Language of document : ECLI:EU:C:2010:740

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

7 décembre 2010 (*)

«Compétence judiciaire en matière civile et commerciale – Règlement (CE) n° 44/2001 – Article 15, paragraphes 1, sous c), et 3 – Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs – Contrat de voyage en cargo – Notion de ‘voyage à forfait’ – Contrat de séjour à l’hôtel –– Présentation du voyage et de l’hôtel sur un site Internet – Notion d’activité ‘dirigée vers’ l’État membre où le consommateur a son domicile – Critères – Accessibilité du site Internet»

Dans les affaires jointes C‑585/08 et C‑144/09,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre des articles 68 et 234 CE, introduites par l’Oberster Gerichtshof (Autriche), par décisions des 6 novembre 2008 et 26 mars 2009, parvenues à la Cour respectivement les 24 décembre 2008 et 24 avril 2009, dans les procédures

Peter Pammer

contre

Reederei Karl Schlüter GmbH & Co. KG (C‑585/08),

et

Hotel Alpenhof GesmbH

contre

Oliver Heller (C‑144/09),

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts, J.-C. Bonichot, K. Schiemann et J.-J. Kasel, présidents de chambre, M. A. Rosas, Mmes R. Silva de Lapuerta, P. Lindh (rapporteur) et M. M. Safjan, juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: M. B. Fülöp, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 mars 2010,

considérant les observations présentées:

–        pour M. Pammer, par Me C. Neuhuber, Rechtsanwalt,

–        pour Hotel Alpenhof GesmbH, par Me M. Buchmüller, Rechtsanwalt,

–        pour M. Heller, par Me H. Hegen, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement autrichien, par MM. E. Riedl et G. Kunnert, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement tchèque, par M. M. Smolek, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement italien (C‑585/08), par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. L. Ventrella, avvocato dello Stato,

–        pour le gouvernement luxembourgeois, par M. C. Schiltz, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement néerlandais (C‑144/09), par Mme C. Wissels et M. Y. de Vries, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement polonais (C‑585/08), par M. M. Dowgielewicz, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme H. Walker, en qualité d’agent, assistée de Mme J. Stratford, barrister,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par Mmes A.‑M. Rouchaud-Joët et S. Grünheid ainsi que par M. M. Wilderspin, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 18 mai 2010,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 15, paragraphes 1, sous c), et 3, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant, d’une part, M. Pammer à Reederei Karl Schlüter GmbH & Co. KG (ci-après «Reederei Karl Schlüter») au sujet du refus de celle-ci de lui rembourser intégralement le prix d’un voyage en cargo auquel il n’a pas participé et dont la description figurait sur Internet (affaire C‑585/08) et, d’autre part, Hotel Alpenhof GesmbH (ci-après «Hotel Alpenhof») à M. Heller au sujet du refus de ce dernier de payer sa note d’hôtel pour un séjour réservé par Internet (affaire C‑144/09).

 Le cadre juridique

 Le règlement n° 44/2001

3        Le treizième considérant du règlement n° 44/2001 énonce que, s’agissant des contrats de consommation, il est opportun de protéger la partie la plus faible au moyen de règles de compétence plus favorables à ses intérêts que ne le sont les règles générales.

4        L’article 2, paragraphe 1, dudit règlement, qui fait partie du chapitre II de celui-ci, section 1, intitulée «Dispositions générales», énonce:

«Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.»

5        L’article 5 du même règlement énonce la règle de compétence spéciale suivante à son point 1, sous a):

«Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre:

1)      a)     en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée».

6        Les articles 15, paragraphes 1 et 3, et 16, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 44/2001, qui figurent dans la section 4 du chapitre II de celui-ci, intitulée «Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs», sont libellés comme suit:

«Article 15

1.      En matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice des dispositions de l’article 4 et de l’article 5, point 5:

a)      lorsqu’il s’agit d’une vente à tempérament d’objets mobiliers corporels;

b)      lorsqu’il s’agit d’un prêt à tempérament ou d’une autre opération de crédit liés au financement d’une vente de tels objets;

c)      lorsque, dans tous les autres cas, le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités.

[…]

3.      La présente section ne s’applique pas aux contrats de transport autres que ceux qui, pour un prix forfaitaire, combinent voyage et hébergement.

Article 16

1.      L’action intentée par un consommateur contre l’autre partie au contrat peut être portée soit devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit devant le tribunal du lieu où le consommateur est domicilié.

2.      L’action intentée contre le consommateur par l’autre partie au contrat ne peut être portée que devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel est domicilié le consommateur.»

7        Ainsi qu’il ressort de ses considérants, le règlement n° 44/2001 fait suite à la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l’adhésion du Royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et – texte modifié – p. 77), par la convention du 25 octobre 1982 relative à l’adhésion de la République hellénique (JO L 388, p. 1), par la convention du 26 mai 1989 relative à l’adhésion du Royaume d’Espagne et de la République portugaise (JO L 285, p. 1) et par la convention du 29 novembre 1996 relative à l’adhésion de la République d’Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède (JO 1997, C 15, p. 1, ci-après la «convention de Bruxelles»). À compter de son entrée en vigueur, le 1er mars 2002, ce règlement a remplacé la convention de Bruxelles dans les relations entre les États membres à l’exclusion du Royaume de Danemark.

8        Au dix-neuvième considérant du règlement n° 44/2001, le Conseil de l’Union européenne a souligné la nécessité d’assurer la continuité entre la convention de Bruxelles et ce règlement, y compris en ce qui concerne l’interprétation que la Cour a déjà faite des dispositions de cette convention équivalentes à celles dudit règlement.

 La convention de Bruxelles

9        L’article 13, premier alinéa, de la convention de Bruxelles est libellé comme suit:

«En matière de contrat conclu par une personne pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, ci-après dénommée ‘le consommateur’, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice des dispositions de l’article 4 et de l’article 5 paragraphe 5:

1)      lorsqu’il s’agit d’une vente à tempérament d’objets mobiliers corporels;

2)      lorsqu’il s’agit d’un prêt à tempérament ou d’une autre opération de crédit liés au financement d’une vente de tels objets;

3)      pour tout autre contrat ayant pour objet une fourniture de services ou d’objets mobiliers corporels si:

a)      la conclusion du contrat a été précédée dans l’État du domicile du consommateur d’une proposition spécialement faite ou d’une publicité

et que

b)      le consommateur a accompli dans cet État les actes nécessaires à la conclusion de ce contrat.»

 Le règlement (CE) n° 593/2008

10      Le septième considérant du règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO L 177, p. 6), énonce que le champ d’application matériel et les dispositions de ce règlement devraient être cohérents par rapport à ceux du règlement n° 44/2001.

11      Le vingt-quatrième considérant du règlement n° 593/2008 est rédigé comme suit:

«S’agissant plus particulièrement des contrats de consommation, […] [l]a cohérence avec le règlement (CE) n° 44/2001 exige, d’une part, qu’il soit fait référence à la notion d’‘activité dirigée’ comme condition d’application de la règle de protection du consommateur et, d’autre part, que cette notion fasse l’objet d’une interprétation harmonieuse dans le règlement (CE) n° 44/2001 et le présent règlement, étant précisé qu’une déclaration conjointe du Conseil et de la Commission relative à l’article 15 du règlement (CE) n° 44/2001 précise que ‘pour que l’article 15, paragraphe 1, point c), soit applicable, il ne suffit pas qu’une entreprise dirige ses activités vers l’État membre du domicile du consommateur, ou vers plusieurs États dont cet État membre, il faut également qu’un contrat ait été conclu dans le cadre de ces activités’. La déclaration rappelle également que ‘le simple fait qu’un site [I]nternet soit accessible ne suffit pas pour rendre applicable l’article 15, encore faut-il que ce site [I]nternet invite à la conclusion de contrats à distance et qu’un contrat ait effectivement été conclu à distance, par tout moyen. À cet égard, la langue ou la monnaie utilisée par un site [I]nternet ne constitue pas un élément pertinent.’»

12      L’article 6, paragraphe 4, sous b), du règlement n° 593/2008 prévoit que les règles sur la loi applicable aux contrats de consommation figurant aux paragraphes 1 et 2 du même article ne s’appliquent pas au contrat suivant:

«au contrat de transport autre qu’un contrat portant sur un voyage à forfait au sens de la directive 90/314/CEE du Conseil du 13 juin 1990 concernant les voyages, vacances et circuits à forfait».

 La directive 90/314/CEE

13      La directive 90/314/CEE du Conseil, du 13 juin 1990, concernant les voyages, vacances et circuits à forfait (JO L 158, p. 59), définit la notion de forfait à son article 2, point 1, dans les termes suivants:

«Aux fins de la présente directive, on entend par:

1)      forfait: la combinaison préalable d’au moins deux des éléments suivants, lorsqu’elle est vendue ou offerte à la vente à un prix tout compris et lorsque cette prestation dépasse vingt‑quatre heures ou inclut une nuitée:

a)      transport;

b)      logement;

c)      autres services touristiques non accessoires au transport ou au logement représentant une part significative dans le forfait.

La facturation séparée de divers éléments d’un même forfait ne soustrait pas l’organisateur ou le détaillant aux obligations de la présente directive.»

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

 Affaire C‑585/08

14      M. Pammer, domicilié en Autriche, est opposé à Reederei Karl Schlüter, une société établie en Allemagne, au sujet d’un voyage en cargo de Trieste (Italie) à destination de l’Extrême-Orient organisé par cette société et ayant donné lieu à un contrat conclu entre cette dernière et M. Pammer (ci-après le «contrat de voyage»).

15      M. Pammer a réservé un voyage, par l’intermédiaire de Internationale Frachtschiffreisen Pfeiffer GmbH, une société dont le siège est situé en Allemagne (ci-après la «société intermédiaire»).

16      Cette société intermédiaire, qui exerce ses activités notamment au moyen d’Internet, décrivait le voyage sur son site en indiquant que le bateau comprenait une salle de sport, une piscine extérieure, un salon, l’accès à la vidéo et à la télévision. Étaient également annoncées trois cabines doubles avec douche et WC, salle de séjour séparée équipée avec fauteuils, bureau, moquette et réfrigérateur ainsi que des escales permettant des excursions en ville.

17      M. Pammer a refusé d’embarquer et a demandé le remboursement du prix qu’il avait acquitté pour ce voyage, au motif que cette description ne correspondait pas, selon lui, aux conditions offertes sur le bateau. Reederei Karl Schlüter n’ayant remboursé qu’une partie de ce prix, à savoir environ 3 500 euros, M. Pammer a réclamé le paiement du solde, soit environ 5 000 euros, ainsi que des intérêts y afférents, devant une juridiction autrichienne de première instance, le Bezirksgericht Krems an der Donau.

18      Reederei Karl Schlüter a fait valoir qu’elle n’exerce aucune activité professionnelle ou commerciale en Autriche et a soulevé une exception d’incompétence à l’égard de ladite juridiction.

19      Cette exception a été écartée en première instance par un jugement du Bezirksgericht Krems an der Donau du 3 janvier 2008, cette juridiction s’estimant compétente au motif que le contrat de voyage était un contrat de consommation, à savoir un voyage à forfait, et que la société intermédiaire avait déployé une activité promotionnelle en Autriche, au moyen d’Internet, pour le compte de Reederei Karl Schlüter.

20      La juridiction d’appel, le Landesgericht Krems an der Donau, a en revanche déclaré que les juridictions autrichiennes étaient incompétentes par un arrêt du 13 juin 2008, en considérant que le contrat de voyage s’analysait en un contrat de transport non visé par la section 4 du chapitre II du règlement n° 44/2001. Le fait que le voyage proposé, à savoir une longue traversée allant de l’Europe à l’Extrême-Orient, comportait un certain confort ne transformerait pas le contrat de voyage en contrat de consommation.

21      M. Pammer a introduit un pourvoi en «Revision» contre ledit arrêt.

22      L’Oberster Gerichtshof nourrit des doutes sur les critères applicables à la notion de «voyage à forfait» et souligne que, en l’espèce, la question se pose de savoir si les prestations proposées sont comparables à une croisière permettant de conclure à l’existence d’un «forfait» et, dès lors, à un contrat de transport visé par ladite section 4.

23      Dans l’hypothèse où il s’agirait d’un tel contrat, l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 44/2001 pourrait être applicable et il serait alors utile de connaître les critères que doit remplir un site Internet pour que les activités exercées par le commerçant puissent être considérées comme «dirigées vers» l’État membre du consommateur au sens de ladite disposition. La juridiction de renvoi souligne toutefois que, en l’espèce, les juridictions de première instance et d’appel n’ont procédé à des constatations précises ni sur la manière dont le contrat de voyage a été conclu, ni sur le rôle du site Internet, ni, enfin, sur les liens entre Reederei Karl Schlüter et la société intermédiaire.

24      C’est dans ces conditions que l’Oberster Gerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Un ‘voyage en cargo’ constitue-t-il un voyage à forfait au sens de l’article 15, paragraphe 3, du [règlement n° 44/2001]?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question, pour que des activités soient ‘dirigées’ (vers l’État membre dans lequel le consommateur a son domicile) au sens de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du [règlement n° 44/2001], suffit-il que le site web d’un intermédiaire puisse être consulté sur Internet?»

 Affaire C‑144/09

25      Hotel Alpenhof, la société qui exploite l’hôtel du même nom situé en Autriche, est opposée à un consommateur, M. Heller, résidant en Allemagne.

26      Ayant pris connaissance dudit hôtel en consultant le site Internet qui lui est consacré, M. Heller a réservé plusieurs chambres, pour une durée d’une semaine, aux alentours du 1er janvier 2008. Sa réservation et la confirmation de celle-ci ont été effectuées par courrier électronique, le site Internet de l’hôtel mentionnant une adresse à cet effet.

27      M. Heller aurait mis en cause les services de l’hôtel et quitté les lieux sans régler sa facture malgré une offre de rabais faite par Hotel Alpenhof. Cette dernière a alors introduit une action devant une juridiction autrichienne, le Bezirksgericht Sankt Johann im Pongau, pour obtenir le paiement d’une somme d’environ 5 000 euros.

28      M. Heller a soulevé l’exception d’incompétence de la juridiction saisie. Il estime que, en sa qualité de consommateur, il ne peut être assigné que devant les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel il est domicilié, à savoir devant les juridictions allemandes, conformément à l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 44/2001.

29      Le Bezirksgericht Sankt Johann im Pongau, par un jugement du 14 juillet 2008, et le Landesgericht Salzburg, statuant en appel par un arrêt du 27 novembre 2008, ont tous deux rejeté le recours dont ils étaient saisis, en estimant que les juridictions autrichiennes étaient incompétentes pour en connaître. Ils ont considéré que la notion d’activité «dirigée vers» l’État membre du domicile du consommateur couvre aussi bien l’exploitation d’un site Internet interactif permettant de conclure avec ce consommateur un contrat en ligne, c’est-à-dire par voie électronique sur le site même du professionnel, qu’un site Internet n’offrant pas une telle possibilité et présentant uniquement de la publicité. En effet, selon ces juridictions, même dans ce dernier cas de figure, l’activité est dirigée vers le consommateur dans d’autres États membres, compte tenu du fait que la publicité sur Internet traverse les frontières. Cette «direction vers l’étranger» ne pourrait être exclue qu’au moyen d’une déclaration expresse concernant les relations commerciales du commerçant avec des consommateurs domiciliés dans un ou plusieurs autres États membres déterminés. L’activité serait également dirigée vers l’État membre du consommateur lorsque celui-ci prend connaissance des services du commerçant grâce à un site Internet et que la réservation qui s’ensuit est effectuée au moyen de l’adresse électronique, de l’adresse géographique ou encore d’un numéro de téléphone indiqués sur ce site.

30      Hotel Alpenhof a formé un pourvoi en «Revision» devant la juridiction de renvoi.

31      N’étant pas certain que la Cour répondrait à sa seconde question dans l’affaire C‑585/08, cette réponse dépendant de celle donnée à la première question posée dans la même affaire, l’Oberster Gerichtshof a estimé nécessaire de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Le fait qu’un site web du cocontractant du consommateur puisse être consulté sur Internet suffit-il pour affirmer qu’une activité est ‘dirigée vers’ un État, au sens de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du [règlement n° 44/2001]?»

32      Eu égard à la similitude entre la seconde question dans l’affaire C‑585/08 et l’unique question posée dans l’affaire C‑144/09, il y a lieu, conformément à l’article 43 du règlement de procédure de la Cour, de joindre les deux affaires aux fins du présent arrêt.

 Sur les questions préjudicielles

33      À titre liminaire, il convient de relever que, eu égard à la date des renvois préjudiciels, les questions étant posées par l’Oberster Gerichtshof, juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, la Cour est compétente pour statuer sur l’interprétation du règlement n° 44/2001 en vertu de l’article 68 CE.

 Sur la première question dans l’affaire C‑585/08

34      Par sa première question dans l’affaire C‑585/08, la juridiction de renvoi demande si un contrat ayant pour objet un voyage en cargo, tel que celui en cause au principal, relève des contrats de transport visés à l’article 15, paragraphe 3, du règlement n° 44/2001.

35      Selon cet article 15, paragraphe 3, seuls les contrats de transport qui, pour un prix forfaitaire, combinent voyage et hébergement sont soumis aux règles de compétence prévues à la section 4 du chapitre II dudit règlement.

36      Il y a lieu de relever que les contrats de transport ainsi visés sont proches de ceux correspondant à la notion de «voyage à forfait» au sens de la directive 90/314 à laquelle la juridiction de renvoi se réfère d’ailleurs expressément dans sa décision de renvoi.

37      En effet, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, pour qu’une prestation puisse être qualifiée de «forfait» au sens de l’article 2, point 1, de la directive 90/314, il suffit, d’une part, qu’elle combine des services touristiques vendus à un prix forfaitaire comprenant deux des trois services visés à cette disposition, à savoir le transport, le logement et les autres services touristiques non accessoires au transport ou au logement représentant une part significative dans le forfait, et, d’autre part, que cette prestation dépasse 24 heures ou inclue une nuitée (voir arrêt du 30 avril 2002, Club-Tour, C‑400/00, Rec. p. I‑4051, point 13).

38      Afin de répondre à la question posée, il convient donc de déterminer si la notion de «voyage à forfait» à laquelle se réfère la juridiction de renvoi et qui constitue l’un des objets énoncés à l’article 1er de la directive 90/314 est pertinente afin d’interpréter ledit article 15, paragraphe 3.

39      Cette notion ne figure pas à l’article 15, paragraphe 3, du règlement n° 44/2001 bien que celui-ci soit postérieur à la directive 90/314. Ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 47 de ses conclusions, le législateur de l’Union a utilisé, aux fins du règlement n° 44/2001, des termes quasi identiques à ceux qui existaient dans la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980 (JO L 266, p. 1). En 2008, cette convention a été remplacée par le règlement n° 593/2008, lequel, à son article 6, paragraphe 4, sous b), fait expressément référence à la notion de «voyage à forfait» au sens de la directive 90/314.

40      L’article 6 du règlement n° 593/2008 porte sur la loi applicable aux contrats de consommation et son paragraphe 4, sous b), vise à exclure de ces derniers les contrats de transport, à l’exception de ceux qui répondent à la notion de voyage à forfait au sens de la directive 90/314.

41      Il découle du rapprochement entre les contrats de transport mentionnés à l’article 15, paragraphe 3, du règlement n° 44/2001 et ceux visés à l’article 6, paragraphe 4, sous b), du règlement n° 593/2008 que le législateur de l’Union a entendu viser les mêmes types de contrats, à savoir ceux susceptibles d’être gouvernés par les règles protectrices des consommateurs respectivement prévues dans ces deux règlements.

42      Cet objectif ressort également du septième considérant du règlement n° 593/2008, lequel énonce que le champ d’application matériel et les dispositions de ce règlement devraient être cohérents par rapport à ceux du règlement n° 44/2001.

43      Il y a lieu, par conséquent, d’interpréter ledit article 15, paragraphe 3, en tenant compte de la disposition correspondante figurant dans le règlement n° 593/2008 et de se référer à la notion de voyage à forfait auquel ce dernier règlement renvoie. En effet, tout d’abord, il s’agit d’une notion contenue dans une directive visant spécifiquement à protéger le consommateur en matière notamment de voyages à forfait. Ensuite, le règlement le plus récent, à savoir le règlement n° 593/2008, fait expressément référence à cette notion. Enfin, dans l’exposé des motifs de la proposition de règlement (CE) du Conseil concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale [COM(1999) 348 final], la Commission des Communautés européennes a utilisé l’expression «voyage à forfait» et renvoyé expressément à la directive 90/314 pour expliquer son projet d’article 15, paragraphe 3, dont les termes sont demeurés inchangés dans la version finale du règlement n° 44/2001.

44      Il convient dès lors de vérifier si un voyage en cargo tel que celui en cause dans l’affaire au principal correspond à la notion de «forfait» telle qu’elle est définie dans la directive 90/314.

45      À cet égard, il n’est pas contesté que, outre le transport, ledit voyage en cargo comportait, pour un prix forfaitaire, également le logement et que ce voyage excédait 24 heures. Dès lors, une telle prestation remplit les conditions requises pour constituer un «forfait» au sens de l’article 2, point 1, de la directive 90/314 et relève de la définition du contrat de transport à prix forfaitaire visée à l’article 15, paragraphe 3, du règlement n° 44/2001, lu à la lumière de cet article 2, point 1.

46      Il y a lieu, par conséquent, de répondre à la première question dans l’affaire C‑585/08 qu’un contrat ayant pour objet un voyage en cargo, tel que celui en cause au principal, constitue un contrat de transport qui, pour un prix forfaitaire, combine voyage et hébergement au sens de l’article 15, paragraphe 3, du règlement n° 44/2001.

 Sur la seconde question dans l’affaire C‑585/08 et l’unique question dans l’affaire C‑144/09

47      Par sa seconde question dans l’affaire C‑585/08 et son unique question dans l’affaire C‑144/09, la juridiction de renvoi demande en substance, d’une part, selon quels critères un commerçant, dont l’activité est présentée sur son site Internet ou sur celui d’un intermédiaire, peut être considéré comme «dirigeant» son activité vers l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile, au sens de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 44/2001, et, d’autre part, s’il suffit, pour que cette activité soit regardée comme telle, que ces sites puissent être consultés sur Internet.

48      Ainsi qu’il ressort des décisions de renvoi, cette question est posée dans le cadre de deux litiges distincts.

49      Dans l’affaire C‑585/08, le litige implique un commerçant, Reederei Karl Schlüter, ayant conclu un contrat avec un consommateur, M. Pammer, domicilié dans un État membre autre que celui dans lequel cette société est établie. Il n’est, semble-t-il, pas contesté que ce contrat entre dans le cadre des activités commerciales de ce commerçant.

50      Selon les observations présentées à la Cour par M. Pammer, celui-ci aurait été informé de l’existence du voyage en consultant le site Internet de la société intermédiaire sur lequel se trouvaient différentes offres de voyage. Il aurait, dans un premier temps, contacté cette dernière par courriel pour obtenir des informations complémentaires et, dans un second temps, réservé le voyage par courrier postal.

51      Dans l’affaire C‑144/09, le litige implique un commerçant, Hotel Alpenhof, qui a conclu un contrat entrant dans le cadre de ses activités commerciales avec un consommateur, M. Heller, domicilié dans un État membre autre que celui dans lequel est situé l’hôtel concerné. Il n’est pas contesté que M. Heller a été informé de l’existence de cet hôtel, qu’il a effectué sa réservation et confirmé celle-ci, à distance, au moyen d’Internet.

52      Dans ces deux affaires, l’Oberster Gerichtshof cherche à apprécier si le commerçant a dirigé son activité vers l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile, au sens de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 44/2001, afin de déterminer la juridiction compétente pour trancher les litiges au principal.

53      Ledit article 15, paragraphe 1, sous c), constitue une dérogation tant à la règle générale de compétence édictée à l’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001, attribuant compétence aux juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur est domicilié, qu’à la règle de compétence spéciale en matière de contrats, énoncée à l’article 5, point 1, de ce même règlement, selon laquelle le tribunal compétent est celui du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée (voir, en ce sens, arrêt du 20 janvier 2005, Gruber, C‑464/01, Rec. p. I‑439, point 34).

54      Si l’activité du commerçant était considérée comme étant «dirigée vers» l’État membre sur le territoire duquel le consommateur est domicilié, au sens de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 44/2001, il en résulterait, dans l’affaire C‑585/08 opposant M. Pammer à Reederei Karl Schlüter, que les juridictions autrichiennes seraient compétentes, conformément à l’article 16, paragraphe 1, de ce règlement, dès lors que le consommateur choisirait de porter le litige devant celles-ci et non devant les juridictions de l’État membre dans lequel est établi le défendeur, Reederei Karl Schlüter, à savoir les juridictions allemandes. Dans l’affaire C‑144/09, le consommateur, M. Heller, étant domicilié en Allemagne, les juridictions de cet État membre seraient compétentes, conformément à l’article 16, paragraphe 2, dudit règlement et non celles de l’État membre sur le territoire duquel Hotel Alpenhof est située, en l’espèce l’Autriche.

55      Le règlement n° 44/2001 ne contient aucune définition de la notion d’activité «dirigée vers» l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile, figurant à son article 15, paragraphe 1, sous c). Cette notion, comme celles de l’article 13 de la convention de Bruxelles, que cet article 15 remplace, doit être interprétée de façon autonome, en se référant principalement au système et aux objectifs de ce règlement, en vue d’assurer à celui-ci sa pleine efficacité (voir arrêt du 11 juillet 2002, Gabriel, C‑96/00, Rec. p. I‑6367, point 37).

56      Il y a lieu, à cet égard, conformément au dix-neuvième considérant du règlement n° 44/2001, de tenir compte de l’interprétation que la Cour a donnée dudit article 13, tout en prenant en considération les changements qui ont été apportés à celui-ci par ce règlement.

57      À cet égard, la Cour a déjà jugé que, dans le système établi par le règlement n° 44/2001, l’article 15, paragraphe 1, sous c), occupe, ainsi qu’il ressort du treizième considérant de ce même règlement, la même place et remplit la même fonction de protection de la partie la plus faible que l’article 13, premier alinéa, point 3, de la convention de Bruxelles (arrêt du 14 mai 2009, Ilsinger, C‑180/06, Rec. p. I‑3961, point 41).

58      S’agissant de cette dernière disposition, la Cour a en effet itérativement jugé que le régime particulier institué par les dispositions de la convention de Bruxelles sur la compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs a pour fonction d’assurer une protection adéquate au consommateur, en tant que partie au contrat réputée économiquement plus faible et juridiquement moins expérimentée que son cocontractant professionnel (voir, notamment, arrêts Gruber, précité, point 34, et du 20 janvier 2005, Engler, C‑27/02, Rec. p. I‑481, point 39).

59      Toutefois, la Cour a également constaté, au point 48 de l’arrêt Ilsinger, précité, que le libellé de l’article 15, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001 n’est pas en tous points identique à celui de l’article 13, premier alinéa, de la convention de Bruxelles. En particulier, elle a considéré, au point 50 dudit arrêt, que les conditions d’application que les contrats de consommation doivent remplir sont désormais libellées de manière plus générale que précédemment, afin que soit assurée une meilleure protection des consommateurs eu égard aux nouveaux moyens de communication et au développement du commerce électronique.

60      Le législateur de l’Union a ainsi remplacé les conditions incombant, d’une part, au commerçant d’avoir fait spécialement une proposition ou d’avoir adressé une publicité dans l’État du domicile du consommateur et, d’autre part, au consommateur d’avoir accompli dans cet État les actes nécessaires à la conclusion du contrat par des conditions applicables au seul commerçant. À cet égard, ce dernier doit exercer ses activités commerciales dans l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou, par tout moyen, diriger ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et le contrat doit entrer dans le cadre de telles activités.

61      Le libellé de l’article 15, paragraphe 1, sous c), doit être considéré comme englobant et remplaçant les notions précédentes de proposition «spécialement faite» et de «publicité» en couvrant, ainsi que les termes par «tout moyen» l’indiquent, une gamme plus large d’activités.

62      Ce changement, qui renforce la protection du consommateur, est intervenu en raison du développement des communications par Internet qui rend plus difficile la détermination du lieu où sont accomplis les actes nécessaires à la conclusion du contrat, tout en augmentant la vulnérabilité du consommateur à l’égard des offres des commerçants.

63      Il ne ressort toutefois pas de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 44/2001 si les termes «dirige ces activités vers» font référence à la volonté du commerçant de se tourner vers un ou plusieurs autres États membres ou s’ils se rapportent simplement à une activité de facto tournée vers ceux-ci, indépendamment d’une telle volonté.

64      La question ainsi posée est celle de savoir si la volonté du commerçant de cibler un ou plusieurs autres États membres est requise et, si tel est le cas, sous quelle forme une telle volonté doit se manifester.

65      Cette volonté est implicite dans certains modes de publicité.

66      S’agissant des notions de «publicité» et de «proposition spécialement faite», au sens de l’article 13 de la convention de Bruxelles, la Cour a jugé qu’elles visaient toutes formes de publicité faite dans l’État contractant où le consommateur est domicilié, qu’elle soit diffusée de manière générale par voie de presse, de radio, de télévision, de cinéma ou selon toute autre modalité, ou adressée de manière directe, par exemple par voie de catalogues spécialement dirigés vers ledit État, ainsi que les propositions d’affaires soumises individuellement au consommateur, notamment au moyen d’un agent ou d’un colporteur (arrêt Gabriel, précité, point 44).

67      Les modes de publicité classiques explicitement désignés au point précédent impliquent l’engagement de dépenses parfois importantes de la part du commerçant pour se faire connaître dans d’autres États membres et démontrent, de ce fait même, une volonté du commerçant de diriger son activité vers ces derniers.

68      Cette volonté n’est, en revanche, pas toujours présente dans le cas de la publicité au moyen d’Internet. Ce mode de communication ayant par nature une portée mondiale, une publicité faite sur un site Internet par un commerçant est en principe accessible dans tous les États et, par conséquent, dans l’ensemble de l’Union européenne sans qu’il soit nécessaire d’exposer des dépenses supplémentaires et indépendamment de la volonté du commerçant de cibler ou non des consommateurs au-delà du territoire de l’État membre dans lequel il est établi.

69      Il n’en résulte pas pour autant qu’il faille interpréter les termes «dirige ces activités vers» comme visant la simple accessibilité d’un site Internet dans des États membres autres que celui dans lequel le commerçant concerné est établi.

70      En effet, s’il ne fait aucun doute que les articles 15, paragraphe 1, sous c), et 16 du règlement n° 44/2001 visent à protéger les consommateurs, cela n’implique pas que cette protection soit absolue [voir, par analogie, s’agissant de la directive 85/577/CEE du Conseil, du 20 décembre 1985, concernant la protection des consommateurs dans le cas de contrats négociés en dehors des établissements commerciaux (JO L 372, p. 31), arrêt du 15 avril 2010, E. Friz, C‑215/08, non encore publié au Recueil, point 44].

71      Ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 64 de ses conclusions, si telle avait été la volonté du législateur de l’Union, il aurait posé comme condition d’application des règles en matière de contrats conclus par les consommateurs non pas la «direction des activités vers un État membre», mais la simple existence du site Internet.

72      Or, tout en souhaitant davantage protéger le consommateur, ledit législateur n’est pas allé jusqu’à énoncer que la simple utilisation d’un site Internet, laquelle est devenue un moyen habituel de faire du commerce, quel que soit le territoire visé, constitue une activité «dirigée vers» d’autres États membres qui déclenche l’application de la règle de compétence protectrice visée à l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 44/2001.

73      Il ressort ainsi de la proposition de règlement mentionnée au point 43 du présent arrêt que le législateur de l’Union a écarté une suggestion de la Commission visant à insérer dans le règlement n° 44/2001 un considérant selon lequel la commercialisation de biens ou de services par un moyen électronique accessible dans un État membre constitue une activité «dirigée vers» cet État.

74      Cette interprétation est également corroborée par la déclaration adoptée conjointement par le Conseil et la Commission lors de l’adoption du règlement n° 44/2001 et reprise au vingt-quatrième considérant du règlement n° 593/2008, selon laquelle le simple fait qu’un site Internet soit accessible ne suffit pas à rendre applicable l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 44/2001.

75      Par conséquent, il y a lieu de considérer que, aux fins de l’applicabilité dudit article 15, paragraphe 1, sous c), le commerçant doit avoir manifesté sa volonté d’établir des relations commerciales avec les consommateurs d’un ou de plusieurs autres États membres, au nombre desquels figure celui sur le territoire duquel le consommateur a son domicile.

76      Il convient dès lors de rechercher, s’agissant d’un contrat passé entre un commerçant et un consommateur donné, si, avant la conclusion éventuelle du contrat avec ce consommateur, il existait des indices démontrant que le commerçant envisageait de commercer avec des consommateurs domiciliés dans d’autres États membres, dont celui sur le territoire duquel ce consommateur a son domicile, en ce sens qu’il était disposé à conclure un contrat avec ces consommateurs.

77      Ne figure pas au nombre de tels indices, la mention sur un site Internet de l’adresse électronique ou géographique du commerçant non plus que l’indication de ses coordonnées téléphoniques sans préfixe international. En effet, la mention de telles informations n’indique pas que le commerçant dirige son activité vers un ou plusieurs autres États membres, dès lors que ce type d’informations est, en tout état de cause, nécessaire pour permettre à un consommateur domicilié sur le territoire de l’État membre dans lequel est établi ce commerçant d’entrer en relation avec ce dernier.

78      En outre, s’agissant de services offerts en ligne, certaines de ces informations sont devenues obligatoires. Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, en vertu de l’article 5, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce électronique») (JO L 178, p. 1), le prestataire de services est tenu de fournir aux destinataires du service, dès avant toute conclusion de contrat avec ces derniers, en sus de son adresse électronique, d’autres informations permettant une prise de contact rapide ainsi qu’une communication directe et efficace (arrêt du 16 octobre 2008, Bundesverband der Verbraucherzentralen und Verbraucherverbände, C‑298/07, Rec. p. I‑7841, point 40). Cette obligation s’applique quel que soit l’État membre vers lequel le commerçant dirige son activité et même si celle-ci est dirigée uniquement vers le territoire de l’État membre dans lequel ce commerçant est établi.

79      Il s’ensuit que la distinction effectuée par certains des gouvernements et certaines des parties ayant présenté des observations devant la Cour, entre les sites Internet permettant de contacter le commerçant par voie électronique, voire même de conclure le contrat en ligne au moyen d’un site dit «interactif», et les sites Internet n’offrant pas cette possibilité, distinction selon laquelle seuls les premiers seraient à inclure dans la catégorie de ceux qui permettent d’exercer une activité «dirigée vers» d’autres États membres, n’est pas déterminante. Dès lors qu’une adresse géographique ou d’autres coordonnées du commerçant sont mentionnées, le consommateur a, en effet, la faculté de le contacter en vue de conclure un contrat. Or, cette facilité de contact existe, que le commerçant ait envisagé ou non de commercer avec des consommateurs domiciliés dans des États membres autres que celui sur le territoire duquel il est établi.

80      Parmi les indices permettant de déterminer si une activité est «dirigée vers» l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile, figurent toutes les expressions manifestes de la volonté de démarcher les consommateurs de cet État membre.

81      Au nombre des expressions manifestes d’une telle volonté du commerçant figure la mention selon laquelle ce dernier offre ses services ou ses biens dans un ou plusieurs États membres nommément désignés. Il en va de même de l’engagement de dépenses dans un service de référencement sur Internet auprès de l’exploitant d’un moteur de recherche afin de faciliter aux consommateurs domiciliés dans différents États membres l’accès au site du commerçant, qui démontre également l’existence d’une telle volonté.

82      Toutefois, la caractérisation d’une activité «dirigée vers» d’autres États membres ne dépend pas uniquement de l’existence d’indices aussi patents. À cet égard, il importe de constater que le Parlement européen a, par sa résolution législative sur la proposition de règlement mentionnée au point 43 du présent arrêt (JO 2001, C 146, p. 101), écarté un libellé selon lequel le commerçant devait avoir «intentionnellement dirigé son activité, de façon substantielle», vers d’autres États membres ou vers plusieurs pays, dont l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile. En effet, un tel libellé aurait eu pour conséquence d’affaiblir la protection du consommateur en exigeant la preuve d’une volonté de la part du commerçant de développer une activité d’une certaine ampleur avec ces autres États membres.

83      D’autres indices éventuellement combinés les uns aux autres sont susceptibles de démontrer l’existence d’une activité «dirigée vers» l’État membre du domicile du consommateur. Dans des affaires telles que celles au principal, il y a lieu de considérer que les caractéristiques suivantes, alléguées devant la Cour et dont la liste n’est pas exhaustive, constitueraient, sous réserve d’une vérification de leur existence par le juge national, des indices d’une activité «dirigée vers» un ou plusieurs autres États membres au sens de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 44/2001. Il s’agit de la nature internationale de l’activité en cause, telle que certaines activités touristiques, la mention de coordonnées téléphoniques avec l’indication du préfixe international, l’utilisation d’un nom de domaine de premier niveau autre que celui de l’État membre où le commerçant est établi, par exemple «.de» ou encore l’utilisation de noms de domaine de premier niveau neutres tels que «.com» ou «.eu», la description d’itinéraires à partir d’un ou de plusieurs autres États membres vers le lieu de la prestation de service ainsi que la mention d’une clientèle internationale composée de clients domiciliés dans différents États membres, notamment par la présentation de témoignages de tels clients.

84      En ce qui concerne la langue ou la monnaie utilisée, la déclaration conjointe du Conseil et de la Commission, mentionnée au point 11 du présent arrêt et reprise au vingt-quatrième considérant du règlement n° 593/2008, énonce que celles-ci ne constituent pas des éléments pertinents aux fins d’apprécier si une activité est dirigée vers un ou plusieurs autres États membres. Il en va ainsi, en effet, lorsqu’elles correspondent aux langues habituellement utilisées dans l’État membre à partir duquel le commerçant exerce son activité et à la monnaie de cet État membre. Si, en revanche, le site Internet permet aux consommateurs d’utiliser une autre langue ou une autre monnaie que celles-ci, la langue et/ou la monnaie peuvent être prises en considération et constituer un indice permettant de considérer que l’activité du commerçant est dirigée vers d’autres États membres.

85      Dans une affaire telle que celle opposant Hotel Alpenhof à M. Heller, il semblerait qu’il existe plusieurs indices parmi ceux énoncés aux points 83 et 84 du présent arrêt de nature à démontrer que le commerçant a dirigé son activité vers un ou plusieurs États membres autres que la République d’Autriche. Il appartient cependant au juge national de vérifier que tel est le cas.

86      Hotel Alpenhof soutient toutefois que le contrat avec le consommateur est conclu sur place et non à distance, la remise des clefs des chambres et le paiement étant effectués sur place, et que, dès lors, l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 44/2001 ne peut s’appliquer.

87      À cet égard, la circonstance que les clefs sont remises au consommateur et que le paiement est effectué par ce dernier dans l’État membre sur le territoire duquel le commerçant est établi n’empêche pas l’application de ladite disposition, si la réservation et la confirmation de celle-ci ont eu lieu à distance, de sorte que le consommateur s’est trouvé contractuellement engagé à distance.

88      Dans l’affaire C‑585/08, opposant M. Pammer à Reederei Karl Schlüter, la juridiction de renvoi n’a pu fournir que peu d’informations concernant l’activité de cette société, le site de la société intermédiaire et la relation entre cette dernière et Reederei Karl Schlüter.

89      La circonstance que le site Internet soit celui de la société intermédiaire et non celui du commerçant ne fait pas obstacle à ce que ce dernier soit considéré comme dirigeant son activité vers d’autres États membres, dont celui du domicile du consommateur, dès lors que cette société agissait au nom et pour le compte dudit commerçant. Il appartient au juge national de vérifier si ce dernier était ou a dû être conscient de la dimension internationale de l’activité de la société intermédiaire et quel lien unissait cette dernière à ce commerçant.

90      La nature internationale de l’activité en cause, à savoir l’organisation de voyages en cargo d’Europe vers l’Extrême-Orient, constitue un indice pertinent, mais ne permet pas, à lui seul, de considérer que le commerçant a dirigé son activité vers d’autres États membres, dont celui du domicile du consommateur. En effet, l’activité du commerçant comporterait une telle caractéristique même si celui-ci, seul ou au moyen de la société intermédiaire, n’exerçait son activité qu’en Allemagne et ne la dirigeait pas vers d’autres États membres. Par conséquent, d’autres indices, notamment parmi ceux mentionnés aux points 83 et 84 du présent arrêt, doivent nécessairement être réunis, tels que la mention des coordonnées téléphoniques avec l’indication du préfixe international, l’utilisation d’une langue autre que l’allemand ou la mention d’une clientèle internationale composée de clients domiciliés dans différents États membres afin d’établir que le commerçant envisageait de commercer avec des clients domiciliés dans l’Union, quel que soit l’État membre.

91      En revanche, la mention de l’adresse électronique ou géographique de la société intermédiaire ou du commerçant ne constitue pas un indice pertinent, ainsi qu’il ressort du point 77 du présent arrêt. Il en va de même de l’utilisation de la langue allemande et de la faculté de réserver un voyage dans cette langue, lorsque celle-ci est la langue du commerçant.

92      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la juridiction de renvoi que, afin de déterminer si un commerçant, dont l’activité est présentée sur son site Internet ou sur celui d’un intermédiaire, peut être considéré comme «dirigeant» son activité vers l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile, au sens de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 44/2001, il convient de vérifier si, avant la conclusion éventuelle d’un contrat avec le consommateur, il ressort de ces sites Internet et de l’activité globale du commerçant que ce dernier envisageait de commercer avec des consommateurs domiciliés dans un ou plusieurs États membres, dont celui dans lequel ce consommateur a son domicile, en ce sens qu’il était disposé à conclure un contrat avec eux.

93      Les éléments suivants, dont la liste n’est pas exhaustive, sont susceptibles de constituer des indices permettant de considérer que l’activité du commerçant est dirigée vers l’État membre du domicile du consommateur, à savoir la nature internationale de l’activité, la mention d’itinéraires à partir d’autres États membres pour se rendre au lieu où le commerçant est établi, l’utilisation d’une langue ou d’une monnaie autres que la langue ou la monnaie habituellement utilisées dans l’État membre dans lequel est établi le commerçant avec la possibilité de réserver et de confirmer la réservation dans cette autre langue, la mention de coordonnées téléphoniques avec l’indication d’un préfixe international, l’engagement de dépenses dans un service de référencement sur Internet afin de faciliter aux consommateurs domiciliés dans d’autres États membres l’accès au site du commerçant ou à celui de son intermédiaire, l’utilisation d’un nom de domaine de premier niveau autre que celui de l’État membre où le commerçant est établi et la mention d’une clientèle internationale composée de clients domiciliés dans différents États membres. Il appartient au juge national de vérifier l’existence de tels indices.

94      En revanche, la simple accessibilité du site Internet du commerçant ou de celui de l’intermédiaire dans l’État membre sur le territoire duquel le consommateur est domicilié est insuffisante. Il en va de même de la mention d’une adresse électronique ainsi que d’autres coordonnées ou de l’emploi d’une langue ou d’une monnaie qui sont la langue et/ou la monnaie habituellement utilisées dans l’État membre dans lequel le commerçant est établi.

 Sur les dépens

95      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

1)      Un contrat ayant pour objet un voyage en cargo, tel que celui en cause au principal dans l’affaire C‑585/08, constitue un contrat de transport qui, pour un prix forfaitaire, combine voyage et hébergement au sens de l’article 15, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

2)      Afin de déterminer si un commerçant, dont l’activité est présentée sur son site Internet ou sur celui d’un intermédiaire, peut être considéré comme «dirigeant» son activité vers l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile, au sens de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 44/2001, il convient de vérifier si, avant la conclusion éventuelle d’un contrat avec le consommateur, il ressort de ces sites Internet et de l’activité globale du commerçant que ce dernier envisageait de commercer avec des consommateurs domiciliés dans un ou plusieurs États membres, dont celui dans lequel ce consommateur a son domicile, en ce sens qu’il était disposé à conclure un contrat avec eux.

Les éléments suivants, dont la liste n’est pas exhaustive, sont susceptibles de constituer des indices permettant de considérer que l’activité du commerçant est dirigée vers l’État membre du domicile du consommateur, à savoir la nature internationale de l’activité, la mention d’itinéraires à partir d’autres États membres pour se rendre au lieu où le commerçant est établi, l’utilisation d’une langue ou d’une monnaie autres que la langue ou la monnaie habituellement utilisées dans l’État membre dans lequel est établi le commerçant avec la possibilité de réserver et de confirmer la réservation dans cette autre langue, la mention de coordonnées téléphoniques avec l’indication d’un préfixe international, l’engagement de dépenses dans un service de référencement sur Internet afin de faciliter aux consommateurs domiciliés dans d’autres États membres l’accès au site du commerçant ou à celui de son intermédiaire, l’utilisation d’un nom de domaine de premier niveau autre que celui de l’État membre où le commerçant est établi et la mention d’une clientèle internationale composée de clients domiciliés dans différents États membres. Il appartient au juge national de vérifier l’existence de tels indices.

En revanche, la simple accessibilité du site Internet du commerçant ou de celui de l’intermédiaire dans l’État membre sur le territoire duquel le consommateur est domicilié est insuffisante. Il en va de même de la mention d’une adresse électronique ainsi que d’autres coordonnées ou de l’emploi d’une langue ou d’une monnaie qui sont la langue et/ou la monnaie habituellement utilisées dans l’État membre dans lequel le commerçant est établi.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.