Language of document : ECLI:EU:C:2022:1042

ORDONNANCE DE LA COUR (huitième chambre)

22 décembre 2022 (*)

« Pourvoi – Article 182 du règlement de procédure de la Cour – Fonction publique – Pension – Statut des fonctionnaires de l’Union européenne – Article 20 de l’annexe VIII – Octroi d’une pension de survie – Conjoint survivant d’un ancien fonctionnaire titulaire d’une pension d’ancienneté – Mariage conclu postérieurement à la cessation de service de ce fonctionnaire – Condition de durée minimale du mariage de cinq ans à la date du décès du fonctionnaire – Article 18 de l’annexe VIII – Mariage conclu antérieurement à la cessation de service du fonctionnaire – Condition de durée minimale du mariage d’un an seulement – Exception d’illégalité de l’article 20 de l’annexe VIII – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 20 – Principe d’égalité de traitement – Article 21, paragraphe 1 – Principe de non-discrimination fondée sur l’âge – Article 52, paragraphe 1 – Absence d’une différenciation arbitraire ou manifestement inadéquate au regard de l’objectif poursuivi par le législateur de l’Union européenne »

Dans les affaires jointes C‑341/21 P et C‑357/21 P,

ayant pour objet deux pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduits respectivement, les 2 juin et 7 juin 2021,

Commission européenne, représentée par MM. T. S. Bohr et B. Mongin, en qualité d’agents,

partie requérante dans l´affaire C‑341/21 P,

les autres parties à la procédure étant :

KM, représentée par Me M. Müller-Trawinski, Rechtsanwalt,

partie demanderesse en première instance,

Parlement européen, représenté par M. J. Van Pottelberge, en qualité d’agent,

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. M. Alver et M. Bauer, en qualité d’agents,

parties intervenantes en première instance,

et

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. M. Alver et M. Bauer, en qualité d’agents,

partie requérante dans l´affaire C‑357/21 P,

les autres parties à la procédure étant :

KM, représentée par Me M. Müller-Trawinski, Rechtsanwalt,

partie demanderesse en première instance,

Commission européenne, représentée par MM. T. S. Bohr et B. Mongin, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

Parlement européen, représenté par M. J. Van Pottelberge, en qualité d’agent,

partie intervenante en première instance,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. M. Safjan (rapporteur), président de chambre, MM. N. Piçarra et N. Jääskinen, juges,

avocat général : M. A. Rantos,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, les parties et l’avocat général entendus, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 182 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        Par leurs pourvois, la Commission européenne (C‑341/21 P) et le Conseil de l’Union européenne (C‑357/21 P) demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 24 mars 2021, KM/Commission (T‑374/20, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2021:162), par lequel celui-ci a annulé la décision de la Commission du 7 octobre 2019, rejetant la demande d’octroi d’une pension de survie à KM (ci-après la « décision litigieuse »).

 Le cadre juridique

2        L’article 1er quinquies du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») est ainsi libellé :

« 1.      Dans l’application du présent statut est interdite toute discrimination, telle qu’une discrimination fondée sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle.

Aux fins du présent statut, les partenariats non matrimoniaux sont traités au même titre que le mariage, pourvu que toutes les conditions énumérées à l’article 1er, paragraphe 2, point c), de l’annexe VII soient remplies.

2.      Pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, ce qui constitue un élément essentiel à prendre en considération dans la mise en œuvre de tous les aspects du présent statut, le principe de l’égalité de traitement n’empêche pas les institutions de l’Union européenne de maintenir ou d’adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle.

[...]

5.      Dès lors qu’une personne relevant du présent statut, qui s’estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l’égalité de traitement tel que défini ci-dessus, établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe à l’institution de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’égalité de traitement. Cette disposition ne s’applique pas dans les procédures disciplinaires.

6.      Dans le respect du principe de non-discrimination et du principe de proportionnalité, toute limitation de ces principes doit être objectivement et raisonnablement justifiée et doit répondre à des objectifs légitimes d’intérêt général dans le cadre de la politique du personnel. Ces objectifs peuvent notamment justifier la fixation d’un âge obligatoire de la retraite et d’un âge minimum pour bénéficier d’une pension d’ancienneté. »

3        L’article 35 du statut dispose :

« Tout fonctionnaire est placé dans une des positions suivantes :

a)      L’activité,

b)      Le détachement,

c)      Le congé de convenance personnelle,

d)      La disponibilité,

e)      Le congé pour services militaires,

f)      Le congé parental ou le congé familial,

g)      Le congé dans l’intérêt du service. »

4        L’article 47 du statut prévoit :

« La cessation définitive des fonctions résulte :

a)      De la démission,

b)      De la démission d’office,

c)      Du retrait d’emploi dans l’intérêt du service,

d)      Du licenciement pour insuffisance professionnelle,

e)      De la révocation,

f)      De la mise à la retraite,

g)      Du décès. »

5        L’article 52, premier et deuxième alinéas, du statut énonce :

« Sans préjudice des dispositions de l’article 50, le fonctionnaire est mis à la retraite :

a)      soit d’office, le dernier jour du mois durant lequel il atteint l’âge de 66 ans,

b)      soit à sa demande, le dernier jour du mois pour lequel la demande a été présentée lorsqu’il a atteint l’âge de la retraite ou que, ayant atteint un âge compris entre 58 ans et l’âge de la retraite, il réunit les conditions requises pour l’octroi d’une pension à jouissance immédiate, conformément à l’article 9 de l’annexe VIII. L’article 48, deuxième alinéa, deuxième phrase, s’applique par analogie.

Toutefois, à sa demande et lorsque l’autorité investie du pouvoir de nomination considère que l’intérêt du service le justifie, un fonctionnaire peut rester en activité jusqu’à l’âge de 67 ans, voire, à titre exceptionnel, jusqu’à l’âge de 70 ans, auquel cas il est mis à la retraite d’office le dernier jour du mois au cours duquel il atteint cet âge. »

6        L’article 1er, paragraphe 2, sous c), de l’annexe VII du statut prévoit :

« A droit à l’allocation de foyer :

[...]

c)      le fonctionnaire enregistré comme partenaire stable non matrimonial, à condition que :

i)      le couple fournisse un document officiel reconnu comme tel par un État membre ou par toute autorité compétente d’un État membre, attestant leur statut de partenaires non matrimoniaux,

ii)      aucun des partenaires ne soit marié ni ne soit engagé dans un autre partenariat non matrimonial,

iii)      les partenaires n’aient pas l’un des liens de parenté suivants : parents, parents et enfants, grands-parents et petits-enfants, frères et sœurs, tantes, oncles, neveux, nièces, gendres et belles-filles,

iv)      le couple n’ait pas accès au mariage civil dans un État membre ; un couple est considéré comme ayant accès au mariage civil aux fins du présent point uniquement dans les cas où les membres du couple remplissent l’ensemble des conditions fixées par la législation d’un État membre autorisant le mariage d’un tel couple,

[...] »

7        L’annexe VIII du statut, relative aux « [m]odalités du régime de pensions », comporte, notamment, un chapitre 4, intitulé « Pension de survie », qui comprend les articles 17 à 29 de cette annexe. L’article 17 est rédigé de la manière suivante :

« Le conjoint survivant d’un fonctionnaire décédé dans l’une des positions visées à l’article 35 du statut bénéficie, pour autant qu’il ait été son conjoint pendant un an au moins et sous réserve des dispositions de l’article 1er, paragraphe 1, ci-dessus et de l’article 22 ci-dessous, d’une pension de survie égale à 60 % de la pension d’ancienneté qui aurait été versée au fonctionnaire s’il avait pu, sans condition de durée de serviceni d’âge, y prétendre à la date de son décès.

La condition d’antériorité prévue ci-dessus ne joue pas si un ou plusieurs enfants sont issus du mariage ou d’un mariage antérieur du fonctionnaire pour autant que le conjoint survivant pourvoie ou ait pourvu aux besoins de ces enfants ou si le décès du fonctionnaire résulte soit d’une infirmité ou d’une maladie contractée à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, soit d’un accident. »

8        L’article 18 de l’annexe VIII du statut dispose :

« Le conjoint survivant d’un ancien fonctionnaire titulaire d’une pension d’ancienneté, pour autant que le mariage ait été contracté avant que l’intéressé ait cessé d’être au service d’une institution et qu’il ait été son conjoint pendant un an au moins, a droit, sous réserve des dispositions prévues à l’article 22, à une pension de survie égale à 60 % de la pension d’ancienneté dont bénéficiait son conjoint au jour de son décès. Le minimum de la pension de survie est de 35 % du dernier traitement de base ; toutefois, le montant de la pension de survie ne peut en aucun cas dépasser le montant de la pension d’ancienneté dont bénéficiait son conjoint au jour de son décès.

La condition de durée du mariage prévue au premier alinéa ne joue pas si un ou plusieurs enfants sont issus d’un mariage du fonctionnaire contracté antérieurement à sa cessation d’activité, pour autant que le conjoint survivant pourvoie ou ait pourvu aux besoins de ces enfants. »

9        L’article 19 de l’annexe VIII du statut prévoit :

« Le conjoint survivant d’un ancien fonctionnaire titulaire d’une allocation d’invalidité, pour autant qu’il ait été son conjoint à la date de son admission au bénéfice de cette allocation, a droit, sous réserve des dispositions de l’article 22, à une pension de survie égale à 60 % de l’allocation d’invalidité dont bénéficiait son conjoint au jour du décès.

Le minimum de la pension de survie est de 35 % du dernier traitement de base ; toutefois, le montant de la pension de survie ne peut en aucun cas dépasser le montant de l’allocation d’invalidité dont bénéficiait son conjoint au jour de son décès. »

10      L’article 20 de l’annexe VIII du statut énonce :

« La condition d’antériorité prévue aux articles 17 bis, 18, 18 bis et 19 ci-dessus ne joue pas si le mariage, même contracté postérieurement à la cessation d’activité du fonctionnaire, a duré au moins cinq ans. »

11      Aux termes de l’article 27 de l’annexe VIII du statut :

« Le conjoint divorcé d’un fonctionnaire ou d’un ancien fonctionnaire a droit à la pension de survie définie au présent chapitre, à condition de justifier avoir droit pour son propre compte, au décès de son ex‑conjoint, à une pension alimentaire à charge dudit ex-conjoint et fixée soit par décision de justice, soit par convention intervenue entre les anciens époux, officiellement enregistrée et mise en exécution.

La pension de survie ne peut, toutefois, excéder la pension alimentaire telle qu’elle était versée au moment du décès de son ex-conjoint, celle‑ci étant actualisée selon les modalités prévues à l’article 82 du statut.

Le conjoint divorcé perd son droit s’il s’est remarié avant le décès de son ex-conjoint. Il bénéficie des dispositions de l’article 26 s’il se remarie après le décès de celui-ci. »

 Les antécédents des litiges et la décision litigieuse

12      Au cours de l’année 2004, la requérante, KM, a conclu avec un fonctionnaire d’une institution de l’Union un contrat de partenariat notarié en Allemagne, enregistré par la suite à Bruxelles (Belgique) en tant que déclaration de cohabitation légale. Au cours de l’année 2016, ce fonctionnaire a été admis à la retraite.

13      Au cours de l’année 2017, ledit fonctionnaire et KM se sont mariés. Ce même fonctionnaire est décédé moins de cinq ans après la date de conclusion du mariage.

14      KM a, en sa qualité de conjointe survivante d’un ancien fonctionnaire de l’Union, introduit une demande d’octroi d’une pension de survie au titre du chapitre 4 de l’annexe VIII du statut.

15      Par la décision litigieuse, l’Office de gestion et de liquidation des droits individuels (PMO) de la Commission a rejeté la demande de KM au motif que celle-ci ne remplissait pas les conditions prévues à l’article 20 de l’annexe VIII du statut pour pouvoir bénéficier d’une pension de survie, son mariage avec le fonctionnaire défunt, contracté postérieurement à la cessation de service de celui-ci, ayant duré moins de cinq années.

16      La réclamation introduite par KM contre cette décision a été rejetée.

 Les recours en première instance et l’arrêt attaqué

17      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 juin 2020, KM a introduit un recours afin d’obtenir l’annulation de la décision litigieuse la concernant.

18      Le Parlement européen et le Conseil ont été admis à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

19      À l’appui de son recours, KM a soulevé, entre autres, un moyen tiré en substance de l’illégalité de l’article 20 de l’annexe VIII du statut au regard, notamment, du principe d’égalité de traitement et du principe de non-discrimination fondée sur l’âge.

20      Statuant sur ce moyen, le Tribunal a constaté que, aux fins de l’octroi d’une pension de survie, la situation couverte par l’article 18 de l’annexe VIII du statut, à savoir celle du conjoint survivant d’un ancien fonctionnaire de l’Union qui s’est marié avant la cessation de service de celui-ci était comparable à la situation couverte par l’article 20 de cette annexe, à savoir celle du conjoint survivant d’un ancien fonctionnaire qui a contracté mariage après cette cessation. Le Tribunal a ensuite jugé qu’il existait une différence de traitement de situations comparables en fonction de la date de la conclusion du mariage, en ce que la pension de survie est accordée au conjoint survivant à la condition que le mariage ait duré au moins un an dans le cadre de l’article 18 de l’annexe VIII du statut et au moins cinq ans dans le cadre de l’article 20 de cette annexe. Le Tribunal a ajouté qu’une telle différence de traitement entraînait un désavantage pour le conjoint survivant d’un ancien fonctionnaire qui s’est marié après la cessation de service de celui-ci par rapport au conjoint survivant d’un ancien fonctionnaire qui a contracté mariage avant cette cessation. Le Tribunal a également constaté une différence de traitement de situations comparables fondée indirectement sur l’âge de l’ancien fonctionnaire à la date de la conclusion du mariage.

21      Après avoir indiqué que la différence de traitement instituée à l’article 20 de l’annexe VIII du statut était prévue par la loi, au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), le Tribunal a vérifié si la différence de traitement relevée pouvait être justifiée par un objectif d’intérêt général et si elle était proportionnée au regard de l’objectif poursuivi, notamment à la lumière de la jurisprudence rappelée au point 42 de l’arrêt attaqué.

22      À cet égard, s’agissant de l’objectif d’intérêt général visant à prévenir les fraudes, le Tribunal, tout en reconnaissant que la condition selon laquelle le mariage doit avoir satisfait à une condition de durée minimale pour ouvrir le droit à une pension de survie permet de s’assurer que ce mariage ne repose pas exclusivement sur des considérations étrangères à un projet de vie commun, telles que des considérations purement financières ou liées à l’obtention d’un droit de séjour, a jugé déraisonnable de considérer que la condition de durée minimale du mariage de cinq années prévue à l’article 20 de l’annexe VIII du statut, qui est cinq fois plus élevée que celle prévue à l’article 18 de l’annexe VIII du statut et qui ne souffre aucune exception permettant d’établir l’absence de fraude, quels que soient les éléments de preuve objectifs apportés, puisse être nécessaire aux fins de la réalisation de l’objectif de lutte contre la fraude.

23      Le Tribunal a conclu que l’article 20 de l’annexe VIII du statut violait le principe d’égalité de traitement ainsi que le principe de non-discrimination fondée sur l’âge. Dans ces conditions, il a fait droit à l’exception d’illégalité soulevée par KM et annulé la décision litigieuse.

 Les conclusions des parties aux pourvois et la procédure devant la Cour

24      Par son pourvoi dans l’affaire C‑341/21 P, la Commission demande à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué ;

–        de rejeter le recours en première instance, et

–        de condamner KM aux dépens exposés en première instance et dans le cadre du pourvoi.

25      Par son pourvoi dans l’affaire C‑357/21 P, le Conseil demande à la Cour :

–        d’accueillir le pourvoi et d’annuler l’arrêt attaqué ;

–        de statuer définitivement sur le litige et de rejeter le recours en première instance comme étant non fondé, et

–        de condamner KM aux dépens exposés en première instance et dans le cadre du pourvoi.

26      Par décision du président de la Cour du 14 septembre 2021, les présentes affaires ont été suspendues dans l’attente du prononcé de l’arrêt dans les affaires jointes C‑116/21 P à C‑118/21 P, C‑138/21 P et C‑139/21 P. Après le prononcé de l’arrêt du 14 juillet 2022, Commission/VW e.a. (C‑116/21 P à C‑118/21 P, C‑138/21 P et C‑139/21 P, EU:C:2022:557), la procédure a été reprise par décision du président de la Cour du 19 juillet 2022.

27      En application de l’article 54, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, le président de la Cour a décidé, le 1er septembre 2022, de joindre les affaires C‑341/21 P et C‑357/21 P aux fins des phases écrite et orale de la procédure ainsi que de l’arrêt.

 Sur les pourvois

 Sur l’application de l’article 182 du règlement de procédure

28      En vertu de l’article 182 du règlement de procédure, lorsque la Cour a déjà statué sur une ou plusieurs questions de droit identiques à celles soulevées par les moyens du pourvoi, principal ou incident, et qu’elle considère que le pourvoi est manifestement fondé, elle peut, sur proposition du juge rapporteur, les parties et l’avocat général entendus, décider de déclarer le pourvoi manifestement fondé par voie d’ordonnance motivée comportant référence à la jurisprudence pertinente.

29      La Commission et KM précisent qu’elles n’ont pas d’objection à l’application de cet article. Le Conseil n’a pas répondu à l’invitation de la Cour de se prononcer à ce sujet.

30      En l’occurrence, il y a lieu de constater que les moyens de pourvoi invoqués dans le cadre des présentes affaires soulèvent des questions de droit identiques à celles sur lesquelles la Cour a statué dans l’arrêt du 14 juillet 2022, Commission/VW e.a. (C‑116/21 P à C‑118/21 P, C‑138/21 P et C‑139/21 P, EU:C:2022:557). Par conséquent, il convient de faire application de l’article 182 du règlement de procédure dans les présentes affaires.

 Sur le fond

31      À l’appui de son pourvoi dans l’affaire C‑341/21 P, la Commission fait valoir trois moyens tirés, le premier, d’une erreur de droit concernant les critères d’appréciation de la légalité des décisions prises par le législateur de l’Union et d’une violation de l’obligation de motivation, le deuxième, d’une erreur de droit dans l’interprétation du principe de non-discrimination et, le troisième, d’une erreur de droit dans l’interprétation de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte et de plusieurs violations de l’obligation de motivation.

32      De son côté, à l’appui de son pourvoi dans l’affaire C‑357/21 P, le Conseil soulève trois moyens tirés, le premier, d’erreurs de droit en ce qui concerne l’existence d’une différence de traitement, le deuxième, d’erreurs de droit portant sur l’étendue du contrôle juridictionnel par le Tribunal des choix faits par le législateur de l’Union et, le troisième, d’erreurs de droit s’agissant de la justification de la différence de traitement.

 Sur la troisième branche du premier moyen et sur le deuxième moyen dans l’affaire C341/21 P ainsi que sur le premier moyen dans l’affaire C357/21 P

–       Argumentation des parties

33      Par ces moyens et branches, la Commission et le Conseil soutiennent que, par l’arrêt attaqué, le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’interprétation du principe d’égalité de traitement et du principe de non-discrimination en ce qu’il a conclu, à tort, à la comparabilité des situations couvertes par les dispositions des articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut et, partant, à l’existence d’une différence de traitement tenant à l’application de régimes différents à ces situations comparables.

34      Ces institutions considèrent que le Tribunal a, aux points 49 et 50 de l’arrêt attaqué, commis une erreur de droit en considérant que la date de la conclusion du mariage était le seul élément déterminant l’application de l’article 18 ou de l’article 20 de l’annexe VIII du statut et que, dès lors, les situations relevant de ces dispositions étaient comparables. Or, si le Tribunal avait pris en compte l’ensemble des éléments caractérisant ces situations, il aurait dû constater qu’il existe une différence essentielle et objective entre les fonctionnaires en service et ceux ayant cessé d’être au service d’une institution de l’Union, tenant à la situation juridique respective de ces fonctionnaires, notamment eu égard aux droits et aux obligations professionnels auxquels les premiers, au contraire des seconds, sont tenus en vertu des dispositions statutaires pendant toute la durée de leur service.

35      En particulier, tant la Commission que le Conseil mettent en exergue le fait que le fonctionnaire en service, au contraire des anciens fonctionnaires qui n’ont plus l’obligation de travailler, doit cotiser au régime de pensions, perçoit un traitement de base supérieur à la pension d’ancienneté qui lui sera octroyée lorsqu’il sera à à la retraite, a l’obligation de résider sur son lieu d’affectation et a droit à des indemnités de dépaysement, d’expatriation et de voyage. La Commission relève en outre que, contrairement à l’article 20 de l’annexe VIII du statut, l’article 18 de cette annexe dispose que la condition de durée du mariage ne joue pas si, dans la famille du fonctionnaire, un enfant est né du mariage contracté par ce dernier avant sa cessation de service, ce qui démontrerait que les situations faisant l’objet de ces deux dispositions sont radicalement différentes. L’ensemble de ces considérations montreraient que la situation d’un ancien fonctionnaire qui se marie après sa cessation d’activité ne nécessite pas, avec la même évidence que dans le cas du fonctionnaire qui se marie alors qu’il est encore en service, qu’un revenu de remplacement soit offert au conjoint survivant par l’octroi de la pension de survie.

36      La Commission estime également que la situation des fonctionnaires en service et celle des fonctionnaires ayant cessé d’être au service d’une institution de l’Union se distinguent sur le plan personnel. D’une part, les fonctionnaires relevant de l’article 18 de l’annexe VIII du statut seraient plus jeunes que les fonctionnaires relevant de l’article 20 de cette annexe, si bien que l’espérance de vie moindre de ces derniers accroîtrait le risque de fraude à leur égard et qu’il existerait ainsi une différence considérable entre les situations couvertes par ces deux dispositions. D’autre part, la Commission soutient qu’une personne qui se marie avec un fonctionnaire avant la cessation d’activité de ce dernier a soutenu son conjoint pendant toute la durée du mariage, ce qui rend improbable un risque d’abus ou de fraude, contrairement à la situation d’une personne qui épouse un fonctionnaire postérieurement à la cessation d’activité de ce dernier.

37      La Commission expose également que, au point 48 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a ignoré à tort, dans son analyse, la finalité de la durée minimale du mariage prévue aux articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut, à savoir, ainsi que cela résulte des points 87 et 88 de l’arrêt du 19 décembre 2019, HK/Commission (C‑460/18 P, EU:C:2019:1119), celle d’éviter des pactes successoraux et, partant, de contracter mariage dans le seul but de pouvoir obtenir le paiement d’une pension de survie sans que ce mariage corresponde à aucune réalité ni à aucune stabilité des relations entre les personnes concernées. Ainsi, le Tribunal n’aurait pas respecté le critère selon lequel, lors de l’appréciation du caractère comparable des situations, il faut prendre en considération l’ensemble des éléments qui les caractérisent ainsi que l’ensemble des règles de droit régissant les positions de chacune des situations à comparer. En particulier, en considérant, à ce même point de l’arrêt attaqué, qu’un mariage conclu après cessation du service ne modifie pas de manière essentielle la situation d’un conjoint survivant en ce qui concerne ses droits patrimoniaux en comparaison avec la situation faisant l’objet de l’article 18 de l’annexe VIII du statut, le Tribunal aurait, outre l’absence totale de motivation de cette considération, ignoré le risque qu’un tel mariage soit le prétexte à la conclusion de pactes successoraux. En effet, il ne saurait être nié que, compte tenu de la situation du fonctionnaire qui se marie après avoir cessé son activité, le risque de fraude et d’abus est plus grand que dans le cas du fonctionnaire qui s’est marié avant cette cessation.

–       Appréciation de la Cour

38      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle l’égalité en droit, énoncée à l’article 20 de la Charte, est un principe général du droit de l’Union qui exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’une différenciation ne soit objectivement justifiée (arrêt du 14 juillet 2022, Commission/VW e.a., C‑116/21 P à C‑118/21 P, C‑138/21 P et C‑139/21 P, EU:C:2022:557, point 95 ainsi que jurisprudence citée).

39      L’exigence tenant au caractère comparable des situations, afin de déterminer l’existence d’une violation du principe d’égalité de traitement, doit être appréciée au regard de l’ensemble des éléments qui les caractérisent et, notamment, à la lumière de l’objet et du but poursuivi par l’acte qui institue la distinction en cause, étant entendu qu’il doit être tenu compte, à cet effet, des principes et des objectifs du domaine dont relève cet acte. Pour autant que les situations ne sont pas comparables, une différence de traitement des situations concernées ne viole pas l’égalité en droit consacrée à l’article 20 de la Charte (arrêt du 14 juillet 2022, Commission/VW e.a., C‑116/21 P à C‑118/21 P, C‑138/21 P et C‑139/21 P, EU:C:2022:557, point 96 ainsi que jurisprudence citée).

40      C’est à la lumière de cette jurisprudence qu’il convient d’examiner les allégations de la Commission et du Conseil selon lesquelles le Tribunal a conclu erronément, dans l’arrêt attaqué, à la comparabilité des situations couvertes par les dispositions des articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut et à l’existence d’une différence de traitement de ces situations comparables en fonction de la date de la conclusion du mariage.

41      À cet égard, il convient de relever que, aux points 44, 45 et 48 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que les articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut ont pour objet, sous réserve du respect de la condition de durée minimale du mariage, l’octroi d’une pension de survie au conjoint survivant en fonction de la seule nature juridique des liens unissant ce conjoint au conjoint décédé. Le Tribunal a également indiqué que ces dispositions poursuivent l’objectif d’octroyer au conjoint survivant un revenu de remplacement destiné à compenser partiellement la perte des revenus du conjoint décédé, celui-ci ayant été, avant son décès, un ancien fonctionnaire qui n’était plus en service.

42      Dès lors, le Tribunal a considéré, en substance, que ces deux dispositions de l’annexe VIII du statut avaient un objet et un but sensiblement identiques au regard de la jurisprudence mentionnée au point 39 de la présente ordonnance et rappelée par le Tribunal lui-même au point 38 de l’arrêt attaqué. Selon le Tribunal, le principal élément caractérisant les pensions de survie concernées réside dans la nature juridique des liens unissant le conjoint survivant, en tant que personne à laquelle lesdites dispositions confèrent un droit, à l’ancien fonctionnaire décédé. Toujours selon le Tribunal, la seule différence dans l’application des articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut tient dans la condition de durée minimale du mariage, laquelle est elle-même conditionnée par la date de la conclusion du mariage au regard de la position statutaire du fonctionnaire à cette date, ainsi que cela ressort sans ambiguïté du point 46 de l’arrêt attaqué.

43      Dans ces conditions, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a pu considérer, d’une part, au point 49 de l’arrêt attaqué, que les situations couvertes par les dispositions des articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut étaient comparables et, d’autre part, aux points 46 et 50 de l’arrêt attaqué, que les situations couvertes par ces dispositions se distinguaient seulement au regard de la date de la conclusion du mariage par rapport à la position statutaire du fonctionnaire.

44      La Commission et le Conseil affirment, cependant, en premier lieu, que les situations visées aux articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut se distinguent de manière essentielle et objective par le fait que, précisément, à la date de la conclusion du mariage, le fonctionnaire était, dans le cadre de la première disposition, encore au service d’une institution de l’Union, tandis qu’il ne l’était plus dans le cadre de la seconde disposition. Le Tribunal aurait ainsi omis de tenir suffisamment compte de cet élément caractéristique dans son appréciation de la comparabilité des situations.

45      Toutefois, ainsi que le Tribunal l’a indiqué à bon droit au point 47 de l’arrêt attaqué, la nature juridique des liens qui unissaient le conjoint survivant au fonctionnaire décédé ne diffère pas selon que, à la date de la conclusion du mariage, le fonctionnaire exerçait une activité professionnelle ou non. De même, comme le Tribunal l’a constaté au point 48 de l’arrêt attaqué, la circonstance que le fonctionnaire défunt se soit marié avant ou après sa cessation de service n’est pas de nature à modifier, de manière essentielle, la situation du conjoint survivant en ce qui concerne ses droits patrimoniaux, dont fait partie le droit à une pension de survie en tant que revenu de remplacement.

46      En effet, la date de la conclusion du mariage est déterminée par la seule volonté des futurs époux. Cette décision procède d’un libre choix de la part du fonctionnaire sur la base de considérations multiples qui n’impliquent pas nécessairement ni uniquement la prise en compte des circonstances liées à l’exercice ou non d’une activité professionnelle. Contrairement à ce qu’affirment la Commission et le Conseil, le fait que ce fonctionnaire est ou non en service à cette date ne saurait, dès lors, avoir une incidence déterminante sur l’appréciation de la comparabilité des situations en cause au regard des critères rappelés au point 39 de la présente ordonnance et, notamment, de l’objet et du but des articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut, tels que rappelés au point 41 de la présente ordonnance. À cet égard, le raisonnement du Tribunal, rappelé au point précédent de la présente ordonnance, est fondé, en substance, sur cet objet et ce but ainsi que sur le principal élément caractéristique du droit à une pension de survie, indiqué au point 42 de la présente ordonnance.

47      Il est vrai que, ainsi qu’il ressort de ce même point 42 de la présente ordonnance, la position statutaire du fonctionnaire à la date de la conclusion du mariage a une incidence sur la condition de durée minimale de ce mariage. Alors que la durée exigée n’est que d’un an dans le cas où le mariage est contracté lorsque le fonctionnaire est encore en service, elle est portée à cinq ans dans le cas où le fonctionnaire se marie après avoir cessé d’être au service d’une institution de l’Union.

48      Toutefois, comme cela ressort des points 45 et 46 de la présente ordonnance, ni la position statutaire du fonctionnaire ni la date de la conclusion du mariage ne sont des éléments pertinents au stade de la comparabilité des situations en ce qu’ils sont dénués de lien direct avec l’objet, le but et le principal élément caractéristique du droit à une pension de survie, visé aux articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut.

49      C’est pour cette raison qu’il convient de considérer, par analogie, comme la Cour l’a, s’agissant de la pension de survie prévue à l’article 17 de l’annexe VIII du statut, indiqué au point 70 de l’arrêt du 19 décembre 2019, HK/Commission (C‑460/18 P, EU:C:2019:1119), que l’octroi de la pension de survie dépend « seulement », dans son principe même, de la nature juridique des liens qui unissaient la personne concernée au fonctionnaire décédé, et ce alors même que la Cour a reconnu, au point 89 de cet arrêt, que la durée minimale du mariage constitue elle aussi une condition pour que le conjoint survivant bénéficie de la pension de survie.

50      En effet, c’est la nature juridique des liens entre les conjoints qui sous-tend le régime des pensions de survie de la fonction publique de l’Union, en ce que cette condition d’octroi est commune à l’ensemble des pensions de survie visées aux articles 17 à 20 et à l’article 27 de l’annexe VIII du statut. La condition de durée minimale du mariage, quant à elle, revêt un caractère accessoire à la condition relative à la nature juridique des liens entre les conjoints, dans la mesure où elle vise seulement à préciser la durée pendant laquelle le lien juridique doit avoir perduré aux fins de l’octroi de la pension de survie. Cette condition accessoire n’est en outre pas reprise dans certaines des pensions de survie, telles que celles visées aux articles 19 et 27 de l’annexe VIII du statut.

51      C’est donc à juste titre que le Tribunal a, aux points 45 et 47 de l’arrêt attaqué, insisté, dans sa motivation, sur l’importance du lien juridique entre les conjoints en tant qu’élément principal caractérisant le régime des pensions de survie de l’Union et conclu à l’absence d’incidence de la position statutaire du fonctionnaire sur ce lien.

52      La Commission et le Conseil soutiennent, en deuxième lieu, que la situation d’un ancien fonctionnaire qui se marie après sa cessation de service ne nécessite pas qu’un revenu de remplacement soit offert au conjoint survivant avec la même évidence que dans le cas du fonctionnaire qui se marie alors qu’il est encore en service. À cet égard, il suffit de rappeler, ainsi que le Tribunal l’a indiqué à juste titre au point 48 de l’arrêt attaqué, en faisant référence au point 69 de l’arrêt du 19 décembre 2019, HK/Commission (C‑460/18 P, EU:C:2019:1119), que le droit aux pensions de survie visées aux articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut n’est pas soumis à des conditions de ressources ou de patrimoine devant caractériser une incapacité du conjoint survivant à faire face à ses besoins et démontrant ainsi sa dépendance financière passée par rapport au défunt.

53      La Commission avance, en troisième lieu, que le Tribunal n’a pas tenu compte de la finalité de la durée minimale du mariage prévue aux articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut et qui consisterait, ainsi qu’il résulte du point 89 de l’arrêt du 19 décembre 2019, HK/Commission (C‑460/18 P, EU:C:2019:1119), à éviter la conclusion de pactes successoraux frauduleux ou abusifs, un tel risque d’abus ou de fraude distinguant, sur le plan personnel, les situations couvertes par ces deux articles. À cet égard, il suffit de relever que cet aspect n’est pas pertinent au stade de la comparabilité des situations. Cet argument se rapporte en effet à la justification de la durée plus ou moins importante exigée du mariage, si bien qu’il ne peut intervenir qu’au stade de l’appréciation du caractère proportionné de l’éventuelle différence de traitement constatée.

54      S’agissant, au surplus, de l’argument de la Commission selon lequel le défaut de comparabilité des situations serait également attesté par le fait que, contrairement à ce qui est prévu à l’article 20 de l’annexe VIII du statut, la condition de durée minimale du mariage cesse, en vertu de l’article 18 de cette annexe, de jouer lorsque le conjoint survivant pourvoit ou a pourvu aux besoins des enfants de l’ancien fonctionnaire, cet élément est sans incidence sur l’appréciation de la comparabilité des situations couvertes par ces deux articles. En effet, la condition relative à l’entretien des enfants, prévue seulement à l’article 18 de l’annexe VIII du statut, revêt, par analogie avec ce qui a été indiqué aux points 47 et 49 de la présente ordonnance, le même caractère accessoire que la condition relative à la durée minimale du mariage, à laquelle elle se substitue. Elle est ainsi dénuée de lien direct avec l’objet, le but et le principal élément caractéristique du droit à une pension de survie, visé aux articles 18 et 20 de cette annexe.

55      Il ressort des considérations qui précèdent que, contrairement à ce que la Commission et le Conseil affirment, les conclusions auxquelles le Tribunal est parvenu, aux points 49 et 50 de l’arrêt attaqué, ne sont pas entachées d’une erreur de droit.

56      Il s’ensuit qu’il convient de rejeter comme étant non fondés la troisième branche du premier moyen et le deuxième moyen dans l’affaire C‑341/21 P ainsi que le premier moyen dans l’affaire C‑357/21 P.

 Sur les deux premières branches du premier moyen dans l’affaire C341/21 P ainsi que sur le deuxième moyen dans l’affaire C357/21 P

–       Argumentation des parties

57      Par ces moyens, la Commission et le Conseil reprochent, en substance, au Tribunal d’avoir commis, dans l’arrêt attaqué, une erreur de droit en ce qui concerne l’étendue du contrôle juridictionnel.

58      Ces deux institutions font valoir que, à la deuxième phrase du point 42 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a fait application d’une jurisprudence de l’Union développée dans le contexte radicalement différent des choix de politique de personnel dans des situations où plusieurs options sont ouvertes au législateur. C’est ainsi que le Tribunal aurait, notamment au point 78 de l’arrêt attaqué, conclu à tort au caractère simplement « déraisonnable » du choix du législateur de l’Union concernant la durée minimale de mariage retenue à l’article 20 de l’annexe VIII du statut. Ce faisant, il aurait procédé à un contrôle allant au-delà du caractère « manifestement inapproprié ou inadéquat » de la disposition en cause par rapport à l’objectif poursuivi par les institutions compétentes, à savoir, en l’espèce, prévenir l’abus de droit et les fraudes. Le Tribunal aurait, de la sorte, substitué sa propre appréciation à celle du législateur de l’Union et aurait donc dépassé les limites du contrôle de légalité.

59      La Commission avance, en outre, que le Tribunal, alors qu’il aurait affirmé fonder son appréciation de la légalité de l’article 20 de l’annexe VIII sur les articles 20 et 21 de la Charte, s’est écarté de la jurisprudence de la Cour selon laquelle l’appréciation de la légalité d’un acte de l’Union au regard des droits fondamentaux ne saurait, en tout état de cause, reposer sur des allégations tirées des conséquences de cet acte dans un cas particulier. En effet, le Tribunal aurait tiré argument de la particularité des circonstances factuelles de l’espèce, au point 72 de l’arrêt attaqué, pour juger l’article 20 de l’annexe VIII du statut illégal.

–       Appréciation de la Cour

60      Il y a lieu de relever que le Tribunal a rappelé, aux points 40 à 42 de l’arrêt attaqué, les exigences mentionnées à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte ainsi que la jurisprudence applicable aux fins du contrôle de proportionnalité d’une différence de traitement. Il a ensuite jugé, au point 43 de l’arrêt attaqué, que, si les situations visées respectivement aux articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut étaient comparables, il devrait alors vérifier qu’il n’apparaissait pas déraisonnable pour le législateur de l’Union d’estimer que la différence de traitement instituée puisse être appropriée et nécessaire aux fins de la réalisation de l’objectif d’intérêt général poursuivi par la condition relative à la durée minimale de mariage prévue à l’article 20 de l’annexe VIII du statut. Ayant conclu à la comparabilité des situations, il a effectué cette analyse à partir du point 58 de l’arrêt attaqué.

61      Or, ainsi que le soutiennent la Commission et le Conseil, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, en présence de règles statutaires, telles que celles en cause en l’espèce, et compte tenu du large pouvoir d’appréciation dont dispose le législateur de l’Union à cet égard, le principe d’égalité de traitement, tel que consacré à l’article 20 de la Charte, n’est méconnu que lorsque le législateur de l’Union procède à une différenciation arbitraire ou manifestement inadéquate par rapport à l’objectif poursuivi par la réglementation en cause (arrêt du 14 juillet 2022, Commission/VW e.a., C‑116/21 P à C‑118/21 P, C‑138/21 P et C‑139/21 P, EU:C:2022:557, point 127 ainsi que jurisprudence citée).

62      Cette jurisprudence est applicable dans le cadre de la vérification de l’exigence de proportionnalité imposée à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte (arrêt du 14 juillet 2022, Commission/VW e.a., C‑116/21 P à C‑118/21 P, C‑138/21 P et C‑139/21 P, EU:C:2022:557, point 128).

63      En l’occurrence, le Tribunal a considéré, au point 43 de l’arrêt attaqué, qu’il devait vérifier s’il n’apparaissait pas déraisonnable pour le législateur de l’Union d’estimer que la différence de traitement instituée puisse être appropriée et nécessaire aux fins de la réalisation de l’objectif d’intérêt général poursuivi par la condition relative à la durée minimale de mariage prévue à l’article 20 de l’annexe VIII du statut.

64      Or, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 61 et 62 de la présente ordonnance, il aurait dû se limiter à vérifier si la différenciation opérée à cette disposition, lue en combinaison avec l’article 18 de cette annexe, n’apparaissait pas arbitraire ou manifestement inadéquate au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi. En procédant de manière incorrecte à l’examen de l’exigence de proportionnalité, le Tribunal a méconnu l’étendue de son contrôle juridictionnel et a ainsi commis une erreur de droit. En effet, sans cette erreur, le Tribunal aurait été amené à adopter un raisonnement différent et à parvenir éventuellement à des conclusions autres que celles auxquelles il a abouti aux points 78, 79 et 81 de l’arrêt attaqué.

65      Cette méconnaissance de l’étendue du contrôle juridictionnel s’est également répercutée au point 63 de l’arrêt attaqué. Le Tribunal s’est en effet attaché à examiner, à partir de ce point, si la condition de durée minimale du mariage de cinq ans prévue à l’article 20 de l’annexe VIII du statut, prise isolément et indépendamment de celle d’un an prévue à l’article 18 de cette annexe, était, au regard de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, proportionnée en ce sens qu’elle n’allait pas manifestement au-delà de ce qui est nécessaire pour réaliser l’objectif poursuivi par le législateur de l’Union. Or, ainsi qu’il ressort du point 62 de la présente ordonnance, même dans le cadre de cette disposition de la Charte, le Tribunal aurait dû se contenter d’examiner si la différenciation constatée en l’espèce, à savoir le fait que la condition de durée minimale du mariage est, dans les situations relevant de l’article 20 de l’annexe VIII du statut, cinq fois supérieure à celle prévue pour les situations relevant de l’article 18 de cette annexe, alors même que l’ensemble de ces situations sont comparables, devait être considérée comme arbitraire ou manifestement inadéquate au regard de l’objectif, commun à ces deux dispositions, poursuivi par le législateur de l’Union.

66      Dans ces conditions et sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres arguments soulevés par la Commission et le Conseil, il y a lieu de faire droit à la deuxième branche du premier moyen du pourvoi dans l’affaire C‑341/21 P ainsi qu’au deuxième moyen du pourvoi dans l’affaire C‑357/21 P.

67      Partant, il convient, sans qu’il soit besoin d’examiner la première branche du premier moyen et le troisième moyen dans l’affaire C‑341/21 P ni le troisième moyen dans l’affaire C‑357/21 P, d’accueillir les pourvois et d’annuler l’arrêt attaqué.

 Sur le recours devant le Tribunal

68      Conformément à l’article 61, premier alinéa, deuxième phrase, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, celle-ci peut, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.

69      En l’espèce, eu égard notamment à la circonstance que le recours en annulation dans l’affaire T‑374/20 est fondé sur des moyens ayant fait l’objet d’un débat contradictoire devant le Tribunal et dont l’examen n’exige d’adopter aucune mesure supplémentaire d’organisation de la procédure ou d’instruction du dossier, il convient de considérer que ce recours est en état d’être jugé et qu’il y a lieu de statuer définitivement sur celui-ci.

70      À l’appui de son recours devant le Tribunal, KM a soulevé deux moyens tirés de l’illégalité, premièrement, de l’article 18 de l’annexe VIII du statut et, deuxièmement, de l’article 20 de cette annexe.

 Sur le premier moyen, tiré de l’illégalité de l’article 18 de l’annexe VIII du statut

71      Par ce premier moyen, KM allègue, en substance, une violation des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination fondée sur l’orientation sexuelle au motif que, si son conjoint décédé et elle-même avaient formé un couple de même sexe auquel l’accès au mariage aurait été refusé, elle aurait pu, compte tenu du fait que leur contrat de partenariat notarié, enregistré par la suite en tant que déclaration de cohabitation légale, a été conclu avant la cessation d’activité de son conjoint et plus d’un an avant le décès de ce dernier, bénéficier d’une pension de survie sur le fondement des dispositions combinées de l’article 1er de l’annexe VII du statut et de l’article 18 de l’annexe VIII de celui-ci. Il serait ainsi discriminatoire d’exiger des couples de sexe différent qu’ils se marient, tandis que, pour les couples de même sexe, une forme de cohabitation durable déclarée suffirait à fonder le droit à la pension de survie.

72      La Commission, soutenue par le Parlement et par le Conseil, conteste cette argumentation.

73      À cet égard, il y a lieu de rappeler que le principe d’égalité de traitement constitue un principe général du droit de l’Union, consacré à l’article 20 de la Charte, dont le principe de non-discrimination énoncé à l’article 21, paragraphe 1, de la Charte est une expression particulière. Ces deux principes sont également rappelés à l’article 1er quinquies du statut (arrêt du 14 juillet 2022, Commission/VW e.a., C‑116/21 P à C‑118/21 P, C‑138/21 P et C‑139/21 P, EU:C:2022:557, point 140 ainsi que jurisprudence citée).

74      Ainsi qu’il a déjà été indiqué au point 38 de la présente ordonnance, le principe général d’égalité de traitement exige du législateur de l’Union, conformément aux exigences de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié. Une différence de traitement est justifiée dès lors qu’elle est fondée sur un critère objectif et raisonnable, à savoir lorsqu’elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par la législation en cause, et que cette différence est proportionnée au but poursuivi par le traitement concerné (arrêt du 14 juillet 2022, Commission/VW e.a., C‑116/21 P à C‑118/21 P, C‑138/21 P et C‑139/21 P, EU:C:2022:557, point 142 ainsi que jurisprudence citée).

75      Comme cela a été exposé au point 39 de la présente ordonnance, l’exigence tenant au caractère comparable des situations, afin de déterminer l’existence d’une violation du principe d’égalité de traitement, doit être appréciée au regard de l’ensemble des éléments qui les caractérisent et, notamment, à la lumière de l’objet et du but poursuivi par l’acte qui institue la distinction en cause, étant entendu qu’il doit être tenu compte, à cet effet, des principes et des objectifs du domaine dont relève cet acte. Pour autant que les situations ne sont pas comparables, une différence de traitement des situations concernées ne viole pas l’égalité en droit consacrée à l’article 20 de la Charte.

76      Aux fins de déterminer si, ainsi que l’allègue KM, l’article 18 de l’annexe VIII du statut, lu en combinaison avec l’article 1er quinquies, paragraphe 1, second alinéa, du statut et l’article 1er, paragraphe 2, sous c), de l’annexe VII du statut, revêt un caractère discriminatoire et est, partant, entaché d’illégalité du fait que son champ d’application ne couvre que certains couples relevant d’un régime non matrimonial, il convient au préalable d’examiner si les catégories de couples en question se trouvent dans une situation comparable.

77      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, conformément à son libellé, l’article 18 de l’annexe VIII du statut ne couvre, en principe, que les couples ayant contracté mariage, étant précisé que tant les conjoints de sexe différent que les conjoints de même sexe peuvent relever du champ d’application de cette disposition en fonction de la configuration du droit des États membres.

78      Toutefois, par l’effet combiné de l’article 1er quinquies, paragraphe 1, second alinéa, du statut et de l’article 1er, paragraphe 2, sous c), de l’annexe VII du statut, le législateur de l’Union a explicitement étendu l’application des dispositions du statut relatives aux personnes mariées, sous certaines conditions, aux personnes liées par un partenariat non matrimonial enregistré (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, HK/Commission, C‑460/18 P, EU:C:2019:1119, point 74).

79      Ainsi, aux termes de l’article 1er quinquies, paragraphe 1, second alinéa, du statut, aux fins de ce dernier, les partenariats non matrimoniaux enregistrés sont traités au même titre que le mariage, pourvu que toutes les conditions énumérées à l’article 1er, paragraphe 2, sous c), de l’annexe VII du statut soient remplies, ces conditions étant, notamment, la fourniture par le couple concerné d’un document officiel reconnu comme tel par un État membre ou par toute autorité compétente d’un État membre, attestant leur statut de partenaires non matrimoniaux, ainsi que l’impossibilité pour le couple d’avoir accès au mariage civil dans un État membre.

80      Il s’ensuit que l’article 18 de l’annexe VIII du statut, lu en combinaison avec les dispositions mentionnées au point précédent, couvre non seulement les couples mariés, mais également les couples unis par un partenariat non matrimonial enregistré lorsque ces derniers sont privés de l’accès au mariage. En revanche, cet article 18 ne couvre pas les couples unis par un tel partenariat dans le cas où, à l’instar de la situation qui était celle de KM et de son conjoint avant leur mariage, ces couples ne sont pas privés de la possibilité de se marier dans l’État membre dont ils relèvent.

81      Il y a donc lieu de constater que les couples unis par un partenariat non matrimonial enregistré sont traités de manière différente dans le cadre de l’article 18 de l’annexe VIII du statut, selon qu’ils ont la possibilité ou non de contracter mariage dans leur État membre. Cette possibilité de contracter mariage est le critère retenu par le législateur de l’Union pour distinguer les deux situations. Ainsi que KM le fait observer en substance, ce critère est fondé indirectement sur l’orientation sexuelle au sens de l’article 21, paragraphe 1, de la Charte et de l’article 1er quinquies, paragraphe 1, du statut, en ce que les couples de sexe différent ne sont privés de la possibilité de contracter mariage dans aucun État membre de l’Union, contrairement aux couples de même sexe qui, dans certains de ces États membres, sont toujours dans l’impossibilité de se marier.

82      Toutefois, ces situations ne sauraient être considérées comme étant comparables.

83      En effet, l’article 1er quinquies, paragraphe 1, second alinéa, du statut et l’article 1er, paragraphe 2, sous c), de l’annexe VII du statut ont pour objet d’assimiler les partenariats non matrimoniaux enregistrés au mariage dans le but de permettre aux personnes qui n’ont pas accès au mariage dans l’État membre dont elles relèvent de bénéficier des dispositions du statut relatives aux personnes mariées (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, HK/Commission, C‑460/18 P, EU:C:2019:1119, points 74 à 76). Cette assimilation s’inscrit dans l’objectif fondamental du statut, rappelé dans la disposition cardinale que constitue l’article 1er quinquies de celui-ci, qui consiste à garantir le principe d’égalité de traitement et, notamment, à éviter toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle des personnes. Ainsi, le législateur de l’Union a estimé nécessaire, dans le cadre de la poursuite de cet objectif, de permettre aux personnes qui, bien qu’étant privées de la possibilité de se marier dans un État membre, ont opté pour une union la plus proche du mariage de bénéficier des dispositions du statut relatives aux personnes mariées.

84      En revanche, une telle assimilation et une telle protection ne s’imposent nullement dans le cas où un couple uni par un partenariat non matrimonial enregistré n’est pas privé de la possibilité de se marier et, partant, de bénéficier des dispositions du statut relatives aux personnes mariées. En effet, ainsi que la Commission l’a indiqué dans son mémoire en défense devant le Tribunal, dans une telle hypothèse, le choix de recourir à un partenariat non matrimonial enregistré plutôt qu’au mariage résulte d’une décision délibérée des deux partenaires quant aux conséquences juridiques liées à ce choix, si bien que, lorsqu’un couple n’opte pas pour le mariage alors que cette possibilité lui est offerte par le droit national, il ne saurait être considéré comme étant dans une situation comparable aux couples qui ont opté pour le mariage ou qui ont été légalement exclus de la possibilité de se marier.

85      En application de la jurisprudence rappelée au point 75 de la présente ordonnance, il convient donc de constater que, compte tenu du principal élément caractéristique tenant à la possibilité ou non de contracter mariage, de l’objet et du but poursuivi par la distinction en cause, exposés au point 83 de la présente ordonnance, ainsi que de l’objectif cardinal du statut de garantir les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, un couple uni par un partenariat non matrimonial enregistré qui, à l’instar de KM et de son conjoint avant leur mariage, n’est pas privé de la possibilité de se marier dans l’État membre dont il relève ne se trouve pas dans une situation comparable à celle d’un couple uni par un partenariat non matrimonial enregistré, mais privé d’une telle possibilité.

86      Dans ces conditions, il convient de rejeter le premier moyen tiré de l’illégalité de l’article 18 de l’annexe VIII du statut.

 Sur le second moyen, tiré de l’illégalité de l’article 20 de l’annexe VIII du statut

87      Par son second moyen, KM soutient que l’article 20 de l’annexe VIII du statut méconnaît les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination fondée sur l’âge, en ce que, en imposant une condition de durée minimale du mariage de cinq ans alors que l’article 18 de l’annexe VIII du statut ne prévoit qu’une durée d’un an, il la prive indûment du bénéfice d’une pension de survie.

88      La Commission, soutenue par le Parlement et par le Conseil, conteste cette argumentation.

89      Il convient de rappeler que, aux termes de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, toute limitation de l’exercice des droits et des libertés reconnus par celle-ci doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.

90      Par ailleurs, ainsi qu’il a déjà été indiqué aux points 73 à 75 de la présente ordonnance, le principe d’égalité de traitement constitue un principe général du droit de l’Union, consacré à l’article 20 de la Charte, dont le principe de non-discrimination énoncé à l’article 21, paragraphe 1, de la Charte est une expression particulière, ces deux principes étant également rappelés à l’article 1er quinquies du statut.

91      Enfin, selon la jurisprudence de la Cour déjà mentionnée au point 61 de la présente ordonnance, en présence de règles statutaires, telles que celles en cause en l’espèce, et compte tenu du large pouvoir d’appréciation dont dispose le législateur de l’Union à cet égard, le principe d’égalité de traitement n’est méconnu que lorsque le législateur de l’Union procède à une différenciation arbitraire ou manifestement inadéquate par rapport à l’objectif poursuivi par la réglementation en cause.

92      C’est à l’aune de cette jurisprudence et des exigences de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte qu’il convient d’examiner l’exception d’illégalité de l’article 20 de l’annexe VIII du statut, soulevée par KM, au regard des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination fondée sur l’âge, consacrés respectivement à l’article 20 et à l’article 21, paragraphe 1, de la Charte et rappelés à l’article 1er quinquies du statut.

93      S’agissant, en premier lieu, de la comparabilité des situations visées aux articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut, il y a lieu de considérer, pour les motifs indiqués aux points 41 à 56 de la présente ordonnance, que ces situations sont comparables.

94      En deuxième lieu, il convient de constater que, en prévoyant, à ces dispositions de l’annexe VIII du statut, des durées minimales du mariage différentes, le législateur de l’Union a traité de manière différente des situations comparables.

95      En outre, il convient de relever que cette différence de traitement est également indirectement fondée sur l’âge.

96      En effet, d’une part, les situations couvertes par les dispositions des articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut se distinguent au regard de la date de la conclusion du mariage par rapport à la cessation de service ou non du fonctionnaire telle qu’elle résulte de l’article 47 du statut et, d’autre part, une telle cessation de service intervient, pour l’essentiel, par l’effet de la mise à la retraite, au sens de l’article 52 du statut. Or, compte tenu du fait que, pris dans son application la plus large, cet article 52 prévoit que la mise à la retraite des fonctionnaires titulaires d’une pension d’ancienneté, au sens de l’article 20 de l’annexe VIII du statut, peut s’effectuer entre 58 et 70 ans, il y a lieu de constater que les anciens fonctionnaires visés à cet article 20 se sont généralement mariés à un âge plus avancé que les anciens fonctionnaires visés à l’article 18 de l’annexe VIII du statut (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2022, Commission/VW e.a., C‑116/21 P à C‑118/21 P, C‑138/21 P et C‑139/21 P, EU:C:2022:557, point 174).

97      Il s’ensuit que l’article 20 de l’annexe VIII du statut, lu en combinaison avec l’article 18 de cette annexe, établit également une différence de traitement indirectement fondée sur l’âge du fonctionnaire, étant précisé que le fait que des fonctionnaires peuvent, en vertu de l’article 52 du statut, être mis à la retraite et jouir d’une pension d’ancienneté avec une différence d’âge de 12 ans dans les cas les plus extrêmes ne saurait suffire à nier que cette différence de traitement est bien fondée sur l’âge (arrêt du 14 juillet 2022, Commission/VW e.a., C‑116/21 P à C‑118/21 P, C‑138/21 P et C‑139/21 P, EU:C:2022:557, point 175 et jurisprudence citée).

98      En troisième lieu, il convient d’examiner si la différence de traitement relevée aux points 94 à 97 de la présente ordonnance est conforme à l’article 20 et à l’article 21, paragraphe 1, de la Charte en ce qu’elle répond aux critères énoncés à l’article 52, paragraphe 1, de celle-ci et rappelés au point 89 de la présente ordonnance.

99      Premièrement, il est constant que cette différence de traitement est prévue par la loi, au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, dès lors qu’elle résulte de l’article 20 de l’annexe VIII du statut, lu en combinaison avec l’article 18 de cette annexe. Ces dispositions du droit de l’Union prévoient des conditions de durée minimale du mariage chiffrées de manière précise qui définissent la portée de la limitation de l’exercice du droit à l’égalité de traitement et à la non-discrimination fondée sur l’âge (voir, s’agissant de la portée de l’exigence selon laquelle toute limitation de l’exercice des droits fondamentaux doit être prévue par la loi, arrêt du 26 avril 2022, Pologne/Parlement et Conseil, C‑401/19, EU:C:2022:297, point 64 ainsi que jurisprudence citée).

100    Deuxièmement, la limitation apportée au régime des pensions de survie par la différence de traitement en cause respecte le contenu essentiel du principe d’égalité de traitement et du principe de non-discrimination fondée sur l’âge, conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte. En effet, cette limitation ne remet pas en cause ces principes en tant que tels dans la mesure où elle ne porte que sur la question, limitée, de la condition minimale de durée du mariage à laquelle les conjoints survivants de fonctionnaires ou d’anciens fonctionnaires décédés doivent satisfaire pour pouvoir bénéficier d’une pension de survie, sans que ces conjoints soient privés de la possibilité de bénéficier d’une telle pension dans chacun des cas de figure envisagés aux articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut.

101    Troisièmement, ladite limitation répond à un objectif d’intérêt général, au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, à savoir celui visant à prévenir les abus de droit et les fraudes, l’interdiction de celles-ci constituant un principe général du droit de l’Union dont le respect s’impose aux justiciables (voir, en ce sens, arrêt du 6 février 2018, Altun e.a., C‑359/16, EU:C:2018:63, point 49). La Cour a, en effet, déjà jugé que la condition selon laquelle le mariage doit avoir duré un certain temps pour que le conjoint survivant bénéficie de la pension de survie vise à s’assurer de la réalité et de la stabilité des relations entre les personnes concernées (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, HK/Commission, C‑460/18 P, EU:C:2019:1119, point 89). Il s’agit d’un critère uniforme et indistinctement applicable à l’ensemble des conjoints survivants couverts par les dispositions des articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut, qui vise non pas à présumer l’existence d’abus ou de fraudes dans le chef des conjoints survivants, mais à prévenir la commission de tels abus ou fraudes.

102    S’agissant, quatrièmement, de l’examen de proportionnalité, il convient, dans le cadre du contrôle de légalité d’une disposition du droit de l’Union au regard du principe d’égalité de traitement et en raison du large pouvoir d’appréciation dont dispose le législateur de l’Union en matière de règles statutaires, de vérifier, ainsi qu’il a été rappelé aux points 61 et 91 de la présente ordonnance, si, en imposant une durée minimale du mariage de cinq ans au conjoint survivant ayant épousé un fonctionnaire après la cessation de service de ce dernier, alors que cette durée minimale n’est, en vertu de l’article 18 de l’annexe VIII du statut, que d’un an dans le cas d’un mariage contracté avec un fonctionnaire encore en service, l’article 20 de cette annexe prévoit une différenciation arbitraire ou manifestement inadéquate par rapport à l’objectif d’intérêt général rappelé au point précédent de la présente ordonnance.

103    La Cour a déjà jugé que la condition de durée minimale d’un an prévue à l’article 17 de l’annexe VIII du statut n’est ni arbitraire ni manifestement inadéquate au regard de cet objectif, cette analyse valant mutatis mutandis pour la condition de durée minimale d’un an prévue à l’article 18 de l’annexe VIII du statut (voir, par analogie, arrêt du 19 décembre 2019, HK/Commission, C‑460/18 P, EU:C:2019:1119, point 90).

104    Ainsi que la Commission, soutenue par le Conseil et le Parlement, l’a indiqué en substance dans ses écrits, il n’apparaît ni arbitraire ni manifestement inadéquat d’exiger, à l’article 20 de l’annexe VIII du statut, une durée minimale du mariage plus longue que celle prévue à l’article 18 de cette annexe. En effet, dans l’hypothèse visée à cet article 20, caractérisée par le fait que le mariage est contracté après la cessation de service du fonctionnaire, l’incitation aux abus ou à la fraude est susceptible d’être favorisée par la plus grande prévisibilité et la plus grande proximité du décès du fonctionnaire dès lors que, comme en l’occurrence, cette cessation intervient par l’effet de la mise à la retraite, au sens de l’article 52 du statut.

105    Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, en fixant à l’article 20 de l’annexe VIII du statut une durée minimale du mariage de cinq ans afin de prévenir les abus et les fraudes alors que cette durée n’est que d’un an dans les situations couvertes par l’article 18 de cette annexe, le législateur de l’Union, dans le cadre du large pouvoir d’appréciation qui lui appartient, n’a pas opéré de différenciation arbitraire ou manifestement inadéquate.

106    Il découle de ce qui précède que la différence de traitement instituée à l’article 20 de l’annexe VIII du statut est conforme à l’article 20 et à l’article 21, paragraphe 1, de la Charte.

107    Dès lors, il y a lieu de rejeter le second moyen tiré d’une illégalité de l’article 20 de l’annexe VIII du statut au regard des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination fondée sur l’âge et, partant, le recours de KM.

 Sur les dépens

108    Conformément à l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.

109    Conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute personne qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

110    KM ayant succombé en ses moyens après accueil des pourvois et la Commission ainsi que le Conseil ayant respectivement conclu à sa condamnation aux dépens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par ces deux institutions tant en première instance que dans les présents pourvois.

111    Bien qu’il n’ait pas participé à la procédure de pourvoi, le Parlement est intervenu en première instance devant le Tribunal. À la suite de l’annulation de l’arrêt attaqué et de l’évocation de l’affaire T‑374/20 dans la présente ordonnance, il convient de statuer à nouveau sur les dépens de cette institution en première instance, conformément aux dispositions combinées de l’article 137 et de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure.

112    À cet égard, conformément à l’article 140, paragraphe 1, de ce règlement, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Dans ces conditions, le Parlement supportera les dépens qu’il a exposés en première instance.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) ordonne :

1)      L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 24 mars 2021, KM/Commission (T374/20, non publié, EU:T:2021:162), est annulé.

2)      Le recours de KM dans l’affaire T374/20 est rejeté.

3)      KM est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne et le Conseil de l’Union européenne tant dans l’affaire T374/20 que dans les affaires C341/21 P et C357/21 P.

4)      Le Parlement européen supporte les dépens exposés dans l’affaire T374/20.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.