Language of document : ECLI:EU:C:2023:985

Affaire C457/21 P

Commission européenne

contre

Grand-Duché de Luxembourg,
Amazon.com, Inc
et
Amazon EU Sàrl

 Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 14 décembre 2023

« Pourvoi – Aides d’État – Article 107, paragraphe 1, TFUE – Décision fiscale anticipative adoptée par un État membre – Aide déclarée incompatible avec le marché intérieur – Notion d’“avantage” – Détermination du cadre de référence – Imposition “normale” selon le droit national – Principe de pleine concurrence – Contrôle par la Cour de l’interprétation et de l’application du droit national par le Tribunal »

1.        Pourvoi – Moyens – Appréciation erronée des faits et des éléments de preuve – Irrecevabilité – Contrôle par la Cour de l’appréciation des faits et des éléments de preuve – Exclusion sauf cas de dénaturation – Examen par la Commission de l’existence d’une aide d’État en matière fiscale – Délimitation du cadre de référence en droit national et interprétation ainsi qu’application des dispositions le composant – Question de droit pouvant être invoquée dans le cadre d’un pourvoi

(Art. 256, § 1, 2d al., TFUE ; statut de la Cour de justice, art. 58, 1er al.)

(voir points 17-23)

2.        Aides accordées par les États – Notion – Caractère sélectif de la mesure – Mesure conférant un avantage fiscal – Décision fiscale anticipée relative aux prix de transfert d’une entreprise intégrée – Cadre de référence pour déterminer l’existence d’un avantage sélectif – Identification du régime fiscal commun ou normal – Prise en compte du seul droit national en matière de fiscalité directe – Examen du traitement fiscal de transactions intragroupe au regard du principe de pleine concurrence indépendamment de l’incorporation de ce principe dans le droit national – Détermination erronée du cadre de référence

(Art. 107, § 1, TFUE)

(voir points 33-50)

3.        Aides accordées par les États – Notion – Caractère sélectif de la mesure – Mesure conférant un avantage fiscal – Décision fiscale anticipée relative aux prix de transfert d’une entreprise intégrée – Analyse de la Commission concluant à l’octroi d’un avantage sélectif – Analyse entachée d’erreurs de droit dans la détermination du cadre de référence pour examiner l’existence d’un avantage sélectif

(Art. 107, § 1, TFUE)

(voir points 53-58)

Résumé

À partir de 2006, le groupe Amazon a poursuivi ses activités commerciales en Europe par l’intermédiaire de deux sociétés établies au Grand-Duché de Luxembourg, à savoir, d’une part, Amazon Europe Holding Technologies SCS (ci-après « LuxSCS ») et, d’autre part, Amazon EU Sàrl (ci-après « LuxOpCo »), filiale à part entière de LuxSCS.

Dans ce contexte, LuxSCS a obtenu, par différents accords conclus avec des entités américaines du groupe Amazon, le droit d’exploiter certains droits de propriété intellectuelle portant, pour l’essentiel, sur la technologie, les données clients et les marques dudit groupe, ainsi que de concéder les actifs incorporels visés en sous-licence. À ce titre, LuxSCS a conclu, notamment, un accord de licence avec LuxOpCo, en tant qu’opérateur principal des activités commerciales du groupe Amazon en Europe. En vertu de cet accord, LuxOpCo s’engageait à payer une redevance à LuxSCS en contrepartie de l’utilisation des actifs incorporels.

En 2014, le groupe Amazon a fait l’objet d’une nouvelle restructuration et l’arrangement contractuel existant entre LuxSCS et LuxOpCo n’a plus été d’application.

En préparation de la restructuration de 2006, les autorités fiscales luxembourgeoises ont octroyé au groupe Amazon, à la suite d’une demande de ce dernier, une décision fiscale anticipative (« tax ruling », ci-après « DFA ») au sujet du traitement réservé à LuxOpCo et à LuxSCS aux fins de l’impôt luxembourgeois sur le revenu des sociétés. Cette DFA confirmait, d’une part, que LuxSCS n’était pas assujettie à l’impôt luxembourgeois sur le revenu des sociétés en raison de sa forme sociale et avalisait, d’autre part, la méthode de calcul du montant de la redevance annuelle due par LuxOpCo à LuxSCS au titre de l’accord de licence précité.

Par décision du 4 octobre 2017 (1) (ci-après la « décision litigieuse »), la Commission européenne a considéré que cette DFA, ainsi que sa mise en œuvre annuelle de 2006 à 2014, constituait une aide au groupe Amazon incompatible avec le marché intérieur au sens de l’article 107 TFUE. À cet égard, la Commission a notamment estimé que la méthode de calcul du montant de la redevance annuelle due par LuxOpCo à LuxSCS, telle qu’avalisée dans la DFA, ne permettait pas d’aboutir à un résultat de pleine concurrence. Selon la Commission, la redevance annuelle calculée en application de cette méthode était trop élevée, ce qui diminuait artificiellement la base imposable de LuxOpCo.

Saisi de deux recours en annulation introduits par le Grand-Duché de Luxembourg et le groupe Amazon contre la décision litigieuse, le Tribunal a annulé cette décision par un arrêt du 12 mai 2021 (2), au motif, en substance, que la Commission n’était pas parvenue à démontrer l’existence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

Le pourvoi introduit par la Commission est rejeté par la Cour, qui juge, par substitution de motifs et dans le prolongement de son arrêt Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (3), qu’en faisant application, dans la décision litigieuse, du principe de pleine concurrence, alors que ce principe n’était pas incorporé dans le droit fiscal luxembourgeois au moment de l’adoption de la DFA, la Commission a commis une erreur dans l’identification du cadre de référence au regard duquel devait être appréciée cette DFA, qui vicie l’ensemble de son raisonnement tenant à l’existence d’un avantage sélectif.

Appréciation de la Cour

Dans un premier temps, la Cour déclare recevables les moyens du pourvoi contestant l’interprétation et l’application du principe de pleine concurrence faites par le Tribunal à l’appui de sa conclusion selon laquelle la Commission n’était pas parvenue à démontrer l’existence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

La Commission ayant inclus le principe de pleine concurrence dans le cadre de référence utilisé aux fins de son examen de l’existence d’un avantage sélectif, la Cour relève que la question de savoir si, dans l’arrêt sous pourvoi, le Tribunal a délimité de manière appropriée le système de référence pertinent et, par extension, a interprété et appliqué de manière correcte les dispositions le composant est une question de droit susceptible de faire l’objet du contrôle de la Cour au stade du pourvoi.

Il s’ensuit que sont recevables les arguments de la Commission tendant à remettre en cause l’interprétation et l’application du principe de pleine concurrence faites par le Tribunal pour juger que le système de référence retenu dans la décision litigieuse était erroné et, partant, que l’existence d’un avantage au profit du groupe Amazon n’était pas établie.

Sur le fond, la Cour rappelle, dans un deuxième temps, que, en l’état actuel du droit de l’Union, le principe de pleine concurrence ne peut être appliqué aux fins de l’examen des mesures de nature fiscale dans le cadre de l’article 107, paragraphe 1, TFUE que s’il est reconnu par le droit national concerné et selon les modalités définies par ce dernier. Dès lors, le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que la Commission pouvait, de manière générale, faire application du principe de pleine concurrence dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, sans préciser que cette institution était, au préalable, tenue de s’assurer que ce principe était incorporé dans le droit fiscal luxembourgeois et qu’il y était fait référence expressément en tant que tel.

De plus, en se référant à l’« importance pratique certaine » que revêtaient les lignes directrices de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) dans l’appréciation du respect du principe de pleine concurrence alors que ces lignes directrices ne sont pas contraignantes à l’égard des pays membres de l’OCDE, le Tribunal a commis une autre erreur de droit dans la mesure où il a tenu pour acquise l’applicabilité desdites lignes directrices sans contrôler si la Commission s’était assurée que le droit fiscal luxembourgeois y fît explicitement référence.

Ainsi, la Cour conclut que l’analyse effectuée par le Tribunal en ce qui concerne la condition relative à l’existence d’un avantage sélectif, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, est viciée en droit dès lors qu’elle repose sur une détermination erronée du système de référence pertinent.

Dans un troisième temps, la Cour décide, néanmoins, de rejeter le pourvoi dans son intégralité, par substitution de motifs.

À cet égard, la Cour constate, premièrement, que, afin d’établir l’existence d’un avantage au profit du groupe Amazon, la Commission a fait application du principe de pleine concurrence comme s’il avait été reconnu en tant que tel en droit de l’Union, alors qu’il ressort de l’arrêt Fiat qu’il n’existe pas, en l’état actuel du droit de l’Union, de principe autonome de pleine concurrence s’appliquant indépendamment de l’incorporation de ce dernier dans le droit national.

Deuxièmement, la Commission a estimé que la loi luxembourgeoise concernant l’impôt sur le revenu était interprétée par l’administration fiscale en ce sens qu’elle consacrait le principe de pleine concurrence en droit fiscal luxembourgeois. Toutefois, comme cela résulte de l’arrêt Fiat, seule une incorporation de ce principe en tant que tel en droit national, laquelle exige a minima que ce dernier se réfère explicitement audit principe, permettrait à la Commission de faire application de celui-ci dans le cadre de l’appréciation de l’existence d’un avantage sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Or, ainsi que la Commission l’a elle-même reconnu dans la décision litigieuse, cette exigence n’était pas satisfaite lors de l’adoption de la DFA en cause, de telle sorte que cette institution ne pouvait appliquer ce principe rétroactivement dans ladite décision.

Troisièmement, la Cour relève que, en faisant application, dans la décision litigieuse, des lignes directrices de l’OCDE en matière de prix de transfert sans avoir démontré que celles-ci avaient été, en tout ou en partie, explicitement reprises en droit luxembourgeois, la Commission a contrevenu à l’interdiction, rappelée dans l’arrêt Fiat, de prendre en compte, dans l’examen de l’existence d’un avantage fiscal sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et aux fins d’établir la charge fiscale devant normalement peser sur une entreprise, des paramètres et des règles externes au système fiscal national en cause, telles que ces lignes directrices, à moins que ce dernier ne s’y réfère explicitement.

Au regard de ce qui précède, la Cour conclut que c’est à bon droit que le Tribunal a constaté que la Commission n’avait pas établi l’existence d’un avantage au profit du groupe Amazon, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, et a annulé, en conséquence, la décision litigieuse. Ainsi, elle rejette le pourvoi introduit par la Commission dans son intégralité.


1      Décision (UE) 2018/859 de la Commission, du 4 octobre 2017, concernant l’aide d’État SA.38944 (2014/C) (ex 2014/NN) mise à exécution par le Luxembourg en faveur d’Amazon (JO 2018, L 153, p. 1).


2      Arrêt du 12 mai 2021, Luxembourg et Amazon/Commission (T‑816/17 et T‑318/18, EU:T:2021:252).


3      Arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, ci-après l’« arrêt Fiat »).