Language of document : ECLI:EU:C:2024:58

ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

18 janvier 2024 (*)

« Renvoi préjudiciel – Directive 93/13/CEE – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Article 3, paragraphe 1 – Article 6, paragraphe 1 – Article 7, paragraphe 1 – Article 8 – Titre exécutoire ayant acquis force de chose jugée – Pouvoir du juge d’examiner d’office le caractère éventuellement abusif d’une clause dans le cadre du contrôle d’une procédure d’exécution forcée – Registre national des clauses de conditions générales jugées illicites – Clauses différentes de celles figurant à ce registre en raison de leur libellé, mais revêtant la même portée et produisant les mêmes effets »

Dans l’affaire C‑531/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Rejonowy dla Warszawy-Śródmieścia w Warszawie (tribunal d’arrondissement de Varsovie – Centre-ville, Pologne), par décision du 5 juillet 2022, parvenue à la Cour le 9 août 2022, dans la procédure

Getin Noble Bank S.A.,

TF,

C2,

PI

contre

TL,

en présence de :

EOS,

Zakład Ubezpieczeń Społecznych,

MG,

Komornik Sądowy AC,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de Mme O. Spineanu-Matei, présidente de chambre, M. S. Rodin (rapporteur) et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 13 septembre 2023,

considérant les observations présentées :

–        pour Getin Noble Bank S.A., par Mes M. Ł. Hejmej, M. Przygodzka, A. Szczęśniak, J. Szewczak, Ł. Żak, adwokaci, et M. M. Pugowski, aplikant radcowski,

–        pour TF, par Mes M. Czugan, M. Jaroch-Konwent, W. Kołosz, A. Pakos et K. Zawadzanko, radcowie prawni,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, Mmes M. Kozak et S. Żyrek, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme U. Małecka et M. N. Ruiz García, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, de l’article 6, paragraphe 1, de l’article 7, paragraphes 1 et 2, et de l’article 8 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29), de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), des principes de sécurité juridique, d’effectivité, de proportionnalité et de l’autorité de la chose jugée ainsi que du droit d’être entendu.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure d’exécution forcée opposant Getin Noble Bank S.A., TF, C2 et PI, quatre créanciers, à TL, leur débiteur, au sujet d’une injonction de payer prononcée à l’égard de ce dernier.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 dispose :

« Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat. »

4        L’article 4, paragraphe 1, de cette directive prévoit :

« Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend. »

5        L’article 6, paragraphe 1, de ladite directive énonce :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

6        Aux termes de l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la même directive :

« 1.      Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

2.      Les moyens visés au paragraphe 1 comprennent des dispositions permettant à des personnes ou à des organisations ayant, selon la législation nationale, un intérêt légitime à protéger les consommateurs de saisir, selon le droit national, les tribunaux ou les organes administratifs compétents afin qu’ils déterminent si des clauses contractuelles, rédigées en vue d’une utilisation généralisée, ont un caractère abusif et appliquent des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation de telles clauses. »

7        L’article 8 de la directive 93/13 dispose :

« Les États membres peuvent adopter ou maintenir, dans le domaine régi par la présente directive, des dispositions plus strictes, compatibles avec le traité, pour assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur. »

 Le droit polonais

8        L’article 189 de l’ustawa – Kodeks postępowania cywilnego (loi portant code de procédure civile), du 17 novembre 1964 (Dz. U. n° 43, position 296), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « code de procédure civile »), énonce :

« Une partie requérante peut introduire devant le tribunal une demande en constatation de l’existence ou de l’inexistence d’un rapport juridique ou d’un droit, pour autant qu’elle ait un intérêt légitime à agir. »

9        L’article 50532, paragraphe 1, du code de procédure civile prévoit :

« Dans sa demande, le requérant indique les preuves à l’appui de ses prétentions. Les preuves ne sont pas jointes à la requête. »

10      L’article 758 du code de procédure civile dispose :

« Les tribunaux d’arrondissement ainsi que les huissiers de justice rattachés à ces tribunaux sont compétents en matière d’exécution forcée. »

11      L’article 804, paragraphe 1, du code de procédure civile prévoit :

« L’autorité d’exécution n’est pas habilitée à examiner le bien-fondé et le caractère exécutoire de l’obligation faisant l’objet d’un titre pleinement exécutoire. »

12      Aux termes de l’article 840, paragraphe 1, du code de procédure civile :

« Le débiteur peut solliciter par voie de recours l’annulation en tout ou en partie ou la limitation de l’effet exécutoire du titre exécutoire lorsque :

1)      il conteste les faits ayant justifié l’apposition de la formule exécutoire, notamment lorsqu’il conteste l’existence de l’obligation constatée par un titre exécutoire simple autre qu’une décision de justice ou lorsqu’il conteste le transfert d’une obligation en dépit de l’existence d’un document formel l’attestant ;

2)      après l’émission d’un titre exécutoire simple, un fait s’est produit ayant entraîné l’extinction de l’obligation ou l’impossibilité de l’exécuter ; si le titre est une décision de justice, le débiteur peut également fonder son recours sur des faits survenus après la clôture des débats, sur l’exception d’exécution de la prestation, lorsque l’invocation de cette exception dans l’affaire concernée était irrecevable ex lege, ainsi que sur l’exception de compensation. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

13      Le 9 janvier 2006, TL, un consommateur, a conclu un contrat de crédit avec Getin Noble Bank, pour la période allant du 9 janvier 2009 au 16 janvier 2016, libellé en zlotys polonais (PLN), indexé sur le franc suisse (CHF) et correspondant à l’équivalent en zlotys polonais de 15 645,27 CHF (environ 16 270 euros). Aux termes de ce contrat de crédit, le montant du crédit accordé par Getin Noble Bank a été converti, à la date de la conclusion dudit contrat de crédit, sur la base du taux d’achat de la devise d’indexation concernée, inscrit au tableau du cours des devises étrangères de cette banque, et le remboursement de toute dette devait être ainsi effectué en zlotys polonais après conversion de cette dette libellée dans cette devise d’indexation, sur la base du taux de vente de cette dernière applicable à la date du paiement à ladite banque.

14      Le 13 mai 2008, TL a conclu un autre contrat de crédit avec la même banque en zlotys polonais indexé sur le franc suisse et correspondant à l’équivalent en zlotys polonais de 36 299,30 CHF (environ 37 740 euros) pour une période de 120 mois. Cet autre contrat de crédit reprenait essentiellement les clauses du contrat de crédit mentionné au point précédent.

15      Invoquant des défauts de paiement de TL, Getin Noble Bank a résilié ces deux contrats de crédit et a introduit auprès du Sąd Rejonowy Lublin-Zachód w Lublinie (tribunal d’arrondissement de Lublin-Ouest, Pologne), respectivement le 28 décembre et le 3 juin 2016, par la voie de la procédure d’injonction de payer électronique, deux recours contre TL, dans lesquels elle a demandé le paiement par ce dernier des sommes dues au titre desdits contrats de crédit, majorées d’intérêts et de frais.

16      À l’appui de ses prétentions, Getin Noble Bank a fait état des contrats de crédit qu’elle avait conclus avec TL, sans pouvoir les joindre à ces deux recours, compte tenu des dispositions procédurales régissant les procédures d’injonction de payer électroniques, figurant à l’article 50532, paragraphe 1, du code de procédure civile, et des caractéristiques techniques du système de gestion de ces procédures, lesquelles ne permettent pas de produire des preuves. Ainsi, le Sąd Rejonowy Lublin-Zachód w Lublinie (tribunal d’arrondissement de Lublin-Ouest) n’avait pas non plus la compétence ni même la possibilité technique d’exiger de Getin Noble Bank qu’elle produisît ces contrats de crédit.

17      Le Sąd Rejonowy Lublin-Zachód w Lublinie (tribunal d’arrondissement de Lublin-Ouest) a prononcé deux injonctions de payer qui n’ont pas été contestées par TL et sont donc devenues définitives avant d’être revêtues de la formule exécutoire. Cela a permis d’ouvrir la procédure d’exécution forcée sur le bien immobilier de TL, menée par un huissier de justice sous le contrôle du Sąd Rejonowy dla Warszawy-Śródmieścia w Warszawie (tribunal d’arrondissement de Varsovie – Centre-ville, Pologne), qui est la juridiction de renvoi.

18      Dans le cadre de cette procédure d’exécution forcée, la juridiction de renvoi a donc été la première juridiction nationale devant laquelle les contrats de crédit en cause au principal ont été présentés.

19      Après l’examen du contenu de ces contrats de crédit, la juridiction de renvoi a émis des doutes quant à la validité desdits contrats, compte tenu du caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles de conversion figurant dans lesdits contrats de crédit, sans lesquelles ces derniers ne peuvent être exécutés et doivent être considérés comme étant nuls.

20      La juridiction de renvoi est d’avis que l’affaire au principal soulève la question de l’examen d’office du caractère éventuellement abusif des clauses des contrats conclus avec des consommateurs sur le fondement desquelles une procédure d’exécution forcée est engagée, à savoir une question analogue à celle qui était soulevée dans le cadre des affaires ayant donné lieu aux arrêts du 17 mai 2022, SPV Project 1503 e.a. (C‑693/19 et C‑831/19, EU:C:2022:395), et du 17 mai 2022, Ibercaja Banco (C‑600/19, EU:C:2022:394).

21      Cette juridiction relève que TL n’a pas formé opposition à l’égard des injonctions de payer visées au point 17 du présent arrêt et, partant, ne dispose plus d’aucune voie de droit qui lui permettrait, en pratique, de contester les obligations qui découlent de ces injonctions de payer. D’une part, une action en opposition dirigée contre un titre exécutoire constitué par une décision de justice ne saurait valablement permettre, en vertu de l’article 840, paragraphe 1, point 1, du code de procédure civile, de contester le bien-fondé de l’obligation faisant l’objet de ce titre. D’autre part, l’introduction par un débiteur d’une action visant à faire constater la nullité d’un contrat ou à établir l’inopposabilité des clauses abusives de ce contrat ne modifierait en rien, en pratique, sa situation, dès lors qu’une telle action ne saurait conduire, en vertu de l’article 189 du code de procédure civile, à l’annulation d’une injonction de payer définitive. En effet, en vertu de l’article 365, paragraphe 1, du code de procédure civile, un jugement définitif, y compris un jugement prononçant une injonction de payer dans le cadre d’une procédure d’injonction de payer électronique, s’impose à toutes les juridictions.

22      Dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi serait tenue, en vertu du droit de l’Union, d’examiner d’office le caractère éventuellement abusif des clauses figurant dans les contrats de crédit concernés, elle se demande si l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 ainsi que les principes d’effectivité, de proportionnalité et de sécurité juridique doivent être interprétés en ce sens qu’ils permettent d’étendre, notamment lorsque le consommateur concerné ne se prévaut pas de ses droits découlant de cette directive, les effets de l’inscription d’une clause contractuelle au registre national des clauses de conditions générales jugées illicites (ci-après le « registre national des clauses illicites ») à un professionnel n’ayant pas été partie à la procédure ayant conduit à cette inscription.

23      Une comparaison du contenu des clauses contractuelles en cause au principal avec celui des clauses contractuelles d’autres banques que Getin Noble Bank qui sont inscrites au registre national des clauses illicites permet de conclure qu’il existe des similitudes significatives entre ces clauses, de sorte qu’elles ont une portée équivalente et engendrent les mêmes conséquences pour les consommateurs.

24      La juridiction de renvoi considère que, selon la jurisprudence issue de l’arrêt du 21 décembre 2016, Biuro podróży « Partner » (C‑119/15, EU:C:2016:987), rien ne s’oppose à ce que les effets de l’inscription d’une clause contractuelle déterminée au registre national des clauses illicites soient applicables, d’une part, à tous les professionnels appliquant cette clause contractuelle, et non pas seulement au professionnel ayant été partie à la procédure ayant visé à faire constater le caractère abusif de ladite clause et à inscrire cette dernière à ce registre, et, d’autre part, à toute clause en substance identique à la même clause, sans nécessairement l’être du point de vue de son libellé. Toutefois, la juridiction de renvoi éprouve des doutes quant à la question de savoir si une telle interprétation du droit de l’Union s’applique aux procédures dans lesquelles l’une des parties est un consommateur qui a conclu un contrat avec le professionnel concerné et non pas seulement aux procédures administratives ayant pour objet de sanctionner les professionnels utilisant des clauses inscrites au registre national des clauses illicites, ainsi que cela était le cas dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt.

25      La juridiction de renvoi relève que, en revanche, le Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) a prononcé, le 20 novembre 2015, la résolution III CZP 175/15, selon laquelle une inscription au registre national des clauses illicites ne produit pas d’effets à l’égard d’autres professionnels que celui concerné par la procédure d’inscription à ce registre, afin de respecter le droit d’être entendu de ces autres professionnels.

26      Dans ces conditions, le Sąd Rejonowy dla Warszawy-Śródmieścia w Warszawie (tribunal d’arrondissement de Varsovie – Centre-ville) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive [93/13] ainsi que les principes de sécurité juridique, d’irrévocabilité des décisions de justice définitives, d’effectivité et de proportionnalité doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale prévoyant qu’une juridiction nationale ne peut procéder d’office à un examen des clauses contractuelles abusives et en tirer les conséquences, lorsqu’elle contrôle une procédure d’exécution forcée mise en œuvre par un huissier de justice sur la base d’une injonction de payer définitive et revêtue de la formule exécutoire, émise dans le cadre d’une procédure qui ne donne lieu à aucune administration des preuves ?

2)      L’article 3, paragraphe 1, l’article 6, paragraphe 1, l’article 7, paragraphes 1 et 2, et l’article 8 de la directive [93/13], l’article 47 de la [Charte] ainsi que les principes de sécurité juridique, d’effectivité et de proportionnalité, et le droit d’être entendu par un tribunal doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’une réglementation nationale fasse l’objet d’une interprétation juridictionnelle en vertu de laquelle l’inscription d’une clause contractuelle abusive au [registre national des clauses illicites] a pour effet que cette clause est considérée comme abusive dans toute procédure impliquant un consommateur, y compris :

–        à l’égard d’un autre professionnel que celui à l’encontre duquel la procédure d’inscription de la clause contractuelle abusive au [registre national des clauses illicites] avait été engagée,

–        lorsque la clause ne présente pas un libellé textuellement identique, mais revêt la même portée et produit les mêmes effets sur le consommateur ? »

 La procédure devant la Cour

27      Dans la demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi a demandé que le renvoi préjudiciel à l’origine du présent arrêt soit soumis à l’application de la procédure accélérée prévue à l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour. À l’appui de sa demande d’application d’une procédure accélérée, la juridiction de renvoi a fait valoir que l’huissier de justice chargé de la procédure d’exécution forcée en cause au principal avait saisi le bien immobilier qui fait l’objet de cette procédure et qu’une vente aux enchères de ce bien immobilier devait être effectuée à la suite de l’introduction de demandes par les créanciers, laquelle vente aux enchères peut conduire à ce que, d’une part, TL soit dépossédé dudit bien immobilier et, d’autre part, les créanciers reçoivent des sommes qui ne leur sont pas dues. Or, bien que TL puisse, le cas échéant, faire valoir ultérieurement ses droits par la voie d’un recours en indemnité, cela ne lui assurerait pas la pleine protection de ses droits.

28      L’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure prévoit que, à la demande de la juridiction de renvoi ou, à titre exceptionnel, d’office, le président de la Cour peut décider, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, de soumettre un renvoi préjudiciel à une procédure accélérée lorsque la nature de l’affaire exige son traitement dans de brefs délais.

29      Il importe de rappeler qu’une telle procédure accélérée constitue un instrument procédural destiné à répondre à une situation d’urgence extraordinaire (arrêt du 21 décembre 2021, Randstad Italia, C‑497/20, EU:C:2021:1037, point 37 et jurisprudence citée).

30      En l’occurrence, le président de la Cour a décidé, le 15 septembre 2022, le juge rapporteur et l’avocate générale entendus, qu’il n’y avait pas lieu de faire droit à la demande visée au point 27 du présent arrêt.

31      En effet, d’une part, la simple circonstance que la procédure au principal constitue une procédure d’exécution forcée nécessitant une solution rapide ne saurait établir, en elle-même, l’urgence exigée à l’article 105 du règlement de procédure (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 5 octobre 2018, Addiko Bank, C‑407/18, EU:C:2018:825, point 12).

32      D’autre part, il est vrai que le président de la Cour a pris en considération, dans le cadre d’une affaire dans laquelle les requérants au principal avaient formé opposition à une saisie hypothécaire concernant leur bien immobilier, le fait que, compte tenu des modalités de la procédure civile nationale concernée, la poursuite de la procédure d’exécution forcée les exposait au risque de perdre leur logement principal. Il a ainsi fait droit à la demande d’application d’une procédure accélérée, relevant que, dans une telle situation, le droit national concerné n’apportait au débiteur lésé qu’une protection purement indemnitaire et ne permettait pas le rétablissement de la situation antérieure dans laquelle il avait la qualité de propriétaire de son logement (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 5 octobre 2018, Addiko Bank, C‑407/18, EU:C:2018:825, point 13).

33      Toutefois, en l’occurrence, il ne ressort aucunement de la demande d’application d’une procédure accélérée ni de la demande de décision préjudicielle que TL encourt dès à présent un risque imminent de perdre son logement principal dans le cadre de la procédure d’exécution forcée en cause au principal. En effet, la juridiction de renvoi n’a pas indiqué à la Cour que le bien immobilier en cause au principal serait le logement principal de TL, ce dernier semblant d’ailleurs résider à une adresse différente de celle de ce bien immobilier (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 5 octobre 2018, Addiko Bank, C‑407/18, EU:C:2018:825, point 14).

 Sur la compétence de la Cour et la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

34      En premier lieu, Getin Noble Bank fait valoir, en substance, que la Cour n’est pas compétente pour statuer sur la demande de décision préjudicielle, les questions préjudicielles posées portant sur une procédure d’exécution forcée nationale, laquelle ne relèverait pas du droit de l’Union.

35      À cet égard, il convient de rappeler qu’il résulte de l’article 19, paragraphe 3, sous b), TUE et de l’article 267, premier alinéa, TFUE que la Cour est compétente pour statuer à titre préjudiciel sur l’interprétation du droit de l’Union ou sur la validité des actes pris par les institutions de l’Union.

36      Or, il ressort du libellé même des questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi que, contrairement à ce que Getin Noble Bank fait valoir, ces questions portent sur l’interprétation de dispositions de la directive 93/13 et de la Charte ainsi que de principes généraux du droit de l’Union, et non pas sur celle de dispositions du droit polonais. La Cour est donc compétente pour statuer sur la demande de décision préjudicielle.

37      En second lieu, Getin Noble Bank soutient, en substance, que la demande de décision préjudicielle est, en tout état de cause, irrecevable.

38      En effet, d’une part, la juridiction de renvoi n’est pas habilitée à statuer sur un litige entre les parties par une décision qui constituerait un « jugement », au sens de l’article 267 TFUE, et doit être considérée comme étant un « organe administratif » lorsqu’elle intervient dans le cadre du contrôle d’une procédure d’exécution forcée. D’autre part, les questions préjudicielles posées seraient imprécises, trop générales et de nature hypothétique. La première question ne préciserait ni la mesure de contrôle sur laquelle elle porte ni les modalités d’application des éventuelles réponses de la Cour. En outre, les parties à la procédure de contrôle ne disposeraient d’aucune base juridique permettant d’obtenir une décision sur le fond. La seconde question ne tiendrait pas compte du fait que, bien qu’il soit obligatoire d’obtenir la position du consommateur concerné sur le maintien des clauses que la juridiction de renvoi considère comme étant abusives, cette dernière ne serait pas compétente pour analyser la volonté de ce consommateur à cet égard, lequel d’ailleurs aurait été inactif en l’occurrence.

39      Getin Noble Bank conteste donc, en substance, que la juridiction de renvoi dispose, en vertu du droit polonais, de la compétence pour examiner d’office le caractère éventuellement abusif des clauses figurant dans les contrats de crédit en cause au principal. Une telle argumentation avançant un élément qui a trait à des aspects de fond n’est aucunement de nature à pouvoir remettre en cause la recevabilité de la demande de décision préjudicielle (voir, en ce sens, arrêt du 17 mars 2021, An tAire Talmhaíochta Bia agus Mara e.a., C‑64/20, EU:C:2021:207, point 27 ainsi que jurisprudence citée).

40      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour est compétente pour statuer sur la demande de décision préjudicielle et cette dernière est recevable.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

41      Par la première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale prévoyant qu’une juridiction nationale ne peut procéder d’office à un examen du caractère éventuellement abusif des clauses figurant dans un contrat conclu avec un consommateur et en tirer les conséquences lorsqu’elle contrôle une procédure d’exécution forcée fondée sur une décision prononçant une injonction de payer définitive revêtue de l’autorité de la chose jugée.

42      Il convient de rappeler, d’emblée, que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, la situation d’inégalité existant entre un consommateur et un professionnel ne peut être compensée que par une intervention positive, extérieure aux seules parties au contrat concerné, le juge national étant tenu d’apprécier d’office le caractère éventuellement abusif d’une clause contractuelle relevant du champ d’application de la directive 93/13 dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet [arrêt du 22 septembre 2022, Vicente (Action en paiement d’honoraires d’avocat), C‑335/21, EU:C:2022:720, point 52].

43      Si la Cour a précisé, à plusieurs égards et en tenant compte des exigences de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, de quelle manière un juge national doit assurer la protection des droits que les consommateurs tirent de cette directive, il n’en reste pas moins que, en principe, le droit de l’Union n’harmonise pas les procédures applicables à l’examen du caractère éventuellement abusif d’une clause contractuelle et que celles-ci relèvent, dès lors, de l’ordre juridique interne des États membres. Tel est le cas dans l’affaire au principal en ce qui concerne les règles procédurales du droit polonais régissant la procédure d’exécution forcée qui, en l’absence d’harmonisation, relèvent de l’ordre juridique de l’État membre concerné [voir, par analogie, arrêt du 22 septembre 2022, Vicente (Action en paiement d’honoraires d’avocat), C‑335/21, EU:C:2022:720, point 53].

44      Toutefois, conformément au principe de coopération loyale consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE, les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union ne doivent pas être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne (principe d’équivalence) et ne doivent pas rendre impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) [arrêt du 22 septembre 2022, Vicente (Action en paiement d’honoraires d’avocat), C‑335/21, EU:C:2022:720, point 54].

45      En ce qui concerne le principe d’effectivité, il résulte de la jurisprudence de la Cour que chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale d’un droit national rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure concernée, du déroulement et des particularités de celle-ci vues comme un tout, ainsi que, le cas échéant, des principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure. Dans cette perspective, la Cour a estimé que le respect du principe d’effectivité ne saurait aller jusqu’à suppléer intégralement à la passivité totale du consommateur concerné (arrêt du 17 mai 2022, Unicaja Banco, C‑869/19, EU:C:2022:397, point 28).

46      En outre, la Cour a précisé que l’obligation pour les États membres d’assurer l’effectivité des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union implique, notamment pour les droits découlant de la directive 93/13, une exigence de protection juridictionnelle effective, réaffirmée à l’article 7, paragraphe 1, de cette directive et consacrée à l’article 47 de la Charte, qui s’applique, notamment, à la définition des modalités procédurales relatives aux actions en justice fondées sur de tels droits (arrêt du 17 mai 2022, Unicaja Banco, C‑869/19, EU:C:2022:397, point 29).

47      À cet égard, la Cour a jugé que, en l’absence d’un examen efficace du caractère éventuellement abusif des clauses du contrat concerné, le respect des droits conférés par la directive 93/13 ne saurait être garanti (arrêt du 17 mai 2022, Unicaja Banco, C‑869/19, EU:C:2022:397, point 30).

48      Il s’ensuit que les conditions fixées par les droits nationaux, auxquelles l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 fait référence, ne sauraient porter atteinte à la substance du droit que les consommateurs tirent de cette disposition de ne pas être liés par une clause réputée abusive (arrêt du 17 mai 2022, Unicaja Banco, C‑869/19, EU:C:2022:397, point 31).

49      La juridiction de renvoi expose que des injonctions de payer, telles que celles en cause au principal, sont prononcées, après avoir été demandées par le créancier concerné dans le cadre d’une procédure d’injonction de payer électronique, par des juridictions polonaises, sans que ces dernières aient la possibilité juridique et technique de consulter les contrats sur le fondement desquels ces injonctions sont délivrées et, partant, d’examiner d’office si ces contrats comportent des clauses de caractère abusif. Dans le cas où lesdites injonctions de payer ne sont pas contestées par le débiteur concerné dans un délai de deux semaines après leurs notifications, elles sont revêtues de la formule exécutoire et de l’autorité de la chose jugée, ce qui a pour effet que la juridiction sous le contrôle de laquelle l’huissier de justice concerné mène la procédure d’exécution forcée n’est pas habilitée à effectuer cet examen d’office.

50      Il convient de rappeler, à cet égard, qu’une protection effective des droits conférés à un consommateur par la directive 93/13 ne saurait être garantie qu’à la condition que le système procédural du droit national concerné permette, dans le cadre de la procédure d’injonction de payer ou dans celui de la procédure d’exécution forcée, un examen d’office du caractère éventuellement abusif des clauses figurant au contrat concerné (arrêt du 17 mai 2022, Impuls Leasing România, C‑725/19, EU:C:2022:396, point 49).

51      La Cour a estimé que, dans l’hypothèse où aucun examen d’office, par un juge, du caractère éventuellement abusif des clauses figurant dans le contrat concerné ne serait prévu au stade de la procédure d’exécution forcée, une réglementation nationale doit être considérée comme étant de nature à porter atteinte à l’effectivité de la protection voulue par la directive 93/13 si elle ne prévoit pas un tel examen au stade de la délivrance de l’injonction de payer ou, lorsqu’un tel examen est prévu uniquement au stade de l’opposition formée contre l’injonction de payer concernée, s’il existe un risque non négligeable que le consommateur concerné ne forme pas l’opposition requise soit en raison du délai particulièrement court prévu à cette fin, soit eu égard aux frais qu’une action en justice entraînerait par rapport au montant de la dette contestée, soit parce que la réglementation nationale ne prévoit pas l’obligation que soient communiquées au consommateur toutes les informations nécessaires pour lui permettre de déterminer l’étendue de ses droits (arrêt du 17 mai 2022, Impuls Leasing România, C‑725/19, EU:C:2022:396, point 50).

52      Il s’ensuit, d’une part, que la réglementation polonaise régissant la délivrance d’une injonction de payer et la procédure d’exécution forcée ne serait pas conforme au principe d’effectivité dans l’hypothèse où elle ne prévoirait aucun examen d’office, par un juge, du caractère éventuellement abusif des clauses figurant au contrat concerné.

53      D’autre part, si le droit polonais ne prévoit un tel examen que lorsque le consommateur concerné conteste une injonction de payer, il appartiendra à la juridiction de renvoi d’apprécier s’il existe un risque non négligeable que ce consommateur ne forme pas l’opposition requise soit en raison du délai particulièrement court prévu à cette fin, soit eu égard aux frais qu’une action en justice entraînerait par rapport au montant de la dette contestée, soit parce que ce droit ne prévoit pas l’obligation que soient communiquées audit consommateur toutes les informations nécessaires pour lui permettre de déterminer l’étendue de ses droits.

54      En ce qui concerne le délai de deux semaines pour former une telle opposition prévu par la réglementation nationale en cause au principal, la Cour a jugé qu’un tel délai génère le risque visé au point précédent (voir, en ce sens, ordonnance du 6 novembre 2019, BNP Paribas Personal Finance SA Paris Sucursala Bucureşti et Secapital, C‑75/19, EU:C:2019:950, points 31 et 33).

55      Même si une partie n’était pas obligée de motiver son opposition à l’injonction de payer en vertu du droit polonais, ainsi que Getin Noble Bank le fait valoir, ce délai de deux semaines apparaîtrait néanmoins particulièrement court afin que le consommateur concerné puisse apprécier les conséquences juridiques de sa décision de s’opposer ou non à cette injonction.

56      Dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi estimerait qu’il existe un risque non négligeable qu’une opposition aux injonctions de payer en cause au principal ne soit pas formée en raison des circonstances visées au point 53 du présent arrêt, il y a lieu de rappeler, en ce qui concerne le fait que ces injonctions sont revêtues de l’autorité de la chose jugée, que, en vue de garantir aussi bien la stabilité du droit et des relations juridiques qu’une bonne administration de la justice, il importe que les décisions juridictionnelles devenues définitives après épuisement des voies de recours disponibles ou après expiration des délais prévus pour l’exercice de ces voies de recours ne puissent plus être remises en cause (voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 2022, Unicaja Banco, C‑869/19, EU:C:2022:397, point 32).

57      Par ailleurs, la protection du consommateur concerné n’est pas absolue. En particulier, le droit de l’Union n’impose pas à une juridiction nationale d’écarter l’application des règles de procédure internes conférant l’autorité de la chose jugée à une décision, même lorsque cela permettrait de remédier à une violation d’une disposition, quelle qu’en soit la nature, figurant dans la directive 93/13, sous réserve cependant, conformément à la jurisprudence rappelée au point 44 du présent arrêt, du respect des principes d’équivalence et d’effectivité (arrêt du 17 mai 2022, Unicaja Banco, C‑869/19, EU:C:2022:397, point 33).

58      Dans une situation où un examen d’office du caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles était réputé avoir eu lieu et être revêtu de l’autorité de la chose jugée, sans toutefois que cet examen ait été motivé, la Cour a jugé que l’exigence d’une protection juridictionnelle effective requiert que le juge de l’exécution puisse apprécier, y compris pour la première fois, le caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles qui ont servi de fondement à une injonction de payer prononcée par un juge à la demande d’un créancier et contre laquelle le débiteur n’a pas formé d’opposition (voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 2022, SPV Project 1503 e.a., C‑693/19 et C‑831/19, EU:C:2022:395, points 65 et 66).

59      Il en va a fortiori de même lorsqu’aucun examen d’office du caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles figurant au contrat concerné n’est réputé avoir eu lieu, ainsi que cela semble être le cas en l’occurrence.

60      Le fait que TL ait été passif au cours des procédures menées devant les juridictions polonaises ne libère pas la juridiction de renvoi de l’obligation lui incombant d’effectuer cet examen d’office si celle-ci établit que TL n’a pas formé opposition aux injonctions de payer en cause au principal en raison des circonstances visées au point 53 du présent arrêt, cette opposition ayant été l’unique voie procédurale dont TL disposait pour contester le caractère abusif des clauses des contrats en cause au principal.

61      Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, il convient de répondre à la première question que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale prévoyant qu’une juridiction nationale ne peut procéder d’office à un examen du caractère éventuellement abusif des clauses figurant dans un contrat et en tirer les conséquences, lorsqu’elle contrôle une procédure d’exécution forcée fondée sur une décision prononçant une injonction de payer revêtue de l’autorité de la chose jugée :

–        si cette réglementation ne prévoit pas un tel examen au stade de la délivrance de l’injonction de payer ou

–        lorsqu’un tel examen est prévu uniquement au stade de l’opposition formée contre l’injonction de payer concernée, s’il existe un risque non négligeable que le consommateur concerné ne forme pas l’opposition requise soit en raison du délai particulièrement court prévu à cette fin, soit eu égard aux frais qu’une action en justice entraînerait par rapport au montant de la dette contestée, soit  parce que la réglementation nationale ne prévoit pas l’obligation que soient communiquées à ce consommateur toutes les informations nécessaires pour lui permettre de déterminer l’étendue de ses droits.

 Sur la seconde question

62      Par la seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, l’article 6, paragraphe 1, l’article 7, paragraphes 1 et 2, et l’article 8 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une jurisprudence nationale selon laquelle l’inscription d’une clause d’un contrat au registre national des clauses illicites a pour effet que cette clause soit considérée comme étant abusive dans toute procédure impliquant un consommateur, y compris à l’égard d’un autre professionnel que celui à l’encontre duquel la procédure d’inscription de ladite clause à ce registre national avait été engagée et lorsque la clause concernée ne présente pas un libellé identique à celui de la clause ayant été enregistrée, mais revêt la même portée et produit les mêmes effets pour le consommateur concerné.

63      Selon une jurisprudence constante de la Cour, le système de protection mis en œuvre par la directive 93/13 repose sur l’idée qu’un consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard d’un professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information [arrêt du 21 septembre 2023, mBank (Registre polonais des clauses illicites), C‑139/22, EU:C:2023:692, point 34].

64      Partant, tout d’abord, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive, une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme étant abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée, au détriment du consommateur concerné, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant de ce contrat, tandis que, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive, une telle clause abusive ne lie pas ce consommateur. Cette dernière disposition tend à substituer à l’équilibre formel que ledit contrat établit entre les droits et les obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers [arrêt du 21 septembre 2023, mBank (Registre polonais des clauses illicites), C‑139/22, EU:C:2023:692, point 35 et jurisprudence citée].

65      Ensuite, étant donné la nature et l’importance de l’intérêt public que constitue la protection des consommateurs se trouvant dans une telle situation d’infériorité, l’article 7, paragraphe 1, de la même directive, lu en combinaison avec le vingt-quatrième considérant de celle-ci, impose aux États membres l’obligation de prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel [arrêt du 21 septembre 2023, mBank (Registre polonais des clauses illicites), C‑139/22, EU:C:2023:692, point 36].

66      Ainsi qu’il ressort de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 93/13, les moyens susmentionnés comprennent la possibilité pour des personnes ou des organisations ayant un intérêt légitime à protéger les consommateurs de saisir les tribunaux afin de faire déterminer si des clauses rédigées en vue d’une utilisation généralisée présentent un caractère abusif et d’obtenir, le cas échéant, l’interdiction de celles-ci [arrêt du 21 septembre 2023, mBank (Registre polonais des clauses illicites), C‑139/22, EU:C:2023:692, point 37].

67      Toutefois, le litige au principal ne concernant pas de telles personnes et organisations, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question au regard de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 93/13.

68      Enfin, selon le douzième considérant de cette directive, celle-ci ne procède qu’à une harmonisation partielle et minimale des législations nationales relatives aux clauses abusives, laissant la possibilité aux États membres, dans le respect du traité FUE, d’assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur concerné au moyen de dispositions nationales plus strictes que celles de ladite directive. En outre, en vertu de l’article 8 de la même directive, les États membres peuvent adopter ou maintenir, dans le domaine qu’elle régit, des dispositions plus strictes, compatibles avec ce traité, pour assurer un niveau de protection plus élevé à ce consommateur [arrêt du 21 septembre 2023, mBank (Registre polonais des clauses illicites), C‑139/22, EU:C:2023:692, point 39 et jurisprudence citée].

69      Or, en ce qui concerne le registre national des clauses illicites, la Cour a jugé qu’un mécanisme tel que ce registre, consistant à établir une liste de clauses devant être considérées comme étant abusives, relève des dispositions plus strictes que les États membres peuvent adopter ou maintenir en vertu de l’article 8 de la directive 93/13 et que ledit registre répond, en principe, à l’intérêt de la protection des consommateurs [arrêt du 21 septembre 2023, mBank (Registre polonais des clauses illicites), C‑139/22, EU:C:2023:692, point 40 ainsi que jurisprudence citée].

70      La mise en place d’un tel registre n’étant pas exigée par la directive 93/13, le choix des moyens employés pour atteindre les objectifs particuliers de celui-ci et, ainsi, la détermination des effets juridiques qu’une inscription dans ce registre de clauses déclarées abusives est susceptible de produire relèvent des compétences des États membres.

71      Pour autant que le registre national des clauses illicites est géré de manière transparente, dans l’intérêt non seulement des consommateurs, mais également des professionnels, et qu’il est tenu à jour, dans le respect du principe de sécurité juridique, la mise en place de ce registre est compatible avec le droit de l’Union [arrêt du 21 septembre 2023, mBank (Registre polonais des clauses illicites), C‑139/22, EU:C:2023:692, point 43 et jurisprudence citée].

72      Par ailleurs, l’application du mécanisme du registre de clauses illicites présuppose une appréciation, par la juridiction nationale compétente, de l’équivalence de la clause contractuelle contestée avec une clause de conditions générales jugée illicite et figurant dans ce registre, le professionnel concerné ayant la possibilité de contester cette équivalence devant une juridiction nationale, afin de déterminer si, compte tenu de l’ensemble des circonstances pertinentes propres à chaque cas d’espèce, cette clause contractuelle est matériellement identique, eu égard, notamment, aux effets que celle-ci produit, à celle inscrite dans un tel registre [arrêt du 21 septembre 2023, mBank (Registre polonais des clauses illicites), C‑139/22, EU:C:2023:692, point 44 et jurisprudence citée]. Un tel régime national ne méconnaît donc pas les droits de la défense du professionnel concerné (voir, par analogie, arrêt du 21 décembre 2016, Biuro podróży « Partner », C‑119/15, EU:C:2016:987, point 43).

73      En outre, si, conformément à l’article 8 de la directive 93/13, les États membres demeurent libres de prévoir, dans leur droit interne, un examen d’office plus étendu que celui que leurs juridictions doivent effectuer en vertu de cette directive, voire des procédures simplifiées d’appréciation du caractère abusif d’une clause contractuelle, telle que celle en cause au principal, le juge national reste toutefois, en règle générale, tenu d’informer les parties au litige de cette appréciation et de les inviter à en débattre contradictoirement, selon les formes prévues à cet égard par les règles nationales de procédure [arrêt du 21 septembre 2023, mBank (Registre polonais des clauses illicites), C‑139/22, EU:C:2023:692, point 45].

74      La juridiction de renvoi relève que le droit polonais peut être interprété en ce sens que l’inscription d’une clause contractuelle au registre national des clauses illicites a pour effet que cette clause doit être considérée comme étant abusive dans toute procédure impliquant un consommateur, y compris à l’égard d’un autre professionnel que celui à l’encontre duquel la procédure d’inscription de ladite clause à ce registre national avait été engagée et lorsque la clause concernée ne présente pas un libellé identique à celui de la clause ayant été enregistrée, mais revêt la même portée et produit les mêmes effets pour le consommateur concerné.

75      À cet égard, il convient de rappeler que la constatation du caractère abusif d’une clause contractuelle litigeuse sur le fondement d’une comparaison du contenu de celle-ci avec celui d’une clause inscrite au registre national des clauses illicites est susceptible de contribuer de manière rapide à ce que les clauses abusives utilisées dans un grand nombre de contrats cessent de produire des effets à l’égard des consommateurs parties à ces contrats [arrêt du 21 septembre 2023, mBank (Registre polonais des clauses illicites), C‑139/22, EU:C:2023:692, point 41].

76      Par ailleurs, dans une affaire concernant une procédure administrative engagée à l’encontre d’un professionnel, la Cour a jugé que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7 de la directive 93/13, lus en combinaison avec les articles 1er et 2 de la directive 2009/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs (JO 2009, L 110, p. 30), ainsi qu’à la lumière de l’article 47 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce que l’utilisation de clauses de conditions générales, dont le contenu est équivalent à celui de clauses jugées illicites par une décision juridictionnelle définitive et inscrites au registre national des clauses illicites, soit considérée, à l’égard d’un professionnel qui n’a pas été partie à la procédure ayant conduit à l’inscription de ces clauses à ce registre, comme un comportement illicite (arrêt du 21 décembre 2016, Biuro podróży « Partner », C‑119/15, EU:C:2016:987, point 47).

77      Il en va a fortiori de même s’agissant d’un litige entre des professionnels et un consommateur, tel que celui au principal, dans le cadre duquel les termes d’une clause contractuelle éventuellement abusive devraient être exécutés.

78      Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, il convient de répondre à la seconde question que l’article 3, paragraphe 1, l’article 6, paragraphe 1, l’article 7, paragraphe 1, et l’article 8 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une jurisprudence nationale selon laquelle l’inscription d’une clause d’un contrat au registre national des clauses illicites a pour effet que cette clause soit considérée comme étant abusive dans toute procédure impliquant un consommateur, y compris à l’égard d’un autre professionnel que celui à l’encontre duquel la procédure d’inscription de ladite clause à ce registre national avait été engagée et lorsque la même clause ne présente pas un libellé identique à celui enregistré, mais revêt la même portée et produit les mêmes effets sur le consommateur concerné.

 Sur les dépens

79      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs,

doivent être interprétés en ce sens que :

ils s’opposent à une réglementation nationale prévoyant qu’une juridiction nationale ne peut procéder d’office à un examen du caractère éventuellement abusif des clauses figurant dans un contrat et en tirer les conséquences, lorsqu’elle contrôle une procédure d’exécution forcée fondée sur une décision prononçant une injonction de payer définitive revêtue de l’autorité de la chose jugée :

–        si cette réglementation ne prévoit pas un tel examen au stade de la délivrance de l’injonction de payer ou

–        lorsqu’un tel examen est prévu uniquement au stade de l’opposition formée contre l’injonction de payer concernée, s’il existe un risque non négligeable que le consommateur concerné ne forme pas l’opposition requise soit en raison du délai particulièrement court prévu à cette fin, soit eu égard aux frais qu’une action en justice entraînerait par rapport au montant de la dette contestée, soit parce que la réglementation nationale ne prévoit pas l’obligation que soient communiquées à ce consommateur toutes les informations nécessaires pour lui permettre de déterminer l’étendue de ses droits.

2)      L’article 3, paragraphe 1, l’article 6, paragraphe 1, l’article 7, paragraphe 1, et l’article 8 de la directive 93/13

doivent être interprétés en ce sens que :

ils ne s’opposent pas à une jurisprudence nationale selon laquelle l’inscription d’une clause d’un contrat au registre national des clauses illicites a pour effet que cette clause soit considérée comme étant abusive dans toute procédure impliquant un consommateur, y compris à l’égard d’un autre professionnel que celui à l’encontre duquel la procédure d’inscription de ladite clause à ce registre national avait été engagée et lorsque la même clause ne présente pas un libellé identique à celui enregistré, mais revêt la même portée et produit les mêmes effets sur le consommateur concerné.

Signatures


*      Langue de procédure : le polonais.