Language of document : ECLI:EU:C:2024:122

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

8 février 2024 (*)

« Renvoi préjudiciel – Procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale – Directive 2013/32/UE – Article 33, paragraphe 2, sous d), et article 40, paragraphes 2 et 3 – Demande ultérieure – Conditions pour le rejet d’une telle demande comme irrecevable – Notion d’“élément ou fait nouveau” – Arrêt de la Cour portant sur une question d’interprétation du droit de l’Union – Article 46 – Droit à un recours effectif – Compétence de la juridiction nationale pour statuer sur le fond d’une telle demande en cas d’illégalité de la décision de rejet comme irrecevable d’une demande – Garanties procédurales – Article 14, paragraphe 2 »

Dans l’affaire C‑216/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Verwaltungsgericht Sigmaringen (tribunal administratif de Sigmaringen, Allemagne), par décision du 22 février 2022, parvenue à la Cour le 23 mars 2022, dans la procédure

A. A.

contre

Bundesrepublik Deutschland,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice‑président, Mmes A. Prechal, K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, T. von Danwitz et Mme O. Spineanu‑Matei, présidents de chambre, MM. M. Ilešič, J.‑C. Bonichot (rapporteur), P. G. Xuereb, Mme L. S. Rossi, MM. I. Jarukaitis, A. Kumin, N. Wahl et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : M. N. Emiliou,

greffier : M. D. Dittert, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 février 2023,

considérant les observations présentées :

–        pour le gouvernement allemand, par M. J. Möller et Mme A. Hoesch, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement autrichien, par M. A. Posch, Mmes J. Schmoll et V.-S. Strasser, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme A. Azéma et M. H. Leupold, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 septembre 2023,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de l’article 40, paragraphes 2 et 3, et de l’article 46, paragraphe 1, sous a), ii), de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant A. A., un ressortissant de pays tiers, à la Bundesrepublik Deutschland (République fédérale d’Allemagne), représentée par le Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Office fédéral de la migration et des réfugiés, Allemagne) (ci-après l’« Office »), au sujet du rejet comme irrecevable de sa demande ultérieure du statut de réfugié.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Les considérants 18 et 36 de la directive 2013/32 sont rédigés comme suit :

« (18)      Il est dans l’intérêt à la fois des États membres et des demandeurs d’une protection internationale que les demandes de protection internationale fassent l’objet d’une décision aussi rapide que possible, sans préjudice de la réalisation d’un examen approprié et exhaustif.

[...]

(36)      Lorsqu’un demandeur présente une demande ultérieure sans apporter de nouvelles preuves ou de nouveaux arguments, il serait disproportionné d’obliger les États membres à entreprendre une nouvelle procédure d’examen complet. Les États membres devraient, en l’espèce, pouvoir rejeter une demande comme étant irrecevable conformément au principe de l’autorité de la chose jugée. »

4        L’article 2 de cette directive, intitulé « Définitions », dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

f)      “autorité responsable de la détermination”, tout organe quasi juridictionnel ou administratif d’un État membre, responsable de l’examen des demandes de protection internationale et compétent pour se prononcer en première instance sur ces demandes ;

[...]

q)      “demande ultérieure”, une nouvelle demande de protection internationale présentée après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure, y compris le cas dans lequel le demandeur a explicitement retiré sa demande et le cas dans lequel l’autorité responsable de la détermination a rejeté une demande à la suite de son retrait implicite, conformément à l’article 28, paragraphe 1. »

5        L’article 14 de ladite directive, intitulé « Entretien personnel », dispose :

« 1.      Avant que l’autorité responsable de la détermination ne se prononce, la possibilité est donnée au demandeur d’avoir un entretien personnel sur sa demande de protection internationale avec une personne compétente en vertu du droit national pour mener cet entretien. Les entretiens personnels sur le fond de la demande de protection internationale sont menés par le personnel de l’autorité responsable de la détermination. Le présent alinéa s’entend sans préjudice de l’article 42, paragraphe 2, point b).

[...]

2.      L’entretien personnel sur le fond de la demande peut ne pas avoir lieu lorsque :

a)      l’autorité responsable de la détermination est en mesure de prendre une décision positive relative au statut de réfugié sur la base des éléments de preuve disponibles [...]

[...] »

6        L’article 33 de la même directive, intitulé « Demandes irrecevables », prévoit :

« 1.      Outre les cas dans lesquels une demande n’est pas examinée en application du règlement (UE) no 604/2013 [du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31)], les États membres ne sont pas tenus de vérifier si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre à une protection internationale en application de la directive 2011/95/UE [du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9)], lorsqu’une demande est considérée comme irrecevable en vertu du présent article.

2.      Les États membres peuvent considérer une demande de protection internationale comme irrecevable uniquement lorsque :

[...]

d)      la demande concernée est une demande ultérieure, dans laquelle n’apparaissent ou ne sont présentés par le demandeur aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive [2011/95]

[...] »

7        L’article 40 de la directive 2013/32, intitulé « Demandes ultérieures », dispose, à ses paragraphes 2 à 5 :

« 2.      Afin de prendre une décision sur la recevabilité d’une demande de protection internationale en vertu de l’article 33, paragraphe 2, point d), une demande de protection internationale ultérieure est tout d’abord soumise à un examen préliminaire visant à déterminer si des éléments ou des faits nouveaux sont apparus ou ont été présentés par le demandeur, qui se rapportent à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive [2011/95].

3.      Si l’examen préliminaire visé au paragraphe 2 aboutit à la conclusion que des éléments ou des faits nouveaux sont apparus ou ont été présentés par le demandeur et qu’ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive [2011/95], l’examen de la demande est poursuivi conformément au chapitre II. Les États membres peuvent également prévoir d’autres raisons de poursuivre l’examen d’une demande ultérieure.

4.      Les États membres peuvent prévoir de ne poursuivre l’examen de la demande que si le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de faire valoir, au cours de la précédente procédure, les situations exposées aux paragraphes 2 et 3 du présent article, en particulier en exerçant son droit à un recours effectif en vertu de l’article 46.

5.      Lorsque l’examen d’une demande ultérieure n’est pas poursuivi en vertu du présent article, ladite demande est considérée comme irrecevable conformément à l’article 33, paragraphe 2, point d). »

8        L’article 46 de cette directive, intitulé « Droit à un recours effectif », est libellé comme suit :

«1.      Les États membres font en sorte que les demandeurs disposent d’un droit à un recours effectif devant une juridiction contre les actes suivants :

a)      une décision concernant leur demande de protection internationale, y compris :

i)      les décisions considérant comme infondée une demande quant au statut de réfugié et/ou au statut conféré par la protection subsidiaire ;

ii)      les décisions d’irrecevabilité de la demande en application de l’article 33, paragraphe 2 ;

[...]

3.      Pour se conformer au paragraphe 1, les États membres veillent à ce qu’un recours effectif prévoie un examen complet et ex nunc tant des faits que des points d’ordre juridique, y compris, le cas échéant, un examen des besoins de protection internationale en vertu de la directive [2011/95], au moins dans le cadre des procédures de recours devant une juridiction de première instance.

[...] »

 Le droit allemand

9        L’article 71 de l’Asylgesetz (loi relative au droit d’asile, BGBl. 2008 I, p. 1798), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi relative au droit d’asile »), intitulé « Demande ultérieure », dispose, à son paragraphe 1 :

« Si, après le retrait ou le rejet définitif d’une première demande d’asile, l’étranger introduit une nouvelle demande d’asile (demande ultérieure), une nouvelle procédure d’asile ne doit être menée que si les conditions prévues à l’article 51, paragraphes 1 à 3, du [Verwaltungsverfahrensgesetz (loi relative à la procédure administrative, BGBl. 2013 I, p. 102] sont réunies ; [...] »

10      L’article 51 de la loi relative à la procédure administrative, dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi relative à la procédure administrative »), prévoit :

« (1)      L’autorité doit, à la demande de l’intéressé, décider de l’annulation ou de la modification d’un acte administratif définitif :

1.      si la situation de fait ou de droit à l’origine de l’acte administratif s’est ultérieurement modifiée en faveur de l’intéressé ;

2.      s’il existe de nouveaux éléments de preuve qui auraient entraîné une décision plus favorable à l’intéressé ;

3.      si des motifs de réouverture au sens de l’article 580 de la [Zivilprozessordnung (code de procédure civile)] sont constitués.

(2)      La demande n’est recevable que si, sans commettre de faute grave, l’intéressé n’a pas été en mesure d’invoquer le motif de réexamen dans le cadre de la procédure antérieure, notamment par voie de recours.

(3)      La demande doit être déposée dans un délai de trois mois. Le délai court à compter du jour où l’intéressé a pris connaissance du motif de réouverture.

[...] »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

11      Le requérant au principal est un ressortissant syrien. Le 26 juillet 2017, il a déposé une demande d’asile en Allemagne après avoir, selon ses propres indications, quitté la Syrie en 2012, séjourné en Libye jusqu’en 2017 puis traversé l’Italie ainsi que l’Autriche pour entrer en Allemagne.

12      Lors de son entretien à l’Office, il a exposé qu’il avait effectué son service militaire en Syrie entre l’année 2003 et l’année 2005 et qu’il avait quitté ce pays de crainte d’être rappelé sous les drapeaux ou d’être arrêté s’il refusait d’accomplir ses obligations militaires. Après son départ de Syrie, son père lui aurait appris qu’une convocation lui avait été adressée par les autorités militaires.

13      Par décision du 16 août 2017, l’Office lui a accordé la protection subsidiaire, mais a refusé de lui accorder le statut de réfugié.

14      Pour justifier ce refus, l’Office a retenu qu’il n’y avait pas lieu de supposer que l’État syrien interprétait l’émigration du requérant au principal comme une manifestation d’opposition au régime. En effet, d’une part, il serait originaire d’une région que l’armée syrienne, l’Armée syrienne libre et l’État islamique se disputaient au moment de son départ. D’autre part, ayant, selon ses propres dires, quitté la Syrie avant d’être appelé à rejoindre l’armée syrienne, il n’y aurait pas de raison de penser qu’il serait considéré dans son pays comme un déserteur ou un opposant au régime. Au demeurant, le requérant au principal n’aurait pas établi que la conscription aurait été la raison de son départ. Il n’aurait invoqué, de manière générale, que la situation de danger due à la guerre en Syrie.

15      Le requérant au principal n’a pas formé de recours contre cette décision, qui est devenue définitive.

16      Le 15 janvier 2021, le requérant au principal a déposé une nouvelle demande d’asile, c’est-à-dire une « demande ultérieure », au sens de l’article 2, sous q), de la directive 2013/32, auprès de l’Office. Il a essentiellement fondé sa demande sur l’arrêt du 19 novembre 2020, Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Service militaire et asile) (C‑238/19, EU:C:2020:945). Il a soutenu en substance que cet arrêt constituait une « modification de l’état du droit », au sens des dispositions nationales, et que, par conséquent, l’Office était tenu d’examiner au fond sa demande ultérieure. Cette modification résiderait dans le fait que l’arrêt invoqué prévoirait une interprétation des règles relatives à la charge de la preuve plus favorable aux demandeurs d’asile que celle retenue par la jurisprudence nationale pour de tels demandeurs ayant fui leur pays afin de se soustraire à leurs obligations militaires. Ladite modification résulterait de la formule utilisée par la Cour, selon laquelle, dans certaines circonstances, il existe une « forte présomption » que le refus du service militaire soit lié à l’un des motifs de persécution énumérés à l’article 10 de la directive 2011/95.

17      Par décision du 22 mars 2021, l’Office a rejeté comme irrecevable la demande d’asile ultérieure du requérant au principal. Il a motivé cette décision en indiquant, en substance, que l’arrêt du 19 novembre 2020, Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Service militaire et asile) (C‑238/19, EU:C:2020:945), n’impliquait pas qu’il doive examiner cette demande au fond. En effet, dans la mesure où le requérant au principal se serait contenté d’invoquer cet arrêt à l’appui de sa demande ultérieure, les conditions posées par les dispositions tant nationales que de l’Union pour un nouvel examen de sa demande d’asile n’auraient pas été remplies.

18      Le requérant au principal a saisi le Verwaltungsgericht Sigmaringen (tribunal administratif de Sigmaringen, Allemagne), qui est la juridiction de renvoi, d’un recours tendant à l’annulation de la décision de l’Office du 22 mars 2021 et à l’obtention du statut de réfugié.

19      Cette juridiction relève que, en vertu des dispositions combinées de l’article 71, paragraphe 1, de la loi relative au droit d’asile et de l’article 51, paragraphe 1, point 1, de la loi relative à la procédure administrative, si, après le rejet définitif d’une première demande d’asile, le ressortissant d’un pays tiers introduit une demande ultérieure, l’autorité responsable de la détermination doit rouvrir la procédure si la situation de fait ou de droit à l’origine de l’acte administratif s’est ultérieurement modifiée en faveur de l’intéressé. S’agissant d’une modification de la « situation de droit », au sens de ces dispositions, elle note que, selon l’interprétation par la jurisprudence nationale dominante, seule une modification des dispositions applicables est, en principe, susceptible de relever de cette notion, et non pas une décision judiciaire, telle qu’une décision de la Cour. En effet, une décision judiciaire se limiterait à interpréter et appliquer les dispositions pertinentes en vigueur au moment de l’adoption de la décision portant sur la demande antérieure, sans modifier celles-ci. La juridiction de renvoi indique cependant que les décisions du Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale, Allemagne) portant sur l’étendue du droit fondamental à l’asile peuvent exceptionnellement constituer des modifications de la « situation de droit », au sens desdites dispositions.

20      La juridiction de renvoi s’interroge, toutefois, sur la compatibilité avec le droit de l’Union de cette interprétation du droit national, en ce qu’elle refuse de manière générale de considérer une décision de la Cour comme étant susceptible de modifier « la situation de droit » et ainsi de justifier la réouverture de la procédure dans le cas où une demande ultérieure est présentée, alors que, dans l’arrêt du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság (C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367), la Cour a jugé que l’existence d’un arrêt de la Cour constatant l’incompatibilité avec le droit de l’Union d’une réglementation nationale constitue un élément nouveau, au sens de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32.

21      Ainsi, la juridiction de renvoi se demande notamment si une décision de la Cour qui se limite à interpréter une disposition du droit de l’Union déjà en vigueur au moment de l’adoption de la décision portant sur une demande antérieure est susceptible de constituer un « élément ou fait nouveau », au sens de l’article 33, paragraphe 2, sous d), et de l’article 40, paragraphe 3, de la directive 2013/32. En particulier, elle se demande si l’arrêt du 19 novembre 2020, Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Service militaire et asile) (C‑238/19, EU:C:2020:945), invoqué par le requérant au principal, constitue, en l’occurrence, un tel « élément ou fait nouveau », compte tenu du fait que celui-ci comporte des précisions importantes concernant l’application de l’article 9, paragraphe 2, point b), et de l’article 10 de la directive 2011/95 à la situation des objecteurs de conscience syriens.

22      En outre, la juridiction de renvoi relève que, en vertu du droit procédural national applicable, lorsqu’elle est saisie d’un recours contre une décision de l’Office rejetant une demande ultérieure comme irrecevable, elle ne peut se prononcer que sur les conditions de recevabilité de cette demande telles que prévues à l’article 71, paragraphe 1, de la loi relative au droit d’asile et de l’article 51, paragraphes 1 à 3, de la loi relative à la procédure administrative. Ainsi, si la juridiction de renvoi considère que l’Office a, à tort, rejeté la demande ultérieure, elle peut seulement annuler la décision d’irrecevabilité et renvoyer l’examen de cette demande à l’Office pour que celui-ci rende une nouvelle décision.

23      Cette juridiction se demande, toutefois, si ces règles procédurales nationales sont compatibles avec le droit à un recours effectif visé par l’article 46, paragraphe 1, de la directive 2013/32 et avec l’objectif de cette directive, énoncé à son considérant 18, que les demandes de protection internationale fassent l’objet d’une décision aussi rapide que possible. Dans l’hypothèse où il résulterait de cet article 46 qu’elle peut, voire qu’elle doit, statuer elle‑même sur le fond de la demande ultérieure et accorder, le cas échéant, le statut de réfugié au requérant au principal, elle s’interroge encore sur le point de savoir si ce requérant doit alors bénéficier des garanties procédurales prévues par les dispositions du chapitre II de la directive 2013/32.

24      Dans ces conditions, le Verwaltungsgericht Sigmaringen (tribunal administratif de Sigmaringen) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      a)      Une disposition nationale qui considère qu’une demande ultérieure n’est recevable que si les faits ou l’état du droit sur lesquels se fondait la décision initiale de rejet ont changé par la suite en faveur du demandeur est-elle compatible avec l’article 33, paragraphe 2, sous d), et l’article 40, paragraphe 2, de la directive [2013/32] ?

b)      L’article 33, paragraphe 2, sous d), et l’article 40, paragraphe 2, de la directive [2013/32] s’opposent-ils à une disposition nationale qui ne considère pas une décision de la Cour (ici : dans le cadre d’une procédure préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE) comme “élément nouveau”, une “circonstance nouvelle” ou un “fait nouveau” lorsque cette décision ne constate pas l’incompatibilité d’une disposition nationale avec le droit de l’Union, mais se limite à l’interprétation du droit de l’Union ? Le cas échéant, quelles sont les conditions pour qu’un arrêt de la Cour qui ne fait qu’interpréter le droit de l’Union doive être pris en compte comme “élément nouveau”, “circonstance nouvelle” ou “fait nouveau” ?

2)      En cas de réponse affirmative [à la première question, sous a) et b)] : l’article 33, paragraphe 2, sous d), et l’article 40, paragraphe 2, de la directive [2013/32] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’un arrêt de la Cour, qui a dit pour droit qu’il existe une forte présomption que le refus d’effectuer le service militaire dans les conditions visées à l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive [2011/95] soit lié à l’un des cinq motifs énumérés à l’article 10 de cette directive, doit être pris en compte comme “élément nouveau”, “circonstance nouvelle” ou “fait nouveau” ?

3)      a)      L’article 46, paragraphe 1, sous a), ii), de la directive [2013/32] doit-il être interprété en ce sens que le recours juridictionnel contre une décision d’irrecevabilité prise par l’autorité responsable de la détermination au sens de l’article 33, paragraphe 2, sous d), et de l’article 40, paragraphe 5, de la directive [2013/32] est limité à l’examen de la question de savoir si l’autorité responsable de la détermination a considéré à juste titre que les conditions pour que la demande d’asile ultérieure puisse être considérée comme irrecevable conformément à l’article 33, paragraphe 2, sous d), et à l’article 40, paragraphes 2 et 5, de la directive [2013/32] étaient remplies ?

b)      En cas de réponse négative à la [troisième question, sous a)] : l’article 46, paragraphe 1, sous a), ii), de la directive [2013/32] doit-il être interprété en ce sens que le recours juridictionnel contre une décision d’irrecevabilité comprend également l’examen de la question de savoir si les conditions d’octroi d’une protection internationale au sens de l’article 2, sous b), de la directive [2011/95] sont remplies lorsque la juridiction constate, après son propre examen, que les conditions de rejet de la demande d’asile ultérieure pour irrecevabilité ne sont pas remplies ?

c)      En cas de réponse affirmative à la [troisième question, sous b)] : une telle décision de la juridiction suppose-t-elle que le demandeur ait bénéficié au préalable des garanties procédurales spéciales prévues à l’article 40, paragraphe 3, troisième phrase, [lu en combinaison] avec les dispositions du chapitre II de la directive [2013/32] ? La juridiction peut-elle mener elle-même cette procédure ou doit-elle la déléguer à l’autorité responsable de la détermination, le cas échéant après avoir suspendu la procédure juridictionnelle ? Le demandeur peut-il renoncer au respect de ces garanties procédurales ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur les deux premières questions

25      Par ses deux premières questions, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance à quelles conditions un arrêt de la Cour peut constituer un « élément ou fait nouveau », au sens de l’article 33, paragraphe 2, sous d), et de l’article 40, paragraphes 2 et 3, de la directive 2013/32.

26      À titre liminaire, il convient de rappeler que l’article 33, paragraphe 2, de la directive 2013/32 énumère de manière exhaustive les situations dans lesquelles les États membres peuvent considérer une demande de protection internationale comme irrecevable (arrêt du 19 mars 2019, Ibrahim e.a., C‑297/17, C‑318/17, C‑319/17 et C‑438/17, EU:C:2019:219, point 76).

27      L’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32 prévoit, en particulier, que les États membres peuvent considérer une demande de protection internationale comme irrecevable lorsque « la demande concernée est une demande ultérieure, dans laquelle n’apparaissent ou ne sont présentés par le demandeur aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive [2011/95] ».

28      La notion de « demande ultérieure » est définie à l’article 2, sous q), de la directive 2013/32 et désigne une nouvelle demande de protection internationale présentée après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure.

29      La procédure d’examen des demandes ultérieures est précisée à l’article 40 de la directive 2013/32, qui prévoit, en ce qui concerne la recevabilité de telles demandes, un examen en deux temps [arrêt du 10 juin 2021, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Éléments ou faits nouveaux), C‑921/19, EU:C:2021:478, points 34 et 35].

30      Ainsi, dans un premier temps, le paragraphe 2 de cet article dispose que, afin de prendre une décision sur la recevabilité d’une demande de protection internationale en vertu de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de cette directive, une demande ultérieure est tout d’abord soumise à un examen préliminaire visant à déterminer si des éléments ou des faits nouveaux sont apparus ou ont été présentés par le demandeur, qui se rapportent à l’examen visant à déterminer si celui-ci remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive 2011/95.

31      Ce n’est que s’il existe effectivement de tels éléments ou faits nouveaux par rapport à la première demande de protection internationale que, dans un second temps, l’examen de la recevabilité de la demande ultérieure se poursuit, en application de l’article 40, paragraphe 3, de la directive 2013/32, afin de vérifier si ces éléments ou faits nouveaux augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à ce statut [arrêt du 10 juin 2021, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Éléments ou faits nouveaux), C‑921/19, EU:C:2021:478, point 37].

32      En outre, conformément à l’article 40, paragraphe 4, de la directive 2013/32, les États membres peuvent prévoir de ne poursuivre l’examen de la demande ultérieure que si le demandeur a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de faire valoir, au cours de la précédente procédure, de tels éléments ou faits nouveaux.

33      Lorsque les conditions de recevabilité d’une demande ultérieure sont remplies, cette demande doit être examinée au fond, et ce, ainsi que le précise l’article 40, paragraphe 3, de la directive 2013/32, conformément au chapitre II de cette directive, qui contient les principes de base et les garanties fondamentales applicables aux demandes de protection internationale [voir, en ce sens, arrêt du 10 juin 2021, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Éléments ou faits nouveaux), C‑921/19, EU:C:2021:478, point 38].

34      Afin d’apprécier la portée de la notion d’« élément ou fait nouveau », au sens de l’article 33, paragraphe 2, sous d), et de l’article 40, paragraphes 2 et 3, de la directive 2013/32, il convient de relever qu’il ressort du libellé de cet article 33, paragraphe 2, notamment du terme « uniquement » précédant l’énumération des motifs d’irrecevabilité, et de la finalité de cette dernière disposition ainsi que de l’économie de cette directive, que la possibilité de rejeter une demande de protection internationale comme irrecevable visée par ladite disposition déroge à l’obligation d’examiner au fond une telle demande [voir, en ce sens, arrêt du 1er août 2022, Bundesrepublik Deutschland (Enfant de réfugiés, né hors de l’État d’accueil), C‑720/20, EU:C:2022:603, point 49].

35      La Cour a ainsi déjà eu l’occasion de constater qu’il découle tant du caractère exhaustif de l’énumération figurant à cet article 33, paragraphe 2, que du caractère dérogatoire des motifs d’irrecevabilité que cette énumération comporte que ces motifs doivent faire l’objet d’une interprétation stricte [voir, en ce sens, arrêt du 1er août 2022, Bundesrepublik Deutschland (Enfant de réfugiés, né hors de l’État d’accueil), C‑720/20, EU:C:2022:603, point 51].

36      Partant, les hypothèses dans lesquelles la directive 2013/32 impose de considérer une demande ultérieure comme recevable doivent inversement être interprétées de manière large.

37      En outre, il ressort du libellé même de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32 et, en particulier, de l’utilisation de l’expression « élément ou fait nouveau » que cette disposition vise non seulement un changement factuel, intervenu dans la situation personnelle d’un demandeur ou dans celle de son pays d’origine, mais également des éléments de droit nouveaux.

38      Il ressort, notamment, de la jurisprudence de la Cour qu’une demande ultérieure ne saurait être déclarée irrecevable, au titre de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32, lorsque l’autorité responsable de la détermination, au sens de l’article 2, sous f), de ladite directive, constate que le rejet définitif de la demande antérieure est contraire au droit de l’Union. Un tel constat s’impose nécessairement à cette autorité responsable de la détermination lorsque cette contrariété découle d’un arrêt de la Cour ou a été constatée, à titre incident, par une juridiction nationale (voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság, C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, points 198 et 203).

39      Cette conclusion est motivée par la circonstance que l’effet utile du droit reconnu au demandeur d’une protection internationale, tel qu’il est consacré à l’article 18 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et concrétisé par les directives 2011/95 et 2013/32, d’obtenir le statut de bénéficiaire d’une protection internationale, dès lors que les conditions requises par le droit de l’Union sont réunies, serait gravement compromis si une demande ultérieure pouvait être déclarée irrecevable pour le motif visé à l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32, alors que le rejet de la première demande est intervenu en méconnaissance du droit de l’Union. En effet, une telle interprétation de cette disposition aurait pour conséquence que l’application incorrecte du droit de l’Union pourrait se reproduire à chaque nouvelle demande de protection internationale, sans qu’il soit possible d’offrir au demandeur le bénéfice d’un examen de sa demande qui ne soit pas entaché par la violation de ce droit. Un tel obstacle à l’application effective des règles du droit de l’Union concernant la procédure d’octroi d’une protection internationale ne pourrait pas raisonnablement être justifié par le principe de sécurité juridique (voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság, C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, points 192, 196 et 197).

40      Dans le contexte particulier de la directive 2013/32, un arrêt de la Cour est susceptible de relever de la notion d’élément nouveau, au sens de l’article 33, paragraphe 2, sous d), et de l’article 40, paragraphes 2 et 3, de cette directive, et cela indépendamment du point de savoir si cet arrêt a été prononcé avant ou après l’adoption de la décision portant sur la demande antérieure ou si ledit arrêt constate l’incompatibilité avec le droit de l’Union d’une disposition nationale sur laquelle cette décision a été fondée ou se limite à l’interprétation du droit de l’Union, y compris celui déjà en vigueur au moment de l’adoption de ladite décision.

41      Est ainsi, notamment, dépourvue de pertinence la circonstance, invoquée par les gouvernements allemand et autrichien, que les effets d’un arrêt par lequel la Cour, dans l’exercice de la compétence que lui confère l’article 267 TFUE, interprète une règle du droit de l’Union remontent, en principe, à la date de l’entrée en vigueur de la règle interprétée (voir, en ce sens, arrêt du 28 janvier 2015, Starjakob, C‑417/13, EU:C:2015:38, point 63 et jurisprudence citée).

42      En outre, s’il est vrai que la Cour a jugé, en substance, aux points 194 et 203 de l’arrêt du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság (C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367), que l’existence d’un arrêt constatant l’incompatibilité avec le droit de l’Union d’une réglementation nationale sur le fondement de laquelle une demande de protection internationale antérieure a été rejetée constitue un élément nouveau relatif à l’examen d’une demande ultérieure, au sens de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32, il y a lieu de relever que, ce faisant, la Cour n’a nullement considéré que seuls les arrêts comportant une telle constatation seraient susceptibles de constituer un tel élément nouveau.

43      En effet, une interprétation selon laquelle un arrêt de la Cour ne peut constituer un élément nouveau, au sens de l’article 33, paragraphe 2, sous d), et de l’article 40, paragraphes 2 et 3, de la directive 2013/32, qu’à la condition de constater l’incompatibilité avec le droit de l’Union d’une disposition de droit national sur le fondement de laquelle la décision portant sur la demande antérieure a été adoptée, compromettrait non seulement l’effet utile du droit reconnu au demandeur d’une protection internationale, consacré à l’article 18 de la Charte et rappelé au point 39 du présent arrêt, mais méconnaîtrait l’effet erga omnes des arrêts préjudiciels ainsi que la nature de la procédure prévue à l’article 267 TFUE et son objectif d’assurer l’uniformité d’interprétation du droit de l’Union.

44      Il résulte de ce qui précède que tout arrêt de la Cour est susceptible de constituer un élément nouveau, au sens de l’article 33, paragraphe 2, sous d), et de l’article 40, paragraphes 2 et 3, de la directive 2013/32.

45      Cette interprétation de la notion d’élément nouveau est corroborée par le considérant 36 de la directive 2013/32, dont il ressort que, à l’appui de sa demande ultérieure, le demandeur doit pouvoir présenter « de nouveaux arguments ».

46      En effet, ladite interprétation permet au demandeur de faire valoir, à l’appui de sa demande ultérieure, l’argument selon lequel sa demande antérieure a été rejetée en méconnaissance d’un arrêt de la Cour, un tel argument n’ayant, par hypothèse, pas pu être soulevé au cours de l’examen de cette demande antérieure.

47      Dans ce contexte, il convient également de relever que le fait que, au cours de l’examen de la demande antérieure, le demandeur n’a pas invoqué un arrêt déjà prononcé par la Cour ne saurait équivaloir à une faute de la part de ce demandeur, au sens de l’article 40, paragraphe 4, de la directive 2013/32. En effet, outre le fait que, conformément à ce qui a été indiqué aux points 34 et 35 du présent arrêt, cette notion de faute doit être interprétée restrictivement, retenir une conception plus étendue de ladite notion conduirait à permettre la réitération d’une application incorrecte du droit de l’Union, alors même qu’il incombe à l’autorité responsable de la détermination et aux juridictions compétentes de prendre en compte les éléments de fait dont elles disposent de manière conforme à ce droit en appliquant les arrêts pertinents de la Cour.

48      Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence qu’un arrêt de la Cour peut constituer un élément nouveau, au sens de l’article 33, paragraphe 2, et de l’article 40, paragraphes 2 et 3, de la directive 2013/32, même en l’absence d’une référence faite par le demandeur dans le cadre de sa demande ultérieure à l’existence de cet arrêt (voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság, C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, point 195).

49      Il y a lieu, cependant, de rappeler que, ainsi qu’il a été relevé au point 31 du présent arrêt, pour qu’une demande ultérieure soit recevable, il faut encore, conformément à l’article 40, paragraphe 3, de la directive 2013/32, que les éléments ou les faits nouveaux « augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive [2011/95] ».

50      En effet, ainsi qu’il ressort du considérant 36 de la directive 2013/32, le législateur de l’Union européenne a considéré qu’il serait disproportionné d’obliger les États membres à examiner au fond toute demande ultérieure. Or, tel serait le cas si, pour faire obstacle au rejet, par l’autorité compétente de sa demande ultérieure comme irrecevable sur le fondement de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32, il suffisait au demandeur d’invoquer un élément ou fait nouveau quelconque, indépendamment de sa pertinence au regard des conditions requises pour prétendre au bénéfice d’une protection internationale.

51      Lorsqu’un arrêt de la Cour est invoqué par le demandeur en tant qu’élément nouveau, au sens de l’article 33, paragraphe 2, et de l’article 40, paragraphes 2 et 3, de la directive 2013/32, une telle condition limite donc l’obligation d’examiner au fond une demande ultérieure aux cas où l’interprétation du droit de l’Union donnée dans cet arrêt apparaît pertinente pour l’appréciation du bien‑fondé de cette demande.

52      En l’occurrence, il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si l’arrêt du 19 novembre 2020, Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Service militaire et asile) (C‑238/19, EU:C:2020:945), qu’invoque le requérant au principal à l’appui de sa demande ultérieure, constitue un élément nouveau de nature à augmenter de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié.

53      Dans la mesure où cette appréciation dépend de l’interprétation de l’arrêt du 19 novembre 2020, Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Service militaire et asile) (C‑238/19, EU:C:2020:945), en particulier en ce qu’il a constaté, à son point 61, qu’il existe une « forte présomption » que le refus d’effectuer le service militaire dans les conditions visées à l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2011/95 soit lié à l’un des motifs énumérés à l’article 10 de cette directive, il y a lieu d’indiquer à la juridiction de renvoi que, par ce constat, fait également au point 60 de cet arrêt, la Cour a seulement indiqué que, dans les conditions susmentionnées, il est « hautement probable » que ce lien existe et n’a entendu ni édicter une présomption irréfragable ni substituer son appréciation sur ce point à celle des autorités nationales compétentes. La Cour a, dès lors, rappelé, à la dernière phrase du point 61 de l’arrêt en cause, qu’il appartient à ces autorités de vérifier, au vu de l’ensemble des circonstances en cause, le caractère plausible de ce lien.

54      À la lumière des observations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux deux premières questions que l’article 33, paragraphe 2, sous d), et l’article 40, paragraphes 2 et 3, de la directive 2013/32 doivent être interprétés en ce sens que tout arrêt de la Cour, y compris un arrêt qui se limite à l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union déjà en vigueur au moment de l’adoption d’une décision portant sur une demande antérieure, constitue un élément nouveau, au sens de ces dispositions, quelle que soit la date à laquelle il a été rendu, s’il augmente de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au bénéfice d’une protection internationale.

 Sur la troisième question

55      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 46, paragraphe 1, sous a), ii), de la directive 2013/32 doit être interprété en ce sens qu’il permet, voire exige, que la juridiction nationale compétente, lorsqu’elle annule une décision rejetant comme irrecevable une demande ultérieure, peut statuer elle-même sur cette demande, sans devoir renvoyer l’examen de celle-ci à l’autorité responsable de la détermination. Elle demande également si, dans ce cas, le demandeur doit bénéficier des garanties procédurales prévues par les dispositions du chapitre II de la directive 2013/32.

56      Il convient de rappeler que, en vertu de l’article 46, paragraphe 1, sous a), ii), de la directive 2013/32, les demandeurs de protection internationale doivent disposer d’un droit à un recours effectif contre les décisions d’irrecevabilité de leurs demandes ultérieures, prises en application de l’article 33, paragraphe 2, de cette directive.

57      En vertu de l’article 46, paragraphe 3, de ladite directive, ce recours doit, pour être effectif, comporter un examen complet et ex nunc par la juridiction nationale compétente tant des faits que des points d’ordre juridique, y compris, le cas échéant, un examen des besoins de protection internationale en vertu de la directive 2011/95.

58      Il en résulte que les États membres sont tenus, en vertu de l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, d’aménager leur droit national de manière à ce que le traitement des recours visés comporte un examen, par le juge, de l’ensemble des éléments de fait et de droit qui lui permettent de procéder à une appréciation actualisée du cas d’espèce, de sorte que la demande de protection internationale puisse être traitée de manière exhaustive, sans qu’il soit besoin de renvoyer le dossier à l’autorité responsable de la détermination. Une telle interprétation favorise l’objectif poursuivi par la directive 2013/32, visant à garantir que de telles demandes fassent l’objet d’un traitement aussi rapide que possible, sans préjudice de la réalisation d’un examen approprié et exhaustif (arrêt du 29 juillet 2019, Torubarov, C‑556/17, EU:C:2019:626, point 53).

59      Toutefois, l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32 porte uniquement sur l’examen du recours et ne concerne pas la suite d’une éventuelle annulation de la décision faisant l’objet de ce recours (arrêts du 25 juillet 2018, Alheto, C‑585/16, EU:C:2018:584, point 145, et du 29 juillet 2019, Torubarov, C‑556/17, EU:C:2019:626, point 54).

60      Il y a donc lieu de relever que, en adoptant la directive 2013/32, le législateur de l’Union n’a pas entendu introduire une règle commune selon laquelle l’autorité responsable de la détermination devrait perdre sa compétence après l’annulation de la décision relative à une demande de protection internationale, de telle sorte qu’il demeure loisible aux États membres de prévoir que le dossier doit, à la suite d’une telle annulation, être renvoyé à cette autorité afin que celle-ci prenne une nouvelle décision (arrêts du 25 juillet 2018, Alheto, C‑585/16, EU:C:2018:584, point 146, et du 29 juillet 2019, Torubarov, C‑556/17, EU:C:2019:626, point 54).

61      Si la directive 2013/32 reconnaît ainsi aux États membres une certaine marge de manœuvre, notamment pour déterminer les règles relatives au traitement d’une demande de protection internationale lorsqu’une décision antérieure relative à cette demande a été annulée par une juridiction, il importe toutefois de relever que, nonobstant une telle marge de manœuvre, les États membres sont tenus, dans la mise en œuvre de cette directive, de respecter l’article 47 de la Charte, qui consacre, en faveur de toute personne dont les droits et les libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés, le droit à un recours effectif devant un tribunal. Les caractéristiques du recours prévu à l’article 46 de la directive 2013/32 doivent ainsi être déterminées en conformité avec l’article 47 de la Charte. Il s’ensuit que chaque État membre lié par cette directive doit aménager son droit national de manière à ce que, à la suite d’une annulation de cette décision antérieure et en cas de renvoi du dossier à l’autorité responsable de la détermination, une nouvelle décision soit adoptée dans un bref délai et soit conforme à l’appréciation contenue dans le jugement ayant prononcé l’annulation (voir, en ce sens, arrêt du 29 juillet 2019, Torubarov, C‑556/17, EU:C:2019:626, points 55 et 59).

62      Par ailleurs, en prévoyant, à l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, que la juridiction compétente pour statuer sur un recours contre une décision de rejet d’une demande de protection internationale est tenue d’examiner, le cas échéant, « les besoins de protection internationale » du demandeur, le législateur de l’Union a entendu conférer à cette juridiction, lorsqu’elle estime qu’elle dispose de tous les éléments de fait et de droit nécessaires à cet égard, le pouvoir de se prononcer de manière contraignante, au terme d’un examen complet et ex nunc, c’est-à-dire exhaustif et actualisé, de ces éléments, sur la question de savoir si ce demandeur remplit les conditions prévues par la directive 2011/95 pour se voir reconnaître une protection internationale. Il s’ensuit que, lorsque, au terme d’un tel examen, ladite juridiction acquiert la conviction que le statut de réfugié ou de bénéficiaire de la protection subsidiaire devrait être, en application des critères prévus par la directive 2011/95, reconnu audit demandeur pour les motifs qu’il invoque à l’appui de sa demande et que la même juridiction procède à l’annulation de la décision qui avait rejeté cette demande et au renvoi du dossier à l’autorité responsable du traitement, cette dernière est, sous réserve de la survenance d’éléments de fait ou de droit nécessitant objectivement une nouvelle appréciation actualisée, liée par cette décision juridictionnelle et les motifs qui la sous-tendent et ne dispose plus d’un pouvoir discrétionnaire quant à la décision d’octroyer ou non la protection demandée à la lumière des mêmes motifs que ceux qui ont été soumis à ladite juridiction (arrêt du 29 juillet 2019, Torubarov, C‑556/17, EU:C:2019:626, points 65 et 66).

63      Il s’ensuit que, s’il appartient à chaque État membre de décider si la juridiction qui a annulé la décision d’irrecevabilité d’une demande ultérieure peut accueillir cette demande ou la rejeter pour un autre motif ou si, au contraire, cette juridiction doit renvoyer ladite demande à l’autorité responsable de la détermination pour qu’elle l’examine à nouveau, il n’en demeure pas moins que, dans ce dernier cas, cette autorité est tenue de respecter une telle décision juridictionnelle et les motifs qui la sous-tendent.

64      En outre, l’article 40, paragraphe 3, de la directive 2013/32 impose à l’autorité qui examine une demande ultérieure ayant été considérée comme recevable de poursuivre l’examen de cette demande conformément aux dispositions du chapitre II de cette directive.

65      Par conséquent, lorsque, après avoir annulé la décision ayant rejeté la demande ultérieure comme irrecevable, la juridiction compétente décide, dans les conditions rappelées au point 62 du présent arrêt, de se prononcer sur le fond de cette demande, cette juridiction doit veiller mutatis mutandis au respect des principes de base et des garanties fondamentales énoncées au chapitre II de la directive 2013/32. Il en va ainsi même lorsque, en vertu de son droit national, ladite juridiction ne dispose pas de la faculté de rejeter cette demande ou d’octroyer au demandeur le bénéfice d’une protection internationale, dès lors que l’autorité responsable de la détermination à laquelle le dossier est renvoyé afin qu’elle accueille ou rejette cette demande est liée par la décision juridictionnelle et les motifs qui la sous-tendent.

66      Il y a lieu d’ajouter, compte tenu des interrogations de la juridiction de renvoi à cet égard, que, en l’absence d’un entretien personnel devant l’autorité responsable de la détermination, tel qu’il est prévu à l’article 14 de la directive 2013/32, ce n’est que lorsqu’un tel entretien est mené devant la juridiction saisie d’un recours contre la décision d’irrecevabilité adoptée par cette autorité et dans le respect de l’ensemble des conditions prévues par la directive 2013/32 qu’il est possible d’assurer le caractère effectif du droit d’être entendu à ce stade de la procédure (arrêt du 16 juillet 2020, Addis, C‑517/17, EU:C:2020:579, point 71). Cela étant, il ressort également de l’article 14, paragraphe 2, sous a), de cette directive qu’il peut être renoncé à un tel entretien, lorsque cette juridiction est en mesure de prendre une décision positive relative au statut de réfugié sur la base des éléments de preuve disponibles.

67      Eu égard aux motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre à la troisième question que l’article 46, paragraphe 1, sous a), ii), de la directive 2013/32 doit être interprété en ce sens qu’il permet, sans toutefois l’exiger, que les États membres habilitent leurs juridictions, lorsque celles-ci annulent une décision rejetant une demande ultérieure comme irrecevable, à statuer elles-mêmes sur cette demande, sans devoir renvoyer l’examen de celle‑ci à l’autorité responsable de la détermination, à condition que ces juridictions respectent les garanties prévues par les dispositions du chapitre II de cette directive.

 Sur les dépens

68      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

1)      L’article 33, paragraphe 2, sous d), et l’article 40, paragraphes 2 et 3, de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale,

doivent être interprétés en ce sens que :

tout arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, y compris un arrêt qui se limite à l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union déjà en vigueur au moment de l’adoption d’une décision portant sur une demande antérieure, constitue un élément nouveau, au sens de ces dispositions, quelle que soit la date à laquelle il a été rendu, s’il augmente de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au bénéfice d’une protection internationale.

2)      L’article 46, paragraphe 1, sous a), ii), de la directive 2013/32

doit être interprété en ce sens que :

il permet, sans toutefois l’exiger, que les États membres habilitent leurs juridictions, lorsque celles-ci annulent une décision rejetant une demande ultérieure comme irrecevable, à statuer elles-mêmes sur cette demande, sans devoir renvoyer l’examen de celleci à l’autorité responsable de la détermination, à condition que ces juridictions respectent les garanties prévues par les dispositions du chapitre II de cette directive.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.