Language of document : ECLI:EU:C:2024:179

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

29 février 2024 (*)

« Renvoi préjudiciel – Médicaments à usage humain – Directive 2001/83/CE – Article 85 quater – Champ d’application – Vente à distance au public de médicaments – Médicaments à usage humain non soumis à une prescription médicale obligatoire – Personnes autorisées ou habilitées à vendre à distance au public des médicaments – Faculté, pour les États membres, d’imposer des conditions, justifiées par la protection de la santé publique, pour la délivrance au détail, sur leur territoire, de médicaments vendus en ligne – Services de la société de l’information – Directive 98/34/CE – Directive (UE) 2015/1535 – Service de mise en relation de pharmaciens et de clients pour la vente en ligne de médicaments »

Dans l’affaire C‑606/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la cour d’appel de Paris (France), par décision du 17 septembre 2021, parvenue à la Cour le 30 septembre 2021, dans la procédure

Doctipharma SAS

contre

Union des Groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO),

Pictime Coreyre,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, MM. F. Biltgen, N. Wahl (rapporteur), J. Passer et Mme M. L. Arastey Sahún, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : Mme K. Hötzel, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 avril 2023,

considérant les observations présentées :

–        pour Doctipharma SAS, par Mes V. Eppendahl, L. Lesur, M. Rivasi, et A. Robert, avocats, Me M. Meulenbelt, advocaat,

–        pour l’Union des Groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO), par Mes S. Beaugendre et M. Boccon-Gibod, avocats,

–        pour le gouvernement français, par MM. G. Bain, V. Depenne, Mmes A.-L. Desjonquères, M. Guiresse et N. Vincent, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement tchèque, par Mme T. Machovičová, MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme M. Russo, avvocato dello stato,

–        pour la Commission européenne, par MM. A. Sipos et F. Thiran, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 13 juillet 2023,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation, d’une part, de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (JO 1998, L 204, p. 37), telle que modifiée par la directive 98/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 juillet 1998 (JO 1998, L 217, p. 18) (ci-après la « directive 98/34 »), et, d’autre part, de l’article 85 quater de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO 2001, L 311, p. 67), telle que modifiée par la directive 2011/62/UE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2011 (JO 2011, L 174, p. 74) (ci-après la « directive 2001/83 »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Doctipharma SAS à l’Union des Groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO) au sujet de la légalité de l’activité de vente en ligne de médicaments non soumis à une prescription médicale obligatoire au moyen d’une plateforme conçue et gérée par Doctipharma.

 Le cadre juridique

 Le droit de lUnion

 La directive 98/34

3        L’article 1er de la directive 98/34 dispose :

« Au sens de la présente directive, on entend par :

[...]

2)      “service” : tout service de la société de l’information, c’est-à-dire tout service presté normalement contre rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services.

Aux fins de la présente définition, on entend par :

–        les termes “à distance” : un service fourni sans que les parties soient simultanément présentes,

–        “par voie électronique” : un service envoyé à l’origine et reçu à destination au moyen d’équipements électroniques de traitement (y compris la compression numérique) et de stockage de données, et qui est entièrement transmis, acheminé et reçu par fils, par radio, par moyens optiques ou par d’autres moyens électromagnétiques,

–        “à la demande individuelle d’un destinataire de services” : un service fourni par transmission de données sur demande individuelle.

[...] »

 La directive 2001/83

4        L’article 85 quater de la directive 2001/83 énonce :

« 1.      Sans préjudice des législations nationales qui interdisent l’offre à la vente à distance au public de médicaments soumis à prescription, au moyen de services de la société de l’information, les États membres veillent à ce que les médicaments soient offerts à la vente à distance au public au moyen de services de la société de l’information tels que définis dans la directive [98/34], aux conditions suivantes :

a)      la personne physique ou morale offrant des médicaments est autorisée ou habilitée à délivrer des médicaments au public, également à distance, conformément à la législation nationale de l’État membre dans lequel cette personne est établie ;

b)      la personne visée au point a) a notifié à l’État membre dans lequel elle est établie, au minimum, les informations suivantes :

i)      le nom ou la raison sociale et l’adresse permanente du lieu d’activité à partir duquel ces médicaments sont fournis ;

ii)      la date de début de l’activité d’offre à la vente à distance de médicaments au public au moyen de services de la société de l’information ;

iii)      l’adresse du site Internet utilisé à cette fin et toutes les informations nécessaires pour identifier ce site Internet ;

iv)      le cas échéant, la classification, conformément au titre VI, des médicaments offerts à la vente à distance au public au moyen de services de la société de l’information.

S’il y a lieu, ces informations sont mises à jour ;

c)      les médicaments respectent la législation nationale de l’État membre de destination conformément à l’article 6, paragraphe 1 ;

d)      sans préjudice des obligations d’information énoncées dans la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (“directive sur le commerce électronique”) [(JO 2000, L 178, p. 1)], le site Internet offrant des médicaments contient au minimum :

i)      les coordonnées de l’autorité compétente ou de l’autorité qui reçoit la notification conformément au point b) ;

ii)      un lien hypertexte vers le site Internet de l’État membre d’établissement visé au paragraphe 4 ;

iii)      le logo commun visé au paragraphe 3, clairement affiché sur chaque page du site Internet qui a trait à l’offre à la vente à distance de médicaments au public. Le logo commun contient un lien hypertexte vers les données concernant la personne figurant sur la liste visée au paragraphe 4, point c).

2.      Les États membres peuvent imposer des conditions, justifiées par la protection de la santé publique, pour la délivrance au détail, sur leur territoire, de médicaments offerts à la vente à distance au public au moyen de services de la société de l’information.

[...]

6.      Sans préjudice de la directive [2000/31] et des exigences énoncées dans le présent titre, les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les personnes autres que celles visées au paragraphe 1 offrant à la vente à distance des médicaments au public au moyen de services de la société de l’information et exerçant leur activité sur leur territoire soient soumises à des sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives. »

 La directive 2011/62

5        Les considérants 21 à 24 de la directive 2011/62 sont ainsi libellés :

« (21)      La vente illégale de médicaments au public via l’internet représente une menace majeure pour la santé publique étant donné que des médicaments falsifiés peuvent être distribués au public de cette manière. Il est nécessaire de répondre à cette menace. À cette fin, il convient de tenir compte du fait que les conditions spécifiques applicables à la délivrance au détail de médicaments au public n’ont pas été harmonisées au niveau de l’Union [européenne] et que, dès lors, les États membres peuvent imposer des conditions pour la délivrance des médicaments au public, dans les limites du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

(22)      Lors de l’examen de la compatibilité avec le droit de l’Union des conditions de délivrance au détail des médicaments, la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après dénommée “Cour de justice”) a reconnu le caractère très particulier des médicaments, dont les effets thérapeutiques les distinguent substantiellement de toute autre marchandise. La Cour de justice a également jugé que la santé et la vie des personnes occupaient le premier rang parmi les biens et les intérêts protégés par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et qu’il appartenait aux États membres de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé publique et la manière dont ce niveau doit être atteint. Ce niveau pouvant varier d’un État membre à l’autre, il convient de reconnaître aux États membres une marge d’appréciation [(arrêt du 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes e.a., C‑171/07 et C‑172/07, EU:C:2009:316, points 19 et 31)] pour fixer les conditions de délivrance des médicaments au public sur leur territoire.

(23)      En particulier, au regard des risques pour la santé publique et compte tenu du pouvoir accordé aux États membres de déterminer le niveau de protection de la santé publique, la jurisprudence de la Cour de justice a reconnu que les États membres peuvent réserver la vente de médicaments au détail, en principe, aux seuls pharmaciens [(arrêt du 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes e.a., C‑171/07 et C‑172/07, EU:C:2009:316, points 34 et 35)].

(24)      Dès lors, et à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice, les États membres devraient pouvoir imposer des conditions justifiées par la protection de la santé publique lors de la délivrance au détail de médicaments offerts à la vente à distance au moyen de services de la société de l’information. Ces conditions ne devraient pas entraver indûment le fonctionnement du marché intérieur. »

 La directive (UE) 2015/1535

6        L’article 1er, paragraphe 1, de la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil, du 9 septembre 2015, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (JO 2015, L 241, p. 1), dispose :

« Au sens de la présente directive, on entend par :

[...]

b)      “service”, tout service de la société de l’information, c’est-à-dire tout service presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services.

Aux fins de la présente définition, on entend par :

i)      “à distance”, un service fourni sans que les parties soient simultanément présentes ;

ii)      “par voie électronique”, un service envoyé à l’origine et reçu à destination au moyen d’équipements électroniques de traitement (y compris la compression numérique) et de stockage de données, et qui est entièrement transmis, acheminé et reçu par fils, par radio, par moyens optiques ou par d’autres moyens électromagnétiques ;

iii)      “à la demande individuelle d’un destinataire de services”, un service fourni par transmission de données sur demande individuelle.

Une liste indicative des services non visés par cette définition figure à l’annexe I ;

[...] »

7        L’article 10 de cette directive prévoit :

« La directive 98/34/CE, telle que modifiée par les actes visés à l’annexe III, partie A, de la présente directive est abrogée, sans préjudice des obligations des États membres en ce qui concerne les délais de transposition en droit interne des directives indiqués à l’annexe III, partie B, de la directive abrogée et à l’annexe III, partie B, de la présente directive.

Les références faites à la directive abrogée s’entendent comme faites à la présente directive et sont à lire selon le tableau de correspondance figurant à l’annexe IV. »

8        Selon l’article 11 de la directive 2015/1535, celle-ci est entrée en vigueur le 7 octobre 2015, soit le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne.

 Le droit français

9        En vertu de l’article L. 5125-25, deuxième alinéa, du code de la santé publique, dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après le « code de santé publique ») :

« Il est interdit aux pharmaciens de recevoir des commandes de médicaments et autres produits ou objets mentionnés à l’article L. 4211‑1 par l’entremise habituelle de courtiers et de se livrer au trafic et à la distribution à domicile de médicaments, produits ou objets précités, dont la commande leur serait ainsi parvenue. »

10      L’article L. 5125-26 de ce code énonce :

« Est interdite la vente au public de tous médicaments, produits et objets mentionnés à l’article L. 4211-1 par l’intermédiaire de maisons de commission, de groupements d’achats ou d’établissements possédés ou administrés par des personnes non titulaires de l’un des diplômes, certificats ou autres titres mentionnés à l’article L. 4221-1. »

11      L’article L. 5125-33 dudit code prévoit :

« On entend par commerce électronique de médicaments l’activité économique par laquelle le pharmacien propose ou assure à distance et par voie électronique la vente au détail et la dispensation au public des médicaments à usage humain et, à cet effet, fournit des informations de santé en ligne.

L’activité de commerce électronique est réalisée à partir du site Internet d’une officine de pharmacie.

La création et l’exploitation d’un tel site sont exclusivement réservées aux pharmaciens suivants :

1°      Pharmacien titulaire d’une officine ;

2°      Pharmacien gérant d’une pharmacie mutualiste ou de secours minière, exclusivement pour leurs membres.

Le pharmacien titulaire de l’officine ou gérant d’une pharmacie mutualiste ou de secours minière est responsable du contenu du site Internet qu’il édite et des conditions dans lesquelles l’activité de commerce électronique de médicaments s’exerce.

Les pharmaciens adjoints ayant reçu délégation de l’un des pharmaciens mentionnés au sixième alinéa peuvent participer à l’exploitation du site Internet de l’officine de pharmacie.

Les pharmaciens remplaçant de titulaires d’officine ou gérants d’officine après décès du titulaire peuvent exploiter le site Internet de l’officine créé antérieurement par le titulaire de l’officine. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

12      Doctipharma a conçu le site Internet www.doctipharma.fr, hébergé par Pictime Coreyre, sur lequel les internautes pouvaient acheter, à partir des sites d’officines de pharmacies, des produits pharmaceutiques et des médicaments non soumis à prescription médicale obligatoire.

13      Estimant que le service fourni par Doctipharma au moyen de son site Internet faisait participer cette dernière au commerce électronique de médicaments alors qu’elle n’avait pas la qualité de pharmacien, l’UDGPO, une association de groupements d’officines pharmaceutiques, a assigné Doctipharma et Pictime Coreyre devant le tribunal de commerce de Nanterre (France) afin de faire constater le caractère illicite de ce site Internet et d’ordonner, sous astreinte, la cessation des activités de celui-ci.

14      Par un jugement du 31 mai 2016, le tribunal de commerce de Nanterre a fait droit aux prétentions de l’UDGPO. Il a jugé que le site www.doctipharma.fr était illicite pour la vente de médicaments et a condamné, en substance, Doctipharma à cesser le commerce électronique de médicaments sur ce site Internet.

15      Doctipharma a interjeté appel devant la cour d’appel de Versailles (France), qui a infirmé le jugement de première instance par un arrêt du 12 décembre 2017 au motif, notamment, que le site www.doctipharma.frétait une plateforme technique qui ne commercialisait pas directement des médicaments.

16      Par un arrêt du 19 juin 2019, la Cour de cassation (France) a annulé cet arrêt pour violation de l’article L. 5125-25, deuxième alinéa, et de l’article L. 5125-26 du code de la santé publique, et a renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Paris (France), la juridiction de renvoi. La Cour de cassation a déduit de l’activité de Doctipharma, qui consiste notamment à mettre en relation des pharmaciens d’officine et des patients potentiels pour la vente de médicaments, que cette société avait un rôle d’intermédiaire et participait ainsi au commerce électronique de vente de médicaments sans disposer de la qualité de pharmacien, en violation de ces dispositions.

17      Devant la juridiction de renvoi, Doctipharma fait valoir que son activité se limite à une maintenance technique d’une solution mutualisée destinée aux pharmaciens d’officine en vue de leur permettre d’éditer et d’exploiter leur site Internet. À ce titre, d’une part, elle se prévaut notamment de l’article 85 quater de la directive 2001/83. D’autre part, elle fait valoir que la solution dégagée dans l’arrêt du 20 décembre 2017, Asociación Profesional Elite Taxi (C‑434/15, EU:C:2017:981), qui portait sur l’activité des chauffeurs non professionnels d’Uber, n’est pas transposable au litige au principal.

18      À cet égard, la juridiction de renvoi relève que les pharmaciens d’officine sont, à la différence des chauffeurs non professionnels d’Uber, des professionnels de la vente de médicaments, dont la vente à distance par voie électronique n’est que le prolongement, et qu’il n’apparaît pas que Doctipharma intervienne dans l’établissement du prix des médicaments vendus par ce moyen de telle sorte qu’elle doute que l’interprétation de la Cour dans l’arrêt du 20 décembre 2017, Asociación Profesional Elite Taxi (C‑434/15, EU:C:2017:981), puisse être transposée au cas d’espèce.

19      Enfin, elle souligne que les caractéristiques du service proposé par Doctipharma et l’interprétation de l’article 85 quater de la directive 2001/83 ont fait l’objet d’approches opposées de la part des juridictions françaises ayant eu à connaître du litige au principal.

20      C’est dans ces conditions que la cour d’appel de Paris a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’activité de Doctipharma exercée sur et à partir de son site www.doctipharma.fr doit-elle être qualifiée de “service de la société de l’information”, au sens de la directive [98/34] ?

2)      Dans cette hypothèse, l’activité de Doctipharma exercée sur et à partir de son site www.doctipharma.fr entre-t-elle dans le champ d’application de l’article 85 quater de la directive [2001/83] ?

3)      L’article 85 quater de la directive [2001/83] doit-il être interprété en ce sens que constituerait une restriction justifiée par la protection de la santé publique l’interdiction, issue d’une interprétation des articles L.5125-25 et L.5125-26 du code de la santé publique, [de] l’activité de Doctipharma exercée sur et à partir de son site www.doctipharma.fr ?

4)      Si tel n’est pas le cas, l’article 85 quater de la directive [2001/83] doit-il être interprété en ce sens qu’il autorise l’activité de Doctipharma exercée sur et à partir de son site www.doctipharma.fr ?

5)      Dans cette hypothèse, l’interdiction de l’activité de Doctipharma, issue de l’interprétation par la Cour de cassation des articles L.5125-25 et L.5125-26 du code de la santé publique, est‑elle justifiée par la protection de la santé publique au sens de l’article 85 quater de la directive [2001/83] ?

6)      Si tel n’est pas le cas, l’article 85 quater de la directive [2001/83] doit-il être interprété en ce sens qu’il autorise l’activité de “service de la société de l’information” proposée par Doctipharma ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

21      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande si l’activité de Doctipharma exercée sur et à partir de son site www.doctipharma.fr doit être qualifiée de « service de la société de l’information », au sens de la directive 98/34.

22      D’une part, il y a lieu de souligner que, ainsi qu’il résulte des articles 10 et 11 de la directive 2015/1535, la directive 98/34 a été abrogée avec effet au 7 octobre 2015. Or, Doctipharma indique dans ses observations que les services en cause au principal ont été fournis jusqu’à l’année 2016 et il ressort de la demande de décision préjudicielle que, par jugement du 31 mai 2016, Doctipharma a été condamnée à cesser le commerce électronique de médicaments sur son site Internet. Ainsi, les dispositions de la directive 2015/1535 sont également susceptibles de s’appliquer ratione temporis aux faits au principal.

23      Il importe toutefois de relever que l’article 1er, point 2, de la directive 98/34 et l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive 2015/1535, qui définissent la notion de « service de la société de l’information », sont libellés de façon identique.

24      D’autre part, il ressort du dossier dont dispose la Cour que le service offert par Doctipharma est fourni sur un site Internet et consiste à mettre en relation des pharmaciens et des clients pour la vente, à partir des sites d’officines des pharmacies ayant souscrit à ce service, des médicaments non soumis à prescription médicale.

25      Par conséquent, il y a lieu de comprendre que, par la première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, point 2, de la directive 98/34 et l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive 2015/1535 doivent être interprétés en ce sens qu’un service fourni sur un site Internet, consistant à mettre en relation des pharmaciens et des clients pour la vente, à partir des sites d’officines des pharmacies ayant souscrit à ce service, des médicaments non soumis à prescription médicale relève de la notion de « service de la société de l’information », au sens de ces dispositions.

26      À cet égard, l’article 1er, point 2, de la directive 98/34 et l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive 2015/1535 définissent la notion de « service de la société de l’information » comme désignant « tout service presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services ».

27      En l’occurrence, il y a lieu de rappeler, s’agissant de la première condition énoncée par ces dispositions que, selon une jurisprudence constante, la rémunération d’un service fourni par un prestataire dans le cadre d’une activité économique ne doit pas nécessairement être versée par les personnes qui en sont les bénéficiaires (voir, en ce sens, arrêts du 15 septembre 2016, Mc Fadden, C‑484/14, EU:C:2016:689 point 41, et du 4 mai 2017, Vanderborght, C‑339/15, EU:C:2017:335, point 36).

28      Ainsi, aux fins de la qualification d’un service tel que celui en cause au principal comme relevant de la notion de « service de la société de l’information », au sens de l’article 1er, point 2, de la directive 98/34 et de l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive 2015/1535, il serait indifférent que ce service soit fourni à titre gratuit à la personne qui achète le médicament non soumis à prescription, dès lors qu’il donne lieu à la conclusion entre le prestataire de ce service et chaque pharmacien ayant recours audit service d’un contrat de fourniture de services assorti d’un paiement.

29      De même, seraient indifférents à cet égard le fait que, comme l’a indiqué Doctipharma, elle était, en vertu des conditions générales de vente, rémunérée par les pharmaciens qui souscrivaient à sa plateforme, sur la base d’un forfait ou encore, ainsi que l’a indiqué le gouvernement français, le fait que le service fourni par Doctipharma faisait l’objet d’un abonnement mensuel versé à Doctipharma par les pharmaciens clients et d’une rétrocession d’un pourcentage du montant des ventes, prélevé par la plateforme.

30      Il en découle que, sous réserve des vérifications à opérer par la juridiction de renvoi, le service en cause au principal doit, en tout état de cause, être considéré comme ayant été fourni contre rémunération.

31      S’agissant des deuxième et troisième conditions prévues à l’article 1er, point 2, de la directive 98/34 et à l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive 2015/1535, le service fourni par Doctipharma est, compte tenu de ses caractéristiques, susceptible d’être considéré comme étant fourni à distance et par voie électronique au sens desdites dispositions puisque la mise en relation entre le client et le pharmacien est effectuée par l’entremise d’un site Internet, sans présence simultanée, d’une part, du prestataire du service et, d’autre part, du client ou du pharmacien, ce qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier.

32      S’agissant de la quatrième condition prévue à l’article 1er, point 2, de la directive 98/34 et à l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive 2015/1535, il ressort du dossier dont dispose la Cour et notamment de la description du service fourni par Doctipharma que ce service est presté, d’une part, à la demande individuelle des pharmaciens, ceux-ci devant souscrire au site Internet de Doctipharma pour pouvoir bénéficier dudit service, et, d’autre part, à la demande individuelle des clients, ceux-ci devant créer un compte client pour pouvoir accéder aux sites des pharmaciens de leur choix en vue d’acheter, sur commande, des médicaments non soumis à prescription médicale.

33      Il s’ensuit qu’un service tel que celui fourni par Doctipharma doit, sous réserve des vérifications à opérer par la juridiction de renvoi, être qualifié de « service de la société de l’information », au sens de l’article 1er, point 2, de la directive 98/34 et de l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive 2015/1535.

34      Cette conclusion n’est pas remise en cause par la jurisprudence dégagée par la Cour dans les arrêts du 20 décembre 2017, Asociación Profesional Elite Taxi (C‑434/15, EU:C:2017:981), du 19 décembre 2019, Airbnb Ireland (C‑390/18, EU:C:2019:1112), et du 3 décembre 2020, Star Taxi App (C‑62/19, EU:C:2020:980).

35      En effet, il ressort de cette jurisprudence qu’un service ayant pour objet de mettre en relation des clients et des prestataires d’un autre service de nature différente et remplissant toutes les conditions prévues à l’article 1er, point 2, de la directive 98/34 et à l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive 2015/1535, doit être qualifié de « service de la société de l’information » lorsqu’un tel service est un service distinct du service de nature différente fourni par ces prestataires. Toutefois, il doit en aller autrement s’il apparaît que ce service de mise en relation fait partie intégrante d’un service global dont l’élément principal relève d’une qualification juridique autre que celle de « service de la société de l’information » (arrêt du 3 décembre 2020, Star Taxi App, C‑62/19, EU:C:2020:980, point 49 et jurisprudence citée).

36      Or, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 28 et 29 de ses conclusions, un service de mise en relation de pharmaciens et de clients pour la vente, à partir des sites d’officines des pharmacies ayant souscrit à ce service, des médicaments non soumis à prescription médicale n’est pas susceptible de faire partie intégrante d’un service global dont l’élément principal ne répond pas à la qualification de « service de la société de l’information ».

37      Par conséquent, en l’absence de régime juridique distinct applicable à un tel service, il n’y a pas lieu de tenir compte de l’interprétation et des critères issus des arrêts mentionnés au point 34 du présent arrêt pour répondre à la première question.

38      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 1er, point 2, de la directive 98/34 et l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive 2015/1535 doivent être interprétés en ce sens qu’un service fourni sur un site Internet consistant à mettre en relation des pharmaciens et des clients pour la vente, à partir des sites d’officines des pharmacies ayant souscrit à ce service, des médicaments non soumis à prescription médicale relève de la notion de « service de la société de l’information », au sens de ces dispositions.

 Sur les deuxième à sixième questions

39      Par ses deuxième à sixième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 85 quater de la directive 2001/83 doit être interprété en ce sens que les États membres peuvent, sur le fondement de cette disposition, interdire la fourniture d’un service consistant à mettre en relation, au moyen d’un site Internet, des pharmaciens et des clients pour la vente, à partir des sites d’officines des pharmacies ayant souscrit à ce service, de médicaments non soumis à prescription médicale.

40      À cet égard, il convient de rappeler que l’article 1er, point 20, de la directive 2011/62 a inséré, dans la directive 2001/83, un titre VII bis intitulé « Vente à distance au public ». Ce titre comporte notamment l’article 85 quater de cette dernière relatif à la vente à distance au public de médicaments.

41      Il découle de cette disposition, premièrement, que les États membres doivent autoriser la vente à distance au public, au moyen de services de la société de l’information tels que définis dans la directive 98/34, de médicaments non soumis à prescription médicale. En effet, une interdiction, par la législation d’un État membre, de l’offre à la vente à distance au public n’est admise qu’en ce qui concerne les médicaments soumis à prescription.

42      Deuxièmement, cet article 85 quater établit, à son paragraphe 1, les conditions relatives aux personnes, aux médicaments et aux sites Internet auxquelles est subordonnée la vente à distance au public au moyen de services de la société de l’information des médicaments et au respect desquelles doivent veiller les États membres.

43      En particulier, s’agissant des personnes autorisées ou habilitées à effectuer une telle vente, le point a) de ce paragraphe 1 précise que la personne physique ou morale offrant de tels médicaments doit être autorisée ou habilitée à délivrer ces médicaments à distance « conformément à la législation de l’État membre dans lequel cette personne est établie ».

44      La compétence dont disposent ainsi les États membres est complétée par le paragraphe 6 dudit article 85 quater, qui énonce que ceux-ci sont également compétents pour sanctionner les personnes autres que celles visées au paragraphe 1 de celui-ci, offrant à la vente à distance des médicaments à distance au public au moyen de services de la société de l’information, tels que définis dans la directive 98/34.

45      Par conséquent, les États membres sont seuls compétents pour déterminer les personnes physiques ou morales autorisées ou habilitées à délivrer des médicaments au public à distance.

46      S’agissant des conditions auxquelles une vente à distance au public au moyen de services de la société de l’information peut être subordonnée, il convient de relever que, en vertu de l’article 85 quater, paragraphe 2, de la directive 2001/83, les États membres peuvent imposer des conditions pour la délivrance au détail, sur leur territoire, de médicaments offerts à la vente à distance au public au moyen de services de la société de l’information.

47      Ainsi qu’il découle du libellé de cette disposition, les États membres ne peuvent toutefois imposer de telles conditions de délivrance au détail que pour autant qu’elles soient « justifiées par la protection de la santé publique ».

48      Afin de déterminer si un service tel que celui fourni par Doctipharma peut être interdit sur le fondement de législations nationales adoptées conformément à l’article 85 quater, paragraphe 1, sous a), de la directive 2001/83, il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si, compte tenu des caractéristiques de ce service de mise en relation de pharmaciens et de clients pour la vente en ligne de médicaments non soumis à prescription médicale, le prestataire dudit service doit être regardé comme se bornant, par une prestation propre et distincte de la vente, à mettre en relation des vendeurs avec des clients, ou si ce prestataire doit être considéré comme étant lui-même prestataire de la vente.

49      À ce titre, il incombe à la juridiction de renvoi de déterminer, aux termes d’une appréciation purement factuelle, non pas la nature du service fourni par Doctipharma, qui est, en toute hypothèse, comme la Cour l’a indiqué en réponse à la première question, un service de la société de l’information, mais la personne, de Doctipharma ou des pharmaciens ayant recours au service qu’elle fournit, qui procède à la vente des médicaments non soumis à prescription.

50      Si, à l’issue de cette analyse, il devait être conclu, au regard des particularités du service fourni par Doctipharma, que celle-ci doit être considérée comme étant elle-même prestataire de la vente, alors l’article 85 quater, paragraphe 1, sous a), de la directive 2001/83 ne s’opposerait pas à l’interdiction de ce service par l’État membre sur le territoire duquel elle est établie.

51      En effet, ainsi qu’il ressort des points 43 à 45 du présent arrêt, les États membres sont seuls compétents pour définir les personnes autorisées ou habilitées à vendre à distance au public au moyen de services de la société de l’information des médicaments non soumis à prescription médicale. Les autorités françaises peuvent donc réserver la vente à distance au public de tels médicaments au moyen de ces services aux seules personnes ayant la qualité de pharmacien.

52      En revanche, si la juridiction de renvoi devait constater que ce service consiste uniquement à mettre en relation des vendeurs avec des clients, de sorte que Doctipharma fournit un service propre et distinct de la vente, alors ce service ne pourrait être interdit sur le fondement de l’article 85 quater, paragraphe 1, sous a), de la directive 2001/83 au motif qu’elle participait au commerce électronique de vente de médicaments sans avoir la qualité de pharmacien.

53      En outre, dans une telle hypothèse, le service fourni par Doctipharma ne relèverait pas de la notion de « conditions de délivrance au détail » des médicaments offerts à la vente à distance au public au sens de l’article 85 quater, paragraphe 2, de la directive 2001/83 et ne pourrait pas non plus être interdit sur le fondement de cette disposition.

54      En effet, ainsi qu’il ressort de la réponse à la première question, un service fourni sur un site Internet consistant à mettre en relation des pharmaciens et des clients pour la vente, à partir des sites d’officines des pharmacies ayant souscrit à ce service, de médicaments non soumis à prescription médicale doit être qualifié de « service de la société de l’information », au sens de l’article 1er, point 2, de la directive 98/34 et de l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive 2015/1535.

55      Or, l’article 85 quater, paragraphe 1, de la directive 2001/83 prévoit explicitement que, sans préjudice des législations nationales qui interdisent l’offre à la vente à distance au public de médicaments soumis à prescription, les États membres veillent à ce que les médicaments soient offerts à la vente à distance au public au moyen de services de la société de l’information, tels que définis dans la directive 98/34.

56      Il serait dès lors incohérent de considérer que le recours à un tel service puisse être interdit par les États membres sur le fondement de l’article 85 quater, paragraphe 2, de la directive 2001/83.

57      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux deuxième à sixième questions que l’article 85 quater de la directive 2001/83 doit être interprété en ce sens que les États membres peuvent, sur le fondement de cette disposition, interdire la fourniture d’un service consistant à mettre en relation, au moyen d’un site Internet, des pharmaciens et des clients pour la vente, à partir des sites d’officines des pharmacies ayant souscrit à ce service, de médicaments non soumis à prescription médicale, s’il s’avère, compte tenu des caractéristiques dudit service, que le prestataire du même service procède lui-même à la vente de tels médicaments sans y être autorisé ou habilité par la législation de l’État membre sur le territoire duquel il est établi.

 Sur les dépens

58      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 1er, point 2, de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information, telle que modifiée par la directive 98/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 juillet 1998, et l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil, du 9 septembre 2015, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information,

doivent être interprétés en ce sens que :

un service fourni sur un site Internet consistant à mettre en relation des pharmaciens et des clients pour la vente, à partir des sites d’officines des pharmacies ayant souscrit à ce service, de médicaments non soumis à prescription médicale relève de la notion de « service de la société de l’information », au sens de ces dispositions.

2)      L’article 85 quater de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, telle que modifiée par la directive 2011/62/UE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2011,

doit être interprété en ce sens que :

les États membres peuvent, sur le fondement de cette disposition, interdire la fourniture d’un service consistant à mettre en relation, au moyen d’un site Internet, des pharmaciens et des clients pour la vente, à partir des sites d’officines des pharmacies ayant souscrit à ce service, de médicaments non soumis à prescription médicale, s’il s’avère, compte tenu des caractéristiques dudit service, que le prestataire du même service procède lui-même à la vente de tels médicaments sans y être autorisé ou habilité par la législation de l’État membre sur le territoire duquel il est établi.


Prechal

Biltgen

Wahl

Passer

 

Arastey Sahún

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 29 février 2024.

Le greffier

 

La présidente de chambre

A. Calot Escobar

 

A. Prechal


*      Langue de procédure : le français.