Language of document : ECLI:EU:C:2022:672

ORDONNANCE DE LA COUR (neuvième chambre)

8 septembre 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, et article 94 du règlement de procédure de la Cour – Exigence de présentation du contexte factuel et réglementaire du litige au principal ainsi que des raisons justifiant la nécessité d’une réponse à la question préjudicielle – Absence de précisions suffisantes – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire C‑56/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le tribunal de première instance de Liège (Belgique), par décision du 14 janvier 2022, parvenue à la Cour le 28 janvier 2022, dans la procédure

PL

contre

État belge,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de M. S. Rodin, président de chambre, M. C. Lycourgos (rapporteur) et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant PL à l’État belge, au sujet du rejet de sa demande de titre de séjour.

 Le cadre juridique

3        L’article 94 du règlement de procédure de la Cour dispose :

« Outre le texte des questions posées à la Cour à titre préjudiciel, la demande de décision préjudicielle contient :

a)      un exposé sommaire de l’objet du litige ainsi que des faits pertinents, tels qu’ils ont été constatés par la juridiction de renvoi ou, à tout le moins, un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées ;

b)      la teneur des dispositions nationales susceptibles de s’appliquer en l’espèce et, le cas échéant, la jurisprudence nationale pertinente ;

c)      l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

4        Le 12 octobre 2010, PL, ressortissante d’un pays tiers, a introduit une demande de protection internationale en Belgique.

5        Le 4 juillet 2012, le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (Belgique, ci-après le « CGRA ») lui a refusé le statut de réfugiée et le bénéfice de la protection subsidiaire. Le 25 juillet 2012, un ordre de quitter le territoire a été adopté à l’égard de PL.

6        Cette dernière a introduit des recours contre ces décisions devant le Conseil du contentieux des étrangers (Belgique, ci-après le « CCE »).

7        Le 27 août 2012, PL a été mise en possession d’un « document spécial de séjour » l’autorisant à rester sur le territoire belge jusqu’à ce qu’il soit statué sur son recours contre la décision lui ayant refusé le bénéfice de la protection internationale.

8        Le 13 septembre 2012, PL a, par ailleurs, introduit une demande d’autorisation de séjour sur la base de l’article 9 bis de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (Moniteur belge du 31 décembre 1980, p. 14584), dans sa version en vigueur au litige au principal (ci-après la « loi du 15 décembre 1980 »).

9        Le 31 décembre 2012, le CCE a rejeté le recours contre la décision du CGRA ayant refusé à PL le bénéfice de la protection internationale. PL s’est, dès lors, vu retirer son autorisation de rester sur le territoire belge, mentionnée au point 7 de la présente ordonnance.

10      Le 18 mars 2013, la demande d’autorisation de séjour, introduite sur le fondement de l’article 9 bis de la loi du 15 décembre 1980, a été déclarée irrecevable.

11      Le 21 mars 2013, le CCE a rejeté le recours contre l’ordre de quitter le territoire mentionné au point 5 de la présente ordonnance. Le 27 mars 2013, un nouvel ordre de quitter le territoire a été adopté à l’égard de PL.

12      Le 29 mai 2013, PL a introduit un recours en suspension et en annulation contre la décision, visée au point 10 de la présente ordonnance, ayant déclaré irrecevable sa demande d’autorisation de séjour, sur le fondement de l’article 9 bis de la loi du 15 décembre 1980. Le 2 septembre 2019, ce recours a été rejeté par le CCE. Le pourvoi introduit par PL devant le Conseil d’État (Belgique) contre cet arrêt du CCE a, quant à lui, été rejeté le 10 juin 2021.

13      Le 26 juillet 2021, PL a saisi la juridiction de renvoi, le tribunal de première instance de Liège (Belgique), en faisant valoir, notamment, que le refus des autorités belges de rendre publics les critères de régularisation de séjour était incompatible avec le droit de l’Union.

14      En premier lieu, cette juridiction résume les arguments que PL fait valoir à l’appui de son recours devant elle.

15      Ainsi, d’une part, PL estime que l’article 9 bis de la loi du 15 décembre 1980 transpose dans le droit belge la faculté, laissée aux États membres par l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2008/115, d’accorder un titre de séjour autonome pour des motifs charitables, humanitaires ou autres à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire. La directive 2008/115 autorisant ainsi une décision de non-retour, les principes établis par cette directive s’appliqueraient à une telle décision, et notamment ceux prévus à l’article 12 de cette directive, en vertu duquel les décisions prises doivent indiquer les motifs de fait et de droit, ainsi que ceux découlant du considérant 6 de ladite directive, qui impose de façon transversale de tenir compte de critères objectifs.

16      D’autre part, PL estime que la faute de l’État belge doit être appréciée au regard tant du fait que la législation belge n’a prévu aucun critère objectif de régularisation, ce qui est incompatible avec cette exigence d’objectivité, que du refus du Conseil d’État de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle avant de rendre son arrêt du 10 juin 2021, mentionné au point 12 de la présente ordonnance, en méconnaissance de l’article 267, troisième alinéa, TFUE.

17      En second lieu, la juridiction de renvoi souligne que l’État belge fait sien, devant elle, le raisonnement développé par le Conseil d’État à l’appui de cet arrêt, au terme duquel cette juridiction a décidé que la directive 2008/115 ne régissait pas les conditions ou les modalités d’introduction d’une demande d’autorisation de séjour et qu’il n’y avait pas lieu d’interroger la Cour.

18      La juridiction de renvoi estime qu’il appartient à la Cour de déterminer si le droit de l’Union s’applique et, dans l’affirmative, s’il a été violé.

19      Dans ces conditions, le tribunal de première instance de Liège a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Le droit de l’Union, essentiellement les dispositions de la [charte des droits fondamentaux de l’Union européenne] et de la directive [2008/115], s’applique-t-il à une pratique d’un État membre lui permettant de régulariser sur place un étranger s’y trouvant en séjour illégal ? Si oui, les articles 5, 6 et 13 de la directive [2008/115], lus en conformité avec ses considérants 6 et 24, ainsi que les articles 1er, 7, 14, 20, 21, 24 et 47 de la [charte des droits fondamentaux] doivent-ils être interprétés en ce sens que, lorsqu’un État membre envisage d’accorder un titre de séjour autonome ou une autre autorisation conférant un droit de séjour pour des motifs charitables, humanitaires ou autres à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur son territoire, il puisse, d’une part, exiger dudit ressortissant qu’il prouve au préalable l’impossibilité d’introduire sa demande dans son pays d’origine, et, d’autre part, ne pas énoncer dans sa législation les conditions et critères, a fortiori objectifs, permettant de justifier de ces motifs charitables, humanitaires ou autres (que ce soit sur le plan de la recevabilité, en exigeant la démonstration de circonstances exceptionnelles sans les définir ou sur le plan du fond en ne prévoyant aucun critère objectif permettant de définir les motifs, notamment humanitaires, justifiant une autorisation de séjour) ce qui rend imprévisible, voire arbitraire, la réponse à une telle demande ? Dans le cas où ces critères peuvent ne pas être prévus par la législation, en cas de refus, le droit à un recours effectif n’est-il pas mis à mal par le fait que le seul recours organisé est de stricte légalité à l’exclusion de toute considération d’opportunité ? »

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

20      En vertu de l’article 53, paragraphe 2, de son règlement de procédure, lorsqu’une demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

21      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

22      Selon une jurisprudence constante de la Cour, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 44 ainsi que jurisprudence citée).

23      Dès lors que la décision de renvoi sert de fondement à cette procédure, la juridiction nationale est tenue d’expliciter, dans la décision de renvoi elle-même, le cadre factuel et réglementaire du litige au principal et de fournir les explications nécessaires sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont elle demande l’interprétation ainsi que sur le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige qui lui est soumis [voir en ce sens, notamment, arrêt du 4 juin 2020, C. F. (Contrôle fiscal), C‑430/19, EU:C:2020:429, point 23 et jurisprudence citée].

24      À cet égard, il importe de souligner également que les informations contenues dans les décisions de renvoi doivent permettre, d’une part, à la Cour d’apporter des réponses utiles aux questions posées par la juridiction nationale et, d’autre part, aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres intéressés d’exercer le droit qui leur est conféré par l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne de présenter des observations. Il incombe à la Cour de veiller à ce que ce droit soit sauvegardé, compte tenu du fait que, en vertu de cette disposition, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux intéressés (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, Irish Ferries, C‑570/19, EU:C:2021:664, point 134 et jurisprudence citée).

25      Ces exigences cumulatives concernant le contenu d’une décision de renvoi figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure, dont la juridiction de renvoi est censée, dans le cadre de la coopération instaurée à l’article 267 TFUE, avoir connaissance et qu’elle est tenue de respecter scrupuleusement (ordonnance du 3 juillet 2014, Talasca, C‑19/14, EU:C:2014:2049, point 21, et arrêt du 9 septembre 2021, Toplofikatsia Sofia e.a., C‑208/20 et C‑256/20, EU:C:2021:719, point 20 ainsi que jurisprudence citée). Elles sont, en outre, rappelées aux points 13, 15 et 16 des recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1).

26      En l’occurrence, la décision de renvoi ne répond manifestement pas aux exigences posées à l’article 94, sous a) à c), du règlement de procédure.

27      En effet, l’exposé, dans la décision de renvoi, de l’objet du litige dont la juridiction nationale est saisie est trop lacunaire pour permettre à la Cour de comprendre l’enjeu du litige dans le cadre duquel elle est appelée à rendre sa décision préjudicielle.

28      En outre, la décision de renvoi ne comporte pas une description suffisamment précise du cadre juridique national dans lequel s’inscrit le litige dont la juridiction nationale est saisie. À cet égard, il convient, plus particulièrement, de relever que la demande de décision préjudicielle ne reproduit pas la teneur de l’article 9 bis de la loi du 15 décembre 1980.

29      Enfin, la décision de renvoi ne comporte pas l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation de la directive 2008/115, cette juridiction se limitant, d’une part, à synthétiser les arguments des parties au principal et à constater que ces parties s’opposent quant à l’application du droit de l’Union en l’occurrence et aux conséquences à en tirer et, d’autre part, à reproduire la question proposée par la partie défenderesse au principal. Cette demande  n’expose pas davantage le lien qui, selon la juridiction de renvoi, existerait entre cette directive et la législation nationale applicable au litige au principal, de sorte que la Cour ne peut pas apprécier dans quelle mesure une réponse à la question posée est nécessaire pour permettre à cette juridiction de rendre sa décision.

30      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la présente demande de décision préjudicielle est, en application de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, manifestement irrecevable.

31      Il convient cependant de rappeler que la juridiction de renvoi conserve la faculté de soumettre une nouvelle demande de décision préjudicielle en fournissant à la Cour l’ensemble des éléments permettant à celle-ci de statuer (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2019, Călin, C‑676/17, EU:C:2019:700, point 41 et jurisprudence citée).

 Sur les dépens

32      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) ordonne :

La demande de décision préjudicielle introduite par le tribunal de première instance de Liège (Belgique), par décision du 14 janvier 2022, est manifestement irrecevable.

Signatures


*      Langue de procédure : le français.