Language of document : ECLI:EU:C:2000:500

ARRÊT DE LA COUR

26 septembre 2000 (1)

«Manquement d'État - Libre circulation des marchandises - Procédures de retenue en douane - Marchandises en transit - Droit de propriété industrielle - Pièces détachées pour la réparation d'automobiles»

Dans l'affaire C-23/99,

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. R. B. Wainwright, conseiller juridique principal, et O. Couvert-Castéra, fonctionnaire national mis à la disposition du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du même service, Centre Wagner, Kirchberg,

partie requérante,

contre

République française, représentée par Mmes K. Rispal-Bellanger, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et R. Loosli-Surrans, chargé de mission à la même direction, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade de France, 8 B, boulevard Joseph II,

partie défenderesse,

ayant pour objet de faire constater que, en mettant en oeuvre, sur le fondement du code de la propriété intellectuelle, des procédures de retenue par les autorités douanières dirigées contre des marchandises légalement fabriquées dans un État membre de la Communauté européenne et destinées, après avoir transité par le territoire français, à être mises sur le marché d'un autre État membre, où elles peuvent être légalement commercialisées, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CE (devenu, après modification, article 28 CE),

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, J. C. Moitinho de Almeida et L. Sevón, présidents de chambre, P. J. G. Kapteyn, J.-P. Puissochet, P. Jann, H. Ragnemalm (rapporteur), M. Wathelet et V. Skouris, juges,

avocat général: M. J. Mischo,


greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 15 février 2000, au cours de laquelle la Commission a été représentée par M. R. Tricot, membre du service juridique, en qualité d'agent, et le gouvernement français par Mme R. Loosli-Surrans,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 13 avril 2000,

rend le présent

Arrêt

1.
    Par requête déposée au greffe de la Cour le 2 février 1999, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE), un recours visant à faire constater que, en mettant en oeuvre, sur le fondement du code de la propriété intellectuelle, des procédures deretenue par les autorités douanières dirigées contre des marchandises légalement fabriquées dans un État membre de la Communauté européenne et destinées, après avoir transité par le territoire français, à être mises sur le marché d'un autre État membre, où elles peuvent être légalement commercialisées, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CE (devenu, après modification, article 28 CE).

La réglementation communautaire

2.
    L'article 36 du traité CE (devenu, après modification, article 30 CE) prévoit que les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises énoncées aux «articles 30 à 34 inclus ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d'importation, d'exportation ou de transit, justifiées par des raisons ... de protection de la propriété industrielle et commerciale. Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres».

3.
    Dans le domaine de la propriété industrielle relative aux dessins ou modèles, le règlement (CE) n° 3295/94 du Conseil, du 22 décembre 1994, fixant des mesures en vue d'interdire la mise en libre pratique, l'exportation, la réexportation et le placement sous un régime suspensif des marchandises de contrefaçon et des marchandises pirates (JO L 341, p. 8), ne vise pas les marchandises de contrefaçon fabriquées ou mises sur le marché dans la Communauté, mais seulement celles en provenance de pays tiers.

4.
    La directive 98/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 1998 (JO L 289, p. 28), traite de la protection juridique des dessins ou modèles sans procéder à une harmonisation complète des législations des États membres dans ce domaine. La date limite de transposition est fixée au 28 octobre 2001.

5.
    L'article 14 de la directive 98/71, intitulé «Disposition transitoire», prévoit:

«Jusqu'à la date d'adoption des modifications apportées à la présente directive, sur proposition de la Commission, conformément aux dispositions de l'article 18, les États membres maintiennent en vigueur leurs dispositions juridiques existantes relatives à l'utilisation du dessin ou modèle d'une pièce utilisée dans le but de permettre la réparation d'un produit complexe en vue de lui rendre son apparence initiale et n'introduisent des modifications à ces dispositions que si l'objectif en est de libéraliser le marché de ces pièces.»

6.
    Aux termes du vingtième considérant de la directive 98/71, il est précisé que «... la disposition transitoire contenue à l'article 14 concernant le dessin ou modèle d'une pièce utilisée dans le but de permettre la réparation d'un produit complexe en vue de lui rendre son apparence initiale ne doit en aucun cas être interprétée comme constituant un obstacle à la libre circulation d'un produit qui constitue cette pièce».

7.
    S'agissant des mesures faisant obstacle à la libre circulation des marchandises, la décision n° 3052/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 1995, établissant une procédure d'information mutuelle sur les mesures nationales dérogeant au principe de libre circulation des marchandises à l'intérieur de la Communauté (JO L 321, p. 1), dans son article 1er, vise notamment les mesures qui ont pour effet direct ou indirect une interdiction générale ou un refus d'autorisation de mise sur le marché.

La réglementation française

8.
    Le code de la propriété intellectuelle, dans ses articles L. 335-10, L. 521-7 et L. 716-8, applicables respectivement au droit d'auteur et droits voisins, aux dessins et aux modèles déposés, ainsi qu'au droit de marque, prévoit un mécanisme de retenue par les autorités douanières de marchandises présumées de contrefaçon. L'administration des douanes peut, sur demande écrite du titulaire du droit protégé, retenir, à l'occasion de ses contrôles, les marchandises que ce dernier prétend être de contrefaçon. La mesure de retenue est levée de plein droit à défaut pour le demandeur, dans le délai de dix jours ouvrables à compter de la notification de la retenue des marchandises, de justifier auprès des services douaniers de la saisine des juridictions compétentes.

9.
    La vente, la fabrication, l'importation et la détention de marchandises de contrefaçon sur le territoire national constituent des délits pénaux qui sont définis aux articles L. 335-2 (droit d'auteur), L. 521-4 (dessins et modèles) et L. 716-9 (droit de marque) du code de la propriété intellectuelle.

10.
    La Cour de cassation a rendu plusieurs arrêts relatifs au délit de contrefaçon dans des cas où les marchandises de contrefaçon ne faisaient que transiter par le territoire français. Dans un arrêt de la chambre criminelle, du 26 avril 1990, Asin Crespo Ricardo e.a. contre Ministère public (Bulletin de la Cour de cassation, 1990, n° 160), concernant des pièces détachées de véhicules automobiles, elle a jugé qu'une marchandise qui ne fait que circuler sur le territoire français porte atteinte au droit du propriétaire d'une marque ou d'un modèle. Cette jurisprudence est appliquée même si la marchandise a été légalement fabriquée dans un État membre en vue d'être commercialisée, également de manière licite, dans un autre État membre.

Les faits et la procédure précontentieuse

11.
    L'European Automobile Panel Association a porté plainte auprès de la Commission au motif que les autorités douanières françaises procèdent, à la frontière avec l'Espagne, à la retenue de pièces détachées de véhicules automobiles, fabriquées dans cet État membre et destinées à être mises sur le marché dans un autre État membre où leur commercialisation est permise, après qu'elles ont transité par la France.

12.
    Les autorités douanières françaises considéreraient que les pièces détachées en cause, destinées à des véhicules automobiles de marque française, constituent, en vertu du droit français, des produits de contrefaçon portant atteinte à des droits protégés par le code de la propriété intellectuelle, au titre de la protection des dessins ou modèles déposés et du droit d'auteur. Ces autorités retiendraient en douane les marchandises présumées de contrefaçon pour permettre aux titulaires des droits protégés d'effectuer les démarches nécessaires à la protection de leurs droits dans les délais impartis.

13.
    Les agents de la direction générale des douanes et droits indirects du ministère de l'Économie, des Finances et du Budget ont dressé, en particulier, deux procès-verbaux, datés respectivement des 16 janvier et 26 février 1997, concernant des pièces détachées de véhicules automobiles de marque française fabriquées par des sociétés espagnoles et achetées par des sociétés italiennes.

14.
    Par lettre du 13 mai 1997, la Commission a informé les autorités françaises que la retenue en douane des pièces détachées est susceptible de constituer une entrave à la libre circulation des marchandises, contraire à l'article 30 du traité, dès lors que ces pièces ne sont pas destinées à être commercialisées sur le territoire français et qu'elles sont légalement produites en Espagne et commercialisées en Italie de manière tout aussi légale.

15.
    Par lettre du 2 juin 1997, les autorités françaises ont répondu, tout d'abord, que les pièces détachées de contrefaçon en cause constituent un risque pour la sécurité des usagers en raison de leur qualité douteuse, ensuite, que les contrôles effectués par les autorités douanières avant la mise sur le marché de marchandises soupçonnées de contrefaçon sont conformes au principe de proportionnalité puisqu'ils sont indispensables aux fins d'une protection efficace de l'un des objectifs mentionnés à l'article 36 du traité et, enfin, que la lutte contre la contrefaçon contribue à la défense des intérêts des industries innovantes et à la loyauté de la concurrence dans le marché commun.

16.
    Estimant cette réponse non satisfaisante, la Commission a, le 3 décembre 1997, notifié à la République française une lettre de mise en demeure l'invitant à formuler ses observations dans un délai de deux mois. Dans celle-ci, la Commission précise que les contrôles et retenues en cause sont, selon elle, contraires aux articles 30 ainsi que 36 du traité et qu'ils pourraient également être contraires à l'article 7 A, second alinéa, du traité CE (devenu, après modification, article 14, paragraphe 2, CE).

17.
    Dans sa réponse du 13 février 1998, la République française a maintenu son argumentation précédente en faisant valoir, en particulier, que, selon l'arrêt de la Cour de cassation Asin Crespo Ricardo e.a. contre Ministère public, précité, les règles communautaires ne s'opposent pas à l'application d'une législation nationale permettant la retenue de marchandises de contrefaçon circulant sur le territoirefrançais. Elle a précisé que les contrôles de l'administration des douanes sont effectués sur l'ensemble du territoire national, donc également dans la zone frontalière, mais qu'en aucun cas le fait générateur de ces contrôles n'est le franchissement de la frontière.

18.
    Par lettre du 24 juillet 1998, la Commission a adressé un avis motivé à la République française, dans lequel elle a réitéré sa position quant à la nature de la retenue opérée par les autorités douanières de cet État membre et invité ce dernier à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à la réglementation communautaire dans un délai de deux mois à compter de la notification dudit avis.

19.
    En réponse à cet avis motivé, les autorités françaises ont fait valoir, par une note du 29 septembre 1998, que la retenue de marchandises a pour objet de protéger la propriété industrielle et commerciale au sens de l'article 36 du traité et que la législation française respecte pleinement les conséquences que la Cour tire du principe de territorialité de la loi nationale.

20.
    Eu égard à cette réponse et constatant que la République française n'avait pas adopté les mesures requises pour se conformer à l'avis motivé, la Commission a introduit le présent recours.

Le manquement allégué et l'appréciation de la Cour

21.
    La Commission considère que la retenue de pièces détachées pratiquée par les autorités douanières françaises constitue une restriction à la libre circulation des marchandises contraire à l'article 30 du traité.

22.
    À cet égard, il y a lieu de relever que la réglementation française permet aux autorités douanières nationales, sur la demande du titulaire du droit portant sur des dessins ou modèles de pièces détachées de véhicules automobiles, de retenir des pièces détachées, présumées être des marchandises de contrefaçon, pendant une période de dix jours, au cours de laquelle il est loisible au demandeur de saisir les juridictions nationales compétentes. Force est de constater qu'une telle retenue, qui retarde la circulation des marchandises et peut aboutir à leur blocage complet, si la juridiction compétente en prononce la confiscation, a pour effet de restreindre la libre circulation des marchandises.

23.
    Cette constatation ne saurait être remise en cause par l'argument du gouvernement français selon lequel la procédure de retenue ne restreint pas les échanges entre les États membres dès lors qu'elle ne s'applique pas seulement à l'entrée des marchandises sur le territoire français, mais peut être engagée à l'encontre de pièces détachées se trouvant sur tout point de celui-ci. En effet, en raison du fait que la retenue s'applique notamment aux marchandises en provenance ou à destination d'autres États membres, elle a un effet restrictif sur le commerce entre les États membres et constitue en principe une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation, contraire à l'article 30 du traité.

24.
    Il y a lieu, dès lors, d'examiner si cette mesure peut être justifiée.

25.
    Avant de tenter de justifier la procédure de retenue en cause sur le fondement de l'article 36 du traité, le gouvernement français soutient que la législation française en matière de retenue en douane est conforme à différents textes de droit dérivé, à savoir la décision n° 3052/95, le règlement n° 3295/94 et l'article 14 de la directive 98/71.

26.
    Le gouvernement français fait valoir, tout d'abord, que les États membres ont gardé l'essentiel de leurs prérogatives en matière de contrôle des marchandises circulant sur leur territoire et il invoque à cet effet la décision n° 3052/95, qui établit une procédure d'information mutuelle sur les mesures nationales dérogeant au principe de la libre circulation des marchandises. Il soutient qu'il est difficilement concevable que des mesures susceptibles d'être prises puis notifiées au titre de cette décision, telles que la retenue en douane dont il s'agit en l'espèce, puissent être, en elles-mêmes, constitutives de violations du droit communautaire.

27.
    À cet égard, il suffit de constater que, conformément à son cinquième considérant, la décision n° 3052/95 vise essentiellement à permettre de mieux connaître la mise en oeuvre de la libre circulation des marchandises dans les secteurs non harmonisés et à identifier les problèmes rencontrés en vue d'y apporter des solutions adaptées. Elle n'a pas pour objet de définir le type de mesures compatibles avec les règles du traité relatives à la libre circulation des marchandises. Le fait qu'une procédure de retenue en douane relève du type de mesures mentionnées dans la décision n° 3052/95 ne saurait donc, en aucun cas, avoir pour effet de rendre une telle procédure compatible avec les règles du traité.

28.
    Le gouvernement français soutient, ensuite, que, en vertu du règlement n° 3295/94, le titulaire d'un droit relatif au dessin ou modèle peut présenter une demande écrite auprès des autorités douanières afin qu'elles interviennent lorsque des marchandises de contrefaçon en provenance de pays tiers sont déclarées pour la mise en libre pratique, l'exportation ou la réexportation, ou encore sont découvertes à l'occasion d'un contrôle.

29.
    Il admet que le règlement n° 3295/94 ne concerne pas le commerce intracommunautaire, mais fait valoir que la protection qu'il offre lors de l'entrée de marchandises de contrefaçon en provenance de pays tiers peut être annihilée si celles-ci sont, dans un premier temps, mises en libre pratique dans un État membre, tel que le royaume d'Espagne, leur conférant ainsi la qualité de marchandises communautaires, et qu'elles peuvent, dans un second temps, transiter sans obstacle par un autre État membre. En effet, il suffirait que des États membres mettent les marchandises en libre pratique sur leur territoire pour qu'elles ne puissent plus être interceptées par un autre État membre, plus soucieux de la protection industrielle et commerciale, lorsque le territoire de ce dernier n'est utilisé que comme un simple lieu de passage. Une telle pratique aboutirait à viderle règlement n° 3295/94 de sa substance ou, à tout le moins, à limiter considérablement son objectif.

30.
    Selon la Commission, le règlement n° 3295/94 n'est pas pertinent en l'espèce dans la mesure où il concerne uniquement les échanges avec les pays tiers. En outre, elle fait valoir que, s'il est exact que le règlement offre d'importantes possibilités de contrôle pour lutter contre l'importation dans les États membres de marchandises de contrefaçon en provenance de pays tiers, alors que des possibilités identiques n'existent pas pour les marchandises communautaires, cela est dû au fait que ces dernières bénéficient du principe de la libre circulation consacré par le traité.

31.
    À cet égard, il y a lieu de relever que des considérations tenant à l'effet utile du règlement n° 3295/94 ne sauraient justifier une violation des règles du traité relatives à la libre circulation des marchandises à l'intérieur de la Communauté.

32.
    Le gouvernement français soutient, enfin, que la législation française est compatible avec l'article 14 de la directive 98/71. Il fait valoir que, en l'absence d'harmonisation en matière de protection des dessins ou modèles, les États membres peuvent maintenir leurs dispositions juridiques existantes dans ce domaine. Il s'ensuivrait que la réglementation française visant à protéger le droit en question, y compris lors du transit de pièces détachées, serait permise par ledit article.

33.
    Il importe, toutefois, de rappeler que, si l'article 14 de la directive 98/71 autorise les États membres à maintenir en vigueur leur législation relative à la protection des dessins ou modèles de pièces détachées visée par cet article, cette possibilité n'existe que pour autant que la législation nationale est compatible avec les règles du traité. L'article 14 de ladite directive ne saurait avoir pour effet de valider toutes les dispositions nationales en matière de protection des droits concernés. En effet, ainsi que le vingtième considérant de la directive 98/71 le précise, la législation nationale doit, en tout état de cause, respecter les règles du traité relatives à la libre circulation des marchandises.

34.
    Il convient dès lors d'examiner si l'entrave à la libre circulation des marchandises occasionnée par la procédure de retenue en douane peut être justifiée, ainsi que le soutient le gouvernement français, par la nécessité d'assurer la protection de la propriété industrielle et commerciale visée à l'article 36 du traité.

35.
    Selon la Commission, la protection de la propriété industrielle et commerciale ne justifie pas la retenue en douane pratiquée sur des marchandises communautaires en transit, qui bénéficient du principe de la libre circulation, dans la mesure où le simple transit ne porte pas atteinte à l'objet spécifique du droit protégé.

36.
    Le gouvernement français considère, au contraire, que les mesures de retenue demandées par le titulaire d'un droit sur un dessin ou modèle, en tant qu'elles visent à faire respecter son droit exclusif, appartiennent à l'objet spécifique de ce droit tel qu'il est reconnu par la réglementation communautaire. Il fait valoir que,en France, les pièces détachées sont protégées par le droit sur les dessins ou modèles et que toute pièce fabriquée, mise dans le commerce sans le consentement du titulaire dudit droit et se trouvant sur le territoire français, qu'elle soit destinée à l'importation, à l'exportation ou en transit, constitue une contrefaçon, en sorte qu'il est justifié que les autorités douanières interviennent en retenant la marchandise.

37.
    Afin de répondre à la question de savoir si la retenue en douane de marchandises en transit, telle qu'elle est prévue dans la législation française, est justifiée par l'exception mentionnée à l'article 36 du traité relative à la propriété industrielle et commerciale, il y a lieu de tenir compte de l'objectif de cette exception, à savoir la conciliation entre les exigences de la libre circulation des marchandises et le droit de la propriété industrielle et commerciale, en évitant le maintien ou l'établissement de cloisonnements artificiels à l'intérieur du marché commun. L'article 36 n'admet des dérogations au principe fondamental de la libre circulation des marchandises dans le marché commun que dans la mesure où ces dérogations sont justifiées par la sauvegarde des droits qui constituent l'objet spécifique de cette propriété (voir, notamment, arrêts du 17 octobre 1990, Hag GF, C-10/89, Rec. p. I-3711, point 12, et du 22 septembre 1998, FDV, C-61/97, Rec. p. I-5171, point 13).

38.
    En matière de droits sur les dessins ou modèles, certaines restrictions à la libre circulation des marchandises ont été admises sur le fondement de l'article 36 du traité, lorsqu'elles visaient à protéger l'objet spécifique du droit de propriété industrielle et commerciale (voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 1988, CICRA et Maxicar, 53/87, Rec. p. 6039, point 11).

39.
    Il résulte de la jurisprudence de la Cour que la faculté pour le titulaire d'un modèle protégé d'empêcher des tiers de fabriquer et de vendre ou d'importer, sans son consentement, des produits incorporant le modèle relève de l'objet spécifique de son droit (voir, notamment, arrêt du 5 octobre 1988, Volvo, 238/87, Rec. p. 6211, point 8).

40.
    Il y a donc lieu de vérifier si la faculté pour le titulaire d'un modèle protégé de pièces détachées d'empêcher des tiers de faire transiter, sans son consentement, des produits incorporant ledit modèle fait également partie de l'objet spécifique de son droit.

41.
    Le gouvernement français fait valoir que la retenue en douane s'insère dans l'objet spécifique du droit sur les dessins ou modèles, à savoir le droit exclusif du titulaire de commercialiser le premier un produit revêtant une apparence déterminée. Ledit gouvernement considère, en s'appuyant sur la jurisprudence de la Cour et notamment sur l'arrêt du 22 juin 1994, IHT Internationale Heiztechnik et Danziger (C-9/93, Rec. p. I-2789), que, en mettant leurs produits en circulation pour la première fois sur le territoire français, par le biais du transit, sans le consentementdu titulaire du droit exclusif, les fabricants de copies de pièces détachées protégées méconnaissent ce droit exclusif.

42.
    À cet égard, il convient de relever que la fabrication, la vente et l'importation impliquent une utilisation par le tiers de l'apparence du produit que le droit sur les dessins ou modèles vise à protéger. L'autorisation donnée à un tiers de fabriquer ou de commercialiser des pièces identiques et, par conséquent, d'utiliser l'apparence du modèle original donnera ainsi normalement lieu au paiement de redevances au titulaire du droit.

43.
    En revanche, le transit intracommunautaire consiste à transporter des marchandises d'un État membre à un autre en traversant le territoire d'un ou de plusieurs États membres et n'implique aucune utilisation de l'apparence du modèle ou dessin protégé. Ainsi que le relève M. l'avocat général au point 84 de ses conclusions, il ne donne d'ailleurs pas lieu au paiement de redevances lorsque le transport est effectué par une tierce personne avec l'autorisation du titulaire du droit. Le transit intracommunautaire ne relève donc pas de l'objet spécifique du droit de propriété industrielle et commerciale sur les dessins ou modèles.

44.
    La mise en circulation dont il est question dans la jurisprudence sur laquelle le gouvernement français s'appuie et mentionnée au point 41 n'est donc pas le simple transport physique des marchandises, mais elle consiste en la mise sur le marché, c'est-à-dire la commercialisation de celles-ci. Or, en l'espèce, le produit est commercialisé non pas sur le territoire français, où il ne fait que transiter, mais dans un autre État membre, où le produit n'est pas protégé et peut donc être licitement vendu.

45.
    La fabrication et la commercialisation du produit étant licites dans les États membres où ces opérations se déroulent et le transit ne relevant pas de l'objet spécifique du droit sur le dessin ou modèle dans l'État membre où s'effectue le transit, force est de considérer que l'entrave à la libre circulation des marchandises causée par la retenue en douane du produit dans ce dernier État afin d'empêcher son transit n'est pas justifiée par des raisons de protection de la propriété industrielle et commerciale.

46.
    Le gouvernement français fait valoir en outre que la retenue en douane limitée à dix jours est nécessaire, en tout état de cause, afin de s'assurer que les marchandises sont bien fabriquées dans un autre État membre que la République française et destinées également à un autre État membre.

47.
    À cet égard, il y a lieu de relever qu'il ressort du dossier et des observations présentées par le gouvernement français au cours de l'audience que les dix jours de retenue en douane n'ont pas pour principal objet d'identifier les États membres d'origine et de destination des marchandises, mais de permettre au titulaire du droit de faire expertiser celles-ci, afin de prouver qu'elles constituent des copies non autorisées de pièces détachées et sont donc, au regard du droit français, desmarchandises de contrefaçon. Or, dans la mesure où le simple transit de copies non autorisées ne relève pas de l'objet spécifique du droit sur les dessins ou modèles, la réalisation d'une expertise aux fins de vérifier que les pièces détachées sont de telles copies ne saurait justifier leur retenue en douane.

48.
    S'agissant de la vérification de l'origine et de la destination des marchandises en transit, elle devrait pouvoir être effectuée sur le champ si le transporteur détient les documents pertinents ou s'il peut se les procurer immédiatement. En tout état de cause, une retenue pouvant aller jusqu'à dix jours est disproportionnée par rapport à l'objectif d'une telle vérification et, partant, elle ne saurait être justifiée au regard de l'objectif de protection de la propriété industrielle et commerciale mentionné à l'article 36 du traité.

49.
    Par conséquent, il convient de constater que, en mettant en oeuvre, sur le fondement du code de la propriété intellectuelle, des procédures de retenue par les autorités douanières dirigées contre des marchandises légalement fabriquées dans un État membre de la Communauté européenne et destinées, après avoir transité par le territoire français, à être mises sur le marché d'un autre État membre, où elles peuvent être légalement commercialisées, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité.

Sur les dépens

50.
    Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République française et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

déclare et arrête:

    

1.
    En mettant en oeuvre, sur le fondement du code de la propriété intellectuelle, des procédures de retenue par les autorités douanières dirigées contre des marchandises légalement fabriquées dans un État membre de la Communauté européenne et destinées, après avoir transité par le territoire français, à être mises sur le marché d'un autre État membre, où elles peuvent être légalement commercialisées, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CE (devenu, après modification, article 28 CE).

    

2.
    La République française est condamnée aux dépens.

Rodríguez Iglesias

Moitinho de Almeida
Sevón

Kapteyn

Puissochet
Jann

Ragnemalm

Wathelet
Skouris

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 septembre 2000.

Le greffier

Le président

R. Grass    

G. C. Rodríguez Iglesias


1: Langue de procédure: le français.