Language of document : ECLI:EU:C:2010:104

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

2 mars 2010 (*)

«Citoyenneté de l’Union – Article 17 CE − Nationalité d’un État membre acquise par la naissance – Nationalité d’un autre État membre acquise par naturalisation – Perte de la nationalité d’origine du fait de cette naturalisation – Perte avec effet rétroactif de la nationalité acquise par naturalisation en raison de manœuvres frauduleuses commises à l’occasion de son acquisition – Apatridie ayant pour conséquence la perte du statut de citoyen de l’Union»

Dans l’affaire C‑135/08,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Bundesverwaltungsgericht (Allemagne), par décision du 18 février 2008, parvenue à la Cour le 3 avril 2008, dans la procédure

Janko Rottmann

contre

Freistaat Bayern,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. K. Lenaerts, J.-C. Bonichot, E. Levits et Mme P. Lindh, présidents de chambre, MM. C. W. A. Timmermans, A. Rosas, E. Juhász, G. Arestis, A. Borg Barthet, M. Ilešič, A. Ó Caoimh (rapporteur) et L. Bay Larsen, juges,

avocat général: M. M. Poiares Maduro,

greffier: M. B. Fülöp, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 21 avril 2009,

considérant les observations présentées:

–        pour M. Rottmann, par M. W. Meng, professeur, et Me H. Heinhold, Rechtsanwalt,

–        pour Freistaat Bayern, par Mes J. Mehler et M. Niese, Oberlandesanwälte,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. M. Lumma, N. Graf Vitzthum et B. Klein, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement belge, par Mme L. Van den Broeck, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement tchèque, par M. M. Smolek, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement estonien, par M. L. Uibo, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement hellénique, par M. K. Georgiadis ainsi que par Mmes S. Alexandridou et G. Papagianni, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement letton, par Mme E. Eihmane, M. U. Dreimanis et Mme K. Drēviņa, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement autrichien, par M. E. Riedl et Mme T. Fülöp, en qualité d’agents, assistés de M. H. Eberwein, expert,

–        pour le gouvernement polonais, par M. M. Dowgielewicz, en qualité d’agent,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par Mmes S. Grünheid et D. Maidani, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 septembre 2009,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des dispositions du traité CE relatives à la citoyenneté de l’Union européenne.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Rottmann au Freistaat Bayern, au sujet du retrait par ce dernier de la naturalisation du requérant au principal.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        La déclaration nº 2 relative à la nationalité d’un État membre, jointe par les États membres à l’acte final du traité sur l’Union européenne (JO 1992, C 191, p. 98), est libellée comme suit:

«La Conférence déclare que, chaque fois que le traité instituant la Communauté européenne fait référence aux ressortissants des États membres, la question de savoir si une personne a la nationalité de tel ou tel État membre est réglée uniquement par référence au droit national de l’État concerné. […]»

4        Aux termes de la section A de la décision des chefs d’État et de gouvernement réunis au sein du Conseil européen d’Édimbourg des 11 et 12 décembre 1992 concernant certains problèmes soulevés par le Danemark à propos du traité sur l’Union européenne (JO 1992, C 348, p. 1):

«Les dispositions de la deuxième partie du traité instituant la Communauté européenne, qui concerne la citoyenneté de l’Union, accordent aux ressortissants des États membres des droits et des protections supplémentaires, comme prévu dans cette partie. Elles ne se substituent en aucune manière à la citoyenneté nationale. La question de savoir si une personne a la nationalité d’un État membre est réglée uniquement par référence au droit national de l’État membre concerné.»

 Les réglementations nationales

 La réglementation allemande

5        L’article 16, paragraphe 1, de la Loi fondamentale allemande prévoit:

«La nationalité allemande ne peut pas être retirée. La perte de la nationalité ne peut intervenir qu’en vertu d’une loi et, lorsqu’elle intervient contre le gré de l’intéressé, seulement si celui-ci ne devient pas de ce fait apatride.»

6        L’article 8 de la loi sur la nationalité (Reichs- und Staatsangehörigkeitsgesetz), dans sa version applicable jusqu’au 31 décembre 1999, disposait:

«Un étranger qui s’est établi sur le territoire allemand peut, à sa demande, être naturalisé par le Land sur le territoire duquel il réside dès lors que

1.      […]

2.      il ne remplit pas les conditions d’expulsion prévues aux articles 46, paragraphes 1 à 4, et 47, paragraphes 1 ou 2, de la loi sur les ressortissants étrangers [(Ausländergesetz)],

3.      là où il s’est établi, il a trouvé un logement indépendant ou un emploi.

[…]»

7        Selon les dispositions du droit allemand relatives à la nationalité applicables dans le cadre de l’affaire au principal, la naturalisation d’un étranger dépendait en principe de l’abandon ou de la perte de la nationalité qu’il avait jusqu’alors.

8        L’article 48, paragraphes 1 et 2, du code de procédure administrative du Land de Bavière (Bayerisches Verwaltungsverfahrensgesetz) est libellé comme suit:

«(1)      Un acte administratif illégal peut, alors même qu’il est devenu définitif, être retiré, en tout ou en partie, pour l’avenir ou rétroactivement. […]

(2)      Un acte administratif illégal qui octroie une prestation en espèces unique ou régulière ou une prestation en nature divisible ou qui en constitue la condition ne peut être retiré tant que le bénéficiaire se fie à l’existence dudit acte administratif et que sa confiance est jugée digne de protection après comparaison avec l’intérêt public d’un retrait. […] Le bénéficiaire ne peut exciper de la confiance […]

1.      [s’il] a obtenu l’acte administratif par fraude, menaces ou corruption,

2.      [s’il] a obtenu l’acte administratif en donnant des indications essentiellement fausses ou incomplètes,

3.      [s’il] avait connaissance de l’illégalité de l’acte administratif ou l’ignorait en raison d’une négligence grave.

Dans [ces] cas […], l’acte administratif est, en principe, retiré rétroactivement.»

 La réglementation autrichienne

9        Aux termes de l’article 27, paragraphe 1, de la loi sur la nationalité (Staatsbürgerschaftsgesetz, BGBl. 311/1985, ci-après le «StbG»):

«Quiconque acquiert une nationalité étrangère à sa demande, du fait d’une déclaration ou de son consentement exprès, perd la nationalité autrichienne s’il ne lui a pas été expressément accordé le droit de garder [celle-ci]».

10      Une autorisation de garder la nationalité autrichienne présuppose, en application de l’article 28, paragraphe 1, point 1, du StbG, que le maintien de celle-ci soit dans l’intérêt de la République d’Autriche en raison de prestations que la personne concernée a déjà fournies ou que cet État membre peut attendre d’elle, ou eu égard à des considérations particulières dont il y a lieu de tenir compte.

11      Il ressort des observations du gouvernement autrichien que, au regard du droit autrichien, la perte d’une nationalité étrangère acquise par naturalisation, qu’elle intervienne ex nunc ou ex tunc dans l’ordre juridique de l’État de naturalisation, n’aboutit pas automatiquement à ce que l’intéressé qui a perdu la nationalité autrichienne du fait de l’acquisition de cette nationalité étrangère retrouve rétroactivement la nationalité autrichienne.

12      Selon ce même gouvernement, en pareille hypothèse, la nationalité autrichienne ne peut être obtenue à nouveau que par une décision administrative et pour autant que les conditions prévues à cet égard aux articles 10 et suivants du StbG soient réunies.

13      L’article 10 du StbG, dans sa version entrée en vigueur le 23 mars 2006, dispose:

«(1)      Sauf disposition contraire dans la présente loi fédérale, la citoyenneté ne peut être accordée à un étranger que

1.      s’il réside légalement et sans interruption sur le territoire fédéral depuis au moins dix ans et s’il y est établi depuis au moins cinq ans;

2.      s’il n’a subi aucune condamnation exécutoire à une peine d’emprisonnement infligée par une juridiction nationale ou étrangère pour une ou plusieurs infractions intentionnelles, […]

3.      s’il n’a subi aucune condamnation exécutoire à une peine d’emprisonnement infligée par une juridiction nationale pour un délit financier;

4.      si aucune procédure pénale n’est engagée contre lui devant une juridiction nationale [en raison d’]une infraction intentionnelle ou [d’]un délit financier passible d’une peine d’emprisonnement;

[…]

(2)      La citoyenneté ne peut être accordée à un étranger

[…]

2.      s’il a subi plus d’une condamnation exécutoire pour une infraction administrative grave avec un degré de gravité particulier, […]

[…]

(4)      La condition visée au paragraphe 1, point 1, [de même que] l’obstacle à l’octroi mentionné au paragraphe 2, point 2, […] ne [sont] pas applicables

1.      à un étranger résidant sur le territoire fédéral qui a possédé la citoyenneté sans interruption pendant dix ans au moins et l’a perdue autrement que par retrait […];

[…]»

 Le droit international

 La Déclaration universelle des droits de l’homme

14      L’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par l’assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948, dispose:

«1.      Tout individu a droit à une nationalité.

2.      Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité.»

 La convention sur la réduction des cas d’apatridie

15      L’article 7 de la convention sur la réduction des cas d’apatridie, faite à New York le 30 août 1961 et entrée en vigueur le 13 décembre 1975, est libellé comme suit:

«1.      a)     Si la législation d’un État contractant prévoit la répudiation, celle-ci n’entraîne pour un individu la perte de sa nationalité que s’il en possède ou en acquiert une autre;

[…]

2.      Un individu possédant la nationalité d’un État contractant et qui sollicite la naturalisation dans un pays étranger ne perd sa nationalité que s’il acquiert ou a reçu l’assurance d’acquérir la nationalité de ce pays.

3.      Sous réserve des dispositions des paragraphes 4 et 5 du présent article, nul ne peut perdre sa nationalité, s’il doit de ce fait devenir apatride, parce qu’il quitte le pays dont il possède la nationalité, réside à l’étranger, ne se fait pas immatriculer ou pour toute autre raison analogue.

4.      La perte de la nationalité qui affecte un individu naturalisé peut être motivée par la résidence à l’étranger pendant une période dont la durée, fixée par l’État contractant, ne peut être inférieure à sept années consécutives si l’intéressé ne déclare pas aux autorités compétentes son intention de conserver sa nationalité.

[…]

6.      À l’exception des cas prévus au présent article, un individu ne peut perdre la nationalité d’un État contractant s’il doit de ce fait devenir apatride, alors même que cette perte ne serait pas expressément exclue par toute autre disposition de la présente Convention.»

16      L’article 8 de la même convention dispose:

«1.      Les États contractants ne priveront de leur nationalité aucun individu si cette privation doit le rendre apatride.

2.      Nonobstant la disposition du premier paragraphe du présent article, un individu peut être privé de la nationalité d’un État contractant:

a)      Dans les cas où, en vertu des paragraphes 4 et 5 de l’article 7, il est permis de prescrire la perte de la nationalité;

b)      S’il a obtenu cette nationalité au moyen d’une fausse déclaration ou de tout autre acte frauduleux.

[…]

4.      Un État contractant ne fera usage de la faculté de priver un individu de sa nationalité dans les conditions définies aux paragraphes 2 et 3 du présent article que conformément à la loi, laquelle comportera la possibilité pour l’intéressé de faire valoir tous ses moyens de défense devant une juridiction ou un autre organisme indépendant.»

17      L’article 9 de cette même convention dispose que les États contractants ne priveront de leur nationalité aucun individu ou groupe d’individus pour des raisons d’ordre racial, ethnique, religieux ou politique.

 La convention européenne sur la nationalité

18      La convention européenne sur la nationalité, du 6 novembre 1997, a été adoptée dans le cadre du Conseil de l’Europe et est entrée en vigueur le 1er mars 2000. Elle est applicable depuis cette dernière date en Autriche et a été ratifiée par la République fédérale d’Allemagne le 11 mai 2005. Aux termes de l’article 3 de cette convention:

«1.      Il appartient à chaque État de déterminer par sa législation quels sont ses ressortissants.

2.      Cette législation doit être admise par les autres États, pourvu qu’elle soit en accord avec les conventions internationales applicables, le droit international coutumier et les principes de droit généralement reconnus en matière de nationalité.»

19      L’article 4 de ladite convention prévoit:

«Les règles sur la nationalité de chaque État partie doivent être fondées sur les principes suivants:

a.      chaque individu a droit à une nationalité;

b.      l’apatridie doit être évitée;

c.      nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité;

[…]»

20      L’article 7 de cette même convention est libellé comme suit:

«1.      Un État partie ne peut prévoir dans son droit interne la perte de sa nationalité de plein droit ou à son initiative, sauf dans les cas suivants:

a)      acquisition volontaire d’une autre nationalité;

b)      acquisition de la nationalité de l’État partie à la suite d’une conduite frauduleuse, par fausse information ou par dissimulation d’un fait pertinent de la part du requérant;

[…]

3.      Un État partie ne peut prévoir dans son droit interne la perte de sa nationalité en vertu des paragraphes 1 et 2 de cet article si la personne concernée devient ainsi apatride, à l’exception des cas mentionnés au paragraphe 1, alinéa b), de cet article.»

21      L’article 9 de la convention européenne sur la nationalité prévoit que chaque État partie facilitera, pour les cas et dans les conditions prévues dans son droit interne, la réintégration dans sa nationalité des personnes qui la possédaient et qui résident légalement et habituellement sur son territoire.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

22      Le requérant au principal est né à Graz (Autriche) et était initialement, par sa naissance, ressortissant de la République d’Autriche.

23      En 1995, il a transféré son domicile à Munich (Allemagne) après avoir été entendu par le Landesgericht für Strafsachen Graz (tribunal régional en matière pénale de Graz) dans le cadre d’une enquête le concernant ouverte en raison de soupçons, qu’il réfute, d’escroquerie aggravée à titre professionel dans le cadre de l’exercice de sa profession.

24      En février 1997, le Landesgericht für Strafsachen Graz a délivré un mandat d’arrêt national à l’encontre du requérant au principal.

25      Celui-ci a demandé la nationalité allemande en février 1998. Lors de la procédure de naturalisation, il a omis de mentionner les poursuites dont il faisait l’objet en Autriche. Le document de naturalisation, daté du 25 janvier 1999, lui a été délivré le 5 février 1999.

26      La naturalisation du requérant au principal en Allemagne a eu pour effet, conformément au droit autrichien, de lui faire perdre la nationalité autrichienne.

27      En août 1999, la ville de Munich a été informée par les autorités municipales de Graz que le requérant au principal faisait l’objet d’un mandat d’arrêt délivré dans cette dernière ville. Par ailleurs, en septembre 1999, le ministère public autrichien a informé la ville de Munich, entre autres, du fait que le requérant au principal avait déjà été poursuivi en juillet 1995 devant le Landesgericht für Strafsachen Graz.

28      Au vu de ces circonstances, le Freistaat Bayern, après que le requérant au principal eut été entendu, a décidé de retirer rétroactivement la naturalisation par décision du 4 juillet 2000, au motif que ce dernier avait dissimulé qu’il faisait l’objet d’une information judiciaire en Autriche et qu’il avait par conséquent obtenu frauduleusement la nationalité allemande. Le retrait de la naturalisation obtenue en Allemagne n’est pas encore définitif du fait du recours en annulation formé à l’encontre de cette décision par le requérant au principal.

29      Statuant en degré d’appel, le Bayerischer Verwaltungsgerichtshof (cour administrative du Land de Bavière) a, par arrêt du 25 octobre 2005, jugé que le retrait de la naturalisation du requérant au principal, fondé sur l’article 48, paragraphe 1, première phrase, du code de procédure administrative du Land de Bavière, est compatible avec le droit allemand, même si ce retrait devait avoir pour conséquence, lorsqu’il devient définitif, d’entraîner l’apatridie de l’intéressé.

30      La demande en «Revision» du requérant au principal dont le Bundesverwaltungsgericht (Cour fédérale administrative) est actuellement saisi est dirigée contre cet arrêt du 25 octobre 2005.

31      La juridiction de renvoi relève que la naturalisation acquise de manière frauduleuse par le requérant au principal était illégale dès l’origine et pouvait, par conséquent, être retirée par les autorités allemandes compétentes dans le cadre de leur pouvoir d’appréciation. Elle précise que, en vertu des dispositions pertinentes du droit autrichien, à savoir le StbG, le requérant au principal ne remplit pas actuellement les conditions pour être réintégré immédiatement dans la nationalité autrichienne.

32      Dans son arrêt, le Bayerischer Verwaltungsgerichtshof avait relevé que, dans le cas où, du fait du retrait d’une naturalisation obtenue par fraude, une personne devient apatride, avec pour conséquence qu’elle perd la citoyenneté de l’Union, il suffit, pour respecter la réserve formulée par la Cour dans l’arrêt du 7 juillet 1992, Micheletti e.a. (C‑369/90, Rec. p. I‑4239) – selon laquelle les États membres doivent exercer leur compétence en matière de nationalité dans le respect du droit de l’Union –, que l’importance des droits conférés du fait de cette citoyenneté de l’Union soit prise en compte par l’autorité compétente allemande dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation. Selon cette juridiction, supposer l’existence, en droit de l’Union, d’une obligation de ne pas procéder au retrait d’une naturalisation obtenue frauduleusement aurait pour conséquence d’affecter, dans son essence, le pouvoir souverain des États membres, reconnu par l’article 17, paragraphe 1, CE, de définir les modalités d’application de leur droit de la nationalité.

33      En revanche, la juridiction de renvoi estime que l’importance et la portée de cette réserve formulée dans l’arrêt Micheletti e.a., précité, n’ont pas encore été clarifiées dans la jurisprudence de la Cour. La Cour aurait uniquement déduit de cette réserve le principe selon lequel un État membre ne peut pas restreindre les effets d’une attribution de nationalité par un autre État membre en posant une condition supplémentaire pour la reconnaissance de cette nationalité en vue de l’exercice d’une liberté fondamentale prévue par le traité CE. Selon la juridiction de renvoi, il n’est pas suffisamment clair si le statut d’apatridie et la perte de la citoyenneté de l’Union acquise régulièrement auparavant, liée au retrait d’une naturalisation, est compatible avec le droit de l’Union, et en particulier avec l’article 17, paragraphe 1, CE.

34      La juridiction de renvoi estime qu’il est au moins possible que la République d’Autriche, en tant qu’État membre de la nationalité d’origine du requérant au principal, soit tenue, en vertu du principe de loyauté de l’Union et en prenant en considération les valeurs inscrites dans la convention sur la réduction des cas d’apatridie ainsi qu’à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la convention européenne sur la nationalité, d’interpréter et d’appliquer son droit national ou de l’adapter de façon à éviter que la personne concernée devienne apatride lorsque, comme dans l’affaire au principal, cette personne n’a pas été autorisée à garder sa nationalité d’origine par suite de l’acquisition d’une nationalité étrangère.

35      C’est dans ces conditions que le Bundesverwaltungsgericht a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Le droit communautaire s’oppose-t-il à la conséquence juridique de la perte de la citoyenneté de l’Union européenne (ainsi que des droits et des libertés fondamentales qui y sont liés) résultant du fait que le retrait, dans un État membre (la République fédérale d’Allemagne), d’une naturalisation obtenue par fraude, retrait qui est en soi légal en application du droit [de cet État membre], a pour conséquence que la personne concernée devient apatride parce que, comme dans le cas du requérant [au principal], elle ne recouvre pas la nationalité [d’un autre État membre (la République d’Autriche)] qu’elle avait à l’origine en raison des dispositions applicables du droit de [ce dernier]?

2)      [Dans l’affirmative,] l’État membre […] qui a naturalisé un citoyen de l’Union européenne et entend procéder au retrait [de cette] naturalisation [parce qu’elle a été] obtenue frauduleusement doit-il s’abstenir de le faire si ou aussi longtemps que ce retrait […] a pour conséquence la perte de la citoyenneté de l’Union (ainsi que des droits et des libertés fondamentales qui y sont liés), ou l’État membre […] de la nationalité initiale est-il tenu, pour respecter le droit communautaire, d’interpréter, d’appliquer ou encore d’adapter son droit national de manière à éviter une telle conséquence juridique?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question et la première partie de la seconde question

36      Par la première question et la première partie de la seconde question, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si le droit de l’Union, notamment l’article 17 CE, s’oppose à ce qu’un État membre retire à un citoyen de l’Union la nationalité de cet État membre acquise de manière frauduleuse par naturalisation dans la mesure où ce retrait prive l’intéressé de son statut de citoyen de l’Union et du bénéfice des droits y attachés en le rendant apatride, l’acquisition de la nationalité de cet État membre par naturalisation ayant entraîné, dans le chef de la personne concernée, la perte de la nationalité de son État membre d’origine.

37      Tous les gouvernements ayant soumis des observations à la Cour ainsi que le Freistaat Bayern et la Commission des Communautés européennes font valoir que les règles relatives à l’acquisition et à la perte de la nationalité relèvent de la compétence des États membres. Certains d’entre eux en déduisent qu’une décision de retrait de la naturalisation telle que celle en cause au principal ne peut pas relever du droit de l’Union. Ils renvoient, dans ce cadre, à la déclaration nº 2 relative à la nationalité d’un État membre, jointe par les États membres à l’acte final du traité UE.

38      Les gouvernements allemand et autrichien font également valoir que, au moment de la décision de retrait de la naturalisation du requérant au principal, celui-ci était un ressortissant allemand, résidant en Allemagne, auquel était adressé un acte administratif émanant d’une autorité allemande. Selon ces gouvernements, soutenus par la Commission, il s’agit donc d’une situation purement interne n’ayant aucun lien de rattachement au droit de l’Union, celui-ci ne trouvant pas à s’appliquer du seul fait qu’un État membre adopte une mesure à l’égard de l’un de ses ressortissants. La circonstance que, dans une situation telle que celle au principal, l’intéressé ait fait usage de son droit à la libre circulation avant sa naturalisation ne saurait constituer à lui seul un élément transfrontalier susceptible de jouer un rôle en ce qui concerne le retrait de ladite naturalisation.

39      Il convient à cet égard de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la définition des conditions d’acquisition et de perte de la nationalité relève, conformément au droit international, de la compétence de chaque État membre (arrêts Micheletti e.a., précité, point 10; du 11 novembre 1999, Mesbah, C‑179/98, Rec. p. I‑7955, point 29, ainsi que du 19 octobre 2004, Zhu et Chen, C‑200/02, Rec. p. I‑9925, point 37).

40      Certes, la déclaration nº 2 relative à la nationalité d’un État membre, jointe par les États membres à l’acte final du traité UE, ainsi que la décision des chefs d’État et de gouvernement réunis au sein du Conseil européen d’Édimbourg des 11 et 12 décembre 1992 concernant certains problèmes soulevés par le Danemark à propos du traité UE, qui étaient destinées à clarifier une question qui est particulièrement importante pour les États membres, à savoir la délimitation du champ d’application ratione personæ des dispositions du droit de l’Union faisant référence à la notion de ressortissant, doivent être prises en considération en tant qu’instruments d’interprétation du traité CE, plus particulièrement en vue de déterminer le champ d’application ratione personæ de ce dernier.

41      Toutefois, le fait qu’une matière ressortit à la compétence des États membres n’empêche pas que, dans des situations relevant du droit de l’Union, les règles nationales concernées doivent respecter ce dernier [voir, en ce sens, arrêts du 24 novembre 1998, Bickel et Franz, C‑274/96, Rec. p.I‑7637, point 17 (s’agissant d’une réglementation nationale en matière pénale et de procédure pénale); du 2 octobre 2003, Garcia Avello, C‑148/02, Rec. p. I‑11613, point 25 (s’agissant de règles nationales régissant le nom d’une personne); du 12 juillet 2005, Schempp, C‑403/03, Rec. p. I‑6421, point 19 (s’agissant de règles nationales relatives à la fiscalité directe), ainsi que du 12 septembre 2006, Espagne/Royaume-Uni, C‑145/04, Rec. p. I‑7917, point 78 (s’agissant de règles nationales déterminant les titulaires du droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen)].

42      Il est manifeste que la situation d’un citoyen de l’Union qui, tel le requérant au principal, est confronté à une décision de retrait de la naturalisation adoptée par les autorités d’un État membre le plaçant, après qu’il a perdu la nationalité d’un autre État membre qu’il possédait à l’origine, dans une situation susceptible d’entraîner la perte du statut conféré par l’article 17 CE et des droits y attachés relève, par sa nature et ses conséquences, du droit de l’Union.

43      Ainsi que la Cour l’a relevé à plusieurs reprises, le statut de citoyen de l’Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres (voir, notamment, arrêts du 20 septembre 2001, Grzelczyk, C‑184/99, Rec. p. I‑6193, point 31, ainsi que du 17 septembre 2002, Baumbast et R, C‑413/99, Rec. p. I‑7091, point 82).

44      L’article 17, paragraphe 2, CE attache audit statut les devoirs et les droits prévus par le traité CE, dont celui de se prévaloir de l’article 12 CE dans toutes les situations relevant du domaine d’application ratione materiæ du droit de l’Union (voir, notamment, arrêts du 12 mai 1998, Martínez Sala, C‑85/96, Rec. p. I‑2691, point 62, et Schempp, précité, point 17).

45      Ainsi, les États membres doivent, dans l’exercice de leur compétence en matière de nationalité, respecter le droit de l’Union (arrêts Micheletti e.a., précité, point 10; Mesbah, précité, point 29; du 20 février 2001, Kaur, C‑192/99, Rec. p. I‑1237, point 19, ainsi que Zhu et Chen, précité, point 37).

46      Dans ces conditions, il appartient à la Cour de se prononcer sur les questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi, qui concernent les conditions dans lesquelles un citoyen de l’Union peut, du fait de la perte de sa nationalité, perdre cette qualité de citoyen de l’Union et, dès lors, être privé des droits qui y sont attachés.

47      À cet égard, la juridiction de renvoi s’interroge essentiellement sur la réserve formulée par la jurisprudence de la Cour citée au point 45 du présent arrêt, selon laquelle les États membres doivent, dans l’exercice de leur compétence en matière de nationalité, respecter le droit de l’Union, et sur les conséquences de cette réserve dans une situation telle que celle en cause au principal.

48      La réserve selon laquelle il y a lieu de respecter le droit de l’Union ne porte pas atteinte au principe de droit international déjà reconnu par la Cour, et rappelé au point 39 du présent arrêt, selon lequel les États membres sont compétents pour définir les conditions d’acquisition et de perte de la nationalité, mais consacre le principe selon lequel, lorsqu’il s’agit de citoyens de l’Union, l’exercice de cette compétence, dans la mesure où il affecte les droits conférés et protégés par l’ordre juridique de l’Union, comme c’est notamment le cas pour une décision de retrait de la naturalisation telle que celle en cause au principal, est susceptible d’un contrôle juridictionnel opéré au regard du droit de l’Union.

49      Contrairement à la requérante dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Kaur, précité, qui, ne répondant pas à la définition de ressortissant du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, n’a pas pu être privée des droits découlant du statut de citoyen de l’Union, le requérant au principal a eu incontestablement les nationalités autrichienne puis allemande et a joui, par conséquent, dudit statut et des droits qui s’y attachent.

50      Toutefois, ainsi que plusieurs gouvernements ayant soumis des observations à la Cour l’ont fait valoir, dès lors qu’une décision de retrait de la naturalisation telle que celle en cause au principal est fondée sur la fraude commise par l’intéressé dans le cadre de la procédure d’acquisition de la nationalité concernée, une telle décision pourrait être conforme au droit de l’Union.

51      En effet, une décision de retrait de la naturalisation en raison de manœuvres frauduleuses correspond à un motif d’intérêt général. À cet égard, il est légitime pour un État membre de vouloir protéger le rapport particulier de solidarité et de loyauté entre lui-même et ses ressortissants ainsi que la réciprocité de droits et de devoirs, qui sont le fondement du lien de nationalité.

52      Cette conclusion relative à la légitimité, dans son principe, d’une décision de retrait de la naturalisation prise dans des circonstances telles que celles de la cause au principal se trouve corroborée par les dispositions pertinentes de la convention sur la réduction des cas d’apatridie. En effet, l’article 8, paragraphe 2, de celle-ci dispose qu’un individu peut se voir privé de la nationalité d’un État contractant s’il a obtenu cette nationalité au moyen d’une fausse déclaration ou de tout autre acte frauduleux. De même, l’article 7, paragraphes 1 et 3, de la convention européenne sur la nationalité n’interdit pas à un État partie de priver un individu de sa nationalité, même si ce dernier devient ainsi apatride, lorsque cette nationalité a été acquise à la suite d’une conduite frauduleuse, par fausse information ou par dissimulation d’un fait pertinent de la part de cet individu.

53      Ladite conclusion est par ailleurs conforme au principe de droit international général selon lequel nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ce principe étant repris à l’article 15, paragraphe 2, de la Déclaration universelle des droits de l’homme et à l’article 4, sous c), de la convention européenne sur la nationalité. En effet, lorsqu’un État prive une personne de sa nationalité en raison du comportement frauduleux de celle-ci, légalement établi, une telle privation ne peut être considérée comme un acte arbitraire.

54      Ces considérations sur la légitimité, dans son principe, d’une décision de retrait de la naturalisation en raison de manœuvres frauduleuses restent, en principe, valables lorsqu’un tel retrait a pour conséquence que la personne concernée perde, outre la nationalité de l’État membre de naturalisation, la citoyenneté de l’Union.

55      Toutefois, dans un tel cas de figure, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si la décision de retrait en cause au principal respecte le principe de proportionnalité en ce qui concerne les conséquences qu’elle comporte sur la situation de la personne concernée au regard du droit de l’Union, outre, le cas échéant, l’examen de la proportionnalité de cette décision au regard du droit national.

56      Partant, vu l’importance qu’attache le droit primaire au statut de citoyen de l’Union, il convient, lors de l’examen d’une décision de retrait de la naturalisation, de tenir compte des conséquences éventuelles que cette décision emporte pour l’intéressé et, le cas échéant, pour les membres de sa famille en ce qui concerne la perte des droits dont jouit tout citoyen de l’Union. Il importe à cet égard de vérifier, notamment, si cette perte est justifiée par rapport à la gravité de l’infraction commise par celui-ci, au temps écoulé entre la décision de naturalisation et la décision de retrait ainsi qu’à la possibilité pour l’intéressé de recouvrer sa nationalité d’origine.

57      S’agissant plus particulièrement de ce dernier aspect, un État membre dont la nationalité a été acquise de manière frauduleuse ne saurait être considéré comme obligé, en application de l’article 17 CE, de s’abstenir du retrait de la naturalisation au seul motif que l’intéressé n’a pas recouvré la nationalité de son État membre d’origine.

58      Il incombe néanmoins à la juridiction nationale d’apprécier si, au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes, le respect du principe de proportionnalité exige que, avant qu’une telle décision de retrait de la naturalisation prenne effet, il soit accordé à l’intéressé un délai raisonnable afin qu’il puisse essayer de recouvrer la nationalité de son État membre d’origine.

59      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la première question et à la première partie de la seconde question que le droit de l’Union, notamment l’article 17 CE, ne s’oppose pas à ce qu’un État membre retire à un citoyen de l’Union la nationalité de cet État membre acquise par naturalisation lorsque celle-ci a été obtenue de manière frauduleuse à condition que cette décision de retrait respecte le principe de proportionnalité.

 Sur la seconde partie de la seconde question

60      Par la seconde partie de la seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, lorsqu’un citoyen de l’Union se trouvant dans une situation telle que celle du requérant au principal est confronté à une décision de retrait de la naturalisation risquant d’aboutir à la perte de son statut de citoyen de l’Union, le droit de l’Union, et notamment l’article 17 CE, doit être interprété en ce sens que l’État membre dont il possédait la nationalité à l’origine a l’obligation d’interpréter sa réglementation nationale de manière à éviter cette perte en lui permettant de recouvrer cette nationalité.

61      En l’occurrence, il y a lieu de relever que le retrait de la naturalisation acquise par le requérant au principal en Allemagne n’est pas devenu définitif et qu’aucune décision à l’égard de son statut n’a été prise par l’État membre dont il possédait la nationalité à l’origine, à savoir la République d’Autriche.

62      Il convient, dans le cadre du présent renvoi préjudiciel, de rappeler que les principes découlant du présent arrêt en ce qui concerne la compétence des États membres en matière de nationalité ainsi que leur obligation d’exercer cette compétence dans le respect du droit de l’Union s’appliquent tant à l’État membre de naturalisation qu’à l’État membre de la nationalité d’origine.

63      Toutefois, la Cour ne peut pas se prononcer sur la question de savoir si le droit de l’Union s’oppose à une décision qui n’a pas encore été adoptée. Ainsi que le gouvernement autrichien l’a fait valoir lors de l’audience, il incombera éventuellement aux autorités autrichiennes d’adopter une décision quant à la question de savoir si le requérant au principal retrouve sa nationalité d’origine et, le cas échéant, aux juridictions autrichiennes d’en apprécier la régularité, lorsqu’elle aura été prise, à la lumière des principes découlant du présent arrêt.

64      Eu égard à ce qui précède, il n’y a pas lieu de statuer, dans le cadre du présent renvoi, sur la seconde partie de la seconde question.

 Sur les dépens

65      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

Le droit de l’Union, notamment l’article 17 CE, ne s’oppose pas à ce qu’un État membre retire à un citoyen de l’Union européenne la nationalité de cet État membre acquise par naturalisation lorsque celle-ci a été obtenue de manière frauduleuse à condition que cette décision de retrait respecte le principe de proportionnalité.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.