Language of document : ECLI:EU:C:2001:629

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

22 novembre 2001 (1)

«Sixième directive TVA - Article 11, A, paragraphe 1, sous a) - Base d'imposition - Subventions directement liées au prix»

Dans l'affaire C-184/00,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Tribunal de première instance de Charleroi (Belgique) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Office des produits wallons ASBL

et

État belge,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1),

LA COUR (troisième chambre),

composée de MM. C. Gulmann (rapporteur), faisant fonction de président de chambre, J.-P. Puissochet et J. N. Cunha Rodrigues, juges,

avocat général: M. L. A. Geelhoed,


greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, chef de division,

considérant les observations écrites présentées:

-    pour l'Office des produits wallons ASBL, par Me M. Eloy, avocat,

-    pour le gouvernement belge, par Mme A. Snoecx, en qualité d'agent, assistée de Me B. van de Walle de Ghelcke, avocat,

-    pour le gouvernement français, par MM. J.-F. Dobelle, S. Pailler et S. Seam, en qualité d'agents,

-    pour la Commission des Communautés européennes, par MM. E. Traversa et C. Giolito, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de l'Office des produits wallons ASBL, représenté par Me R. Ghods, avocat, du gouvernement belge, représenté par Me B. van de Walle de Ghelcke, et de la Commission, représentée par MM. E. Traversa et C. Giolito, à l'audience du 22 mars 2001,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 27 juin 2001,

rend le présent

Arrêt

    

1.
    Par jugement du 11 mai 2000, parvenu à la Cour le 16 mai suivant, le Tribunal de première instance de Charleroi a posé, en application de l'article 234 CE, trois questions préjudicielles sur l'interprétation de l'article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matièred'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).

2.
    Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant l'Office des produits wallons ASBL (ci-après l'«OPW») à l'État belge et portant sur le point de savoir si des subventions de fonctionnement couvrant une partie des dépenses d'exploitation de l'OPW doivent être comprises dans la base d'imposition pour le calcul de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA»).

Le cadre juridique

3.
    L'article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive dispose:

«La base d'imposition est constituée:

a)    pour les livraisons de biens et les prestations de services autres que celles visées sous b), c) et d), par tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l'acheteur, du preneur ou d'un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations».

Le litige au principal et les questions préjudicielles

4.
    L'OPW est une association privée sans but lucratif qui assure la publicité et la vente des produits agricoles, horticoles et agro-alimentaires wallons, activité pour laquelle il est assujetti à la TVA. Il bénéficie d'une subvention annuelle de la Région wallonne, avec laquelle il a conclu une convention-cadre de subvention le 11 mars 1994 (ci-après la «convention-cadre»). En vertu de celle-ci, il est chargé de quatre types d'action, à savoir l'édition d'un répertoire, l'édition d'une revue dénommée «Wallonie nouvelle», l'animation d'antennes décentralisées et une participation à des manifestations locales. Selon la convention-cadre, l'OPW «établira ses budgets sur base de la subvention de l'année précédente [...]. L'année de référence pour le départ de ce système est l'année 1994 pour une subvention de 11 000 000 BEF». Ladite convention-cadre stipule en outre que «[l]es dépenses admissibles comprennent notamment la rémunération du personnel, le coût éventuel de location ou d'aménagement de locaux, le coût d'acquisition des équipements et des fournitures nécessaires, les achats de biens et de services ainsi que tous les autres frais, directs ou indirects, se rapportant à l'action de l'OPW, concernés par la présente convention».

5.
    Lors d'un contrôle, en février 1997, l'administration fiscale belge, après avoir constaté que l'OPW n'avait pas acquitté la TVA sur la subvention, a procédé à un redressement fiscal de 6 712 500 BEF pour les années 1994-1996. Par la suite, une contrainte a étédécernée pour ce montant à l'encontre de l'OPW au titre de la TVA et des amendes lui ont été infligées pour un montant de 1 349 000 BEF.

6.
    L'OPW a formé opposition à cette contrainte devant le Tribunal de première instance de Charleroi.

7.
    Dans la décision de renvoi, ce tribunal relève notamment que:

-    l'article 26 du code de la TVA, lequel constitue la transposition en droit belge de l'article 11, A, de la sixième directive, définit la notion de base d'imposition en matière de TVA;

-    les parties au litige admettent qu'une subvention fait partie de la base imposable lorsqu'elle est directement liée au prix, ce qui est le cas lorsqu'elle est versée au producteur, au fournisseur ou au prestataire, qu'elle est payée par un tiers et qu'elle constitue la contrepartie ou un élément de la contrepartie d'une livraison ou d'un service;

-    les parties s'opposent quant à la portée de cette troisième condition.

8.
    Dans ces circonstances, le Tribunal de première instance de Charleroi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)    [A]ux fins d'application de l'article 11, partie A, de la 6e directive du Conseil en matière d'harmonisation des législations des États membres relative aux taxes sur le chiffre d'affaires [...], les subventions de fonctionnement couvrant une partie des frais d'exploitation (aides à l'investissement, participation dans les frais généraux ou les dépenses courantes, frais de personnel) d'un assujetti, influençant le prix de revient final de ses produits et services mais sans pouvoir être individualisées par rapport à un prix d'opération, constituent-elles un montant imposable?

2)    Leur caractère imposable est-il subordonné à l'existence d'une prestation individualisable au profit du pouvoir subsidiant et à une équivalence entre l'avantage retiré par ce dernier et la contre-valeur fournie?

3)    Dans l'affirmative, comment faut-il déterminer la valeur de l'avantage retiré par le pouvoir subsidiant?»

Sur les questions préjudicielles

9.
    Par ses questions, la juridiction de renvoi demande en substance quelle est l'interprétation qu'il convient de donner à la notion de «subventions directement liées au prix», au sens de l'article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, et,notamment, si une subvention de fonctionnement, telle que celle en cause au principal, doit être comprise dans la base d'imposition telle que définie par ladite disposition.

10.
    Il convient, d'une part, de constater, ainsi que l'ont relevé tant la Commission dans les observations qu'elle a soumises à la Cour que M. l'avocat général au point 40 de ses conclusions, que, dans des circonstances telles que celles au principal, il est indifférent qu'il existe ou non, de la part d'un assujetti tel que l'OPW, une prestation individualisable au profit de l'autorité qui lui accorde la subvention. En effet, l'article 11, A, de la sixième directive vise des situations où trois parties sont en cause, à savoir l'autorité qui accorde la subvention, l'organisme qui en bénéficie et l'acheteur du bien ou le preneur du service respectivement livré ou fourni par l'organisme subventionné. Ainsi, les opérations visées par l'article 11, A, de la sixième directive ne sont pas celles accomplies au profit de l'autorité qui octroie la subvention.

11.
    Il y a lieu, d'autre part, de relever que des subventions telles que celles identifiées dans la première question préjudicielle - à savoir des subventions de fonctionnement couvrant une partie des frais d'exploitation - ont pratiquement toujours une influence sur le prix de revient des biens livrés et des services fournis par l'organisme subventionné. En effet, dans la mesure où il offre des biens ou des services spécifiques, ledit organisme pourra normalement le faire à des prix qu'il ne pourrait pratiquer s'il devait à la fois répercuter ses coûts et réaliser des bénéfices.

12.
    Toutefois, il y a lieu de relever que le seul fait qu'une subvention puisse avoir une influence sur le prix des biens livrés ou des services fournis par l'organisme subventionné ne suffit pas à rendre cette subvention imposable. Pour que la subvention soit directement liée au prix de ces opérations, au sens de l'article 11, A, de la sixième directive, il importe, en outre, ainsi que la Commission l'a relevé à juste titre, qu'elle soit spécifiquement versée à l'organisme subventionné afin qu'il fournisse un bien ou effectue un service déterminé. Ce n'est que dans ce cas que la subvention peut être considérée comme une contrepartie de la livraison d'un bien ou de la prestation d'un service et que, partant, elle est imposable.

13.
    Afin de vérifier si la subvention constitue une telle contrepartie, il importe de relever que le prix du bien ou du service doit être déterminé, quant à son principe, au plus tard au moment où intervient le fait générateur. Il doit également être constaté que l'engagement de verser la subvention pris par celui qui octroie celle-ci a pour corollaire le droit de la percevoir reconnu au bénéficiaire dès lors qu'une opération taxable a été accomplie par ce dernier. Ce lien entre la subvention et le prix doit apparaître de manière non équivoque au terme d'une analyse au cas par cas des circonstances qui sont à l'origine du versement de cette contrepartie. En revanche, il n'est pas nécessaire que le prix du bien ou du service - ou une partie du prix - soit déterminé. Il suffit qu'il soit déterminable.

14.
    Ainsi, il incombera à la juridiction de renvoi d'établir l'existence d'un lien direct entre la subvention et le bien ou le service en cause. Cela nécessite de vérifier, dans unpremier temps, que les acheteurs du bien ou les preneurs du service tirent profit de la subvention octroyée au bénéficiaire de celle-ci. En effet, il est nécessaire que le prix à payer par l'acheteur ou par le preneur soit fixé de telle façon qu'il diminue à proportion de la subvention accordée au vendeur du bien ou au prestataire du service, laquelle constitue alors un élément de détermination du prix exigé par ces derniers. Le juge devra examiner si, objectivement, le fait qu'une subvention est versée au vendeur ou au prestataire permet à celui-ci de vendre le bien ou de fournir le service à un prix inférieur à celui qu'il devrait exiger en l'absence de subvention.

15.
    Dans le litige au principal et au vu du fait que, selon la convention-cadre, l'OPW mène plusieurs actions, il importe que la juridiction de renvoi vérifie si chaque action donne lieu à un versement spécifique et identifiable ou si la subvention est versée globalement afin de couvrir l'ensemble des coûts de fonctionnement de l'OPW. En tout état de cause, seule la partie de la subvention identifiable comme étant la contrepartie d'une opération taxable pourra, le cas échéant, être soumise à la TVA.

16.
    Ainsi que la Commission l'a relevé à juste titre, un examen des comptes annuels entre l'OPW et la Région wallonne pourrait permettre à la juridiction nationale de vérifier si les montants de la subvention à affecter à chaque obligation imposée à l'OPW par ladite Région sont déterminés en vertu de la convention-cadre. Si tel était le cas, un lien direct pourrait être établi entre ladite subvention et la vente des périodiques édités par l'OPW.

17.
    Afin de vérifier si la contrepartie représentée par la subvention est déterminable, la juridiction de renvoi pourra par ailleurs soit comparer le prix auquel les biens en cause sont vendus par rapport à leur prix normal de revient, soit rechercher si le montant de la subvention a été diminué à la suite de l'absence de la production desdits biens. Si les éléments examinés sont significatifs, il y aura lieu de conclure que la partie de la subvention affectée à la production et à la vente du bien constitue une «subvention directement liée au prix». À cet égard, il n'est pas nécessaire que le montant de la subvention corresponde au franc près à la diminution du prix du bien livré, mais il suffit que le rapport entre celle-ci et ladite subvention, qui peut avoir un caractère forfaitaire, soit significatif.

18.
    Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de répondre aux questions posées que la notion de «subventions directement liées au prix», au sens de l'article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, doit être interprétée en ce sens qu'elle comprend uniquement les subventions qui constituent la contrepartie totale ou partielle d'une opération de livraison de biens ou de prestation de services et qui sont versées par un tiers au vendeur ou au prestataire. Il appartient au juge de renvoi de vérifier, sur la base des éléments de fait qui lui sont soumis, si la subvention constitue ou non une telle contrepartie.

Sur les dépens

19.
    Les frais exposés par les gouvernements belge et français, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (troisième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunal de première instance de Charleroi, par jugement du 11 mai 2000, dit pour droit:

La notion de «subventions directement liées au prix», au sens de l'article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doit être interprétée en ce sens qu'elle comprend uniquement les subventions qui constituent la contrepartie totale ou partielle d'une opération de livraison de biens ou de prestation de services et qui sont versées par un tiers au vendeur ou au prestataire. Il appartient au juge de renvoi de vérifier, sur la base des éléments de fait qui lui sont soumis, si la subvention constitue ou non une telle contrepartie.

Gulmann
Puissochet
Cunha Rodrigues

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 22 novembre 2001.

Le greffier

Le président de la troisième chambre

R. Grass

F. Macken


1: Langue de procédure: le français.