Language of document : ECLI:EU:C:2023:4

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

12 janvier 2023 (*)

« Renvoi préjudiciel – Règlement (UE) no 604/2013 – Détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale – Introduction de multiples demandes de protection internationale dans trois États membres – Article 29 – Délai de transfert – Expiration – Transfert de la responsabilité de l’examen de la demande – Article 27 – Voie de recours – Étendue du contrôle juridictionnel – Possibilité pour le demandeur d’invoquer le transfert de responsabilité de l’examen de la demande »

Dans les affaires jointes C‑323/21, C‑324/21 et C‑325/21,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas), par décisions du 19 mai 2021, parvenues à la Cour le 25 mai 2021, dans les procédures

Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid

contre

B (C‑323/21),

F (C‑324/21),

et

K

contre

Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (C‑325/21),


LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, M. L. Bay Larsen (rapporteur), vice‑président de la Cour, MM. P. G. Xuereb, A. Kumin et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : Mme V. Giacobbo, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 5 mai 2022,

considérant les observations présentées :

–        pour B, par Me P. J. J. A. Hendriks, advocaat,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman, M. H. S. Gijzen et A. Hanje, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement français, par Mme A.-L. Desjonquères et M. J. Illouz, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. D. G. Pintus, avvocato dello Stato,

–        pour le gouvernement suisse, par M. S. Lauper et Mme N. Marville‑Dosen, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme C. Cattabriga et M. S. Noë, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 septembre 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 27, paragraphe 1, et de l’article 29, paragraphe 2, du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31, ci‑après le « règlement Dublin III »).

2        Ces demandes de décision préjudicielle ont été présentées dans le cadre de litiges opposant, d’une part, le Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (secrétaire d’État à la Justice et à la Sécurité, Pays-Bas) (ci‑après le « secrétaire d’État ») respectivement à B et à F, ressortissants de pays tiers, et, d’autre part, K, également ressortissant de pays tiers, au secrétaire d’État au sujet de décisions adoptées par ce dernier tendant, d’une part, à écarter sans examen les demandes de protection internationale introduites par B et K ainsi qu’à transférer ceux-ci vers l’Italie et, d’autre part, à placer F en rétention à des fins d’éloignement.

 Le cadre juridique

3        Les considérants 4, 5 et 19 du règlement Dublin III énoncent :

« (4)      Les conclusions [du Conseil européen, lors de sa réunion spéciale] de Tampere [les 15 et 16 octobre 1999,] ont également précisé que le [régime d’asile européen commun (RAEC)] devrait comporter à court terme une méthode claire et opérationnelle pour déterminer l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile.

(5)      Une telle méthode devrait être fondée sur des critères objectifs et équitables tant pour les États membres que pour les personnes concernées. Elle devrait, en particulier, permettre une détermination rapide de l’État membre responsable afin de garantir un accès effectif aux procédures d’octroi d’une protection internationale et ne pas compromettre l’objectif de célérité dans le traitement des demandes de protection internationale.

[...]

(19)      Afin de garantir une protection efficace des droits des personnes concernées, il y a lieu d’instaurer des garanties juridiques et le droit à un recours effectif à l’égard de décisions de transfert vers l’État membre responsable conformément, notamment, à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Afin de garantir le respect du droit international, un recours effectif contre de telles décisions devrait porter à la fois sur l’examen de l’application du présent règlement et sur l’examen de la situation en fait et en droit dans l’État membre vers lequel le demandeur est transféré. »

4        L’article 3, paragraphe 1, de ce règlement dispose :

« Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l’un quelconque d’entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. »

5        L’article 18, paragraphe 1, dudit règlement prévoit :

« L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de :

[...]

b)      reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ;

c)      reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29 le ressortissant de pays tiers ou l’apatride qui a retiré sa demande en cours d’examen et qui a présenté une demande dans un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ;

d)      reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre. »

6        L’article 20, paragraphe 5, du même règlement est ainsi rédigé :

« L’État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite pour la première fois est tenu, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, et en vue d’achever le processus de détermination de l’État membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale, de reprendre en charge le demandeur qui se trouve dans un autre État membre sans titre de séjour ou qui y introduit une demande de protection internationale après avoir retiré sa première demande présentée dans un autre État membre pendant le processus de détermination de l’État membre responsable. »

7        L’article 23, paragraphes 1 à 3, du règlement Dublin III dispose :

« 1.      Lorsqu’un État membre auprès duquel une personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), a introduit une nouvelle demande de protection internationale estime qu’un autre État membre est responsable conformément à l’article 20, paragraphe 5, et à l’article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne.

2.      Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac (“hit”) [...]

Si la requête aux fins de reprise en charge est fondée sur des éléments de preuve autres que des données obtenues par le système Eurodac, elle est envoyée à l’État membre requis dans un délai de trois mois à compter de la date d’introduction de la demande de protection internationale [...]

3.      Lorsque la requête aux fins de reprise en charge n’est pas formulée dans les délais fixés au paragraphe 2, c’est l’État membre auprès duquel la nouvelle demande est introduite qui est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. »

8        Aux termes de l’article 24, paragraphe 1, de ce règlement :

« Lorsqu’un État membre sur le territoire duquel une personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), se trouve sans titre de séjour et auprès duquel aucune nouvelle demande de protection internationale n’a été introduite estime qu’un autre État membre est responsable conformément à l’article 20, paragraphe 5, et à l’article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne. »

9        L’article 27, paragraphe 1, dudit règlement est libellé comme suit :

« Le demandeur ou une autre personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point c) ou d), dispose d’un droit de recours effectif, sous la forme d’un recours contre la décision de transfert ou d’une révision, en fait et en droit, de cette décision devant une juridiction. »

10      L’article 29, paragraphes 1 et 2, du même règlement prévoit :

« 1.      Le transfert du demandeur [...] de l’État membre requérant vers l’État membre responsable s’effectue conformément au droit national de l’État membre requérant, après concertation entre les États membres concernés, dès qu’il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l’acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l’effet suspensif est accordé [...]

[...]

2.      Si le transfert n’est pas exécuté dans le délai de six mois, l’État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l’État membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s’il n’a pas pu être procédé au transfert en raison d’un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. »

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

 L’affaire C323/21

11      Le 3 juillet 2017, B a introduit une demande de protection internationale en Allemagne. Les autorités allemandes ont présenté aux autorités italiennes une requête aux fins de reprise en charge de B au motif que celui-ci avait antérieurement sollicité cette protection en Italie. Le 4 octobre 2017, les autorités italiennes ont accepté cette requête, ce qui a fait courir un délai de six mois pour transférer B vers l’Italie. Ce délai a, par la suite, été prolongé jusqu’au 4 avril 2019 en raison de la fuite de B.

12      Le 17 février 2018, B a introduit une demande de protection internationale aux Pays-Bas. Le secrétaire d’État a présenté, le 17 mars 2018, aux autorités italiennes une requête aux fins de reprise en charge de B. Le 1er avril 2018, les autorités italiennes ont accepté cette requête. Le secrétaire d’État a, par lettre du 29 juin 2018, informé ces autorités que B avait pris la fuite, ce qui, selon le secrétaire d’État, impliquait une prolongation du délai de transfert jusqu’au 1er octobre 2019.

13      Le 9 juillet 2018, B a introduit une seconde demande de protection internationale en Allemagne. Les autorités allemandes ont adopté, le 14 septembre 2018, une décision au titre du règlement Dublin III, laquelle n’a pas fait l’objet d’un recours.

14      Le 27 décembre 2018, B a introduit une seconde demande de protection internationale aux Pays-Bas. Par décision du 8 mars 2019, le secrétaire d’État a écarté cette demande sans l’examiner au motif que la République italienne demeurait l’État membre responsable de l’examen de celle-ci.

15      Le 29 avril 2019, B a été transféré vers l’Italie.

16      B a introduit un recours contre la décision du secrétaire d’État du 8 mars 2019 devant le tribunal compétent. Par jugement du 12 juin 2019, ce tribunal a accueilli ce recours et annulé cette décision au motif que la République fédérale d’Allemagne était devenue, le 4 avril 2019, l’État membre responsable en raison de l’expiration du délai de transfert prévu à l’article 29 du règlement Dublin III.

17      Le secrétaire d’État a interjeté appel de ce jugement devant le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas), qui est la juridiction de renvoi. Il a notamment fait valoir, à l’appui de cet appel, d’une part, que le calcul du délai de transfert devrait être opéré au regard de la relation entre le Royaume des Pays-Bas et la République italienne et, d’autre part, qu’un nouveau délai de transfert avait commencé à courir à l’égard de la République fédérale d’Allemagne à la date à laquelle B avait introduit une demande de protection internationale aux Pays-Bas.

18      La juridiction de renvoi relève qu’il est constant que la République italienne était l’État membre responsable au jour de l’introduction de la seconde demande de protection internationale de B aux Pays-Bas, à savoir le 27 décembre 2018. Elle souligne, en revanche, que les parties au principal s’opposent sur une éventuelle expiration du délai de transfert, le 4 avril 2019, au terme d’une durée de 18 mois, écoulée à compter de l’acceptation par la République italienne de la première requête aux fins de reprise en charge, à savoir la requête formulée à ces fins par les autorités allemandes.

19      En l’occurrence, il aurait existé en même temps deux « accords valables » aux fins de la reprise en charge avec deux délais de transfert différents, ce qui impliquerait qu’il soit nécessaire de préciser le rapport entre ces deux délais. À cette fin, il conviendrait de déterminer si le premier État membre ayant formulé une requête aux fins de reprise en charge, à savoir la République fédérale d’Allemagne, doit encore être considéré comme étant l’« État membre requérant », au sens de l’article 29, paragraphe 2, du règlement Dublin III, ou si cette qualité doit être réservée au dernier État membre ayant formulé une telle requête, à savoir le Royaume des Pays-Bas. Si la seconde interprétation devait être retenue, la juridiction de renvoi se demande si ce dernier État membre est lié, d’une quelconque façon, par le délai de transfert qui s’impose au premier État membre.

20      Dans ces conditions, le Raad van State (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      a)      La notion d’“État membre requérant” visée à l’article 29, paragraphe 2, du règlement [Dublin III] doit-elle être interprétée en ce sens que, par ces termes, il faut entendre l’État membre (en l’espèce le troisième État membre, à savoir le Royaume des Pays-Bas) qui a présenté le dernier, auprès d’un autre État membre, une requête aux fins de reprise ou de prise en charge ?

b)      Si la réponse est négative, la circonstance qu’un accord aux fins de la reprise en charge a été conclu antérieurement entre deux États membres (en l’espèce la République fédérale d’Allemagne et la République italienne) a-t-elle alors encore des conséquences pour les obligations juridiques du troisième État membre (en l’espèce le Royaume des Pays‑Bas) au titre du règlement [Dublin III] à l’égard de l’étranger ou bien des États membres concernés par cet accord et, dans l’affirmative, lesquelles ?

2)      Si la première question appelle une réponse affirmative, l’article 27, paragraphe 1, du règlement [Dublin III], lu au regard du considérant 19 de ce règlement, doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que, dans le cadre d’une voie de recours contre une décision de transfert, un demandeur de protection internationale fasse valoir avec succès que ce transfert ne peut pas avoir lieu parce que le délai pour un transfert convenu antérieurement entre deux États membres (en l’espèce la République fédérale d’Allemagne et la République italienne) a expiré ? »

 L’affaire C324/21

21      Le 24 novembre 2017, F a introduit une demande de protection internationale aux Pays-Bas. Le secrétaire d’État a présenté aux autorités italiennes une requête aux fins de reprise en charge de F au motif que celui-ci avait antérieurement sollicité cette protection en Italie. Le 19 décembre 2017, les autorités italiennes ont accepté cette requête, ce qui a fait courir un délai de six mois pour transférer F vers l’Italie. Le secrétaire d’État a, par lettre du 12 avril 2018, informé ces autorités que F avait pris la fuite, ce qui impliquait une prolongation du délai de transfert jusqu’au 19 juin 2019.

22      Le 29 mars 2018, F a introduit une demande de protection internationale en Allemagne. Les suites éventuellement données à cette demande ne sont pas connues de la juridiction de renvoi.

23      Le 30 septembre 2018, F a introduit une seconde demande de protection internationale aux Pays-Bas. Par décision du 31 janvier 2019, le secrétaire d’État a écarté cette demande sans l’examiner au motif que la République italienne demeurait l’État membre responsable de l’examen de celle-ci.

24      Après avoir quitté le centre de demandeurs d’asile dans lequel il était hébergé aux Pays-Bas, F a été interpellé puis placé en rétention, par une décision du secrétaire d’État du 1er juillet 2019, en vue de son transfert vers l’Italie.

25      F a introduit un recours contre cette décision devant le tribunal compétent. Par jugement du 16 juillet 2019, ce tribunal a accueilli ce recours et annulé ladite décision au motif que le Royaume des Pays-Bas était devenu, le 19 juin 2019, l’État membre responsable en raison de l’expiration du délai de transfert de F vers l’Italie.

26      Le secrétaire d’État a interjeté appel de ce jugement devant le Raad van State (Conseil d’État), qui est la juridiction de renvoi. À l’appui de cet appel, il a notamment fait valoir que le Royaume des Pays-Bas disposait d’un nouveau délai pour transférer F vers l’Italie, délai qui avait commencé à courir à compter de la date de l’introduction par F d’une demande de protection internationale en Allemagne. Par conséquent, il a considéré que la République italienne demeurait l’État membre responsable.

27      La juridiction de renvoi relève qu’il est constant que la République italienne devait être considérée comme étant l’État membre responsable à tout le moins jusqu’au 19 juin 2019.

28      Elle s’interroge toutefois, au regard de l’argumentation avancée par le secrétaire d’État, sur la pertinence que pourrait revêtir la circonstance que, avant l’expiration du délai de transfert de F vers l’Italie, ce dernier a introduit une nouvelle demande de protection internationale dans un autre État membre.

29      Dans ces conditions, le Raad van State (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 29 du règlement [Dublin III] doit-il être interprété en ce sens qu’un délai de transfert en cours tel que visé à [cet] article 29, paragraphes 1 et 2, prend à nouveau cours au moment où, après avoir entravé le transfert par un État membre en prenant la fuite, l’étranger introduit dans un autre État membre (en l’espèce un troisième État membre) une nouvelle demande de protection internationale ? »

 L’affaire C325/21

30      Le 6 septembre 2018, K a introduit une demande de protection internationale en France. Les autorités françaises ont présenté aux autorités autrichiennes une requête aux fins de reprise en charge de K au motif que celui-ci avait antérieurement sollicité cette protection en Autriche. Le 4 octobre 2018, les autorités autrichiennes ont accepté cette requête, ce qui a fait courir un délai de six mois pour transférer K vers l’Autriche. K a, par la suite, pris la fuite et n’a pas été transféré vers l’Autriche.

31      Le 27 mars 2019, K a introduit une demande de protection internationale aux Pays-Bas. Le secrétaire d’État a présenté, le 3 mai 2018, aux autorités autrichiennes une requête aux fins de reprise en charge de K. Le 10 mai 2019, ces autorités ont rejeté cette requête au motif que la République française, n’ayant pas informé la République d’Autriche que le transfert de K ne pourrait pas avoir lieu dans un délai de six mois, était, depuis le 4 avril 2019, date de l’expiration du délai de transfert de K vers l’Autriche, l’État membre responsable de l’examen de la demande de K.

32      Le 20 mai 2019, le secrétaire d’État a présenté aux autorités françaises une requête aux fins de reprise en charge de K. Ces autorités ont rejeté cette requête au motif que le délai de transfert de six mois vers l’Autriche n’avait pas encore expiré au jour de l’introduction, par K, d’une demande de protection internationale aux Pays-Bas.

33      Le 31 mai 2019, le secrétaire d’État a demandé tant aux autorités autrichiennes qu’aux autorités françaises de reconsidérer leurs réponses aux requêtes aux fins de reprise en charge qui leur avaient été respectivement adressées. Dans la demande adressée aux autorités autrichiennes, il était soutenu qu’un nouveau délai de transfert entre la République française et la République d’Autriche avait commencé à courir à compter de l’introduction, par K, d’une demande de protection internationale aux Pays-Bas et que, par conséquent, la République d’Autriche était l’État membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale de K. Le 3 juin 2019, les autorités autrichiennes ont accepté de reprendre en charge K.

34      Par décision du 24 juillet 2019, le secrétaire d’État a écarté, sans l’examiner la demande de protection internationale introduite par K.

35      K a introduit un recours contre cette décision devant le tribunal compétent. Par jugement du 17 octobre 2019, ce tribunal a rejeté ce recours au motif que le secrétaire d’État avait considéré à bon droit que la République d’Autriche était l’État membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale de K.

36      K a interjeté appel de ce jugement devant le Raad van State (Conseil d’État), qui est la juridiction de renvoi. À l’appui de cet appel, il a fait valoir que l’introduction d’une demande de protection internationale dans un troisième État membre ne saurait faire obstacle à l’expiration du délai encadrant un transfert prévu entre deux autres États membres.

37      La juridiction de renvoi relève qu’il est constant que les autorités françaises n’ont informé les autorités autrichiennes ni de la fuite de K ni du fait qu’elles ne pouvaient pas procéder au transfert de celui-ci dans un délai de six mois. Par conséquent, eu égard à l’expiration de ce délai, la République d’Autriche ne pourrait plus être considérée comme étant l’État membre responsable à compter du 4 avril 2019.

38      Elle s’interroge toutefois sur la pertinence que pourrait revêtir la circonstance que, avant l’expiration du délai de transfert, la personne concernée a introduit une nouvelle demande de protection internationale dans un autre État membre.

39      Dans ces conditions, le Raad van State (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 29 du règlement [Dublin III] doit-il être interprété en ce sens qu’un délai de transfert en cours tel que visé à [cet] article 29, paragraphes 1 et 2, prend à nouveau cours au moment où, après avoir entravé le transfert par un État membre en prenant la fuite, l’étranger introduit dans un autre État membre (en l’espèce un troisième État membre) une nouvelle demande de protection internationale ?

2)      Si la première question appelle une réponse négative, l’article 27, paragraphe 1, du règlement [Dublin III], lu au regard du considérant 19 de ce règlement, doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que, dans le cadre d’une voie de recours contre une décision de transfert, un demandeur de protection internationale fasse valoir avec succès que ce transfert ne peut pas avoir lieu parce que le délai pour un transfert convenu antérieurement entre deux États membres (en l’espèce la République française et la République d’Autriche) a expiré, avec comme conséquence que le délai dans lequel le Royaume des Pays-Bas peut procéder au transfert a expiré ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question dans les affaires C323/21 et C325/21 ainsi que sur la question unique dans l’affaire C324/21

40      Par sa première question dans les affaires C‑323/21 et C‑325/21 ainsi que par sa question unique dans l’affaire C‑324/21, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 29 du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un délai pour le transfert d’un ressortissant d’un pays tiers a commencé à courir entre un État membre requis et un premier État membre requérant, la responsabilité de l’examen de la demande de protection internationale introduite par cette personne est transférée à cet État membre requérant du fait de l’expiration de ce délai, alors même que ladite personne a, entretemps, introduit dans un troisième État membre une nouvelle demande de protection internationale ayant conduit à l’acceptation, par l’État membre requis, d’une requête aux fins de reprise en charge formulée par ce troisième État membre. Par sa première question dans l’affaire C‑323/21, la juridiction de renvoi interroge également la Cour sur les conséquences éventuelles de l’expiration dudit délai pour ledit troisième État membre.

41      À titre liminaire, il convient de relever que, conformément à l’article 3, paragraphe 1, du règlement Dublin III, toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l’un quelconque État membre est examinée par un seul État membre.

42      Partant, lorsqu’un demandeur de protection internationale se trouve sur le territoire d’un autre État membre que celui à qui il incombe d’examiner sa demande, les procédures prévues par le règlement Dublin III visent notamment à permettre son transfert vers ce dernier État membre.

43      À cet égard, l’article 29, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement Dublin III prévoit que le transfert de la personne concernée vers l’État membre responsable s’effectue dès qu’il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l’acceptation par cet État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de cette personne ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l’effet suspensif est accordé.

44      L’article 29, paragraphe 2, de ce règlement précise que, si le transfert n’est pas exécuté dans ce délai de six mois, l’État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l’État membre requérant.

45      Ainsi, l’article 29 du règlement Dublin III n’énonce pas de règles spécifiques relatives à la situation dans laquelle, alors qu’une requête visant à la reprise en charge d’un ressortissant d’un pays tiers formulée par un État membre requérant a déjà été acceptée par un autre État membre, cette personne introduit une demande de protection internationale dans un troisième État membre.

46      En vue d’apprécier si, dans une telle situation, l’introduction d’une demande de protection internationale dans un troisième État membre, ou les suites données à cette demande, doivent être prises en compte aux fins de l’application de ces dispositions, il est nécessaire de déterminer les règles régissant les procédures à mettre en œuvre au titre du règlement Dublin III en cas d’introduction successive de demandes de protection internationale dans plusieurs États membres.

47      Le champ d’application de la procédure de reprise en charge est défini aux articles 23 et 24 du règlement Dublin III. Il ressort de l’article 23, paragraphe 1, et de l’article 24, paragraphe 1, de ce règlement que cette procédure est applicable aux personnes visées à l’article 20, paragraphe 5, ou à l’article 18, paragraphe 1, sous b) à d), dudit règlement (arrêt du 2 avril 2019, H. et R., C‑582/17 et C‑583/17, EU:C:2019:280, point 46).

48      L’article 20, paragraphe 5, du même règlement prévoit notamment qu’il s’applique à un demandeur qui introduit une demande de protection internationale dans un État membre après avoir retiré sa première demande dans un autre État membre pendant le processus de détermination de l’État membre responsable de l’examen de la demande. Cette disposition est également applicable dans une situation dans laquelle un demandeur a quitté l’État membre dans lequel il a introduit sa première demande, avant que le processus de détermination de l’État membre responsable de l’examen de la demande ne soit achevé, sans informer l’autorité compétente de ce premier État membre de son souhait de renoncer à sa demande (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 2019, H. et R., C‑582/17 et C‑583/17, EU:C:2019:280, points 46 ainsi que 50).

49      Quant à l’article 18, paragraphe 1, sous b) à d), du règlement Dublin III, celui-ci se réfère à une personne qui, d’une part, a introduit une demande de protection internationale, laquelle est en cours d’examen, a retiré une telle demande en cours d’examen ou a vu une telle demande rejetée et qui, d’autre part, soit a présenté une demande dans un autre État membre, soit se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre (arrêt du 2 avril 2019, H. et R., C‑582/17 et C‑583/17, EU:C:2019:280, point 51 ainsi que jurisprudence citée).

50      L’article 20, paragraphe 5, et l’article 18, paragraphe 1, sous b) à d), de ce règlement sont ainsi complémentaires, dans la mesure où la première de ces dispositions s’applique à la situation dans laquelle l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale n’a pas encore été déterminé, alors que la seconde de celles-ci concerne les cas dans lesquels la responsabilité d’examiner la demande a déjà été établie (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 2019, H. et R., C‑582/17 et C‑583/17, EU:C:2019:280, points 52, 66 ainsi que 67).

51      Dans ces conditions, dès lors que l’article 23, paragraphe 1, dudit règlement vise, de manière générale, l’État membre auprès duquel une nouvelle demande de protection internationale a été introduite qui estime qu’un autre État membre est responsable conformément à l’article 20, paragraphe 5, ou à l’article 18, paragraphe 1, sous b) à d), du même règlement, il y a lieu de considérer que la procédure de reprise en charge est applicable non seulement au deuxième État membre auprès duquel un ressortissant d’un pays tiers a introduit une telle demande, mais également à un troisième État membre auprès duquel ce ressortissant d’un pays tiers introduit ultérieurement une nouvelle demande de protection internationale.

52      En ce qui concerne les modalités des procédures de reprise en charge engagées à la suite de l’introduction successive de demandes de protection internationale dans plusieurs États membres, il importe de relever que le législateur de l’Union n’a opéré, dans les dispositions relatives à l’engagement et au déroulement de la procédure de reprise en charge, à savoir les articles 23 à 25 du règlement Dublin III, aucune distinction selon que cette procédure est engagée par le deuxième État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite par un ressortissant d’un pays tiers ou par un troisième État membre auprès duquel une telle demande a été introduite ultérieurement.

53      Or, en l’absence de toute disposition spécifique, il n’y a pas lieu d’opérer une distinction non prévue par ce règlement entre ces deux situations (voir, par analogie, arrêt du 10 septembre 2015, FCD et FMB, C‑106/14, EU:C:2015:576, point 50).

54      En conséquence, dans lesdites situations, les États membres impliqués dans les procédures de reprise en charge sont tenus de respecter les délais impératifs par lesquels le législateur de l’Union a encadré ces procédures.

55      En effet, ces délais contribuent, de manière déterminante, à la réalisation de l’objectif de célérité dans le traitement des demandes de protection internationale énoncé au considérant 5 du règlement Dublin III, en garantissant que lesdites procédures seront mises en œuvre sans retard injustifié, et témoignent de l’importance particulière que ce législateur a attachée à la détermination rapide de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale ainsi que du fait que, eu égard à l’objectif de garantir un accès effectif aux procédures d’octroi d’une protection internationale et de ne pas compromettre l’objectif de célérité dans le traitement des demandes de protection internationale, il importe, selon ledit législateur, que de telles demandes soient, le cas échéant, examinées par un État membre autre que celui désigné comme responsable en vertu des critères énoncés au chapitre III de ce règlement (voir, en ce sens, arrêt du 13 novembre 2018, X et X, C‑47/17 et C‑48/17, EU:C:2018:900, points 69 et 70).

56      Il s’ensuit, en premier lieu, que les délais impératifs énoncés à l’article 23, paragraphe 2, du règlement Dublin III doivent être respectés tant par le deuxième que par le troisième État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite par un ressortissant d’un pays tiers, lorsque ces États membres forment une requête aux fins de reprise en charge.

57      Pour autant, dans la mesure où certaines des affaires en cause au principal se rapportent à des situations dans lesquelles un ressortissant d’un pays tiers a introduit plusieurs demandes de protection internationale dans un même État membre, il importe de relever que, lorsqu’un demandeur introduit une nouvelle demande de protection internationale dans un État membre après que ce dernier a adopté une décision de transfert de ce demandeur, l’exécution de cette décision demeure en principe possible, sans qu’il soit nécessaire que cet État membre formule une nouvelle requête aux fins de reprise en charge, même si ledit demandeur a, entretemps, introduit une demande de protection internationale dans un autre État membre.

58      En effet, si une décision de transfert ne se voyait pas reconnaître un tel effet, cela permettrait à tout ressortissant d’un pays tiers contre lequel une décision de transfert a été adoptée par un État membre de se soustraire définitivement à l’exécution de celle-ci, avant qu’elle n’ait pu produire ses effets, en introduisant une demande de protection internationale dans un autre État membre, puis en revenant dans le premier État membre, au risque de paralyser complètement le mécanisme de traitement des demandes de protection internationale institué par le règlement Dublin III et de nuire à la réalisation de l’objectif de célérité dans le traitement de ces demandes.

59      Partant, l’État membre ayant adopté une décision de transfert qui n’a pas encore été exécutée et dont le délai d’exécution n’a pas expiré n’est pas susceptible de se voir transférer la responsabilité d’examiner la demande de protection internationale du seul fait qu’il n’a pas, à la suite de l’introduction d’une nouvelle demande de protection internationale sur son territoire, formulé une nouvelle requête aux fins de reprise en charge dans les délais prévus à l’article 23, paragraphe 2, du règlement Dublin III.

60      En revanche, une telle requête devra impérativement être formulée en vue de pouvoir procéder au transfert d’un ressortissant d’un pays tiers ayant fait l’objet d’une décision de transfert vers l’État membre concerné lorsque cette décision a déjà été exécutée (voir, par analogie, arrêt du 25 janvier 2018, Hasan, C‑360/16, EU:C:2018:35, point 51).

61      Dans une telle situation, à défaut de formuler une requête aux fins de reprise en charge dans les délais prévus à l’article 23, paragraphe 2, du règlement Dublin III, l’État membre auprès duquel une nouvelle demande de protection internationale a été introduite deviendra, conformément à l’article 23, paragraphe 3, de ce règlement, l’État membre responsable de l’examen de cette demande, sans que la question de l’expiration éventuelle du délai de transfert prévu à l’article 29, paragraphe 1, dudit règlement, ait d’incidence.

62      En deuxième lieu, il découle des considérations figurant aux points 52 à 54 du présent arrêt que les règles relatives aux délais de transfert énoncées à l’article 29, paragraphes 1 et 2, du règlement Dublin III sont applicables dans le cadre des procédures de reprise en charge menées alors que le ressortissant concerné d’un pays tiers a introduit successivement des demandes de protection internationale dans plusieurs États membres.

63      À cet égard, il convient de rappeler que le délai de transfert de six mois prévu à l’article 29, paragraphe 1, du règlement Dublin III vise notamment à laisser, eu égard à la complexité pratique et aux difficultés organisationnelles qui s’attachent à la mise en œuvre du transfert d’un ressortissant de pays tiers, le temps nécessaire aux deux États membres concernés pour se concerter en vue de la réalisation de ce transfert et, plus précisément, à l’État membre requérant pour régler les modalités de réalisation dudit transfert [voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2022, Bundesrepublik Deutschland (Suspension administrative de la décision de transfert), C‑245/21 et C‑248/21, EU:C:2022:709, point 58 ainsi que jurisprudence citée].

64      Partant, et étant donné que cette disposition ne prévoit pas de régime spécifique pour le cas dans lequel plusieurs requêtes aux fins de reprise en charge ont été successivement acceptées, le délai de transfert applicable à un État membre requérant doit être décompté à partir de la date à laquelle la requête formulée par cet État membre a été acceptée par l’État membre requis, même lorsqu’un délai pour le transfert d’un ressortissant d’un pays tiers entre un autre État membre requérant et cet État membre requis a déjà commencé à courir.

65      En outre, dans une telle situation, dès lors que les différentes procédures de reprise en charge sont conduites de manière indépendante par chacun des États membres requérants et que le règlement Dublin III ne prévoit pas de mécanisme de coordination permettant de déroger aux règles énoncées à l’article 29 de ce règlement, le délai de transfert résultant du fait qu’une première requête aux fins de reprise en charge a été acceptée par l’État membre requis ne saurait être interrompu ou prolongé en raison du fait qu’une nouvelle requête aux fins de reprise en charge, formulée par un autre État membre, a été acceptée par ledit État membre requis.

66      Certes, ainsi que le souligne la juridiction de renvoi, à partir de la date à laquelle la personne visée par une décision de transfert a quitté le territoire d’un État membre pour se maintenir en dehors de ce territoire, cet État membre n’est matériellement plus en mesure d’opérer le transfert, ce qui implique que le délai de transfert prévu à l’article 29 du règlement Dublin III pourrait alors arriver à son terme sans que ledit État membre ait disposé de l’ensemble de la période de temps considérée par le législateur de l’Union comme étant appropriée pour régler les modalités de réalisation du transfert.

67      Cependant, ce législateur a explicitement tenu compte du risque que la personne concernée se soustraie à l’exécution de la décision de transfert en prenant la fuite et a prévu, à l’article 29, paragraphe 2, de ce règlement, que, dans une telle situation, l’État membre requérant pouvait, à titre exceptionnel, prolonger jusqu’à 18 mois au maximum le délai de transfert [voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2022, Bundesrepublik Deutschland (Suspension administrative de la décision de transfert), C‑245/21 et C‑248/21, EU:C:2022:709, point 67].

68      Cette solution, qui constitue l’expression de l’équilibre arrêté par ledit législateur entre les différents objectifs du règlement Dublin III et les intérêts concurrents en présence, vaut dans tous les cas de fuite et s’applique donc aussi bien lorsque la personne concernée prend la fuite et demeure sur le territoire de l’État membre requérant que lorsqu’il quitte ce territoire au cours de sa fuite.

69      En outre, il importe de rappeler que le même législateur n’a pas estimé que l’impossibilité matérielle de procéder à l’exécution de la décision de transfert devait être regardée comme étant de nature à justifier l’interruption ou la suspension du délai de transfert énoncé à l’article 29, paragraphe 1, du règlement Dublin III [voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2022, Bundesrepublik Deutschland (Suspension administrative de la décision de transfert), C‑245/21 et C‑248/21, EU:C:2022:709, point 65 ainsi que jurisprudence citée].

70      La Cour a, de ce fait, jugé que le délai de transfert prévu à cette disposition devait être appliqué dans des situations où le transfert de la personne concernée était impossible [voir, en ce sens, arrêts du 16 février 2017, C. K. e.a., C‑578/16 PPU, EU:C:2017:127, point 89 ; du 31 mars 2022, Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl e.a. (Placement d’un demandeur d’asile dans un hôpital psychiatrique), C‑231/21, EU:C:2022:237, point 62, ainsi que du 22 septembre 2022, Bundesrepublik Deutschland (Suspension administrative de la décision de transfert), C‑245/21 et C‑248/21, EU:C:2022:709, point 70].

71      Dans ces conditions, la circonstance que la personne concernée ait, durant sa fuite, introduit une nouvelle demande de protection internationale dans un État membre autre que l’État membre requérant ou qu’une nouvelle requête aux fins de reprise en charge ait été acceptée à la suite de l’introduction d’une telle demande n’est pas de nature, en l’absence de règle prévue à cette fin par le règlement Dublin III, à justifier l’interruption ou la prolongation d’un des délais impératifs prévus à l’article 29 de ce règlement. Une telle circonstance n’implique d’ailleurs aucunement que ladite personne reste durablement hors du territoire du premier État membre requérant et empêche ainsi celui-ci de procéder au transfert, comme l’illustrent les faits en cause au principal dans les affaires C‑323/21 et C‑324/21.

72      Il s’ensuit que, lorsque le délai de transfert résultant de l’acceptation d’une requête aux fins de reprise en charge formulée par un État membre requérant a expiré, la responsabilité d’examiner la demande de protection internationale est transférée, conformément à l’article 29, paragraphe 2, du règlement Dublin III, à cet État membre requérant, même si une nouvelle demande de protection internationale a, entretemps, été introduite dans un autre État membre ou si une nouvelle requête aux fins de reprise en charge a été acceptée à la suite de l’introduction d’une telle demande.

73      En troisième lieu, un transfert de la responsabilité d’examiner la demande de protection internationale introduite par un ressortissant d’un pays tiers, découlant de l’application des articles 23 ou 29 du règlement Dublin III, doit être dûment pris en compte par l’ensemble des États membres lors de la mise en œuvre d’éventuelles procédures de reprise en charge visant ce demandeur.

74      Il en découle, premièrement, que, dans la mesure où l’article 20, paragraphe 5, du règlement Dublin III ne s’applique, ainsi qu’il ressort du point 50 du présent arrêt, que lorsque l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale n’a pas encore été déterminé, une requête aux fins de reprise en charge ne saurait être valablement adressée, conformément aux articles 18 et 23 de ce règlement, à l’État membre dans lequel un ressortissant d’un pays tiers a introduit sa première demande de protection internationale après que la responsabilité d’examiner cette demande a été transférée à un autre État membre. Dans un tel cas, c’est à ce dernier État membre que doit être adressée une éventuelle requête aux fins de reprise en charge.

75      Étant donné que les dispositions du règlement Dublin III qui établissent des délais impératifs contribuent, au même titre que les critères énoncés au chapitre III de ce règlement, à déterminer l’État membre responsable au sens dudit règlement (voir, en ce sens, arrêt du 26 juillet 2017, Mengesteab, C‑670/16, EU:C:2017:587, point 53), la règle énoncée au point 74 du présent arrêt trouve notamment à s’appliquer lorsque le transfert de la responsabilité d’examiner une demande de protection internationale procède de ces dispositions et, notamment, des articles 23 ou 29 du même règlement.

76      En particulier, dans une situation où le délai de transfert résultant du fait que la requête aux fins de reprise en charge formulée par un premier État membre requérant a été acceptée par l’État membre requis a expiré avant qu’une nouvelle requête aux fins de reprise en charge formulée par un autre État membre n’ait été acceptée, ce dernier devra adresser sa requête à ce premier État membre requérant, dès lors que celui-ci doit, en application de l’article 29, paragraphe 2, du règlement Dublin III, être désormais regardé comme étant l’État membre responsable.

77      En ce qui concerne, deuxièmement, la situation dans laquelle le transfert de la responsabilité d’examiner la demande de protection internationale à un État membre autre que l’État membre requis est intervenu après qu’une requête aux fins de reprise en charge formulée par un troisième État membre a été acceptée, il convient de rappeler, d’une part, que le règlement Dublin III est fondé sur le principe essentiel, énoncé à son article 3, paragraphe 1, selon lequel une demande de protection internationale ne doit être examinée que par un seul État membre, ce qui implique qu’un seul État membre peut être considéré comme étant, à un moment donné, l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 2019, H. et R., C‑582/17 et C‑583/17, EU:C:2019:280, point 78).

78      D’autre part, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’il ne saurait être procédé au transfert d’un ressortissant d’un pays tiers vers un autre État membre que l’État membre responsable lorsque le transfert de la responsabilité d’examiner la demande de protection internationale découle de l’expiration d’un délai de procédure postérieurement à l’acceptation de la requête aux fins de reprise en charge et de l’adoption d’une décision de transfert [voir, en ce sens, arrêts du 25 octobre 2017, Shiri, C‑201/16, EU:C:2017:805, point 43, et du 15 avril 2021, État belge (Éléments postérieurs à la décision de transfert), C‑194/19, EU:C:2021:270, point 47].

79      Partant, le transfert de la responsabilité d’examiner la demande de protection internationale introduite par un ressortissant d’un pays tiers à un État membre, en application des articles 23 ou 29 du règlement Dublin III, fait obstacle à l’exécution d’une décision impliquant un transfert de la personne concernée vers un autre État membre.

80      Cela étant, dans une telle situation, il importe de souligner qu’il demeure loisible à l’État membre dont la décision de transfert devient ainsi inexécutable d’adresser une requête aux fins de reprise en charge à l’État membre auquel ladite responsabilité a été transférée.

81      Certes, l’article 23, paragraphe 3, du règlement Dublin III prévoit le transfert de la responsabilité d’examiner une demande de protection internationale à l’État membre auprès duquel une nouvelle demande de protection internationale a été introduite lorsque cet État membre s’abstient de formuler, dans les délais prévus à l’article 23, paragraphe 2, de ce règlement une requête aux fins de reprise en charge.

82      Toutefois, un État membre qui a adressé, dans ces délais, une requête aux fins de reprise en charge à l’État membre qui était, à cette date, responsable de l’examen d’une demande de protection internationale ne saurait être considéré comme s’étant abstenu de formuler, en temps utile, une telle requête.

83      Il en découle, d’une part, que la règle figurant à l’article 23, paragraphe 3, du règlement Dublin III n’est pas applicable à un tel État membre.

84      L’application de cette règle dans une telle situation ne serait d’ailleurs pas conforme à l’objectif des délais prévus à l’article 23, paragraphe 2, de ce règlement, à savoir garantir que l’État membre requérant engage la procédure de reprise en charge dans un délai raisonnable à partir de la date à laquelle il dispose des informations lui permettant de présenter une requête aux fins de reprise en charge à un autre État membre (voir, en ce sens, arrêt du 25 janvier 2018, Hasan, C‑360/16, EU:C:2018:35, point 63).

85      Il s’ensuit, d’autre part, que le transfert de responsabilité évoqué au point 79 du présent arrêt fait courir, pour l’État membre sur le territoire duquel le demandeur se trouve, un nouveau délai, au titre de l’article 23, paragraphe 2, du règlement Dublin III, pour présenter une requête aux fins de reprise en charge à l’État membre auquel ladite responsabilité a été transférée.

86      Au vu de l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de répondre à la première question dans les affaires C‑323/21 et C‑325/21 ainsi qu’à la question unique dans l’affaire C‑324/21 que les articles 23 et 29 du règlement Dublin III doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’un délai pour le transfert d’un ressortissant d’un pays tiers a commencé à courir entre un État membre requis et un premier État membre requérant, la responsabilité de l’examen de la demande de protection internationale introduite par cette personne est transférée à cet État membre requérant du fait de l’expiration de ce délai, alors même que ladite personne a, entretemps, introduit dans un troisième État membre une nouvelle demande de protection internationale ayant conduit à l’acceptation, par l’État membre requis, d’une requête aux fins de reprise en charge formulée par ce troisième État membre, pour autant que cette responsabilité n’ait pas été transférée audit troisième État membre du fait de l’expiration d’un des délais prévus à cet article 23.

87      À la suite d’un tel transfert de ladite responsabilité, l’État membre dans lequel se trouve la même personne ne saurait procéder au transfert de cette dernière vers un autre État membre que l’État membre nouvellement responsable, mais il peut, en revanche, dans le respect des délais prévus à l’article 23, paragraphe 2, de ce règlement, présenter une requête aux fins de reprise en charge à ce dernier État membre.

 Sur la seconde question dans les affaires C323/21 et C325/21

88      Par sa seconde question dans les affaires C‑323/21 et C‑325/21, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 27, paragraphe 1, du règlement Dublin III, lu à la lumière du considérant 19 de ce règlement, doit être interprété en ce sens qu’un ressortissant d’un pays tiers qui a introduit une demande de protection internationale successivement dans trois États membres peut se prévaloir, dans le cadre d’un recours exercé, au titre de l’article 27, paragraphe 1, dudit règlement, contre une décision de transfert vers le premier de ces États membres adoptée par le troisième desdits États membres à son égard, du fait que, postérieurement à l’adoption de cette décision de transfert, la responsabilité d’examiner sa demande a été transférée, en raison de l’expiration du délai de transfert prévu à l’article 29, paragraphes 1 et 2, du même règlement, au deuxième des mêmes États membres.

89      L’article 27, paragraphe 1, du règlement Dublin III prévoit que la personne faisant l’objet d’une décision de transfert dispose d’un droit de recours effectif, sous la forme d’un recours contre cette décision ou d’une révision, en fait et en droit, de ladite décision devant une juridiction.

90      La portée de ce recours est précisée au considérant 19 de ce règlement, qui indique que, afin de garantir le respect du droit international, le recours effectif instauré par ledit règlement contre des décisions de transfert doit porter, d’une part, sur l’examen de l’application du même règlement et, d’autre part, sur l’examen de la situation en fait et en droit dans l’État membre vers lequel le demandeur est transféré [arrêts du 2 avril 2019, H. et R., C‑582/17 et C‑583/17, EU:C:2019:280, point 39, ainsi que du 15 avril 2021, État belge (Éléments postérieurs à la décision de transfert), C‑194/19, EU:C:2021:270, point 33].

91      Au regard notamment de l’évolution générale qu’a connue le système de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale présentée dans l’un des États membres du fait de l’adoption du règlement Dublin III et des objectifs visés par ce règlement, l’article 27, paragraphe 1, dudit règlement doit être interprété en ce sens que le recours qu’il prévoit contre une décision de transfert doit pouvoir porter tant sur le respect des règles attribuant la responsabilité d’examiner une demande de protection internationale que sur les garanties procédurales prévues par le même règlement [arrêts du 2 avril 2019, H. et R., C‑582/17 et C‑583/17, EU:C:2019:280, point 40, ainsi que du 15 avril 2021, État belge (Éléments postérieurs à la décision de transfert), C‑194/19, EU:C:2021:270, point 34].

92      Par ailleurs, la Cour a jugé que, eu égard, d’une part, à l’objectif mentionné au considérant 19 du règlement Dublin III de garantir, conformément à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux, une protection efficace des personnes concernées et, d’autre part, à celui d’assurer avec célérité la détermination de l’État membre responsable du traitement d’une demande de protection internationale énoncé au considérant 5 de ce règlement, le demandeur doit pouvoir disposer d’une voie de recours effective et rapide qui lui permette de se prévaloir de circonstances postérieures à l’adoption de la décision de transfert, lorsque la prise en compte de celles-ci est déterminante pour la correcte application dudit règlement [arrêt du 15 avril 2021, État belge (Éléments postérieurs à la décision de transfert), C‑194/19, EU:C:2021:270, point 35 et jurisprudence citée].

93      Une telle voie de recours effective doit notamment permettre au demandeur de protection internationale de se prévaloir, dans l’État membre sur le territoire duquel il se trouve, de l’expiration du délai de transfert, prévu à l’article 29, paragraphes 1 et 2, du règlement Dublin III, à l’égard d’un autre État membre requérant, dès lors qu’il ressort du point 79 du présent arrêt que la prise en compte de l’expiration de ce délai est déterminante pour la correcte application de ce règlement.

94      Cela étant, il convient de rappeler que les États membres ne sont pas nécessairement tenus, en application de l’article 27 dudit règlement, d’organiser leur système de recours de manière à ce que l’exigence de prise en compte de circonstances déterminantes postérieures à l’adoption de la décision de transfert soit garantie dans le cadre de l’examen du recours permettant de mettre en cause la légalité de la décision de transfert, à condition qu’une protection juridictionnelle suffisante puisse être garantie sous d’autres formes, dans le cadre du système juridictionnel national considéré dans son ensemble [voir, en ce sens, arrêt du 15 avril 2021, État belge (Éléments postérieurs à la décision de transfert), C‑194/19, EU:C:2021:270, points 37 et 46].

95      Une telle autre forme de protection juridictionnelle suffisante doit garantir, en pratique, à la personne concernée la possibilité d’obtenir que les autorités compétentes de l’État membre sur le territoire duquel cette personne se trouve ne puissent pas, lorsque l’expiration du délai de transfert à l’égard d’un premier État membre requérant implique que celui-ci est devenu l’État membre responsable pour examiner la demande de protection internationale, procéder au transfert de ladite personne vers un autre État membre. Ladite voie de recours doit également assurer que les autorités compétentes de l’État membre sur le territoire duquel la même personne se trouve soient obligées de prendre les dispositions nécessaires pour tirer sans retard les conséquences du transfert de la responsabilité d’examiner la demande de protection internationale [voir, en ce sens, arrêt du 15 avril 2021, État belge (Éléments postérieurs à la décision de transfert), C‑194/19, EU:C:2021:270, point 47].

96      En conséquence, il y a lieu de répondre à la seconde question dans les affaires C‑323/21 et C‑325/21 que l’article 27, paragraphe 1, du règlement Dublin III, lu à la lumière du considérant 19 de ce règlement, ainsi que l’article 47 de la charte des droits fondamentaux doivent être interprétés en ce sens qu’un ressortissant d’un pays tiers qui a introduit une demande de protection internationale successivement dans trois États membres doit pouvoir disposer, dans le troisième de ces États membres, d’une voie de recours effective et rapide qui lui permette de se prévaloir du fait que la responsabilité d’examiner sa demande a été transférée, en raison de l’expiration du délai de transfert, prévu à l’article 29, paragraphes 1 et 2, dudit règlement, au deuxième desdits États membres.

 Sur les dépens

97      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

1)      Les affaires C323/21, C324/21 et C325/21 sont jointes aux fins de l’arrêt.

2)      Les articles 23 et 29 du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride,

doivent être interprétés en ce sens que :

lorsqu’un délai pour le transfert d’un ressortissant d’un pays tiers a commencé à courir entre un État membre requis et un premier État membre requérant, la responsabilité de l’examen de la demande de protection internationale introduite par cette personne est transférée à cet État membre requérant du fait de l’expiration de ce délai, alors même que ladite personne a, entretemps, introduit dans un troisième État membre une nouvelle demande de protection internationale ayant conduit à l’acceptation, par l’État membre requis, d’une requête aux fins de reprise en charge formulée par ce troisième État membre, pour autant que cette responsabilité n’ait pas été transférée audit troisième État membre du fait de l’expiration d’un des délais prévus à cet article 23.

À la suite d’un tel transfert de ladite responsabilité, l’État membre dans lequel se trouve la même personne ne saurait procéder au transfert de cette dernière vers un autre État membre que l’État membre nouvellement responsable, mais il peut, en revanche, dans le respect des délais prévus à l’article 23, paragraphe 2, de ce règlement, présenter une requête aux fins de reprise en charge à ce dernier État membre.

3)      L’article 27, paragraphe 1, du règlement no 604/2013, lu à la lumière du considérant 19 de ce règlement, ainsi que l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doivent être interprétés en ce sens qu’un ressortissant d’un pays tiers qui a introduit une demande de protection internationale successivement dans trois États membres doit pouvoir disposer, dans le troisième de ces États membres, d’une voie de recours effective et rapide qui lui permette de se prévaloir du fait que la responsabilité d’examiner sa demande a été transférée, en raison de l’expiration du délai de transfert, prévu à l’article 29, paragraphes 1 et 2, dudit règlement, au deuxième desdits États membres.

Signatures


*      Langue de procédure : le néerlandais.