Language of document : ECLI:EU:C:2024:127

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 8 février 2024 (1)

Affaire C633/22

Real Madrid Club de Fútbol,

AE

contre

EE,

Société Éditrice du Monde SA

[demande de décision préjudicielle formée par la Cour de cassation (France)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Règlement (CE) no 44/2001 – Reconnaissance et exécution des décisions – Motifs de refus – Violation de l’ordre public de l’État requis – Condamnation d’un journal et d’un de ses journalistes pour atteinte à la réputation d’un club sportif »






I.      Introduction

1.        Le règlement (CE) no 44/2001 (2), connu également sous le nom de règlement Bruxelles I, dans la ligne de la tradition établie par les États membres eux-mêmes depuis la convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (3), prévoyait les règles uniformes relatives à la reconnaissance et à l’exécution des décisions en matière civile et commerciale rendues dans les États membres. Selon ces règles, pour qu’une décision rendue dans un État membre (ci-après l’« État membre d’origine ») puisse être exécutée dans un autre État membre (ci-après l’« État membre requis »), ce dernier doit accorder l’exequatur de celle-ci.

2.        Le règlement Bruxelles I a été remplacé par le règlement (UE) no 1215/2012 (4) (ci-après le « règlement Bruxelles I bis »), qui va plus loin que son prédécesseur et instaure un système d’exécution automatique (« sans qu’une procédure spéciale ne soit nécessaire ») des décisions en matière civile et commerciale rendues dans les États membres.

3.        Cependant, il demeure que, selon les dispositions de ces deux règlements, en se référant à la solution traditionnelle du droit international privé, un État membre requis a le droit de refuser l’exécution d’un jugement s’il porte atteinte à son ordre public.

4.        Certes, on peut arguer que l’existence d’une exception d’ordre public constitue une condition nécessaire et inévitable pour la libéralisation des exigences établies pour accorder aux décisions étrangères la force exécutoire sur le territoire d’un État membre requis : ce dernier est moins réticent à accepter les décisions étrangères lorsqu’il dispose d’une soupape de sécurité lui permettant d’avoir le dernier mot en ce qui concerne les effets produits par celles-ci sur son territoire.

5.        La particularité de la présente affaire réside dans le fait que l’exequatur des décisions rendues dans un État membre d’origine a été refusé au motif que l’exécution de ces décisions se heurtait à la liberté d’expression garantie à l’article 11 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). Cette affaire donne à la Cour l’occasion non seulement de clarifier les modalités du recours à la clause de l’ordre public dans une telle situation, mais aussi de préciser les contours de sa compétence en matière préjudicielle.

II.    Le cadre juridique

6.        Le chapitre III du règlement Bruxelles I, intitulé « Reconnaissance et exécution », comporte trois sections intitulées « Reconnaissance » (articles 33 à 37), « Exécution » (articles 38 à 52) et « Dispositions communes » (articles 53 à 56), ainsi que la définition de la notion de « décision » (article 32).

7.        L’article 33 de ce règlement, qui ouvre la première section du chapitre III relative à la reconnaissance des décisions rendues dans un État membre autre que celui dans lequel la reconnaissance est invoquée, prévoit, à son paragraphe 1, que « [l]es décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres, sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure ».

8.        L’article 34, point 1, dudit règlement dispose qu’une décision n’est pas reconnue si « la reconnaissance est manifestement contraire à l’ordre public de l’État membre requis ».

9.        L’article 36 du même règlement énonce que, « [e]n aucun cas, la décision étrangère ne peut faire l’objet d’une révision au fond ».

10.      L’article 38 du règlement Bruxelles I, qui ouvre la deuxième section du chapitre III relative à l’exécution des décisions rendues dans d’autres États membres, prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les décisions rendues dans un État membre et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée. »

11.      L’article 41 de ce règlement dispose que « [l]a décision est déclarée exécutoire dès l’achèvement des formalités prévues à l’article 53, sans examen au titre des articles 34 et 35. La partie contre laquelle l’exécution est demandée ne peut, en cet état de la procédure, présenter d’observations ».

12.      L’article 43, paragraphe 1, dudit règlement énonce que « [l]’une ou l’autre partie peut former un recours contre la décision relative à la demande de déclaration constatant la force exécutoire ».

13.      Aux termes de l’article 45 du même règlement :

« 1.      La juridiction saisie d’un recours prévu à l’article 43 ou 44 ne peut refuser ou révoquer une déclaration constatant la force exécutoire que pour l’un des motifs prévus aux articles 34 et 35. Elle statue à bref délai.

2.      En aucun cas la décision étrangère ne peut faire l’objet d’une révision au fond. »

14.      L’article 48 du règlement Bruxelles I prévoit :

« 1.      Lorsque la décision étrangère a statué sur plusieurs chefs de la demande et que la déclaration constatant la force exécutoire ne peut être délivrée pour le tout, la juridiction ou l’autorité compétente la délivre pour un ou plusieurs d’entre eux.

2.      Le requérant peut demander que la déclaration constatant la force exécutoire soit limitée à certaines parties d’une décision. »

III. Les faits au principal

15.      Le journal Le Monde a publié, le 7 décembre 2006, un article dans lequel l’auteur, EE, journaliste salarié de ce journal, affirmait que les clubs de football Real Madrid et FC Barcelona avaient recouru aux services du docteur X. Fuentes, l’instigateur d’un réseau de dopage dans le milieu du cyclisme. Un extrait de l’article figurait en première page, assorti d’un dessin sous-titré « Dopage : le football après le cyclisme » représentant un cycliste vêtu des couleurs du drapeau espagnol et entouré de petits footballeurs et de seringues. De nombreux médias, notamment espagnols, se sont fait l’écho de cette publication.

16.      Le 23 décembre 2006, le journal Le Monde a publié, sans aucun commentaire, la lettre de démenti que lui avait transmis le Real Madrid.

17.      Ce club et un membre de son équipe médicale, les requérants au principal, ont engagé devant le Juzgado de Primera Instancia no19 de Madrid (tribunal de première instance no 19 de Madrid, Espagne) une action en responsabilité fondée sur l’atteinte à leur honneur contre la société Éditrice du Monde et le journaliste-auteur de l’article en cause, les défendeurs au principal.

18.      Par jugement du 27 février 2009, ce tribunal a condamné les défendeurs au principal à payer les sommes de 300 000 euros au Real Madrid et de 30 000 euros au membre de son équipe médicale et a ordonné la publication de sa décision dans le journal Le Monde. Les défendeurs au principal ont fait appel de ce jugement devant l’Audiencia Provincial de Madrid (cour provinciale de Madrid, Espagne), qui a, pour l’essentiel, confirmé ledit jugement. Le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) a rejeté le pourvoi formé contre cette dernière décision par arrêt du 24 février 2014.

19.      Le Juzgado de Primera Instancia no19 de Madrid (tribunal de première instance no 19 de Madrid) a ordonné, par ordonnance du 11 juillet 2014, à titre solidaire (5), l’exécution de la décision du Tribunal Supremo (Cour suprême) et le paiement au Real Madrid de la somme de 390 000 euros en principal, intérêts et frais, puis, par ordonnance du 9 octobre 2014, l’exécution de cette décision et le paiement au membre de l’équipe médicale du club de la somme de 33 000 euros en principal, intérêts et frais.

20.      Le 15 février 2018, le directeur des services de greffe judiciaire du tribunal de grande instance de Paris (France) a rendu deux déclarations constatant le caractère exécutoire de ces ordonnances.

21.      Par arrêts du 15 septembre 2020, la cour d’appel de Paris (France) a infirmé ces déclarations. Considérant les ordonnances du 11 juillet et du 9 octobre 2014 comme étant manifestement contraires à l’ordre public international français, elle a jugé que celles-ci ne sauraient être exécutées en France.

22.      À cet égard, la cour d’appel de Paris a relevé, dans un premier temps, que les juridictions espagnoles avaient prononcé les condamnations en cause sur le fondement de l’article 9, paragraphe 3, de la Ley Orgánica 1/1982 de protección civil del derecho al honor, a la intimidad personal y familiar y a la propia imagen (loi organique 1/1982, sur la protection civile du droit à l’honneur), du 5 mai 1982 (BOE du 14 mai 1982, p. 11196), alors que le Real Madrid ne s’était pas prévalu d’un préjudice patrimonial. En outre, l’Audiencia Provincial de Madrid (cour provinciale de Madrid) aurait considéré dans son arrêt, confirmé par le Tribunal Supremo (Cour suprême), que, dans la mesure où le préjudice était généralement associé au préjudice moral, il était difficile de le quantifier en termes économiques.

23.      La cour d’appel de Paris a observé, dans un second temps, que seul avait été discuté, devant le juge espagnol, le retentissement médiatique de l’article en cause, démenti par des médias espagnols, de sorte que le préjudice subi du fait du retentissement avait été limité par le démenti apporté par les organes de presse locaux, dont le lectorat est majoritairement espagnol.

24.      Dans un troisième temps, cette juridiction a retenu, en premier lieu, que les condamnations au paiement des sommes de 300 000 euros en principal et de 90 000 euros en intérêts touchent une personne physique et la société éditrice d’un journal, et que les comptes de cette société révèlent qu’un tel montant représente 50 % de la perte nette et 6 % du montant des disponibilités au 31 décembre 2017 ; en second lieu, que les condamnations du journaliste au paiement des sommes de 30 000 euros en principal et de 3 000 euros en intérêts s’ajoutent aux précédentes, et, en troisième lieu, qu’il était extrêmement rare que le montant des dommages-intérêts alloués pour des atteintes à l’honneur ou à la considération dépasse 30 000 euros, la loi française ne punissant la diffamation envers les particuliers que d’une amende maximum de 12 000 euros.

25.      La cour d’appel de Paris a conclu que les condamnations en cause avaient un effet dissuasif sur la participation des défendeurs au principal à la discussion publique de sujets intéressant la collectivité de nature à entraver les médias dans l’accomplissement de leur tâche d’information et de contrôle, de sorte que la reconnaissance ou l’exécution des décisions prononçant ces condamnations heurtait de manière inacceptable l’ordre public international français, en ce qu’elle portait atteinte à la liberté d’expression.

26.      Les requérants au principal ont formé un pourvoi en cassation contre les arrêts de la cour d’appel de Paris devant la Cour de cassation (France), qui est la juridiction de renvoi dans la présente affaire. Ils ont soutenu, en premier lieu, qu’un contrôle de proportionnalité des dommages-intérêts ne peut avoir lieu que si ceux-ci ont un caractère punitif et non compensatoire ; en deuxième lieu, qu’ils avaient fait valoir que, en substituant sa propre appréciation du préjudice à celle du juge d’origine, la cour d’appel de Paris avait révisé les décisions espagnoles, en violation de l’article 34, point 1, et de l’article 36 du règlement Bruxelles I, et, en troisième lieu, que la cour d’appel de Paris n’avait pas pris en compte la gravité des fautes retenues par le juge espagnol et que la situation économique des personnes condamnées n’était pas pertinente pour apprécier le caractère disproportionné des condamnations, lequel, en tout état de cause, ne devait pas être apprécié au regard des normes nationales.

27.      Les défendeurs au principal ont soutenu, en substance, que la cour d’appel de Paris avait, sans réviser au fond les décisions espagnoles, refusé à juste titre de reconnaître leur caractère exécutoire en raison du caractère disproportionné des condamnations qu’elles prononçaient, violant ainsi manifestement la liberté d’expression et, par conséquent, l’ordre public international.

28.      Dans l’exposé des motifs l’ayant conduite à formuler les questions préjudicielles, la juridiction de renvoi se réfère, d’une part, à la jurisprudence de la Cour issue de l’arrêt Krombach (6). Elle attire l’attention sur le passage de cet arrêt qui, par une référence à l’arrêt Johnston (7), établit selon elle un lien entre les droits fondamentaux dont la Cour assure le respect et la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») (8).

29.      D’autre part, la juridiction de renvoi observe que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH »), s’agissant du niveau de protection, l’article 10, paragraphe 2, de la CEDH ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans les domaines du discours politique ainsi que des questions d’intérêt général. Relèverait de ce second domaine une publication portant sur des questions relatives au sport (9). En outre, selon elle, l’effet dissuasif d’une condamnation à verser des dommages-intérêts constitue un paramètre d’appréciation de la proportionnalité d’une mesure de réparation des propos diffamatoires. Par ailleurs, elle fait valoir, s’agissant de la liberté d’expression des journalistes, qu’il convient de veiller à ce que le montant des dommages-intérêts imposé aux sociétés de presse ne soit pas de nature à menacer leurs fondements économiques (10).

IV.    Les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

30.      C’est dans ces conditions que la Cour de cassation, par décision du 28 septembre 2022 parvenue à la Cour le 11 octobre 2022, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Les articles 34 et 36 du règlement [Bruxelles I] et l’article 11 de la [Charte] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’une condamnation pour l’atteinte à la réputation d’un club sportif par une information publiée par un journal est de nature à porter manifestement atteinte à la liberté d’expression et à constituer ainsi un motif de refus de reconnaissance et d’exécution ?

2)      En cas de réponse positive, ces dispositions doivent-elles être interprétées en ce sens que le caractère disproportionné de la condamnation ne peut être retenu par le juge [de l’État membre] requis que si les dommages-intérêts sont qualifiés de punitifs soit par la juridiction [de l’État membre] d’origine, soit par le juge [de l’État membre] requis, et non s’ils sont alloués pour la réparation d’un préjudice moral ?

3)      Ces dispositions doivent-elles être interprétées en ce sens que le juge [de l’État membre] requis ne peut se fonder que sur l’effet dissuasif de la condamnation au regard des ressources de la personne condamnée ou qu’il peut retenir d’autres éléments tels que la gravité de la faute ou l’étendue du préjudice ?

4)      L’effet dissuasif au regard des ressources du journal peut-il constituer, à lui seul, un motif de refus de reconnaissance ou d’exécution pour atteinte manifeste au principe fondamental de la liberté de la presse ?

5)      L’effet dissuasif doit-il s’entendre d’une mise en danger de l’équilibre financier du journal ou peut-il consister seulement en un effet d’intimidation ?

6)      L’effet dissuasif doit-il s’apprécier de la même façon à l’égard de la société éditrice d’un journal et à l’égard d’un journaliste, personne physique ?

7)      La situation économique générale de la presse écrite est-elle une circonstance pertinente pour apprécier si, au-delà du sort du journal en cause, la condamnation est susceptible d’exercer un effet d’intimidation sur l’ensemble des médias ? »

31.      Les parties à la procédure au principal, les gouvernements français, espagnol et allemand ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites. Les parties à la procédure au principal, les gouvernements français, espagnol et maltais ainsi que la Commission étaient représentés lors de l’audience qui s’est tenue le 17 octobre 2023.

V.      Analyse

A.      Reformulation des questions préjudicielles

32.      Avant de procéder à leur analyse, j’estime utile de présenter quelques remarques liminaires sur les présentes questions en ce qu’elles visent les articles 34 et 36 du règlement Bruxelles I, qui figurent dans la première section du chapitre III de ce règlement, intitulée « Reconnaissance ».

33.      En l’occurrence, la juridiction de renvoi statue sur un pourvoi en cassation dirigé contre les arrêts par lesquels les juridictions françaises ont révoqué des déclarations constatant la force exécutoire des décisions espagnoles en France. Il s’ensuit que les dispositions pertinentes du règlement Bruxelles I sont plutôt celles relatives à l’exécution des décisions rendues dans un État membre autre que celui dans lequel l’exécution est demandée, qui figurent dans la deuxième section de ce chapitre, intitulée « Exécution », et, notamment, l’article 45 de ce règlement.

34.      Cela étant, tout d’abord, d’une part, en ce qui concerne l’article 34 du règlement Bruxelles I, l’article 45, paragraphe 1, de celui-ci prévoit que les motifs de refus de reconnaissance, y compris celui relatif à l’ordre public de l’État membre requis (article 34, point 1) sont également des motifs de refus d’exécution. D’autre part, en ce qui concerne l’article 45, paragraphe 2, du règlement Bruxelles I, son contenu est quasiment identique à celui de l’article 36 de ce règlement et confirme que l’interdiction d’une révision au fond est applicable également dans le cadre d’une contestation de la force exécutoire d’une décision rendue dans un État membre autre que celui dans lequel l’exécution est demandée.

35.      Il convient donc de comprendre la référence aux articles 34 et 36 du règlement Bruxelles I comme visant l’article 45, paragraphe 1, de ce règlement, lu en combinaison avec l’article 34, point 1, et l’article 45, paragraphe 2, de celui-ci. Je tiens à relever que la juridiction de renvoi semble être consciente que les dispositions sur l’exécution des décisions sont également pertinentes dans la procédure au principal. En effet, bien que les questions préjudicielles mentionnent uniquement les articles 34 et 36 dudit règlement, il ressort de celles-ci que cette juridiction se demande si, en l’espèce, il existe un motif de refus de reconnaissance et d’exécution.

36.      Ensuite, la formulation de la première question fait penser que la juridiction de renvoi ne vise que la configuration procédurale dans laquelle un « journal » a été condamné pour atteinte à la réputation d’un club sportif. Toutefois, cette juridiction est saisie de pourvois en cassation dirigés contre les arrêts rendus dans deux procédures distinctes engagées, d’une part, contre la société éditrice du journal dans lequel est paru l’article incriminé et, d’autre part, contre son journaliste, auteur de cet article, par le club sportif et le membre de son équipe médicale. Par ailleurs, par sa sixième question préjudicielle, elle cherche à savoir si, en fonction des caractéristiques individuelles d’un défendeur, elle doit procéder à une appréciation différente des conditions du recours à la clause de l’ordre public.

37.      Enfin, je propose d’analyser ensemble toutes les questions préjudicielles. En effet, tandis que la première question a un caractère assez général, d’autres questions concernent les aspects détaillés de l’examen devant être opéré par le juge de l’État membre requis saisi d’un recours contre la décision sur la force exécutoire d’une décision rendue dans l’État membre d’origine. Néanmoins, ces questions tournent autour du même problème juridique et concernent les divers aspects que la juridiction de renvoi, saisie des pourvois en cassation, doit contrôler. En outre, répondre à la première question préjudicielle sans assortir cette réponse de considérations relatives à ces aspects détaillés risquerait d’induire en erreur quant aux modalités du recours à la clause de l’ordre public.

38.      Dans ces conditions, il convient de comprendre les questions préjudicielles en ce sens que, par celles-ci, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 45, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I, lu en combinaison avec l’article 34, point 1, et l’article 45, paragraphe 2, de celui-ci, ainsi que l’article 11 de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’un État membre dans lequel est demandée l’exécution d’une décision rendue dans un autre État membre, portant sur une condamnation d’une société éditrice d’un journal et d’un journaliste pour atteinte à la réputation d’un club sportif et d’un membre de son équipe médicale par une information publiée dans ce journal, peut refuser ou révoquer une déclaration constatant la force exécutoire de cette décision au motif que celle-ci conduirait à une violation manifeste de la liberté d’expression garantie à l’article 11 de la Charte.

39.      Pour répondre de manière utile à cette question, je présenterai tout d’abord quelques considérations générales sur la clause de l’ordre public (titre B), puis j’analyserai l’article 11 de la Charte au regard des doutes de la juridiction de renvoi (titre C) ainsi que les critères d’appréciation de la violation manifeste de la liberté garantie à cette disposition (titre D). Enfin, je me pencherai sur la présomption de protection équivalente issue de la jurisprudence de la Cour EDH (titre E).

B.      Considérations générales sur la clause de l’ordre public

40.      Dans la mesure où, comme je l’ai indiqué, la convention de Bruxelles a été remplacée par le règlement Bruxelles I, l’interprétation que la Cour a donnée de cette convention reste valable pour les dispositions correspondantes de ce règlement. C’est le cas de l’article 34, point 1, dudit règlement, qui a remplacé l’article 27, paragraphe 1, de ladite convention. Si, à la différence du règlement susmentionné, la convention ne prévoyait pas expressément que la reconnaissance ou l’exécution d’une décision doivent être « manifestement » contraires à l’ordre public de l’État membre requis pour ne pas reconnaître cette décision, la Cour a cependant toujours interprété la convention de Bruxelles en ce sens.

1.      La notion d« ordre public »

a)      La formule classique relative à la clause de l’ordre public

41.      La notion d’« ordre public » fait l’objet d’une jurisprudence abondante de la Cour. À travers cette jurisprudence, la Cour a également pris soin de préciser les contours de sa propre compétence en matière préjudicielle ainsi que de celle du juge de l’État membre requis.

42.      Il ressort de la jurisprudence issue de l’arrêt Krombach (11) que, si les États membres restent, en principe, libres de déterminer, en vertu de la réserve inscrite à l’article 34, point 1, du règlement Bruxelles I, conformément à leurs conceptions nationales, les exigences de leur ordre public, les limites de la notion d’« ordre public » relèvent de l’interprétation de ce règlement.

43.      Dès lors, et selon une formule classique de la jurisprudence, s’il n’appartient pas à la Cour de définir le contenu de l’ordre public d’un État membre, il lui incombe néanmoins de contrôler les limites dans le cadre desquelles le juge d’un État membre requis peut avoir recours à la notion d’« ordre public » (12).

44.      À cet égard, la Cour a jugé, en ce qui concerne la notion d’« ordre public » énoncée à l’article 34 du règlement Bruxelles I, que cette disposition doit recevoir une interprétation stricte en ce qu’elle constitue un obstacle à la réalisation de l’un des objectifs fondamentaux de ce règlement, à savoir la libre circulation des décisions judiciaires (13). Elle a précisé que la clause de l’ordre public ne doit trouver application que dans des cas exceptionnels (14).

45.      Par ailleurs, la Cour a relevé que, en prohibant la révision au fond, ce règlement interdit au juge de l’État membre requis d’avoir recours à la clause de l’ordre public au seul motif qu’une divergence existerait entre les lois applicables et de contrôler l’exactitude des appréciations de droit ou de fait qui ont été portées par le juge de l’État membre d’origine (15).

46.      En conséquence, la clause de l’ordre public ne serait appelée à jouer que dans la mesure où l’exécution de la décision concernée dans l’État requis entraînerait la violation manifeste d’une règle de droit considérée comme essentielle dans l’ordre juridique de l’État requis ou d’un droit reconnu comme fondamental dans cet ordre juridique (16).

47.      Il convient de compléter cette formule classique par deux éléments restreignant davantage l’interprétation de la notion d’« ordre public ».

b)      Les droits fondamentaux

48.      Le premier élément concerne les droits fondamentaux.

49.      La Cour a jugé que le juge de l’État membre requis mettant en œuvre le droit de l’Union en appliquant le règlement Bruxelles I doit se conformer aux exigences découlant de l’article 47 de la Charte (17). Par ailleurs, les dispositions de ce règlement doivent être interprétées à la lumière des droits fondamentaux qui font partie intégrante des principes généraux et qui sont désormais inscrits dans la Charte (18).

50.      Jusqu’à présent, la jurisprudence de la Cour dans ce domaine était axée sur les droits de la défense et les garanties d’ordre procédural (19). Toutefois, l’article 47 de la Charte ne s’épuise nullement dans la protection de tels droits.

51.      En effet, selon la jurisprudence de la Cour EDH, l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, auquel correspond l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, s’applique à l’exécution des décisions de justice étrangères définitives (20) et le refus d’accorder l’exequatur d’une telle décision peut constituer une ingérence dans le droit au procès équitable d’un requérant (21).

52.      Ainsi que l’a observé un auteur de doctrine (22), les jugements, qu’ils soient déclaratifs ou constitutifs, sont des véhicules pour les droits substantiels. Ils remplissent le même rôle dans un contexte transfrontalier, lorsque la reconnaissance ou l’exécution d’un jugement en provenance d’un autre État membre est demandée dans l’État membre requis. Faisant écho à cette considération, la Cour EDH a pris soin, dans sa jurisprudence, de protéger de tels droit substantiels adossés aux dispositions de la CEDH également lorsqu’il s’agissait de situations qui n’étaient pas limitées au territoire d’un seul État (23).

53.      Comme le font valoir certains auteurs (24), à travers sa jurisprudence, la Cour EDH a également déduit de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH l’existence d’un droit procédural à la reconnaissance et à l’exécution d’un jugement rendu à l’étranger, ce droit étant fondé sur la notion de « procès équitable », au sens de cette disposition.

54.      À cet égard, il convient de relever que la doctrine ne s’est pas unanimement prononcée en faveur d’une telle lecture spécifique de la jurisprudence de la Cour EDH.

55.      En effet, il existe un débat concernant notamment, d’une part, les contours d’un tel « droit » et sa place dans le système conventionnel (25) et, d’autre part, la nécessité de mettre ce « droit » en balance avec les droits fondamentaux du défendeur (26). Une autre critique semble viser l’impossibilité de déduire l’existence d’un « droit » à la reconnaissance et à l’exécution de la constatation, par la Cour EDH, d’une violation de l’article 6 de la CEDH (27). Toutefois, je ne suis pas convaincu par cette dernière critique. Il y a lieu de relever que le règlement Bruxelles I, en ce qu’il pose le principe que la décision rendue dans un autre État membre est mise à exécution après avoir été déclarée exécutoire et énonce les motifs exhaustifs du refus de l’exécution, reconnaît l’existence d’un droit de cet ordre (28).

56.      Dans l’interprétation des droits garantis à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, la Cour doit tenir compte des droits correspondants garantis à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, tel qu’interprété par la Cour EDH, en tant que seuil de protection minimale (29). À mon sens, la Cour devrait alors reconnaître au requérant une protection équivalente à celle résultant de la jurisprudence de la Cour EDH lorsque celui-ci, conformément au règlement Bruxelles I, demande la reconnaissance ou l’exécution d’une décision judiciaire rendue dans un autre État membre.

57.      Il devrait en aller de même lorsque la prétention dont s’est prévalu le requérant devant le juge de l’État membre d’origine n’avait pas son fondement matériel dans le droit de l’Union. Certes, bien que le juge de l’État membre d’origine fonde sa compétence sur le règlement Bruxelles I, la Charte n’est pas applicable devant lui et en ce qui concerne le fond de l’affaire (30). En revanche, devant le juge de l’État membre requis, ce même règlement, en ce qu’il pose le principe mentionné au point 55 des présentes conclusions et énonce de manière exhaustive les motifs du refus d’exécution, y compris celui lié à l’ordre public (31), et, partant, la Charte, deviennent applicables (32).

58.      Un tel caractère autonome du « droit » à l’exécution d’une décision judiciaire en matière civile et commerciale, ancré dans l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, correspond à la solution dégagée par la Cour EDH dans sa jurisprudence relative à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH (33).

59.      Ce « droit » ainsi défini n’est cependant pas absolu (34). Des limitations peuvent y être apportées, pour autant qu’elles répondent aux exigences de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte. À cet égard, il est constant que la limitation dudit droit au motif de la violation manifeste de l’ordre public doit être considérée comme étant prévue par la loi dès lors qu’elle résulte de l’article 34, point 1, du règlement Bruxelles I. Cette limitation respecte le contenu essentiel de ce droit. En effet, elle ne le remet pas en cause en tant que tel, puisqu’elle a pour effet d’exclure, dans des conditions spécifiques et encadrées par la jurisprudence de la Cour, l’exécution d’une décision judiciaire (35). Néanmoins, ladite limitation doit être également nécessaire et répondre effectivement à l’un des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui.

c)      La confiance mutuelle

1)      La confiance mutuelle au regard de la jurisprudence

60.      Le second élément par lequel il convient de compléter la formule classique issue de la jurisprudence de la Cour concerne la confiance mutuelle. En effet, cet élément tient au fait que le refus de la reconnaissance ou de l’exécution d’une décision judiciaire rendue dans un État membre va à l’encontre de la confiance mutuelle entre les États membres dans la justice au sein de l’Union sur laquelle est fondé le régime de reconnaissance et d’exécution établi par le règlement Bruxelles I. Cette confiance ne résulte pas uniquement du choix législatif des institutions de l’Union. Elle trouve son fondement dans le droit primaire (36).

61.      La circonstance que la référence à la confiance mutuelle ne figure pas dans cette formule classique s’explique par le fait que, au moment de la consécration de celle-ci dans l’arrêt Krombach, ni le droit de l’Union ni la Cour n’avaient encore reconnu ouvertement le rôle de cette confiance en ce qui concerne le volet civil et commercial de l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

62.      Plus important encore, c’est cette confiance mutuelle, que les États membres accordent mutuellement à leurs systèmes juridiques et à leurs institutions judiciaires, qui permet de considérer que, en cas d’application erronée du droit national ou du droit de l’Union, le système des voies de recours mis en place dans chaque État membre, complété par le mécanisme du renvoi préjudiciel prévu à l’article 267 TFUE, fournit aux justiciables une garantie suffisante (37).

63.      Selon la Cour, en effet, le règlement Bruxelles I repose sur l’idée fondamentale selon laquelle les justiciables sont tenus, en principe, d’utiliser toutes les voies de recours ouvertes par le droit de l’État membre d’origine. Sauf circonstances particulières rendant trop difficile ou impossible l’exercice des voies de recours dans l’État membre d’origine, les justiciables doivent faire usage dans cet État membre de toutes les voies de recours disponibles afin d’empêcher en amont une violation de l’ordre public (38).

2)      La confiance mutuelle et la dimension matérielle de l’ordre public

64.      Les considérations figurant aux points 62 et 63 des présentes conclusions ont été formulées par la Cour dans le contexte de violations alléguées de garanties d’ordre procédural dont les répercussions étaient susceptibles de violer l’ordre public de l’État membre requis. En revanche, la présente affaire invite la Cour à se pencher sur l’interprétation du droit de l’Union dans la situation où la violation alléguée de l’ordre public de l’État membre requis résulterait de la méconnaissance de droits d’ordre matériel.

65.      Du point de vue de la confiance mutuelle et des systèmes des voies de recours mis en place dans chaque État membre, une telle situation présente une difficulté supplémentaire.

66.      En effet, il est vrai que, comme la Cour semble vouloir le souligner dans ses considérations jurisprudentielles, la confiance que les États membres se portent mutuellement concerne non pas uniquement les matières relevant du droit de l’Union (« cas d’application erronée [...] du droit de l’Union ») mais également celles qui n’en relèvent pas (« cas d’application erronée du droit national »).

67.      Toutefois, lorsque la prétention dont s’est prévalu un requérant devant le juge de l’État membre d’origine n’a pas son fondement matériel dans le droit de l’Union, on peut éprouver un doute sur la possibilité de saisir la Cour, dans le cadre de cette procédure, d’une question préjudicielle relative à une disposition de la Charte qui consacre un droit ou une liberté d’ordre matériel.

68.      En l’espèce, dans la mesure où la prétention des requérants au principal ne semblait pas avoir son fondement matériel dans le droit de l’Union (39), les défendeurs au principal ne pouvaient pas invoquer, devant le juge de l’État membre d’origine, l’article 11 de la Charte pour faire valoir que cette prétention se heurte à leur liberté d’expression garantie à cette disposition (40). Toutefois, d’une part, ils auraient pu se prévaloir (et, selon les clarifications apportées lors de l’audience, ils l’ont fait) de l’article 10 de la CEDH ainsi que des dispositions constitutionnelles nationales consacrant cette liberté et, en outre, saisir la Cour EDH d’une requête dirigée contre l’État membre d’origine. D’autre part, l’interprétation du droit de l’Union appliqué par le juge de l’État membre requis ne saurait ignorer la nécessité d’assurer une protection au moins équivalente à celle offerte par la CEDH (41).

69.      Dans cette optique, la Charte et la CEDH forment, en matière civile et commerciale, un ensemble complémentaire de la protection des valeurs fondamentales pour l’Union et les États membres. C’est d’ailleurs cette complémentarité qui, au regard du fait que le droit de l’Union ne s’applique pas à chaque situation, contribue à la confiance mutuelle entre les États membres.

70.      De même, la Cour EDH reconnaît que, du point de vue de la protection des droits garantis par la CEDH, les rôles respectifs des juridictions de l’État membre d’origine et de l’État membre requis sont différents, sans qu’il en résulte un dysfonctionnement du mécanisme de contrôle du respect des droits garantis par cette convention (42). Certes, selon la Cour EDH, lorsqu’un grief sérieux et étayé, dans le cadre duquel il est allégué que l’on se trouve en présence d’une insuffisance manifeste de protection d’un droit garanti par la CEDH, est soumis au juge de l’État membre requis et que le droit de l’Union ne permet pas de remédier à cette insuffisance, le juge ne saurait renoncer à examiner ce grief au seul motif qu’il applique le droit de l’Union (43). Toutefois, tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, la clause de l’ordre public constitue effectivement un instrument prévu par le droit de l’Union, permettant au juge de l’État membre requis de remédier à toute insuffisance manifeste d’une telle protection.

2.      Le contenu de l’ordre public et le rôle de la Cour en matière préjudicielle

a)      Exposé du problème

71.      Dans des cas de figure traditionnels, lorsque se pose la question de savoir si la reconnaissance ou l’exécution d’une décision rendue dans un autre État membre se heurte à un principe, voire à un concept national de l’État membre requis, le juge de l’État membre requis ne saurait invoquer la clause de l’ordre public sans préalablement identifier un principe fondamental de son propre ordre juridique auquel cette reconnaissance ou cette exécution porterait atteinte (44). En d’autres termes, il lui appartient d’identifier et de qualifier un tel composant de son ordre juridique de fondamental. C’est la conséquence directe du fait que, comme le confirme la formule classique de la jurisprudence de la Cour, il appartient aux États membres de définir, « conformément à leurs conceptions nationales », le contenu de l’ordre public de leurs ordres juridiques.

72.      À son tour, la Cour peut, dans sa mission d’interprétation de la notion d’« ordre public » et sans dépasser les limites de sa propre compétence en matière préjudicielle, éclairer la juridiction de renvoi sur le point de savoir si la tension entre les conséquences produites par la reconnaissance ou l’exécution d’une décision rendue dans un autre État membre et le principe invoqué à l’encontre de la reconnaissance ou l’exécution constitue une violation manifeste de ce principe.

73.      En l’occurrence, le composant de l’ordre public de l’État membre requis dont la violation est susceptible de justifier le recours à la clause de l’ordre public relève du droit d’ordre matériel garanti à l’article 11 de la Charte. En effet, si la cour d’appel de Paris a mis en exergue le fait que l’exécution des décisions espagnoles se heurtait de manière inacceptable à l’ordre public international français, elle ne se réfère toutefois qu’à la liberté d’expression garantie par la Charte.

74.      À cet égard, la Cour a également eu l’occasion de se prononcer, dans une série d’affaires, sur le recours à la clause de l’ordre public lorsqu’il était envisagé au motif que le juge de l’État membre d’origine avait commis une erreur dans l’application du droit de l’Union et que les répercussions de cette erreur se heurtaient à l’ordre public de l’État membre requis.

75.      La lecture de la jurisprudence relative à la clause de l’ordre public permet de considérer que, dans la plupart de ces affaires, la question préjudicielle posée à la Cour avait pour origine une telle erreur d’ordre procédural et concernait le droit de la défense au sens large du terme. En substance, il résulte de cette jurisprudence qu’une atteinte manifeste et démesurée au droit du défendeur à un procès équitable, visé à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, justifie le recours à la clause de l’ordre public (45). Il est ainsi acquis que, dans certains cas, une violation des droits fondamentaux peut justifier le recours à cette clause.

76.      Le fait que la clause de l’ordre public, dans la dimension matérielle, ait connu moins de succès que la clause de l’ordre public dans sa dimension procédurale résulte probablement du rôle joué par l’interdiction de la révision au fond qui empêche le juge de l’État membre requis de revenir à la substance de l’affaire déjà jugée (46). C’est pourquoi il est nécessaire d’être prudent lors de l’application à l’ordre public dans sa dimension matérielle de la jurisprudence relative à l’ordre public dans sa dimension procédurale. La question qui se pose est donc celle de savoir quelles sont les implications d’une telle configuration sur la mise en œuvre de la clause de l’ordre public par le juge de l’État membre requis ainsi que sur le rôle de la Cour en matière préjudicielle. Pour répondre à cette question, il faut examiner de près la jurisprudence pertinente de la Cour.

b)      Jurisprudence pertinente de la Cour

1)      Sur l’arrêt Renault

77.      Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Renault (47) se posait, notamment, la question de savoir si une erreur qu’aurait éventuellement commise le juge de l’État membre d’origine dans l’application des principes de la libre circulation des marchandises et de la libre concurrence est susceptible de modifier les conditions de recours à la clause de l’ordre public. La Cour a répondu par la négative, considérant qu’il incombe au juge national d’assurer avec la même efficacité la protection des droits établis par l’ordre juridique national et des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (48). Toutefois, le constat que ces conditions sont les mêmes lorsqu’il s’agit d’une violation du droit national et du droit de l’Union n’implique pas qu’il en est de même en ce qui concerne le rôle de la Cour en matière préjudicielle.

78.      À cet égard, aucun élément de l’arrêt Renault ne permet de déterminer si la juridiction de renvoi a supposé que l’erreur éventuelle dans l’application du droit primaire constituait une violation manifeste du principe fondamental de l’ordre public de l’État membre requis.

79.      La lecture des conclusions de l’avocat général Alber dans cette affaire fait penser que la juridiction de renvoi s’est abstenue de prendre position sur cette question. Cette juridiction s’est contentée d’observer que la jurisprudence de la Cour soulevait des incertitudes concernant la portée véritable des principes prétendument méconnus par le juge de l’État membre d’origine et que ces principes devaient être considérés comme des principes d’ordre public (49).

80.      En revanche, la Cour a considéré, dans l’arrêt Renault, qu’« [u]ne erreur éventuelle de droit, telle que celle en cause au principal, ne constitue pas une violation manifeste d’une règle de droit essentielle dans l’ordre juridique de l’État membre requis » (50). Ce passage laisse à penser que, lorsque le recours à la clause d’ordre public est envisagé au motif que la reconnaissance ou l’exécution d’une décision judiciaire se heurte à un composant de l’ordre juridique de l’État membre requis relevant de celui-ci en raison de l’appartenance de cet État membre à l’Union, tant la question de savoir s’il s’agit d’un principe fondamental de cet ordre que, le cas échéant, celle de savoir si la reconnaissance ou l’exécution d’une décision judiciaire se heurte manifestement à ce principe fondamental peuvent, voire doivent, être clarifiés par Cour dans sa mission d’interprétation du droit de l’Union. Cette considération est corroborée par la lecture de la jurisprudence plus récente.

2)      Sur l’arrêt Diageo Brands

81.      Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Diageo Brands (51), l’une des questions préjudicielles présupposait que l’erreur dans l’application des dispositions du droit secondaire relatives à l’épuisement du droit conféré par la marque conduirait à l’adoption d’une décision qui était « manifestement contraire au droit de l’Union ». En substance, dans son arrêt, en faisant référence au caractère minimal de l’harmonisation opérée par ces dispositions, la Cour a relevé qu’il ne saurait être considéré qu’une telle erreur dans la mise en œuvre de ces dispositions heurterait de manière inacceptable l’ordre juridique de l’Union en tant qu’elle porterait atteinte à un principe fondamental de celui-ci (52). Comme dans l’arrêt Renault, la Cour a donc caractérisé le composant de l’ordre juridique de l’État membre requis pour établir si ce composant constituait un principe fondamental de cet ordre juridique, puis a examiné la prétendue violation du point de vue de son caractère manifeste.

3)      Sur l’arrêt Charles Taylor Adjusting

82.      Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Charles Taylor Adjusting (53) se posait la question de savoir si le juge d’un État membre requis peut refuser de reconnaître et d’exécuter la décision d’une juridiction d’un autre État membre, pouvant être qualifiée de « “quasi” injonctions anti-procédures », au motif de sa contrariété à l’ordre public de ce premier État membre.

83.      La Cour a considéré, dans un premier temps, que la reconnaissance et l’exécution des décisions en cause dans cette affaire se heurtaient, notamment, au principe général qui se dégage de sa jurisprudence relative aux règles du droit international privé de l’Union, selon lequel chaque juridiction saisie détermine elle-même si elle est compétente pour trancher le litige qui lui est soumis (54).

84.      Dans un second temps, la Cour a considéré que, sous réserve des vérifications opérées par la juridiction de renvoi, la reconnaissance et l’exécution des décisions en cause étaient susceptibles d’être incompatibles avec l’ordre public de l’ordre juridique de l’État membre requis dans la mesure où ces décision étaient de nature à porter atteinte à ce principe fondamental dans un espace judiciaire européen reposant sur la confiance mutuelle (55).

85.      Ainsi, comme dans les arrêts Renault et Diageo Brands, la Cour a qualifié un composant de l’ordre juridique de l’État membre requis de « principe fondamental » de celui-ci et a ensuite considéré que la reconnaissance et l’exécution d’une décision rendue dans un autre État membre peut se heurter de manière inacceptable à ce principe.

86.      Certes, on peut se demander quel est le rôle, dans l’arrêt Charles Taylor Adjusting, de la précision de la Cour « sous réserve des vérifications opérées par la juridiction de renvoi ». Pour répondre à cette question, il faut se tourner vers les conclusions présentées dans cette affaire, auxquelles la Cour a fait référence dans son arrêt.

87.      En effet, l’avocat général Richard de la Tour a indiqué, au point 53 de ses conclusions (56), qu’il partageait la position de la juridiction de renvoi en ce qu’elle considérait que, conformément à l’arrêt Gambazzi (57), il lui appartient de procéder à une appréciation globale de la procédure et de l’ensemble des circonstances et que la reconnaissance et l’exécution des décisions en cause étaient manifestement incompatibles avec l’ordre public du for.

88.      Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Gambazzi (58) se posait la question de savoir si, au regard de la clause de l’ordre public, le juge de l’État membre requis peut tenir compte du fait que le défendeur a été exclu de la procédure dans l’État d’origine, au motif qu’il n’avait pas satisfait à des obligations imposées par une ordonnance prise dans le cadre de la même procédure. La Cour a jugé qu’une telle exclusion peut justifier le recours à la clause de l’ordre public lorsque, au terme d’une appréciation globale de la procédure et au vu de l’ensemble des circonstances, il apparaît au juge de l’État membre requis que cette mesure d’exclusion a constitué une atteinte manifeste et démesurée au droit du défendeur à être entendu (59).

89.      À mon sens, la formulation de la réponse de la Cour résultait, d’une part, de la nécessité de prendre en compte plusieurs éléments factuels pour déterminer la proportionnalité de cette atteinte au droit du défendeur (« [si celle-ci était] manifeste et démesurée ») et, d’autre part, de la distinction essentielle en matière préjudicielle entre l’interprétation et l’application du droit de l’Union. Je suis d’avis que la référence de la Cour, dans l’arrêt Charles Taylor Adjusting (60), aux « vérifications [que la juridiction de renvoi doit] opér[er] » fait écho à la même distinction. Ainsi, cette référence ne remet pas en cause les considérations présentées au point 85 des présentes conclusions.

90.      En conséquence, il appartient à la Cour uniquement d’interpréter le droit de l’Union, sans procéder à l’application de celui-ci. La Cour est tenue, dans sa mission d’interprétation du droit de l’Union, en premier lieu, de déterminer si le composant de ce droit constitue un principe fondamental de l’ordre juridique de l’Union. En second lieu, il appartient à la Cour de clarifier si les conditions de recours à la clause de l’ordre public, prévues par le droit de l’Union, sont réunies au regard des éléments factuels présentés par une juridiction de renvoi. Ces considérations sont corroborées par l’arrêt Eco Swiss (61), très emblématique à cet égard.

4)      Sur l’arrêt Eco Swiss

91.      Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Eco Swiss, l’une des questions visait le pointde savoir si une juridiction nationale saisie d’une demande en annulation d’une sentence arbitrale doit faire droit à une telle demande lorsqu’elle estime que cette sentence est effectivement contraire à l’article 101 TFUE, alors que, selon ses règles de procédure internes, elle ne doit y faire droit que si une telle sentence est contraire à l’ordre public.

92.      Bien que cette question ait été posée sous l’angle de la clause de l’ordre public, celle-ci ne figurait pas dans un acte du droit de l’Union que la Cour pouvait interpréter. En effet, la procédure au principal concernait l’annulation éventuelle, dans l’État membre de la juridiction de renvoi, d’une sentence arbitrale rendue à la demande de sociétés établies en dehors de l’Union. Indépendamment de la dimension transfrontalière de l’affaire, l’exécution des sentences arbitrales ne relevait pas de la convention de Bruxelles.

93.      Dans son arrêt, la Cour a, dans un premier temps, qualifié l’article 101 TFUE de « disposition fondamentale indispensable pour l’accomplissement des missions confiées à [l’Union] et, en particulier, pour le fonctionnement du marché intérieur » (62). Dans un second temps, la Cour a considéré que, dans la mesure où une juridiction nationale doit, selon ses règles de procédure internes, faire droit à une demande en annulation d’une sentence arbitrale fondée sur la méconnaissance des règles nationales d’ordre public, elle doit également faire droit à une telle demande fondée sur la méconnaissance de l’interdiction édictée à cette disposition du droit primaire (63).

94.      Dans son arrêt, la Cour ne s’est donc pas prononcée sur les conditions de la mise en œuvre de la clause de l’ordre public (« violation manifeste » ou non). En effet, ces conditions ne relevaient pas du droit de l’Union (64). En revanche, la Cour a déterminé, comme dans tous les arrêts que j’ai évoqués jusqu’ici, si le composant de l’ordre juridique de l’État membre concerné dont la violation était en question constituait un principe fondamental de cet ordre.

95.      Cela m’amène à une question plus essentielle : existe-t-il alors un ordre public de l’Union dont les principes fondamentaux peuvent être identifiés par la Cour ?

c)      L’ordre public de l’Union

96.      Lors de l’audience, l’une des questions débattues était celle de savoir si la référence faite par la Cour à une « règle de droit considérée comme essentielle dans l’ordre juridique de l’État requis » et à un « droit reconnu comme fondamental dans cet ordre juridique » (65), indique la volonté de la Cour d’introduire une distinction entre l’ordre public national et l’ordre public de l’Union. Sans vouloir nier l’existence de ce dernier, je ne suis pas persuadé que cette référence vise effectivement à distinguer ces deux ordres publics.

97.      En effet, en premier lieu, je suis d’avis que, par cette référence, la Cour cherchait plutôt à indiquer qu’il est possible de recourir à la clause d’ordre public lorsque la reconnaissance ou l’exécution d’une décision rendue dans un autre État membre viole manifestement un principe, voire un composant, essentiel ou fondamental de l’ordre juridique de l’État membre requis, indépendamment de la forme spécifique de son expression en droit national (66).

98.      En deuxième lieu, la Cour a jugé, dans l’arrêt Meroni, que la clause de l’ordre public ne serait appelée à jouer que dans la mesure où une atteinte aux garanties d’ordre procédural impliquerait que la reconnaissance d’une telle décision entraînerait la violation manifeste d’une règle de droit essentielle dans l’ordre juridique de l’Union et, donc, dudit État membre requis (67). Il s’ensuit qu’également une « règle de droit considérée comme essentielle dans l’ordre juridique de l’État requis » peut relever du droit de l’Union.

99.      En troisième lieu, la Cour a confirmé, dans l’arrêt Diageo Brands, que, par la référence aux « règles de droit » et aux « droits », l’intention de la Cour n’était pas de distinguer deux sources distinctes – nationale et de l’Union – de l’ordre public. La Cour a dit pour droit que la reconnaissance d’une décision rendue dans un autre État membre ne peut être refusée qu’en raison d’une violation manifeste d’une règle de droit considérée comme essentielle dans l’ordre juridique de l’Union et donc dans celui de l’État membre requis ou d’un droit reconnu comme fondamental dans ces ordres juridiques (68).

100. Cela étant dit, par le passé, je me suis prononcé en faveur de la reconnaissance de l’existence de l’« ordre public de l’Union »(69), qui lui-même fait partie intégrante de l’ordre public national. Bien que la Cour n’ait pas repris cette notion dans sa jurisprudence, elle a considéré qu’une règle de droit essentielle dans l’ordre juridique de l’Union constitue également une règle de droit essentielle de l’ordre juridique de l’État membre requis, dont la violation manifeste peut justifier le recours à la clause de l’ordre public (70).

101. Ainsi que le confirme l’article 2 TUE, il existe un noyau commun de valeurs partagées, respectées et protégées par les États membres qui définissent l’identité même de l’Union en tant qu’ordre juridique commun (71). À cet égard, il est difficile de trouver un exemple plus représentatif des valeurs partagées par les États membres que celles reflétées dans la Charte.

102. Du point de vue de l’État membre requis, il n’existe qu’un seul ordre public. En effet, un tel noyau commun fait partie intégrante de l’ordre juridique de chaque État membre. En outre, ainsi que je l’ai indiqué (72), les conditions du recours à la clause de l’ordre public sont les mêmes lorsque ce recours est envisagé en raison de la méconnaissance, par le juge de l’État membre d’origine, du droit national et du droit de l’Union. Toutefois, à mon sens, d’une part, l’insistance de la Cour sur l’identité de ces conditions tient à la volonté de ne pas privilégier le droit de l’Union par rapport aux droits nationaux. Une telle approche correspond d’ailleurs au principe essentiel de l’ordre juridique de l’Union, consacré à l’article 4, paragraphe 2, TUE, selon lequel l’Union respecte l’identité nationale des États membres, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles. D’autre part, comme l’illustre la jurisprudence pertinente que j’ai exposée, le fait que les conditions du recours à la clause de l’ordre public sont les mêmes lorsqu’il s’agit du droit national et du droit de l’Union n’implique pas qu’il en est de même en ce qui concerne les rôles respectifs du juge de l’État membre requis et de la Cour en matière préjudicielle.

103. C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les questions préjudicielles. Plus précisément, il appartient à la Cour d’interpréter le droit de l’Union, dans un premier temps, afin de vérifier si l’article 11 de la Charte exprime un principe fondamental de l’ordre juridique de l’Union (titre C) et, dans un second temps, afin de clarifier, au regard du présent renvoi préjudiciel, les critères d’appréciation permettant d’établir si l’exécution d’une condamnation telle que celle en cause au principal conduirait à la violation manifeste de ce principe (titre D).

C.      Sur l’article 11 de la Charte

1.      La liberté de la presse au regard de l’article 11 de la Charte

104. Par ses questions préjudicielles, la juridiction de renvoi vise l’article 11 de la Charte. Toutefois, cette disposition contient deux paragraphes : le premier concerne, de manière générale, la liberté d’expression et d’information, tandis que le second concerne, plus spécifiquement, la liberté et le pluralisme des médias.

105. Ainsi que l’a déjà clarifié la Cour, s’agissant des organismes de médias, l’ingérence dans la liberté d’expression et d’information prend la forme particulière d’une ingérence dans la liberté des médias, protégée spécifiquement par l’article 11, paragraphe 2, de la Charte (73). Dans cet ordre d’idées, il ressort des explications afférentes à la Charte que cette disposition « explicite les conséquences du paragraphe 1 en ce qui concerne la liberté des médias » (74). J’en déduis que, lorsque l’ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression concerne l’activité des médias, c’est l’article 11, paragraphe 2, et non l’article 11, paragraphe 1, de la Charte qui s’applique.

106. Dans l’affaire au principal, une juridiction nationale a recouru à la clause de l’ordre public au motif que l’exécution des décisions espagnoles irait à l’encontre de la liberté de la presse. Les questions préjudicielles concernent donc plus spécifiquement l’article 11, paragraphe 2, de la Charte.

107. La question qui se pose maintenant est de savoir si, dans l’ordre juridique de l’Union, la liberté de la presse garantie à cette disposition constitue un principe fondamental dont la violation peut justifier le recours à la clause de l’ordre public.

2.      La liberté de la presse en tant que principe fondamental de l’ordre juridique de l’Union

108. On peut déduire de la jurisprudence que le fait que la liberté de la presse garantie par la Charte a la même valeur juridique que les traités n’implique pas automatiquement qu’elle constitue un principe fondamental de l’ordre juridique de l’Union (75).

109. Cela étant dit, d’une part, la liberté de la presse, consacrée à l’article 11, paragraphe 2, de la Charte, protège le rôle essentiel des médias dans une société démocratique et un État de droit, qui consiste à diffuser des informations et des idées sur des questions d’intérêt général et auquel s’ajoute le droit pour le public d’en recevoir, sans restrictions autres que celles strictement nécessaires (76).

110. D’autre part, conformément à l’article 6, paragraphe 3, TUE, les droits fondamentaux, « tels qu’ils sont garantis par la [CEDH] », font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux de celui-ci. De ce point de vue, on peut se demander si l’article 11, paragraphe 2, de la Charte trouve son équivalent dans la CEDH. Dans l’affirmative, non seulement la liberté des médias constituerait un principe général du droit de l’Union, mais la jurisprudence de la Cour EDH fournirait des enseignements utiles quant à l’interprétation de cette disposition de la Charte.

111. À cet égard, il y a lieu de relever que, à la différence de l’article 11 de la Charte, l’article 10 de la CEDH ne fait référence ni à la liberté des médias ni à leur pluralisme. Toutefois, d’une part, au regard de la jurisprudence de la Cour EDH, il est constant que cette dernière disposition concerne également la liberté de la presse, voire la liberté journalistique (77). D’autre part, la Cour indique, dans sa jurisprudence, que la liberté d’expression et d’information, consacrée à l’article 11, paragraphes 1 et 2, de la Charte et à l’article 10 de la CEDH, a le même sens et la même portée dans chacun de ces deux instruments (78).

112. Certes, les explications afférentes à l’article 11 de la Charte énoncent que le paragraphe 2 de cet article « est notamment fondé sur la jurisprudence de la Cour relative à la télévision, notamment [l’arrêt Collectieve Antennevoorziening Gouda(79)], et sur le protocole sur le système de radiodiffusion publique dans les États membres ». Toutefois, ces références semblent prendre en compte plutôt le pluralisme des médias qui, bien qu’inextricablement lié à leur liberté, ne semble pas être directement en cause dans l’affaire au principal. En tout état de cause, le pluralisme des médias est protégé également sur le fondement de l’article 10 de la CEDH (80).

113. Dans ces circonstances, compte tenu de l’importance de la liberté de la presse dans une société démocratique et un État de droit ainsi que du fait que cette liberté est un principe général du droit de l’Union, il me paraît indéniable que ladite liberté représente un principe essentiel de l’ordre juridique de l’Union dont la violation manifeste peut constituer un motif de refus d’exequatur.

D.      Sur les critères d’appréciation de la violation manifeste de la liberté de la presse

1.      Le rôle du juge de l’État membre requis

a)      Observation liminaire

114. L’article 10, paragraphe 2, de la CEDH prévoit que l’exercice de la liberté d’expression peut être soumis aux limitations prévues par la loi qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, notamment, « à la protection de la réputation ou des droits d’autrui ». La Cour EDH reconnaît que, lors de l’examen de la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique en vue de la « protection de la réputation ou des droits d’autrui », elle peut être amenée à vérifier si les autorités nationales ont ménagé un juste équilibre dans la protection de deux valeurs garanties par cette convention et qui peuvent apparaître en conflit dans certaines affaires (81).

115. En ce qui concerne la recherche d’un tel équilibre, il y a lieu d’observer que les décisions espagnoles dont l’exécution est contestée cherchent à protéger tant la réputation du club de football que celle du membre de son équipe médicale.

116. La réputation de ce membre de l’équipe médicale relève de l’article 8 de la CEDH, auquel correspond l’article 7 de la Charte. Les critères pertinents pour mettre en balance le droit à la liberté d’expression et le droit au respect de la vie privée sont, notamment, la contribution à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne concernée et le sujet du reportage, son comportement antérieur, la méthode d’obtention de l’information et sa véracité, le contenu, la forme et les conséquences de la publication, ainsi que la sévérité de la sanction imposée (82).

117. S’agissant de la réputation du club de football, la Cour EDH a laissé ouverte la question de savoir si la réputation d’une personne morale relève de l’article 8 de la CEDH (83). Néanmoins, il est constant que la réputation d’une personne morale relève des notions de « réputation » ou « droits d’autrui », au sens de l’article 10, paragraphe 2, de la CEDH, la protection de la réputation d’une personne morale n’ayant toutefois pas le même poids que celle de la réputation ou des droits d’un individu (84).

118. Dès lors, d’une part, la recherche d’un juste équilibre entre tous les droits et les intérêts concurrents doit être faite séparément pour le club de football et pour le membre de son équipe médicale. Cette circonstance semble être reflétée dans les condamnations espagnoles qui portent sur deux montants distincts pour les deux requérants au principal. Cela étant, d’autre part, la Cour EDH procède à l’appréciation de la proportionnalité des ingérences sur la base des mêmes critères tant à l’égard d’une personne morale que d’un individu (85).

119. Au premier abord, on peut être tenté de procéder à la mise en balance des droits en jeu selon ces critères et, sur cette base, de déterminer si l’exécution des décisions espagnoles en cause au principal conduirait à une violation manifeste de la liberté de la presse. Il est cependant important de garder à l’esprit le contexte de la présente affaire avant de poursuivre l’analyse desdits critères.

b)      L’interdiction de la révision au fond au regard de la confiance mutuelle

120. Le présent renvoi préjudiciel ne porte pas sur le point de savoir comment mettre en balance, pour la première fois et sur la base d’éléments de preuve à la disposition du juge saisi d’une action en responsabilité, la liberté de la presse et la réputation d’autrui. La recherche d’une tel équilibre a déjà été entreprise par les juges de l’État membre d’origine. En outre, ainsi que cela a été clarifié lors de l’audience, les défendeurs au principal ont essayé de soumettre le résultat de cette recherche au contrôle du Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle, Espagne) et de la Cour EDH, qui n’ont pas jugé les requêtes recevables.

121. En l’espèce, le renvoi préjudiciel émane d’une juridiction de l’État membre dans lequel l’exécution d’une décision rendue dans un autre État membre a été demandée. Ignorer ce fait reviendrait à méconnaître le régime de reconnaissance et d’exécution du règlement Bruxelles I, fondé sur la confiance mutuelle, et les rôles respectifs des juges de l’État membre d’origine et de l’État membre requis.

122. En effet, le rôle du juge de l’État membre requis est circonscrit par la limitation prévue à l’article 45, paragraphe 2, du règlement Bruxelles I, selon lequel « [e]n aucun cas la décision [rendue dans un autre État membre] ne peut faire l’objet d’une révision au fond ». Certes, la clause de l’ordre public permet à ce juge de refuser l’exequatur d’une décision rendue dans un autre État membre. Toutefois, cette clause et l’exception qui en résulte ont une portée très étroite et déterminée par le rôle dudit juge.

123. À cet égard, le recours à la clause de l’ordre public ne repose pas sur une appréciation négative de la procédure devant le juge de l’État membre d’origine ou de la décision que celui-ci a rendue. Il résulte plutôt du constat que les répercussions de l’exécution de cette décision dans l’État membre requis sont manifestement contraires à un principe fondamental de l’ordre public de celui-ci.

124. C’est pourquoi l’article 45, paragraphe 2, du règlement Bruxelles I interdit au juge de l’État membre requis de contrôler l’exactitude des appréciations de droit ou de fait qui ont été portées par le juge de l’État d’origine (86). Le juge de l’État membre requis ne saurait, non plus, compléter ces appréciations par des éléments préexistants n’ayant pas été pris en compte par le juge de l’État membre d’origine (87).

125. Dans cette veine, la Cour a considéré, dans un arrêt portant sur le règlement (CE) nº 2201/2003 (88), que le juge de l’État membre requis ne saurait intervenir dans la détermination de la somme finale devant être acquittée au titre d’une astreinte ordonnée par le juge de l’État membre d’origine (89). En effet, une telle détermination implique l’appréciation des raisons à l’origine des manquements du débiteur et seul le juge de l’État membre d’origine, en tant que juge compétent pour connaître du fond, est habilité à porter des appréciations de cette nature.

126. A fortiori et en ce qui concerne le règlement Bruxelles I, le juge de l’État membre requis ne saurait remettre en cause les appréciations de droit ou de fait qui ont été portées par le juge de l’État membre d’origine pour recalculer le montant devant être acquitté au titre de la condamnation prononcée par ce dernier. Il ne saurait, non plus, réitérer l’exercice de la mise en balance des droits en jeu, car c’est le résultat de cet exercice qui détermine l’issue de la procédure.

127. Ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt Gambazzi (90), les vérifications opérées par le juge de l’État membre requis ne peuvent viser qu’à identifier une atteinte manifeste et démesurée au droit en question, sans impliquer un contrôle des appréciations de fond portées par le juge de l’État membre d’origine.

128. Dans cet ordre d’idées, du point de vue de la CEDH (91), compte tenu des rôles différents du juge de l’État membre d’origine et du juge de l’État membre requis dans le cadre du régime de reconnaissance et d’exécution établi par le règlement Bruxelles I, fondé sur la confiance mutuelle, il suffit que le juge de l’État membre requis ait recours à la clause de l’ordre public pour remédier aux insuffisances manifestes de la protection des droits garantis par la CEDH.

129. Dans ces circonstances et en ce qui concerne la violation d’un principe d’ordre matériel par une condamnation obtenue à la suite d’une action en responsabilité, les vérifications opérées par le juge de l’État membre requis doivent porter surtout sur les répercussions manifestes et démesurées de la sanction imposée par la décision dont l’exécution est demandée sur la liberté de la presse. En effet, lors de l’exécution d’une décision étrangère, ce sont les sanctions qui empiètent le plus sur l’ordre juridique de l’État membre requis. C’est d’ailleurs l’optique retenue par la juridiction de renvoi dans ses questions préjudicielles, qui se focalisent sur la dimension pécuniaire des décisions espagnoles.

130. Il convient toutefois de ne pas perdre de vue que l’article 11 n’est pas la seule disposition de la Charte qui entre en jeu.

c)      La mise en balance des droits fondamentaux en cause

131. En l’espèce, d’une part, du point de vue des défendeurs au principal, l’octroi de l’exequatur est susceptible de constituer une ingérence dans l’exercice de la liberté de la presse garantie à l’article 11 de la Charte. D’autre part, du point de vue des requérants au principal, le refus d’exécuter les décisions espagnoles en cause reviendrait à limiter leur droit à l’exécution de ces décisions, ancré dans l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte (92).

132. Néanmoins, ni la liberté d’expression ni le droit à l’exécution d’une décision judiciaire rendue dans un autre État membre ne sont absolus.

133. Lorsque plusieurs droits fondamentaux sont en cause, il convient de procéder à une mise en balance de ceux-ci au regard des exigences prévues à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte (93).

134. En l’espèce, la question de l’existence d’une base juridique pour la limitation de l’exercice de la liberté d’expression par les défendeurs au principal ne se pose pas. En effet, les condamnations en cause au principal ont été prononcées en vertu du droit espagnol et sous l’empire du règlement Bruxelles I et doivent, en principe, être exécutées en France. Il en est de même en ce qui concerne la limitation du droit des requérants au principal, qui résulte de la clause de l’ordre public et est prévue par ce règlement (94).

135. Dans un tel cas, l’appréciation du respect du principe de proportionnalité doit s’effectuer dans le respect de la conciliation nécessaire des exigences liées à la protection des différents droits et d’un juste équilibre entre eux (95).

136. La recherche d’un tel équilibre est inscrite dans le mécanisme de la protection de la liberté d’expression prévu par la CEDH. Il n’est donc pas surprenant que, aux fins d’effectuer une telle mise en balance entre la liberté d’expression et d’autres droits ou libertés fondamentaux, la Cour se réfère aux critères d’appréciation utilisés par la Cour EDH (96).

137. À ma connaissance, la Cour EDH ne s’est pas encore prononcée sur les principes applicables dans des affaires où le droit à la liberté d’expression, garanti à l’article 10 de la CEDH, doit être mis en balance avec le droit à l’exécution d’une décision judiciaire rendue à l’étranger, garanti à l’article 6 de cette convention. Dès lors, il appartient à la Cour de consacrer de tels principes en ce qui concerne l’article 11, paragraphe 2, et l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte au regard du présent renvoi préjudiciel.

2.      Sur les dommages-intérêts compensatoires

138. La problématique évoquée dans la deuxième question préjudicielle, telle que formulée par la juridiction de renvoi, concerne le point de savoir si le juge de l’État membre requis peut constater l’existence d’une violation manifeste de la liberté de la presse en raison du caractère disproportionné de la condamnation lorsque celle-ci porte sur les dommages-intérêts alloués pour la réparation d’un préjudice moral. Avant d’aborder cette problématique, quelques précisions supplémentaires me semblent utiles en ce qui concerne sa portée.

a)      Observations liminaires

139. En premier lieu, la problématique évoquée dans la deuxième question telle que formulée par la juridiction de renvoi semble trouver son origine dans le moyen de cassation par lequel les requérants au principal font valoir qu’un contrôle de proportionnalité des dommages-intérêts ne peut avoir lieu que si ceux-ci ont un caractère punitif et non compensatoire. En outre, les requérants au principal et le gouvernement espagnol observent que les dommages-intérêts en cause au principal n’ont pas été qualifiés de « punitifs » par le juge espagnol, mais visent à compenser le préjudice moral subi. La formulation de la deuxième question préjudicielle indique que la juridiction de renvoi part de la même prémisse.

140. En deuxième lieu, j’observe que ce moyen de cassation vise l’un des arguments retenus par la cour d’appel de Paris selon lequel les requérants au principal ne se sont pas prévalus d’un préjudice patrimonial et qu’un préjudiciel moral est difficilement quantifiable. À cet égard, je tiens à indiquer que, s’il n’est pas possible de calculer de la même manière le préjudice moral et le préjudice patrimonial, cela ne signifie pas pour autant que la condamnation liée à un préjudice moral n’est pas compensatoire (97).

141. En troisième lieu, la problématique évoquée dans la deuxième question, telle que formulée par la juridiction de renvoi, semble reposer sur la prémisse selon laquelle la qualification des dommages-intérêts peut être effectuée tant par le juge de l’État membre d’origine que par le juge de l’État membre requis (« si les dommages-intérêts sont qualifiés de punitifs soit par la juridiction [de l’État membre] d’origine, soit par le juge [de l’État membre] requis »). Toutefois, au regard des considérations présentées aux points 124 à 126 des présentes conclusions, l’interdiction de la révision au fond empêche le juge de l’État membre requis de procéder à une telle qualification des dommages-intérêts. En effet, ce juge ne peut pas substituer sa propre qualification à celle du juge de l’État membre d’origine. De même, il lui est interdit d’examiner les appréciations de droit et de fait pour conclure que le montant des dommages-intérêts alloués ne correspond pas au préjudice subi et qu’une partie importante de ce montant a donc un caractère non pas compensatoire mais punitif.

b)      Appréciation

142. S’agissant maintenant de l’examen du fond de la problématique soulevée par la deuxième question préjudicielle, je commencerai par l’analyse de l’argument débattu par les parties lors de l’audience concernant les tendances actuelles en droit international privé. Ensuite, j’examinerai de près les jurisprudences pertinentes de la Cour et de la Cour EDH.

1)      Les tendances actuelles en droit international privé

143. Plusieurs tentatives ont été entreprises en droit international privé – parfois avec succès, parfois sans (98) – en vue d’établir une clause de l’ordre public portant spécifiquement sur l’octroi ou l’exécution de dommages-intérêts punitifs. Toutefois, cette circonstance n’implique pas que le recours à l’ordre public soit exclu lorsqu’une condamnation ne porte pas sur des dommages-intérêts compensatoires.

144. À cet égard, certaines parties ont fait référence, dans leurs observations écrites et lors de l’audience, à la convention sur la reconnaissance et l’exécution des jugements étrangers en matière civile ou commerciale (99) (ci-après la « convention de 2019 ») à laquelle l’Union est partie. Plus précisément, ces parties font valoir que, bien que cette convention prévoie une interdiction de la révision au fond, l’article 10, paragraphe 1, de celle-ci dispose que « [l]a reconnaissance ou l’exécution d’un jugement peut être refusée si, et dans la mesure où, le jugement accorde des dommages et intérêts, y compris des dommages et intérêts exemplaires ou punitifs, qui ne compensent pas une partie pour la perte ou le préjudice réels subis ».

145. La pertinence de la convention de 2019 pour la présente affaire a été débattue au cours de l’audience.

146. En effet, d’une part, sont exclus du champ d’application de cette convention la « diffamation » et le « droit à la vie privée » (100) parce que, comme l’indique le rapport explicatif de ladite convention, il s’agit de matières sensibles pour de nombreux États, touchant à la liberté d’expression et pouvant avoir, à ce titre, des implications constitutionnelles (101).

147. Toutefois, d’autre part, en 2019, l’Institut de Droit International a publié sa résolution sur les atteintes aux droits de la personnalité par l’utilisation d’Internet et, selon l’article 9 de celle-ci, l’article 10 de la convention de 2019 devrait être applicable également en cas d’atteinte de ce type (102). Certes, cette résolution n’a pas de force contraignante. Néanmoins, elle a été élaborée sous les auspices de cet institut, dont l’autorité quant à l’identification des tendances actuelles en droit international privé et public ne saurait être ignorée (103). Ladite résolution démontre ainsi que la pertinence des solutions dégagées par la conférence de La Haye dépasse le cadre de la convention de 2019.

148. Cela étant, en dépit du libellé de l’article 10 de la convention de 2019, la distinction entre l’indemnisation compensatoire et punitive n’est pas décisive dans le cadre de cette convention. En effet, selon le rapport explicatif de ladite convention, le refus d’exécution sur le fondement de cette disposition ne pourrait intervenir que s’il résulte manifestement du jugement que la condamnation semble aller au-delà de la perte ou du préjudice réels subis. Dans ce cadre, outre les dommages-intérêts punitifs, « dans des cas exceptionnels, des dommages et intérêts qualifiés de compensatoires par le tribunal d’origine pourraient également relever de [ladite] disposition » (104). Selon la doctrine, sous l’empire de la même convention, il est donc loisible de refuser l’exécution d’une décision étrangère pour autant qu’elle concerne des dommages-intérêts punitifs ou des dommages-intérêts excessifs d’une autre manière (105).

149. J’en déduis que, selon les tendances actuelles en droit international privé, dans des cas absolument exceptionnels, il est possible de recourir à la clause de l’ordre public même lorsque la condamnation porte sur des dommages-intérêts compensatoires. En l’absence d’une indication claire quant à l’approche retenue par le législateur de l’Union dans le règlement Bruxelles I, il convient de se tourner vers la jurisprudence pertinente relative à ce règlement et à la liberté d’expression.

2)      La jurisprudence pertinente de la Cour

150. La lecture de l’arrêt flyLAL-Lithuanian Airlines (106) peut faire penser que le montant de la condamnation visant à réparer un préjudice patrimonial ainsi que les conséquences économiques qui en découlent ne constituent pas en eux-mêmes des motifs de refus de l’exequatur. En effet, la Cour a considéré que la clause de l’ordre public ne vise pas à protéger des intérêts purement économiques, de sorte que la simple invocation de conséquences économiques graves ne constitue pas une violation de l’ordre public de l’État membre requis.

151. Toutefois, d’une part, la Cour a également pris soin, dans cet arrêt, de souligner que les décisions dont l’exécution était en cause constituaient des mesures provisoires et conservatoires consistant non pas à verser une somme, mais uniquement à surveiller les biens des défendeurs au principal (107). D’autre part, il ne ressort pas dudit arrêt que les conséquences économiques graves ressenties dans l’État membre requis, qui ne se résument pas à une simple invocation d’intérêts économiques, ne sauraient constituer un motif de refus de l’exequatur.

152. Ainsi, je comprends l’arrêt flyLAL-Lithuanian Airlines (108)en ce sens que, lorsqu’une condamnation porte sur les dommages-intérêts compensatoires, il est possible de recourir à l’ordre public dans des cas absolument exceptionnels et uniquement lorsque d’autres arguments tirés de l’ordre public de l’État membre requis sont invoqués pour s’opposer à l’exécution de cette condamnation.

3)      La jurisprudence pertinente de la Cour EDH

153. Dans sa jurisprudence en matière de liberté d’expression, la Cour EDH a indiqué que la nature et la lourdeur des peines infligées sont des éléments à prendre en considération lorsqu’il s’agit de mesurer la proportionnalité d’une atteinte au droit à la liberté d’expression garanti à l’article 10 de la CEDH (109). La lecture de cette jurisprudence peut faire penser que la condamnation en elle-même importe plus que la peine infligée, de caractère mineur.

154. Toutefois, en premier lieu, il faut relever que la jurisprudence de la Cour EDH comporte deux volets distincts, à savoir celui relatif aux sanctions pénales et celui relatif aux condamnations pour une diffamation constitutive d’une faute civile. En effet, les autorités nationales doivent faire preuve de retenue dans l’usage de la voie pénale et accorder une grande attention à la sévérité des sanctions pénales (110).

155. En deuxième lieu, certes, la Cour EDH a constaté une violation de l’article 10 de la CEDH dans le cas d’une condamnation civile qui portait sur un « franc symbolique ». Néanmoins, la considération que la condamnation importe plus que le caractère mineur de la peine infligée constituait non pas le point de départ du raisonnement mais un argument invoqué en dernier lieu, pour souligner que le caractère négligeable d’une telle condamnation ne saurait suffire, en soi, à justifier l’ingérence dans le droit d’expression du requérant (111), sans nécessairement produire un effet réellement dissuasif sur l’exercice de la liberté d’expression (112).

156. Plus important encore, en troisième lieu, la Cour EDH considère qu’il faut en principe conserver la possibilité, pour les personnes lésées par des propos diffamatoires, d’engager une action en responsabilité de nature à constituer un recours effectif contre les violations des droits de la personnalité (113). Selon cette Cour, dans des circonstances spécifiques, un montant exceptionnel et particulièrement élevé de dommages-intérêts pour diffamation peut poser problème au regard de l’article 10 de la CEDH (114). En particulier, pour assurer un juste équilibre entre les droits en jeu, le montant de dommages-intérêts octroyé pour diffamation doit présenter un « rapport raisonnable de proportionnalité » avec l’atteinte causée à la réputation (115). À cet égard, ainsi que l’observent les auteurs de doctrine, la CEDH n’interdit pas toutes les formes de condamnations pécuniaires ou supra-compensatoires. En revanche, cette convention interdit celles qui sont disproportionnées au sens particulier de ce terme, retenu dans la jurisprudence de la Cour EDH (116), à savoir celles qui, en raison de leurs caractéristiques pondérées par rapport aux faits de l’espèce, conduisent à une limitation de la liberté d’expression qui n’est pas nécessaire dans une société démocratique.

157. Ainsi, d’une part, la jurisprudence de la Cour EDH ne comporte aucune indication quant au fait que le caractère punitif des dommages-intérêts serait une condition préalable pour retenir une violation éventuelle des libertés consacrées à l’article 10 de la CEDH. D’autre part, elle pose certains critères aux fins de l’appréciation du caractère disproportionné d’une sanction compensatoire permettant d’établir que celle-ci conduit à une limitation de la liberté d’expression qui n’est pas nécessaire dans une société démocratique. J’analyserai ces critères d’appréciation ci-dessous.

158. En tout état de cause et en ce qui concerne la problématique soulevée par la deuxième question préjudicielle telle que formulée par la juridiction de renvoi, compte tenu tant des tendances actuelles en droit international privé que de la jurisprudence pertinente, j’estime que, lorsqu’une condamnation porte sur des dommages-intérêts compensatoires, il est possible de recourir à l’ordre public dans des cas absolument exceptionnels et uniquement en relation avec d’autres arguments tirés de l’ordre public de l’État membre requis.

3.      Sur l’effet dissuasif

159. La problématique évoquée dans les troisième à septième questions préjudicielles prises ensemble, telles que formulées par la juridiction de renvoi, concerne deux aspects.

160. Ainsi, la juridiction de renvoi cherche à savoir, d’une part, si l’effet dissuasif d’une condamnation portant sur les dommages-intérêts alloués pour la réparation d’un préjudice moral est, en soi, suffisant pour justifier le recours à la clause de l’ordre public, au sens de l’article 34, point 1, du règlement Bruxelles I, lu à la lumière de l’article 11 de la Charte, et  d’autre part, quels sont les éléments à prendre en compte pour vérifier l’existence d’un tel effet dissuasif.

a)      L’effet dissuasif comme un motif de refus d’exequatur

1)      Le concept d’effet dissuasif

161. À titre liminaire, j’observe que, si la juridiction de renvoi fait référence au concept d’effet dissuasif, elle n’en fournit toutefois pas la définition.

162. À cet égard, d’une part, cette référence semble trouver son origine dans les arrêts rendus par la cour d’appel de Paris qui a considéré, dans des termes qui rappellent la jurisprudence de la Cour EDH, que les condamnations en cause dans l’affaire au principal avaient un effet dissuasif sur la participation des défendeurs au principal à la discussion publique de sujets intéressant la collectivité, de nature à entraver les médias dans l’accomplissement de leur tâche d’information et de contrôle. D’autre part, la juridiction de renvoi mentionne, dans la demande de décision préjudicielle, la jurisprudence de la Cour EDH en indiquant que « l’effet dissuasif d’une condamnation à verser des dommages-intérêts constitue un paramètre d’appréciation de la proportionnalité d’une [...] mesure de réparation des propos diffamatoires ».

163. Dans sa jurisprudence en matière de liberté d’expression, la Cour EDH se réfère, de manière interchangeable, à l’« effet dissuasif » et au « chilling effect » (117).

164. Des auteurs de doctrine ont observé que, si la Cour EDH n’avait pas encore donné une définition substantielle du concept d’effet dissuasif, elle s’appuyait toutefois sur ce concept pour justifier un examen rigoureux des mesures nationales qu’elle considère comme les plus susceptibles de produire des effets négatifs allant au-delà des cas individuels où elles sont appliquées, de sorte que les personnes physiques et morales sont dissuadées d’exercer leurs droits par crainte d’être soumises à ces mesures (118).

165. Dans cet ordre d’idées, la doctrine a relevé que le concept d’effet dissuasif n’est pas utilisé de manière cohérente dans la jurisprudence en matière de liberté d’expression, notamment en ce qu’il semble viser les implications d’une ingérence à la liberté d’expression allant au-delà de la situation de la personne directement concernée par cette ingérence (119).

166. En effet, dans un courant de cette jurisprudence relatif aux sanctions civiles, la Cour EDH semble utiliser le concept d’effet dissuasif en lien avec la liberté journalistique dans l’État concerné. En effet, cette Cour parle d’un résultat de la procédure nationale qui fait peser sur les personnes concernées une charge excessive et disproportionnée, « susceptible d’avoir un “chilling effect” sur la liberté de la presse dans le territoire de l’État défendeur » (120), ou bien d’un montant total de la condamnation comme étant « un facteur important en ce qui concerne un “chilling effect” potentiel de la procédure sur lui et sur d’autres journalistes » (121), ou encore d’une « [condamnation qui] risque inévitablement de dissuader les journalistes de contribuer à la discussion publique de questions qui intéressent la vie de la collectivité » (122).

2)      Pertinence pour la présente affaire

167. La définition que donne la Cour EDH des effets dissuasifs, voire inacceptables du point de vue de la protection de la liberté de la presse dans le contexte du débat sur un sujet d’intérêt général, me paraît pertinente dans le contexte de la présente affaire, qui tourne autour de la problématique du refus de l’exequatur au motif que l’exécution d’une décision rendue dans un autre État membre violerait manifestement l’ordre public de l’État membre requis.

168. En effet, en premier lieu, de tels effets inacceptables risquent de dissuader les journalistes de contribuer à la discussion publique de questions qui intéressent la vie de la collectivité. Le débat autour des questions du dopage dans le football touche à l’intérêt général (123) et la contribution à un débat d’intérêt général constitue un élément primordial à prendre en considération dans la mise en balance des droits fondamentaux concurrents (124).

169. Toujours dans ce contexte, en second lieu, d’une part, lorsqu’il s’agit d’un recours à la clause de l’ordre public, un juste équilibre doit être trouvé entre la liberté d’expression et le droit à l’exécution d’une décision rendue dans un autre État membre, ancré dans l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte. La recherche d’un juste équilibre ne peut pas, en principe, conduire à renoncer à l’exécution d’une décision en raison des répercussions que celle-ci aurait sur le défendeur. L’essence d’une condamnation réside dans le fait que ses conséquences sont ressenties par le défendeur.

170. D’autre part, ainsi que je l’ai observé au point 152 des présentes conclusions, lorsqu’une condamnation porte sur des dommages-intérêts compensatoires, le recours à l’ordre public est possible dans des cas absolument exceptionnels et uniquement en relation avec d’autres arguments tirés de la menace pour l’ordre public de l’État membre requis. Tel est le cas de l’argument tiré de ce que l’octroi de l’exequatur est susceptible d’engendrer un effet dissuasif sur la liberté de la presse dans l’État membre concerné. L’effet dissuasif ainsi défini affecte tant la liberté journalistique dans l’État membre concerné que la liberté d’information du public général. Le refus de l’exequatur dans un tel cas protège non seulement le défendeur contre la sanction qui lui a été imposée, mais également l’intérêt de la société de l’État membre concerné.

171. Ainsi, l’exécution d’une décision rendue dans un autre État membre susceptible de produire un effet dissuasif sur l’exercice de la liberté de la presse dans l’État membre requis entraîne une violation manifeste et démesurée du principe fondamental de ce dernier État membre et constitue donc un motif de refus d’exequatur. Il convient maintenant de déterminer les critères permettant d’établir qu’une condamnation engendre un tel effet.

b)      Critères d’appréciation de l’effet dissuasif

1)      L’effet dissuasif du point de vue du juge de l’État membre requis

172. La juridiction de renvoi se demande si les circonstances décrites dans les troisième à septième questions préjudicielles telles que formulées par cette juridiction peuvent être prises en compte pour établir l’existence d’une violation manifeste de l’ordre public de l’État membre requis. À cet égard, on pourrait être tenté de s’inspirer de la jurisprudence de la Cour EDH qui, pour constater une violation de l’article 10 de la CEDH, semble accorder du poids à chacune des circonstances mentionnées par la juridiction de renvoi.

173. Néanmoins, comme il ressort du point 129 des présentes conclusions, devant le juge de l’État membre requis, la question qui se pose est de savoir non pas si les dommages-intérêts sont proportionnels mais plutôt si l’exécution d’une décision accordant des dommages-intérêts est susceptible d’avoir un effet dissuasif conduisant à une violation manifeste et démesurée de la liberté de la presse dans cet État membre en raison de la sanction imposée. Dès lors, les vérifications opérées par le juge de l’État membre requis ne peuvent viser qu’à identifier le risque d’un tel effet dissuasif, sans impliquer un contrôle des appréciations de fond portées par le juge de l’État membre d’origine. Dans le prolongement de ce raisonnement, le rôle de la Cour ne consiste pas non plus à se substituer à celui de la Cour EDH pour établir une violation de la liberté de la presse imputable à ce dernier État membre.

174. Toujours dans ce contexte, les défendeurs au principal ont été condamnés, outre le paiement de dommages-intérêts, intérêts et frais, à l’obligation de publier la décision rendue dans l’État membre d’origine. Néanmoins, les questions préjudicielles ne visent la condamnation que dans sa dimension pécuniaire. En effet, le recours à la clause de l’ordre public n’est possible qu’en cas de violation de l’ordre juridique de l’État membre requis par les éléments de la décision dont l’exécution est demandée dans cet État membre. En revanche, selon la Cour EDH, l’appréciation d’une ingérence dans la liberté d’expression du point de vue de son effet dissuasif doit tenir compte de la nature des autres sanctions et mesures imposés à la personne concernée (125).

2)      Les critères pertinents en l’espèce

175. Par ses troisième à septième questions préjudicielles, la juridiction de renvoi cherche à établir si les ressources de la personne concernée, la gravité de la faute, l’étendue du préjudice, ainsi que l’importance de l’effet dissuasif déterminée au regard de la situation économique d’une société éditrice d’un journal et de la presse écrite en général doivent être pris en compte pour établir l’existence d’un effet dissuasif. En outre, elle se demande si l’existence d’un effet dissuasif doit être appréciée de la même manière en ce qui concerne la société éditrice d’un journal et le journaliste.

176. S’agissant de l’importance de l’effet dissuasif (quatrième question préjudicielle, telle que formulée par la juridiction de renvoi), compte tenu de la nécessité de mettre en balance les droits fondamentaux en cause (126), seul le risque d’un effet dissuasif allant au-delà de la situation de la personne directement concernée justifie le refus de l’exequatur en ce qu’il constitue une violation manifeste et démesurée de la liberté de la presse dans l’État membre requis. Ce n’est que dans une telle hypothèse que le juge de cet État membre doit recourir à la clause de l’ordre public pour remédier à une insuffisance manifeste dans la protection de cette liberté (127).

177. En ce qui concerne les ressources de la personne concernée au regard de la nature physique ou morale de cette personne (première partie de la troisième question ainsi que cinquième et sixième questions, telles que formulées par la juridiction de renvoi), le juge de l’État membre requis doit tenir compte du fait que la somme globale que la personne concernée est tenue de verser est un facteur important en termes d’effet dissuasif potentiel sur cette personne et sur d’autres journalistes (128).

178. Certes, la Cour EDH semble prend en compte, en tant que circonstance atténuante, le fait que l’éditeur et le journaliste sont, comme en l’espèce, solidairement tenus au paiement d’une sanction (129). Toutefois, l’effet dissuasif n’est pas apprécié de la même manière en ce qui concerne la société éditrice d’un journal et le journaliste auteur de l’article incriminé.

179. En effet, d’une part, en ce qui concerne une personne physique, la Cour EDH se réfère au salaire de la personne concernée ou aux valeurs de référence, telles que le salaire minimum (130) ou moyen (131) dans l’État défendeur en cause. En principe, la somme globale que la personne concernée est tenue de verser doit être considérée comme étant manifestement déraisonnable lorsque cette personne devrait faire des efforts pendant des années pour la payer intégralement ou lorsque cette somme correspond à plusieurs dizaines de salaire minimum standard dans l’État membre requis. D’autre part, s’agissant d’une personne morale, la Cour EDH veille à ce que le montant des dommages-intérêts imposés aux sociétés de presse ne soit pas de nature à menacer leurs assises économiques (132) et, de ce fait, manifestement déraisonnable.

180. En outre, s’agissant de la situation économique de la presse écrite en général dans l’État membre requis (septième question, telle que formulée par la juridiction de renvoi), bien qu’un effet dissuasif potentiel affecte des journalistes et des sociétés de presse dans cet État membre, le juge dudit État membre ne doit pas tenir compte de la situation économique de cette dernière pour refuser l’exequatur d’une décision judiciaire. Du point de vue des journalistes et des sociétés de presse, ce qui compte est surtout d’avoir conscience du fait qu’eux-aussi peuvent faire l’objet d’une condamnation manifestement déraisonnable par rapport aux circonstances de l’espèce.

181. Enfin, compte tenu du rôle du juge de l’État membre requis dans le régime de reconnaissance et d’exécution établi par le règlement Bruxelles I (133), les vérifications opérées par ce juge doivent concerner surtout les répercussions manifestes et démesurées sur la liberté de la presse de la sanction imposée par la décision dont l’exécution est demandée. Ledit juge ne saurait donc contrôler l’exactitude des appréciations de droit ou de fait qui ont été portées par le juge de l’État membre d’origine en ce qui concerne la gravité de la faute et l’étendue du préjudice (seconde partie de la troisième question, telle que formulée par la juridiction de renvoi).

182. En revanche, afin d’assurer que le résultat d’une mise en balance des droits en jeu n’est pas caractérisé par une protection manifestement insuffisante des droits fondamentaux (134), le juge de l’État membre requis peut tenir compte de la gravité de la faute et de l’étendue du préjudice pour déterminer si, en dépit du caractère a priori manifestement déraisonnable de la somme globale d’une condamnation, celle-ci est appropriée pour contrecarrer les effets des propos diffamatoires (135).

E.      La présomption de protection équivalente

183. Selon la célèbre présomption de « protection équivalente », issue de la jurisprudence de la Cour EDH et applicable aux États membres (136), la mesure d’un État membre prise en exécution des obligations résultant de son appartenance à l’Union doit être réputée justifiée au regard de la CEDH dès lors qu’il est constant que l’Union accorde aux droits fondamentaux une protection à tout le moins équivalente à celle assurée par cette convention (137). Certes, l’applicabilité de cette présomption et les conséquences à en tirer ne sont évaluées que par la Cour EDH. Toutefois, dans un esprit de coordination entre la Charte et la CEDH ainsi que pour fournir une réponse exhaustive à la Cour également en ce qui concerne les implications de son arrêt à venir, je souhaite consacrer quelques remarques supplémentaires à ladite présomption.

184. Il résulte de la jurisprudence de la Cour EDH que l’application de la présomption de protection équivalente est soumise à deux conditions : l’absence de marge de manœuvre pour les autorités nationales et le déploiement de l’intégralité des potentialités du mécanisme de contrôle prévu par le droit de l’Union (138), y compris du renvoi préjudiciel à la Cour devant laquelle des questions de droits fondamentaux peuvent être discutées. Étant donné que la Cour a été saisie d’un renvoi préjudiciel et qu’il n’appartient qu’à la Cour EDH d’examiner si la seconde condition est remplie, je me concentrerai sur la première condition.

185. À cet égard, la question de savoir si la présomption de protection équivalente s’applique est examinée par la Cour EDH en tenant compte de « la disposition précise appliquée en l’espèce » (139) et de toutes les conséquences qui en découlent pour l’État membre concerné, conformément à l’interprétation fournie par la Cour (140). Cela implique la prise en compte de l’ensemble des éléments pertinents du cadre juridique de l’Union dont découlent les obligations d’un État membre concerné à l’égard de l’Union et des autres États membres.

186. En l’occurrence, la question est donc de savoir si, sous le régime du règlement Bruxelles I, le juge de l’État membre requis saisi d’un recours prévu aux articles 43 et 44 de ce règlement conserve le pouvoir discrétionnaire de décider de faire usage ou non de la clause de l’ordre public lorsque l’exécution d’une décision rendue dans un autre État membre viole manifestement un droit fondamental garanti par la Charte.

187. À ma connaissance, la Cour EDH ne s’est pas encore prononcée sur un tel cas de figure (141). Une partie de la doctrine estime que la clause de l’ordre public implique l’existence du pouvoir d’appréciation, ce qui exclut l’usage de la présomption de protection équivalente (142). J’estime toutefois que tel n’est pas le cas lorsque la violation alléguée porte sur un principe fondamental de l’ordre juridique de l’Union.

188. En effet, certes, l’article 45, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I prévoit que le juge de l’État membre requis ne peut refuser l’exequatur que pour l’un des motifs prévus aux articles 34 et 35 de ce règlement. Toutefois, en ce qui concerne le motif de refus de l’exequatur, cette première disposition renvoie à l’article 34, point 1, de ce règlement, qui énonce, de manière catégorique, qu’une décision n’est pas reconnue si la reconnaissance est manifestement contraire à l’ordre public de l’État membre requis.

189. Par ailleurs, comme il ressort du point 102 des présentes conclusions, l’État membre requis ne détermine pas unilatéralement le contenu de l’ordre public de l’Union. De même, la qualification de la violation de cet ordre comme étant manifeste résulte d’une interprétation correcte du droit de l’Union et est ainsi soumise au contrôle effectué par la Cour. Plus important encore, le respect des droits fondamentaux n’est pas une question de bonne volonté ou de courtoisie de la part de l’État membre requis. Confronté à un grief qu’il considère bien fondé et selon lequel l’exécution d’une décision judiciaire relevant du champ d’application du règlement Bruxelles I entraînerait une violation manifeste de l’ordre public de l’Union et, plus précisément, d’un droit fondamental, le juge de l’État membre requis est dans l’obligation de refuser l’exequatur de celle-ci. Ainsi, dans une telle situation, il doit refuser ou révoquer une déclaration constatant la force exécutoire de cette décision.

190. Par souci de complétude, j’ajouterai que le fait que le juge de l’État membre requis est obligé d’examiner si les conditions de l’exequatur sont réunies ne signifie pas qu’il exerce un pouvoir d’appréciation au sens de la jurisprudence relative à la CEDH. En effet, la Cour EDH considère que la présomption de protection équivalente s’applique lorsque l’État membre requis peut refuser la reconnaissance et l’exequatur d’une décision étrangère « dans des limites très précises et sous réserve que soient remplies certaines conditions préalables » (143)

F.      Observations finales

191. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précédent, je propose de répondre aux questions préjudicielles que l’article 45, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I, lu en combinaison avec l’article 34, point 1, et l’article 45, paragraphe 2, de celui-ci, ainsi que l’article 11 de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’un État membre dans lequel est demandée l’exécution d’une décision rendue dans un autre État membre, portant sur une condamnation d’une société éditrice d’un journal et d’un journaliste pour l’atteinte à la réputation d’un club sportif et d’un membre de son équipe médicale par une information publiée dans ce journal, doit refuser ou révoquer une déclaration constatant la force exécutoire de cette décision lorsque l’exécution de celle-ci conduirait à une violation manifeste de la liberté d’expression garantie à l’article 11 de la Charte (144). Une telle violation existe lorsque l’exécution de ladite décision engendre un effet dissuasif potentiel s’agissant de la participation au débat sur un sujet d’intérêt général tant des personnes visées par la condamnation que d’autres sociétés de presse et journalistes dans l’État membre requis (145). Un tel effet dissuasif potentiel se manifeste lorsque la somme globale dont le paiement est demandé est manifestement déraisonnable au regard de la nature et de la situation économique de la personne concernée. Dans le cas d’un journaliste, l’effet dissuasif potentiel se présente, en particulier, lorsque cette somme correspond à plusieurs dizaines de salaires minimums standard dans l’État membre requis. Dans le cas d’une société éditrice d’un journal, l’effet dissuasif potentiel doit s’entendre comme une mise en danger manifeste de l’équilibre financier du journal (146). Le juge de l’État membre requis peut tenir compte de la gravité de la faute et de l’étendue du préjudice uniquement pour déterminer si, en dépit du caractère a priori manifestement déraisonnable de la somme globale d’une condamnation, celle-ci est appropriée pour contrecarrer les effets des propos diffamatoires (147).

192. Par souci de complétude, j’ajouterai que, faisant face à un grief dans le cadre duquel il est allégué que l’exécution d’une décision rendue dans un autre État membre qui condamne une société éditrice d’un journal et un journaliste auteur de l’article incriminé au paiement, conjointement et solidairement, d’un montant substantiel au titre de la réparation du même préjudice moral se heurte à la liberté de la presse dans l’État membre requis, le juge de ce dernier État membre peut refuser l’exequatur en ce qui concerne la condamnation à l’égard de l’une de ces personnes. En effet, aux termes de l’article 48 du règlement Bruxelles I, lorsque la décision étrangère a statué sur plusieurs chefs de la demande et que la déclaration constatant la force exécutoire ne peut être délivrée pour le tout, la juridiction ou l’autorité compétente la délivre pour un ou plusieurs d’entre eux.

VI.    Conclusion

193. Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par la Cour de cassation (France) de la manière suivante :

L’article 45, paragraphe 1, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, lu en combinaison avec l’article 34, point 1, et l’article 45, paragraphe 2, de celui-ci, ainsi que l’article 11 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

doivent être interprétés en ce sens que :

un État membre dans lequel est demandée l’exécution d’une décision rendue dans un autre État membre, portant sur une condamnation d’une société éditrice d’un journal et d’un journaliste pour l’atteinte à la réputation d’un club sportif et d’un membre de son équipe médicale par une information publiée dans ce journal, doit refuser ou révoquer une déclaration constatant la force exécutoire de cette décision lorsque l’exécution de celle-ci conduirait à une violation manifeste de la liberté d’expression garantie à l’article 11 de la charte des droits fondamentaux.

Une telle violation existe lorsque l’exécution de ladite décision engendre un effet dissuasif potentiel s’agissant de la participation au débat sur un sujet d’intérêt général tant des personnes visées par la condamnation que d’autres sociétés de presse et journalistes dans l’État membre requis. Un tel effet dissuasif potentiel se manifeste lorsque la somme globale dont le paiement est demandé est manifestement déraisonnable au regard de la nature et de la situation économique de la personne concernée. Dans le cas d’un journaliste, l’effet dissuasif potentiel se présente, en particulier, lorsque cette somme correspond à plusieurs dizaines de salaires minimums standard dans l’État membre requis. Dans le cas d’une société éditrice d’un journal, l’effet dissuasif potentiel doit s’entendre comme une mise en danger manifeste de l’équilibre financier de ce journal. Le juge de l’État membre requis peut tenir compte de la gravité de la faute et de l’étendue du préjudice uniquement pour déterminer si, en dépit du caractère a priori manifestement déraisonnable de la somme globale d’une condamnation, celle-ci est appropriée pour contrecarrer les effets des propos diffamatoires.


1      Langue originale : le français.


2      Règlement du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).


3      Convention signée à Bruxelles le 27 septembre 1968 (JO 1972, L 299, p. 32, ci-après la « convention de Bruxelles »).


4      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1) qui, selon son article 66, s’applique aux actions judiciaires intentées à compter du 10 janvier 2015.


5      À cet égard, dans la demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi indique que, par une ordonnance du 11 juillet 2014, le tribunal de première instance de Madrid a ordonné le paiement, au profit du Real Madrid, par la société éditrice, de la somme de 390 000 euros en principal, intérêts et frais. En revanche, elle ne précise pas que cette ordonnance visait l’exécution de la condamnation également en ce qui concerne le journaliste. Toutefois, il semble ressortir de cette demande et des observations des parties que l’ordonnance en question concernait l’exécution à l’égard des deux défendeurs au principal.


6      Arrêt du 28 mars 2000 (C‑7/98, EU:C:2000:164, ci-après l’« arrêt Krombach », points 36 et 37).


7      Arrêt du 15 mai 1986 (222/84, EU:C:1986:206, point 18).


8      Convention signée à Rome le 4 novembre 1950.


9      Cour EDH, 26 avril 2007, Colaco Mestre et SIC. Sociedade Independente de Comunicacao, S.A. c. Portugal (CE:ECHR:2007:0426JUD001118203, § 28).


10      Cour EDH, 26 novembre 2013, Błaja News Sp. z o. o. c. Pologne (CE:ECHR:2013:1126JUD005954510, § 71).


11      Point 22 de cet arrêt.


12      Arrêt Krombach (point 23).


13      Voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2023, Charles Taylor Adjusting (C‑590/21, ci-après l’« arrêt Charles Taylor Adjusting », EU:C:2023:633, point 32 et jurisprudence citée).


14      Voir arrêts Krombach (point 21) et Charles Taylor Adjusting (point 32 et jurisprudence citée).


15      Voir arrêt Krombach (point 36).


16      Voir arrêt Krombach (point 37).


17      Voir arrêt du 25 mai 2016, Meroni (C‑559/14, ci-après l’« arrêt Meroni », EU:C:2016:349, point 44).


18      Voir arrêt Meroni (point 45).


19      Voir arrêt Meroni (point 45).


20      Cour EDH, 23 mai 2016, Avotiņš c. Lettonie (CE:ECHR:2016:0523JUD001750207, ci-après l’« arrêt Avotiņš c. Lettonie, § 96 et jurisprudence citée).


21      La Cour EDH a reconnu, dans son arrêt du 29 avril 2008, McDonald c. France (CE:ECHR:2008:0429DEC001864804), que le refus d’accorder l’exequatur des décisions judiciaires en cause avait représenté une ingérence dans le droit au procès équitable du requérant, garanti à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH. Elle a également considéré, dans son arrêt du 3 mai 2011, Négrépontis-Giannisis c. Greece (CE:ECHR:2011:0503JUD005675908, § 89 à 92), que le refus de reconnaître l’adoption d’un enfant, prononcée aux États-Unis, au motif que celle-ci violait l’ordre public de l’État membre requis, avait entraîné une violation des articles 8 et 14 ainsi que de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH. Plus précisément, la Cour EDH, après avoir constaté une violation de ces deux premières dispositions, s’est contentée d’observer que l’interprétation par le juge de l’État membre requis de la notion d’« ordre public » ne doit pas être faite de manière arbitraire et disproportionnée.


22      Voir Kinsch, P., « Enforcement as a Fundamental Right », Nederlands Internationaal Privaatrecht, no 4, 2014, p. 543.


23      Voir, notamment, s’agissant de la violation de l’article 8 de la CEDH, Cour EDH, 3 mai 2011, Négrépontis-Giannisis c. Greece (CE:ECHR:2011:0503JUD005675908).


24      Voir, notamment, Kinsch, P., op. cit., p. 543, et Hazelhorst, M., Free movement of civil judgments in the European Union and the right to a fair trial, Springer, La Haye, 2017, p. 160.


25      Voir, notamment, Spielmann, D., « La reconnaissance et l’exécution des décisions judiciaires étrangères et les exigences de la Convention européenne des droits de l’homme. Un essai de synthèse », Revue trimestrielle des droits de l’homme, vol. 88, 2011, p. 774 à 779 et 786, et Kiestra, L. R., The Impact of the European Convention on Human Rights on Private International Law, 2014, La Haye, Springer, p. 262 à 274, qui attirent l’attention en particulier sur le fait que, dans sa jurisprudence dans ce domaine, la Cour EDH reconnaît parfois la violation de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH en ce qu’il garantit l’accès au juge. Toutefois, ce courant jurisprudentiel semble s’inscrire dans le contexte d’affaires où la reconnaissance ou l’exécution d’une décision judiciaire était, selon les requérants, considérablement retardée.


26      Voir, notamment, Cuniberti, G., Rueda, I., « Abolition of Exequatur. Addressing the Commission’s Concerns », Rabels Zeitschrift für ausländisches und internationales Privatrecht, 2011, vol. 2(75), p. 294, qui, sans se prononcer de manière catégorique sur l’existence d’un « droit » du requérant, se focalisent surtout sur la nécessité de maintenir l’équilibre entre un tel droit et les droits fondamentaux d’un défendeur.


27      Voir Barba, M., « L’exequatur sous le regard de la Cour européenne des droits de l’homme », Les Mémoires de l’Équipe de Droit International, Européen et Comparé, Lyon, 2012, no 2, https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-04035845, p. 35 et 36. Voir, concernant cette critique, Pailler, L., Le respect de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dans l’espace judiciaire européen en matière civile et commercial, Éditions A. Pedone, Paris, 2017, p. 113.


28      Voir article 38, paragraphe 1, et article 45, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I. Par ailleurs, l’avocate général Kokott a indiqué, dans ses conclusions dans l’affaire Apostolides (C‑420/07, EU:C:2008:749, point 52), qu’il n’est pas besoin de déterminer si l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH impose de reconnaître et d’exécuter des décisions étrangères puisque le règlement Bruxelles I confère de toute façon un droit de cet ordre.


29      Voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2023, K.B. et F.S. (Relevé d’office dans le domaine pénal) (C‑660/21, EU:C:2023:498, point 41).


30      Voir, sur cette problématique, mes conclusions dans l’affaire Glawischnig-Piesczek (C‑18/18, EU:C:2019:458, point 89).


31      Voir article 38, paragraphe 1, et article 45, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I.


32      À cet égard, l’applicabilité de l’article 47 la Charte devant le juge de l’État membre requis, en dépit du fait que le droit de l’Union ne régissait pas la procédure devant le juge de l’État membre d’origine, a été confirmée dans les arrêts du 6 septembre 2012, Trade Agency (C‑619/10, EU:C:2012:531, points 52 à 54), et Meroni (points 45 et 45). À mon avis, il est évident que le juge de l’État membre requis, lorsqu’il se penche sur la question du refus de l’exequatur d’une décision rendue dans un autre État membre au motif que cette exécution se heurterait à l’ordre public et, à cette fin applique le règlement Bruxelles I, est lié par toutes les dispositions de la Charte.


33      Voir Cuniberti, G., « Le fondement de l’effet des jugements étrangers », Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, vol. 394, 2018, p. 140, qui attire l’attention sur le fait que « l’autonomisation du fondement, purement procédural, à la reconnaissance des jugements étrangers et du droit à l’exécution des jugements en application de l’article 6 de la CEDH est surprenante, dans la mesure ou le fondement principal du droit à un procès équitable est de garantir l’effectivité des droits substantiels garantis par cette [c]onvention ».


34      Voir, en ce sens, en ce qui concerne le respect du droit à un procès équitable, arrêt du 6 septembre 2012, Trade Agency (C‑619/10, EU:C:2012:531, point 55).


35      Voir, par voie d’analogie, arrêt du 6 octobre 2015, Delvigne (C‑650/13, EU:C:2015:648, point 48).


36      En effet, tout d’abord, il ressort de l’article 4, paragraphe 3, TUE que, en vertu du principe de coopération loyale, l’Union et les États membres se respectent et s’assistent mutuellement dans l’accomplissement des missions découlant des traités. Ensuite, il ressort de l’article 67, paragraphe 4, TFUE que l’Union facilite l’accès à la justice, notamment par le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et extrajudiciaires en matière civile. Par ailleurs, aux termes de l’article 81, paragraphe 1, TFUE, l’Union développe une coopération judiciaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière, fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et extrajudiciaires. À ces fins, sur le fondement de l’article 81, paragraphe 2, sous a), TFUE, l’Union adopte des mesures visant à assurer la reconnaissance mutuelle entre les États membres des décisions judiciaires et extrajudiciaires et leur exécution.


37      Voir arrêts du 16 juillet 2015, Diageo Brands (C‑681/13, ci-après l’« arrêt Diageo Brands », EU:C:2015:471, point 63), et Meroni (point 47).


38      Voir arrêts Diageo Brands (point 64), et Meroni (point 48).


39      À cet égard, la Commission a présenté, en 2022, le projet de directive sur la protection des personnes qui participent au débat public contre les procédures judiciaires manifestement infondées ou abusives (« poursuites stratégiques altérant le débat public ») [COM(2022) 177 final], mieux connues sous l’acronyme anglais « SLAPP » (Strategic Lawsuit Against Public Participation). Ce projet de directive vise à établir des garanties contre les procédures judiciaires manifestement infondées ou abusives dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière engagées contre des personnes physiques et morales, en particulier des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme, en raison de leur participation au débat public. En fonction de son contenu définitif, une telle directive serait susceptible d’altérer l’applicabilité de l’article 11 de la Charte dans les procédures devant un juge de l’État membre d’origine dans les configurations telles que celle en cause en l’espèce.


40      Une autre solution serait de nuancer les conditions de recevabilité des questions préjudicielles dans le domaine de la coopération judiciaire en matière civile ayant des implications transfrontalières et de permettre à un juge de l’État membre d’origine de saisir la Cour d’une question préjudicielle portant sur un refus futur et éventuel de l’exécution de la décision que celui-ci rendra à l’issue de la procédure pendant devant lui. Cette solution ne saurait être acceptée sans réserve et, en tout état de cause, le présent renvoi préjudiciel n’émane pas d’un État membre d’origine. Néanmoins, voir, sur cette problématique controversée dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale, arrêt du 25 juillet 2018, AY (Mandat d’arrêt – Témoin) (C‑268/17, EU:C:2018:602, points 27 à 30).


41      Voir points 183 et suiv. des présentes conclusions.


42      Voir, en ce sens, Cour EDH, 18 juin 2013, Povse c. Autriche (CE:ECHR:2013:0618DEC000389011, § 86 à 87).


43      Arrêt Avotiņš c. Lettonie (§ 113 à 116).


44      Voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 2009, Apostolides (C‑420/07, EU:C:2009:271, points 61 et 62). Voir également, en ce sens, arrêt du 19 novembre 2015, P (C‑455/15 PPU, EU:C:2015:763, point 40).


45      Voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2012, Trade Agency (C‑619/10, EU:C:2012:531, points 52, 54 et 62). Voir également arrêts Krombach (points 25 à 27 et 45) et du 2 avril 2009, Gambazzi (C‑394/07, EU:C:2009:219, points 28, 29 et 48).


46      Voir, en ce sens, Hess, B., Rapport relatif à l’application du règlement Bruxelles I dans les États membres (étude JLS/C4/2005/03)], Université Ruprecht-Karls d’Heidelberg, septembre 2007, p. 249, paragraphe 558, disponible à l’adresse suivante : http://ec.europa.eu/civiljustice/news/docs/study_application_brussels_1_en.pdf.


47      Voir arrêt du 11 mai 2000 (C‑38/98, ci-après l’« arrêt Renault », EU:C:2000:225, point 32).


48      Voir arrêt Renault (point 32).


49      Voir conclusions de l’avocat général Alber dans l’affaire Renault (C‑38/98, EU:C:1999:325, point 6).


50      Voir arrêt Renault (point 34).


51      Points 30, 32 et 39. Voir également mes conclusions dans l’affaire Diageo Brands (C‑681/13, EU:C:2015:137, point 52).


52      Voir arrêt Diageo Brands (point 51).


53      Points 23 et 27 de cet arrêt.


54      Voir, en ce sens, arrêt Charles Taylor Adjusting (point 37).


55      Voir arrêt Charles Taylor Adjusting (point 39).


56      Voir conclusions de l’avocat général Richard de la Tour dans l’affaire Charles Taylor Adjusting (C‑590/21, EU:C:2023:246).


57      Arrêt du 2 avril 2009 (C‑394/07, EU:C:2009:219, point 48).


58      Arrêt du 2 avril 2009 (C‑394/07, EU:C:2009:219, point 20).


59      Arrêt du 2 avril 2009, Gambazzi (C‑394/07, EU:C:2009:219, points 48 et 49).


60      Point 39 de cet arrêt.


61      Arrêt du 1er juin 1999, (C‑126/97, ci-après l’« arrêt Eco Swiss », EU:C:1999:269).


62      Arrêt Eco Swiss (point 36).


63      Arrêt Eco Swiss (point 37).


64      Voir point 92 des présentes conclusions.


65      Pour rappel, depuis l’arrêt Krombach (point 37), afin de respecter l’interdiction de la révision au fond de la décision rendue dans un autre État membre, l’atteinte à l’ordre public de l’État membre requis autorisant celui-ci à refuser la reconnaissance ou l’exécution de cette décision doit constituer une « violation manifeste d’une règle de droit considérée comme essentielle dans l’ordre juridique de l’État requis ou d’un droit reconnu comme fondamental dans cet ordre juridique ». Italiques ajoutés par mes soins.


66      Il est vrai que, dans l’arrêt du 23 octobre 2014, flyLAL-Lithuanian Airlines (C‑302/13, EU:C:2014:2319, point 56), la Cour a considéré que la notion d’« ordre public » vise à protéger des intérêts juridiques qui s’expriment à travers une règle de droit. Cependant, cette formulation, un peu réductrice, tenait au contexte spécifique de cette affaire. En tout état de cause, par cette considération, la Cour a voulu mettre principalement l’accent sur le fait que la clause de l’ordre public ne peut être utilisée que pour protéger des intérêts juridiques.


67      Voir arrêt Meroni (point 46).


68      Voir arrêt Diageo Brands (point 68).


69      Voir mes conclusions dans l’affaire Diageo Brands (C‑681/13, EU:C:2015:137, point 39).


70      Voir, en ce sens, arrêt Diageo Brands (point 50). Voir également arrêts Meroni (point 46) et Charles Taylor Adjusting (point 36).


71      Voir, en ce sens, arrêt du 16 février 2022, Hongrie/Parlement et Conseil (C‑156/21, EU:C:2022:97, point 127).


72      Voir point 77 des présentes conclusions.


73      Voir arrêt du 3 février 2021, Fussl Modestraße Mayr (C‑555/19, EU:C:2021:89, point 83).


74      JO 2007, C 303, p. 17.


75      Voir jurisprudence issue des arrêts Renault et Eco Swiss, évoquée aux points 77 à 80 et 91 à 94 des présentes conclusions.


76      Voir, en ce sens, arrêt du 29 juillet 2019, Spiegel Online (C‑516/17, EU:C:2019:625, point 72).


77      Cour EDH, 23 septembre 2009, Jersild c. Danemark (CE:ECHR:1994:0923JUD001589089, § 31).


78      Voir, en ce sens, arrêt du 3 février 2021, Fussl Modestraße Mayr (C‑555/19, EU:C:2021:89, point 82).


79      Voir arrêt du 25 juillet 1991, Collectieve Antennevoorziening Gouda (C‑288/89, EU:C:1991:323).


80      Voir, à titre d’illustration, Cour EDH, 7 juin 2012, Centro Eurpa 8 S.rl. et Di Stefano c. Italie (CE:ECHR:2012:0607JUD003843309, § 129).


81      Voir, notamment, Cour EDH, 7 février 2012, Axel Springer AG c. Allemagne (CE:ECHR:2012:0207JUD003995408, § 78 à 81).


82      Voir, récemment, Cour EDH, 5 décembre 2017, Frisk et Jensen c. Denmark (CE:ECHR:2017:1205JUD001965712, § 53).


83      Voir Cour EDH, 2 septembre 2014, Firma EDV für Sie, EfS Elektronische Datenverarbeitung Dienstleistungs GmbH c. Allemagne (CE:ECHR:2014:0902DEC003278308, § 23).


84      Voir, récemment, Cour EDH, 11 janvier 2022, Freitas Rangel c. Portugal (CE:ECHR:2022:0111JUD007887313, § 53).


85      Voir, récemment, Cour EDH, 5 décembre 2017, Frisk et Jensen c. Denmark (CE:ECHR:2017:1205JUD001965712, § 55).


86      Voir point 45 des présentes conclusions.


87      Voir arrêt Meroni (points 52 et 53).


88      Règlement du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) nº 1347/2000 (JO 2003, L 338, p. 1).


89      Voir arrêt du 9 septembre 2015, Bohez (C‑4/14, EU:C:2015:563, point 59).


90      Arrêt du 2 avril 2009 (C‑394/07, EU:C:2009:219, point 46). Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, le recours à la clause de l’ordre public avait été envisagé au motif que l’exécution violait un droit fondamental d’ordre procédural, afin de respecter la prohibition de la révision au fond.


91      Voir point 70 des présentes conclusions.


92      Voir points 56 à 59 des présentes conclusions.


93      Voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Deutsche Umwelthilfe (C‑752/18, EU:C:2019:1114, point 45).


94      Voir point 59 des présentes conclusions.


95      Voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Deutsche Umwelthilfe (C‑752/18, EU:C:2019:1114, point 50).


96      Voir, à titre d’illustration, arrêt du 29 juillet 2019, Funke Medien NRW (C‑469/17, EU:C:2019:623, points 72 à 74).


97      Voir, à titre d’illustration, arrêt du 17 mars 2016, Liffers (C‑99/15, EU:C:2016:173, point 26).


98      La proposition d’un autre acte fondamental du droit international privé de l’Union, à savoir le règlement (CE) no 864/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 11 juillet 2007, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II ») (JO 2007, L 199, p. 40), prévoyait, à son article 23, paragraphe 1, troisième tiret, que « [ce] règlement n’affecte pas l’application des dispositions [du droit de l’Union] qui [...] s’opposent à l’application d’une disposition ou des dispositions de la loi du for ou de la loi désignée par [ce même] règlement ». Par ailleurs, cette proposition de règlement prévoyait, à son article 24, que « [l]’application d’une disposition de la loi désignée par le [ledit] règlement qui conduirait à l’allocation de dommages et intérêts non compensatoires, tels que les dommages et intérêts exemplaires ou punitifs, est contraire à l’ordre public communautaire » (mise en italique par mes soins). Cette seconde disposition était censée constituer une concrétisation, sous forme de règle spéciale, de l’exception d’un tel ordre public, prévue à l’article 23, paragraphe 1, troisième tiret. La proposition d’introduire ces deux dispositions n’a pas été suivie.


99      Convention adoptée lors de la conférence de La Haye de droit international privé du 2 juillet 2019.


100      Voir, respectivement, article 2, paragraphe 1, sous k) et l), de cette convention.


101      Voir rapport explicatif sur la Convention du 2 juillet 2019 sur la reconnaissance et l’exécution des jugements étrangers en matière civile ou commerciale établi par Garcimartín, F., et Saumier, G., (accessible à l’adresse : https://www.hcch.net/en/publications-and-studies/details4/?pid=6797), p. 63.


102      « Les atteintes aux droits de la personnalité par l’utilisation d’internet : compétence, droit applicable et reconnaissance des jugements étrangers », https://www.idi-iil.org/app/uploads/2019/09/8-RES-FR.pdf


103      Voir, à titre d’illustration, conclusions de l’avocat général Capotorti dans l’affaire Bier (21/76, EU:C:1976:147, point 6) et, sur le principe de perpetuatio fori, conclusions de l’avocat général Pitruzzella dans l’affaire Gemeinde Bodman-Ludwigshafen (C‑256/21, EU:C:2022:366, point 72).


104      Voir rapport explicatif sur la convention de 2019, p. 137.


105      Voir Symeonides, S.C., Cross- Border Infringement of Personality Rights via the Internet. A Resolution of the Institute of International Law, Brill Nijhoff, Leiden – Boston, 2021, p. 143 et 144.


106      Arrêt du 23 octobre 2014 (C‑302/13, EU:C:2014:2319, points 56 et 58).


107      Voir, en ce sens, arrêt du 23 octobre 2014, flyLAL-Lithuanian Airlines (C‑302/13, EU:C:2014:2319, point 57).


108      Arrêt du 23 octobre 2014 (C‑302/13, EU:C:2014:2319, points 56 et 58).


109      Cour EDH, 17 décembre 2004, Cumpănă et Mazăre c. Roumanie (CE:ECHR:2004:1217JUD003334896, § 111).


110      Cour EDH, 23 avril 2015, Morice c. France (CE:ECHR:2015:0423JUD002936910, § 176).


111      Voir Cour EDH, 11 avril 2006, Brasilier c. France (CE:ECHR:2006:0411JUD007134301, § 43). Voir également Baumbach, T., « Chilling Effect as a European Court of Human Rights’ Concept in Media Law Cases », Bergen Journal of Criminal Law and Criminal Justice, 2018, vol. 6(1), p. 102.


112      Voir, en ce sens, en ce qui concerne une condamnation « relativement modérée », Cour EDH, 24 mai 2022, Pretorian c. Roumanie (CE:ECHR:2022:0524JUD004501416, § 81).


113      Voir, en ce sens, Cour EDH, 5 mai 2022, Mesić c. Croatie, (CE:ECHR:2022:0505JUD001936218, § 111 à 113) et Cour EDH, 16 juin 2015, Defi AS c. Estonie (CE:ECHR:2015:0616JUD006456909, § 110).


114      Cour EDH, 26 novembre 2013, Błaja News Sp. z o. o. c. Pologne (CE:ECHR:2013:1126JUD005954510, § 71).


115      Cour EDH, 29 mai 2017, Tavares de Almeida Fernandes et Almeida Fernandes c. Portugal (CE:ECHR:2017:0117JUD003156613, § 77).


116      Voir, en ce sens, Wurmnest, W., « Towards a European Concept of Public Policy Regarding Punitive Damages », Punitive damages and private international law: state of the art and future developments, Bariatti, S., Fumagalli, L., Crespi Reghizzi, Z., Wolters Kluwer – CEDAM, Milan, 2019, p. 259.


117      Voir, à titre d’illustration, Cour EDH, 14 février 2023, Halet c. Luxembourg (CE:ECHR:2023:0214JUD002188418, § 205), et Cour EDH, 15 mai 2023, Sanchez c. France (CE:ECHR:2023:0515JUD004558115, § 205). Dans certains arrêts, la Cour EDH utilise l’expression « “chilling”, dissuasive effect », voir Cour EDH, 27 juin 2017, Ghiulfer Predescu c. Roumanie (CE:ECHR:2017:0627JUD002975109, § 61), et Cour EDH, 8 janvier 2019, Prunea c. Roumanie (CE:ECHR:2019:0108JUD004788111, § 38), traduite en français simplement comme « un effet dissuasif ». Voir Cour EDH, 5 mai 2022, Mesić c. Croatie (CE:ECHR:2022:0505JUD001936218, § 113).


118      Pech, L., The concept of chilling effect, Open Society European Policy Institute, 2021, p. 6.


119      Voir, en ce sens, Baumbach, T., op. cit., p. 112.


120      Cour EDH, 1er mars 2007, Tønsbergs Blad AS et Haukom c. Norvège (CE:ECHR:2007:0301JUD000051004, § 102). Mise en italique et traduction par mes soins.


121      Cour EDH, 19 avril 2011, Kasabova c. Bulgaria (CE:ECHR:2011:0419JUD002238503, § 71), et Cour EDH, 19 avril 2011, Bozhkov c. Bulgarie (CE:ECHR:2011:0419JUD000331604, § 55). Mise en italique et traduction par mes soins.


122      Cour EDH, 7 décembre 2010, Público - Comunicação Social, S.A. et autres c. Portugal (CE:ECHR:2010:1207JUD003932407, § 55).


123      La Cour EDH a considéré, dans son arrêt du 26 avril 2007, Colaço Mestre et SIC v. Portugal (CE:ECHR:2007:0426JUD001118203, § 27), que le débat très intense et médiatisé autour des questions de corruption dans le football relève de l’intérêt général et, dans cet ordre d’idées, dans son arrêt du 22 février 2007, Nikowitz and Verlagsgruppe News GmbH v. Austria (CE:ECHR:2007:0222JUD000526603, § 25), que « l’attitude de la société à l’égard d’une star du sport » constitue un sujet d’intérêt général.


124      Voir, en ce sens, arrêt du 29 juillet 2019, Funke Medien NRW (C‑469/17, EU:C:2019:623, point 74). Voir également, dans le contexte de la protection des données personnelles, arrêt du 8 décembre 2022, Google (Déréférencement d’un contenu prétendument inexact) (C‑460/20, EU:C:2022:962, point 97).


125      Voir, en ce sens, Cour EDH, 27 juin 2017, Ghiulfer Predescu c. Roumanie (CE:ECHR:2017:0627JUD002975109, § 61).


126      Voir points 169 à 171 des présentes conclusions.


127      Voir point 128 des présentes conclusions.


128      Cour EDH, 19 avril 2011, Kasabova c. Bulgaria (CE:ECHR:2011:0419JUD002238503, § 71), et Cour EDH, 19 avril 2011, Bozhkov c. Bulgaria (CE:ECHR:2011:0419JUD000331604, § 55). Voir également, Cour EDH, 10 février 2015, Cojocaru c. Roumanie (CE:ECHR:2015:0210JUD003210406, § 33).


129      Cour EDH, 29 août 1997, Worm c. Autriche (CE:ECHR:1997:0829JUD002271493, § 15 et 57).


130      Voir Cour EDH, 19 avril 2011, Kasabova c. Bulgaria (CE:ECHR:2011:0419JUD002238503, § 71), et Cour EDH, 19 avril 2011, Bozhkov c. Bulgaria (CE:ECHR:2011:0419JUD000331604, § 55).


131      Cour EDH, 7 juillet 2015, Morar c. Roumanie (CE:ECHR:2015:0707JUD002521706, § 70).


132      Voir Cour EDH, Timpul Info-Magazin et Anghel c. Moldovia, 2 juin 2008, § 39, et Cour EDH, 26 novembre 2013, Błaja News Sp. z o. o. c. Pologne, CE:ECHR:2013:1126JUD005954510, § 71.


133      Voir points 126 et 129 des présentes conclusions.


134      Voir points 135 et 137 des présentes conclusions.


135      Voir, en ce sens, Cour EDH, 5 mai 2022, Mesić c. Croatie (CE:ECHR:2022:0505JUD001936218, § 111 à 113).


136      Voir Cour EDH, 30 juin 2005, Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi c. Irlande (CE:ECHR:2005:0630JUD004503698).


137      Arrêt Avotiņš c. Lettonie (§ 101 à 104).


138      Arrêt Avotiņš c. Lettonie (§ 105).


139      Voir, en ce sens, arrêt Avotiņš c. Lettonie (§ 106).


140      Voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2013, Povse c. Autriche (CE:ECHR:2013:0618DEC000389011, § 79 à 81).


141      En effet, la Cour EDH a considéré, dans son arrêt du 18 juin 2013, Povse c. Autriche (CE:ECHR:2013:0618DEC000389011, § 79 à 83), que cette présomption est applicable dans le contexte de l’exécution, sur le fondement du règlement nº 2201/2003, d’une décision sur le retour d’un enfant. Elle a souligné que ce règlement ne laisse aucune marge de discrétion à l’État membre requis. En ce qui concerne le règlement Bruxelles I, la Cour EDH a également appliqué ladite présomption dans son arrêt Avotiņš c. Lettonie (§ 108). Elle est partie de la prémisse que, en ce qui concerne l’exécution d’une décision rendue dans un autre État membre, ce règlement n’accorde à l’État membre requis aucun pouvoir discrétionnaire d’appréciation. En effet, elle a examiné la requête sans tenir compte de la clause de l’ordre public prévue par ledit règlement au motif que le requérant ne s’était pas prévalu de cette clause devant les instances nationales.


142      Voir, en ce sens, Cuniberti, G., « Le fondement de l’effet des jugements étrangers », Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, 2019, vol. 394, p. 275 et 276, et Hazelhorst, M., Free movement of civil judgments in the European Union and the right to a fair trial, Springer, La Haye, 2017, p. 212.


143      Voir, en ce sens, arrêt Avotiņš c. Lettonie (§ 106).


144      Voir points 113 et 189 des présentes conclusions.


145      Voir point 171 des présentes conclusions.


146      Voir points 177 à 179 des présentes conclusions.


147      Voir point 182 des présentes conclusions.