Language of document : ECLI:EU:C:2024:189

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NICHOLAS EMILIOU

présentées le 29 février 2024 (1)

Affaire C623/22

Belgian Association of Tax Lawyers,

SR,

FK,

Ordre des barreaux francophones et germanophone,

Orde van Vlaamse Balies,

CQ,

Instituut van de Accountants en de Belastingconsulenten,

Beroepsinstituut van Erkende Boekhouders en Fiscalisten,

VH,

ZS,

NI,

EX

contre

Premier ministre/Eerste Minister

en présence de :

Conseil des barreaux européens AISBL,

Conseil National des Barreaux de France

[demande de décision préjudicielle introduite par la Cour constitutionnelle (Belgique)]

(Renvoi préjudiciel – Directive du Conseil 2011/16/UE – Coopération administrative dans le domaine fiscal – Directive du Conseil (UE) 2018/822 – Dispositifs transfrontières potentiellement agressifs – Érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices – Obligation de déclaration – Échange automatique d’informations – Article 49 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Principe de légalité des peines – Clarté et précision de l’obligation de déclaration – Article 7 de la Charte – Droit au respect de la vie privée – Existence et justification d’ingérences dans la vie privée – Intermédiaires – Secret professionnel – Portée de la dispense)






I.      Introduction

1.        Si l’évasion, la fraude et les abus en matière de fiscalité constituent depuis la nuit des temps l’une des préoccupations majeures de tout gouvernement, les stratégies d’érosion de la base d’imposition et de transfert des bénéfices (ci-après les « stratégies BEPS ») sont un phénomène relativement nouveau. Il s’agit, en substance, de stratégies de planification fiscale internationale agressives qui exploitent les failles et les différences dans les règles fiscales afin de transférer artificiellement des bénéfices vers des destinations où ils ne sont pas imposés ou sont soumis à une imposition réduite, avec pour conséquence le paiement d’impôts peu élevés, voire nuls, et d’importantes pertes de recettes pour les gouvernements (2).

2.        Les répercussions croissantes de ces stratégies sur les finances publiques – qui sont dues à un ensemble de facteurs, notamment la mobilité accrue, les chaînes de valeur mondiales et la digitalisation de l’économie – ainsi que la sensibilisation accrue des citoyens, qui les perçoivent comme compromettant l’équité et l’intégrité des systèmes fiscaux, ont suscité, au niveau global comme au sein de l’Union européenne, des discussions sur la manière dont les gouvernements devraient répondre à ce phénomène.

3.        La directive (UE) 2018/822 du Conseil, du 25 mai 2018, modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration est l’un des instruments clés adoptés par l’Union européenne dans ce contexte (3). En substance, la directive 2018/822 instaure un régime de déclaration obligatoire applicable aux intermédiaires et aux contribuables, associé à un échange automatique d’informations entre les autorités fiscales des États membres en ce qui concerne les dispositifs transfrontières potentiellement « agressifs » (4).

4.        Dans la présente affaire, il est demandé à la Cour de contrôler la légalité de ce régime. Les cinq questions posées à titre préjudiciel par la Cour constitutionnelle (Belgique) soulèvent en effet diverses questions juridiques à cet égard. Certaines de ces questions préjudicielles concernent des éléments spécifiques de la directive 2018/822 tandis que d’autres portent sur des questions plus générales, notamment, singulièrement, celle de savoir si l’ingérence dans la vie privée des personnes tenues de communiquer les informations pertinentes aux autorités compétentes est contraire à l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

5.        La directive 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE (5) a instauré un système sécurisé de coopération administrative entre les autorités fiscales des États membres et a établi les règles et procédures de l’échange d’informations à des fins fiscales.

6.        La directive 2011/16 a été modifiée à diverses reprises, notamment, comme indiqué ci-dessus, par la directive 2018/822 (6)

7.        Les considérants 2, 4, 6, 8 et 9 de la directive 2018/822 indiquent ce qui suit (7) :

« 2)      Les États membres éprouvent de plus en plus de difficultés à protéger leur base d’imposition nationale de l’érosion car les structures de planification fiscale sont devenues particulièrement sophistiquées et tirent souvent parti de la mobilité accrue tant des capitaux que des personnes au sein du marché intérieur. De telles structures sont généralement constituées de dispositifs qui sont mis en place dans différentes juridictions et permettent de transférer les bénéfices imposables vers des régimes fiscaux plus favorables ou qui ont pour effet de réduire l’ardoise fiscale totale du contribuable. En conséquence, les États membres voient souvent leurs recettes fiscales diminuer de façon considérable, ce qui les empêche d’appliquer des politiques fiscales propices à la croissance. Il est par conséquent essentiel que les autorités fiscales des États membres obtiennent des informations complètes et pertinentes sur les dispositifs fiscaux à caractère potentiellement agressif. De telles informations leur permettraient de réagir rapidement contre les pratiques fiscales dommageables et de remédier aux lacunes par voie législative ou par la réalisation d’analyses des risques appropriées et de contrôles fiscaux. [...]

4)       [...] la Commission a été amenée à engager des initiatives relatives à la communication obligatoire d’informations sur les dispositifs de planification fiscale à caractère potentiellement agressif, qui s’inspirent de l’action 12 du projet [BEPS] de l’OCDE [...]. Dans ce contexte, le Parlement européen a plaidé en faveur de mesures plus strictes contre les intermédiaires qui participent à des dispositifs pouvant conduire à l’évasion et la fraude fiscales. [...]

[...]

6)       La déclaration d’informations sur des dispositifs transfrontières de planification fiscale à caractère potentiellement agressif peut contribuer efficacement aux efforts déployés pour créer un environnement fiscal équitable dans le marché intérieur. À cet égard, faire obligation aux intermédiaires d’informer les autorités fiscales de certains dispositifs transfrontières susceptibles d’être utilisés à des fins de planification fiscale agressive constituerait un pas dans la bonne direction. Afin de mettre en place une politique plus globale, il serait également nécessaire que, dans un deuxième temps, après la déclaration des informations, les autorités fiscales les partagent avec leurs homologues dans les autres États membres. [...]

[...]

8)       Afin de garantir le bon fonctionnement du marché intérieur et de prévenir les lacunes dans le cadre réglementaire proposé, l’obligation de déclaration devrait incomber à tous les acteurs qui participent généralement à la conception, la commercialisation, l’organisation ou la gestion de la mise en œuvre d’une opération transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration ou d’une série de telles opérations, ainsi qu’à ceux qui apportent assistance ou conseil. Il convient de noter que, dans certains cas, l’obligation de déclaration ne serait pas applicable à un intermédiaire en raison du secret professionnel applicable en vertu du droit ou lorsqu’il n’existe pas d’intermédiaire, par exemple parce que le contribuable conçoit et met en œuvre un schéma en interne. [...] Il serait donc nécessaire que l’obligation de déclaration incombe alors au contribuable qui bénéficie du dispositif dans ces cas particuliers.

9)       Les dispositifs de planification fiscale à caractère agressif ont évolué au fil des ans pour devenir toujours plus complexes et font en permanence l’objet de modifications et d’ajustements pour répondre aux contre-mesures défensives prises par les autorités fiscales. Compte tenu de ce qui précède, il serait plus efficace de chercher à cerner les dispositifs de planification fiscale à caractère potentiellement agressif en constituant une liste des caractéristiques et éléments des opérations présentant des signes manifestes d’évasion fiscale ou de pratiques fiscales abusives plutôt que de définir la notion de planification fiscale agressive. Ces indications sont appelées des “marqueurs”.

[...] »

8.        L’article 3 de la directive 2011/16 contient les « définitions », notamment celles de « dispositif transfrontière » (point 18), « marqueur » (point 20), « intermédiaire » (point 21), « entreprise associée » (point 23), « dispositif commercialisable » (point 24) et « dispositif sur mesure » (point 25).

9.        L’article 8 bis ter de cette directive (« Champ d’application et conditions de l’échange automatique et obligatoire d’informations relatives aux dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration ») dispose :

« 1.      Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour que les intermédiaires soient tenus de transmettre aux autorités compétentes les informations dont ils ont connaissance, qu’ils possèdent ou qu’ils contrôlent concernant les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration dans un délai de trente jours, commençant :

a)       le lendemain de la mise à disposition aux fins de mise en œuvre du dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration ; ou

b)       le lendemain du jour où le dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration est prêt à être mis en œuvre ; ou

c)       lorsque la première étape de la mise en œuvre du dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration a été accomplie,

la date intervenant le plus tôt étant retenue.

Nonobstant le premier alinéa, les intermédiaires visés à l’article 3, point 21), deuxième alinéa, sont également tenus de transmettre des informations dans un délai de trente jours commençant le lendemain du jour où ils ont fourni, directement ou par l’intermédiaire d’autres personnes, une aide, une assistance ou des conseils.

[...]

5.      Chaque État membre peut prendre les mesures nécessaires pour accorder aux intermédiaires le droit d’être dispensés de l’obligation de fournir des informations concernant un dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration lorsque l’obligation de déclaration serait contraire au secret professionnel applicable en vertu du droit national dudit État membre. En pareil cas, chaque État membre prend les mesures nécessaires pour que les intermédiaires soient tenus de notifier sans retard à tout autre intermédiaire, ou, en l’absence d’un tel intermédiaire, au contribuable concerné, les obligations de déclaration qui leur incombent en vertu du paragraphe 6.

Les intermédiaires ne peuvent avoir droit à une dispense en vertu du premier alinéa que dans la mesure où ils agissent dans les limites de la législation nationale pertinente qui définit leurs professions.

6.      Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour faire en sorte que, lorsqu’il n’existe pas d’intermédiaire ou que l’intermédiaire notifie l’application d’une dispense en vertu du paragraphe 5 au contribuable concerné ou à un autre intermédiaire, l’obligation de transmettre des informations sur un dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration relève de la responsabilité de l’autre intermédiaire qui a été notifié, ou, en l’absence d’un tel intermédiaire, du contribuable concerné.

7.      Le contribuable concerné à qui incombe l’obligation de déclaration transmet les informations dans un délai de trente jours, commençant le lendemain du jour où le dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration est mis à la disposition du contribuable concerné aux fins de mise en œuvre, ou est prêt à être mis en œuvre par le contribuable concerné, ou lorsque la première étape de sa mise en œuvre est accomplie en ce qui concerne le contribuable concerné, la date intervenant le plus tôt étant retenue.

[...]

14.      Les informations qui doivent être communiquées par l’autorité compétente d’un État membre conformément au paragraphe 13, comprennent les éléments suivants, le cas échéant :

a)       l’identification des intermédiaires et des contribuables concernés, y compris leur nom, leur date et lieu de naissance (pour les personnes physiques), leur résidence fiscale, leur NIF et, le cas échéant, les personnes qui sont des entreprises associées au contribuable concerné ;

b)       des informations détaillées sur les marqueurs recensés à l’annexe IV selon lesquels le dispositif transfrontière doit faire l’objet d’une déclaration ;

c)       un résumé du contenu du dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration, y compris une référence à la dénomination par laquelle il est communément connu, le cas échéant, et une description des activités commerciales ou dispositifs pertinents, présentée de manière abstraite, sans donner lieu à la divulgation d’un secret commercial, industriel ou professionnel, d’un procédé commercial ou d’informations dont la divulgation serait contraire à l’ordre public ;

d)       la date à laquelle la première étape de la mise en œuvre du dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration a été accomplie ou sera accomplie ;

e)       des informations détaillées sur les dispositions nationales sur lesquelles se fonde le dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration ;

f)       la valeur du dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration ;

g)       l’identification de l’État membre du ou des contribuable(s) concerné(s) ainsi que de tout autre État membre susceptible d’être concerné par le dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration ;

h)       l’identification, dans les États membres, de toute autre personne susceptible d’être concernée par le dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration en indiquant à quels États membres cette personne est liée. »

10.      L’article 25 bis de la directive 2011/16 (« Sanctions ») dispose comme suit.

« Les États membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales adoptées conformément à la présente directive et concernant les articles 8 bis bis, 8 bis ter et 8 bis quater, et prennent toutes les mesures nécessaires pour assurer la mise en œuvre de ces sanctions. Ces sanctions doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. »

11.      L’annexe IV de la directive 2011/16 est intitulée « Marqueurs ». La partie I, consacrée au « Critère de l’avantage principal », indique ce qui suit.

« Les marqueurs généraux relevant de la catégorie A et les marqueurs spécifiques relevant de la catégorie B ainsi que de la catégorie C, paragraphe 1, points b) i), c) et d), ne peuvent être pris en compte que lorsqu’ils remplissent le “critère de l’avantage principal”.

Ce critère sera rempli s’il peut être établi que l’avantage principal ou l’un des avantages principaux qu’une personne peut raisonnablement s’attendre à retirer d’un dispositif, compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents, est l’obtention d’un avantage fiscal.

Dans le cas d’un marqueur relevant de la catégorie C, paragraphe 1, la présence des conditions prévues dans la catégorie C, paragraphe 1, points b) i), c) ou d), ne peut à elle seule constituer une raison de conclure qu’un dispositif remplit le critère de l’avantage principal. »

La partie II de l’annexe IV décrit les « catégories de marqueurs » de la manière suivante : A. Marqueurs généraux liés au critère de l’avantage principal ; B. Marqueurs spécifiques liés au critère de l’avantage principal ; C. Marqueurs spécifiques liés aux opérations transfrontières ; D. Marqueurs spécifiques concernant l’échange automatique d’informations et les bénéficiaires effectifs, et E. Marqueurs spécifiques concernant les prix de transfert.

B.      Le droit national

12.      Le Royaume de Belgique a transposé la directive 2018/822 par une loi du 20 décembre 2019 (8).

III. Les faits, la procédure au principal et les questions préjudicielles

13.      En 2020, la Belgian Association of Tax Lawyers (ci-après la « BATL »), l’Ordre des barreaux francophones et germanophone (ci‑après l’« OBFG »), l’Orde van Vlaamse Balies e.a. (ci-après l’« OVBO »), l’Institut des conseillers fiscaux et des experts‑comptables (ci-après l’ « ICFC ») (ci-après, collectivement, les « requérants au principal ») ont saisi la Cour constitutionnelle de recours visant à obtenir la suspension de la loi du 20 décembre 2019 et son annulation au motif que cette loi transpose une directive, en tout ou en partie, illégale. Selon eux, la directive 2018/822 viole un certain nombre de dispositions de la Charte et de principes généraux du droit de l’Union.

14.      Éprouvant des doutes quant à l’interprétation correcte de certaines dispositions de la Charte et de principes généraux du droit de l’Union, la Cour constitutionnelle a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)       La directive [2018/822] viole-t-elle l’article 6, paragraphe 3, [TUE] et les articles 20 et 21 de la [Charte], et plus spécifiquement le principe d’égalité et de non‑discrimination que ces dispositions garantissent, en ce que la directive [2018/822] ne limite pas l’obligation de déclaration des dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration à l’impôt des sociétés, mais la rend applicable à tous les impôts rentrant dans le champ d’application de la directive [2011 /16] ce qui inclut en droit belge non seulement l’impôt des sociétés mais aussi des impôts directs autres que l’impôt des sociétés et des impôts indirects, tels que les droits d’enregistrement ?

2)       La directive [2018/822] viole-t-elle le principe de légalité en matière pénale garanti par l’article 49, paragraphe 1, de la [Charte] et par l’article 7, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme [(ci-après la “CEDH”)], viole-t-elle le principe général de la sécurité juridique et viole-t-elle le droit au respect de la vie privée garanti par l’article 7 de la [Charte] et par l’article 8 de la [CEDH], en ce que les notions de “dispositif” (et dès lors celles de “dispositif transfrontière”, de “dispositif commercialisable” et de “dispositif sur mesure”), d’“intermédiaire”, de “participant”, d’“entreprise associée”, le qualificatif “transfrontière”, les différents “marqueurs” et le “critère de l’avantage principal”, que la directive [2018/822] emploie pour déterminer le champ d’application et la portée de l’obligation de déclaration des dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration, ne seraient pas suffisamment clairs et précis ?

3)       La directive [2018/822], en particulier en ce qu’elle insère l’article 8bis ter, paragraphes 1 et 7, de la directive [2011/16], viole-t-elle le principe de légalité en matière pénale garanti par l’article 49, paragraphe 1, de la [Charte] et par l’article 7, paragraphe 1, de la [CEDH], et viole-t-elle le droit au respect de la vie privée garanti par l’article 7 de la [Charte] et par l’article 8 de la [CEDH], en ce que le point de départ du délai de 30 jours dans lequel l’intermédiaire ou le contribuable concerné doit satisfaire à l’obligation de déclaration d’un dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration ne serait pas fixé de façon suffisamment claire et précise ?

4 )       L’article 1er, point 2), de la directive [2018/822] viole-t-il le droit au respect de la vie privée garanti par l’article 7 de la [Charte] et par l’article 8 de la [CEDH], en ce que le nouvel article 8bis ter, paragraphe 5, qu’il a inséré dans la directive [2011/16], prévoit que, si un État membre prend les mesures nécessaires pour accorder aux intermédiaires le droit d’être dispensés de l’obligation de fournir des informations concernant un dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration lorsque l’obligation de déclaration serait contraire au secret professionnel applicable en vertu du droit national dudit État membre, cet État membre est tenu d’obliger lesdits intermédiaires à notifier sans retard à tout autre intermédiaire ou, en l’absence d’un tel intermédiaire, au contribuable concerné, ses obligations de déclaration, en ce que cette obligation a pour effet qu’un intermédiaire qui est soumis au secret professionnel pénalement sanctionné en vertu du droit dudit État membre est tenu de partager avec un autre intermédiaire qui n’est pas son client les informations qui lui sont connues à l’occasion de l’exercice de sa profession ?

5)       La directive [2018/822] viole-t-elle le droit au respect de la vie privée garanti par l’article 7 de la [Charte] et par l’article 8 de la [CEDH], en ce que l’obligation de déclaration des dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration entraînerait une ingérence dans le droit au respect de la vie privée des intermédiaires et des contribuables concernés qui ne serait pas raisonnablement justifiée et proportionnée au regard des objectifs poursuivis et qui ne serait pas pertinente au regard de l’objectif d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur ? »

15.      Les requérants au principal, le Conseil national des Barreaux de France, les gouvernements belge, tchèque, espagnol et polonais, le Conseil de l’Union européenne ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites. À l’exception du gouvernement tchèque, ces parties ont présenté des observations orales lors de l’audience qui s’est tenue le 30 novembre 2023.

16.      Par lettres du 20 octobre 2023, le Conseil et la Commission ont répondu à une question de la Cour et transmis des informations concernant les États membres qui, conformément à l’article 8 bis ter de la directive 2011/16, ont pris des mesures visant à permettre à certains intermédiaires d’être dispensés de l’obligation de transmettre des informations concernant un dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration, afin de préserver le secret professionnel dont ils bénéficient en vertu du droit national.

IV.    Analyse

17.      Par ses questions, la juridiction de renvoi demande à la Cour de contrôler, au regard de différents principes généraux et droits fondamentaux reconnus dans l’ordre juridique de l’Union, la validité de la directive 2018/822 qui modifie la directive 2011/16 en y introduisant une obligation, pour certains intermédiaires et contribuables, de déclarer aux autorités compétentes des États membres les dispositifs transfrontières potentiellement agressifs (ci-après l’« obligation de déclaration »).

18.      Les cinq questions préjudicielles portent sur différents éléments du système mis en place par la directive 2018/822. À cet égard, je tiens à souligner, d’emblée, que mon appréciation se limitera strictement aux éléments de la directive 2018/822 dont la juridiction de renvoi a considéré, dans sa décision de renvoi, qu’ils sont susceptibles de poser problème. En l’espèce, il me paraît approprié d’adopter cette approche de retenue judiciaire compte tenu de la formulation large de certaines questions et du fait que les arguments avancés par les requérants au principal afin de contester la légalité de la directive 2018/822 ne sont pas toujours centrés sur les questions effectivement soulevées par la juridiction de renvoi.

A.      Sur la première question préjudicielle : le champ d’application matériel de l’obligation de déclaration et le principe d’égalité

19.      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande à la Cour si la directive 2018/822 viole les principes d’égalité et de non‑discrimination, garantis par les articles 20 et 21 de la Charte, en ce l’obligation de déclaration des dispositifs transfrontaliers qu’elle instaure n’est pas limitée à l’impôt sur les sociétés.

20.      Conformément à l’article 2, paragraphes 1 et 2, de la directive 2011/16, les dispositions de cette directive – et donc également l’obligation de déclaration prévue à l’article 8 bis ter – s’appliquent à « tous les types de taxes et impôts prélevés par un État membre, ou en son nom, ou par ses entités territoriales ou administratives, ou en leur nom, y compris les autorités locales », et ne s’appliquent pas à « la taxe sur la valeur ajoutée et aux droits de douane, ni aux droits d’accises couverts par d’autres textes de législation de l’Union relatifs à la coopération administrative entre États membres, [ni] aux cotisations sociales obligatoires [...] ».

21.      À cet égard, il me semble opportun de relever d’emblée que les principes de non‑discrimination et d’égalité de traitement représentent, de manière générale, deux faces d’une même pièce. En effet, la Cour a constamment rappelé que le premier est l’expression du second. Cependant, en droit de l’Union, la « non‑discrimination » est un concept assez particulier, elle vise un traitement différent fondé sur certains motifs spécifiques interdits tels que ceux énoncés à l’article 21 de la Charte (sexe, race, couleur, origine ethnique ou sociale, caractéristiques génétiques, langue, religion ou autres convictions, opinions politiques, appartenance à une minorité nationale, fortune, naissance, handicap, âge ou orientation sexuelle) ou à l’article 18 TFUE (nationalité) (9). Compte tenu de cela, il me semble que les doutes de la juridiction de renvoi concernant la portée de l’obligation de déclaration introduite par la directive 2018/822 ont trait à une éventuelle violation du principe d’égalité, et non du principe de non‑discrimination.

22.      Selon une jurisprudence constante, le principe d’égalité, qui est l’un des principes fondamentaux du droit de l’Union, impose que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (10). Le caractère comparable de situations différentes s’apprécie au regard de l’ensemble des éléments qui les caractérisent. Ces éléments doivent, notamment, être déterminés et appréciés à la lumière de l’objet et du but de l’acte de l’Union qui institue la distinction concernée. Doivent également être pris en considération les principes et les objectifs du domaine dont relève l’acte concerné (11).

23.      En ce qui concerne le contrôle juridictionnel de la conformité d’une réglementation de l’Union avec le principe d’égalité de traitement, la Cour a jugé que le législateur dispose, dans l’exercice des compétences qui lui sont conférées, d’un large pouvoir d’appréciation lorsqu’il intervient dans un domaine impliquant des choix de nature politique, économique et sociale et qu’il est appelé à effectuer des appréciations et des évaluations complexes (ce qui est typiquement le cas lorsque le législateur de l’Union adopte des mesures dans le domaine fiscal) (12). Dès lors, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure arrêtée en ce domaine, par rapport à l’objectif que les institutions compétentes entendent poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (13)

24.      Il résulte de ce qui précède que, afin de répondre à la question de la juridiction de renvoi, il convient de déterminer si, eu égard en particulier à l’objet et à la finalité du régime instauré par la directive 2018/822, en soumettant toutes les taxes relevant du champ d’application de la directive 2011/16 à l’obligation de déclaration, le législateur de l’Union a outrepassé les limites de sa marge d’appréciation en traitant de la même manière des situations différentes, sans aucune justification objective.

25.      Aux termes des considérants 1 à 5 de la directive 2018/822, cette directive vise avant tout à renforcer la transparence en matière fiscale, en permettant aux autorités fiscales des États membres d’obtenir « des informations complètes et pertinentes sur les dispositifs fiscaux à caractère potentiellement agressif [afin de] leur [permettre] de réagir rapidement contre les pratiques fiscales dommageables et de remédier aux lacunes par voie législative ou par la réalisation d’analyses des risques appropriées et de contrôles fiscaux ». Ainsi que l’énonce son considérant 19, l’objectif premier de la directive 2018/822 est « l’amélioration du fonctionnement du marché intérieur en décourageant le recours à des dispositifs transfrontières de planification fiscale à caractère agressif » (14).

26.      Ces finalités sont conformes à l’objectif premier de la directive 2011/16 qui est, en substance, de développer la coopération administrative entre les administrations fiscales des États membres afin de surmonter les effets négatifs que la création du marché intérieur pourrait avoir sur la capacité des États membres à établir correctement le montant des impôts et taxes à percevoir. Cette difficulté est susceptible d’affecter le fonctionnement des système fiscaux nationaux, ce qui peut, à son tour, inciter à la fraude et à l’évasion fiscales et ainsi menacer le bon fonctionnement du marché intérieur (15).

27.      Dans ce contexte, je ne vois rien qui puisse suggérer qu’il existe une quelconque raison plausible pour laquelle il aurait fallu traiter différemment l’impôt sur les sociétés, d’une part, et les autres impôts relevant du champ d’application de la directive 2011/16, d’autre part.

28.      Ainsi que l’ont souligné les gouvernements des États membres ayant présenté des observations dans la présente affaire, ainsi que le Conseil et la Commission, les dispositifs transfrontières potentiellement agressifs peuvent concerner divers impôts (16). La possibilité que ces dispositifs exploitent des lacunes dans les systèmes fiscaux nationaux ou dissimulent l’évasion ou la fraude fiscales existe indépendamment de l’impôt (ou des impôts) spécifique(s) qu’ils concernent. Dès lors, les risques que présente tel ou tel impôt, avant tout pour les finances des États membres et, par voie de conséquence, pour l’intégrité du marché intérieur, semblent comparables.

29.      Il ne me semble donc pas déraisonnable que le législateur de l’Union ait décidé d’améliorer la coopération administrative sur les dispositifs transfrontières potentiellement agressifs en ce qui concerne un large spectre d’impôts et de taxes et de soumettre l’ensemble des impôts et taxes couverts par la directive 2011/16 à la nouvelle obligation de déclaration. Il est tout aussi raisonnable que les impôts et taxes pour lesquels la coopération administrative est régie par un autre ensemble de règles (tels que ceux visés à l’article 2, paragraphe 2, de la directive 211/16) soient exclus du champ d’application de l’obligation de déclaration.

30.      Le large champ d’application ratione tributi de l’obligation de déclaration semble donc conforme à l’objet et à la finalité de l’instrument juridique qui l’a instaurée (la directive 2018/822) et, plus généralement, aux autres règles de l’Union qui régissent le domaine dont relève cet acte (la coopération administrative dans le domaine fiscal). En effet, comme le souligne le gouvernement polonais, dans la mesure où la directive 2018/822 est un instrument qui modifie la directive 2011/16, il est normal que l’obligation de déclaration porte sur tous les impôts et taxes auxquels les autres mécanismes de coopération visés par la directive 2011/16 sont applicables (17).

31.      Les opinions contraires exprimées par les requérants au principal ne me convainquent pas.

32.      Premièrement, je dois avouer que je peine à comprendre en quoi le fait que certains marqueurs visés à l’annexe IV de la directive 2011/16 ne sont applicables qu’à l’impôt sur les sociétés présenterait une quelconque pertinence afin d’établir une éventuelle violation du principe d’égalité. Il me semble que la volonté du législateur de l’Union de couvrir un éventail diversifié d’impôts et de taxes peut justifier l’inclusion dans ladite annexe IV d’une diversité de marqueurs, dont certains sont plus pertinents pour certains impôts que pour d’autres. Pour autant qu’au moins certains de ces marqueurs puissent être pertinents pour des dispositifs qui concernent des impôts autres que l’impôt sur les sociétés (18), et que les informations relatives à ces dispositifs puissent être utiles aux autorités compétentes afin d’identifier des lacunes ou de lutter contre l’évasion ou la fraude fiscales, je ne vois aucun problème quant à la légalité de la directive 2018/822.

33.      Deuxièmement, il est vrai que les principaux problèmes auxquels sont confrontés les systèmes fiscaux nationaux sont le résultat de dispositifs fiscaux concernant l’impôt sur les sociétés. Toutefois, dans la mesure où, comme indiqué ci-dessus, il existe des dispositifs transfrontières potentiellement agressifs qui portent sur d’autres impôts que l’impôt sur les sociétés, le choix du législateur de l’Union de donner une large portée à l’obligation de déclaration ne paraît pas déraisonnable.

34.      Dans ce contexte, je relève que les requérants au principal n’ont fourni aucune information qui suggérerait que les problèmes posés par les dispositifs fiscaux concernant d’autres impôts que l’impôt sur les sociétés sont si peu importants que le législateur de l’Union aurait dû considérer qu’ils sont négligeables (19). En tout état de cause, comme l’a souligné la Commission, il est juste de supposer que si l’obligation de déclaration ne concernait qu’un seul type d’impôts directs (l’impôt sur les sociétés), à l’exclusion d’autres formes d’impôts directs (par exemple, impôt sur le revenu des personnes physiques) et d’impôts indirects, certains contribuables auraient pu convertir certains bénéfices soumis à l’impôt sur les sociétés en d’autres types de revenus, non soumis à l’obligation de déclaration. Ainsi que l’a souligné le gouvernement tchèque, cela compromettrait la réalisation de l’objectif poursuivi par la directive 2018/822.

35.      Troisièmement, même si l’analyse d’impact de la Commission est plus particulièrement centrée sur le domaine de la fiscalité directe (impôt sur les revenus des personnes physiques et impôt sur les sociétés), il est très clairement précisé dans ce document que « [u]ne obligation de déclaration peut concerner des dispositifs liés à tout type d’impôt » et que « tout type d’impôt ou de taxe peut faire l’objet d’une planification fiscale agressive » (traduction libre) (20).

36.      En tout état de cause, les considérations exposées par la Commission dans son analyse d’impact ne remettent pas en cause le fait que, en définitive, le législateur de l’Union a décidé de donner à l’obligation de déclaration une portée large, comme le montre la double base juridique de la directive 2018/822, à savoir les articles 113 et 115 TFUE. La première de ces dispositions permet au Conseil d’adopter des « dispositions touchant à l’harmonisation des législations relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires, aux droits d’accises et autres impôts indirects ». La seconde l’habilite à « arrête[r] des directives pour le rapprochement des [législations] des États membres qui ont une incidence directe sur l’établissement ou le fonctionnement du marché intérieur », y compris en matière fiscale. Il est incontestable que cette double base juridique a permis au législateur de l’Union d’adopter une législation qui affecte un large éventail d’impôts et de taxes, tels que ceux qui sont actuellement concernés par l’obligation de déclaration.

37.      Il résulte des considérations qui précèdent que l’examen de la première question n’a fait apparaître aucune raison permettant de considérer que, en incluant des impôts et taxes autres que l’impôt sur les sociétés, le législateur de l’Union a violé le principe d’égalité.

B.      Sur les deuxième et troisième questions préjudicielles

1.      Remarques liminaires

38.      Par ses deuxième et troisième questions préjudicielles, qui peuvent être examinées ensemble, la juridiction de renvoi demande à la Cour si i) les notions de « dispositif » (ainsi que celles de « dispositif transfrontière », « dispositif commercialisable » et « dispositif sur mesure »), d’« intermédiaire », de « participant », d’« entreprise associée » visées à l’article 3 et/ou à l’article 8 bis ter de la directive 2011/16, ii) les différents marqueurs et le « critère de l’avantage principal » recensés à l’annexe IV de cette directive, ainsi que iii) la règle des 30 jours prévue à l’article 8 bis ter, paragraphes 1 et 7, de la même directive sont suffisamment clairs et précis pour respecter le principe de légalité en matière pénale et le droit au respect de la vie privée.

39.      L’appréciation de la compatibilité de la directive 2018/822 avec ces deux principes soulève différentes questions et requiert, par conséquent, différents types d’analyse (voir les sous-sections 2 et 3 ci‑dessous).

40.      Il convient cependant de formuler auparavant une remarque liminaire. Il me semble que, dans leurs observations sur les deuxième et troisième questions préjudicielles, les requérants au principal confondent deux séries d’arguments : ils contestent la clarté et la précision des dispositions de la directive 2018/822, d’une part, et l’étendue de ces dispositions, d’autre part.

41.      Il convient cependant de distinguer ces griefs. La deuxième question préjudicielle soulève, en substance, un problème de proportionnalité : ces notions sont-elles trop larges et, par conséquent, la directive va-t-elle trop loin, englobant un trop grand nombre de situations et/ou imposant des obligations trop étendues ? Dès lors, dans la présente section de mes conclusions (section B), je concentrerai mon analyse sur la question de savoir si les notions en cause sont suffisamment claires et précises pour satisfaire aux exigences de sécurité juridique inhérentes à l’article 49, paragraphe 1, et à l’article 7 de la Charte. La portée potentiellement excessive des dispositions de la directive 2018/822 sera examinée dans le cadre de l’appréciation des quatrième et cinquième questions préjudicielles (sections C et D ci‑dessous).

2.      La précision et la clarté de la directive 2018/822 et le principe de légalité des peines

42.      Le principe de légalité des peines (nulla poena sine lege certa), consacré à l’article 49, paragraphe 1, de la Charte – qui constitue une expression particulière du principe général de sécurité juridique (21) – n’est, en principe, applicable qu’aux sanctions de nature pénale.

43.      L’article 25 bis de la directive 2011/16 (intitulé « Sanctions ») prévoit simplement i) qu’il appartient aux États membres de déterminer le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales adoptées en vertu, notamment, de l’article 8 bis ter de cette directive, et ii) que ces sanctions doivent être « effectives, proportionnées et dissuasives » (22).

44.      Par conséquent, dans la mesure où la directive 2011/16 n’impose pas aux États membres d’instaurer des sanctions pénales en cas de violation de l’obligation de déclaration, l’applicabilité de l’article 49, paragraphe 1, de la Charte ne s’impose pas avec évidence. En principe, il incombe aux États membres de transposer les dispositions de cette directive d’une manière qui respecte les droits fondamentaux et les principes consacrés par la Charte (y compris le principe de légalité des peines) (23).

45.      Cela étant dit, il ne saurait être exclu que, eu égard à l’objet et à la finalité des dispositions introduites par la directive 2018/822, ainsi qu’à l’exigence que les sanctions soient « effectives » et « dissuasives » – les États membres considèrent que les manquements à l’obligation de déclaration devraient nécessairement être sanctionnés par des sanctions d’une sévérité telle qu’elles seront inévitablement de nature pénale (24) Je comprends que tel puisse être le cas du Royaume de Belgique. La juridiction de renvoi estime que, bien que les sanctions prévues par le droit belge soient qualifiées d’« administratives », elles devraient être considérées comme étant « pénales » d’un point de vue matériel (25).

46.      Dans ce cas, le manque de clarté ou de précision d’une ou de plusieurs notions figurant dans les dispositions de la directive 2018/822 – et ce, d’autant plus que certaines de ces dispositions semblent laisser peu de (voire aucune) marge de manœuvre aux États membres pour les transposer (26) – pourrait effectivement entraîner l’illégalité de cette directive en ce qu’elle ne respecterait pas l’article 49, paragraphe 1, de la Charte. J’expliquerai maintenant les circonstances dans lesquelles une telle violation pourrait survenir.

a)      La jurisprudence pertinente

47.      Il est de jurisprudence constante que le principe de légalité des peines exige que la législation de l’Union définisse clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette exigence est satisfaite lorsque le justiciable concerné peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale (27)

48.      Cela étant dit, la Cour a également précisé que le principe de légalité des délits et des peines ne saurait être interprété comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l’autre, à la condition que le résultat soit raisonnablement prévisible au moment où l’infraction a été commise, au vu notamment de l’interprétation retenue à cette époque dans la jurisprudence relative à la disposition légale en cause (28).

49.      Au vu de ce qui précède, la circonstance que la législation se réfère à des notions générales devant graduellement être clarifiées ne fait pas, en principe, obstacle à ce que cette législation puisse être considérée comme prévoyant des règles claires et précises permettant au justiciable de prévoir quels actes et omissions sont susceptibles de faire l’objet de sanctions de nature pénale (29). À cet égard, il importe de déterminer si l’ambiguïté ou le caractère vague de ces notions peuvent être dissipés en recourant aux méthodes ordinaires d’interprétation de la loi. En outre, lorsque ces notions correspondent à celles qui sont employées dans les conventions et pratiques internationales pertinentes, ces conventions et pratiques peuvent fournir à l’interprète des indications supplémentaires (30).

50.      Dans le même esprit, la Cour a jugé que, puisque la législation doit avoir une portée générale, son libellé ne saurait être d’une précision absolue. Il en résulte, notamment, que si l’utilisation de la technique législative consistant à recourir à des catégories générales, plutôt qu’à des listes exhaustives, laisse souvent des zones d’ombre aux frontières de la définition, ces doutes au sujet de cas limites ne suffisent pas, à eux seuls, à rendre une disposition incompatible avec le principe de légalité, pour autant que cette disposition se révèle suffisamment claire dans la grande majorité des cas (31).

51.      La Cour a en outre souligné que le niveau de prévisibilité exigé dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires. La prévisibilité de la loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de l’affaire en cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé. Il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier. Aussi peut-on attendre d’eux qu’ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu’il comporte (32).

b)      La précision et la clarté des dispositions introduites par la directive 2018/822

52.      C’est à l’aune de ces principes que je vais maintenant examiner si, en raison d’un manque de précision et de clarté de certaines notions clés qui y sont utilisées, les dispositions introduites par la directive 2018/822 pourraient mettre les justiciables concernés dans l’impossibilité d’identifier les actes et omissions susceptibles d’engager leur responsabilité, et ainsi conduire à l’imposition de sanctions pénales à leur encontre, en violation du principe de légalité des peines dont je viens de rappeler les éléments essentiels.

1)      La notion de « dispositif »

53.      Le terme « dispositif » est employé à l’article 8 bis ter de la directive 2011/16 afin d’identifier les opérations qui, si elles ont un caractère transfrontière (au sens de l’article 3, point 18, de cette directive), sont soumises à l’obligation de déclaration lorsque (comme l’indique l’article 3, point 19) elles comportent « au moins l’un des marqueurs figurant à l’annexe IV » de la même directive.

54.      Ce terme et ses équivalents dans les autres versions linguistiques de la directive 2011/16 (33) sont assurément de nature générale et ont une portée large. Toutefois, cela ne signifie pas que, comme le soutiennent les requérants au principal, ces termes sont vagues ou ambigus.

55.      Premièrement, bien que la directive 2018/822 ne définisse pas expressément la notion de « dispositif », son préambule fournit des indications essentielles. Le considérant 2 de la directive 2018/822 indique que « [l]es États membres éprouvent de plus en plus de difficultés à protéger leur base d’imposition nationale de l’érosion car les structures de planification fiscale sont devenues particulièrement sophistiquées [...] De telles structures sont généralement constituées de dispositifs qui sont mis en place dans différentes juridictions et permettent de transférer les bénéfices imposables vers des régimes fiscaux plus favorables ou qui ont pour effet de réduire l’ardoise fiscale totale du contribuable » (34). L’expression « structures de planification fiscale » est, quant à elle, couramment utilisée en matière de fiscalité internationale (35). En outre, le considérant 19 de la directive 2018/822 fait essentiellement référence à la même idée, avec une expression différente : « La présente directive [vise] les schémas créés pour potentiellement tirer parti des inefficacités du marché résultant de l’interaction entre des règles fiscales nationales disparates » (36).

56.      Deuxièmement, il me semble que le sens ordinaire du terme « dispositifs » (mécanismes, plans, structures, régimes, etc.) est conforme à la volonté du législateur de l’Union d’englober une série de constructions juridiques – principalement constituées par un ou plusieurs contrats (37), accords, ententes et pratiques donnant lieu à des transactions commerciales – qui forment un ensemble cohérent et sont susceptibles d’affecter l’assujettissement d’(au moins) un contribuable.

57.      Troisièmement, je relève que l’utilisation du terme « dispositifs », dans le contexte de la législation fiscale de l’Union, n’est pas uniquement le fait de la directive 2018/822. En effet, dans ce domaine, d’autres dispositions – antérieures à cette directive – ont fait usage de ce terme (38). Les requérants au principal n’ont pas fait valoir que l’utilisation de ce terme aurait suscité des incertitudes au regard de ces dispositions. Et aucun élément en ce sens n’a été versé au dossier de l’affaire.

2)      Les notions de dispositifs « transfrontière », « commercialisable » et « sur mesure »

58.      Au vu de ce qui précède, il me semble que, a fortiori, l’interprétation des notions de dispositif « transfrontière », « commercialisable » et « sur mesure », qui sont toutes définies à l’article 3 de la directive 2011/16, ne devrait pas poser de problème majeur.

59.      Tout d’abord, s’agissant de la notion de « dispositif transfrontière », elle est définie à l’article 3, point 18, de la directive 2011/16 comme un dispositif concernant plusieurs États membres ou un État membre et un pays tiers si l’une au moins des conditions suivantes est remplie : a) tous les participants au dispositif ne sont pas résidents à des fins fiscales dans la même juridiction ; b) un ou plusieurs des participants au dispositif sont résidents à des fins fiscales dans plusieurs juridictions simultanément ; c) un ou plusieurs des participants au dispositif exercent une activité dans une autre juridiction par l’intermédiaire d’un établissement stable situé dans cette juridiction, le dispositif constituant une partie ou la totalité de l’activité de cet établissement stable ; d) un ou plusieurs des participants au dispositif exercent une activité dans une autre juridiction sans être résidents à des fins fiscales ni créer d’établissement stable dans cette juridiction ; e) un tel dispositif peut avoir des conséquences sur l’échange automatique d’informations ou sur l’identification des bénéficiaires effectifs.

60.      Cette définition me semble assez claire : pour le dire plus simplement, le dispositif ne doit pas être cantonné à l’intérieur d’un État membre mais doit concerner au moins un autre pays (État membre ou pays tiers). Cette lecture est conforme au sens ordinaire du terme « transfrontière » (c’est-à-dire qui implique au moins deux pays) qui est d’usage courant en droit du marché intérieur de l’Union.

61.      Cette compréhension de la notion de dispositif transfrontière est également conforme à la portée et à l’objectif de la réglementation en cause. Comme il est expliqué au considérant 10 de la directive 2018/822, l’obligation de déclaration visant à assurer le bon fonctionnement du marché intérieur, il est nécessaire « de limiter les éventuelles règles communes sur la déclaration d’informations aux situations transfrontières, à savoir celles existant dans plusieurs États membres, ou dans un État membre et un pays tiers. ». L’exigence de caractère transfrontière découle également de la double base juridique des directives 2011/16 et 2018/822, qui permet d’adopter des mesures de l’Union liées à l’établissement et au fonctionnement du marché intérieur (39).

62.      Ensuite, les termes « commercialisable » et « sur mesure » sont définis, respectivement à l’article 3, point 24 et point 25, de la directive 2011/16. Ces deux types de dispositifs sont clairement conçus comme des sous-groupes de dispositifs transfrontières qui s’excluent mutuellement : tout dispositif transfrontière doit être soit l’un, soit l’autre. Un « dispositif commercialisable » est « un dispositif transfrontière qui est conçu, commercialisé, prêt à être mis en œuvre, ou mis à disposition aux fins de sa mise en œuvre, sans avoir besoin d’être adapté de façon importante » tandis qu’un « dispositif sur mesure » est « tout dispositif transfrontière qui n’est pas un dispositif commercialisable ».

63.      Le seul point susceptible de poser des questions d’interprétation me semble être celui de l’évaluation nécessaire pour identifier un dispositif « conçu, commercialisé, prêt à être mis en œuvre ou mis à disposition aux fins de sa mise en œuvre sans avoir besoin d’être adapté de façon importante » (40).

64.      À mon sens, la notion de « dispositifs commercialisables » renvoie à la pratique consistant à élaborer des modèles ou des prototypes de dispositifs fiscaux, ceux-ci sont conçus et développés par des conseillers fiscaux ou des experts sans référence à la situation particulière d’un client spécifique, et sont donc destinés à être commercialisés (c’est-à-dire fournis à des clients contre rémunération) comme des produits « presque » finis. En d’autres termes, les dispositifs commercialisables sont ceux qui sont préparés sur la base d’un modèle préexistant, auquel seules des adaptations mineures doivent être apportées pour qu’il soit applicable à la situation particulière du contribuable concerné avant d’être mis en œuvre.

65.      Certes, on pourrait s’interroger sur ce qu’est une adaptation mineure. Les adaptations mineures comprennent naturellement le fait de « remplir les blancs », l’ajout ou l’élimination de certaines étapes, ou encore de légères modifications apportées à d’autres étapes. En revanche, un dispositif fiscal qui est conçu, en tout ou en partie, ex novo, afin de répondre aux souhaits ou aux besoins spécifiques du client, n’est pas un dispositif commercialisable mais un dispositif sur mesure.

66.      Toutefois, il me semble assez peu productif de s’attarder sur ce qu’est ou n’est pas une adaptation mineure : cela dépend clairement des circonstances propres à chaque cas. Ce qui importe réellement, c’est que, dans la plupart des cas, l’expression « adapté de façon importante » ne soulèvera pas de questions d’interprétation importantes.

3)      La notion de « participant »

67.      Le terme « participants » est employé à l’article 3, point 18, de la directive 2011/16 dans la définition du « dispositif transfrontière » au sens de cette directive. En effet, quatre des cinq conditions alternatives qu’un dispositif doit remplir pour être qualifié de « transfrontière » sont liées à la situation des « participants au dispositif » : à leur résidence, pour ce qui est des conditions a) et b), et à leurs activités pour les conditions c) et d) (41).

68.      Il est donc important, pour l’application du système mis en place par la directive 2018/822, d’identifier les participants. En effet, sauf dans un cas (42), la règle est que lorsque tous les participants au dispositif ont leur résidence fiscale dans un seul et même État membre, il ne peut y avoir de dispositif transfrontière et, partant, aucune obligation de déclaration ne naît.

69.      La directive 2011/16 ne définit pas explicitement la notion de « participant ». Et cette définition ne peut pas se déduire du préambule de la directive 2018/822 ni des documents accompagnant la proposition de directive de la Commission (43)

70.      Cela étant, il me semble que cette notion peut raisonnablement être comprise par référence au sens ordinaire du terme (personne qui participe à quelque chose) et à sa fonction (identifier les dispositifs transfrontaliers). La notion de « participant » doit nécessairement désigner une personne physique ou morale qui est formellement partie à l’une des diverses transactions composant le dispositif.

71.      Cette notion inclut donc, avant tout, le ou les contribuables et les autres entités (même si, pour l’une ou l’autre raison, celles-ci ne sont pas imposables) directement concernés par les dispositifs. En revanche, elle n’inclut pas les intermédiaires, sauf si ceux-ci participent eux‑mêmes, avec un rôle formel, à l’un des mécanismes juridiques pertinents composant le dispositif.

4)      La notion d’« intermédiaire »

72.      Conformément à l’article 8 bis ter de la directive 2011/16, le terme « intermédiaire » désigne la principale catégorie de personnes qui, sauf exceptions, sont tenues de transmettre aux autorités compétentes les informations pertinentes.

73.      Cette notion est expressément définie à l’article 3, point 21, de la directive 2011/16 comme « toute personne qui conçoit, commercialise ou organise un dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration, le met à disposition aux fins de sa mise en œuvre ou en gère la mise en œuvre » (premier alinéa). Cette disposition ajoute que la notion d’« intermédiaire » vise également « toute personne qui, compte tenu des faits et circonstances pertinents et sur la base des informations disponibles ainsi que de l’expertise en la matière et de la compréhension qui sont nécessaires pour fournir de tels services, sait ou pourrait raisonnablement être censée savoir qu’elle s’est engagée à fournir, directement ou par l’intermédiaire d’autres personnes, une aide, une assistance ou des conseils concernant la conception, la commercialisation ou l’organisation d’un dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration, ou concernant sa mise à disposition aux fins de mise en œuvre ou la gestion de sa mise en œuvre ». Une telle personne peut toutefois apporter la preuve qu’elle « ne savait pas et ne pouvait pas raisonnablement être censée savoir qu’elle participait à un dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration » (deuxième alinéa).

74.      Les requérants au principal soulignent le caractère très étendu et très ouvert de cette définition. Je reconnais que la définition est formulée de manière large et recouvre une grande variété de personnes (physiques et morales). Toutefois, cela n’implique pas que cette disposition est vague ou ambiguë.

75.      Premièrement, les catégories de personnes susceptibles de relever de cette définition sont, dans l’ensemble, relativement claires. Ainsi que le souligne la Commission, cette notion vise à englober les principaux acteurs qui sont impliqués, en général pour des raisons professionnelles, dans les activités de planification fiscale visées par la directive 2018/822. Dans l’analyse d’impact, la Commission indique en effet que les intermédiaires comprennent, « notamment, les consultants, les avocats, les conseillers financiers (en investissements), les experts‑comptables, les avoués, les institutions financières, les intermédiaires en assurance et les personnes intervenant dans la constitution de sociétés » (traduction libre). Le terme désigne en substance les professionnels dont l’activité consiste à « conseiller les clients sur la manière de structurer leur activité, à réduire les coûts fiscaux et à percevoir une prime à titre de rémunération » (traduction libre) (44).

76.      Ainsi que le souligne le gouvernement belge, les personnes qui exercent les activités énumérées à l’article 3, point 21, de la directive 2011/16, doivent être hautement qualifiées dans un domaine spécifique (droit fiscal, droit des sociétés, finance internationale, comptabilité, etc.) et être actives à un niveau international. Il est donc difficile de croire que de telles personnes puissent ignorer que leurs activités relatives à un dispositif fiscal transfrontière en font des « intermédiaires » au sens de la directive 2011/16.

77.      Deuxièmement, l’article 3, point 21, de la directive 2011/16, lu conjointement avec le préambule et les autres dispositions de cette directive, indique que l’obligation de déclaration s’applique aux personnes (physiques ou morales) qui i) ne font pas partie du personnel des contribuables concernés (45); ii) ont (ou devraient avoir) connaissance (46) de leur implication dans le dispositif en question et apportent une contribution significative (et non de minimis) à la conception, la commercialisation, l’organisation et la mise en place de ce dispositif (47) ; iii) détiennent ou contrôlent l’information pertinente concernant le dispositif en question (48) et iv) sont résidents dans un des États membres, ou ont des liens stables et structurels avec un de ces États (49).

78.      Enfin, troisièmement, je relève que, une fois encore, le terme « intermédiaire » et ses équivalents sont d’un usage courant dans le domaine de la fiscalité internationale (50).

79.      Par conséquent, la définition donnée par la directive 2011/16 est assez détaillée et sa signification est suffisamment claire. S’il ne peut être exclu que, dans certaines circonstances particulières, un doute raisonnable puisse surgir sur le point de savoir si une catégorie donnée d’opérateurs, ou une personne spécifique, relève de cette définition, il me semble que, dans la grande majorité des cas, la situation sera claire (51).

5)      La notion d’« entreprise associée »

80.      La notion d’« entreprise associée » est employée dans la directive 2011/16 en combinaison avec celles d’« accord préalable en matière de prix de transfert » (52) et d’« opération transfrontière » (53). Ces deux dernières notions visent des opérations qui sont pertinentes aux fins d’établir l’existence de dispositifs devant faire l’objet d’une déclaration. En outre, en vertu de l’article 8 bis ter, paragraphe 14, sous a), de cette directive, les informations relatives aux « personnes qui sont des entreprises associées au contribuable concerné » figurent parmi les informations qui doivent être communiquées aux autorités et faire ensuite l’objet d’un échange automatique au sein du réseau des autorités compétentes.

81.      Plus précisément, la notion d’« entreprise associée » est définie à l’article 3, point 23, de la directive 2011/16, aux termes duquel, aux fins de l’article 8 bis ter de cette directive, on entend par « entreprise associée », une personne qui est liée à une autre personne de l’une au moins des quatre façons suivantes : a) une personne qui participe à la gestion d’une autre personne lorsqu’elle est en mesure d’exercer une influence notable sur l’autre personne ; b) une personne qui participe au contrôle d’une autre personne au moyen d’une participation qui dépasse 25 % des droits de vote ; c) une personne qui participe au capital d’une autre personne au moyen d’un droit de propriété qui, directement ou indirectement, dépasse 25 % du capital ; d) une personne qui a droit à 25 % ou plus des bénéfices d’une autre personne.

82.      De plus, l’article 3, point 23, de la directive 2011/16 précise la manière dont il convient d’interpréter cette notion i) lorsque plusieurs personnes participent à la gestion, au contrôle, au capital ou aux bénéfices d’une même personne ; ii) lorsque les mêmes personnes participent, à la gestion, au contrôle, au capital ou aux bénéfices de plusieurs personnes : iii) lorsqu’une personne agit avec une autre personne en ce qui concerne les droits de vote ou la détention de parts de capital d’une entité ; iv) en présence d’une participation indirecte, et v) lorsqu’une personne physique, son conjoint et ses ascendants ou descendants directs sont impliqués.

83.      Il me semble qu’une telle définition est non seulement plutôt détaillée, mais également fondée sur des critères objectifs, et donc aisément vérifiables. Elle correspond également à l’explication (plus concise) figurant à l’article 3, point 15, de la directive 2011/16 selon laquelle des entreprises sont considérées comme étant des entreprises associées lorsqu’ « une entreprise participe directement ou indirectement à la gestion, au contrôle ou au capital d’une autre entreprise ou lorsque la même personne participe directement ou indirectement à la gestion, au contrôle ou au capital des entreprises ».

84.      En outre, je relève que la notion d’« entreprise associée » est elle aussi fréquemment utilisée, au niveau de l’Union comme au niveau international, dans le domaine du droit fiscal (54). Cela étant dit, il se peut que, comme le souligne l’OBFG, le fait que les différentes définitions d’« entreprises associées » reprises en droit de l’Union ne coïncident pas entièrement soit source de malentendus. Toutefois, dans la mesure où chacune de ces définitions, prise individuellement, peut être appliquée directement aux cas régis par l’instrument pertinent, je ne pense pas que le choix du législateur de l’Union puisse être considéré comme étant illégitime.

6)      Les marqueurs

85.      Conformément à l’article 3, point 19, de la directive 2011/16, un dispositif transfrontière doit faire l’objet d’une déclaration s’il « comport[e] au moins l’un des marqueurs figurant à l’annexe IV ». Le point 20 de la même disposition définit quant à lui le « marqueur » comme « une caractéristique ou particularité d’un dispositif transfrontière qui indique un risque potentiel d’évasion fiscale ».

86.      Le choix du législateur de l’Union de recourir à une liste de marqueurs pour identifier les dispositifs fiscaux devant faire l’objet d’une déclaration est expliqué au considérant 9 de la directive 2018/822, de la manière suivante :

« Les dispositifs de planification fiscale à caractère agressif ont évolué au fil des ans pour devenir toujours plus complexes et font en permanence l’objet de modifications et d’ajustements pour répondre aux contre-mesures défensives prises par les autorités fiscales. Compte tenu de ce qui précède, il serait plus efficace de chercher à cerner les dispositifs de planification fiscale à caractère potentiellement agressif en constituant une liste des caractéristiques et éléments des opérations présentant des signes manifestes d’évasion fiscale ou de pratiques fiscales abusives plutôt que de définir la notion de planification fiscale agressive. Ces indications sont appelées des “marqueurs” » (55).

87.      La liste des marqueurs figure à la partie II de l’annexe IV de la directive 2011/16. Les marqueurs sont répartis en différentes catégories : les « marqueurs généraux liés au critère de l’avantage principal » (catégorie A) et les marqueurs spécifiques, regroupés selon qu’ils sont « liés au critère de l’avantage principal » (catégorie B), qu’ils sont « liés aux opérations transfrontières » (catégorie C), qu’ils concernent « l’échange automatique d’informations et les bénéficiaires effectifs » (catégorie D) ou « les prix de transfert » (catégorie E). Toutefois, alors que certains marqueurs sont en eux-mêmes suffisants pour que le dispositif fasse l’objet d’une obligation de déclaration, d’autres ne sont pertinents que si le critère de l’avantage principal, sur lequel je reviendrai plus en détail dans la section suivante, est rempli.

88.      Je ne partage pas les doutes exprimés par les requérants au principal quant à la clarté et à la précision des marqueurs. Il est vrai que tant le nombre que l’étendue des marqueurs montrent que ceux-ci couvrent un ensemble hétérogène de dispositifs. Toutefois, en soi, cette circonstance ne rend pas l’application de l’obligation de déclaration imprévisible pour les justiciables concernés. En fait, aucun des marqueurs recensés à l’annexe IV ne me paraît manifestement imprécis ou obscur.

89.      A fortiori, il convient de rejeter l’argument avancé lors de l’audience par certains requérants au principal, selon lequel le législateur de l’Union n’aurait pas envisagé la définition des marqueurs de manière adéquate. La section 7.7.2 de l’analyse d’impact et son annexe 7, notamment, montrent que cette définition a été précédée d’une évaluation minutieuse des marqueurs utilisés dans les régimes de divulgation similaires existant à l’époque (tant au sein de l’Union européenne qu’en dehors de celle-ci (56)) ainsi que de ceux examinés dans les rapports de l’OCDE.

90.      Comme le souligne la Commission, les marqueurs décrivent des caractéristiques très spécifiques et concrètes (fondées sur les faits) des dispositifs fiscaux que, dans la plupart des cas, les professionnels de la fiscalité et, le cas échéant, les contribuables qui recourent à des conseils juridiques appropriés ne devraient éprouver de difficultés particulières à identifier.

91.      Le fait que certains marqueurs utilisent des termes qui demandent à ceux qui les interprètent une certaine évaluation ou prévision ne remet pas en cause ce qui précède. En effet, aucune des expressions figurant dans la liste des marqueurs que critiquent les requérants au principal (57) ne me semble requérir une appréciation que l’on ne pourrait pas raisonnablement attendre des personnes concernées.

92.      En outre, dans la mesure où les requérants au principal contestent la technique législative choisie par le législateur de l’Union pour identifier les dispositifs devant faire l’objet d’une déclaration, c’est‑à‑dire le recours à une liste exhaustive de caractéristiques plutôt qu’à une définition abstraite, je relève qu’un tel choix s’inscrit parfaitement dans la marge de manœuvre (étendue) dont dispose le législateur de l’Union lors de l’adoption d’actes législatifs qui requièrent la mise en balance de différents intérêts publics et privés (58). En l’espèce, j’estime que les explications du choix du législateur, fournies au considérant 9 de la directive 2018/822, ainsi qu’au point 5 de l’exposé des motifs (59), sont raisonnables.

7)      Le critère de l’avantage principal

93.      Le critère de l’avantage principal joue un rôle important dans le cadre du système mis en place par la directive 2018/822. En effet, certains marqueurs ne déclenchent l’obligation de déclaration que si le critère de l’avantage principal est rempli (60). En revanche, le simple fait que ce critère soit rempli ne suffit pas à rendre obligatoire la déclaration du dispositif, dès lors qu’au moins un des marqueurs doit être présent.

94.      Le critère de l’avantage principal est défini à l’annexe IV, partie I, de la directive 2011/16 : il est rempli « s’il peut être établi que l’avantage principal ou l’un des avantages principaux qu’une personne peut raisonnablement s’attendre à retirer d’un dispositif, compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents, est l’obtention d’un avantage fiscal. »

95.      Ce critère ne me paraît pas manquer de clarté ou de précision.

96.      Certes, le critère de l’avantage principal requiert une évaluation qui pourrait être considérée comme étant partiellement subjective, puisqu’elle se fonde sur des attentes personnelles. Ce n’est cependant pas ainsi que je le comprends. Selon moi, ce n’est pas le point de vue subjectif du contribuable en question (et/ou de tout intermédiaire) qui importe, mais l’attente qu’aurait une personne prudente et raisonnablement informée.

97.      En outre, le critère de l’avantage principal demande une évaluation d’éléments qui sont, dans une large mesure, objectifs. Le critère est essentiellement destiné à cibler des dispositifs qui sont mis en place uniquement ou principalement pour des raisons fiscales. Cela demande donc, selon le rapport final de l’OCDE de 2015, de comparer « le montant de l’avantage fiscal attendu avec tous les autres avantages pouvant découler de l’opération », ce qui implique « une évaluation objective des avantages fiscaux » (61).

98.      Il est vrai que ce critère requiert une évaluation au cas par cas du dispositif en question. L’annexe IV indique en effet qu’il y a lieu de tenir compte de « l’ensemble des faits et circonstances pertinents », sans indiquer en quoi peuvent consister ces faits et circonstances. Il n’en découle cependant pas que la mise en œuvre du critère est incertaine, tout du moins dans la grande majorité des cas. Selon moi, l’évaluation des faits et circonstances pertinents implique, plus particulièrement, un double examen : celui des caractéristiques du dispositif, d’une part, et celui de l’objet et de la finalité des lois fiscales mises en œuvre, d’autre part.

99.      Premièrement, des raisons non fiscales (par exemple, commerciales, industrielles, etc.) peuvent-elles expliquer la décision de mettre en place le dispositif en question et, dans l’affirmative, ces raisons sont-elles réelles, plausibles et significatives ? S’il n’y avait pas eu d’avantage fiscal, le contribuable concerné aurait-il eu intérêt à recourir au dispositif ? Existe-t-il un déséquilibre économique important dans les opérations faisant partie du dispositif, comme par exemple, une absence de rapport raisonnable entre le prix payé et les produits ou services obtenus en contrepartie ?

100. Deuxièmement, le dispositif fiscal constitue-t-il une application logique et simple des lois fiscales invoquées et est-il conforme à l’objet et à la finalité de ces lois ? Ou bien le dispositif fiscal consiste-t-il plutôt à « tirer parti des subtilités d’un système fiscal ou des incohérences entre deux ou plusieurs systèmes fiscaux afin de réduire l’impôt à payer » (62) ? La structure du dispositif semble-t-elle – à la lumière de son objectif avoué et de la loi nationale qui est appliquée – artificielle ou excessivement complexe, et/ou inclut-elle des étapes qui ne semblent pas nécessaires (si ce n’est en raison de leur incidence sur l’impôt à payer) ?

101. Il s’agit de questions auxquels des professionnels de la fiscalité et des contribuables tels que ceux qui recourent à des dispositifs fiscaux sophistiqués ne devraient pas avoir de difficultés à répondre.

102. Enfin, et surtout, je comprends qu’un certain nombre d’États, tant au sein de l’Union européenne qu’en dehors, utilisent ou ont utilisé, dans des instruments qui, par leur objectif et leur contenu, s’apparentent à la directive 2018/822, un « critère de l’avantage principal » comparable à celui introduit par cette directive (63).

103. Par conséquent, compte tenu de la diversité des activités économiques, des opérations et des régimes fiscaux nationaux qui peuvent être concernés, une appréciation au cas par cas des dispositifs au regard du critère de l’avantage principal me paraît inévitable. Cela ne remet toutefois pas en cause la relative clarté du type d’analyse que ce critère demande aux personnes tenues de l’appliquer d’effectuer.

8)      La règle des 30 jours

104. L’article 8 bis ter, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2011/16 prévoit que les intermédiaires sont tenus de transmettre les informations en question dans un délai de 30 jours, à compter du lendemain « de la mise à disposition aux fins de mise en œuvre » du dispositif, ou « du jour où le [dispositif] est prêt à être mis en œuvre », ou « lorsque la première étape de la mise en œuvre du [dispositif] a été accomplie, la date intervenant le plus tôt étant retenue. L’article 8 bis ter, paragraphe 1, deuxième alinéa, de cette directive ajoute que « les intermédiaires visés à l’article 3, point 21), deuxième alinéa, sont également tenus de transmettre des informations dans un délai de trente jours commençant le lendemain du jour où ils ont fourni, directement ou par l’intermédiaire d’autres personnes, une aide, une assistance ou des conseils » (64). Enfin, l’article 8 bis ter, paragraphe 7, de la même directive dispose que « [l]e contribuable concerné [...] transmet les informations dans un délai de trente jours, commençant le lendemain du jour où le dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration est mis à la disposition du contribuable concerné aux fins de mise en œuvre, ou est prêt à être mis en œuvre par le contribuable concerné, ou lorsque la première étape de sa mise en œuvre est accomplie en ce qui concerne le contribuable concerné, la date intervenant le plus tôt étant retenue. ».

105. Certains requérants au principal font valoir que l’article 8 bis ter de la directive 2011/16 n’identifie pas les événements déclencheurs avec le niveau de précision requis. Ils soutiennent notamment que la signification exacte des expressions « mis à disposition » et « prêt à être mis en œuvre » manque de clarté. Ainsi, l’OBFG se demande si la simple consultation orale d’un expert par un contribuable, ou de simples discussions, à un niveau plutôt général, pourraient suffire à faire naître l’obligation de transmettre les informations en question.

106. Ces objections ne me convainquent pas.

107. D’emblée, je dois dire qu’il est difficile de considérer que l’expression « mise en œuvre » manque de clarté. En effet, son sens courant (mise en application, exécution, etc.) indique que le délai de notification de 30 jours ne commence à courir que lorsque le dispositif fiscal en cause passe de sa phase conceptuelle à sa phase opérationnelle. Cette dernière implique, typiquement, la réalisation d’un des actes juridiques nécessaires à la mise en œuvre du dispositif en question.

108. Il importe de relever que l’expression « mise en œuvre » est présente dans chacune des trois hypothèses envisagées à l’article 8 bis ter, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2011/16, lesquelles concernent toutes une exécution en cours, ou tout du moins imminente, du dispositif fiscal en cause. Les raisons pour lesquelles, dans deux de ces situations (dispositif « mis à disposition » ou « prêt » à être mis en œuvre), le compte à rebours peut commencer avant que la première étape de la mise en œuvre n’ait lieu sont – si je comprends bien – au nombre de trois.

109. Premièrement, le législateur de l’Union a estimé que, dans la mesure du possible, une transmission anticipée des informations (c’est‑à-dire, idéalement, avant la mise en œuvre effective des dispositifs en question) devrait être privilégiée. Cela permet à l’administration fiscale de réagir à un stade précoce du processus, par exemple en modifiant rapidement la législation pertinente (65). Deuxièmement, cette disposition renforce la sécurité juridique en donnant aux intermédiaires qui pourraient ne pas être impliqués dans l’exécution effective des dispositifs qu’ils ont préparés (et, par conséquent, qui peuvent ignorer à quel moment exactement commence la mise en œuvre) un jour précis à partir duquel le délai commence à courir. Troisièmement, la disposition exclut également que l’ignorance (réelle ou alléguée) du moment de la mise en œuvre d’un dispositif puisse servir de prétexte à des intermédiaires qui n’auraient pas respecté l’obligation de déclaration.

110. La même logique (un point de départ aisément prévisible puisqu’il ne dépend pas du comportement d’autres personnes) est, en fait, suivie par la règle supplémentaire énoncée à l’article 8 bis ter, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2011/16, applicable aux personnes qui sont qualifiées d’intermédiaires parce qu’elles se sont engagées à « fournir, directement ou par l’intermédiaire d’autres personnes, une aide, une assistance ou des conseils concernant la conception, la commercialisation ou l’organisation d’un dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration, ou concernant sa mise à disposition aux fins de mise en œuvre ou la gestion de sa mise en œuvre » (66). Ces intermédiaires sont tenus de transmettre les informations « dans un délai de trente jours commençant le lendemain du jour où ils ont fourni, directement ou par l’intermédiaire d’autres personnes, une aide, une assistance ou des conseils » (67).

111. Dans ce contexte, je souhaiterais ajouter que, selon moi, des activités telles que la fourniture de conseils généraux, sans lien avec un dispositif fiscal spécifique et concret pour un ou plusieurs clients précis, ou la simple participation à des discussions et échanges de vues entre intermédiaires et contribuables (ou entre différents intermédiaires), n’imposent pas à l’intermédiaire de transmettre un rapport au titre de l’article 8 bis ter de la directive 2011/16.

112. Certes, les dispositions pertinentes ne sont pas limpides sur ce point. Toutefois, pour un certain nombre de raisons, il me semble exclu qu’il soit obligatoire de déclarer un dispositif qui n’est pas destiné à devenir opérationnel. Premièrement, ni le préambule de la directive 2018/822 ni les dispositions que cette dernière a introduites dans la directive 2011/16 ne font référence à une obligation de transmission qui existerait indépendamment de la mise en œuvre des dispositifs en cause. En effet, le considérant 7 de la directive 2018/822 fait référence aux déclarations à transmettre « avant » la mise en œuvre de ces derniers. Deuxièmement, vérifier si un dispositif donné, examiné de manière abstraite et indépendamment des participants et contribuables concernés, « doit faire l’objet d’une déclaration » et de son caractère « transfrontière », n’apporte pas toujours une réponse fiable. Troisièmement, il est évident que des dispositifs qui ne sont pas exécutés i) ne peuvent mener à l’évasion, à la fraude ou à des abus en matière fiscale ; ii) ne compromettent nullement la capacité des États membres à percevoir l’impôt, et iii) n’ont aucun effet sur le marché intérieur. Dès lors, il n’est pas nécessaire d’imposer aux intermédiaires une obligation étendue de déclarer toute aide, toute assistance ou tout conseil donnés dans le cadre de transactions qui sont, à ce stade, purement hypothétiques et spéculatives pour atteindre les objectifs poursuivis par la directive 2018/822 et cela créerait une charge disproportionnée pour les professionnels concernés.

113. En conséquence, j’estime que la règle des 30 jours énoncée à l’article 8 bis ter, paragraphes 1 et 7, de la directive 2011/16 est suffisamment claire et précise.

c)      Conclusion intermédiaire

114. Eu égard à ce qui précède, je conclus que la critique formulée par les requérants au principal en ce qui concerne la clarté et la précision de certaines notions utilisées dans les dispositions introduites par la directive 2018/822 n’est pas fondée.

115. Il est vrai que certaines de ces notions sont larges et générales, ce qui a pour conséquence que les dispositions concernées doivent se voir reconnaître un large champ d’application ou peuvent englober une grande variété de situations.

116. Cela étant, aucune des dispositions examinées ne semble rendre impossible ou déraisonnablement difficile, pour les personnes concernées, de déterminer quand, et dans quel délai, elles sont soumises à l’obligation de déclaration instaurée par la directive 2018/822. Il me semble que, tout du moins dans la grande majorité des cas, les circonstances dans lesquelles naît l’obligation de déclaration sont raisonnablement claires.

117. En effet, la directive 2011/16 contient des définitions très détaillées et factuelles de certaines notions clés utilisées à son article 8 bis ter. Par ailleurs, la signification d’autres notions clés peut être déterminée en recourant aux méthodes classiques d’interprétation juridique, c’est-à-dire en examinant le sens ordinaire des termes utilisés dans le texte de la disposition, à la lumière de leur contexte ainsi que de l’objet et de la finalité de la directive 2011/16 et de la directive 2018/822. En outre, plusieurs de ces termes sont d’un usage courant en matière fiscale et sont employés dans des instruments nationaux et internationaux.

118. Dans ce contexte, il ne faut pas perdre de vue que les dispositifs fiscaux agressifs sont d’ordinaire des instruments complexes et coûteux qui sont conçus et gérés par des professionnels spécialisés. On peut (et en tout état de cause, on doit) attendre de ces professionnels qu’ils aient connaissance des règles applicables, qu’ils puissent les interpréter avec l’aide d’un conseiller juridique qualifié et qu’ils se tiennent informés des clarifications progressives de ces règles qui découlent de la jurisprudence de l’Union et de la jurisprudence nationale.

119. En outre, si la marge de manœuvre dont disposent les États membres, lors de la transposition de la directive 2018/822, pour intégrer et clarifier la réglementation était probablement assez limitée (68), rien n’empêche leurs autorités de fournir des orientations formelles ou informelles aux professionnels et aux contribuables concernés. à ma connaissance, les autorités fiscales de plusieurs États membres ont d’ailleurs émis des avis à cet effet au cours des derniers mois (69).

120. Par conséquent, après avoir examiné les questions soulevées dans la demande de décision préjudicielle, à la lumière des arguments avancés par les requérants au principal, je ne suis pas convaincu par les allégations selon lesquelles la directive 2018/822 viole le principe de légalité des peines consacré à l’article 49, paragraphe 1, de la Charte.

3.      La précision et la clarté de la directive 2018/822 et le respect de la vie privée

121. Le deuxième point soulevé par la juridiction de renvoi dans ses deuxième et troisième questions préjudicielles concerne, en substance, la compatibilité de l’obligation de déclaration avec le principe du respect de la vie privée consacré à l’article 7 de la Charte. Il ressort de la demande de décision préjudicielle que la principale préoccupation de la juridiction de renvoi qui sous-tend une partie de ces deuxième et troisième questions tient au fait qu’un éventuel manque de clarté et de précision des notions clés figurant dans la directive 2018/822 pourrait entraîner une ingérence importante et difficilement prévisible dans le droit des intermédiaires et des contribuables de préserver la confidentialité de leurs communications.

122. Comme je viens de l’expliquer dans le cadre de l’appréciation de la compatibilité de la directive 2018/822 avec l’article 49, paragraphe 1, de la Charte, le sens et la portée des termes contestés par les requérants au principal sont, selon moi, raisonnablement clairs. Je ne trouve , dans les observations de ces parties, aucun autre élément susceptible de suggérer que l’appréciation de la légalité de cette directive pourrait aboutir à une conclusion différente en raison d’un prétendu manque de précision et de clarté de ses notions clés, au regard de l’article 7 de la Charte.

123. Plus fondamentalement, il me semble que l’article 7 de la Charte n’impose pas d’obligation plus stricte en termes de clarté ou de précision que l’article 49 de la Charte, à la lumière duquel j’ai déjà examiné la précision et la clarté des notions clés. En tout état de cause, je reviendrai sur cette question de la clarté et de la précision des dispositions introduites par la directive 2018/822, lorsque j’examinerai si ces dispositions constituent un « fondement juridique » adéquat susceptible de justifier une ingérence dans les droits protégés par l’article 7 de la Charte.

C.      Sur la cinquième question préjudicielle : l’ingérence dans la vie privée (nécessité et proportionnalité de l’obligation de déclaration)

124. Il me semble plus opportun d’examiner la cinquième question préjudicielle de la juridiction de renvoi avant sa quatrième question. En effet, ces deux questions portent sur le même problème (la légalité de l’ingérence dans la vie privée qu’entraîne l’obligation de déclaration), mais la cinquième question a une portée beaucoup plus large et requiert une analyse plus approfondie de certains éléments.

125. Par sa cinquième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si l’obligation de déclaration viole le droit au respect de la vie privée des intermédiaires et des contribuables concernés au motif que l’ingérence dans ce droit ne serait ni justifiée ni proportionnée au regard des objectifs poursuivis par la directive 2018/822.

126. La juridiction de renvoi souligne que les informations qui doivent être communiquées aux autorités contiennent des données privées de sociétés et de personnes physiques. Elle souligne également la large portée de l’obligation de déclaration, qui s’étend à des dispositifs qui peuvent être licites, non abusifs et dont l’avantage principal peut ne pas être fiscal. La juridiction de renvoi se demande également si l’obligation de déclaration est conforme à l’objectif déclaré de garantir le bon fonctionnement du marché intérieur, dans la mesure où une obligation de déclaration pourrait avoir pour effet de décourager certaines activités transfrontières.

127. À cet égard, les requérants au principal font valoir que les entreprises devraient être libres de choisir la voie la moins imposée pour leurs activités, pour autant que cela puisse se faire sans enfreindre la loi. Rien ne justifierait, selon eux, de décourager les contribuables de recourir à des dispositifs fiscaux transfrontières et les professionnels d’exercer des activités liées à la planification fiscale internationale.

128. Ces arguments ne me convainquent pas. En effet, j’estime que, s’il existe effectivement une ingérence dans la vie privée des contribuables et des intermédiaires, celle-ci peut être justifiée parce qu’elle est nécessaire et proportionnée pour atteindre certains objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union.

1.      L’ingérence dans la vie privée

129. L’article 7 de la Charte dispose que « [t]oute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications ». Selon les explications relatives à la Charte des droits fondamentaux (70), les droits garantis à l’article 7 correspondent à ceux qui sont garantis par l’article 8 de la CEDH (71). Dès lors, comme le prescrivent également l’article 52, paragraphe 3, de la Charte et l’article 6, paragraphe 3, TUE, l’article 7 de la Charte sera interprété conformément à l’article 8 de la CEDH.

130. Dans sa jurisprudence, la Cour EDH a toujours retenu une définition large de la notion de « vie privée » qui englobe les activités professionnelles ou commerciales, considérant que cette approche est conforme à l’objet et au but essentiels de l’article 8 de la CEDH, à savoir prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics (72).

131. De son côté, la Cour a adopté la même approche au titre de l’article 7 de la Charte, en s’inspirant de la jurisprudence de Strasbourg (73), et en s’appuyant sur sa jurisprudence antérieure à la Charte selon laquelle la protection face à des interventions de la puissance publique dans la sphère d’activité privée qui seraient arbitraires ou disproportionnées est un principe général du droit de l’Union (74). La Cour a notamment jugé que, pour établir l’existence d’une ingérence dans le droit consacré à l’article 7 de la Charte, il importe peu que les informations relatives à la vie privée concernées présentent ou non un caractère sensible ou que les intéressés aient ou non subi d’éventuels inconvénients (75).

132. Dans ce contexte, il est clair que l’obligation de déclaration comporte une ingérence dans la sphère privée des intermédiaires et des contribuables.

133. La Cour a jugé que des dispositions imposant ou permettant la communication de données personnelles telles que le nom, le lieu de résidence ou les ressources financières de personnes physiques à une autorité publique doivent être qualifiées, en l’absence de consentement de ces personnes physiques et quelle que soit l’utilisation ultérieure des données en cause, d’ingérences dans leur vie privée et, partant, de limitation apportée au droit garanti à l’article 7 de la Charte. Il en va de même lorsque la communication à une autorité publique de données nominatives et financières relatives à des personnes morales incorpore le nom d’une ou de plusieurs personnes physiques (76).

134. En l’espèce, l’information qui doit être communiquée inclut, en vertu de l’article 8 bis ter, paragraphe 14, de la directive 2011/16, des données telles que « l’identification des intermédiaires et des contribuables concernés, y compris leur nom, leur date et lieu de naissance (pour les personnes physiques), leur résidence fiscale, leur [numéro d’identification fiscale] et, le cas échéant, les personnes qui sont des entreprises associées au contribuable concerné ». Ces données sont des « données à caractère personnel », au sens de l’article 8 de la Charte, lorsqu’elles concernent des personnes physiques. Il peut également s’agir de données à caractère personnel lorsque, malgré le fait qu’elles concernent des personnes morales, la raison sociale de ces dernières inclut le nom des personnes physiques. De telles données relèvent, dès lors, du champ d’application de la protection de la vie privée garantie à l’article 7 de la Charte (77).

135. La question essentielle est, dès lors, celle de savoir si cette ingérence peut être justifiée.

136. Comme la Cour l’a jugé de manière constante, le droit consacré à l’article 7 de la Charte n’apparaît pas comme étant une prérogative absolue, mais doit être pris en considération par rapport à sa fonction dans la société (78). En outre, conformément à l’article 52, paragraphe 1, première phrase, de la Charte, toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Selon l’article 52, paragraphe 1, seconde phrase, de la Charte, dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées à ces droits et libertés que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.

137. Ces questions seront examinées dans les sections suivantes des présentes conclusions.

2.      La base juridique et l’essence du droit

138. Pour commencer, s’agissant de l’exigence selon laquelle toute ingérence dans l’exercice des droits fondamentaux doit être « prévue par la loi », je rappelle qu’une telle exigence implique non seulement que la mesure prévoyant l’ingérence doit avoir une base légale en droit interne, mais également que cette base légale doit définir elle-même la portée de la limitation de l’exercice du droit concerné (79). En définissant la portée de la limitation qu’elle impose, la loi en question doit éviter le risque d’arbitraire en prévoyant des règles suffisamment claires et prévisibles dans leur application (80). Toutefois, ainsi que la Cour l’a jugé, cette exigence n’exclut pas que la limitation en cause soit formulée dans des termes suffisamment ouverts pour pouvoir s’adapter à des cas de figure différents ainsi qu’aux changements de situations (81).

139. En l’espèce, il est clair que l’ingérence dans le droit consacré par l’article 7 de la Charte qui est invoquée par les requérants au principal, trouve sa base légale – pour ce qui concerne le droit de l’Union – dans l’article 8 bis ter de la directive 2011/16. Je considère que cette base légale est adéquate dans la mesure où la limitation de l’exercice des droits en cause est encadrée par des règles dont l’application est, comme je l’ai expliqué dans mon appréciation des deuxième et troisième questions préjudicielles, suffisamment claires et prévisibles. La prévisibilité et la clarté des dispositions ne sont nullement remises en cause par le fait que leur portée peut être assez large (82).

140. En outre, l’exigence selon laquelle toute limitation des droits et des libertés garantis par la Charte doit respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés me paraît également remplie. Plus simplement, l’article 8 bis ter de la directive 2011/16 impose à certains contribuables et à certains professionnels se trouvant dans une situation assez particulière de communiquer aux autorités fiscales compétentes des informations relativement limitées et principalement liées à leur activité professionnelle. Par conséquent, je ne pense pas qu’il soit nécessaire, en l’espèce, de s’engager dans une discussion sur ce qui peut être considéré comme le « noyau dur » (et donc intouchable) du droit au respect de la vie privée pour conclure que l’obligation de déclaration n’empiète pas sur ce noyau dur.

141. Enfin, l’appréciation de la conformité de l’acte de l’Union en cause avec le principe de proportionnalité suppose un examen en quatre temps de cette mesure : i) poursuit-elle des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ? ii) est-elle nécessaire aux fins d’atteindre ces objectifs ? iii) va-t-elle au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs ?, iv) assure-t-elle un juste équilibre entre les différents intérêts en jeu ?

3.      L’appréciation de la proportionnalité (I) : objectifs poursuivis et adéquation de la mesure

142. En premier lieu, j’estime que les dispositions de la directive 2018/822 poursuivent des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union. Comme la Cour l’a jugé (en dernier lieu dans l’arrêt Orde van Vlaamse Balies), la lutte contre la planification fiscale agressive et la prévention du risque d’évasion et de fraude fiscales constituent des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union, au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, susceptibles de permettre qu’une limitation soit apportée à l’exercice des droits garantis par l’article 7 de celle-ci (83).

143. Il ne faut pas oublier que, comme le précise l’article 2 TUE, l’égalité des citoyens et la solidarité sont deux valeurs fondatrices de l’Union européenne. Le respect de ces valeurs est clairement compromis par les pratiques fiscales et commerciales qui permettent à certains contribuables (le plus souvent, particulièrement fortunés) d’éviter de payer leur juste part d’impôt au Trésor public. Ces pratiques nourrissent les inégalités au sein de la société et sont donc fondamentalement incompatibles avec le modèle socio-économique de l’« économie sociale de marché » de l’Union, ainsi qu’avec la poursuite de certains de ses principaux objectifs, tels que, notamment, la promotion de la justice sociale et du bien-être de ses peuples, ainsi que la contribution au progrès social (84).

144. En deuxième lieu, je dois souligner que l’obligation de déclaration semble avoir été réellement conçue et élaborée afin de lutter contre la planification fiscale agressive et de prévenir les risques d’évasion et de fraude fiscales. Cette mesure est, à mon sens, particulièrement adaptée pour assurer que les autorités publiques obtiennent des informations pertinentes sur des dispositifs transfrontières potentiellement agressifs, en leur permettant de réagir rapidement aux pratiques dommageables, par exemple, en modifiant le cadre réglementaire. L’obligation de déclaration contribue donc efficacement à l’objectif ultime de renforcement du marché intérieur, en promouvant la justice fiscale et en luttant contre certaines retombées négatives de la mobilité accrue au sein de l’Union européenne.

145. À cet égard – afin de répondre à certains doutes exprimés par la juridiction de renvoi – je tiens à souligner que le fait que certaines dispositions de l’Union puissent avoir pour effet de décourager certaines activités transfrontières ne signifie pas que ces dispositions sont incompatibles avec l’objectif de renforcement du marché intérieur. En effet, l’établissement du marché intérieur ne vise pas à favoriser le libre exercice du commerce de tous les produits et de tous les services, mais à garantir que le marché de l’Union ne soit pas fragmenté par des réglementations nationales divergentes (85). Lorsque l’intérêt public l’exige, les règles de l’Union peuvent légitimement décourager, restreindre ou interdire complètement certaines activités économiques (86).

146. Cela étant dit, je dois préciser que, malgré l’insistance avec laquelle certains requérants au principal ont décrit l’incidence éventuelle de la directive 2018/822 sur les activités transfrontières exercées tant par les intermédiaires que par les contribuables, je peine à percevoir un quelconque effet indésirable significatif. En premier lieu, il me semble que les activités susceptibles d’être découragées sont celles qui concernent des dispositifs illégaux (ou qui, en tout état de cause, conduisent à l’évasion, à la fraude ou à des abus en matière fiscale). Il est évident que les contribuables et les intermédiaires n’ont aucun intérêt à déclarer de telles opérations aux autorités fiscales. À l’évidence, si tel devait être le cas, la directive 2018/822 aurait un effet particulièrement positif sur le marché intérieur. En deuxième lieu, la directive 2018/822 pourrait également avoir un certain effet dissuasif à l’égard des activités liées aux dispositifs qui opèrent en marge de la loi et, plus généralement, de celles qui exploitent des lacunes et inadéquations de la réglementation fiscale afin de permettre aux entreprises de payer peu ou pas d’impôt sur leurs revenus. Il me semble également qu’il existe un intérêt public évident à décourager de tels dispositifs (87). Troisièmement, je ne comprends pas pourquoi les activités, exercées par les intermédiaires et les contribuables, qui portent sur des dispositifs non seulement licites mais également non agressifs seraient découragées par le simple fait qu’un nombre limité d’informations les concernant doivent être communiquées aux autorités.

147. En outre, il importe également de souligner que, dans les observations présentées à la Cour dans le cadre de la présente affaire, on ne trouve aucune indication détaillée et concrète concernant des mesures alternatives qui auraient permis d’atteindre le même niveau de protection des objectifs poursuivis par la directive 2018/822, tout en étant moins contraignantes à l’égard des personnes concernées.

148. En particulier, je ne pense pas que l’instauration d’un seuil minimal au-delà duquel les dispositifs doivent faire l’objet d’une déclaration (par exemple, uniquement ceux qui procurent un avantage fiscal supérieur à un montant donné) – comme certains requérants au principal l’ont suggéré – aurait assuré le niveau de protection recherché par le législateur de l’Union. En effet, tout dispositif devant faire l’objet d’une déclaration, quelle que soit sa valeur monétaire, peut être susceptible de révéler une lacune importante dans la législation qui peut, effectivement ou potentiellement, être exploitée par d’autres dispositifs, peut-être de plus grande ampleur.

149. Après avoir expliqué que les dispositions introduites par la directive 2018/822 sont appropriées pour atteindre les objectifs poursuivis par le législateur de l’Union, il convient de vérifier, ensuite, si ces dispositions portent une atteinte à la vie privée de certains particuliers qui va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs publics poursuivis.

4.      L’appréciation de la proportionnalité (II) : la proportionnalité au sens strict

150. Je rappelle d’emblée que, selon une jurisprudence constante de la Cour, une réglementation qui limite le droit fondamental au respect de la vie privée doit prévoir des règles claires et précises régissant sa portée et son application et imposer des exigences minimales de manière à ce que les personnes dont les données ont été transférées disposent de garanties suffisantes contre les risques d’abus de ces données. Elle doit en particulier indiquer en quelles circonstances et sous quelles conditions une mesure prévoyant le traitement de telles données peut être prise (88).

151. En l’espèce, plusieurs considérations m’amènent à penser que le législateur de l’Union a limité au strict nécessaire l’ingérence dans la vie privée des intermédiaires et des contribuables.

152. Premièrement, l’obligation de déclaration ne concerne que deux catégories de personnes (les intermédiaires et les contribuables) (89), en raison de leur choix et comportements délibérés, dont elles connaissent (ou devraient connaître) les conséquences juridiques. Le champ d’application personnel de la mesure est donc limité aux personnes physiques et morales qui ont un lien direct avec des situations à l’égard desquelles le législateur de l’Union entend renforcer la transparence (90). Il existe, en outre, une exception pour les personnes (intermédiaires) qui bénéficient du secret professionnel en vertu du droit national (91).

153. Deuxièmement, l’obligation de déclaration ne naît que dans certaines situations spécifiques : lorsque le contribuable a commandé, ou que l’intermédiaire a fourni, des services en rapport avec un dispositif fiscal transfrontière qui présente certaines caractéristiques. Il s’agit de caractéristiques, limitativement énumérées à l’annexe IV de la directive 2011/16, dont le législateur a considéré qu’elles sont typiques des dispositifs transfrontières agressifs. Il convient de relever, dans ce contexte, que plusieurs de ces marqueurs ne concernent que les personnes morales et que certains d’entre eux ne sont applicables qu’à des dispositifs concernant un nombre limité de contribuables.

154. La juridiction de renvoi et certains requérants au principal expriment toutefois des doutes quant au champ d’application matériel et personnel de l’obligation de déclaration, dans la mesure où i) elle impose de communiquer aux autorités des dispositifs qui peuvent être licites et/ou non agressifs et/ou non mis en place pour des raisons fiscales, et ii) elle fait peser des charges non seulement sur les contribuables, mais également sur les intermédiaires.

155. Je ne partage pas ces doutes.

156. En effet, si l’obligation de déclaration exigeait la communication de dispositifs illicites, l’article 8 bis ter de la directive 2011/16 serait invalide pour violation du droit de ne pas s’incriminer, qui est un des éléments des droits de la défense, consacrés à l’article 48, paragraphe 2, de la Charte (92). Certains requérants au principal ont très clairement soulevé cette question lors de l’audience. Il me semble donc un peu curieux que, dans le même temps, ils reprochent à la directive d’avoir exigé des intermédiaires qu’ils déposent des informations licites.

157. En tout état de cause, le fait que les informations qui doivent être déclarées puissent concerner des transactions licites est conforme à l’objectif poursuivi par la réglementation en cause. L’article 8 bis ter de la directive 2011/16 vise à accroître la transparence en mettant à la disposition des autorités fiscales des informations relatives à certains dispositifs fiscaux ; elle n’implique aucune évaluation (positive ou négative) de la légalité de ces dispositifs, ni du respect par les contribuables ou par les intermédiaires, par exemple, des règles fiscales et financières applicables (93)

158. La Cour juge de manière constante que le seul fait qu’un contribuable recherche le régime fiscal le plus favorable, en faisant usage des libertés du marché intérieur, ne saurait fonder une présomption générale de fraude ou d’abus, ni priver ledit contribuable des droits ou avantages qu’il tire du droit de l’Union (94). Il ne fait donc aucun doute que, comme le font valoir les requérants au principal, les contribuables peuvent légitimement choisir la « voie la moins imposée » pour leurs entreprises, pour autant qu’ils restent dans les limites de ce qui est licite au regard des législations de l’Union et nationales pertinentes.

159. Toutefois, cela n’empêche pas les États membres de considérer que leur législation nationale, en particulier du fait de son interaction avec la législation nationale des autres États membres et avec les règles de l’Union en matière de libre circulation, peut présenter des lacunes requérant une intervention réglementaire. Sont surtout concernées des situations qui, bien que licites, peuvent conduire à une sous-imposition de certains contribuables, ou celles qui permettent aux contribuables de pratiquer facilement l’évasion ou la fraude fiscale ou de commettre un abus fiscal.

160. Il convient également de rappeler que la directive 2018/822 a été adoptée dans le prolongement des travaux de l’OCDE sur les stratégies BEPS, dont il est généralement considéré qu’elles comportent des pratiques tant licites qu’illicites. S’il est peut-être exagéré d’affirmer, comme l’a fait Denis Healey (95), que « la différence entre l’évasion fiscale [licite] et la fraude fiscale [illégale] a l’épaisseur d’un mur de prison » (traduction libre), il n’est toutefois guère contestable que la ligne qui les sépare est parfois ténue.

161. Dès lors, afin d’atteindre les objectifs poursuivis, il est essentiel (et inévitable) que l’obligation de déclaration vise des dispositifs présentant certaines caractéristiques, sans que ces éléments ne doivent nécessairement suggérer que le dispositif est illégal ou abusif.

162. Après tout, tout le système d’imposition, tant au sein de l’Union européenne qu’en dehors de celle-ci, repose sur des obligations de déclaration et de publicité imposées aux contribuables, s’agissant d’informations relatives à des activités qui sont, en principe, présumées licites. La fiscalité n’est évidemment pas le seul domaine dans lequel les personnes physiques et les sociétés sont tenues de fournir à l’administration publique certaines informations concernant leurs activités privées ou professionnelles, afin de permettre aux autorités, par exemple, d’enregistrer et de conserver ces informations dans des registres ad hoc (96), de vérifier ex ante ou ex post que l’activité est exercée conformément à la loi (97), ou de réagir rapidement si un accident se produit (98).

163.  Pour les mêmes raisons, le fait que l’obligation de déclaration puisse également s’étendre à des dispositifs qui peuvent n’être ni « agressifs », ni motivés par la perspective d’obtenir un certain avantage fiscal ne me paraît pas problématique (99).

164. Le législateur de l’Union a considéré que « [l]es dispositifs de planification fiscale à caractère agressif ont évolué au fil des ans pour devenir toujours plus complexes et font en permanence l’objet de modifications et d’ajustements pour répondre aux contre-mesures défensives prises par les autorités fiscales ». Il a donc estimé qu’il serait plus efficace de « chercher à cerner les dispositifs de planification fiscale à caractère potentiellement agressif en constituant une liste des caractéristiques et éléments des opérations présentant des signes manifestes d’évasion fiscale ou de pratiques fiscales abusives plutôt que de définir la notion de planification fiscale agressive » (100).

165. Les requérants au principal n’ont pas contesté ces considérations qui, en tout état de cause, ne me paraissent pas déraisonnables. En conséquence, il est, selon moi, nécessaire que le champ d’application matériel de l’obligation de déclaration soit, dans une certaine mesure, extrêmement large pour que la mesure soit réellement efficace.

166. Je ne suis pas non plus convaincu par l’argument, avancé par certains requérants au principal, selon lequel il aurait été suffisant d’exiger des contribuables qu’ils déposent les informations requises. À cet égard, je renvoie aux conclusions de l’avocat général Rantos dans l’affaire Orde van Vlaamse Balies e.a., dans lesquelles il a souligné le « rôle central [des intermédiaires] dans la conception de dispositifs de planification fiscale agressive » et, compte tenu de cela, il s’est rallié à la position du législateur de l’Union selon laquelle « le système de déclaration aurait été beaucoup moins effectif s’il revenait au contribuable lui-même de déclarer auprès des autorités fiscales sa propre décision de souscrire à un “dispositif agressif”. » (101).

167. Il en est ainsi parce que ce sont généralement les intermédiaires qui ont la meilleure connaissance des dispositifs à déclarer et qui, de ce fait, sont idéalement placés pour transmettre les informations pertinentes de manière correcte et complète. De plus, les intermédiaires sont généralement membres de professions réglementées, dont les activités sont régies par différents ensembles de règles nationales (y compris en matière de déontologie) ainsi que, parfois, par autorégulation, et qui sont souvent exercées conformément à des normes internationales. À ce titre, leur respect de la loi (y compris les obligations de publicité) peut être plus facilement contrôlé et, lorsqu’une violation est constatée, des sanctions efficaces peuvent être imposées.

168. Troisièmement, la quantité et la qualité des informations à transmettre aux autorités apparaissent également nécessaires afin d’atteindre les objectifs poursuivis. La liste des informations figurant à l’article 8 bis ter, paragraphe 14, de la directive 2011/16 (102) est d’un volume relativement limité, ne comprend que des données à caractère personnel de base et consiste principalement en des informations commerciales. Par ailleurs, aucun des éléments figurant sur cette liste n’est manifestement dépourvu de lien avec l’objet et la finalité de l’obligation de déclaration. Compte tenu de ce qui précède, les informations qui doivent être communiquées aux autorités ne permettent pas à ces dernières de tirer des conclusions spécifiques quant à la vie privée des personnes physiques concernées (contribuables et intermédiaires) (103).

169. Quatrièmement, des limites claires sont posées quant aux autorités qui peuvent avoir accès aux informations déclarées par les intermédiaires et les contribuables concernés et échangées au sein du réseau des autorités (104): il s’agit des autorités spécifiquement désignées comme étant « compétentes » par chaque État membre.  (105) Pour sa part, la Commission n’est autorisée à avoir accès qu’à une partie des informations échangées (106), principalement pour contrôler le bon fonctionnement du système instauré par la directive 2018/822 et à des fins statistiques.  (107) Je comprends que les informations fournies doivent être traitées de manière confidentielle et que, en principe, elles ne peuvent pas être divulguées à des tiers.  (108)

170. Cinquièmement, le considérant 2 de la directive 2018/822 donne également une indication, même si elle est assez générale, de la manière dont les informations peuvent être utilisées par les autorités compétentes : [« afin de] leur permettr[e] de réagir rapidement contre les pratiques fiscales dommageables et de remédier aux lacunes par voie législative ou par la réalisation d’analyses des risques appropriées et de contrôles fiscaux. »

171. Sixièmement, un certain nombre de garanties sont mises en place afin d’éviter tout accès illicite (109) et, surtout, toute utilisation illicite des données à caractère personnel. En particulier, l’article 25 de la directive 2011/16 prévoit que les règles du règlement général sur la protection des données (110) et du cadre de la protection des données pour les institutions de l’Union européenne (111), restent en principe applicables à l’échange d’informations et au traitement de données à caractère personnel effectués au titre de la directive 2011/16. Je ne suis donc pas convaincu par les arguments de la BATL et de l’OBFG concernant l’absence, alléguée, de règles concernant la conservation ou l’utilisation des données ainsi que de garanties contre les abus.

172. Eu égard à ce qui précède, je suis d’avis que l’obligation de déclaration ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis par le législateur de l’Union.

5.      L’appréciation de la proportionnalité (III) : l’équilibre entre les intérêts

173. Enfin, je suis d’avis que les dispositions introduites par la directive 2018/822 ménagent un juste équilibre entre les intérêts en jeu.

174. L’intérêt public poursuivi par ces dispositions revêt, ainsi qu’il a été indiqué aux points 142 et 143 des présentes conclusions, la plus grande importance pour l’Union européenne. Cela est d’autant plus vrai à l’ère de la mondialisation alors que, selon certaines études récentes, l’écart entre riche et pauvre s’est considérablement accru au cours des dernières années (112)

175. Dans ce contexte, l’ingérence dans la vie privée des intermédiaires et des contribuables qui résulte de l’obligation de déclaration semble assez limitée, pour les raisons déjà exposées. En outre, le nombre global de situations dans lesquelles cette ingérence se produit est également réduit. Ainsi, le gouvernement belge a indiqué que, au cours des dernières années, il a reçu moins de 1 000 déclarations au titre de l’article 8 bis ter de la directive 2011/16, alors qu’il reçoit chaque année des millions de déclarations fiscales ordinaires.

176. Il est également intéressant de souligner que le législateur de l’Union a cherché à minimiser, dans la mesure du possible, les inconvénients pour ceux qui sont tenus de transmettre les informations en question (113). Par exemple, la description du dispositif devant faire l’objet d’une déclaration – dont je présume qu’elle constitue l’élément essentiel de la déclaration – doit être effectuée sous une forme résumée, et ses composants ainsi que les activités commerciales pertinentes ne doivent être décrits que « de manière abstraite » (114). Dès lors, l’affirmation de l’OBFG selon laquelle l’obligation de déclaration obligerait les intermédiaires à divulguer leurs conseils aux autorités doit être rejetée.

177. En outre, le législateur de l’Union a également voulu éviter une multiplication inutile du travail pour les contribuables et les intermédiaires, notamment en autorisant des dérogations à l’obligation de déclaration lorsque le même dispositif doit être déclaré par différentes personnes ou dans différents États membres (115), ou lorsqu’une déclaration est similaire à une déclaration présentée antérieurement (116).

178. Enfin, et surtout, il convient de souligner qu’il n’est pas exigé des intermédiaires qu’ils « recherchent » les informations dont, bien qu’elles doivent être déclarées, ils pourraient ne pas disposer. Comme l’indique l’article 8 bis ter, paragraphe 1, de la directive 2011/16, les intermédiaires sont uniquement tenus de déposer des informations « dont ils ont connaissance, qu’ils possèdent ou qu’ils contrôlent ». Par conséquent, je ne peux souscrire à l’argument de la BATL selon lequel l’obligation de déclaration obligerait les intermédiaires à s’engager dans une activité chronophage et coûteuse pour rechercher et communiquer les informations pertinentes.

179. Je ne partage pas non plus l’avis de l’OBFG selon lequel l’obligation de déclaration est disproportionnée parce que certaines des données à déclarer pourraient être extraites, par les autorités fiscales, des données fournies par les contribuables et/ou échangées entre autorités conformément aux dispositions d’autres instruments juridiques (117).

180. Dans l’analyse d’impact (section 2 et annexe 5) et dans l’exposé des motifs (section 1), il est expliqué pourquoi les informations recueillies par les autorités au titre des autres instruments « DAC » et « ATAD » (118) ne sont pas claires et complètes. Loin d’exposer en détail les raisons pour lesquelles la directive 2018/822 entraînerait une duplication inutile du travail pour les contribuables ou intermédiaires, dans ses observations, l’OBFG se contente de ne se référer qu’à certaines informations parmi celles énumérées à l’article 8 bis ter, paragraphe 14, de la directive 2011/16, qui ne sont transmises aux autorités que dans certaines des situations visées à l’annexe IV, et uniquement pour certains impôts. Par ailleurs, l’OBFG reconnaît elle‑même que certaines de ses allégations concernant le fait que les autorités ont déjà accès à certaines informations déclarées ne sont que « probables ».

181. Je suis convaincu que les principes de bonne administration et de proportionnalité limitent le pouvoir de l’administration publique de demander aux personnes physiques et morales de transmettre des informations qui, par exemple, sont dénuées de pertinence ou ne lui sont pas nécessaires, sont déjà en sa possession, ou dont la collecte, l’organisation et la transmission peuvent engendrer une charge de travail intolérable et des coûts excessifs pour les personnes concernées (119). Or, tel n’est manifestement pas le cas de l’article 8 bis ter de la directive 2011/16 : non seulement les autorités fiscales ne sont pas en mesure de « faire le lien » entre les différentes informations collectées en vertu de différents instruments juridiques, mais, ainsi que cela a été indiqué, des informations importantes font défaut, ce qui mettrait ces autorités dans l’impossibilité d’avoir une vue d’ensemble des dispositifs en question.

182.  À la lumière de ce qui précède, je conclus que l’article 8 bis ter de la directive 2011/16 ne viole pas l’article 7 de la Charte en créant une ingérence inacceptable dans le droit à la vie privée des intermédiaires et des contribuables.

D.      Sur la quatrième question préjudicielle : respect de la vie privée (portée de la dispense)

183. Enfin, par sa quatrième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour d’examiner la validité de l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2011/16 au regard de l’article 7 de la Charte, dans la mesure où la première de ces dispositions impose aux intermédiaires qui ont droit à une dispense, en raison du secret professionnel applicable en vertu du droit national, de notifier à tout autre intermédiaire, qui n’est pas leur client, leurs obligations de déclaration au titre de la directive 2011/16.

184. Cette question est très similaire à celle posée dans l’affaire à l’origine de l’arrêt Orde van Vlaamse Balies e.a., dans lequel la Cour a jugé que l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2011/16 violait l’article 7 de la Charte et était donc invalide, dans la mesure où l’obligation faite aux avocats bénéficiant d’une dispense de notifier d’autres intermédiaires entraînait la divulgation de l’identité de l’avocat-intermédiaire et du fait que celui-ci avait été consulté par le client.

185. Toutefois, la formulation de la question posée dans la présente affaire est légèrement différente de celle posée dans l’affaire susmentionnée. En effet, l’expression « l’avocat agissant en qualité d’intermédiaire » a été remplacée par l’expression « un intermédiaire qui est soumis au secret professionnel pénalement sanctionné en vertu du droit dudit État membre ».

186. Par conséquent, dans la présente affaire, la juridiction de renvoi demande i) si le droit à une dispense en raison du secret professionnel, prévu à l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2011/16 est limité aux avocats ou s’il peut être reconnu à d’autres catégories de professionnels lorsque celles-ci bénéficient d’une telle protection en vertu de la législation nationale, et ii) dans ce dernier cas, si l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de cette directive est invalide en ce qu’il viole l’article 7 de la Charte dans la mesure où il impose à ces professionnels de notifier à d’autres intermédiaires leur obligation de déclaration, divulguant ainsi leur identité et le fait qu’ils ont été consultés.

187. J’examinerai successivement ces deux questions.

1.      Le champ d’application personnel du droit à une dispense

188. La première question qui se pose est celle de savoir si, en vertu de l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2011/16, les États membres ne peuvent accorder une dispense qu’aux seuls avocats ou s’ils peuvent également en accorder une à d’autres catégories de professionnels pour lesquelles il existe une forme de secret professionnel en vertu du droit national.

189. Le doute d’interprétation découle avant tout du fait qu’une analyse textuelle et comparative de l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2011/16 ne permet pas de répondre clairement à cette question.

190. D’une part, la plupart des versions linguistiques de cette disposition comportent des termes génériques et ne couvrent donc pas uniquement les droits à la confidentialité reconnus aux avocats (120). De plus, une interprétation large de la portée de ce droit à une dispense pourrait être compatible avec le fait que i) cette portée est définie par un renvoi aux lois des États membres, et ii) le second alinéa de cette disposition fait référence au terme générique, au pluriel, de « professions ».

191. D’autre part, un nombre important de versions linguistiques (grecque, anglaise, maltaise, roumaine et finnoise) contiennent une expression propre aux avocats. De plus, alors qu’une interprétation qui limiterait cette expression aux avocats serait compatible avec toutes les versions linguistiques, l’inverse n’est pas vrai. En outre, l’article 8 bis ter, paragraphe 14, (dans les versions en langues grecque, anglaise, maltaise, roumaine et finnoise) comporte une référence au secret professionnel (professional secrecy en anglais), et non au secret professionnel propre aux avocats (legal professional privilege, en anglais), ce qui pourrait être compris en ce sens que le terme utilisé au paragraphe 5 de la même disposition aurait une connotation très spécifique et, par conséquent, une portée plus restreinte.

192. Malheureusement, l’interprétation contextuelle et historique de l’article 8 bis ter de la directive 2011/16 et l’examen de la pratique ultérieure des États membres ne fournissent pas non plus d’indications univoques.

193. En premier lieu, l’examen des directives 2011/16 et 2018/822 envisagées dans leur totalité offre peu d’indices quant au champ d’application personnel de la dispense. En ce qui concerne la directive 2011/16, la seule référence au secret professionnel propre aux avocats figure à l’article 8 bis ter, paragraphe 5 lui-même. En outre, le préambule de la directive 2018/822 n’apporte aucun éclairage supplémentaire sur cette notion, les termes « legal professional privilege » n’étant mentionné, dans la version en langue anglaise, qu’au considérant 8, lequel ne contient toutefois aucune information utile pour son interprétation.

194. En deuxième lieu, les travaux préparatoires évoqués par les parties ne fournissent pas non plus d’orientations claires. Certains passages de l’analyse d’impact semblent toutefois indiquer que, pour la Commission, la notion de « legal professional privilege » employée dans sa proposition de directive ne concernait que le secret professionnel propre aux avocats (121). À cet égard, la Commission ajoute que la proposition sur laquelle ses services ont travaillé et qui a été proposée au collège des commissaires en vue de son adoption a été rédigée en anglais (et inclut l’expression technique de « legal professional privilege »).

195. À cet égard, on peut difficilement contester que la notion de « legal professional privilege » se rapporte spécifiquement aux activités des avocats et est liée à la confidentialité des communications entre les avocats et leurs clients. Cette spécificité est confirmée, notamment, par la jurisprudence des juridictions de l’Union (122) et de la Cour EDH (123). À ma connaissance, c’est également le cas au niveau mondial (124). Par exemple, dans un certain nombre de pays, la question s’est posée de savoir si les comptables fiscalistes peuvent revendiquer la confidentialité de leurs communications avec leurs clients lorsqu’ils conseillent ces derniers sur des questions juridiques, mais, tout du moins dans les affaires dont j’ai connaissance, cette demande a systématiquement été rejetée (125).

196. Cette approche restrictive de la notion de « legal professional privilege » semble conforme aux fondements historiques de ce principe, ainsi que l’a écrit l’avocat général Poiares Maduro, « [i]l serait possible d’en trouver la trace “dans toutes les démocraties” comme à toutes les époques [...] De ce point de vue, si le secret de l’avocat mérite d’être reconnu dans l’ordre juridique communautaire, c’est tout simplement qu’il plongerait ses racines dans les fondements mêmes de la société européenne. » (126). La doctrine semble confirmer ces considérations (127).

197. Toutefois, comme cela a été indiqué, l’expression « legal profesionnal privilege » et ses équivalents proches ne sont utilisés que dans certaines versions linguistiques de la directive 2011/16. Dès lors, même s’il est important, cet élément ne saurait être décisif.

198. Troisièmement, les informations détaillées fournies par le Conseil et la Commission en réponse à une question de la Cour concernant la manière dont les États membres ont transposé, au niveau national, l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2011/16 ne nous fournissent pas non plus d’indications claires. En effet, de nombreux États membres ont limité aux avocats la possibilité d’obtenir une dispense. Toutefois, un certain nombre d’autres États membres n’ont pas précisé, dans la législation nationale de transposition, les professions qui pouvent bénéficier d’une dispense, les dispositions pertinentes prévoyant un simple renvoi aux règles du secret professionnel qui figurent dans la législation sectorielle. Cela permet, selon moi, à d’autres catégories de professionnels d’obtenir une dispense, lorsque la législation nationale le prévoit.

199. À la lumière de ce qui précède, je dois conclure que l’interprétation textuelle, comparative, contextuelle et historique de l’article 8 bis ter de la directive 2011/16, tout comme l’examen de sa transposition au niveau national, ne permet pas d’établir avec une certitude raisonnable, le sens de la notion de « secret professionnel » (et des termes correspondants dans les autres versions linguistiques de cette directive). Ainsi, face à ce relatif manque de clarté, il me semble que, pour déterminer l’interprétation correcte de cette notion, il convient de se tourner vers l’objet et la finalité de la directive 2018/822.

200. Comme indiqué au point 25 des présentes conclusions, l’objectif de la directive 2018/822 est de renforcer la transparence en matière fiscale, en permettant aux autorités fiscales des États membres d’obtenir des informations complètes sur des dispositifs fiscaux potentiellement agressifs, afin de permettre à ces autorités de réagir rapidement contre les pratiques fiscales dommageables, par exemple en adoptant une législation visant à combler des lacunes dans le cadre réglementaire. À cette fin, la directive 2018/822 instaure un régime de publicité obligatoire, assorti d’un échange automatique d’informations entre les autorités des États membres.

201. Dans ce contexte, il me semble que six raisons distinctes plaident en faveur d’une interprétation de la notion de « secret professionnel » limitée, en principe, à la protection de la confidentialité généralement reconnue aux avocats.

202. Premièrement, le régime de publicité obligatoire établi par la directive 2018/822 est, comme expliqué aux points 166 et 167 des présentes conclusions, essentiellement fondé sur l’obligation de déclaration imposée aux intermédiaires. Comme l’a relevé l’avocat général Rantos, l’obligation de déclaration imposée aux intermédiaires « constitue la pierre angulaire de ce système et toute limitation au fonctionnement de ce dernier risquerait de porter une atteinte au cœur même des objectifs de la directive 2011/16 » (128). En effet, force est de constater que l’obligation de déclaration imposée aux contribuables eux-mêmes n’est, dans l’économie de la directive 2018/822, qu’une « mesure de dernier recours » (129).

203. Je partage cette position. Reconnaître aux États membres la possibilité d’accorder des dispenses à diverses catégories d’intermédiaires pourrait en effet affecter de manière significative l’efficacité du système mis en place par la directive 2018/822. En fait, il suffirait d’accorder une dispense à une ou à quelques catégories spécifiques de professionnels (tels que les auditeurs, les experts‑comptables et/ou les conseillers fiscaux) pour qu’une partie plutôt substantielle des personnes physiques et morales relevant de la définition des « intermédiaires » soit exonérée de l’obligation de déclaration.

204. Ce problème semble aggravé par le fait que la directive 2018/822 ne contient pas de véritables critères, spécifications ou limites pour les catégories de professionnels auxquelles les États membres peuvent accorder une dispense (130). Le renvoi à la législation nationale à cet égard est entier et sans réserve, ce qui pourrait laisser aux États membres une marge d’appréciation quasi illimitée sur cette question.

205. Deuxièmement, laisser aux États membres toute liberté quant aux catégories de professionnels susceptibles de bénéficier d’une dispense serait source de distorsion au sein du marché intérieur. Effet, une application à « géométrie variable » de l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2011/16 pourrait inciter certains professionnels relevant de ces catégories à s’établir dans un État membre où la législation nationale les exonère de l’obligation de déclaration (donc sans risque de sanctions). Cela pourrait également conduire, si certains États membres étaient particulièrement libéraux en la matière, à la création de certains « régimes de protection » au sein de l’Union européenne pour les professionnels spécialisés dans les dispositifs fiscaux agressifs.

206. Troisièmement, reconnaître un champ d’application large à la dispense introduirait une différence entre, d’une part, le système de l’Union européenne et, d’autre part, i) le système envisagé dans les actes de l’OCDE y afférents, qui sont la source d’inspiration de la directive 2018/822 (131), puisque ces actes prévoient des exceptions aux règles de divulgation uniquement lorsqu’elles sont nécessaires pour protéger la confidentialité des communications entre les avocats et leurs clients (132), et ii) les trois systèmes de divulgation obligatoire qui existaient au niveau des États membres lorsque la directive 2018/822 a été proposée par la Commission et ensuite négociée au niveau du Conseil (à savoir en Irlande, au Portugal et au Royaume-Uni).

207. En effet, selon l’annexe 7 de l’analyse d’impact, qui décrit les principales caractéristiques des systèmes irlandais, portugais et du Royaume-Uni, l’exception à l’obligation de déclaration que prévoyaient ces trois systèmes était limitée aux avocats. Dans ce contexte, il est également intéressant de relever que le gouvernement belge et le Conseil ont affirmé durant l’audience que le système de déclaration qui était en place à l’époque au Royaume-Uni était l’un des principaux modèles de référence durant les négociations qui ont abouti à l’adoption de la directive 2018/822.

208. Quatrièmement, lors de l’audience, le Conseil a précisé que, au cours du processus législatif, il a été considéré qu’il fallait donner aux États membres une certaine marge de manœuvre quant à la portée de la dispense, afin de leur permettre de se conformer à la Charte et à la jurisprudence de la Cour EDH. Toutefois, je relève que ni la Charte ni la jurisprudence de la Cour EDH n’imposent d’étendre la protection du secret professionnel propre aux avocats à d’autres professions. Dès lors, bien que le Conseil n’ait pas pris formellement position sur l’interprétation à donner à l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2011/16, ses observations confortent l’idée que le législateur de l’Union a voulu adopter l’approche restrictive proposée par la Commission en ce qui concerne le champ d’application de la dispense.

209. Cinquièmement, une lecture restrictive de l’expression « secret professionnel » semble plus conforme au principe d’interprétation bien établi selon lequel les exceptions aux règles de l’Union d’application générale sont d’interprétation stricte (133). Cela me paraît d’autant plus approprié en l’espèce, que la dispense en cause affecte – ainsi qu’il a été indiqué aux points 166, 167 et 202 des présentes conclusions – un élément central du système mis en place par la directive 2018/822 : l’obligation faite aux intermédiaires. En tant que telle, une interprétation large de celle-ci risquerait d’affecter de manière significative la capacité de ce système à atteindre les objectifs poursuivis par le législateur de l’Union (134).

210. Une lecture large et souple du champ d’application personnel de la dispense semble aller à l’encontre de l’indication claire du Parlement européen qui, comme l’indique le considérant 4 de la directive 2018/822, « a plaidé en faveur de mesures plus strictes contre les intermédiaires qui participent à des dispositifs pouvant conduire à l’évasion et la fraude fiscales ».

211. Enfin, sixièmement, dans l’arrêt Orde van Vlaamse Balies, la Cour semble avoir indirectement conforté une lecture restrictive de la notion de « secret professionnel ».

212. Dans cet arrêt, la Cour a commencé son analyse en interprétant l’article 7 de la Charte à la lumière de la jurisprudence de la Cour EDH relative à l’article 8, paragraphe 1, de la CEDH, une disposition qui « protège la confidentialité de toute correspondance entre individus et accorde une protection renforcée aux échanges entre les avocats et leurs clients ». À l’instar de la disposition de la CEDH, l’article 7 de la Charte – selon la Cour – « recouvre non seulement l’activité de défense, mais également la consultation juridique [et] garantit nécessairement le secret de cette consultation juridique, et ce tant à l’égard de son contenu que de son existence ». Dès lors, la Cour a conclu que « hormis des situations exceptionnelles, [les clients] doivent pouvoir légitimement avoir confiance dans le fait que leur avocat ne divulguera à personne, sans leur accord, qu’elles le consultent » (135).

213. Après avoir précisé cela, la Cour a poursuivi en soulignant que la « protection spécifique » que l’article 7 de la Charte accorde au secret professionnel propre aux avocats « se justifie par le fait que les avocats se voient confier une mission fondamentale dans une société démocratique, à savoir la défense des justiciables [...] Cette mission fondamentale comporte, d’une part, l’exigence, dont l’importance est reconnue dans tous les États membres, que tout justiciable doit avoir la possibilité de s’adresser en toute liberté à son avocat, dont la profession même englobe, par essence, la tâche de donner, de façon indépendante, des avis juridiques à tous ceux qui en ont besoin et, d’autre part, celle, corrélative, de loyauté de l’avocat envers son client [...] » (136).

214. Selon moi, les raisons qui ont conduit la Cour à accorder une protection étendue, dans le cadre du système mis en place par la directive 2018/822, à la confidentialité des communications entre les avocats et leurs clients ne s’appliquent pas aux activités de professionnels (tels que les experts-comptables, les auditeurs et les conseillers fiscaux) qui ne participent pas à l’administration de la justice et dont, de ce fait, les communications avec leurs clients ne bénéficient, en vertu de l’article 7 de la Charte et de l’article 8 de la CEDH, d’aucune protection renforcée de leur confidentialité.

215.  Il résulte de ce qui précède que, selon moi, l’expression « secret professionnel » au sens de l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2011/16 doit être d’interprétation stricte et ne viser que les avocats.

216. Certes, on pourrait objecter qu’une telle interprétation peut ne pas se refléter pleinement dans certains termes utilisés dans cette disposition (« professions »), ni dans le renvoi aux législations nationales des États membres que fait cette disposition en ce qui concerne la détermination de la portée exacte de la protection.

217. Mais ces arguments ne sont pas convaincants.

218. Ainsi que l’a relevé la Commission lors de l’audience, dans certains systèmes nationaux, la définition de l’« avocat » englobe différents professionnels dont les communications avec leurs clients sont, en droit national, protégées par la confidentialité (137). Le système juridique irlandais, avec ses solicitors et ses barristers, en est un exemple évident. En outre, certains pays étendent la protection de la confidentialité aux activités des juristes d’entreprise, par principe, ou lorsque ces derniers sont inscrits au barreau. Enfin, et surtout, l’objet de la protection (le type de communications) et son étendue (par exemple, les éventuelles limites à la confidentialité ou les exceptions pour certains domaines du droit) peuvent également varier d’un État membre à l’autre (138)

219. En outre, certains systèmes nationaux prévoient des situations spécifiques dans lesquelles, à titre exceptionnel, des non‑avocats (tels que, par exemple, les professeurs d’université ou les experts-comptables fiscaux) sont traités de la même manière que les avocats et sont donc autorisés à fournir des conseils juridiques à des clients et à les représenter en justice. Dans ces circonstances (limitées), il me semble que ces professionnels peuvent également bénéficier d’une dispense au titre de l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2011/16.

220. Ces considérations peuvent donc expliquer le libellé de cette disposition.

221. À la lumière de ce qui précède, je considère que, en vertu de l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2018/822, les États membres ne peuvent accorder aux intermédiaires le droit à une dispense de l’obligation de transmettre des informations sur les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration que lorsque l’obligation de déclaration violerait le secret professionnel dont bénéficient, en vertu du droit national de cet État membre, les avocats et d’autres professionnels qui, dans des circonstances exceptionnelles, sont traités de la même manière que les avocats.

2.      La légalité de l’obligation de notification à d’autres intermédiaires

222. Si la Cour partage l’analyse exposée ci-dessus, il n’y aura pas lieu de traiter le second point soulevé par la juridiction de renvoi dans sa quatrième question préjudicielle. En revanche, si la Cour devait être en désaccord avec moi à cet égard et considérer que les États membres peuvent accorder des dispenses à des professionnels autres que les avocats, même dans des circonstances allant au-delà de celles qui ont été exposées, elle devra également examiner cette question.

223. Contrairement à la cinquième question, la quatrième question préjudicielle posée par la juridiction de renvoi porte sur un aspect spécifique du système instauré par la directive 2018/822, à savoir l’obligation, pour les intermédiaires (autres que les avocats) bénéficiant d’une dispense, de notifier à d’autres intermédiaires l’obligation de déclaration susceptible (139) de leur incomber au titre de l’article 8 bis ter de la directive 2011/16. La question qui est posée porte donc sur le point de savoir si cet aspect spécifique du système introduit par la directive 2018/822 crée une ingérence injustifiable dans le droit des intermédiaires, en vertu de l’article 7 de la Charte, de garder confidentiels leur identité et le fait qu’ils ont été consultés par le client.

224. J’estime qu’il convient de répondre à cette question par la négative.

225. Comme je l’ai indiqué aux points 132 à 134 des présentes conclusions, je ne doute pas que les règles introduites par la directive 2018/822 créent une ingérence dans les droits des intermédiaires protégés par l’article 7 de la Charte et, en particulier, dans le droit au respect de la confidentialité de leurs communications professionnelles (140). Toutefois, je suis également d’avis que cette ingérence est justifiée par les objectifs d’intérêt général de la réglementation en cause.

226. Ma conclusion est la même en ce qui concerne l’aspect spécifique visé dans la quatrième question préjudicielle. Comme expliqué aux points 211 à 213 des présentes conclusions, la protection renforcée que la Cour a reconnue à la confidentialité des communications entre les avocats et leurs clients dans l’arrêt Orde van Vlaamse Balies découle de la fonction spécifique que les avocats exercent en matière de conseil et de représentation des clients. Or, des professionnels tels que les experts-comptables, les auditeurs et les conseillers fiscaux n’exercent pas une telle fonction. Certains requérants au principal l’ont d’ailleurs admis.

227. Par conséquent, je ne suis pas convaincu par l’affirmation de l’ICFC selon laquelle, en vertu de l’article 7 de la Charte, ces professionnels devraient bénéficier du même niveau de protection de la confidentialité que celui reconnu aux avocats. Je trouve un soutien supplémentaire dans la jurisprudence de l’Union, de la Cour EDH et de la jurisprudence extra-européenne mentionnée au point 195 des présentes conclusions.

228. Cela ne veut bien évidemment pas dire que ces professionnels n’exercent pas des activités qui relèvent, de manière générale, également de l’intérêt général, ni que leurs relations avec les clients ne doivent pas, en principe, rester confidentielles. Cela signifie seulement que leurs fonctions sont d’une nature différente de celles des avocats et que leurs communications avec les clients n’exigent pas le niveau de confidentialité particulièrement élevé généralement reconnu aux communications entre avocats et clients (141).

229. En particulier, compte tenu de la complexité de la législation fiscale et des charges importantes que cette législation fait peser sur les entreprises, le fait qu’un contribuable ait consulté un comptable, un auditeur ou un conseiller fiscal n’est guère surprenant, ni même suspect. D’après mon expérience, il est en général considéré que ce type de consultations fait partie intégrante de la gestion d’une entreprise. Dès lors, le fait qu’un intermédiaire doive, dans certaines circonstances très spécifiques, révéler, à un autre intermédiaire, son implication dans les activités de planification fiscale d’un contribuable donné ne me paraît pas, pour les raisons exposées, créer une ingérence inacceptable dans les droits des intermédiaires découlant de l’article 7 de la Charte, y compris le droit de préserver la confidentialité des communications professionnelles.

230. Dès lors, je suis d’avis que le législateur de l’Union n’a pas commis d’erreur manifeste en essayant de trouver un équilibre entre le droit des intermédiaires (autres que les avocats) à la confidentialité de leurs communications et l’intérêt général de lutter contre la planification fiscale agressive et de prévenir les risques d’évasion et de fraude fiscales.

231. Par conséquent, selon moi, l’analyse de la quatrième question préjudicielle n’a fait apparaître aucun aspect du système mis en place par la directive 2018/822 qui serait susceptible de remettre en cause la légalité de cet instrument.

V.      Conclusion

232. En conclusion, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par la Cour constitutionnelle (Belgique) en ce sens l’examen de ces questions n’a révélé aucun problème affectant la validité de la directive (UE) 2018/822 du Conseil, du 25 mai 2018, modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Voir, notamment, le préambule de la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices de l’Organisation de coopération et de développement économiques (ci-après l’« OCDE »).


3      JO 2018, L 139, p. 1.


4      Définis comme des activités de planification fiscale qui « exploitent les lacunes des législations fiscales – c’est-à-dire qui respectent la lettre de la loi mais violent son esprit – afin de réduire ou d’éviter l’obligation fiscale » (traduction libre) (voir Service de recherche du Parlement européen, Measures tackling aggressive tax planning in the national recovery and resilience plans, 2023, p. 2).


5      Cette directive est également appelée « DAC6 », « DAC » signifiant « directive relative à la coopération administrative » (JO 2011, L 64, p. 1).


6      Dans les présentes conclusions, je ferai référence aux dispositions de la directive 2011/16 telle que modifiée (y compris par la directive 2018/822) et actuellement en vigueur.


7      Les notes en bas de page figurant dans le texte original sont omises.


8      Moniteur belge du 30 décembre 2019, p. 119025.


9      Voir, avec d’autres références, mes conclusions dans l’affaire Fastweb e.a. (Périodicités de facturation) (C‑468/20, EU:C:2022:996, point 80).


10      Voir, notamment, arrêt du 17 décembre 2020, Centraal Israëlitisch Consistorie van België e.a. (C‑336/19, EU:C:2020:1031, point 85 et jurisprudence citée).


11      Voir, notamment, arrêt du 10 février 2022, OE (Résidence habituelle d’un époux – Critère de nationalité) (C‑522/20, EU:C:2022:87, point 20 et jurisprudence citée).


12      Voir, en ce sens, arrêt du 7 mars 2017, RPO (C‑390/15, EU:C:2017:174, point 54 et jurisprudence citée).


13      Voir, notamment, arrêt du 10 février 2022, OE (Résidence habituelle d’un époux – Critère de nationalité) (C‑522/20, EU:C:2022:87, point 21). Plus généralement, sur ce sujet, voir mes conclusions dans l’affaire BCE/Crédit lyonnais (C‑389/21 P, EU:C:2022:844, points 41 à 74).


14      Voir également considérant 6 de la directive 2018/822 : « [l]a déclaration d’informations sur des dispositifs transfrontières de planification fiscale à caractère potentiellement agressif peut contribuer efficacement aux efforts déployés pour créer un environnement fiscal équitable dans le marché intérieur. » Mise en italiques par mes soins.


15      Voir considérants 1 et 2 de la directive 2011/16. Voir également considérant 2 de la directive 2018/822.


16      Cela est également confirmé par le Projet OCDE/G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, Règles de communication obligatoire d’informations, ACTION 12, Rapport final 2015 (ci-après le « rapport final de l’OCDE de 2015 »), dans lequel il est indiqué que les régimes de communication obligatoire d’informations, similaires à celui que le législateur de l’Union a mis en place en 2018, qui existaient à l’époque, avaient « une large portée et [pouvaient] englober l’ensemble le plus vaste possible de contribuables, de types d’impôts et de transactions » (point 26, mise en évidence par mes soins).


17      Le fait que la directive (UE) 2016/1164 du Conseil, du 12 juillet 2016, établissant des règles pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur (JO 2016, L 193, p. 1) (ci-après la « directive ATAD ») ait un champ d’application matériel plus restreint, limité à l’impôt sur les sociétés – un élément que certains requérants au principal ont souligné – est dépourvu de pertinence dans ce contexte. Ainsi qu’il est précisé au considérant 14 de la directive 2018/822, ces deux directives sont des instruments complémentaires mais distincts. Le législateur de l’Union n’était nullement tenu de prévoir un champ d’application matériel identique pour ces deux directives.


18      Tels que, par exemple, les marqueurs C.1 et D.


19      À cet égard, la BATL s’interroge sur la proportionnalité et la nécessité d’introduire une obligation de déclaration très étendue, étant donné que les documents accompagnant la proposition de directive ne comportaient aucune référence à des études macroéconomiques évaluant et/ou quantifiant l’effet positif allégué de l’obligation de déclaration sur les budgets nationaux en lien avec les divers impôts et taxes concernés. Cependant, cet argument passe à côté de l’essentiel : l’effet immédiat que recherche la directive 2018/822 est l’accroissement de la transparence. Il appartiendra aux États membres de décider, après avoir examiné les informations recueillies dans le cadre du système mis en place par la directive 2018/822, si, et comment, il convient de modifier leur système fiscal national afin d’augmenter les recettes fiscales. En tout état de cause, aussi longtemps que le choix du législateur de l’Union paraît a priori raisonnable, dans le cadre de la présente procédure, il incombait à la BATL d’apporter des éléments corroborant la thèse selon laquelle, compte tenu du peu d’importance des problèmes posés par des dispositifs portant sur des impôts autres que l’impôt sur les sociétés, l’obligation de déclaration, telle qu’elle est conçue, constitue une charge disproportionnée pour les personnes concernées ou qu’elle va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs de la directive 2018/822.


20      Document de travail de la Commission, analyse d’impact, SWD(2017) 236 final (ci-après l’« analyse d’impact »), section 7.2.


21      Voir, notamment, arrêt du 20 décembre 2017, Vaditrans (C‑102/16, EU:C:2017:1012, point 50).


22      Voir, également, considérant 15 de la directive 2018/822.


23      Voir, en ce sens, arrêt du 6 novembre 2003, Lindqvist (C‑101/01, EU:C:2003:596, points 83 à 88).


24      À cet égard, je n’ai guère besoin de rappeler que la Cour s’est inspirée, dans ses arrêts, de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH ») relative aux « critères Engel ». Voir Cour EDH, 8 juin 1976, Engel et autres c. Pays-Bas (CE:ECHR:1976:0608JUD000510071), et arrêt du 5 juin 2012, Bonda (C‑489/10, EU:C:2012:319, point 37).


25      Sur ce point, voir, avec d’autres références à la jurisprudence, mes conclusions dans l’affaire Nacionalinis visuomenės sveikatos centras (C‑683/21, EU:C:2023:376, point 74).


26      Voir, également, considérant 10 de la directive 2018/822 : « [...] en raison de l’incidence potentielle sur le fonctionnement du marché unique, il est possible de justifier la nécessité d’adopter un ensemble commun de règles au lieu de laisser aux États membres le soin de résoudre cette question au niveau national. »


27      Voir, par exemple, arrêt du 5 mai 2022, BV (C‑570/20, EU:C:2022:348, point 38 et jurisprudence citée).


28      Arrêt du 5 mai 2022, BV (C‑570/20, EU:C:2022:348, point 41 et jurisprudence citée).


29      En ce sens voir, arrêt du 5 mai 2022, BV (C‑570/20, EU:C:2022:348, point 42).


30      Voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2021, État luxembourgeois (Informations sur un groupe de contribuables) (C‑437/19, EU:C:2021:953, points 61 et 69 à 71).


31      Arrêt du 28 mars 2017, Rosneft (C‑72/15, EU:C:2017:236, point 164 et jurisprudence citée).


32      Arrêt du 5 mai 2022, BV (C‑570/20, EU:C:2022:348, point 43 et jurisprudence citée).


33      Tels que, par exemple, « arrangements » en anglais, « järjestelyjä » en finnois, « meccanismi » en italien », « ρυθμισεις » en grec, « Gestaltungen » en allemand, « modalitate » en roumain et « constructies » en néerlandais.


34      Mise en évidence par mes soins.


35      De nombreux documents émanant, par exemple, de l’OCDE et de l’International Ethics Standards Board for Accountants (IESBA) utilisent ce terme.


36      Mise en évidence par mes soins.


37      Voir article 3, point 18, deuxième alinéa, de la directive 2011/16 : « on entend également par dispositif une série de dispositifs. Un dispositif peut comporter plusieurs étapes ou parties. » Certains requérants au principal ont critiqué cette partie de la définition dont ils considèrent qu’elle manque de clarté. Toutefois, selon moi, son sens et sa finalité sont évidents. Certains dispositifs sont composés de différents éléments et impliquent des étapes différentes, qui font toutes partie d’un plan d’ensemble (voir, par exemple, les marqueurs B.3 et D.2). Ces éléments et étapes, même s’ils doivent faire l’objet d’une déclaration lorsqu’ils sont envisagés isolément, ne doivent pas être déclarés un par un, mais en une seule fois lorsque le plan d’ensemble est déclaré.


38      Voir, notamment, article 6 de la directive ATAD, et article 1er, paragraphes 2 et 3, de la directive 2011/96/UE du Conseil, du 30 novembre 2011, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents, dont les versions en langue anglaise utilisent, comme la directive 2011/16, le terme de « arrangements »


39      Voir point 36 des présentes conclusions.


40      Mise en évidence par mes soins.


41      Voir point 59 des présentes conclusions.


42      Il s’agit du cas où le dispositif peut avoir des conséquences sur l’échange automatique d’informations ou sur l’identification des bénéficiaires effectifs [article 3, point 18, sous e), de la directive 2011/16]. Cette dernière condition me semble constituer une clause anticontournement ou « filet de sécurité ». À première vue, on peut douter de sa clarté dans la mesure où elle semble exiger des intermédiaires et des contribuables qu’ils évaluent les éventuelles conséquences que l’absence de déclaration d’un dispositif donné peut avoir sur le bon fonctionnement du système mis en place par la directive 2018/822 ou sur la capacité des autorités à identifier les bénéficiaires effectifs. On pourrait faire valoir que ce n’est pas aux intermédiaires ni aux contribuables qu’il appartient de faire de telles évaluations. Toutefois, il convient de lire l’article 3, point 18, sous e), de la directive 2011/16 en combinaison avec l’annexe IV, section D (« marqueurs spécifiques concernant l’échange automatique d’informations et les bénéficiaires effectifs »). Selon moi, cette dernière section précise la portée et le sens de l’article 3, point 18, sous e), de la directive 2011/16.


43      Proposition de directive du Conseil modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration (COM/2017/0335 final).


44      Voir analyse d’impact, section 3.1.2.


45      Cela ressort expressément du considérant 6 de la directive 2018/822.


46      Cela découle, a fortiori, de l’article 3, point 21, deuxième alinéa, de la directive 2011/16.


47      Cela découle nécessairement de l’article 3, point 21, premier et deuxième alinéas, de la directive 2011/16.


48      Voir, à cet égard, article 8 bis ter, paragraphe 1, de la directive 2011/16.


49      Voir, à cet égard, article 3, point 21, troisième alinéa, de la directive 2011/16.


50      Voir, par exemple, OCDE, « Study into the Role of Tax Intermediaries », 2008. Un certain nombre de pays utilisent d’autres termes pour désigner une catégorie similaire de personnes, tels que « promoter » (promoteur) (par exemple le Canada, l’Afrique du Sud et le Royaume-Uni), et « advisor » ou « material advisor » (conseiller) (par exemple, le Canada et les États-Unis).


51      Par exemple, à la lumière des principes exposés ci-dessus, je dirais- en réponse à un argument avancé par l’OBFG – que des opérateurs tels qu’une banque qui ouvre un compte ou un notaire certifiant l’authenticité d’un contrat ne sont, en règle générale, pas des « intermédiaires » au sens de la directive 2011/16.


52      Article 3, point 15, et marqueurs de la catégorie C de l’annexe IV.


53      Article 3, point 16, et marqueurs de la catégorie E de l’annexe IV.


54      Voir, à titre d’exemple, l’article 2, point 4, de la directive ATAD ; l’article 4 de la convention relative à l’élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d’entreprises associées (90/463/CEE) (JO 1990, L 225, p. 10), telle que modifiée et actuellement en vigueur, et l’article 9 du modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune de l’OCDE.


55      Mise en évidence par mes soins.


56      Au moment où la Commission a réalisé l’analyse d’impact (voir section 2.2.3 de cette analyse), il existait un régime similaire de divulgation obligatoire en Irlande, au Portugal et au Royaume-Uni, ainsi qu’au Canada, en Inde, en Israël, en Afrique du Sud et aux États-Unis.


57      L’OBFG critique, notamment, les références de certains marqueurs à « une documentation et/ou [une] structure normalisées [qui ne doivent pas être] adapté[es] de façon importante » (A, 3) ; « dispositif [...] où il y a une différence importante dans le montant considéré comme étant payable » (C, 4) ; « il n’existe pas d’éléments de comparaison fiables », « des hypothèses [...] hautement incertaines » et « difficile de prévoir dans quelle mesure [cela] débouchera finalement sur un succès ». Mise en italiques par mes soins.


58      Voir, notamment, la jurisprudence mentionnée au point 23 des présentes conclusions.


59      Annexé à la proposition de directive du Conseil (voir note en bas de page 43 des présentes conclusions).


60      Voir point 11 des présentes conclusions.


61      Point 81 du rapport final de l’OCDE de 2015.


62      J’utilise ici une expression employée par la Commission dans sa recommandation du 6 décembre 2012 relative à la planification fiscale agressive [C (2012) 8806 final], considérant 2.


63      Voir, par exemple, le « critère de l’objet principal » utilisé dans la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices de l’OCDE (notamment son article 7). Cette convention compte 101 signataires et parties (au 23 septembre 2023).


64      Sur les « intermédiaires visés à l’article 3, point 21), deuxième alinéa », voir point 73 des présentes conclusions.


65      Voir considérant 7 de la directive 2018/822.


66      Tel que défini à l’article 3, point 21, deuxième alinéa, de la directive 2011/16.


67      Mise en évidence par mes soins.


68      Voir point 46 des présentes conclusions.


69      Il va de soi que les orientations des autorités fiscales ne fournissent pas l’interprétation « authentique » de la loi. Toutefois, le cas échéant, ces orientations peuvent être invoquées par des intermédiaires et des contribuables à l’encontre des autorités pour s’opposer à l’imposition de sanctions (par exemple, invoquer le principe de l’estoppel, la confiance légitime ou prouver l’absence d’intention, de connaissance ou de négligence dans le cadre d’une éventuelle violation de l’obligation de déclaration).


70      JO 2007, C 303, p. 17.


71      L’article 8, paragraphe 1, de la CEDH est presque identique à l’article 7 de la Charte. L’article 8, paragraphe 2, de la CEDH dispose : « [i]l ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».


72      Voir, notamment, Cour EDH, 16 décembre 1992, Niemietz c Allemagne (CE:ECHR:1992:1216JUD001371088, § 29 et 31).


73      Voir, notamment, arrêt du 22 octobre 2002, Roquette Frères (C‑94/00, EU:C:2002:603, point 29).


74      Voir, notamment, arrêt du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission (46/87 et 227/88, EU:C:1989:337, point 19).


75      Voir, notamment, arrêt du 8 avril 2014, Digital Rights Ireland e.a. (C‑293/12 et C‑594/12, EU:C:2014:238, points 33 et jurisprudence citée).


76      Voir arrêt du 18 juin 2020, Commission/Hongrie (Transparence associative) (C‑78/18, EU:C:2020:476, points 124 et 125).


77       Arrêt du 18 juin 2020, Commission/Hongrie (Transparence associative) (C‑78/18, EU:C:2020:476, point 128.


78      Voir, notamment, arrêt du 16 juillet 2020, Facebook Ireland et Schrems (C‑311/18, EU:C:2020:559, point 172 et jurisprudence citée).


79      Arrêt du 16 juillet 2020, Facebook Ireland et Schrems (C‑311/18, EU:C:2020:559, point 175.


80      Plus en détail, et avec d’autres références à la jurisprudence de la Cour et de la Cour EDH, conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans l’affaire Facebook Ireland et Schrems (C‑311/18, EU:C:2019:1145, points 263 et 265).


81      Voir arrêt du 8 décembre 2022, Orde van Vlaamse Balies e.a. (C‑694/20, EU:C:2022:963, point 35) (ci-après l’« arrêt Orde van Vlaamse Balies »).


82      Voir, en ce sens, Cour EDH, arrêt du 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding AS et autres c. Norvège (CE:ECHR:2013:0314JUD002411708, § 123 à 134), qui fait référence à l’article 8 de la CEDH.


83      Point 44 de l’arrêt.


84      Voir plus particulièrement article 3 TUE.


85      Voir, dans le même sens, conclusions de l’avocat général Tesauro dans l’affaire Hünermund e.a. (C‑292/92, non publiées, EU:C:1993:863, points 1 et 27), et de l’avocat général Geelhoed dans l’affaire Arnold André (C‑434/02, EU:C:2004:487, point 80).


86      Voir, à cet égard, arrêts du 14 décembre 2004, Swedish Match (C‑210/03, EU:C:2004:802, point 34), et du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035, points 48, 60 et 61).


87      Je n’ai guère besoin de relever que la directive 2018/822 ne prévoit aucune règle de fond à cet égard, et encore moins une interdiction de ces dispositifs.


88      Voir, en ce sens, avis 1/15 (Accord PNR UE-Canada), du 26 juillet 2017 (EU:C:2017:592, points 140 et 141 ainsi que jurisprudence citée).


89      Arrêt du 8 avril 2014, Digital Rights Ireland e.a. (C‑293/12 et C‑594/12, EU:C:2014:238, point 56).


90      Arrêt du 8 avril 2014, Digital Rights Ireland e.a. (C‑293/12 et C‑594/12, EU:C:2014:238, point 58).


91      Voir mon analyse de la quatrième question préjudicielle dans les présentes conclusions.


92      Voir, notamment, arrêt du 2 février 2021, Consob (C‑481/19, EU:C:2021:84, points 45 et 47 et jurisprudence citée).


93      Voir également l’article 8 bis ter, paragraphe 15, de la directive 2011/16 : « [l]e fait qu’une autorité fiscale ne réagit pas face à un dispositif devant faire l’objet d’une déclaration ne vaut pas approbation de la validité ou du traitement fiscal de ce dispositif. »


94      Voir, en ce sens, arrêts du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas (C‑196/04, EU:C:2006:544, points 36 et 37), ainsi que du 26 février 2019, N Luxembourg 1 e.a. (C‑115/16, C‑118/16, C‑119/16 et C‑299/16, EU:C:2019:134, point 109).


95      Ancien chancelier de l’échiquier du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (de 1974 à 1979).


96      Par exemple, les personnes physiques peuvent être tenues d’envoyer des informations concernant les événements relatifs à leur état civil.


97      Par exemple, les personnes physiques et morales peuvent être tenues d’envoyer des informations très détaillées aux autorités compétentes pour être autorisées à ouvrir un cabinet médical ou de dentisterie, à fournir des aliments au public ou à exercer la profession d’avocat.


98      Voir, par exemple, les règles détaillées concernant les informations à produire avant qu’un transport de matières radioactives ait lieu (directive 2006/117/Euratom du Conseil, du 20 novembre 2006, relative à la surveillance et au contrôle des transferts de déchets radioactifs et de combustible usé, JO 2006, L 337, p. 21).


99      En effet, certains marqueurs déclenchent l’obligation de déclaration même si le critère de l’avantage principal n’est pas rempli (voir annexe IV, partie I, de la directive 2011/16).


100      Considérant 9 de la directive 2018/822.


101      C‑694/20, EU:C:2022:259, point 20. Voir également les sections 3.1.2, 7.1 et 9.1 de l’analyse d’impact ainsi que la section 1 de l’exposé des motifs.


102      Voir point 9 des présentes conclusions.


103      Voir arrêt du 8 avril 2014, Digital Rights Ireland e.a. (C‑293/12 et C‑594/12, EU:C:2014:238, point 27).


104      Le « réseau CCN » qui est la plate-forme commune fondée sur le réseau commun de communication (CCN), mise au point par l’Union pour assurer toutes les transmissions par voie électronique entre autorités compétentes dans les domaines douanier et fiscal. Voir article 3, point 13, et article 21, paragraphe 1, de la directive 2011/16 ainsi que le considérant 12 de la directive 2018/822.


105      Voir article 3, point 1, article 4 et article 8 bis ter, paragraphes 1 et 6, de la directive 2011/16.


106      Elle n’a notamment pas accès aux données à caractère personnel des contribuables et des intermédiaires ni à la description des dispositifs devant faire l’objet d’une déclaration.


107      Voir article 8 bis ter, paragraphe 17 et article 21, paragraphes 5 et 7, de la directive 2011/16 ainsi que le considérant 6 de la directive 2018/822.


108      Cela découle, a fortiori, de l’article 23 (plus précisément de son paragraphe 3) ainsi que de l’article 23 bis de la directive 2011/16. Voir, toutefois, l’exception prévue à l’article 24 de cette directive.


109      Voir en particulier article 21, paragraphe 2, troisième alinéa, et paragraphe 7, de la directive 2011/16.


110      Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (JO 2016, L 119, p. 1).


111      Règlement (UE) 2018/1725 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2018, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions, organes et organismes de l’Union et à la libre circulation de ces données, et abrogeant le règlement (CE) no 45/2001 et la décision no 1247/2002/CE (JO 2018, L 295, p. 39).


112      Voir, par exemple, Nations Unies, Department of Economic and Social Affairs, « World Social Report 2020 ».


113      Voir, notamment, considérant 13 du règlement 2018/822.


114      Voir article 8 bis ter, paragraphe 14, sous c), de la directive 2011/16.


115       Voir article 8 bis ter, paragraphes, 3, 4, 9 et 10, de la directive 2011/16.


116      Voir article 8 bis ter, paragraphe 2, de la directive 2011/16.


117      L’OBFG fait référence, en particulier, à la directive (UE) 2015/2376 du Conseil, du 8 décembre 2015, modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal (JO 2015, L 332, p. 1) (« DAC 3 »), et à la directive (UE) 2016/2258 du Conseil, du 6 décembre 2016, modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’accès des autorités fiscales aux informations relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux (JO 2016, L 342, p. 1) (« DAC 5 »).


118      Voir notes en bas de page 17 et 118 des présentes conclusions.


119      Voir, par analogie et avec d’autres références jurisprudentielles, conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Buzzi Unicem/Commission (C‑267/14 P, non publiées, EU:C:2015:696, points 97 à 117).


120      Tels que, par exemple, « secreto profesional » (en espagnol), « zákonné profesní mlčenlivosti » (en tchèque), « Verschwiegenheitspflicht » (en allemand), « secret professionnel » (en français), « profesionalne tajne » (en croate), « segreto professionale » (en italien), « verschoningsrecht » (en néerlandais), « profesinė paslaptis » (en lituanien) et « yrkesmässiga privilegierna » (en suédois).


121      Voir point 7.1.3. de l’analyse d’impact et points 3.3. et 3.4. de son annexe 2.


122      Voir, notamment, arrêt du 18 mai 1982, AM & S Europe/Commission (155/79, EU:C:1982:157, points 18 à 28).


123      Voir, notamment, Cour EDH, arrêt du 4 février 2020, Kruglov c Russie (CE:ECHR:2020:0204JUD001126404, § 137).


124      Par exemple, la raison d’être du secret professionnel propre aux avocats (en droit américain, le « client-attorney privilege ») est, selon la Supreme Court (Cour suprême des États-Unis), « d’encourager la communication complète et franche entre les avocats et leurs clients et ainsi de promouvoir des intérêts publics plus larges dans le respect du droit et de l’administration de la justice » (voir, notamment, avis du 25 juin 1998, Swidler & Berlin v. United States, 524 U.S. 399, 1998, p. 403).


125      Voir, notamment, Federal Court of Appeal (Cour d’appel fédérale, Canada), arrêt du 24 juin 2003, Tower v. MNR (2003), 310 N.R. 280 (FCA) ; Supreme Court (Cour suprême, Royaume-Uni) arrêt R (on the application of Prudential plc and another) v. Special Commissioner of Income Tax and another (2013) UKSC 1 ; Court of Appeal (cour d’appel, Hong Kong) arrêt du 29 juin 2015, Super Worth International Ltd & Ors v Commissioner of the ICAC & another (CACV 168/2015), et Federal Court (Cour fédérale, Australie), arrêt du 25 mars 2022, Commissioner of Taxation v PricewaterhouseCoopers & Ors (2022) FCA 278.


126      Conclusions de l’avocat général Poiares Maduro dans l’affaire Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. (C‑305/05, EU:C:2006:788, point 36) (mise en évidence par mes soins).


127      Voir, notamment, Union internationale des Avocats, International Report on Professional Secrecy and Legal Privilege, novembre 2019, p. 7 ; et Kameoka, E., Legal Professional Privilege in EU Competition Investigations, Edward Elgar, 2023, p. 29 à 33.


128      Conclusions dans l’affaire Orde van Vlaamse Balies e.a. (C‑694/20, EU:C:2022:259, point 21).


129      Conclusions dans l’affaire Orde van Vlaamse Balies e.a. (C‑694/20, EU:C:2022:259, point 20). Voir également considérants 6 et 8 de la directive 2018/822.


130      L’article 8 bis ter, paragraphe 5, second alinéa, de la directive 2011/16 se borne à indiquer que « [l]es intermédiaires ne peuvent avoir droit à une dispense [...] que dans la mesure où ils agissent dans les limites de la législation nationale pertinente qui définit leurs professions ».


131      Voir considérants 4 et 13 de la directive 2018/822.


132      Voir, en particulier, la règle 2.4 du modèle de règles afférentes à la déclaration obligatoire d’informations relatives aux dispositifs de contournement de la NCD et aux structures extraterritoriales opaques, de l’OCDE, p. 20 : « [u]n Intermédiaire ne déclare pas les informations [...] lorsque leur déclaration n’est pas permise en vertu de règles de secret professionnel prévues par le droit interne, mais cette dispense ne s’applique que dans la mesure où la déclaration supposerait de dévoiler le contenu d’échanges confidentiels entre un avocat ou [un autre] représentant légal agréé et un Client ». Voir également, OCDE, commentaire sur l’article 26 concernant l’échange d’informations (point 19.4), Modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune 2017.


133      Voir, notamment, arrêt du 27 avril 2023, Fluvius Antwerpen (C‑677/21, EU:C:2023:348, point 54 et jurisprudence citée).


134      Voir, par analogie, arrêt du 7 septembre 2023, Charles Taylor Adjusting (C‑590/21, EU:C:2023:633, point 32).


135      Arrêt Orde van Vlaamse Balies, point 27 (mise en évidence par mes soins).


136      Arrêt Orde van Vlaamse Balies, point 28 (mise en évidence par mes soins).


137      Pour un bon aperçu, voir les catégories de professions juridiques énumérées, par État membre, sur le portail européen e-Justice (e-justice.europa.eu).


138      Pour un aperçu des différents régimes en Europe, voir John Fish, « Regulated legal professionals and professional privilege within the European Union, the European Economic Area and Switzerland, and certain other European jurisdictions », Conseil des barreaux européens (CCBE), 2004.


139      C’est-à-dire, sauf si ces intermédiaires peuvent également, en vertu du droit national, bénéficier d’une dispense conformément à l’article 8 bis ter de la directive 2011/16.


140      Ainsi qu’il ressort de l’arrêt Orde van Vlaamse Balies, précité (point 27), l’article 7 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il « protège la confidentialité de toute correspondance entre individus ».


141      Voir également points 212, 214 et 226 des présentes conclusions.