la question posée est dénuée de toute pertinence pour la solution du litige au principal, non seulement il y a absence d’obligation de renvoi préjudiciel, mais une telle question serait tout simplement irrecevable (35).

63.      Je pense cependant que la première « exception » doit être proprement appréhendée dans son contexte temporel. C’est la première fois que la Cour a déclaré que, nonobstant le libellé de l’article 267, troisième alinéa, TFUE, la même condition figurant à l’article 267, deuxième alinéa, TFUE trouvait également à s’appliquer. Toutefois et peut-être de façon plus importante, en créant un lien entre ces deux alinéas de l’article 267 TFUE, la première exception est devenue structurellement liée au cas d’espèce et au micro-objectif du renvoi préjudiciel : assister le juge national (celui de première instance comme celui statuant en dernier ressort) dans la résolution d’un litige dont il est saisi qui soulève une question de droit de l’Union.

64.      En deuxième lieu, il n’y a aucune obligation de renvoi préjudiciel lorsque « la question soulevée est matériellement identique à une question ayant déjà fait l’objet d’une décision à titre préjudiciel dans une espèce analogue » (36) et dans des situations où « [l]e même effet [...] peut résulter d’une jurisprudence établie de la Cour résolvant le point de droit en cause, quelle que soit la nature des procédures qui ont donné lieu à cette jurisprudence, même à défaut d’une stricte identité des questions en litige » (37).

65.      Cette deuxième exception, décrite familièrement par l’expression « acte éclairé » (y compris dans d’autres langues), vise les situations où la Cour a déjà établi un précédent. Elle est née en tant qu’extension de la portée de l’arrêt Da Costa e.a., où il avait été jugé que « l’autorité de l’interprétation donnée [par la Cour] [pouvait] cependant priver cette obligation de sa cause, et la vider ainsi de son contenu » (38).

66.      En troisième lieu, la Cour a fini par juger qu’il n’y avait aucune obligation de renvoi préjudiciel lorsque « l’application correcte du droit [de l’Union] peut s’imposer avec une évidence telle qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable sur la manière de résoudre la question posée » (39). En substance, telle est la genèse de l’exception (sans conteste) la plus connue – l’exception tirée de l’absence de « doute raisonnable », également dénommée dans certaines langues comme l’exception de l’« acte clair ».

67.      La Cour a par la suite énuméré une série de conditions auxquelles la juridiction nationale doit constater qu’il est satisfait pour pouvoir conclure à l’absence de doute raisonnable sur la manière d’interpréter la disposition de droit de l’Union en cause. Le point de savoir si l’exigence selon laquelle la juridiction nationale doit être « convaincue que la même évidence s’imposerait également aux juridictions des autres États membres et à la Cour » (40) relève de ces conditions spécifiques ou bien s’il s’agit au contraire d’un critère de portée générale, destiné à apporter un éclairage supplémentaire sur l’absence de doute raisonnable, peut être débattu.

68.      Cependant, si l’on admet qu’il s’agit là d’un critère « de portée générale », la Cour n’en a pas moins énuméré bien d’autres caractéristiques du droit de l’Union que le juge national doit avoir à l’esprit avant de parvenir à une telle conclusion, à savoir : premièrement, qu’« une interprétation d’une disposition de droit [de l’Union] implique [...] une comparaison des versions linguistiques » (41) ; deuxièmement, que « les notions juridiques n’ont pas nécessairement le même contenu en droit [de l’Union] et dans les différents droits nationaux » (42), et, troisièmement, que « chaque disposition de droit [de l’Union] doit être replacée dans son contexte et interprétée à la lumière de l’ensemble des dispositions de ce droit, de ses finalités, et de l’état de son évolution à la date à laquelle l’application de la disposition en cause doit être faite » (43).

3.      L’application pratique (par la Cour) qui s’en est suivie

69.      Au fil du temps, les contributions de la doctrine (44) ou d’organes juridictionnels (45) n’ont pas manqué sur le point de savoir si les exceptions formulées dans l’arrêt CILFIT, tout particulièrement les critères relatifs à l’acte clair, devaient effectivement être vues comme des exigences, constituant ainsi une « checklist » à l’attention des juridictions nationales statuant en dernier ressort, ou si elles devaient plutôt être vues comme des « orientations » ou une « boîte à outils » (46) à ne pas prendre au pied de la lettre.

70.      Ce qui importe à cet égard est la jurisprudence postérieure de la Cour en la matière. Deux éléments particulièrement dignes d’intérêt ressortent de cette jurisprudence. Premièrement, la Cour n’a jamais explicitement procédé à un réexamen ou à une inflexion de la jurisprudence liée à l’arrêt CILFIT, même si elle y a été invitée par plusieurs avocats généraux. Deuxièmement, dans des affaires concernant l’application effective des critères formulés dans l’arrêt CILFIT, il peut être affirmé que la pratique suivie par la Cour a quelque peu évolué, surtout au cours de la dernière décennie.

71.      En premier lieu, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Intermodal Transports (47), la juridiction de renvoi demandait des éclaircissements sur le point de savoir si elle était tenue de déférer des questions d’interprétation de la nomenclature combinée (ci-après la « NC ») dans une situation où une partie à un litige concernant le classement tarifaire d’un certain produit dans une position de la NC invoquait la décision d’une autorité douanière figurant dans un renseignement tarifaire contraignant (ci-après un « RTC ») délivré à la demande d’un tiers pour un produit similaire et où la juridiction de renvoi pensait que ce RTC n’était pas conforme à la NC. En termes plus simples, une juridiction doit‑elle être considérée comme éprouvant un doute raisonnable dans des circonstances où elle est d’un autre avis en droit que l’autorité administrative d’un autre État membre ?

72.      La Cour a jugé qu’il pouvait être considéré qu’il était satisfait à la troisième des exceptions formulées dans l’arrêt CILFIT (relative à l’acte clair) malgré la divergence d’interprétation du droit de l’Union par une autorité administrative d’un autre État membre. Selon la Cour, le fait que les autorités douanières d’un autre État membre aient délivré une décision qui paraît traduire une interprétation différente des positions de la NC que celle que la juridiction de renvoi estime devoir retenir à l’égard d’un produit similaire en cause dans un litige « doit, assurément, inciter cette juridiction à être particulièrement attentive dans son appréciation relative à une éventuelle absence de doute raisonnable quant à l’application correcte de la NC » (48). En revanche, l’existence d’un tel RTC ne pouvait, à elle seule, empêcher la juridiction de renvoi de conclure que l’application correcte de la position tarifaire de la NC s’imposait avec une telle évidence qu’elle ne laissait place à aucun doute raisonnable (49).

73.      En deuxième lieu, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt X et van Dijk (50), la juridiction de renvoi [le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays‑Bas)] demandait si, nonobstant le fait qu’une juridiction de rang inférieur du Royaume des Pays-Bas avait procédé à un renvoi préjudiciel sur la même problématique, il pouvait légalement se prononcer sans saisir la Cour de justice d’une demande de décision préjudicielle et sans attendre la réponse apportée à la question préjudicielle soulevée par la juridiction nationale de rang inférieur.

74.      La Cour a jugé que le fait pour une juridiction nationale de rang inférieur d’éprouver un doute sur l’interprétation n’empêche pas la juridiction statuant en dernier ressort de cet État membre de conclure qu’elle est en présence d’un acte clair. Elle a d’abord souligné qu’« il appartient aux seules juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne d’apprécier, sous leur propre responsabilité et de manière indépendante, si elles sont en présence d’un acte clair » (51). Elle a également constaté que « dans la mesure où la circonstance qu’une juridiction de rang inférieur a posé une question préjudicielle à la Cour sur la même problématique que celle soulevée dans le litige dont est saisie la juridiction nationale statuant en dernier ressort n’implique pas, en elle-même, que les conditions de l’arrêt [CILFIT] ne puissent plus être remplies, de sorte que cette dernière juridiction pourrait décider de s’abstenir de saisir la Cour et résoudre la question soulevée devant elle sous sa responsabilité, il y a lieu de considérer qu’une telle circonstance n’impose pas non plus à la juridiction nationale suprême d’attendre la réponse apportée par la Cour à la question préjudicielle posée par la juridiction de rang inférieur » (52).

75.      En troisième lieu, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Ferreira da Silva e Brito e.a. (53), les requérants s’opposaient, par la voie d’un recours en responsabilité civile extracontractuelle contre l’Estado português (l’État portugais), à l’interprétation de la notion de « transfert d’établissement » au sens de la directive 2001/23/CE (54) adoptée par le Supremo Tribunal de Justiça (Cour suprême, Portugal). Selon les requérants, le Supremo Tribunal de Justiça (Cour suprême) aurait dû se conformer à son obligation de renvoi préjudiciel et saisir la Cour d’une question préjudicielle à ce sujet. La juridiction de rang inférieur ayant procédé au renvoi préjudiciel demandait à la Cour si l’article 267 TFUE devait être interprété en ce sens que le Supremo Tribunal de Justiça (Cour Suprême), étant donné que les tribunaux nationaux qui avaient jugé l’affaire lors des instances inférieures avaient adopté des décisions contradictoires, était tenu de procéder au renvoi devant la Cour d’une question préjudicielle sur l’interprétation de la notion de « transfert d’établissement » au sens de la directive 2001/23.

76.      La Cour a jugé que « l’existence, à elle seule, de décisions contradictoires rendues par d’autres juridictions nationales ne saurait constituer un élément déterminant susceptible d’imposer l’obligation énoncée à l’article 267, troisième alinéa, TFUE. [...] La juridiction statuant en dernier ressort peut en effet estimer, nonobstant une interprétation déterminée d’une disposition du droit de l’Union effectuée par des juridictions subordonnées, que l’interprétation qu’elle se propose de donner de ladite disposition, différente de celle à laquelle se sont livrées ces juridictions, s’impose sans aucun doute raisonnable » (55). En revanche, à la différence de ce qu’elle avait jugé dans l’arrêt du 9 septembre 2015, X et van Dijk (C‑72/14 et C‑197/14, EU:C:2015:564), la Cour a dit pour droit que, dans des circonstances marquées à la fois par des courants jurisprudentiels contradictoires au niveau national et par des difficultés d’interprétation récurrentes de cette notion dans les différents États membres, une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours juridictionnel de droit interne doit déférer à son obligation de saisine de la Cour, et ce afin d’écarter le risque d’une interprétation erronée du droit de l’Union (56).

77.      En quatrième lieu, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Association France Nature Environnement (57), sans se prononcer expressément sur la problématique du doute raisonnable, la Cour a exclu l’application des exceptions formulées dans l’arrêt CILFIT (en l’espèce tant celle relative à l’acte clair que celle relative à l’acte éclairé). Dans le contexte particulier où une juridiction statuant en dernier ressort entend user de la faculté exceptionnelle lui permettant de décider de maintenir certains effets d’un acte national incompatible avec le droit de l’Union, la Cour a fait valoir une approche stricte de l’obligation de renvoi préjudiciel.

78.      La Cour a d’abord reformulé le critère de l’existence d’un « acte clair » (58) pour souligner que, « [s]’agissant d’une affaire telle que celle au principal, dès lors, d’une part, que la question de la possibilité, pour une juridiction nationale, de limiter dans le temps certains effets d’une déclaration d’illégalité d’une disposition du droit national qui a été adoptée en méconnaissance des obligations prévues par [une directive] [...] n’a pas fait l’objet d’une autre décision de la Cour depuis [le premier] arrêt [(59)] [...] et, d’autre part, qu’une telle possibilité revêt un caractère exceptionnel, [...] la juridiction nationale dont les décisions ne sont plus susceptibles d’un recours juridictionnel doit saisir la Cour à titre préjudiciel lorsqu’elle possède le moindre doute en ce qui concerne l’interprétation ou l’application correcte du droit de l’Union » (60). « En particulier, dès lors que l’exercice de cette faculté exceptionnelle est susceptible de porter préjudice au respect du principe de primauté du droit de l’Union, ladite juridiction nationale ne pourrait être dispensée de saisir la Cour à titre préjudiciel que dans la mesure où elle est convaincue que l’exercice de ladite faculté exceptionnelle ne soulève aucun doute raisonnable. Par ailleurs, l’absence d’un tel doute doit être démontrée de manière circonstanciée » (61).

79.      Examinés ensemble, au moins trois éléments se dégagent de ces arrêts.

80.      En premier lieu, bien que tous ces arrêts citent l’arrêt CILFIT, certains invoquant même ses exceptions, aucun n’applique en fait les critères qui y sont formulés. Il pourrait être soutenu qu’il s’agit d’éléments de fait dont l’application incombe aux juridictions nationales. Ce n’est cependant pas tout à fait exact, car, dans ces affaires, c’est la Cour qui, en fait, a examiné le point de savoir si, dans ces circonstances, les exceptions formulées dans l’arrêt CILFIT, surtout celle relative à l’acte clair, auraient pu être valablement invoquées par la juridiction de renvoi. Il n’en demeure pas moins que, même si elle procède manifestement à un tel examen, la Cour ne paraît pas appliquer ses propres critères.

81.      En deuxième lieu, la jurisprudence rapportée ci-dessus démontre parfaitement les difficultés qui s’ensuivent dans l’application pratique en raison du manque de clarté conceptuelle sur la nature « subjective-objective » de l’existence de « tout doute raisonnable ». Est-ce un doute purement subjectif, c’est-à-dire un doute dans l’esprit du juge national ? Ou est-ce qu’un tel doute n’est subjectif que tant qu’il n’est pas dissipé par une preuve circonstancielle objective solide ? Ou est-ce que le juge doit en fait comprendre subjectivement qu’il n’existe aucun doute objectif ? Les deux premiers arrêts, à savoir les arrêts du 15 septembre 2005, Intermodal Transports (C‑495/03, EU:C:2005:552), et du 9 septembre 2015, X et van Dijk (C‑72/14 et C‑197/14, EU:C:2015:564), penchent vers une nature subjective et donc vers la déférence (la réponse incombe en dernier ressort au juge national qui est mieux au fait). En revanche, les deux autres arrêts, à savoir les arrêts du 9 septembre 2015, Ferreira da Silva e Brito e.a. (C‑160/14, EU:C:2015:565), et du 28 juillet 2016, Association France Nature Environnement (C‑379/15, EU:C:2016:603), insistent fortement sur la nature objective (au vu des circonstances objectives, le juge aurait dû se montrer plus avisé).

82.      En troisième lieu, de telles différences en ce qui concerne les critères se traduisent naturellement par des solutions différentes. Assurément, chaque cas d’espèce est unique du point de vue factuel. Cependant, en matière d’approche globale, ne saute pas aux yeux la façon dont, par exemple, les arrêts du 9 septembre 2015, X et van Dijk (C‑72/14 et C‑197/14, EU:C:2015:564), et du 9 septembre 2015, Ferreira da Silva e Brito e.a. (C‑160/14, EU:C:2015:565), peuvent se concilier. Il est permis de penser que des doutes raisonnables (et donc une absence d’acte clair) demeurent probablement en présence de thèses objectivement inconciliables sur l’interprétation d’une même disposition. Il est vrai que, si des arguments tenant à l’autorité formelle ou à la séparation des pouvoirs viennent s’ajouter, l’arrêt du 15 septembre 2005, Intermodal Transports (C‑495/03, EU:C:2005:552), peut être distingué : même en présence d’interprétations divergentes par les juridictions d’un même acte de l’Union, celles-ci n’étaient l’œuvre « que » d’autorités administratives, il ne s’agissait pas de décisions juridictionnelles.

83.      Or, tant dans l’arrêt du 9 septembre 2015, X et van Dijk (C‑72/14 et C‑197/14, EU:C:2015:564), que dans celui du même jour, Ferreira da Silva e Brito e.a. (C‑160/14, EU:C:2015:565), des décisions juridictionnelles divergentes sur les mêmes éléments du droit de l’Union ont été rendues par les juridictions concernées. Dans la mesure où ces deux affaires concernaient des procédures différentes dans ces États membres, il ne peut guère être soutenu qu’il s’agissait d’une « erreur ponctuelle » d’une juridiction de rang inférieur ne demandant qu’à être rectifiée par une juridiction statuant en dernier ressort. Les mêmes dispositions faisaient objectivement l’objet d’interprétations différentes dans un même État membre.

84.      Encore une fois, chaque cas d’espèce est unique du point de vue factuel. Des différences factuelles entre ces deux affaires étaient donc susceptibles d’être relevées, justifiant des solutions différentes. La plus surprenante serait de soutenir que, si l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 9 septembre 2015, X et van Dijk (C‑72/14 et C‑197/14, EU:C:2015:564), avait à connaître d’une divergence dans l’interprétation constatée uniquement à l’intérieur d’un seul et même système juridique national, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du même jour, Ferreira da Silva e Brito e.a. (C‑160/14, EU:C:2015:565), cette divergence dans l’interprétation existait non pas uniquement à l’intérieur d’un seul État membre, mais apparemment également dans toute l’Union. De fait, comme la Cour l’a souligné dans ce dernier arrêt, « l’interprétation de la notion de “transfert d’établissement” a soulevé de nombreuses interrogations de la part d’un grand nombre de juridictions nationales qui, dès lors, se sont vues contraintes de saisir la Cour. Ces interrogations témoignent non seulement de l’existence de difficultés d’interprétation, mais également de la présence de risques de divergences de jurisprudence au niveau de l’Union » (62).

85.      La Cour a-t-elle réellement entendu tout d’un coup appliquer l’arrêt CILFIT à la lettre, c’est-à-dire que la juridiction nationale « doit être convaincue que la même évidence s’imposerait également aux juridictions des autres États membres et à la Cour » (63), en excluant toute décision contradictoire sur une question de droit de l’Union à l’intérieur du même État membre ? Aussi surprenant que cela puisse paraître, une telle lecture est possible. Il n’en demeure pas moins qu’une prémisse très importante se cache ici, à savoir qu’il incombe aux juridictions nationales suprêmes de « mettre de l’ordre dans leurs propres affaires » et d’unifier la jurisprudence nationale. C’est alors uniquement en présence de divergences d’interprétation entre les États membres que l’obligation de renvoi préjudiciel viendrait jouer (64).

86.      Toutefois, il n’en demeure pas moins que, globalement, il n’est pas aisé de concilier la jurisprudence récente de la Cour rapportée dans la présente section. Ce fait a incité plusieurs auteurs à s’interroger sur le point de savoir si la Cour avait assoupli, quelque peu tacitement, le critère de l’acte clair formulé dans l’arrêt CILFIT (65). Quelques juridictions nationales semblent partager cette même compréhension (66).

87.      En substance, je suis d’avis que la diversité de la jurisprudence exposée précédemment dans les présentes conclusions est de nature à justifier en tant que telle une intervention de Cour (statuant en Grande Chambre) afin de dire précisément quelle est aujourd’hui la portée de l’obligation de renvoi préjudiciel de l’article 267, troisième alinéa, TFUE et de ses éventuelles exceptions.

C.      Les problèmes posés par la jurisprudence liée à l’arrêt CILFIT

88.      Dans la présente section, je vais tenter de dégager les problèmes posés (section C) qui, à mon avis, devraient orienter les inflexions à la jurisprudence liée à l’arrêt CILFIT qui seront proposées à la section suivante (section D). Je classe ces problèmes en quatre catégories : ceux d’ordre conceptuel, présents dans l’arrêt CILFIT dès l’origine et inhérents à celui‑ci (sous‑section 1) ; ceux concernant l’applicabilité des critères formulées dans l’arrêt CILFIT (sous-section 2) ; ceux concernant l’incompatibilité d’ordre systémique de ces critères avec d’autres procédures et voies de recours prévues en droit de l’Union (sous-section 3) ; et, enfin, ceux qui ont vu le jour par la suite en raison de l’évolution du droit de l’Union et du système juridictionnel de l’Union (sous‑section 4).

1.      Les problèmes d’ordre conceptuel

89.      Le cadre d’origine et la conception de l’arrêt CILFIT sont entachés de plusieurs défauts. C’est la raison pour laquelle les critères qui y sont formulés posent depuis l’origine des problèmes d’ordre conceptuel.

90.      En premier lieu et avant tout, il y a ce que j’estime être un « décalage entre l’arrêt Hoffmann‑La Roche et l’arrêt CILFIT ». Pour l’exprimer en des termes simples, les fondements des exceptions formulées dans l’arrêt CILFIT ne s’accordent pas avec la nature de l’obligation de renvoi préjudiciel telle qu’affirmée par l’arrêt Hoffmann‑La Roche.

91.      Depuis qu’elle a rendu l’arrêt Hoffmann‑La Roche en 1977, la Cour n’a eu de cesse d’insister sur le fait que l’obligation de renvoi préjudiciel vise à prévenir le développement d’une jurisprudence nationale qui s’écarterait de celle des autres États membres ainsi que de la sienne (67). La logique d’une telle obligation de renvoi préjudiciel est manifestement d’ordre structurel et se focalise sur l’uniformité de l’interprétation dans toute l’Union. Son déclenchement et sa nature paraissent objectifs, s’attachant à la jurisprudence sur un plan général et non au cas d’espèce qui est soumis à la juridiction de renvoi : il ne doit pas y avoir de jurisprudence (« Rechtsprechung », « giurisprudenza » ou « rechtspraak » dans d’autres versions linguistiques faisant foi à l’époque) nationale discordante (68).

92.      Or, quelque cinq années plus tard, lorsque les exceptions à cette obligation ont été formulées dans l’arrêt CILFIT, la logique guidant ces exceptions s’est principalement attachée au cas d’espèce et aux interrogations subjectives qui se posaient spécifiquement dans cette affaire. La seule et unique exception tenant compte de considérations d’ordre structurel ou systémique, qui demandent au juge national de procéder à un examen allant au-delà du cas d’espèce, est celle relative à l’acte éclairé : l’existence d’un précédent. En revanche, la première des exceptions (la confirmation de la pertinence de la question) vise exclusivement le cas d’espèce. De manière plus importante, l’exception relative à l’acte clair est conçue comme un étrange amalgame d’éléments se rapportant au cas d’espèce, certains de nature objective et générale, la plupart étant cependant de nature subjective.

93.      À mon avis, c’est là où se situe le réel problème. Normalement, les exceptions à une obligation devraient refléter la logique générale et la finalité de celle-ci. D’une certaine manière, elles devraient être le revers de la même médaille. Or, les exceptions sont effectivement étrangères à l’obligation auxquelles elles sont censées se rapporter. De fait, si l’arrêt CILFIT affirme vouloir poursuivre les objectifs énoncés dans l’arrêt Hoffmann‑La Roche (69), il n’en demeure pas moins qu’il a conçu ces exceptions sur de tout autres fondements.

94.      En deuxième lieu et de manière assez accessoire, la genèse de la troisième exception (relative à l’acte clair) semble confirmer les doutes sur le caractère approprié, d’un point de vue systémique, de cette greffe juridique distincte. Dans l’arrêt CILFIT, la Cour a pour l’essentiel suivi l’argumentation de la défenderesse au principal ainsi que, apparemment, de la juridiction de renvoi, pour la faire sienne : l’interprétation du règlement en cause était « telle qu’elle écarte la possibilité d’envisager un doute d’interprétation et est donc de nature à exclure l’exigence d’un renvoi préjudiciel à la Cour de justice » (70). Dans son arrêt, la Cour a largement validé cette approche, tout en apportant une légère précision en ajoutant le terme « raisonnable » pour qualifier la nature du doute dans l’interprétation.

95.      Le fait que cette exception soit née dans le cadre d’un cas d’espèce n’est pas problématique en soi. L’élément plus discutable est celui de la greffe d’une doctrine typiquement française, développée dans un contexte très différent à des fins différentes, dans une procédure sui generis de droit de l’Union (71). Le droit français appliquait ce qu’il fut convenu d’appeler la « théorie de l’acte clair » dans d’autres contextes, notamment dans des affaires nécessitant une interprétation de traités. Alors que, en principe, l’interprétation de traités était réservée au ministre des Affaires étrangères (les juridictions nationales se limitant à l’application de cette interprétation aux affaires dont elles étaient saisies), les juges français se sont appuyés sur cette théorie pour renforcer le pouvoir d’interprétation des autorités juridictionnelles au détriment de celui du pouvoir exécutif (72). Le Conseil d’État (France) a fait une première application de cette théorie en 1964, dans le contexte de l’obligation de renvoi préjudiciel pour l’écarter à son avantage (73). La Cour, probablement dans le but d’exercer un contrôle de l’application de la théorie de « l’acte clair » au niveau national, l’a adoptée et a transplanté dans l’ordre juridique de l’Union un instrument dont la fonction est très différente dans son système d’origine.

96.      En troisième lieu, même en admettant que de telles greffes juridiques transfonctionnelles soient effectivement possibles sans danger pour le patient (greffé), il n’en demeure pas moins que la fonction du greffon dans l’ordre juridique (à l’époque, communautaire) était tout simplement autre. Les exceptions formulées dans l’arrêt CILFIT, en particulier celle relative à l’acte clair, restaient centrées sur l’absence de tout doute raisonnable quant à la solution d’un litige particulier. Le vocabulaire utilisé restait celui de l’interprétation et de l’application correctes du droit de l’Union dans le cas d’espèce.

97.      Cependant, l’exigence de vérifier l’application correcte du droit dans chaque affaire spécifique constitue un défi d’envergure. Même dans des systèmes nationaux hiérarchisés, fondés sur un contrôle individuel concret de la justesse de décisions particulières et dont les juridictions suprêmes examinent des milliers, ou plutôt des dizaines de milliers d’affaires chaque année, cet idéal est difficile à atteindre. Toutefois, cette logique idéale et d’ordre systémique est ignorée par les systèmes plus coordonnés de gouvernance judiciaire qui s’appuient très largement sur la force de précédents et où un seul d’entre eux peut peser très lourd (74). À mon avis, la question de savoir à quel point le système juridictionnel de l’Union se rapproche de ce dernier idéal coordonné peut être débattu. Cependant, il est certainement très loin du premier modèle hiérarchisé.

98.      Enfin, les exceptions à l’obligation de renvoi préjudiciel formulées dans l’arrêt CILFIT ont tendance à estomper les limites entre l’interprétation et l’application du droit de l’Union, soulignant la juste répartition des tâches prévue à l’article 267 TFUE. Si l’absence de tout doute raisonnable sur l’application correcte du droit de l’Union dans un cas d’espèce doit être établie pour faire jouer une exception à l’obligation de renvoi préjudiciel, où se situe alors, même approximativement, la frontière entre les missions de la Cour et celles des juridictions nationales ?

2.      L’applicabilité

99.      Nul besoin de relancer le débat sur le point de savoir si les critères formulés dans l’arrêt CILFIT, plus particulièrement ceux sur l’absence de tout doute raisonnable quant à l’interprétation et à l’application correctes du droit de l’Union dans un cas d’espèce (l’exception dite de « l’acte clair »), constituent une « checklist » ou simplement une boîte à outils. En fait, ils ne sont ni l’un ni l’autre. S’ils constituent une « checklist », il est alors impossible d’en venir à bout. S’ils constituent une boîte à outils, le problème devient intrinsèquement un problème de sélectivité quant au choix de l’outil à utiliser dans un cas d’espèce. De toute évidence, ce dernier problème devient alors d’autant plus sérieux au stade d’un éventuel contrôle de la mise en œuvre de l’obligation de renvoi préjudiciel : en l’absence de critères clairs, comment le respect de cette obligation peut-il être imposé sans tomber dans l’arbitraire ?

100. Plusieurs avocats généraux ont souligné par le passé l’impossibilité d’appliquer ces critères. De plus, l’absence d’application de ces critères par les juridictions nationales et par la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH »), en ce compris les juridictions qui mettent effectivement en œuvre l’obligation de renvoi préjudiciel, laisse également songeur.

101. Premièrement, après les célèbres interrogations de l’avocat général Jacobs sur le classement de certains vêtements féminins, à des fins douanières, comme pyjamas, plusieurs de mes illustres prédécesseurs ont critiqué les difficultés sur un plan pratique liées à l’exception de « l’acte clair ». Dans ses conclusions dans l’affaire Wiener SI, l’avocat général Jacobs a estimé qu’il n’y avait pas lieu « d’interpréter l’arrêt [CILFIT] en ce sens que les juridictions nationales seraient dans l’obligation d’examiner toute disposition communautaire dans chacune des langues officielles de la Communauté [...] Dans de nombreux cas, cela exigerait des juridictions nationales un effort disproportionné », relevant qu’il serait assez paradoxal d’exiger des juridictions nationales d’appliquer une méthode dont « la Cour de justice elle-même semble rarement faire application » (75). Il a également souligné que « [s]i l’on devait s’en tenir à une application stricte de l’arrêt [CILFIT], toute question de droit communautaire [...] devrait être déférée par toutes les juridictions de dernière instance » (76).

102. Dans ses conclusions dans l’affaire Intermodal Transports, l’avocate générale Stix‑Hackl a considéré que le fait d’exiger des juridictions nationales de contrôler une disposition de droit communautaire dans chacune des langues officielles de la Communauté leur « imposerait [...] un fardeau pratiquement insupportable » (77). À son avis, les critères formulés dans l’arrêt CILFIT ne peuvent pas être compris « comme une sorte de mode d’emploi que les juridictions nationales [statuant en dernier ressort] devraient appliquer pour adopter leurs décisions » (78). Dans ses conclusions dans l’affaire Gaston Schul Douane‑expéditeur, l’avocat général Ruiz‑Jarabo Colomer a souligné l’impérieuse nécessité de revoir entièrement l’arrêt CILFIT, relevant que « le “test” proposé était irréalisable au moment de sa formulation, mais [que], dans la réalité de [l’année] 2005, il se [révélait] surréaliste » (79). Dans ses conclusions dans les affaires jointes X et van Dijk, l’avocat général Wahl a voulu souligner l’importance de la nécessaire marge d’appréciation dont les juridictions statuant en dernier ressort doivent disposer lors de l’appréciation du point de savoir si l’obligation de renvoi préjudiciel est déclenchée, insinuant que les critères formulés dans l’arrêt CILFIT devaient être considérés comme constituant une boîte à outils pour conclure que, « si une juridiction nationale de dernière instance est suffisamment certaine de sa propre interprétation pour endosser elle-même la responsabilité (et éventuellement sa mise en cause) de répondre à une question de droit de l’Union sans l’aide de la Cour, elle doit être juridiquement habilitée à le faire » (80).

103. Je ne pense pas qu’il soit utile de réitérer les arguments exposés avec tant d’éloquence dans les conclusions des avocats généraux rapportées ci-dessus, ni de démontrer pourquoi et comment les critères formulés dans l’arrêt CILFIT, pris au pied de la lettre, sont complètement inapplicables. En effet, comme l’avocat général Wahl l’a exprimé avec à-propos et une pointe d’humour, « l’on trouvera au mieux autant de cas de figure d’un “véritable” acte clair que l’on risque de rencontrer de licorne » (81).

104. Pour le dire simplement, les critères formulés dans l’arrêt CILFIT relatifs à l’identification de l’exception relative à « l’acte clair » sont inévitablement entachés par la difficulté d’ordre conceptuel soulignée ci-dessus (82). D’un côté, il y a une part salutaire de subjectivité non vérifiable et donc non révisable : la juridiction nationale doit non seulement être « convaincue » que la même évidence « s’imposerait également aux juridictions des autres États membres et à la Cour », mais également qu’elle est « nécessaire en vue d’aboutir à la solution d’un litige » et éprouve un « doute raisonnable » subjectif. D’un autre côté, ces éléments énoncés en des termes objectifs sont tout simplement hors de portée du commun des mortels des juges nationaux qui n’ont ni les capacités, ni le temps, ni les moyens du personnage du juge Hercule imaginé par Ronald Dworkin [qui comparerait (toutes) les versions linguistiques, interpréterait chaque disposition du droit de l’Union à la lumière de ce droit pris dans sa globalité tout en ayant une connaissance parfaite de l’état de son évolution à la date d’interprétation de cette disposition].

105. Deuxièmement et de manière assez compréhensible au vu du point 104 des présentes conclusions, les critères de « l’acte clair » formulés dans l’arrêt CILFIT ne sont guère appliqués de manière cohérente et systématique par les juridictions nationales statuant en dernier ressort lors de l’examen de la troisième exception à l’obligation de renvoi préjudiciel (83). Il est certainement des cas où les juridictions nationales statuant en dernier ressort se réfèrent à l’arrêt CILFIT. Cela ne signifie cependant pas que les critères formulés dans cet arrêt, en particulier les exigences spécifiques sur l’existence d’un « acte clair », soient appliqués en tant que tels (84). Il est des cas où les juridictions nationales substituent leurs propres critères et normes aux critères formulés dans l’arrêt CILFIT. Ainsi, par exemple, les juridictions suprêmes françaises considèrent souvent que l’obligation de renvoi préjudiciel est déclenchée en cas de « difficulté sérieuse » d’interprétation du droit de l’Union, cette obligation devenant ainsi plus souple que ne le demandent la lettre et l’esprit de l’arrêt CILFIT (85). De même, d’autres juridictions suprêmes ont mis l’accent sur la nature de la question soulevée pour fonder l’obligation de renvoi préjudiciel, indépendamment de l’existence de doutes sur l’interprétation (86).

106. Troisièmement, dans certains États membres, le respect de l’obligation de renvoi préjudiciel est contrôlé par les juridictions constitutionnelles par la voie de recours individuels invoquant le droit à être jugé par un juge compétent ou celui à un procès équitable (87). Toutefois, dans ces systèmes, l’étalon de référence généralement retenu se révèle bien moins strict que celui exprimé dans l’arrêt CILFIT, tournant autour des notions d’« interprétation indéfendable » ou « arbitraire » du droit de l’Union auxquelles s’ajoute souvent l’obligation de dûment motiver l’absence de nécessité de procéder à un renvoi préjudiciel (88).

107. Il est permis de penser que les juridictions constitutionnelles nationales examinent l’obligation de renvoi préjudiciel à la Cour en vertu de l’article 267, troisième alinéa, TFUE au regard de leurs normes et notions nationales de « constitutionnalité » et de « protection des droits fondamentaux ». C’est certainement le cas en ce qui concerne le point de savoir si, en soi, la règle de droit national pertinente (le droit à un juge compétent, à un procès équitable, au respect des formes légales, etc.) concerne un droit garanti par le système juridique national. Il en va tout autrement de l’étalon de référence interne, c’est-à-dire les conditions spécifiques selon lesquelles il devrait être procédé à un renvoi préjudiciel. Sur ce dernier aspect, il est permis de penser que les règles constitutionnelles nationales sont muettes. Pourtant, en ce qui concerne le contrôle du respect de cette obligation, aucun juge constitutionnel national ne semble avoir adopté la jurisprudence liée à l’arrêt CILFIT.

108. Quatrièmement, la Cour EDH invoque les critères formulés dans l’arrêt CILFIT lorsqu’elle examine des refus de juridictions nationales statuant en dernier ressort de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle sous l’angle du droit à un procès équitable, consacré à l’article 6, paragraphe 1, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »). C’est ainsi que, dans l’affaire Dhahbi c. Italie, la Cour EDH a conclu à la violation de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH en raison du défaut de motivation par le juge national de son refus de poser une question préjudicielle à la Cour. Elle a constaté que, dans son arrêt, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie) n’avait fait aucune référence à la demande de décision préjudicielle formulée par le requérant, ni expliqué les raisons pour lesquelles il a été considéré que la question soulevée ne méritait pas d’être transmise à la Cour, ni cité la jurisprudence de cette dernière (89). En revanche, dans un autre arrêt, la Cour EDH a conclu qu’était suffisante la motivation sommaire du refus de soumettre une question préjudicielle à la Cour, dès lors que la juridiction nationale avait déjà constaté dans l’un des attendus de son arrêt qu’une telle demande était inutile (90). La Cour EDH a également jugé que des juridictions nationales statuant en dernier ressort qui refusent de saisir la Cour à titre préjudiciel étaient tenues de motiver leur refus au regard des exceptions prévues par la jurisprudence de la Cour. Il leur faut donc, en particulier, indiquer les raisons pour lesquelles elles considèrent que la question n’est pas pertinente, que la disposition de droit de l’Union en cause a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la Cour ou que l’application correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable (91).

109. De manière générale, si la Cour EDH se réfère à l’arrêt CILFIT dans le cadre de son appréciation, elle s’attache principalement à la motivation de la décision nationale refusant de procéder à un renvoi préjudiciel. Ainsi, sans se livrer à un examen approfondi du fond, et certainement pas au point de se livrer à un examen détaillé de l’absence de doute raisonnable qui est en fait exigé par l’arrêt CILFIT, la Cour EDH vérifie si les juridictions nationales statuant en dernier ressort ont dûment motivé les raisons pour lesquelles elles considèrent qu’il est satisfait aux critères formulés dans l’arrêt CILFIT, sans aller jusqu’à vérifier effectivement le bien-fondé de cette motivation.

110. En substance, l’absence de toute orientation raisonnable sur la logique ou l’application des critères formulés dans l’arrêt CILFIT ne se reflète pas seulement dans les critiques (étonnamment uniformes) des avocats généraux au fil du temps. La même réflexion se dégage également du simple fait que de tous ceux qui ont la tâche d’appliquer cette obligation, en particulier ceux qui sont chargés de contrôler sa mise en œuvre, nul ne semble suivre les orientations de la Cour. À mon avis, cela ne tient pas à une quelconque volonté d’ignorer la Cour. Cela tient à un mécanisme bien naturel d’autopréservation. Impossibilium nulla est obligatio.

3.      La cohérence systémique des voies de recours en droit de l’Union

111. Il est un autre argument qui milite en faveur d’un réexamen en profondeur de la jurisprudence liée à l’arrêt CILFIT : celui tiré de la cohérence systémique, horizontale, des voies de recours en droit de l’Union. En un mot, les critères formulés dans l’arrêt CILFIT sont même étrangement déconnectés des voies de recours du droit de l’Union lui-même, destinées à faire contrôler le respect de l’obligation de renvoi préjudiciel prévue à l’article 267, troisième alinéa, TFUE.

112. En effet, à l’heure actuelle, le droit de l’Union ne prévoit aucune voie de recours pour les parties qui estiment que leur droit à voir la Cour saisie d’une question préjudicielle en application de l’article 267, troisième alinéa, TFUE a été méconnu (92). C’est une conséquence logique de l’insistance que met la Cour au fait que les parties au litige au principal ne bénéficient pas d’un droit automatique à un renvoi préjudiciel dans la mesure où l’article 267 TFUE ne constitue pas une voie de recours qui leur est ouverte dans le cadre d’un litige devant un juge national (93). Au vu des jurisprudences constitutionnelles nationales (désormais) bien établies (94), ainsi que de la jurisprudence de la Cour EDH (95) selon laquelle, s’il est satisfait aux critères (objectifs) de l’existence d’une obligation de renvoi préjudiciel, les parties au litige en question jouissent du droit (subjectif) au renvoi devant la Cour, droit qui est inhérent à leur droit à un procès équitable, il est néanmoins permis de penser que cette approche n’est peut-être pas la seule qui soit possible (96).

113. Dès lors qu’il n’existe aucune voie de recours « directe », une façon de contrôler le respect de l’obligation de renvoi préjudiciel de l’article 267, troisième alinéa, TFUE pourrait alors être celle de la mise en cause de la responsabilité de l’État membre concerné ou un recours en manquement. Toutefois, c’est précisément là que les choses se compliquent.

114. D’un côté, l’arrêt Köbler a ouvert la voie à la réparation par le juge national du préjudice causé par la violation des droits de particuliers du fait d’une décision d’une juridiction statuant en dernier ressort (97). Pour qu’une telle action puisse prospérer, il faut que la règle de droit violée ait pour objet de conférer des droits aux particuliers, que la violation soit suffisamment caractérisée et qu’il existe un lien de causalité directe entre la violation de l’obligation qui incombe à l’État et le dommage subi par les personnes lésées. La responsabilité de l’État pour des dommages causés par la décision d’une juridiction nationale statuant en dernier ressort est régie par les mêmes conditions (98).

115. Deux problèmes se posent cependant. Le premier tient au fait que, dans la mesure où l’article 267, troisième alinéa, TFUE n’a pas « pour objet de conférer des droits aux particuliers », la méconnaissance de l’obligation de renvoi préjudiciel n’est pas susceptible d’engager en soi la responsabilité de l’État. Le second tient au fait que, indépendamment de cela, les critères formulés dans l’arrêt CILFIT n’ont aucune incidence dans l’appréciation d’une éventuelle violation d’autres règles du droit de l’Union (99), du moins objectivement parlant. Dans de telles situations, la norme est celle de la violation manifeste de la règle de droit applicable susceptible d’être suffisamment caractérisée (100).

116. D’un autre côté, l’article 258 TFUE prévoit une procédure de recours en cas de manquement. Ce qui pendant de nombreuses années semblait n’être qu’une possibilité théorique (101) est devenu réalité en 2018. Dans son arrêt Commission/France (Précompte mobilier) (102), la Cour a jugé dans le dispositif qu’un État membre manquait aux obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’Union spécifiquement lorsqu’une juridiction statuant en dernier ressort omettait de saisir la Cour de (toute) demande de décision préjudicielle selon la procédure prévue à l’article 267, troisième alinéa, TFUE lorsque l’interprétation des dispositions en question du droit de l’Union ne s’imposait pas avec une telle évidence qu’elle ne laissait place à aucun doute raisonnable.

117. La Cour s’est appuyée sur l’arrêt CILFIT pour parvenir à cette conclusion (103), du moins sur la condition relative à l’absence de doute raisonnable. Elle a d’abord relevé que le Conseil d’État avait fait le choix de s’écarter de l’interprétation par un arrêt antérieur de la Cour au motif que le régime en cause dans ce dernier, prévu par la loi du Royaume-Uni, était différent du régime français « alors qu’il ne pouvait être certain que son raisonnement s’imposerait avec la même évidence à la Cour » (104). La Cour a ainsi jugé que l’absence de renvoi préjudiciel de la part du Conseil d’État dans deux affaires dont il avait été saisi « a[vait] amené celui-ci à adopter, dans lesdits arrêts, une solution fondée sur une interprétation des dispositions des articles 49 et 63 TFUE qui est en contradiction avec celle retenue dans le présent arrêt, ce qui implique que l’existence d’un doute raisonnable quant à cette interprétation ne pouvait être exclue au moment où le Conseil d’État a statué » (105).

118. Trois éléments méritent d’être relevés dans cet arrêt. Premièrement, dans cette procédure en manquement, il est incontestable qu’il appartenait à la Cour elle-même d’appliquer la jurisprudence liée à l’arrêt CILFIT. Toutefois, la Cour s’y est simplement bornée à rappeler que les critères avaient été formulés dans l’arrêt CILFIT, sans en examiner un seul précisément et sans les appliquer. Brille par son absence une analyse non seulement des décisions dans un sens éventuellement contraire de juridictions d’autres États membres statuant en dernier ressort s’étant prononcées sur la question, voire d’autres juridictions françaises, mais également de la jurisprudence de la Cour en la matière, à l’exception d’un seul arrêt.

119. Deuxièmement, une affirmation aussi forte d’une application « stricte » de la jurisprudence liée à l’arrêt CILFIT, du moins dans son esprit, s’inscrit mal dans la jurisprudence récente de la Cour en la même matière, telle qu’elle trouve tout particulièrement à s’exprimer dans les arrêts du 9 septembre 2015, X et van Dijk (C‑72/14 et C‑197/14, EU:C:2015:564), et du 9 septembre 2015, Ferreira da Silva e Brito e.a. (C‑160/14, EU:C:2015:565), étudiés précédemment dans les présentes conclusions (106). Si la nouvelle règle semble être celle d’un contrôle minime, surtout dans le premier de ces deux arrêts, ce contrôle minime est redevenu un contrôle sévère.

120. Troisièmement, tout cela ne pourra que laisser un arrière-goût amer à certains acteurs de par la sélectivité difficilement justifiable quant à ce qui est effectivement appliqué et contrôlé, ainsi que pourquoi et comment cette application et ce contrôle sont mis en œuvre. Cela ne signifie nullement que, comme le confirme effectivement la jurisprudence établie, la Commission ne jouirait pas d’un pouvoir discrétionnaire pour intenter des recours en manquement en vertu de l’article 258 TFUE (107). De même, cela ne remet pas en cause la solution apportée par l’arrêt du 4 octobre 2018, Commission/France (Précompte mobilier) (C‑416/17, EU:C:2018:811) : assurément, si la jurisprudence liée à l’arrêt CILFIT doit maintenant être prise au sérieux, alors effectivement, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, l’application correcte du droit de l’Union soulevait des doutes raisonnables (108).

121. Il s’agit d’autre chose : de l’absence générale de cohérence (horizontale) pour sanctionner en droit de l’Union l’obligation de renvoi préjudiciel en vertu de l’article 267, troisième alinéa, TFUE. La jurisprudence de la Cour elle-même sur la portée de cette obligation, en tout cas la plus récente, ne paraît pas être en adéquation avec le contrôle du respect de cette obligation en vertu de l’article 258 TFUE, récemment (re)découverte, et totalement étrangère à la responsabilité de l’État. Cependant, ne s’agit-il pas de différentes facettes de la seule et même obligation de renvoi préjudiciel en vertu de l’article 267, troisième alinéa, TFUE ?

4.      Les évolutions du droit de l’Union et du système juridictionnel

122. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de s’épancher sur une évidence : à quel point l’Union s’est transformée au cours des quarante dernières années. À une exception près, le nombre de nouveaux membres n’a cessé de croître. Il en va de même de celui des langues officielles et des juridictions habilitées à saisir la Cour. La portée et l’ampleur du droit de l’Union sont aujourd’hui sans précédent. Avec la réalisation du marché intérieur et pas moins de cinq modifications successives des traités, il est difficile de trouver un domaine qui soit entièrement épargné par le droit de l’Union et où aucune interprétation par la Cour ne soit nécessaire. Ces facteurs ont conduit à une explosion du nombre de renvois préjudiciels alors que les ressources juridictionnelles de la Cour ne sont pas inépuisables.

123. Quoi qu’il en soit, au sein de cet environnement juridique profondément bouleversé trône la jurisprudence liée à l’arrêt CILFIT, tel un vestige d’une époque révolue depuis des lustres, exigeant que les juridictions statuant en dernier ressort procèdent à des renvois préjudiciels chaque fois qu’elles se heurtent au moindre petit doute raisonnable. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’examiner un par un tous les changements d’ordre systémique qui sont intervenus pour démontrer à quel point ils ont modifié la configuration initiale de la logique de la jurisprudence liée à l’arrêt CILFIT (109). Au contraire, pour conclure, je préfère me pencher sur une autre question, plus profonde.

124. Tout comme l’environnement s’est transformé et que le système a gagné en maturité, la nature de la procédure de renvoi préjudiciel a également évolué. Conçue à l’origine comme un partenariat et une coopération judiciaire entre égaux, elle s’est progressivement et inévitablement développée pour attacher une importance plus grande à la jurisprudence à des fins d’uniformité systémique. Certes, les termes « assister » et « partenariat » demeurent présents dans le vocabulaire, mais les observateurs attentifs du système sur une longue période ont relevé que des éléments de nature verticale ont été introduits progressivement.

125. Tout cela donne une plus grande importance à l’objectif macro (ou public) des décisions de la Cour qui est d’assurer une interprétation uniforme et de promouvoir le développement du droit. Certes, il y a toujours et il y aura toujours des cas d’espèce et une dimension plus micro (ou privée) d’un litige. Cependant, de manière croissante, a fortiori dans le cas d’une procédure telle que celle du renvoi préjudiciel, lorsqu’il appartient à la juridiction de renvoi de statuer sur les faits dans un cas d’espèce, les regards se portent au-delà de celle-ci.

126. L’on peut également établir un autre parallèle d’ordre systémique : l’article 58 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit récemment, instaure un mécanisme de filtrage des pourvois formés contre les arrêts du Tribunal de l’Union européenne dans certaines procédures. Un tel pourvoi ne pourra être admis que si la Cour le décide au motif qu’il soulève « une question importante pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union » (110). Si de telles considérations sont admises en matière de recours directs, pour lesquels la Cour a une compétence exclusive et donc où les litiges portés devant les deux juridictions de l’Union concernent essentiellement des cas d’espèce, la même logique ne pourrait-elle pas être applicable a fortiori aux renvois préjudiciels ?

127. Enfin, la maturation d’un système juridictionnel implique également celle de ses éléments constitutifs. Aujourd’hui, les juridictions nationales sont bien plus familiarisées avec le droit de l’Union, en particulier avec la procédure du renvoi préjudiciel. Il y a et il y aura toujours des exceptions. Néanmoins, un éventuel arbre (récalcitrant) ne saurait venir cacher la forêt (conciliante). Les juridictions statuant en dernier ressort, tout particulièrement celles dont la mission structurelle est d’assurer l’unité du droit et l’uniformité de son application dans leurs ressorts respectifs, se sont révélées être des partenaires privilégiés de la Cour dans l’identification des affaires présentant une importance structurelle pour l’ordre juridique de l’Union. La confiance mutuelle (plus souvent invoquée que réelle) ne devrait-elle pas être également pertinente sur un plan vertical ?

128. Le fait que les juridictions nationales statuant en dernier ressort soient en mesure de gérer la procédure de renvoi préjudiciel est, à l’heure actuelle et à mes yeux, établi d’une manière quelque peu non orthodoxe : à savoir qu’elles n’appliquent pas la jurisprudence liée à l’arrêt CILFIT. Même si ce propos semble relever de l’hérésie, en faisant preuve d’une retenue et d’un pouvoir discrétionnaire incompatibles avec les critères formulés dans l’arrêt CILFIT, les juridictions nationales statuant en dernier ressort démontrent en fait leur parfaite connaissance de la véritable nature du système. On ne peut qu’imaginer ce que serait une situation inverse, où (quelques) juridictions nationales statuant en dernier ressort adopteraient l’approche du brave soldat Švejk (111) et appliqueraient effectivement à la lettre les critères formulés dans l’arrêt CILFIT à toutes les affaires dont elles sont saisies. Le nombre d’affaires dont la Cour est saisie chaque année augmenterait de manière exponentielle et le système s’écroulerait très rapidement.

5.      Synthèse d’étape

129. La jurisprudence qui découle de l’arrêt CILFIT ne s’est pas simplement révélée problématique en matière d’applicabilité, elle a surtout (et avant tout) été mal interprétée conceptuellement. La nature des exceptions formulées dans cet arrêt ne s’accorde pas à celle de l’obligation de renvoi préjudiciel résultant de l’arrêt Hoffmann‑La Roche, dont il était censé assurer la mise en œuvre. Une obligation instituée pour assurer l’interprétation uniforme de la jurisprudence dans toute l’Union ne saurait être soumise à l’absence de tout doute raisonnable quant à l’application correcte du droit de l’Union dans un cas d’espèce.

130. Toutes les autres questions évoquées dans la présente section découlent en partie de cette contradiction de nature conceptuelle qui a apporté ses propres difficultés. Les critères formulés dans l’arrêt CILFIT ne sont donc appliqués ni par la Cour elle-même ni par les juridictions nationales, en ce compris les juridictions nationales ou internationales qui en contrôlent l’application. De même, les critères formulés dans l’arrêt CILFIT restent déconnectés des autres voies prévues par le droit de l’Union pour assurer le contrôle du respect de l’obligation de renvoi préjudiciel qui incombe aux juridictions statuant en dernier ressort. D’une certaine manière, de telles considérations ne sauraient guère surprendre : dans la mesure où la jurisprudence liée à l’arrêt CILFIT (telle quelle) ne peut raisonnablement être appliquée, d’autres critères s’imposent.

D.      Ce qui est proposé

131. Je suis d’avis que, dans un premier temps, la Cour devrait réaffirmer l’objet et la portée de l’obligation de renvoi préjudiciel visée à l’article 267, troisième alinéa, TFUE telle que déjà énoncée dans l’arrêt Hoffmann‑La Roche. Toutefois, dans un second temps, la jurisprudence qui découle de l’arrêt CILFIT doit être revue afin que les exceptions puissent s’accorder à cette obligation.

132. L’arrêt Hoffmann‑La Roche a énoncé que l’obligation du renvoi préjudiciel visait « à éviter que s’établissent des divergences de jurisprudence à l’intérieur de [l’Union] sur des questions de droit [de l’Union] » (112). Dans cette logique, trois éléments peuvent être distingués. Premièrement, le but visé est l’interprétation uniforme et non l’application correcte. Deuxièmement, l’accent doit être mis sur un « corpus jurisprudentiel » et non sur la justesse de la solution apportée dans chaque cas d’espèce. Troisièmement, la préoccupation porte sur des divergences de jurisprudence à l’intérieur de chaque État membre et, a fortiori, à l’intérieur de l’Union. Logiquement, ces deux types de divergences doivent être prévenus : du point de vue de la cohérence systémique du droit de l’Union, si un État membre ou une partie de celui-ci, voire l’un de ses systèmes juridictionnels, devait fonctionner sur le fondement d’autres règles que celles appliquées ailleurs dans l’Union, il n’y aurait pas d’interprétation uniforme à l’intérieur de l’Union.

133. En d’autres termes, s’agissant de l’obligation de renvoi préjudiciel, l’accent doit se déplacer de l’absence de doute raisonnable subjectif dans l’application correcte du droit de l’Union en vue de la solution du cas d’espèce vers l’existence objective de divergences de jurisprudence au niveau national susceptibles de compromettre l’interprétation uniforme du droit de l’Union à l’intérieur de celle‑ci. L’accent est ainsi déplacé de la recherche de la juste solution au litige dont le juge national est saisi vers l’identification des bonnes questions.

134. Suivant cette logique, je pense que, en vertu de l’article 267, troisième alinéa, TFUE, une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne ne doit être tenue de saisir la Cour que dans les conditions suivantes : premièrement, si elle soulève une question générale d’interprétation du droit de l’Union (par opposition à son application) ; deuxièmement, si, objectivement, le droit de l’Union peut raisonnablement faire l’objet de plus d’une interprétation ; troisièmement, si aucune réponse ne peut se déduire de la jurisprudence de la Cour (ou lorsque la juridiction de renvoi souhaite s’en écarter).

135. Exprimée ainsi, l’obligation de renvoi préjudiciel renferme ses propres exceptions. La ou les éventuelles exceptions à l’obligation de renvoi préjudiciel ne viendront s’appliquer que si les trois conditions cumulatives de l’existence d’un problème d’interprétation du droit de l’Union faisant naître cette obligation ne sont pas toutes réunies. Toutefois, si une juridiction nationale statuant en dernier ressort devait être d’avis que, dans le cadre d’un litige dont elle est saisie et qui soulève une question d’interprétation du droit de l’Union, l’une de ces trois conditions fait défaut, elle doit clairement identifier de quelle condition il s’agit et motiver son avis.

136. Avant d’examiner ces trois conditions de manière plus détaillée, j’entends souligner deux éléments importants.

137. Premièrement, le fait que l’article 267, troisième alinéa, TFUE ne prévoit pas une obligation de renvoi préjudiciel dans un cas d’espèce ne prive certainement pas une juridiction statuant en dernier ressort de la faculté de demander l’assistance de la Cour en vertu de l’article 267, deuxième alinéa, TFUE si elle l’estime nécessaire pour rendre son jugement. L’absence d’obligation de faire quelque chose ne fait pas obstacle à la possibilité de faire cette même chose. Un litige qui ne relève pas du champ d’application de l’article 267, troisième alinéa, TFUE peut parfaitement être rattaché à l’article 267, deuxième alinéa, TFUE : en tout état de cause, une « juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne » est et demeure « une juridiction d’un des États membres ». En toute logique, les premières constituent un sous-ensemble de ces dernières.

138. Deuxièmement, il convient peut-être de rappeler que tout ce qui vient d’être exposé et qui va suivre concerne exclusivement les renvois préjudiciels en interprétation. L’obligation de renvoi préjudiciel sur une question de validité d’un acte de l’Union demeure une obligation stricte ne souffrant aucune exception (113).

1.      Une question général(isabl)e d’interprétation du droit de l’Union

139. Cette condition paraît évidente à première vue. De fait, il peut même être dit que tel a toujours été l’objet de la procédure de renvoi préjudiciel. La réalité n’en est pas moins un peu plus diverse. Les rappels réguliers de la Cour sur l’absence de doute raisonnable sur l’application correcte du droit de l’Union dans les litiges dont les juridictions statuant en dernier ressort sont saisies a conduit nombre de celles-ci à lui soumettre des questions factuelles et plutôt spécifiques. Trois exemples peuvent illustrer ce phénomène.

140. Premièrement, la Cour a été amenée assez tôt à interpréter la notion de « circonstances extraordinaires » au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement (CE) no 261/2004 (114), d’abord dans l’arrêt Wallentin‑Hermann, où elle a jugé que cette notion se rapportait à un événement qui « n’est pas inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné et échappe à la maîtrise effective de celui-ci » (115). Il est plus que probable que bien d’autres arrêts viendront confirmer et préciser la portée exacte de cette définition. Cependant, tous ces nouveaux contextes factuels, pour lesquels il est simplement demandé si un ensemble de faits particulier (la prémisse mineure) peut également relever de la définition interprétative déjà apportée par la Cour (la prémisse majeure), sont-ils réellement des cas exigeant une interprétation du droit de l’Union ? Dans plusieurs affaires dont elle a été saisie par la suite, il a été demandé à la Cour de dire si les événements suivants pouvaient relever de la notion de « circonstances extraordinaires » : la collision entre un aéronef et un volatile (116) ; l’éruption d’un volcan islandais entraînant la fermeture d’une partie de l’espace aérien européen (117) ; le comportement perturbateur d’un passager ayant justifié que le pilote commandant de bord de l’aéronef déroute le vol concerné « à moins que le transporteur aérien effectif n’ait contribué à la survenance de ce comportement ou n’ait omis de prendre les mesures appropriées eu égard aux signes avant-coureurs d’un tel comportement » (118), ou encore l’endommagement d’un pneumatique d’un aéronef par un objet étranger présent sur la piste d’un aéroport (119).

141. Deuxièmement, dans la même veine, dans des affaires concernant la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs, la Cour a rendu plusieurs arrêts sur la notion de « circulation des véhicules » au sens de l’article 3 de la directive 2009/103/CE (120). Selon la Cour, relève de cette notion toute utilisation d’un véhicule qui est conforme à la fonction habituelle de ce véhicule (121), c’est-à-dire toute utilisation d’un véhicule en tant que moyen de transport (122). Cependant, il a par la suite été demandé à la Cour de dire si les faits suivants relevaient de la notion de « circulation de véhicules » : « la manœuvre d’un tracteur dans la cour d’une ferme afin de faire entrer dans une grange la remorque dont ce tracteur est muni » (123) ; « une situation dans laquelle un tracteur agricole a été impliqué dans un accident alors que sa fonction principale, au moment de la survenance de cet accident, consistait non pas à servir de moyen de transport, mais à générer, en tant que machine de travail, la force motrice nécessaire pour actionner la pompe d’un pulvérisateur d’herbicide » (124) ; « une situation dans laquelle le passager d’un véhicule stationné sur un parking, en ouvrant la portière de ce véhicule, a heurté et a endommagé le véhicule qui était stationné à côté de celui-ci » (125), ou encore « une situation [...] dans laquelle un véhicule stationné dans un garage privé d’un immeuble utilisé conformément à sa fonction de moyen de transport a pris feu, provoquant un incendie, lequel trouve son origine dans le circuit électrique de ce véhicule, et causé des dommages à cet immeuble, alors même que ledit véhicule n’a pas été déplacé depuis plus de 24 heures avant la survenance de l’incendie » (126).

142. Troisièmement, une dernière illustration peut être tirée de la notion de « temps de travail » au sens de la directive 2003/88/CE (127). Selon une jurisprudence établie, le facteur déterminant pour la qualification de « temps de travail » au sens de la directive 2003/88 est le fait que le travailleur est contraint d’être physiquement présent au lieu déterminé par l’employeur et de s’y tenir à la disposition de ce dernier pour pouvoir immédiatement fournir les prestations appropriées en cas de besoin. Il y a lieu de considérer ces obligations, qui mettent les travailleurs concernés dans l’impossibilité de choisir leur lieu de séjour pendant les périodes d’attente, comme relevant de l’exercice de leurs fonctions (128). Cependant, suivant cette définition générale, il a là encore été demandé à la Cour d’y inclure des situations factuelles très concrètes concernant des différentes formes de permanences ou d’astreintes de personnels médicaux ou de services d’urgence. C’est ainsi que la Cour a jugé que le temps de garde effectué par un travailleur selon le régime de la présence physique dans un établissement de santé devait être considéré comme étant du temps de travail (129), alors même que l’intéressé est autorisé à se reposer sur son lieu de travail pendant les périodes où ses services ne sont pas sollicités (130) ; ou encore que la notion de « temps de travail » s’appliquait à « une situation dans laquelle un [pompier] se trouve contraint de passer la période de garde à son domicile, de s’y tenir à la disposition de son employeur et de pouvoir rejoindre son lieu de travail dans un délai de [huit] minutes » (131).

143. Dans tous ces domaines, la Cour a assurément apporté une réponse utile aux juridictions nationales. Là encore, cependant, je ne peux qu’abonder dans le sens de l’avocat général Jacobs selon lequel « les réponses détaillées apportées à des questions très précises ne contribueront pas toujours à cette application uniforme. De telles réponses peuvent tout au plus susciter d’autres questions » (132).

144. Dans mes récentes conclusions dans l’affaire Van Ameyde España, encore une affaire concernant l’assurance en responsabilité civile des véhicules automoteurs, déférée par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), j’ai entendu proposer dans des termes plus concrets une ligne de démarcation (par définition assez difficile à tracer) entre l’interprétation et l’application du droit de l’Union. Je ne peux que renvoyer à ces conclusions en tant qu’étude de cas (133). Pour les besoins de la première des conditions qui devraient subordonner l’obligation du renvoi préjudiciel, j’ajouterai ce qui suit.

145. L’obligation de renvoi préjudiciel ne devrait se matérialiser que lorsqu’une juridiction nationale statuant en dernier ressort se heurte à une question d’interprétation du droit de l’Union, formulée à un degré d’abstraction raisonnable et approprié. En toute logique, ce degré d’abstraction est défini par la portée et l’objet de la règle de droit en cause. Dans le contexte particulier de notions juridiques (indéterminées) de droit de l’Union, la mission de la Cour est de les interpréter. Leur application, y compris en faire relever des faits spécifiques, est une question d’application du droit de l’Union.

146. Certes, une simple application peut très vite se transformer en une interprétation lorsque, par exemple, la juridiction de renvoi invite la Cour à limiter, élargir ou confirmer une définition déjà apportée, ou à s’en écarter. Toutefois, si c’est effectivement ce qui est demandé, la juridiction de renvoi devrait l’indiquer clairement en expliquant précisément en quoi l’affaire faisant l’objet de la demande représente plus qu’une simple confirmation (et, dans ce sens, une application) d’une prémisse majeure déjà énoncée.

147. En outre, dans ce sens et dans cette dimension, l’interprétation demandée devrait pouvoir avoir une portée générale ou généralisable. Une question d’interprétation devrait porter sur une question générale, potentiellement récurrente, d’interprétation du droit de l’Union. J’insiste sur le fait que cela ne constitue pas un critère de la valeur ou de l’importance juridique de la question déférée. C’est une autre question, beaucoup plus simple, qui se pose au juge national : la question qui m’est soumise est-elle susceptible de se poser de nouveau, à moi ou à mes confrères des autres États membres ? Dois-je demander à la Cour de m’éclairer dans l’intérêt d’une interprétation uniforme du droit de l’Union ?

148. Cet exercice intellectuel aide non seulement à formuler la question à déférer au degré d’abstraction approprié, car il oblige à identifier des problèmes généraux, transversaux, mais il aide également à éliminer les cas isolés, très limités et particuliers qui, même s’ils sont susceptibles de soulever une question d’interprétation du droit de l’Union, n’ont tout simplement pas d’incidence sur un plan général, structurel. En tout état de cause, il est raisonnable de penser que la plupart des juridictions nationales statuant en dernier ressort sont très familiarisées avec ce mode de raisonnement, bien que surtout dans le cadre de leur propre système. Une même manière de penser et de réfléchir devrait simplement être mise en œuvre au niveau plus large et plus vaste qu’est l’ordre juridique de l’Union.

149. En substance, loin de moi l’idée de proposer de se débarrasser d’une licorne pour la remplacer immédiatement par une autre (134) : à savoir, penser qu’il existe une frontière nette entre le moment où se termine l’interprétation et celui où commence l’application et inversement. Toutefois, l’obligation de renvoi préjudiciel vise à assurer une interprétation uniforme du droit de l’Union et non son application correcte. L’uniformité voulue se situe non pas – et n’a jamais été située – au niveau des solutions d’espèce qui peuvent être apportées, mais au niveau des règles de droit qui doivent être appliquées. En toute logique, cela signifie que si les règles de droit sont raisonnablement uniformes, les solutions apportées au cas par cas peuvent être variées.

2.      Autres interprétations raisonnablement envisageables

150. Est-il objectivement possible d’interpréter une règle spécifique du droit de l’Union de différentes manières ? Un élément incontournable des critères de l’obligation de renvoi préjudiciel sera toujours l’examen des alternatives. Cela dit, par opposition à l’incertitude interne et subjective inhérente au doute raisonnable quant à la solution d’un cas d’espèce, se trouve l’existence d’alternatives réalistes mettant des considérations similaires sur un plan plus externe et objectif. D’où la proposition de faire porter l’attention non pas sur le « je ne sais pas », mais sur « voilà les choix qui s’offrent à moi ».

151. Je me dois d’insister sur l’importance des adjectifs « possible » et « plausible ». Loin de moi l’idée de proposer que les juridictions de renvoi soient tenues d’exposer en détail les différentes alternatives possibles, de les justifier, voire d’expliquer laquelle a leur préférence (135). Il devrait cependant y avoir plus qu’un simple doute subjectif ou même une absence de connaissance pour justifier une obligation de renvoi préjudiciel.

152. Cependant, dès lors que la juridiction nationale statuant en dernier ressort se trouve face à deux ou plusieurs interprétations possibles, l’obligation de renvoi préjudiciel devient stricte. Après tout, telle est précisément la raison pour laquelle elle a été instituée : lorsque « le menu » propose plusieurs choix. Les hypothèses suivantes se révèlent particulièrement pertinentes pour illustrer la façon dont de telles situations peuvent survenir.

153. Premièrement, il existe des exemples de différentes interprétations de la même règle de droit adoptées dans des décisions finales de juridictions nationales. Toute autre juridiction statuant en dernier ressort, saisie d’un litige concernant le même élément du droit de l’Union et qui constate des divergences dans l’interprétation de cette règle, est tenue de procéder à un renvoi préjudiciel afin de faire préciser quel courant jurisprudentiel est dans le vrai. Peu importe que ces divergences soient constatées à l’intérieur d’un même État membre ou entre différents États membres. De fait, la logique voulant que des divergences de courants jurisprudentiels au niveau national ne suffiraient pas pour que, objectivement, il y ait des divergences de jurisprudence à l’intérieur de l’Union sur la même question (136) m’échappe quelque peu, sauf s’il s’agit d’un cas très particulier de discrimination à rebours. Après tout, la logique sur laquelle se fonde l’arrêt Hoffmann‑La Roche est que des divergences dans l’approche commune peuvent être constatées « dans un État membre quelconque », et ce avec raison : il ne peut y avoir d’interprétation uniforme si des parties d’un État membre suivent leur propre voie.

154. Je voudrais cependant mettre l’accent sur les décisions finales qui ont été adoptées au niveau national. Sont recherchées des divergences d’interprétation au niveau horizontal, que ce soit à l’intérieur d’un seul et même État membre (entre cours d’appel ou entre chambres ou formations des juridictions suprêmes) ou entre les États membres. Ce n’est pas nécessairement le cas pour un même litige dans ses développements successifs sur lequel il n’a pas encore été définitivement statué. Dans une telle situation, où, par exemple, l’interprétation du juge de première instance diffère de celle de la cour d’appel et où la juridiction suprême est saisie, deux ou plusieurs autres approches de la même règle de droit sont concevables. Toutefois, contrairement à une situation où des divergences d’interprétation apparaissent dans les décisions finales de différentes juridictions, cela ne signifie pas qu’il y ait d’autres manières, plus raisonnables et plus réalistes, d’interpréter la même règle de droit de l’Union. Dans le cadre d’une seule et même procédure, l’erreur d’une juridiction ne peut être exclue. Par opposition, des divergences de jurisprudence ressortant d’une pluralité de procédures relèvent non plus de l’erreur, mais d’un problème structurel touchant tout autant le droit de l’Union que le droit national.

155. Deuxièmement, toutes les autres situations, en ce compris celles où différentes interprétations sont retenues au cours d’une seule et même procédure, doivent être appréciées s’agissant de chaque cas d’espèce. Dans des procédures devant la juridiction statuant en dernier ressort, les mêmes règles de droit peuvent‑elles faire l’objet d’autres interprétations réalistes, quelles que soient leurs origines ? Ces interprétations peuvent être proposées par les parties ; elles peuvent être l’œuvre des différents acteurs impliqués dans les procédures nationales ; elles peuvent également découler des décisions juridictionnelles antérieures dans cette même procédure, les divergences ne relevant alors plus du domaine de l’erreur, mais venant exprimer le fait que des alternatives sont plausibles.

156. En outre, de tels doutes dans le choix entre différentes interprétations possibles d’une même règle de droit peuvent évidemment se retrouver au niveau de la juridiction nationale elle-même. Toutefois, au vu des considérations exposées ci-dessus dans la présente section, j’entends souligner un autre élément essentiel : la réalité et le réalisme. Il ne saurait être demandé aux juridictions nationales statuant en dernier ressort de se transformer d’un coup en centres de recherches en droit comparé de l’Union où elles procéderaient elles-mêmes, d’office en quelque sorte, à des études de la jurisprudence des juridictions nationales des autres États membres ou se lanceraient dans une quête proactive de problèmes d’interprétation.

157. Cela dit, ce qui peut effectivement être demandé aux juridictions nationales statuant en dernier ressort est de reconnaître objectivement l’existence de divergences dans l’interprétation du droit si ces divergences ont été portées à leur attention par l’un des acteurs de la procédure dont elles sont saisies, en particulier par les parties elles-mêmes. Dès lors que, effectivement, les interprétations juridiques possibles présentent des divergences, démontrées par l’existence de différentes alternatives possibles, alors, pour reprendre le vocabulaire de l’arrêt CILFIT, un doute (raisonnable) peut être considéré comme ayant été établi de manière objective et externe dans le cadre d’un litige dont les juridictions sont saisies et l’obligation de renvoi préjudiciel dans l’intérêt d’assurer une interprétation uniforme du droit de l’Union ne peut alors être ignoré.

3.      L’absence de jurisprudence de la Cour

158. Les débats (houleux) sur le point de savoir ce qui, dans un contexte donné, constitue une « jurisprudence établie » où tous les intervenants comprendraient exactement de la même manière ce qui a été précisément « établi » ne manqueront certainement pas. Toutefois, au niveau conceptuel, c’est effectivement l’arrêt Da Costa e.a. (137), tel que confirmé et étendu par l’arrêt CILFIT (138), qui demande le moins à être revu. Une juridiction nationale statuant en dernier ressort est tenue de procéder à un renvoi préjudiciel de toute nouvelle question d’interprétation du droit de l’Union soulevée devant elle, de toute question à laquelle il ne peut être répondu de manière satisfaisante sur le fondement de la jurisprudence de la Cour ou encore s’il paraît opportun d’inviter la Cour à préciser ou à revenir sur certaines de ses décisions antérieures.

159. Pour l’exprimer simplement, la deuxième condition ainsi que celle dont il est question ici, la troisième, sont des déclinaisons de la même préoccupation – la première condition est relative à l’interprétation uniforme du droit de l’Union – sous des angles différents et impliquant des acteurs différents. La deuxième condition est relative à la cohérence horizontale et à la jurisprudence nationale tandis que celle dont il est question ici, la troisième, porte sur les décisions de la Cour et leurs effets.

160. Par conséquent, une juridiction nationale statuant en dernier ressort n’est pas tenue de procéder à un renvoi préjudiciel en interprétation du droit de l’Union si la Cour a déjà interprété la même disposition. Il en va de même dans une situation où les décisions antérieures de la Cour, quelle qu’ait été la nature des procédures, apportent un éclairage suffisant pour l’interprétation, permettant ainsi au juge national d’apporter en toute confiance une solution au litige sur le fondement de la jurisprudence.

161. Je voudrais juste conclure en apportant trois précisions à cet égard.

162. Premièrement, le lien logique entre la troisième condition et la première mérite sans doute d’être souligné à nouveau : ce qui doit être établi et se déduire clairement de la jurisprudence est la règle de droit de l’Union qui doit être appliquée et non la solution du cas d’espèce. Ainsi, à nouveau, par exemple, l’interprétation en droit de l’Union de ce qui constitue une « circonstance extraordinaire » a été établie au moment où la définition de cet événement a été énoncée et confirmée par la Cour. À moins de se trouver dans une situation où elle souhaiterait revoir, affiner ou s’écarter de cette définition, une juridiction statuant en dernier ressort doit simplement l’appliquer sans avoir à demander un éclairage sur le point de savoir si, par exemple, outre tous les contextes factuels déjà examinés par la Cour (139), relève des circonstances extraordinaires le fait qu’un cerf ou un homme en tenue d’Adam gambade sur la piste d’un aéroport.

163. Deuxièmement, il est juste de reconnaître que, si le vocabulaire de la Cour use des notions de « jurisprudence établie » ou de « décisions antérieures », celles‑ci visent parfois un seul arrêt. Certes, tout dépend du contenu, du contexte et de la clarté de la règle de droit de l’Union qui était censée être établie dans la décision antérieure (140). Toutefois, une position juridique clairement exprimée, même une seule fois (et ne pouvant donc guère être qualifiée de « jurisprudence établie » dans la pure tradition civiliste selon laquelle elle doit être réitérée à plusieurs reprises avant de faire autorité), peut a priori exempter la juridiction nationale statuant en dernier ressort de l’obligation de renvoi.

164. Troisièmement, une juridiction nationale, en particulier une juridiction nationale statuant en dernier ressort, peut toujours demander à la Cour d’adapter, d’affiner, de préciser et même de s’écarter de ses décisions antérieures. Cependant, si une juridiction nationale statuant en dernier ressort entend s’écarter d’une interprétation du droit de l’Union par la Cour, elle est alors tenue de procéder à un renvoi préjudiciel en motivant son désaccord et, dans l’idéal, en exposant ce qui, à son avis, doit être l’approche appropriée (141).

165. Pour être exhaustif, il doit être ajouté qu’une telle demande de « clarification » peut non seulement concerner des situations où la juridiction nationale demande effectivement à la Cour d’infléchir sa jurisprudence (142), mais également des cas où une juridiction nationale, amenée à appliquer ces indications au niveau national, a relevé des divergences dans la jurisprudence de la Cour. Dans de telles situations (rares, il faut le souhaiter), il y a obligation de procéder à un renvoi préjudiciel, justement dans l’intérêt d’une interprétation uniforme du droit de l’Union à l’intérieur de celle-ci afin de prévenir des divergences entre juridictions nationales, certaines s’appuyant sur un courant jurisprudentiel de la Cour et les autres sur un autre.

4.      L’obligation de motivation (et la question ouverte du contrôle du respect de l’obligation de renvoi)

166. Dans la proposition formulée dans les présentes conclusions, la portée de l’obligation de renvoi renferme déjà les exceptions à celle-ci. Il s’agit des deux faces d’une même médaille. Pour déclencher l’obligation de renvoi préjudiciel, les trois conditions énoncées dans la présente section doivent être réunies. Pour que cette obligation ne naisse pas (ou, en fonction de l’approche retenue, pour faire jouer une exception), au moins une des trois conditions doit être absente : soit aucune question d’interprétation du droit de l’Union ne se pose, soit il n’existe qu’une seule interprétation possible du droit de l’Union en cause, soit la réponse peut être trouvée dans la jurisprudence de la Cour.

167. Cela dit, il existe en tout état de cause une obligation transversale, qui peut être qualifiée de « quatrième condition » : quelle que soit l’une de ces trois conditions qui sera invoquée par la juridiction statuant en dernier ressort, celle-ci est tenue de motiver à suffisance sa conclusion selon laquelle le litige dont elle est saisie ne tombe pas sous le coup de l’obligation de renvoi préjudiciel en vertu de l’article 267, troisième alinéa, TFUE.

168. Naturellement, il n’existe aucun étalon de référence universel de ce qui constitue une motivation adéquate et donc d’un degré suffisant. Tout dépend de la nature du litige, de sa complexité et, surtout, des arguments exposés au juge appelé à statuer ainsi que de ceux figurant dans le dossier de l’affaire. Toutefois, en tout état de cause, si une question pertinente de droit de l’Union est effectivement soulevée devant une juridiction nationale statuant en dernier ressort, celle-ci est tenue d’énoncer clairement et précisément laquelle des trois conditions (exceptions) trouve à s’appliquer en l’espèce et apporter au minimum une explication sommaire des raisons à cela.

169. Je crois qu’il importe d’insister nettement sur cette obligation. Une référence vague, à peine motivée, à la notion d’« acte clair » de l’arrêt CILFIT, sans réelle motivation se rapportant au litige pour justifier l’absence d’obligation de renvoi préjudiciel en l’espèce, ne satisfait pas aux exigences minimales (143). A contrario, suivant l’approche d’une obligation de renvoi préjudiciel dans l’intérêt d’une uniformité systémique de l’interprétation, assez objective et externe faut-il en convenir, telle que préconisée dans les présentes conclusions, la motivation de la juridiction nationale statuant en dernier ressort est une réponse aux éléments portés à son attention, soit par les parties au litige, soit parce qu’ils ressortent clairement de la procédure et des pièces du dossier. L’obligation de motivation est donc naturellement corrélée à l’obligation pour tout juge de répondre aux circonstances et aux arguments pertinents qui lui sont soumis.

170. Pour l’exprimer simplement, aucun juge n’est tenu de chercher des problèmes d’interprétation susceptibles de se poser au regard de la disposition de droit de l’Union en cause. Cependant, les problèmes d’interprétation qui lui sont soumis, en particulier ceux soulevés par les parties, ne peuvent être simplement écartés « d’un revers de la main » sans motivation adéquate en se bornant à énoncer une simple phrase affirmant que « tout est clair, sans aucun doute raisonnable ».

171. Pour finir, à mon avis, l’obligation de motivation, bien qu’il soit probable qu’elle découle déjà des règles nationales pertinentes, est également exigée par le droit de l’Union en application de l’article 47 de la Charte. Logiquement, si un point de droit de l’Union est valablement soulevé dans le cadre d’une procédure nationale, l’affaire relève du champ d’application du droit de l’Union, du moins vraisemblablement en ce qui concerne d’autres éléments de ce droit. En outre, l’article 267 TFUE existe et il est applicable dans de telles situations. Dès lors, une telle affaire et toutes les décisions nationales adoptées dans son cadre constituent manifestement une mise en œuvre du droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte.

172. J’en resterai volontairement là. Les questions relatives au contrôle du respect de l’obligation de renvoi préjudiciel feront peut-être l’objet d’autres litiges. Toutefois, avant que de telles affaires ne puissent être débattues, la portée et la nature de l’obligation de renvoi doivent d’abord être revues en profondeur. Ce n’est que si cette première étape est franchie qu’une discussion sur les voies de recours peut se révéler utile.

173. Je conclurai par trois remarques d’ordre général.

174. Premièrement, pourquoi réexaminer la jurisprudence liée à l’arrêt CILFIT aujourd’hui ? De fait, après la lecture des conclusions convaincantes de mes illustres prédécesseurs, il paraît évident que la Cour ne voudra guère s’empresser de rouvrir ce dossier. En outre, il peut être affirmé avec une pointe d’ironie que, puisque la jurisprudence qui découle de l’arrêt CILFIT est inopérante depuis quarante ans, attendre quelques années ou décennies de plus ne changera pas grand-chose. L’inertie se pare également d’une certaine simplicité merveilleuse et de sagesse, tout particulièrement lorsque le système, dans sa globalité, trouve une sorte de point d’équilibre. Pour reprendre la métaphore énoncée en introduction des présentes conclusions, il est peut-être plus sage de ne pas réveiller le chat qui dort. Nul ne sait qui sera griffé à son réveil.

175. Tout aussi séduisantes que peuvent paraître ces vues, elles ont leurs limites claires. Il n’est pas sain pour l’autorité et la légitimité d’une juridiction en tant qu’institution de ne pas être prise en considération et que les éclairages qu’elle apporte soient ignorés, et ce pour d’excellentes raisons. En outre, si un tel manque de considération vient à toucher l’un des paramètres essentiels de tout le système juridictionnel, qui doit s’appuyer sur d’autres pour son bon fonctionnement et au moins en partie pour sa mise en œuvre, un scepticisme malsain peut naître et éventuellement se propager à d’autres domaines et à d’autres questions. Enfin, des tensions sont susceptibles de voir le jour si un tel équilibre subtil se voit rompu par une vague soudaine d’application sélective de telles règles de droit et où ceux qui en font l’objet peuvent très justement se demander : pourquoi nous ? En ce sens, le chat étant réveillé, il devient impératif de revoir les règles de sorte qu’elles soient également appliquées à tous.

176. Deuxièmement, il pourrait être soutenu que, en mettant l’accent sur la fonction macro ou publique de l’obligation de renvoi préjudiciel, la proposition formulée dans les présentes conclusions tend à négliger les justiciables pris individuellement et leurs droits subjectifs. En outre, affranchie des doutes subjectifs du cas d’espèce, la définition de la portée de l’obligation de renvoi préjudiciel et de ses exceptions devient vague dans sa formulation, s’appuyant sur des notions abstraites telles que celle de « divergences dans l’interprétation ».

177. À mon avis, c’est précisément l’absence de clarté dans la distinction conceptuelle entre la fonction au niveau macro/micro (publique/privée) et les conditions objectives/subjectives de l’obligation de renvoi préjudiciel qui expliquent les problèmes posés par la jurisprudence liée à l’arrêt CILFIT. De plus, les choix qui ont été faits dans l’arrêt CILFIT sont assez uniques d’une autre manière encore : l’obligation de renvoi préjudiciel a été subordonnée principalement aux conditions particulières et subjectives du cas d’espèce soumis à une juridiction nationale statuant en dernier ressort, sans pour autant que les particuliers se voient reconnaître un quelconque droit pour obtenir la mise en œuvre de cette obligation.

178. Si, comme cela est proposé, la nature d’ordre essentiellement systémique et structurel de l’obligation de renvoi préjudiciel devait être reconnue, qui serait alors établie selon des considérations plus objectives des exigences d’ordre systémique du cas d’espèce, les justiciables seraient mieux à même de fonder leurs arguments dans un litige plutôt que de devoir invoquer des doutes subjectifs de juridictions. De plus, de par leur nature et leur structuration, les conditions proposées, bien que se détachant en partie des circonstances propres d’un cas d’espèce, se révèlent bien plus précises que celles de l’arrêt CILFIT. De surcroît, contrairement aux discussions interminables sur le point de savoir si les exceptions formulées dans l’arrêt CILFIT relèvent en fait de la « checklist » ou simplement de la boîte à outils, les conditions proposées constituent clairement une « checklist » avec la confirmation de l’obligation corollaire de motivation spécifique et adéquate.

179. Troisièmement et dernièrement, un tel « assouplissement » de la jurisprudence liée à l’arrêt CILFIT, à savoir de ne plus se focaliser sur l’application correcte du droit de l’Union dans chaque affaire dont est saisie une juridiction statuant en dernier ressort, ne revient-il pas à une abdication par la Cour de sa responsabilité essentielle d’assurer l’unité et l’uniformité du droit de l’Union ?

180. J’ai consacré de longs développements dans les présentes conclusions pour essayer d’expliquer les raisons pour lesquelles je suis d’avis que l’uniformité de la jurisprudence qui découle de l’arrêt CILFIT sur l’application correcte du droit de l’Union dans chaque cas d’espèce s’apparente à une chimère. Compte tenu de la nature décentralisée du système juridictionnel de l’Union et du contrôle diffus qui le caractérise, ce qui peut au mieux être obtenu est une uniformité raisonnable dans l’interprétation du droit de l’Union, sachant qu’une telle uniformité relève déjà d’un défi de taille. Quant à l’uniformité dans l’application et dans les décisions, la réponse est assez simple : « nul ne peut perdre ce qu’il n’a jamais eu » (144).

V.      Conclusion

181. Je propose à la Cour d’apporter la réponse suivante à la première question préjudicielle déférée par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie) :

En vertu de l’article 267, troisième alinéa, TFUE, une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne est tenue de renvoyer l’affaire à la Cour si, premièrement, le litige soulève une question générale d’interprétation du droit de l’Union qui, deuxièmement, peut raisonnablement faire l’objet de plus d’une interprétation et, troisièmement, si l’interprétation du droit de l’Union en cause ne peut pas se déduire de la jurisprudence de la Cour. Si une telle juridiction nationale devant laquelle une question d’interprétation du droit de l’Union est soulevée décide de ne pas former de renvoi préjudiciel en vertu de cette disposition, elle est tenue de motiver à suffisance de droit laquelle de ces conditions n’est pas remplie et pourquoi.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Arrêt du 6 octobre 1982 (283/81, ci-après « l’arrêt CILFIT », EU:C:1982:335).


3      Directive du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux (JO 2004, L 134, p. 1).


4      Arrêt Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi (C‑152/17, EU:C:2018:264).


5      Arrêt du 19 avril 2018, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi (C‑152/17, EU:C:2018:264, points 33 à 35).


6      Invoquant la jurisprudence établie de la Cour en la matière, notamment l’arrêt du 18 juillet 2013, Consiglio Nazionale dei Geologi (C‑136/12, EU:C:2013:489, point 25).


7      Voir, par exemple, arrêts du 12 février 2008, Kempter (C‑2/06, EU:C:2008:78, point 41) ; du 9 novembre 2010, VB Pénzügyi Lízing (C‑137/08, EU:C:2010:659, point 28), et du 18 juillet 2013, Consiglio Nazionale dei Geologi (C‑136/12, EU:C:2013:489, point 28).


8      Déjà dans l’arrêt CILFIT (point 9). Voir, également, arrêt du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA (C‑344/04, EU:C:2006:10, point 28).


9      Déjà dans l’arrêt du 16 juin 1981, Salonia (126/80, EU:C:1981:136, point 7). Voir, également, arrêt du 15 janvier 2013, Križan e.a. (C‑416/10, EU:C:2013:8, point 65).


10      Voir, par exemple, arrêts du 17 juillet 2008, Coleman (C‑303/06, EU:C:2008:415, point 29 et jurisprudence citée), ainsi que du 22 décembre 2008, Les Vergers du Vieux Tauves (C‑48/07, EU:C:2008:758, point 20 et jurisprudence citée).


11      Voir, par exemple, arrêt du 11 juin 1987, X (14/86, EU:C:1987:275, point 11).


12      Voir, par exemple, arrêt du 13 avril 2000, Lehtonen et Castors Braine (C‑176/96, EU:C:2000:201, point 19).


13      Déjà dans l’arrêt du 28 juin 1978, Simmenthal (70/77, EU:C:1978:139, points 10 et 11). Pour une affaire plus récente, voir, également, par exemple, arrêt du 1er février 2017, Tolley (C‑430/15, EU:C:2017:74, points 32 et 33).


14      Voir, par exemple, arrêt du 14 décembre 1995, Peterbroeck (C‑312/93, EU:C:1995:437, points 19 et 20). Voir, également, plus particulièrement sur une éventuelle limitation de la possibilité d’un (deuxième) degré d’appel, arrêt du 4 juin 2002, Lyckeskog (C‑99/00, EU:C:2002:329, points 17 et 18).


15      Voir, également, plus généralement, arrêts du 5 octobre 2010, Elchinov (C‑173/09, EU:C:2010:581, point 25), et du 15 janvier 2013, Križan e.a. (C‑416/10, EU:C:2013:8, point 67).


16      Voir, par exemple, arrêts du 17 juillet 2014, Torresi (C‑58/13 et C‑59/13, EU:C:2014:2088, point 32 et jurisprudence citée) ; du 20 décembre 2017, Schweppes (C‑291/16, EU:C:2017:990, point 26), et du 6 novembre 2018, Bauer et Willmeroth (C‑569/16 et C‑570/16, EU:C:2018:871, point 21).


17      Voir ordonnance du 5 mars 1986, Wünsche (69/85, EU:C:1986:104, point 15) ; arrêts du 11 juin 1987, X (14/86, EU:C:1987:275, point 12), du 6 mars 2003, Kaba (C‑466/00, EU:C:2003:127, point 39), et ordonnance du 30 juin 2016, Sokoll‑Seebacher et Naderhirn (C‑634/15, EU:C:2016:510, point 19).


18      Arrêt du 27 mars 1963 (28/62 à 30/62, EU:C:1963:6).


19      Points 13 et 14.


20      Exprimant implicitement le fait, qui n’a été rendu explicite que plus tard, que le juge national est lié par l’interprétation déjà donnée par la Cour – pour des exemples récents, voir arrêts du 5 octobre 2010, Elchinov (C‑173/09, EU:C:2010:581, points 29 et 30), ainsi que du 5 juillet 2016, Ognyanov (C‑614/14, EU:C:2016:514, point 33).


21      Voir, par exemple, arrêt du 4 novembre 1997, Parfums Christian Dior (C‑337/95, EU:C:1997:517, point 29).


22      J’emploierai tout au long des présentes conclusions cette expression bien connue pour désigner toute « juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne ». Sur la qualification d’une telle juridiction dans le cadre d’un cas d’espèce, voir, par exemple, arrêts du 4 juin 2002, Lyckeskog (C‑99/00, EU:C:2002:329, point 16) ; du 16 décembre 2008, Cartesio (C‑210/06, EU:C:2008:723, points 76 à 78) ; du 15 janvier 2013, Križan e.a. (C‑416/10, EU:C:2013:8, point 72), et du 21 décembre 2016, Biuro podróży « Partner » (C‑119/15, EU:C:2016:987, points 52 et 53).


23      Voir arrêts du 22 octobre 1987, Foto‑Frost (314/85, EU:C:1987:452, point 20) ; du 6 décembre 2005, Gaston Schul Douane‑expediteur (C‑461/03, EU:C:2005:742, point 17), et du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a. (C‑366/10, EU:C:2011:864, point 47).


24      Voir, par exemple, arrêts du 22 octobre 1987, Foto‑Frost (314/85, EU:C:1987:452, point 15) ; du 6 décembre 2005, Gaston Schul Douane‑expediteur (C‑461/03, EU:C:2005:742, point 21), et du 28 mars 2017, Rosneft (C‑72/15, EU:C:2017:236, points 78 à 80).


25      Voir arrêt du 6 décembre 2005, Gaston Schul Douane‑expediteur (C‑461/03, EU:C:2005:742, points 20 et 25).


26      Avis 1/09, du 8 mars 2011 (EU:C:2011:123, point 84). Mise en italique par mes soins.


27      Arrêt du 24 mai 1977 (107/76, ci-après l’« arrêt Hoffmann‑La Roche », EU:C:1977:89, point 5), formule reprise dans de nombreux arrêts, par exemple dans les arrêts du 2 avril 2009, Pedro IV Servicios (C‑260/07, EU:C:2009:215, point 32 et jurisprudence citée) ; du 15 mars 2017, Aquino (C‑3/16, EU:C:2017:209, point 33 et jurisprudence citée), et du 4 octobre 2018, Commission/France (Précompte mobilier) (C‑416/17, EU:C:2018:811, point 109).


28      Arrêt CILFIT, point 7.


29      Voir, par exemple, arrêt du 15 mars 2017, Aquino (C‑3/16, EU:C:2017:209, point 34).


30      Voir, par exemple, arrêt Hoffmann‑La Roche (point 5), ou ses « Recommandations à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles » (JO 2019, C 380, p. 1, point 1).


31      Voir, par exemple, arrêt CILFIT (point 7), et avis 1/09, du 8 mars 2011 (EU:C:2011:123, point 84).


32      Voir, par exemple, arrêts du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a. (C‑366/10, EU:C:2011:864, point 47), et du 28 mars 2017, Rosneft (C‑72/15, EU:C:2017:236, point 80).


33      Arrêt CILFIT, point 7.


34      Arrêt CILFIT, point 10. Mise en italique par mes soins.


35      Pour un exemple récent, voir arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny (C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234).


36      Arrêt CILFIT, point 13.


37      Arrêt CILFIT, point 14.


38      Arrêt du 27 mars 1963, Da Costa e.a. (28/62 à 30/62, EU:C:1963:6, p. 75).


39      Arrêt CILFIT, point 16.


40      Arrêt CILFIT, point 16.


41      Arrêt CILFIT, point 18.


42      Arrêt CILFIT, point 19.


43      Arrêt CILFIT, point 20.


44      Pour n’en citer que quelques-unes, voir, notamment, Rasmussen, H., « The European Court’s Acte Clair Strategy in C.I.L.F.I.T. Or : Acte Clair, of Course ! But What does it Mean ? », 9 EL Rev., 1984, p. 242 ; Bebr, G., « The Preliminary Proceedings or Article 177 EEC – Problems and Suggestions for Improvement », dans Schermers, H.G., e.a. (éd.), Article 177 EEC : Experience and Problems, North‑Holland, Amsterdam, 1987, p. 355 ; Vaughan, D., « The Advocate’s View », dans Andenas, M., Article 177 References to the European Court – Policy and Practice, Butterworths, Londres, 1994, p. 61 ; Broberg, M., « Acte clair revisited : Adapting the acte clair criteria to the demands of times », CMLR 45, 2008, p. 1383, et Broberg, M., et Fenger, N., Preliminary References to the European Court of Justice, 2e éd., Oxford University Press, Oxford, 2014, p. 240 à 246.


45      Voir, déjà, par exemple, positions des juridictions nationales dans Schermers, H.G., e.a. (éd.), Article 177 EEC : Experience and Problems, North‑Holland, Amsterdam, 1987, p. 53 à 134 ; Rapport général du XVIIIe colloque de l’Association des Conseils d’État et des juridictions administratives suprêmes de l’Union européenne des 20 et 21 mai 2002 à Helsinki (Finlande), sur « Le renvoi préjudiciel à la Cour de justice des Communautés européennes », p. 28 et 29 ; voir, également, Wattel, P. J., « Köbler, CILFIT and Welthgrove : We can’t go on meeting like this », CMLR 41, 2004, p. 177.


46      Pour reprendre une expression récemment employée dans les conclusions de l’avocat général Wahl dans les affaires jointes X et van Dijk (C‑72/14 et C‑197/14, EU:C:2015:319, point 67).


47      Arrêt du 15 septembre 2005 (C‑495/03, EU:C:2005:552).


48      Arrêt du 15 septembre 2005, Intermodal Transports (C‑495/03, EU:C:2005:552, point 34).


49      Arrêt du 15 septembre 2005, Intermodal Transports (C‑495/03, EU:C:2005:552, point 35).


50      Arrêt du 9 septembre 2015 (C‑72/14 et C‑197/14, EU:C:2015:564).


51      Arrêt du 9 septembre 2015, X et van Dijk (C‑72/14 et C‑197/14, EU:C:2015:564, point 59).


52      Arrêt du 9 septembre 2015, X et van Dijk (C‑72/14 et C‑197/14, EU:C:2015:564, point 61). Mise en italique par mes soins.


53      Arrêt du 9 septembre 2015 (C‑160/14, EU:C:2015:565).


54      Directive du Conseil du 12 mars 2001 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements (JO 2001, L 82, p. 16).


55      Arrêt du 9 septembre 2015, Ferreira da Silva e Brito e.a. (C‑160/14, EU:C:2015:565, points 41 et 42). Mise en italique par mes soins.


56      Arrêt du 9 septembre 2015, Ferreira da Silva e Brito e.a. (C‑160/14, EU:C:2015:565, point 44).


57      Arrêt du 28 juillet 2016 (C‑379/15, EU:C:2016:603).


58      Arrêt du 28 juillet 2016, Association France Nature Environnement (C‑379/15, EU:C:2016:603, point 48).


59      Arrêt du 28 février 2012, Inter‑Environnement Wallonie et Terre wallonne (C‑41/11, EU:C:2012:103).


60      Arrêt du 28 juillet 2016, Association France Nature Environnement (C‑379/15, EU:C:2016:603, point 51). Mise en italique par mes soins.


61      Arrêt du 28 juillet 2016, Association France Nature Environnement (C‑379/15, EU:C:2016:603, point 52). Mise en italique par mes soins.


62      Arrêt du 9 septembre 2015, Ferreira da Silva e Brito e.a. (C‑160/14, EU:C:2015:565, point 43).


63      Arrêt CILFIT, point 16. Mise en italique par mes soins.


64      Sur ce point, voir, cependant, conclusions de l’avocat général Wahl dans les affaires X et van Dijk (C‑72/14 et C‑197/14, EU:C:2015:319, point 68).


65      Voir, par exemple, Kornezov, A., « The New Format of the Acte Clair Doctrine and its Consequences », 53 CMLR, vol. 53, 2016, p. 1317 ; Limante, A., « Recent Developments in the Acte Clair Case Law of the EU Court of Justice : Towards a more Flexible Approach », 54 JCMS, vol. 54, 2016, p. 1384, et Gervasoni, S., « CJUE et cours suprêmes : repenser les termes du dialogue des juges ? », AJDA, 2019, p. 150.


66      Voir, par exemple, arrêt du 11 septembre 2018 de l’Ústavní soud (Cour constitutionnelle, République tchèque) rendu dans l’affaire n° II.ÚS 3432/17 (ECLI:CZ:US:2018:2.US.3432.17.1). Dans cet arrêt, revenant sur sa jurisprudence antérieure, l’Ústavní soud (Cour constitutionnelle), se référant systématiquement à l’arrêt du 9 septembre 2015, Ferreira da Silva e Brito e.a. (C‑160/14, EU:C:2015:565), a refusé de sanctionner un manquement avéré de la Nejvyšší soud (Cour suprême, République tchèque) à son obligation de renvoi préjudiciel en présence de décisions juridictionnelles contradictoires à l’intérieur de la République tchèque concernant une même question de droit de l’Union. Pour une critique, voir, par exemple, Malenovský, J., « Protichůdné zájmy v řízení o předběžné otázce a jejích důsledky », Právní rozhledy, C.H. Beck, 6/2019, p. 191.


67      Voir point 51 des présentes conclusions.


68      Arrêt Hoffmann‑La Roche, point 5.


69      Voir points 59 et 60 des présentes conclusions.


70      Voir arrêt CILFIT, point 3.


71      Sur ce sujet, voir conclusions de l’avocat général Capotorti dans l’affaire CILFIT e.a. (283/81, non publiées, EU:C:1982:267), qui, après une analyse critique des origines de la théorie française de « l’acte clair », a également refusé de s’inspirer du droit constitutionnel italien (le critère dit « manifestement non fondé ») pour déterminer la portée de l’obligation de renvoi préjudiciel en droit de l’Union.


72      Sur l’application en général par les juridictions françaises de la théorie de « l’acte clair », voir, par exemple, Lagrange, M., « Cour de justice européenne et tribunaux nationaux – La théorie de “l’acte clair” : pomme de discorde ou trait d’union ? », Gazette du Palais, nos 76 à 78, 19 mars 1971, p. 1 ; dans le contexte spécifique du droit de l’Union, voir, par exemple, Lesguillons, H., « Les juges français et l’article 177 », Cahiers de droit européen, no 4, 1968, p. 253.


73      Arrêt du Conseil d’État du 19 juin 1964, Société des pétroles Shell‑Berre (no 47 007), connu pour être le premier arrêt où le Conseil d’État a appliqué la théorie de « l’acte clair » au droit de l’Union.


74      Voir Damaška, M. R., The Faces of Justice and State Authority : A Comparative Approach to the Legal Process, Yale University Press, 1986, p. 16.


75      Conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Wiener SI (C‑338/95, EU:C:1997:352, point 65). Voir, cependant, conclusions de l’avocat général Tizzano dans l’affaire Lyckeskog (C‑99/00, EU:C:2002:108, point 75).


76      Conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Wiener SI (C‑338/95, EU:C:1997:352, point 58).


77      Conclusions de l’avocate générale Stix‑Hackl dans l’affaire Intermodal Transports (C‑495/03, EU:C:2005:215, point 99).


78      Conclusions de l’avocate générale Stix‑Hackl dans l’affaire Intermodal Transports (C‑495/03, EU:C:2005:215, point 100).


79      Conclusions de l’avocat général Ruiz‑Jarabo Colomer dans l’affaire Gaston Schul Douane‑expediteur (C‑461/03, EU:C:2005:415, point 52).


80      Conclusions de l’avocat général Wahl dans les affaires jointes X et van Dijk (C‑72/14 et C‑197/14, EU:C:2015:319, point 69).


81      Conclusions de l’avocat général Wahl dans les affaires jointes X et van Dijk (C‑72/14 et C‑197/14, EU:C:2015:319, point 62).


82      Voir point 81 des présentes conclusions.


83      Pour des exemples comparés, voir, notamment, rapports nationaux remis pour le XVIIIe colloque de l’Association des Conseils d’État et des juridictions administratives suprêmes de l’Union européenne des 20 et 21 mai 2002 à Helsinki (Finlande), sur le thème « Le renvoi préjudiciel à la Cour de justice des Communautés européennes » (http://www.aca-europe.eu/index.php/fr/colloques-fr/163‑18e-colloque-du-20-au-21-mai-2002-a-helsinki) ; note de recherche no 19/004 du mois de mai 2019 établie par la direction de la Recherche et documentation de la Cour sur l’« Application de la jurisprudence [liée à l’arrêt] Cilfit par les juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne » (https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2020‑01/ndr-cilfit-fr.pdf), ou Fenger, N., et Broberg, M., « Finding Light in the Darkness : On The Actual Application of the Acte Clair Doctrine », Yearbook of European Law, vol. 30, no 1, 2011, p. 180.


84      Conduisant en dernier ressort au recours à la notion d’« aucun doute raisonnable » avec un contenu modifié. Voir, par exemple, arrêt de l’Anotato Dikastirio Kyprou (Cour suprême de Chypre) du 15 juin 2013, Cypra Limited v. Kipriakis Simokratias, pourvoi no 78/2009 (l’obligation de renvoi préjudiciel n’existe que si le droit de l’Union en cause n’est pas « dénué de doutes » ; en droit du Royaume-Uni, un critère légèrement plus souple que celui de l’« absence de doute raisonnable » a été mis en œuvre, voir arrêts de la House of Lords (Chambre des Lords, Royaume-Uni) dans l’affaire O’Byrne v. Aventis Pasteur SA [2008] UKHL 34, point 23 (nulle nécessité de procéder à un renvoi lorsque l’interprétation de la disposition en cause « est claire, au-delà de toute argumentation raisonnable »), et de la Supreme Court of the United Kingdom (Cour suprême du Royaume-Uni) dans l’affaire R. (on the application of Buckinghamshire CC) v. Secretary of State for Transport [2014] UKSC 3 (Supreme Court), point 127 (nulle nécessité de procéder à un renvoi lorsque l’interprétation de la disposition en cause « ne peut raisonnablement être contestée »).


85      Voir, par exemple, arrêts du Conseil d’État (1re et 6e sous-sections réunies) du 26 février 2014 (Req. no 354603, ECLI:FR:CE:2014:354603.20140226), et de la Cour de cassation (civ. 1) du 11 juillet 2018 (no 17‑18177, ECLI:FR:CCASS:2018:C100737). Si la première de ces juridictions invoque généralement le critère des « difficultés sérieuses », la seconde applique également d’autres critères.


86      Lorsque l’affaire soulève des « questions d’interprétation d’intérêt général » [arrêt de l’Anotato Dikastirio Kyprou (Cour suprême de Chypre) du 5 avril 2017, ProedrosTis Demokratias v. Vouli Ton Antiprosopon, pourvoi no 5/2016], ou lorsqu’une question d’interprétation et non d’application du droit de l’Union est soulevée [arrêt de la Qorti tal‑Appell (cour d’appel, Malte) du 26 juin 2007, GIE Pari Mutuel Urbain (PMU) vs. Bell Med Ltd & Computer Aided Technologies Ltd (224/2006/1)].


87      Pour un aperçu comparatif, voir Solar, N., Vorlagepflichtverletzung mitgliedstaatlicher Gerichte und ihre Sanierung, Neuer Wissenschaftlicher Verlag, Vienne, 2004, ou Wanke, M., Die Vorlagepflicht nach Art. 234 Abs. 3 EGV in der Rechtsprechungpraxis des BVerfG im Vergleich zu den Verfassungsgerichtsbarkeit der EG-Mitgliedstaaten, Peter Lang, Francfort, 2004. Plus récemment, voir, par exemple, Coutron, L. (sous la direction de), L’obligation de renvoi préjudiciel : une obligation sanctionnée ?, Bruylant, Bruxelles, 2014, ou les contributions individuelles du numéro spécial publié en 2015 du German Law Journal, vol. 16/6, en particulier Lacchi, C., « Review by Constitutional Courts of the Obligation of National Courts of Last Instance to Refer a Preliminary Question to the Court of Justice of the EU », p. 1663.


88      Pour illustrer ce propos, voir, par exemple, ordonnance du Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale, Allemagne) du 9 mai 2018, 2 BvR 37/18 ; décision du Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle, Espagne) du 19 avril 2004, STC 58/2004 (ECLI:ES:TC:2004:58) ; décision de l’Ústavní soud (Cour constitutionnelle) du 8 janvier 2009, n° II ÚS 1009/08 ; décision de l’Ustavni sud (Cour constitutionnelle, Croatie) du 13 décembre 2016 n° U‑III‑2521/2015 ; arrêt de l’Ústavný súd Slovenskej republiky (Cour constitutionnelle de la République slovaque) du 18 avril 2012, n° II. ÚS 140/2010 ; et décision de l’Ustavno sodišče (Cour constitutionnelle, Slovénie) du 21 novembre 2013 n° Up‑1056/11 (ECLI:SI:USRS:2013:Up.1056.11).


89      Cour EDH, 8 avril 2014, Dhahbi c. Italie (CE:ECHR:2014:0408JUD001712009, § 33). Pour des cas plus récents de violation, voir, par exemple, Cour EDH, 16 avril 2019, Baltic Master c. Lituanie (CE:ECHR:2019:0416JUD005509216, § 36 à 38), et Cour EDH, 13 février 2020, Sanofi Pasteur c. France (CE:ECHR:2020:0213JUD002513716, § 81).


90      Cour EDH, 24 avril 2018, Baydar c. Pays‑Bas (CE:ECHR:2018:0424JUD005538514, § 43).


91      Cour EDH, 20 septembre 2011, Ullens de Schooten et Rezabek c. Belgique (CE:ECHR:2011:0920JUD000398907 et 3835307, § 62), et Cour EDH, 10 avril 2012, Vergauwen e.a. c. Belgique (CE:ECHR:2012:0410DEC000483204, § 89 et 90).


92      Dans un rapport de l’année 1975, la Cour a proposé que soit instituée une voie de recours appropriée contre les violations des dispositions de ce qui était alors l’article 177 CEE, soit par un recours direct à la Cour formé par les parties au litige au principal, soit par un recours obligatoire en manquement, soit par un recours indemnitaire formé par la partie lésée contre l’État membre concerné (Bulletin des Communautés européennes, supplément 9/75, p. 18).


93      Voir, à cet effet, arrêt du 18 juillet 2013, Consiglio Nazionale dei Geologi (C‑136/12, EU:C:2013:489, point 28 et jurisprudence citée).


94      Voir tableau brossé au point 106 des présentes conclusions.


95      Voir points 108 et 109 des présentes conclusions.


96      À ce sujet, voir, par exemple, Baquero Cruz, J., « The Preliminary Rulings Procedure : Cornerstone or Broken Atlas ? », dans Baquero Cruz, J., What’s Left of the Law of Integration ? Decay and Resistance in European Union Law, Oxford University Press, 2018, p. 64 et 65.


97      Arrêt du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513, point 36).


98      Voir, par exemple, arrêts du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513, points 51 et 52) ; du 28 juillet 2016, Tomášová (C‑168/15, EU:C:2016:602, points 22 et 23), ainsi que du 29 juillet 2019, Hochtief Solutions Magyarországi Fióktelepe (C‑620/17, EU:C:2019:630, points 35 et 36).


99      Bien qu’ils semblent être applicables – en ce sens, voir arrêt du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513, point 118).


100      Et où la violation à l’obligation de renvoi préjudiciel peut ne constituer qu’un des éléments à prendre en compte. Voir, par exemple, arrêts du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513, point 55) ; du 28 juillet 2016, Tomášová (C‑168/15, EU:C:2016:602, point 25), et du 29 juillet 2019, Hochtief Solutions Magyarországi Fióktelepe (C‑620/17, EU:C:2019:630, point 42).


101      Les premiers indices en ce sens apparaissent dans les arrêts du 9 décembre 2003, Commission/Italie (C‑129/00, EU:C:2003:656), et du 12 novembre 2009, Commission/Espagne (C‑154/08, non publié, EU:C:2009:695). Dans ces deux affaires, la procédure visait formellement le grief de l’incompatibilité d’une loi nationale ou d’une pratique administrative avec des dispositions de fond du droit de l’Union. Toutefois, en particulier dans la dernière de ces affaires, il apparaît assez clairement qu’il était fait grief au Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) de ne pas avoir procédé à un renvoi préjudiciel [voir, plus spécialement, arrêt du 12 novembre 2009, Commission/Espagne (C‑154/08, non publié, EU:C:2009:695), points 124 à 126].


102      Arrêt du 4 octobre 2018 (C‑416/17, EU:C:2018:811).


103      Arrêt du 4 octobre 2018, Commission/France (Précompte mobilier) (C‑416/17, EU:C:2018:811, point 110).


104      Arrêt du 4 octobre 2018, Commission/France (Précompte mobilier) (C‑416/17, EU:C:2018:811, point 111).


105      Arrêt du 4 octobre 2018, Commission/France (Précompte mobilier) (C‑416/17, EU:C:2018:811, point 112).


106      Voir points 73 à 86 des présentes conclusions.


107      Voir arrêt du 14 février 1989, Star Fruit/Commission (247/87, EU:C:1989:58, point 11).


108      À en juger déjà par le fait que cette problématique juridique n’était pas parue évidente, même pour le rapporteur public du Conseil d’État (France) dans ces affaires. Voir conclusions de l’avocat général Wathelet dans l’affaire Commission/France (Précompte mobilier) (C‑416/17, EU:C:2018:626, points 56, 81 et 99).


109      À cet égard, je ne peux qu’abonder dans le sens de mes illustres prédécesseurs en relevant que, même en admettant que la jurisprudence liée à l’arrêt CILFIT ait été viable à l’époque de sa conception, quod non, elle a certainement mal vieilli – voir conclusions de l’avocat général Ruiz‑Jarabo Colomer dans l’affaire Gaston Schul Douane‑expediteur (C‑461/03, EU:C:2005:415, point 52), ainsi que conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Wiener SI (C‑338/95, EU:C:1997:352, points 59 et 60).


110      Règlement (UE, Euratom) 2019/629 du Parlement européen et du Conseil, du 17 avril 2019, modifiant le protocole no 3 sur le statut de la Cour de justice de l’Union européenne (JO 2019, L 111, p. 1).


111      Le brave soldat Švejk est un étrange personnage de la littérature tchèque, connu notamment pour ses nombreuses démonstrations de la force destructrice de l’obéissance aveugle. Švejk a effectivement fait échouer les opérations de l’armée austro‑hongroise au cours de la Première Guerre mondiale en exécutant à la lettre les ordres de ses supérieurs, sans s’interroger sur leur teneur et sans les adapter aux circonstances. Parmi les nombreuses éditions, voir Hašek, J., Les Aventures du brave soldat Švejk pendant la Grande Guerre, Folio classique, no 6472, Gallimard, Paris, 2018.


112      Voir point 51 des présentes conclusions.


113      Comme cela est déjà indiqué au point 64 des présentes conclusions.


114      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91 (JO 2004, L 46, p. 1).


115      Arrêt du 22 décembre 2008, Wallentin‑Hermann (C‑549/07, EU:C:2008:771, point 23). Pour des confirmations postérieures, voir, par exemple, arrêts du 31 janvier 2013, McDonagh (C‑12/11, EU:C:2013:43, point 29), et du 11 juin 2020, Transportes Aéreos Portugueses (C‑74/19, EU:C:2020:460, point 37 et jurisprudence citée).


116      Arrêt du 4 mai 2017, Pešková et Peška (C‑315/15, EU:C:2017:342, point 26).


117      Arrêt du 31 janvier 2013, McDonagh (C‑12/11, EU:C:2013:43, point 34).


118      Arrêt du 11 juin 2020, Transportes Aéreos Portugueses (C‑74/19, EU:C:2020:460, point 48).


119      Arrêt du 4 avril 2019, Germanwings (C‑501/17, EU:C:2019:288, point 34).


120      Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 concernant l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité (JO 2009, L 263, p. 11).


121      Voir arrêt du 4 septembre 2014, Vnuk (C‑162/13, EU:C:2014:2146, point 59). Voir, également, arrêts du 28 novembre 2017, Rodrigues de Andrade (C‑514/16, EU:C:2017:908, point 34), et du 15 novembre 2018, BTA Baltic Insurance Company (C‑648/17, EU:C:2018:917, point 34).


122      Voir, par exemple, arrêts du 28 novembre 2017, Rodrigues de Andrade (C‑514/16, EU:C:2017:908, point 38) ; du 20 décembre 2017, Núñez Torreiro (C‑334/16, EU:C:2017:1007, point 29), et du 15 novembre 2018, BTA Baltic Insurance Company (C‑648/17, EU:C:2018:917, point 44).


123      Arrêt du 4 septembre 2014, Vnuk (C‑162/13, EU:C:2014:2146, point 59 et dispositif).


124      Arrêt du 28 novembre 2017, Rodrigues de Andrade (C‑514/16, EU:C:2017:908, point 42 et dispositif).


125      Arrêt du 15 novembre 2018, BTA Baltic Insurance Company (C‑648/17, EU:C:2018:917, point 48 et dispositif).


126      Arrêt du 20 juin 2019, Línea Directa Aseguradora (C‑100/18, EU:C:2019:517, point 48 et dispositif).


127      Directive du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO 2003, L 299, p. 9). Son article 2, point 1, définit le « temps de travail » comme « toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l’employeur et dans l’exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou pratiques nationales ».


128      Voir, par exemple, arrêt du 9 septembre 2003, Jaeger (C‑151/02, EU:C:2003:437, point 63) ; ordonnance du 4 mars 2011, Grigore (C‑258/10, non publiée, EU:C:2011:122, point 53 et jurisprudence citée), ainsi que l'arrêt du 21 février 2018, Matzak (C‑518/15, EU:C:2018:82, point 59).


129      Arrêt du 3 octobre 2000, Simap (C‑303/98, EU:C:2000:528), et ordonnance du 3 juillet 2001, CIG (C‑241/99, EU:C:2001:371).


130      Arrêt du 9 septembre 2003, Jaeger (C‑151/02, EU:C:2003:437, point 71).


131      Arrêt du 21 février 2018, Matzak (C‑518/15, EU:C:2018:82, point 65).


132      Conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Wiener SI (C‑338/95, EU:C:1997:352, point 50).


133      Voir mes conclusions dans l’affaire Van Ameyde España (C‑923/19, EU:C:2021:125).


134      Pour reprendre la métaphore de l’avocat général Wahl, voir point 103 des présentes conclusions.


135      Comme cela a été proposé sous la dénomination « procédure dite du “feu vert” » ou par d’autres propositions de réforme de la procédure de renvoi préjudiciel – voir, par exemple, Due, O., « The Working Party Report », dans Dashwood, A., et Johnston, A. C., The Future of the Judicial System of the European Union, Hart, Oxford, 2001. D’un autre côté, cela ne s’oppose certainement pas à ce qu’une juridiction de renvoi procède ainsi si elle l’entend.


136      En ce sens, voir, également, conclusions de l’avocat général Wahl dans les affaires jointes X et van Dijk (C‑72/14 et C‑197/14, EU:C:2015:319, point 68).


137      Arrêt du 27 mars 1963 (28/62 à 30/62, EU:C:1963:6).


138      Points 13 et 14 de l’arrêt CILFIT.


139      Exposés au point 134 des présentes conclusions.


140      Parmi les arrêts examinés dans les présentes conclusions, ne peuvent qu’être opposés, d’une part, celui du 4 octobre 2018, Commission/France (Précompte mobilier) (C‑416/17, EU:C:2018:811), et, d’autre part, celui du 28 juillet 2016, Association France Nature Environnement (C‑379/15, EU:C:2016:603).


141      Pour une illustration, voir arrêt du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B. (C‑42/17, EU:C:2017:936).


142      Où le terme « clarification » tient en réalité de l’euphémisme pour « revirement de jurisprudence ».


143      Voir, déjà en ce sens, arrêt du 28 juillet 2016, Association France Nature Environnement (C‑379/15, EU:C:2016:603, point 53).


144      Walton, I., The Complete Angler, Gay & Bird, Londres, 1901, chapitre V.