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ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

27 juin 2022 (*)

« Référé – Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions de la Russie compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds – Demande de mesures provisoires – Défaut d’urgence – Mise en balance des intérêts »

Dans l’affaire T‑237/22 R,

Alisher Usmanov, demeurant à Tachkent (Ouzbékistan), représenté par Me J. Grand d’Esnon, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. A. Vitro et B. Driessen, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

1        Par sa demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE, le requérant, M. Alisher Usmanov, sollicite, en substance, le sursis à l’exécution, d’une part, de deux actes par lesquels les critères d’inscription sur la liste des personnes, entités et organismes faisant l’objet de mesures restrictives en raison de leur implication dans des actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ont été modifiés et, d’autre part, de deux actes par lesquels son nom a été ajouté sur cette liste. En particulier, le requérant sollicite, premièrement, à titre principal, le sursis à l’exécution de la décision (PESC) 2022/337 du Conseil, du 28 février 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 59, p. 1), en tant que cet acte le concerne, du règlement d’exécution (UE) 2022/336 du Conseil, du 28 février 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 58, p. 1), en tant que cet acte le concerne, de la décision (PESC) 2022/329 du Conseil, du 25 février 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 50, p. 1), et du règlement (UE) 2022/330 du Conseil, du 25 février 2022, modifiant le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 51, p. 1) (ci‑après, pris ensemble, les « actes attaqués ») ; deuxièmement, à titre subsidiaire, le sursis à l’exécution de la décision 2022/337 en tant que cet acte le concerne, du règlement d’exécution 2022/336 en tant que cet acte le concerne, de l’article 1er, paragraphe 2, sous f) et g), de la décision 2022/329 et de l’article 1er, paragraphe 1, sous f) et g), du règlement 2022/330 et, troisièmement, que le Conseil de l’Union européenne soit condamné à lui verser la somme de 20 000 euros au titre des frais qu’il a dû exposer pour la défense de ses intérêts.

 Antécédents du litige et conclusions des parties

2        Le 24 février 2022, la Fédération de Russie a agressé militairement l’Ukraine.

3        Ce même jour du 24 février 2022, le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité a publié une déclaration au nom de l’Union européenne condamnant avec la plus grande fermeté l’invasion non provoquée de l’Ukraine par les forces armées de la Fédération de Russie.

4        Lors de sa réunion extraordinaire du même jour, le Conseil européen a condamné l’intervention militaire de la Fédération de Russie en Ukraine tout en marquant son accord de principe pour l’adoption de mesures restrictives et sanctions économiques envers la Fédération de Russie au regard des propositions de la Commission européenne et du Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.

5        Le 25 février 2022, dans le sillage de ces déclarations, le Conseil a, eu égard à la gravité de la situation, décidé, par la décision 2022/329, de modifier les critères d’inscription sur la liste des personnes, entités et organismes visés de façon à inclure les personnes et entités qui apportaient un soutien au gouvernement de la Fédération de Russie ou qui tiraient avantage de ce gouvernement ainsi que les personnes et entités qui lui fournissaient une source substantielle de revenus et les personnes physiques ou morales associées aux personnes et entités figurant sur ladite liste .

6        À la même date, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement 2022/330 afin de mettre en œuvre les modifications apportées par la décision 2022/329.

7        Le 28 février 2022, le Conseil a adopté la décision 2022/337, par laquelle le nom du requérant a été ajouté sur la liste des personnes, entités et organismes faisant l’objet de mesures restrictives qui figurent à l’annexe de la décision 2014/145/PESC du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16).

8        Les motifs d’inscription du nom du requérant sur la liste des personnes, entités et organismes visés sont les suivants :

« Alisher Usmanov est un oligarque pro‑Kremlin qui entretient des liens particulièrement étroits avec le président russe Vladimir Poutine. Il a été désigné comme l’un des oligarques préférés de Vladimir Poutine. Il est considéré comme l’un des hommes d’affaires officiels de la Russie chargés de gérer les flux financiers mais dont la position dépend de la volonté du président. M. Usmanov aurait fait office de façade pour le président Poutine et résolu ses problèmes dans le domaine des affaires. Selon les fichiers du FinCEN, il a versé 6 millions de dollars à l’influent conseiller de Vladimir Poutine, Valentin Yumashev. Dmitry Medvedev, le vice‑président du conseil de sécurité de la Russie et ancien président et Premier ministre de la Russie, a bénéficié de l’utilisation personnelle de résidences luxueuses contrôlées par M. Usmanov.

Il a donc apporté un soutien matériel ou financier actif à des décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine. »

9        À la même date, le Conseil a adopté le règlement d’exécution 2022/336, par lequel le nom du requérant a été ajouté, avec la même motivation, à la liste qui figurait à l’annexe I du règlement (UE) no 269/2014 du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6).

10      Le 1er mars 2022, le Conseil a procédé à la publication au Journal officiel de l’Union européenne de l’avis à l’attention des personnes, entités et organismes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2014/145, modifiée par la décision 2022/337, et par le règlement no 269/2014, mis en œuvre par le règlement d’exécution 2022/336 (JO 2022, C 101, p. 4).

11      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 avril 2022, le requérant a introduit un recours tendant notamment à l’annulation des actes attaqués.

12      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, le requérant a introduit la présente demande en référé, dans laquelle il conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        à titre principal, ordonner le sursis à l’exécution de la décision 2022/337 et du règlement d’exécution 2022/336 en tant que ces actes le concernent, ainsi que de la décision 2022/329 et du règlement 2022/330 ;

–        à titre subsidiaire, ordonner le sursis à l’exécution de la décision 2022/337 et du règlement d’exécution 2022/336 en tant que ces actes le concernent, ainsi que de l’article 1er, paragraphe 2, sous f) et g), de la décision 2022/329 et de l’article 1er, paragraphe 1, sous f) et g), du règlement 2022/330 ;

–        condamner le Conseil à lui verser la somme de 20 000 euros au titre des frais qu’il a dû exposer pour la défense de ses intérêts.

13      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 16 mai 2022, le Conseil conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande comme étant manifestement non fondée ;

–        condamner le requérant aux dépens de l’instance.

 En droit

 Considérations générales

14      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 156 du règlement de procédure du Tribunal. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 12).

15      L’article 156, paragraphe 4, première phrase, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

16      Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision dans l’affaire principale. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21 et jurisprudence citée).

17      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [voir ordonnance du 19 juillet 2012, Akhras/Conseil, C‑110/12 P(R), non publiée, EU:C:2012:507, point 23 et jurisprudence citée].

18      Compte tenu des éléments du dossier, le président du Tribunal estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

19      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

 Sur la condition relative à l’urgence

20      Afin de vérifier si les mesures provisoires demandées sont urgentes, il convient de rappeler que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union. Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit, de manière générale, s’apprécier au regard de la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable (voir ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27 et jurisprudence citée).

21      C’est à la lumière de ces critères qu’il convient d’examiner si le requérant parvient à démontrer l’urgence.

22      En l’espèce, pour démontrer le caractère grave et irréparable du préjudice subi, le requérant soutient que les conséquences économiques des mesures restrictives introduites par la décision 2022/337 et le règlement d’exécution 2022/336 ne sont pas seulement gravement néfastes pour les activités des principales filiales d’USM, société holding fondée par lui, mais créent en plus des incertitudes importantes sur le développement de ces activités rendant impossible tout calcul objectif d’indemnisation a posteriori. Le requérant précise que le préjudice financier qu’il subira est irréparable, dès lors qu’il ne peut être quantifiable avec certitude. Selon lui, il ne s’agit pas seulement de pertes brutes, mais également d’une perte liée aux contrats et projets non réalisés, tant immédiatement que dans le futur, en raison des mesures restrictives prononcées contre lui.

23      En particulier, pour les trois principales filiales d’USM, le risque de faillite directement lié aux mesures restrictives prononcées serait réel et attesté par les études d’experts provenant des plus grandes sociétés d’audit internationalement reconnues. Premièrement, s’agissant de MegaFon, les mesures restrictives imposées à l’encontre du requérant auraient entraîné le retard de paiement d’un prêt bancaire qui pourrait entraîner un défaut croisé sur tous les autres prêts et, à long terme, cette société serait incapable d’éviter la faillite. Deuxièmement, s’agissant de Metalloinvest, la Deutsche Bank aurait suspendu ses opérations avec cette société et de nombreux fournisseurs d’équipements technologiques uniques auraient suspendu des contrats, ce qui créerait un risque que Metalloinvest ne soit pas en mesure de mener à bien plusieurs grands projets d’investissement. Ce risque entraînerait une perte de position sur le marché et une perte de clients dont le requérant n’est pas sûr que cette société puisse se relever. Troisièmement, s’agissant d’Udokan Copper, à la suite des mesures restrictives imposées au requérant, le principal fournisseur d’équipements technologiques uniques aurait suspendu le contrat en cours avec cette société et n’aurait pas livré une partie de l’équipement, des pièces de rechange, des logiciels et des services de supervision prévus. Si cette situation venait à perdurer, Udokan Copper ne serait pas en mesure de lancer sa production sans retard important et de rembourser ses prêts, ce qui pourrait entraîner des dommages de plus de 2,17 milliards d’euros et la faillite de cette société.

24      Dans ce contexte, le requérant conclut que les sanctions personnelles qui frappent son principal actionnaire peuvent remettre en cause l’existence même de certaines filiales d’USM. Ce ne serait pas simplement une perte momentanée de revenus qui risquerait de se produire. Il y aurait un risque réel que soit détruit un acteur économique majeur, destruction dont les conséquences ne pourraient ni être réparées ni être quantifiées et seraient susceptibles d’impacter la vie de centaines de milliers de salariés et de leur famille.

25      Le Conseil estime que le requérant ne démontre pas qu’il risquerait de subir un préjudice grave et irréparable en raison du gel de ses fonds.

26      En ce qui concerne, en premier lieu, l’argument du requérant selon lequel les mesures restrictives en cause vont entraîner des conséquences qui ne pourront ni être réparées ni être quantifiées, susceptibles d’impacter la vie de centaines de milliers de salariés et de leur famille, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 156, paragraphe 4, seconde phrase, du règlement de procédure, les demandes en référé « contiennent toutes les preuves et offres de preuves disponibles, destinées à justifier l’octroi des mesures provisoires ».

27      Or, en l’espèce, force est de constater que le requérant ne fournit pas de données permettant de comprendre le nombre d’emplois directement menacés à court terme, la date à laquelle les sociétés en cause appartenant à USM cesseraient de disposer des fonds nécessaires pour rémunérer leurs employés ainsi que les contours du plan social qu’elles seraient susceptibles de mettre en place, notamment en termes de possibilités de redéploiement ou de réembauche du personnel affecté.

28      Dès lors qu’il n’est pas possible d’apprécier si le préjudice invoqué par le requérant a une dimension sociale, il convient de conclure que ce préjudice est d’ordre purement financier.

29      À cet égard, en second lieu, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, en cas de préjudice d’ordre pécuniaire, une mesure provisoire se justifie s’il apparaît que, en l’absence de cette mesure, la partie qui la sollicite se trouvera dans une situation susceptible de mettre en péril sa viabilité financière, puisqu’elle ne disposera pas d’une somme devant normalement lui permettre de faire face à l’ensemble des dépenses indispensables pour assurer la satisfaction de ses besoins élémentaires jusqu’au moment où il sera statué sur le recours principal (voir ordonnance du 2 octobre 2019, FV/Conseil, T‑542/19 R, non publiée, EU:T:2019:718, point 43 et jurisprudence citée).

30      En outre, il résulte d’une jurisprudence bien établie qu’un préjudice d’ordre pécuniaire est considéré comme irréparable s’il ne peut pas être chiffré, c’est‑à‑dire lorsqu’il apparaît clairement, dès l’appréciation effectuée par le juge des référés, que le préjudice invoqué, compte tenu de sa nature et de son mode prévisible de survenance, ne sera pas susceptible d’être identifié et chiffré de manière adéquate s’il se produit et que, en pratique, un recours en indemnité au titre des articles 268 TFUE et 340 TFUE ne saurait par conséquent permettre de le réparer [voir ordonnance du 13 février 2014, Luxembourg Pamol (Cyprus) et Luxembourg Industries/Commission, T‑578/13 R, non publiée, EU:T:2014:103, point 90 et jurisprudence citée].

31      À cette fin, le juge des référés doit disposer d’indications concrètes et précises, étayées par des preuves documentaires détaillées et certifiées, qui démontrent la situation dans laquelle se trouve la partie sollicitant les mesures provisoires et permettent d’apprécier les conséquences qui résulteraient vraisemblablement de l’absence des mesures demandées. Il s’ensuit que ladite partie, notamment lorsqu’elle invoque la survenance d’un préjudice de nature financière, doit, en principe, produire, pièces à l’appui, une image fidèle et globale de sa situation financière (voir ordonnance du 10 juillet 2018, Synergy Hellas/Commission, T‑244/18 R, non publiée, EU:T:2018:422, point 27 et jurisprudence citée).

32      En l’espèce, il convient de vérifier si le requérant démontre à suffisance de droit que l’absence de mesures provisoires lui causera un préjudice pécuniaire de nature suffisamment grave et irréparable.

33      D’emblée, il convient de relever que les arguments du requérant visant à démontrer l’existence d’un préjudice de nature pécuniaire grave et irréparable reposent exclusivement sur sa situation financière en tant qu’homme d’affaires et, en particulier, sur la viabilité financière de certaines sociétés appartenant à USM dont le requérant est indirectement actionnaire et qui ne font pas l’objet de mesures restrictives individuelles de la part de l’Union.

34      En effet, au‑delà des conséquences économiques des mesures restrictives décidées à l’encontre du requérant pour les activités de certaines sociétés appartenant à USM, le requérant s’abstient de démontrer l’impact des mesures restrictives sur sa situation financière personnelle et de fournir, dans la demande en référé, la moindre donnée, notamment chiffrée, qui permettrait d’apprécier le caractère grave et irréparable du préjudice financier qu’il subirait immédiatement et qu’il craint de subir dans le futur en raison des mesures restrictives le concernant. Il ne fait, notamment, pas état des différentes catégories de ressources dont il peut disposer, ni de la nature et de la valeur des biens mobiliers et immobiliers qui lui appartiennent.

35      S’agissant de la situation financière du requérant en tant qu’homme d’affaires, c’est‑à‑dire en tant que propriétaire ou actionnaire de sociétés, il ressort de ses écritures, et notamment de l’annexe A.43 de la demande en référé, que, en 2014, celui‑ci a abandonné le contrôle d’USM et qu’il n’en garde qu’une part de 49 %, qui ne lui en donne pas le contrôle.

36      Partant, le requérant ne détenant pas une participation majoritaire dans USM, il ne saurait être considéré que cette dernière, qui détient le contrôle des trois filiales mentionnées ci‑dessus au point 23 ci-dessus, est sa propriété exclusive.

37      Il en découle que le préjudice invoqué par le requérant ne concerne que la viabilité financière d’entités juridiques distinctes dont il ne détient pas le contrôle.

38      Or, à cet égard, il y a lieu de relever, premièrement, que le préjudice grave et irréparable allégué, que le sursis à l’exécution de la décision attaquée a pour objet d’éviter, ne peut être pris en compte par le juge des référés, dans le cadre de son examen de la condition relative à l’urgence, que dans la mesure où il est susceptible d’être occasionné aux intérêts de la partie qui sollicite la mesure provisoire. Il s’ensuit que les dommages que l’exécution de la décision attaquée est susceptible de causer à une partie autre que celle sollicitant la mesure provisoire ne peuvent être pris en considération, le cas échéant, par le juge des référés que dans le cadre de la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 22 juillet 2021, Aloe Vera of Europe/Commission, T‑189/21 R, non publiée, EU:T:2021:487, point 55 et jurisprudence citée).

39      Dans le cadre de l’examen de la viabilité financière du requérant en tant qu’homme d’affaires, il y a toutefois lieu de relever, compte tenu des intérêts financiers découlant de sa participation, certes importante, mais pas de nature à lui en donner le contrôle, dans USM, que, si, sur la base de ces rapports, il peut être constaté que certains clients, fournisseurs ou banques, partenaires commerciaux des filiales d’USM ont décidé de mettre fin ou de suspendre la coopération avec elles et que, en conséquence, une telle situation est susceptible de provoquer, à terme, l’effondrement financier de ces sociétés, le requérant n’est pas en mesure de démontrer qu’il y a un lien de causalité directe entre la situation financière de ces filiales et l’inscription de son nom sur la liste des personnes, entités et organismes faisant l’objet de mesures restrictives en cause.

40      En effet, il ressort de la lecture de ces rapports, en particulier des pages 1229, 1330, 1354 et 1358 des annexes de la demande en référé, que ce qui a spécifiquement déclenché la décision de mettre fin ou de suspendre la coopération avec ces filiales n’apparaît pas clairement et qu’une grande partie des notifications effectuées par leurs partenaires commerciaux se référaient de façon générale aux sanctions imposées à la Fédération de Russie.

41      Par conséquent, force est de constater que la décision des partenaires commerciaux des filiales d’USM de mettre fin ou de suspendre la coopération avec celles-ci ne se rattache pas nécessairement aux actes attaqués, mais semble plutôt découler d’une combinaison de facteurs, tels que la guerre en cours ou le retrait volontaire de beaucoup d’acteurs économiques du marché russe, sans qu’ils y soient obligés pour autant par des mesures restrictives, ou par la perspective de mesures futures.

42      Or, selon une jurisprudence constante, en cas de demande de sursis à l’exécution d’un acte de l’Union, l’octroi de la mesure provisoire sollicitée n’est justifié que si l’acte en question constitue la cause déterminante du préjudice grave et irréparable allégué (voir ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 45 et jurisprudence citée).

43      Deuxièmement, s’agissant de l’argument du requérant selon lequel les conséquences économiques des mesures restrictives en cause créent des incertitudes importantes sur le développement des activités des trois principales filiales d’USM, rendant impossible tout calcul objectif d’une indemnisation ultérieure, il y a lieu de constater que, comme il ressort des écritures, notamment des annexes A.43 et A.45 de la demande en référé, le requérant a lui‑même fourni, dans les rapports d’audit relatifs aux conséquences économiques des mesures restrictives décidées par le Conseil sur MegaFon, d’une part, et sur Metalloinvest et sur Udokan Copper, d’autre part, une évaluation de l’impact de ces mesures restrictives sur la performance financière de ces sociétés. En particulier, ces rapports présentent notamment des données chiffrées concernant l’impact négatif estimé sur le chiffre d’affaires prévu pour 2022 de ces sociétés, les dommages futurs et potentiels, les dommages liés à la perte de revenus et à l’échec de la réalisation de certains projets et du lancement de la production ainsi que le montant total de la dette exposée au risque de défaut et de défaut croisé.

44      Par conséquent, il ne ressort pas des écritures du requérant que, compte tenu de la nature et du mode prévisible de survenance de son préjudice, ce dernier ne sera pas susceptible d’être identifié et chiffré de manière adéquate s’il se produit et que, en pratique, un recours en indemnité ne saurait par conséquent permettre de le réparer, au sens de la jurisprudence citée au point 30 ci‑dessus. Bien au contraire, le requérant présente un certain nombre d’éléments comptables permettant, à première vue, non seulement l’identification, mais également la quantification dudit préjudice de manière adéquate.

45      Troisièmement, pour démontrer l’existence d’un préjudice grave et irréparable causé par les actes attaqués, le requérant se réfère à trois filiales d’USM, sans préciser pour autant si cette société holding elle‑même ou d’autres sociétés lui appartenant seraient en mesure de venir en aide aux trois filiales si celles-‑ci devaient subir les difficultés dont le requérant fait état. Or, selon la jurisprudence mentionnée au point 31 ci‑dessus, il appartient au requérant de donner une image fidèle du groupe de sociétés contrôlées par USM.

46      Il s’ensuit que le requérant n’a établi ni le caractère grave ni le caractère irréparable du préjudice allégué.

47      Au regard de ce qui précède, il ressort que le requérant n’a pas démontré que la condition relative à l’urgence était remplie.

48      Cette solution est cohérente avec la mise en balance des différents intérêts en présence.

 Sur la mise en balance des intérêts

49      Il est de jurisprudence bien établie que, dans le cadre de la mise en balance des différents intérêts en présence, le juge des référés doit déterminer, notamment, si l’intérêt de la partie qui sollicite le sursis à exécution à en obtenir l’octroi prévaut ou non sur l’intérêt que présente l’application immédiate de l’acte attaqué, en examinant, plus particulièrement, si l’annulation éventuelle de cet acte par le juge du fond permettrait le renversement de la situation qui aurait été provoquée par son exécution immédiate et, inversement, si le sursis à l’exécution dudit acte serait de nature à faire obstacle à son plein effet, au cas où le recours principal serait rejeté (voir ordonnance du 11 mars 2013, Iranian Offshore Engineering & Construction/Conseil, T‑110/12 R, EU:T:2013:118, point 33 et jurisprudence citée).

50      Il convient donc d’examiner si les intérêts du requérant à obtenir la suspension immédiate des actes attaquées prévalent sur ceux poursuivis par le Conseil par l’adoption de ces actes.

51      S’agissant des intérêts poursuivis par le Conseil, le considérant 10 de la décision 2022/329 rappelle que le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité a publié une déclaration au nom de l’Union condamnant avec la plus grande fermeté l’invasion non provoquée de l’Ukraine par les forces armées de la Fédération de Russie ainsi que l’implication de la Biélorussie dans cette agression. Il a également indiqué que la riposte de l’Union comprendrait des mesures restrictives à la fois sectorielles et individuelles. En outre, la décision 2022/337 indique, à son considérant 11, que, par ses actions militaires illégales, la Fédération de Russie viole de façon flagrante le droit international et les principes de la charte des Nations unies et porte atteinte à la sécurité et à la stabilité européennes et mondiales.

52      Il s’agit ainsi d’intérêts publics qui visent à protéger la sécurité et la stabilité européennes et s’insèrent dans une stratégie globale, laquelle vise à mettre un terme, aussi vite que possible, à l’agression subie par l’Ukraine.

53      Dès lors que les mesures restrictives en cause visent à contrer efficacement les capacités de la Russie à poursuivre l’agression subie par l’Ukraine, la suspension immédiate des actes attaqués risquerait de compromettre la poursuite par l’Union des objectifs, notamment pacifiques, qu’elle s’est assignés conformément à l’article 3, paragraphes 1 et 5, TUE, au prix, chaque jour, de dommages matériels et immatériels irréparables.

54      En revanche, les intérêts dont se prévaut le requérant se réfèrent aux conséquences des mesures restrictives en cause sur la viabilité financière de trois filiales détenues par une société holding. Il s’agit ainsi d’intérêts privés découlant du gel de ses avoirs.

55      Or, à cet égard, il convient de noter que les mesures restrictives en cause présentent, par nature, un caractère réversible et limité dans le temps. En effet, conformément à l’article 6, deuxième alinéa, de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision (PESC) 2022/411 du Conseil, du 10 mars 2022 (JO 2022, L 84, p. 28), cette décision est applicable jusqu’au 15 septembre 2022.

56      De plus, dans l’hypothèse où le requérant obtiendrait gain de cause par l’annulation des actes attaqués dans la procédure au fond, le préjudice qu’il aura éventuellement subi du fait de l’atteinte portée à ses intérêts pourra faire l’objet d’une évaluation et d’une réparation ou compensation ultérieure.

57      Il s’ensuit que la balance des intérêts en cause penche en faveur du Conseil.

58      En conséquence, la demande en référé doit être rejetée, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur l’existence d’un fumus boni juris.

59      En vertu de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens.


Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 27 juin 2022.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : le français.