Language of document : ECLI:EU:C:2023:625

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

5 septembre 2023 (*)

« Recours en carence – Règlement (UE) 2018/1806 – Article 7, premier alinéa, sous f) – Liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l’obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres – Liste des pays tiers dont les ressortissants sont exemptés de cette obligation – Principe de réciprocité – Invitation à adopter un acte délégué suspendant provisoirement l’exemption de visa pour une période de douze mois à l’égard des ressortissants des États-Unis d’Amérique »

Dans l’affaire C‑137/21,

ayant pour objet un recours en carence au titre de l’article 265 TFUE, introduit le 4 mars 2021,

Parlement européen, représenté par M. S. Alonso de León, Mme P. López-Carceller et M. J. Rodrigues, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mmes A. Azéma et L. Grønfeldt, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice-président, Mmes A. Prechal, K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, M. Safjan et Mme M. L. Arastey Sahún, présidents de chambre, MM. M. Ilešič, J.‑C. Bonichot, I. Jarukaitis (rapporteur), A. Kumin, N. Jääskinen, M. Gavalec, Z. Csehi et Mme O. Spineanu‑Matei, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 15 décembre 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, le Parlement européen demande à la Cour de constater que, en n’adoptant pas un acte délégué en vertu de l’article 7, premier alinéa, sous f), du règlement (UE) 2018/1806 du Parlement européen et du Conseil, du 14 novembre 2018, fixant la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l’obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres et la liste de ceux dont les ressortissants sont exemptés de cette obligation (JO 2018, L 303, p. 39), la Commission européenne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité FUE.

 Le cadre juridique

2        Le règlement 2018/1806 a abrogé et remplacé, avec effet au 18 décembre 2018, le règlement (CE) no 539/2001 du Conseil, du 15 mars 2001, fixant la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l’obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres et la liste de ceux dont les ressortissants sont exemptés de cette obligation (JO 2001, L 81, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2017/850 du Parlement européen et du Conseil, du 17 mai 2017 (JO 2017, L 133, p. 1). Ce règlement 2018/1806 procède, selon son considérant 1, à la codification du règlement abrogé et remplacé, les références faites à ce dernier s’entendant comme étant faites au règlement 2018/1806 et étant à lire selon le tableau de correspondance figurant à l’annexe IV de ce dernier. Selon cette annexe, l’article 1er, paragraphe 4, du règlement no 539/2001 correspond à l’article 7 du règlement 2018/1806.

3        Aux termes du considérant 14 du règlement 2018/1806 :

« La réciprocité totale en matière de visas est un objectif que l’Union [européenne] devrait s’efforcer activement d’atteindre dans ses relations avec les pays tiers, ce qui contribuera à améliorer la crédibilité et la cohérence de la politique extérieure de l’Union. »

4        Le considérant 15 de ce règlement est ainsi libellé :

« Il convient de prévoir un mécanisme de l’Union permettant la mise en œuvre du principe de réciprocité au cas où l’un des pays tiers figurant sur la liste de l’annexe II déciderait de soumettre à l’obligation de visa les ressortissants d’un ou plusieurs États membres. Ce mécanisme devrait apporter une réponse de l’Union en tant qu’acte de solidarité si un tel pays tiers applique une obligation de visa à l’égard des ressortissants d’au moins un État membre. »

5        Le considérant 17 dudit règlement énonce :

« Afin de garantir la participation appropriée du Parlement européen et du Conseil [de l’Union européenne] à la deuxième phase d’application du mécanisme de réciprocité, étant donné la nature politique particulièrement sensible que revêt la suspension de l’exemption de l’obligation de visa pour tous les ressortissants d’un pays tiers figurant sur la liste de l’annexe II et ses implications horizontales pour les États membres, les pays associés à l’espace Schengen et l’Union elle-même, en particulier pour leurs relations extérieures et pour le fonctionnement global de l’espace Schengen, il convient de déléguer à la Commission le pouvoir d’adopter des actes conformément à l’article 290 [TFUE] en ce qui concerne certains éléments du mécanisme de réciprocité. [...] »

6        L’article 1er du règlement 2018/1806 prévoit :

« Le présent règlement détermine les pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l’obligation de visa ou en sont exemptés, sur la base d’une évaluation au cas par cas de divers critères relatifs, entre autres, à l’immigration clandestine, à l’ordre public et à la sécurité, aux avantages économiques, en particulier en termes de tourisme et de commerce extérieur, ainsi qu’aux relations extérieures de l’Union avec les pays tiers concernés y compris, en particulier, des considérations liées au respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que les implications de la cohérence régionale et de la réciprocité. »

7        Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement :

« Les ressortissants des pays tiers figurant sur la liste de l’annexe II sont exemptés de l’obligation [de visa] [...] pour des séjours dont la durée n’excède pas 90 jours sur toute période de 180 jours. »

8        L’article 7 dudit règlement dispose :

« L’application, par un pays tiers figurant sur la liste de l’annexe II, de l’obligation de visa à l’égard des ressortissants d’au moins un État membre donne lieu à l’application des dispositions suivantes :

a)      dans les trente jours de l’application de l’obligation de visa par le pays tiers, l’État membre concerné en fait notification par écrit au Parlement européen, au Conseil et à la Commission.

Cette notification :

i)      précise la date d’application de l’obligation de visa, ainsi que la nature des documents de voyage et visas concernés ;

ii)      comporte un exposé circonstancié des premières mesures que l’État membre concerné a prises en vue d’assurer l’exemption de l’obligation de visa avec le pays tiers en cause et contient toutes les informations nécessaires.

La Commission publie sans tarder les informations relatives à cette notification au Journal officiel de l’Union européenne, y compris les informations concernant la date d’application de l’obligation de visa et la nature des documents de voyage et visas concernés.

Si le pays tiers décide de lever l’obligation de visa avant l’expiration du délai visé au premier alinéa du présent point, la notification n’est pas faite ou est retirée et les informations ne sont pas publiées ;

b)      immédiatement après la date de publication visée au point a), troisième alinéa, et en concertation avec l’État membre concerné, la Commission entame des démarches auprès des autorités du pays tiers en cause, notamment dans les domaines politique, économique et commercial, en vue du rétablissement ou de l’instauration de l’exemption de visa et informe sans tarder le Parlement européen et le Conseil de ces démarches ;

c)      si, dans les 90 jours à compter de la date de publication visée au point a), troisième alinéa, et malgré toutes les démarches entamées conformément au point b), le pays tiers en cause n’a pas levé l’obligation de visa, l’État membre concerné peut demander à la Commission de suspendre l’exemption de l’obligation de visa à l’égard de certaines catégories de ressortissants dudit pays tiers. Lorsqu’un État membre soumet une telle demande, il en informe le Parlement européen et le Conseil ;

d)      lorsqu’elle envisage de nouvelles mesures conformément au point e), f) ou h), la Commission tient compte des effets des mesures prises par l’État membre concerné en vue d’assurer l’exemption de l’obligation de visa avec le pays tiers en cause, des démarches entamées conformément au point b), et des conséquences de la suspension de l’exemption de l’obligation de visa pour les relations externes de l’Union et de ses États membres avec le pays tiers en cause ;

e)      si le pays tiers concerné n’a pas levé l’obligation de visa, la Commission, au plus tard six mois à compter de la date de publication visée au point a), troisième alinéa, et ensuite tous les six mois au moins au cours d’une période qui, au total, ne peut aller au-delà de la date à laquelle l’acte délégué visé au point f) entre en vigueur ou à laquelle il y est fait objection :

i)      adopte, à la demande de l’État membre concerné ou de sa propre initiative, un acte d’exécution portant suspension temporaire, pour une période de six mois au maximum, de l’exemption de l’obligation de visa pour certaines catégories de ressortissants du pays tiers concerné. Cet acte d’exécution fixe une date, dans les 90 jours de son entrée en vigueur, à laquelle la suspension de l’exemption de l’obligation de visa prend effet, en tenant compte des ressources dont disposent les consulats des États membres. Lorsqu’elle adopte des actes d’exécution ultérieurs, la Commission peut prolonger cette période de suspension par de nouvelles périodes de six mois au maximum et peut modifier les catégories de ressortissants du pays tiers concerné pour lesquelles l’exemption de l’obligation de visa est suspendue.

Ces actes d’exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d’examen visée à l’article 11, paragraphe 2. Sans préjudice de l’application de l’article 6, au cours des périodes de suspension, toutes les catégories de ressortissants du pays tiers visées dans l’acte d’exécution sont soumises à l’obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres ; ou

ii)      soumet au comité visé à l’article 11, paragraphe 1, un rapport évaluant la situation et exposant les raisons pour lesquelles elle a décidé de ne pas suspendre l’exemption de l’obligation de visa et en informe le Parlement européen et le Conseil.

Tous les facteurs pertinents, tels que ceux visés au point d), sont pris en compte dans ce rapport. Le Parlement européen et le Conseil peuvent procéder à un débat politique sur la base de ce rapport ;

f)      si, dans les vingt-quatre mois à compter de la date de publication visée au point a), troisième alinéa, le pays tiers concerné n’a pas levé l’obligation de visa, la Commission adopte, conformément à l’article 10, un acte délégué portant suspension temporaire de l’exemption de l’obligation de visa, pour une période de douze mois, à l’égard des ressortissants dudit pays tiers. L’acte délégué fixe une date, dans les 90 jours de son entrée en vigueur, à laquelle la suspension de l’exemption de l’obligation de visa prend effet, en tenant compte des ressources dont disposent les consulats des États membres, et modifie l’annexe II en conséquence. Cette modification s’effectue en insérant à côté du nom du pays tiers concerné un renvoi à une note [en] bas de page indiquant que l’exemption de l’obligation de visa est suspendue en ce qui concerne ce pays tiers et précisant la durée de cette suspension.

À partir de la date à laquelle la suspension de l’exemption de l’obligation de visa prend effet à l’égard des ressortissants du pays tiers concerné ou lorsqu’une objection à l’acte délégué est exprimée en vertu de l’article 10, paragraphe 7, tout acte d’exécution adopté en vertu du point e) du présent article concernant ce pays tiers vient à expiration. Si la Commission présente une proposition législative conformément au point h), la période de suspension de l’exemption de l’obligation de visa visée au premier alinéa du présent point est prolongée de six mois. La note [en] bas de page visée audit alinéa est modifiée en conséquence.

Sans préjudice de l’application de l’article 6, au cours de ces périodes de suspension, les ressortissants du pays tiers concerné par l’acte délégué sont soumis à l’obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres ;

[...]

h)      si, dans les six mois à compter de l’entrée en vigueur de l’acte délégué visé au point f), le pays tiers concerné n’a pas levé l’obligation de visa, la Commission peut présenter une proposition législative visant à modifier le présent règlement en vue de transférer la référence au pays tiers de l’annexe II à l’annexe I ;

[...] »

9        L’article 10 du règlement 2018/1806 prévoit, à ses paragraphes 6 et 7 :

« 6.      Aussitôt qu’elle adopte un acte délégué, la Commission le notifie au Parlement européen et au Conseil simultanément.

7.      Un acte délégué adopté en vertu de l’article 7, point f), n’entre en vigueur que si le Parlement européen ou le Conseil n’a pas exprimé d’objections dans un délai de quatre mois à compter de la notification de cet acte au Parlement européen et au Conseil ou si, avant l’expiration de ce délai, le Parlement européen et le Conseil ont tous deux informé la Commission de leur intention de ne pas exprimer d’objections. Ce délai est prolongé de deux mois à l’initiative du Parlement européen ou du Conseil. »

10      Dans la « Liste des pays tiers dont les ressortissants sont exemptés de l’obligation de visa lors du franchissement des frontières extérieures des États membres pour des séjours dont la durée n’excède pas 90 jours sur toute période de 180 jours », faisant l’objet de l’annexe II de ce règlement, figurent les États-Unis d’Amérique.

 Les antécédents du litige

11      Le 12 avril 2016, la Commission a présenté au Parlement et au Conseil une communication intitulée « État des lieux de la situation de non-réciprocité avec certains pays tiers dans le domaine de la politique des visas et éventuelles voies à suivre à cet égard » [COM(2016) 221 final] (ci-après la « communication du 12 avril 2016 »). Elle indiquait que la grande majorité des cas de non-réciprocité, concernant huit pays tiers, avait été résolue, mais qu’une situation de non-réciprocité persistait à l’égard de trois pays tiers. Au nombre de ces pays tiers figuraient les États-Unis d’Amérique, lesquels soumettaient alors à l’obligation de visa les ressortissants bulgares, croates, chypriotes, polonais et roumains.

12      La Commission a également rappelé, dans cette communication, que, si le pays tiers concerné n’avait pas levé l’obligation de visa au plus tard le 12 avril 2016, elle serait tenue, en vertu du règlement no 539/2001, tel que modifié par le règlement (UE) no 1289/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2013 (JO 2013, L 347, p. 74), d’adopter un acte délégué suspendant pendant douze mois l’exemption de visa pour les ressortissants de ce pays tiers. Elle a également précisé que ce règlement no 539/2001, tel que modifié, lui imposait de prendre en considération les conséquences de la suspension de l’exemption de visa sur les relations extérieures de l’Union et de ses États membres.

13      La Commission a ensuite présenté six communications de suivi de la communication du 12 avril 2016, les première et deuxième aux mois de juillet et de décembre 2016, les troisième et quatrième aux mois de mai et de décembre 2017, la cinquième au mois de décembre 2018 et, enfin, la dernière au mois de mars 2020.

14      À la suite de la deuxième communication de suivi, du 21 décembre 2016, par laquelle la Commission a constaté que la non-réciprocité en matière de visas ne concernait plus que deux pays tiers, à savoir le Canada et les États-Unis d’Amérique, le Parlement a adopté, le 2 mars 2017, la résolution du Parlement européen sur les obligations de la Commission quant à la réciprocité en matière de visas, en application de l’article 1er, paragraphe 4, du règlement (CE) no 539/2001 [2016/2986(RSP)] (ci-après la « résolution du 2 mars 2017 »). Par cette résolution, le Parlement a considéré que la Commission était « juridiquement tenue d’adopter un acte délégué qui suspend temporairement l’exemption de visa pour les ressortissants de pays tiers qui n’ont pas levé l’obligation de visa pour les citoyens de certains États membres, dans un délai de 24 mois à compter de la date de la publication des notifications de cette situation, délai qui [était] arrivé à échéance le 12 avril 2016 », et l’a invitée, sur la base de l’article 265 TFUE, à adopter l’acte délégué qu’il estimait requis.

15      Le 2 mai 2017, par sa troisième communication de suivi, présentée au Parlement et au Conseil, la Commission a répondu à la résolution du 2 mars 2017 et a rendu compte des progrès accomplis [COM(2017) 227 final] (ci-après la « communication du 2 mai 2017 »). Elle a indiqué que l’adoption d’un acte délégué visant à suspendre temporairement l’exemption de l’obligation de visa pour les ressortissants du Canada et des États-Unis d’Amérique serait « pour le moment contre-productive » et « ne contribuerait pas à atteindre l’objectif de l’exemption de visa pour tous les citoyens de l’[Union] ».

16      Dans sa quatrième communication de suivi, du 20 décembre 2017, la Commission a exposé que le seul cas de non-réciprocité restant concernait les États-Unis d’Amérique. La République de Pologne ayant rejoint le programme d’exemption de visa des États-Unis d’Amérique au mois de novembre 2019, la Commission a indiqué, dans sa sixième communication de suivi du 23 mars 2020, que ce programme d’exemption n’avait pas été étendu à l’ensemble des États membres, les États-Unis d’Amérique refusant toujours de lever l’obligation de visa à l’égard des citoyens de la République de Bulgarie, de la République de Croatie, de la République de Chypre et de la Roumanie.

17      Le 22 octobre 2020, par la résolution du Parlement européen sur les obligations de la Commission quant à la réciprocité en matière de visas, en application de l’article 7 du règlement (UE) 2018/1806  [2020/2605(RSP)] (ci-après la « résolution du 22 octobre 2020 »), le Parlement a invité la Commission, sur la base de l’article 265 TFUE, à adopter l’acte délégué qu’il estimait requis par l’article 7, premier alinéa, sous f), du règlement 2018/1806 visant à suspendre temporairement l’exemption de l’obligation de visa de court séjour pour les ressortissants des États-Unis d’Amérique, en raison de l’obligation de visa que ce pays tiers impose aux ressortissants bulgares, chypriotes, croates et roumains.

18      Le 22 décembre 2020, par la communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil définissant la position de la Commission à la suite de la résolution du Parlement européen du 22 octobre 2020 sur les obligations de la Commission quant à la réciprocité en matière de visas et dressant l’état des lieux [COM(2020) 851 final] (ci-après la « communication du 22 décembre 2020 »), la Commission a exposé les raisons pour lesquelles, à ce stade, elle n’entendait toujours pas adopter d’acte délégué visant à suspendre temporairement l’exemption de l’obligation de visa de court séjour pour les ressortissants des États-Unis d’Amérique.

19      Estimant que l’article 7, premier alinéa, sous f), du règlement 2018/1806 ne confère pas à la Commission la faculté de ne pas adopter un acte délégué dès lors que sont remplies les conditions d’adoption d’un tel acte prévues par cette disposition, le Parlement a introduit le présent recours.

 Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

20      Le Parlement demande à la Cour :

–        de constater que, en n’adoptant pas l’acte délégué en vertu de l’article 7, premier alinéa, sous f), du règlement 2018/1806, la Commission a enfreint le traité FUE et

–        de condamner la Commission aux dépens.

21      La Commission demande à la Cour de rejeter le recours et de condamner le Parlement aux dépens.

22      Par acte séparé déposé au greffe le 18 mai 2021, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité, conformément à l’article 151, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour. Le Parlement a présenté ses observations sur cette exception le 28 juin 2021.

23      Le 21 septembre 2021, la Cour a décidé de joindre au fond l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission.

 Sur le recours

 Sur la recevabilité

 Argumentation des parties

24      La Commission excipe de l’irrecevabilité du présent recours pour deux motifs. D’une part, dans son mémoire en défense, elle fait valoir que le Parlement a, en adoptant la résolution du 22 octobre 2020, contourné le délai du recours en carence prévu à l’article 265 TFUE. Cette résolution constituerait, selon elle, une seconde invitation à agir, en substance de même contenu que celle du 2 mars 2017, à tout le moins en ce qui concerne les ressortissants des États-Unis d’Amérique, alors que cette dernière n’a pas été suivie d’une saisine de la Cour. Le Parlement serait, par voie de conséquence, forclos à former un tel recours en carence. D’autre part, dans son exception d’irrecevabilité, la Commission soutient qu’elle a, en adoptant la communication du 22 décembre 2020 en réponse à l’invitation à agir qui lui avait été adressée par le Parlement le 22 octobre de la même année, pris position, au sens de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE.

25      Le Parlement fait valoir que le recours est recevable. S’agissant d’un éventuel contournement du délai du recours en carence prévu à l’article 265 TFUE, il observe, premièrement, que la Commission, en n’adoptant pas l’acte délégué prévu par le règlement 2018/1806, a violé celui-ci de manière continue. Il fait valoir, deuxièmement, que la résolution du 22 octobre 2020 contient deux nouveaux considérants par rapport à la résolution du 2 mars 2017. Le Parlement soutient, troisièmement, que sa composition a changé dans l’intervalle compris entre les deux résolutions, à la suite des élections du mois de juin 2019. Enfin, quatrièmement, il souligne en substance que la seconde invitation à agir repose sur une évaluation de l’évolution de la situation depuis l’adoption de la première invitation à agir, en tenant compte de la dernière communication de suivi de la Commission, à savoir celle du 23 mars 2020. S’agissant de l’exception d’irrecevabilité, le Parlement soutient que la Commission n’a pas pris position, au sens de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE, en adoptant la communication du 22 décembre 2020. En effet, la question de savoir si une institution a pris ou non position ne pourrait être tranchée sur le seul fondement de l’intitulé d’un document émanant de l’institution dont l’inaction est en cause. Par ailleurs, il ne serait pas manifeste que la Commission a pris position sur l’adoption de l’acte délégué en publiant la communication du 22 décembre 2020, qui ne ferait que reprendre des éléments figurant dans ses communications antérieures et exposer les raisons factuelles de son inaction.

 Appréciation de la Cour

26      Aux termes de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE, le recours en carence n’est recevable que si l’institution, l’organe ou l’organisme en cause a été préalablement invité à agir. Si, à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de cette invitation, cette institution, cet organe ou cet organisme n’a pas pris position, ce recours peut être formé dans un nouveau délai de deux mois.

27      La saisine préalable, par le requérant, de l’institution, de l’organe ou de l’organisme en cause constitue une formalité essentielle, non seulement parce qu’elle constitue le point de départ des délais impartis à l’intéressé, mais également parce que, en mettant en cause l’inaction, elle contraint cette institution, cet organe ou cet organisme à prendre position dans un délai limité sur la légalité de son inaction (arrêt du 12 mai 2022, Klein/Commission, C‑430/20 P, EU:C:2022:377, point 47).

28      S’agissant de la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté du présent recours, il est constant que, par la résolution du 2 mars 2017 et par celle du 22 octobre 2020, le Parlement a adressé à la Commission des invitations à agir, au sens de l’article 265 TFUE. La Commission a répondu à ces invitations, respectivement, par ses communications du 2 mai 2017 et du 22 décembre 2020. Il est également constant que, à la suite de la communication du 2 mai 2017, le Parlement n’a pas formé de recours en carence.

29      La question de savoir si le Parlement a méconnu le délai de recours prévu à cette disposition, en ayant formé le présent recours en carence après avoir adressé à la Commission, par la résolution du 22 octobre 2020, une seconde invitation à agir, alors qu’il n’avait pas formé un tel recours à la suite de la résolution du 2 mars 2017 comportant la première invitation à agir, dépend donc du point de savoir si cette seconde invitation à agir est, au regard d’éléments objectifs ayant trait à son contenu ou à son contexte, distincte de la première.

30      À cet égard, il ressort de la communication du 2 mai 2017, présentée au Parlement pour répondre à la résolution du 2 mars 2017, que c’est au terme d’un examen de l’ensemble des circonstances pertinentes, en particulier, des conséquences d’une éventuelle suspension de l’exemption de l’obligation de visa sur les relations extérieures de l’Union et de ses États membres avec les États-Unis d’Amérique, que la Commission a estimé que l’adoption d’un acte délégué suspendant temporairement cette exemption serait « pour le moment » contre-productive et ne contribuerait pas à atteindre l’objectif de l’exemption de visa pour tous les citoyens de l’Union.

31      Par la résolution du 22 octobre 2020, le Parlement a, après l’écoulement d’un délai de plus de trois ans, invité la Commission à reconsidérer la voie choisie dans sa communication du 2 mai 2017, compte tenu des évolutions intervenues depuis celle-ci.

32      Or, d’une part, divers motifs, d’ordre tant juridique que politique, ont pu conduire le Parlement, dans un premier temps, à renoncer à la voie contentieuse à la suite de l’adoption de cette communication par la Commission, et à laisser à cette dernière une possibilité d’obtenir, par la voie diplomatique, des résultats contribuant à l’objectif de réciprocité totale en matière de visas énoncé au considérant 14 du règlement 2018/1806. D’autre part, la résolution du 22 octobre 2020 se réfère à des communications de la Commission postérieures à celle du 2 mai 2017, relatives à la problématique de l’absence de réciprocité en matière de visas avec les États-Unis d’Amérique. Il apparaît ainsi que c’est après avoir évalué l’évolution de la situation depuis l’adoption de la première invitation à agir que le Parlement a, dans un second temps, adopté la résolution du 22 octobre 2020, laquelle contient d’ailleurs deux motifs supplémentaires au soutien de la thèse selon laquelle la Commission serait tenue d’adopter l’acte délégué en cause.

33      Le caractère distinct des invitations à agir contenues dans les résolutions du 2 mars 2017 et du 22 octobre 2020 est encore confirmé par la circonstance que, dans sa communication du 22 décembre 2020, adoptée à la suite de cette dernière résolution, la Commission a réévalué la situation de non-réciprocité en matière de visas entre les États-Unis d’Amérique et les quatre États membres de l’Union concernés au regard des évolutions intervenues depuis l’année 2017. Après avoir donné un aperçu des contacts entre l’Union et les États-Unis d’Amérique à ce sujet, exposé l’évolution du programme d’exemption de visa de ce pays tiers ainsi que le contexte politique de ce dernier et les relations bilatérales qu’il a nouées avec l’Union, elle a conclu que l’adoption d’un tel acte demeurait inopportune et qu’elle serait « contre-productive, particulièrement à ce stade ».

34      Dans ces circonstances, la résolution du 22 octobre 2020 ne saurait être considérée comme ayant été un moyen de contourner le délai de recours prévu à l’article 265, deuxième alinéa, TFUE, qui avait commencé à courir par l’invitation à agir contenue dans la résolution du 2 mars 2017, les invitations à agir contenues dans ces deux résolutions étant distinctes au regard tant de leur contenu que du contexte dans lequel elles ont été adoptées.

35      La première fin de non-recevoir, tirée de la tardiveté du présent recours, doit, par conséquent, être écartée.

36      S’agissant de la seconde fin de non-recevoir, tirée de l’existence d’une prise de position de la Commission, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 265, premier alinéa, TFUE, la Cour peut être saisie en vue de faire constater que, en violation des traités, la Commission s’abstient de statuer.

37      En l’espèce, la Commission soutient que, par la communication du 22 décembre 2020, elle a pris position, au sens de cette disposition, sur la demande d’adoption de l’acte délégué visé à l’article 7, premier alinéa, sous f), du règlement 2018/1806 et a exposé les motifs pour lesquels elle n’a pas fait droit à cette demande.

38      À cet égard, la Cour a certes jugé que la circonstance qu’une réponse d’une institution à une invitation à agir ne donne pas satisfaction à la personne qui la lui a adressée ne signifie pas que cette réponse ne constitue pas une prise de position, au sens de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE, dont l’adoption met fin à la carence (voir en ce sens, notamment, arrêt du 1er avril 1993, Pesqueras Echebastar/Commission, C‑25/91, EU:C:1993:131, points 11 et 12).

39      Néanmoins, la solution rappelée au point précédent ne saurait s’appliquer, dans un contexte interinstitutionnel, dans des cas où l’irrecevabilité du recours en carence permettrait à l’institution invitée à agir de perpétuer un état d’inaction.

40      Or, tel serait le cas si la communication visée au point 37 du présent arrêt devait être qualifiée de « prise de position », au sens de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE, entraînant l’irrecevabilité du présent recours. En effet, dans une telle hypothèse, le désaccord entre les parties au présent litige quant à la portée de l’article 7, premier alinéa, sous f), du règlement 2018/1806, et, plus précisément, quant à l’existence d’une éventuelle obligation d’adopter l’acte délégué en cause, persisterait.

41      Ainsi, un refus d’agir, si explicite soit-il, faisant suite à une invitation à agir, adressée à une institution en application de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE, peut être déféré à la Cour sur la base de cet article, dès lors qu’il ne met pas fin à la carence (arrêt du 27 septembre 1988, Parlement/Conseil, 302/87, EU:C:1988:461, point 17).

42      Dans ces conditions, il y a lieu de constater que, dans un contexte interinstitutionnel, la réponse d’une institution consistant, comme en l’espèce, en un exposé des raisons pour lesquelles il convient, selon cette institution, de ne pas adopter la mesure sollicitée doit nécessairement être considérée comme étant un refus d’agir de la part de cette institution, au sens de la jurisprudence rappelée au point précédent, et doit donc pouvoir être déférée à la Cour dans le cadre d’un recours introduit au titre de l’article 265 TFUE.

43      Par conséquent, le présent recours est recevable.

 Sur le fond

 Argumentation des parties

44      À l’appui de son recours, le Parlement soulève un moyen unique, tiré de ce que la Commission a violé les traités en n’ayant pas adopté, en vertu de l’article 7, premier alinéa, sous f), du règlement 2018/1806, d’acte délégué portant suspension temporaire de l’exemption de l’obligation de visa à l’égard des ressortissants des États-Unis d’Amérique.

45      Le Parlement soutient que cette disposition ne confère aucune marge d’appréciation à la Commission, de telle sorte que celle-ci serait, en l’espèce, tenue d’adopter un tel acte. En effet, selon le Parlement, l’obligation d’adopter un acte délégué, en vertu de ladite disposition, n’est subordonnée qu’à une condition objective, à savoir que le pays tiers concerné n’ait pas levé l’obligation de visa à l’égard des ressortissants d’au moins un État membre au cours de la période de 24 mois qui court à compter de la date de publication de la notification visée à cet article 7, premier alinéa, sous a). En l’espèce, dans le cas des États-Unis d’Amérique, cette condition aurait été satisfaite le 12 avril 2016.

46      Le Parlement estime que le fait que l’article 7, premier alinéa, sous d), de ce règlement permette à la Commission de tenir compte des conséquences de la suspension de l’exemption de l’obligation de visa pour les relations extérieures de l’Union et de ses États membres avec le pays tiers en question ne conduit pas à conférer à cette institution un pouvoir discrétionnaire d’appréciation lors de l’application de l’article 7, premier alinéa, sous f), dudit règlement, la Commission n’ayant d’autre choix que celui d’adopter l’acte délégué.

47      L’interprétation de cette dernière disposition préconisée par la Commission renverserait la logique de l’article 7 du règlement 2018/1806, car elle ferait de l’obligation de tenir compte des conséquences de la suspension de l’exemption de l’obligation de visa pour les relations extérieures l’élément pivot du mécanisme de réciprocité prévu à cet article, subordonnant ainsi audit élément l’obligation prévue au premier alinéa, sous f), dudit article.

48      En conséquence, cette interprétation priverait d’effet utile cette dernière disposition et ne tiendrait pas compte de la conception du mécanisme de réciprocité. Il n’existerait pas de contradiction entre, d’une part, l’obligation pour la Commission, prévue à l’article 7, premier alinéa, sous f), de ce règlement, d’adopter un acte délégué suspendant l’exemption de l’obligation de visa lorsque les conditions énoncées à cette disposition sont réunies et, d’autre part, l’exigence de prise en compte des conséquences de cette suspension pour les relations extérieures de l’Union et de ses États membres, visée à l’article 7, premier alinéa, sous d), dudit règlement. En effet, cette exigence s’appliquerait à l’ensemble des étapes du mécanisme de réciprocité et, en tant que telle, devrait être lue dans cette optique. En outre, l’article 7, premier alinéa, sous f), du règlement 2018/1806 n’offrirait qu’une marge d’appréciation limitée à la Commission, qui ne porterait pas sur le contenu de l’acte, c’est-à-dire sur la suspension même de l’exemption de l’obligation de visa. Cette marge d’appréciation concernerait d’autres aspects, tels que le choix de la date à laquelle la suspension de l’exemption de l’obligation de visa doit entrer en vigueur, dans la limite des 90 jours de l’entrée en vigueur de cet acte.

49      Ainsi, l’interprétation préconisée par la Commission rendrait inopérante l’obligation d’adopter l’acte délégué prescrite à l’article 7, premier alinéa, sous f), de ce règlement lorsque le pays tiers concerné n’a pas levé l’obligation de visa dans un certain délai, dans la mesure où, en se fondant principalement sur les conséquences d’une suspension de l’exemption de l’obligation de visa pour les relations extérieures de l’Union et des États membres avec ce pays tiers, cette institution se soustrairait à l’obligation prévue par le législateur de l’Union et, en pratique, mettrait fin au mécanisme de réciprocité dès la première étape de ce dernier.

50      La Commission objecte que l’article 7, premier alinéa, sous f), du règlement 2018/1806 ne lui impose pas l’obligation inconditionnelle d’adopter un acte délégué pour suspendre l’exemption de visa accordée aux ressortissants d’un pays tiers lorsque ce pays tiers n’a pas levé son obligation de visa à l’égard des ressortissants d’au moins un État membre dans les 24 mois après la publication d’une notification telle que celle visée à l’article 7, premier alinéa, sous a), troisième alinéa, de  ce règlement.

51      L’article 7, premier alinéa, sous f), dudit règlement devrait, de l’avis de cette institution, être lu à la lumière de l’article 7, premier alinéa, sous d), du même règlement, qui dispose que la Commission, lorsqu’elle envisage de nouvelles mesures conformément au point e), f) ou h) de ce premier alinéa, tient compte, tout d’abord, des effets des mesures prises par l’État membre concerné, ensuite, des démarches entamées par elle-même, notamment dans les domaines politique, économique et commercial, en vue du rétablissement ou de l’instauration de l’exemption de visa, et, enfin, des conséquences de la suspension de l’exemption de l’obligation de visa pour les relations extérieures de l’Union et de ses États membres avec le pays tiers en cause.

52      La Commission ne conteste pas que la marge d’appréciation dont elle dispose lorsqu’elle applique l’article 7, premier alinéa, sous f), du règlement 2018/1806 se limite à la prise en compte des éléments énoncés au point d) de cet article 7, premier alinéa. Il serait néanmoins irréfutable que ce règlement lui confère bien cette marge d’appréciation.

53      De plus, l’interprétation de l’article 7 qu’elle préconise ne rendrait pas « complètement inopérante » l’obligation d’adopter l’acte délégué visé au premier alinéa, sous f), de cet article. La Commission relève, à cet égard, que l’obligation de tenir compte des conséquences pour les relations extérieures de l’Union et des États membres, lorsqu’elle envisage de nouvelles mesures conformément au point e), f) ou h), du premier alinéa de cet article 7, est expressément prévue au point d) de cet alinéa, ce qui exclurait que ladite interprétation soit considérée comme étant contra legem. La Commission observe de surcroît qu’elle ne s’est pas bornée à invoquer les conséquences d’une suspension de l’exemption de l’obligation de visa pour les relations extérieures de l’Union et des États membres avec le pays tiers en cause, mais a, ainsi que l’exige le législateur de l’Union, évalué ces conséquences lorsqu’elle a examiné la possibilité d’adopter une mesure de suspension.

 Appréciation de la Cour

54      En l’espèce, il est constant que les États-Unis d’Amérique n’ont pas levé l’obligation de visa à l’égard des ressortissants d’au moins un État membre après l’expiration de la période de 24 mois à compter de la date de publication de la notification visée à l’article 7, premier alinéa, sous a), du règlement 2018/1806.

55      Ainsi, il convient d’examiner si, comme le soutient le Parlement, cette circonstance plaçait la Commission dans une situation où elle était tenue, en vertu de l’article 7, premier alinéa, sous f), du règlement 2018/1806, d’adopter un acte délégué portant suspension temporaire de l’exemption de l’obligation de visa à l’égard des ressortissants de ce pays tiers, sans disposer à cet égard d’une marge d’appréciation.

56      Pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie.

57      À cet égard, il convient de relever que l’article 7, premier alinéa, sous f), du règlement 2018/1806 prévoit que la Commission « adopte » un acte délégué portant suspension temporaire de l’exemption de l’obligation de visa, lorsque, comme en l’espèce, le pays tiers concerné n’a pas levé l’obligation de visa en cause dans le délai prévu par cette disposition. Il semblerait ainsi ressortir des termes de cette disposition que la Commission est tenue d’adopter un tel acte lorsque les conditions requises pour son adoption sont remplies.

58      Une telle interprétation de l’article 7, premier alinéa, sous f), du règlement 2018/1806 doit, toutefois, être exclue au regard de l’économie générale de cet article 7, premier alinéa, caractérisée notamment par la structure en plusieurs étapes du mécanisme de réciprocité qu’il institue.

59      Plus précisément, l’article 7, premier alinéa, sous d), du règlement 2018/1806 dispose expressément que la Commission, lorsqu’elle envisage de nouvelles mesures conformément au point e), f) ou h) de cet alinéa, tient compte, en premier lieu, des effets des mesures prises par l’État membre concerné en vue d’assurer l’exemption de l’obligation de visa avec le pays tiers en cause, en deuxième lieu, des démarches entamées par la Commission, conformément au point b) dudit alinéa, auprès des autorités du pays tiers en cause notamment dans les domaines politique, économique et commercial, en vue du rétablissement ou de l’instauration de l’exemption de visa et, en troisième lieu, des conséquences de la suspension de l’exemption de l’obligation de visa pour les relations extérieures de l’Union et de ses États membres avec le pays tiers en cause.

60      Or, l’obligation de prendre en compte ces diverses circonstances serait dépourvue de toute utilité si la Commission était nécessairement tenue d’adopter l’acte délégué visé à l’article 7, premier alinéa, sous f), du règlement 2018/1806 dès lors que le pays tiers concerné n’a pas levé l’obligation de visa en cause dans le délai prévu par cette disposition.

61      À cet égard, il ressort du considérant 17 du règlement 2018/1806 que l’octroi à la Commission du pouvoir d’adopter des actes délégués dans le cadre du mécanisme de réciprocité institué par l’article 7 de ce règlement vise à établir un cadre institutionnel qui permet, avant l’éventuelle suspension de l’exemption de l’obligation de visa pour tous les ressortissants d’un pays tiers, laquelle revêt une nature politique particulièrement sensible, d’évaluer les implications d’une telle mesure pour les relations extérieures et pour le fonctionnement global de l’espace Schengen.

62      Il ressort ainsi de la lecture combinée des dispositions figurant à l’article 7, premier alinéa, du règlement 2018/1806, lu à la lumière du considérant 17 de ce dernier, que la Commission dispose d’une marge d’appréciation pour adopter ou non un acte délégué fondé sur l’article 7, premier alinéa, sous f), de ce règlement, cette marge d’appréciation étant encadrée par les trois critères énoncés au point d) dudit alinéa.

63      Cette interprétation est corroborée également, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, aux points 34 à 40 de ses conclusions, par les travaux préparatoires du règlement no 1289/2013, qui a introduit le mécanisme de réciprocité dans le droit de l’Union, desquels il ressort que le législateur de l’Union n’avait pas l’intention de prévoir une suspension automatique de l’exemption de l’obligation de visas en cas de persistance d’une situation de non-réciprocité.

64      Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient le Parlement, la Commission n’a pas l’obligation d’adopter un acte délégué en vertu de l’article 7, premier alinéa, sous f), du règlement 2018/1806 après l’expiration de la période de 24 mois à compter de la date de publication de la notification visée à l’article 7, premier alinéa, sous a), de ce règlement. En revanche, aux fins de déterminer s’il y a lieu, au regard de l’objectif de réciprocité totale énoncé au considérant 14 dudit règlement, de suspendre l’exemption de l’obligation de visa à l’égard des ressortissants du pays tiers concerné ou s’il y a lieu, au contraire, de s’abstenir de prendre une telle mesure, au regard d’intérêts tenant, en particulier, aux relations extérieures des États membres, des pays associés à l’espace Schengen et de l’Union, la Commission doit tenir compte des trois critères énoncés à l’article 7, premier alinéa, sous d), dudit règlement, exposés au point 59 du présent arrêt.

65      Il convient de vérifier si, en l’espèce, la Commission a, au regard de ces éléments, outrepassé la marge d’appréciation dont elle dispose en considérant qu’elle était fondée à refuser d’agir.

66      S’agissant du premier critère, selon lequel, avant d’envisager d’adopter un acte délégué portant suspension temporaire de l’exemption de l’obligation de visa à l’égard des ressortissants d’un pays tiers imposant une obligation de visa à l’égard des ressortissants d’au moins un État membre, la Commission doit tenir compte des effets des mesures prises par l’État membre concerné en vue d’assurer l’exemption de l’obligation de visa avec le pays tiers en cause, il convient de constater que la communication du 22 décembre 2020 comporte un aperçu détaillé de la situation des quatre États membres alors concernés par l’exigence de visa. En effet, la Commission a présenté les évolutions du taux de refus de visa pour chacun de ces États membres et a indiqué que ces derniers ont été destinataires de « plans de travail sur mesure » réalisés par les États-Unis, afin qu’ils puissent remplir les exigences nécessaires pour se conformer au programme américain d’exemption de visa. Cette communication fait, en outre, état de la circonstance que la discussion entamée sur la base de ces plans de travail, comprenant des orientations spécifiques à chacun des États membres concernés, constituait un progrès important par rapport à l’approche précédente, fondée sur une évaluation plus générale des exigences de sécurité, et du fait que l’évaluation de la mise en œuvre desdits plans par ces États membres avait permis de constater des progrès pour un certain nombre d’axes de travail.

67      S’agissant du deuxième critère, à savoir l’obligation pour la Commission de tenir compte des démarches qu’elle a entamées, en l’espèce, auprès des États-Unis d’Amérique, notamment dans les domaines politique, économique et commercial, en vue du rétablissement ou de l’instauration de l’exemption de l’obligation visa, elle a, dans sa communication du 22 décembre 2020, d’une part, fait état de manière détaillée de plusieurs réunions de travail qui se sont tenues avec ses homologues américains. D’autre part, elle a exposé que, en raison de la période de transition post-électorale aux États-Unis et de la mise en place de la nouvelle administration après l’investiture du nouveau président, qui était prévue le 20 janvier 2021, elle avait dû se contenter d’élaborer, conjointement avec le Service européen pour l’action extérieure (SEAE), une proposition relative à un nouveau programme transatlantique rappelant l’importance des liens transatlantiques.

68      S’agissant du troisième critère, à savoir la nécessité, pour la Commission, de tenir compte des conséquences de la suspension de l’exemption de l’obligation de visa pour les relations extérieures de l’Union et de ses États membres avec, en l’espèce, les États-Unis d’Amérique, la Commission, dans sa communication du 22 décembre 2020, s’est référée aux explications détaillées sur ce sujet déjà exposées dans la communication du 12 avril 2016. Elle a également indiqué, en conclusion, que la suspension de l’exemption de l’obligation de visa pour les ressortissants des États-Unis d’Amérique aurait des incidences négatives importantes dans toute une série de domaines d’action et de secteurs.

69      Il ressort de ces éléments que la Commission a pris en compte les trois critères énoncés à l’article 7, premier alinéa, sous d), du règlement 2018/1806 avant de parvenir à la conclusion de ne pas adopter l’acte délégué demandé.

70      Il découle de tout ce qui précède que c’est sans outrepasser la marge d’appréciation dont elle dispose que la Commission a estimé, à la suite de l’invitation à agir qui lui avait été adressée par le Parlement le 22 octobre 2020, qu’elle n’était pas tenue d’adopter l’acte délégué en question, de sorte qu’aucune carence ne saurait lui être reprochée en l’espèce.

71      Il s’ensuit que le présent recours en carence doit être rejeté comme étant non fondé.

 Sur les dépens

72      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Parlement et celui-ci ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Le Parlement européen est condamné aux dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.