Language of document : ECLI:EU:C:2023:987

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

14 décembre 2023 (*)

« Pourvoi – Droit institutionnel – Députés du Parlement européen – Règlement intérieur du Parlement européen – Règles de conduite – Article 10, paragraphe 3 – Interdiction de déployer des banderoles et des bannières au cours des séances du Parlement – Mesure verbale du président du Parlement interdisant aux députés d’arborer un drapeau national sur leur pupitre – Recours en annulation – Article 263 TFUE – Notion d’“acte attaquable” »

Dans l’affaire C‑767/21 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 8 décembre 2021,

Jérôme Rivière, demeurant à Nice (France),

Dominique Bilde, demeurant à Lagarde (France),

Joëlle Mélin, demeurant à Aubagne (France),

Aurélia Beigneux, demeurant à Hénin-Beaumont (France),

Thierry Mariani, demeurant à Paris (France),

Jordan Bardella, demeurant à Montmorency (France),

JeanPaul Garraud, demeurant à Libourne (France),

JeanFrançois Jalkh, demeurant à Gretz‑Armainvilliers (France),

Gilbert Collard, demeurant à Marseille (France),

Gilles Lebreton, demeurant à Montivilliers (France),

Nicolaus Fest, demeurant à Berlin (Allemagne),

Gunnar Beck, demeurant à Neuss (Allemagne),

Philippe Olivier, demeurant à Draveil (France),

représentés par Me F. Wagner, avocat,

parties requérantes,

l’autre partie à la procédure étant :

Parlement européen, représenté par MM. N. Lorenz et T. Lukácsi, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe, présidente de chambre, MM. N. Piçarra (rapporteur), M. Safjan, N. Jääskinen et M. Gavalec, juges,

avocat général : Mme T. Ćapeta,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 16 février 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par leur pourvoi, M. Jérôme Rivière, Mmes Dominique Bilde, Joëlle Mélin, Aurélia Beigneux, MM. Thierry Mariani, Jordan Bardella, Jean‑Paul Garraud, Jean‑François Jalkh, Gilbert Collard, Gilles Lebreton, Nicolaus Fest, Gunnar Beck et Philippe Olivier, députés du Parlement européen, demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 6 octobre 2021, Rivière e.a./Parlement (T‑88/20, ci‑après l’« arrêt attaqué », EU:T:2021:664), par lequel celui‑ci a rejeté comme irrecevable leur recours tendant à l’annulation de la mesure verbale du président du Parlement, du 13 janvier 2020, interdisant aux députés d’arborer le drapeau national sur leur pupitre (ci-après la « mesure litigieuse »).

 Le cadre juridique

2        Intitulé « Règles de conduite », l’article 10 du règlement intérieur du Parlement européen (9e législature – 2019‑2024) (ci‑après le « règlement intérieur ») prévoit :

« 1.      La conduite des députés est inspirée par le respect mutuel et repose sur les valeurs et principes définis dans les traités, en particulier dans la Charte des droits fondamentaux. [...]

2.      Les députés ne compromettent pas le bon déroulement des travaux parlementaires ni le maintien de la sécurité et de l’ordre dans les bâtiments du Parlement ou encore le bon fonctionnement des équipements du Parlement.

3.      Les députés ne perturbent pas le bon ordre dans la salle des séances et s’abstiennent de tout comportement déplacé. Ils ne déploient ni banderoles ni bannières.

[...] »

3        L’article 171 de ce règlement, intitulé « Répartition du temps de parole et liste des orateurs », prévoit, à son paragraphe 4 :

« Pour [la première] partie du débat, le temps de parole est réparti selon les critères suivants :

a)      une première fraction du temps de parole est répartie à égalité entre tous les groupes politiques ;

b)      une deuxième fraction est répartie entre les groupes politiques au prorata du nombre total de leurs membres ;

c)      il est attribué globalement aux députés non inscrits un temps de parole calculé d’après les fractions accordées à chaque groupe politique conformément aux points a) et b) ;

d)      la répartition du temps de parole en plénière tient compte du fait que les députés atteints d’un handicap pourraient avoir besoin de plus de temps. »

4        L’article 175 dudit règlement, intitulé « Mesures immédiates », dispose, à ses paragraphes 1 à 3 :

« 1.      Le Président rappelle à l’ordre tout député qui enfreint les règles de conduite définies à l’article 10, paragraphe 3 ou 4.

2.      En cas de récidive, le Président rappelle à nouveau le député à l’ordre, avec inscription au procès‑verbal.

3.      Si la violation se poursuit, ou en cas de nouvelle récidive, le Président peut retirer la parole au député concerné et l’exclure de la salle des séances pour le reste de la séance. [...] »

 Les antécédents du litige

5        Les antécédents du litige, tels qu’ils ressortent des points 1 à 3 de l’arrêt attaqué, peuvent être résumés comme suit.

6        Lors de la séance plénière du 13 janvier 2020, le président du Parlement a adopté oralement, sur le fondement de l’article 10, paragraphe 3, du règlement intérieur, des mesures visant à assurer le respect de l’ordre dans l’hémicycle, dont la mesure litigieuse.

7        Lors des séances plénières des 29 et 30 janvier 2020, les vice‑présidentes ayant présidé ces séances ont réitéré la mesure litigieuse.

 Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

8        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 février 2020, les requérants ont introduit un recours tendant à l’annulation de la mesure litigieuse.

9        Au soutien de leur recours, ils ont soulevé quatre moyens. Le premier comportait deux branches, tirées, la première, de la violation et de la dénaturation de l’article 10 du règlement intérieur et, la seconde, de la violation de l’article 4, paragraphe 2, TUE. Le deuxième moyen était tiré de la violation du principe de sécurité juridique, le troisième, de l’abus de pouvoir et, le quatrième, de la violation des principes d’égalité de traitement, de légalité, de bonne administration, du fumus persecutionis et de la violation de la liberté d’expression des députés.

10      Le Parlement a soulevé, à titre principal, une exception d’irrecevabilité du recours, tirée de l’absence, premièrement, d’acte attaquable, au sens de l’article 263 TFUE, deuxièmement, de qualité pour agir des requérants et, troisièmement, d’intérêt à agir de ceux‑ci. À titre subsidiaire, le Parlement a soutenu que le recours n’était pas fondé.

11      Le Tribunal a fait droit à la fin de non‑recevoir tirée de l’absence d’acte attaquable, au sens de l’article 263 TFUE.

12      Au point 38 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré qu’il ressortait des écrits des parties que la mesure litigieuse consistait en une interdiction adressée aux députés, au titre de l’article 10, paragraphe 3, du règlement intérieur, d’arborer des drapeaux nationaux sur leur pupitre. À cet égard, il a précisé que, bien que les requérants aient fait également valoir une interdiction de prise de parole appliquée aux députés ne respectant pas ladite mesure, rien ne permettait d’établir que cette dernière soit allée au-delà de l’interdiction d’arborer des drapeaux nationaux.

13      Aux points 42 à 44 de cet arrêt, le Tribunal a relevé que, en vertu du règlement intérieur, inspiré des traditions parlementaires communes aux États membres, les députés « s’expriment en prenant la parole ». Il a précisé que, hormis la faculté qui leur est accordée par ce règlement de présenter une fois par session une déclaration écrite de 200 mots, ledit règlement « ne prévoit aucun autre moyen d’expression dont disposeraient les participants aux débats ». Selon le Tribunal, la restriction concernant les moyens d’expression des députés ainsi établie vise à garantir l’égalité de ceux-ci et, par conséquent, le bon déroulement des travaux parlementaires. Ce double objectif serait aussi poursuivi par l’article 171, paragraphe 4, dudit règlement intérieur, qui prévoit des critères précis de répartition du temps de parole entre les députés.

14      Aux points 45 et 48 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé qu’« une image ou un objet, par le symbole qu’il représente ou le message qu’il communique, peut incontestablement servir de moyen d’expression donnant ainsi aux députés qui l’utilisent la possibilité d’affirmer et de défendre leurs convictions politiques en dehors de leur temps de parole » lors des séances plénières du Parlement. Il a considéré que, en l’espèce, le drapeau posé par les requérants sur leurs pupitres était devenu « une sorte d’étendard d’un groupement politique et un symbole de la cause que celui-ci défend ». En outre, au point 49 de cet arrêt, il a considéré que « le déploiement du drapeau d’un État membre en particulier sur le pupitre d’un député élu au Parlement est en discordance avec la fonction représentative [de ce] député », telle que définie, notamment, à l’article 14, paragraphe 2, TUE et à l’article 22, paragraphe 2, TFUE.

15      Au point 50 dudit arrêt, le Tribunal a jugé que, en raison de la fonction que les requérants lui attribuent, le drapeau national ainsi arboré sur leur pupitre était « réduit à un simple moyen d’expression ou de communication d’opinions » qui ne se distinguait pas des objets visés par les termes « bannières » et « banderoles » employés à l’article 10, paragraphe 3, du règlement intérieur ou leurs équivalents dans les différentes versions linguistiques de cette disposition.

16      Compte tenu de l’ensemble de ces motifs, le Tribunal a jugé, aux points 51 et 52 de l’arrêt attaqué que, le comportement des requérants étant de nature à perturber le bon fonctionnement des travaux parlementaires, il relevait du champ d’application de l’article 10, paragraphe 3, du règlement intérieur, que la mesure litigieuse s’inscrivait « dans le cadre de l’organisation interne des travaux du Parlement » et ne produisait pas d’effets juridiques de nature à affecter les conditions d’exercice du mandat de député des requérants en modifiant de façon caractérisée leur situation juridique. Partant, cette mesure ne constituait pas un acte attaquable, au sens de l’article 263 TFUE.


17      Le Tribunal a ainsi rejeté le recours comme étant irrecevable.

 Les conclusions des parties

18      Les requérants demandent à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué ;

–        de déclarer le recours recevable ;

–        d’annuler la mesure litigieuse, et

–        de condamner le Parlement aux dépens.

19      Le Parlement conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation des requérants aux dépens.

 Sur le pourvoi

 Sur la recevabilité du pourvoi

20      Le Parlement fait valoir que le pourvoi ne satisfait pas aux conditions de recevabilité énoncées à l’article 168 du règlement de procédure de la Cour, au motif qu’il n’indiquerait pas de façon précise les arguments juridiques venant au soutien des moyens exposés, lesquels ne contiendraient aucune argumentation juridique.

21      À cet égard, il résulte de l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que de l’article 168, paragraphe 1, sous d), et de l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les points critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande, sous peine d’irrecevabilité du pourvoi ou du moyen concerné (arrêt du 23 novembre 2021, Conseil/Hamas, C‑833/19 P, EU:C:2021:950, point 50 et jurisprudence citée).

22      La requête en pourvoi permet cependant d’identifier sans équivoque deux moyens par lesquels les requérants reprochent au Tribunal, d’une part, une dénaturation des faits et une erreur de qualification juridique de ceux-ci au point 38 de l’arrêt attaqué et, d’autre part, des erreurs de droit dont seraient entachés les points 41 à 50 de cet arrêt en ce qui concerne l’interprétation de l’article 10, paragraphe 3, du règlement intérieur. Il ressort, par ailleurs, du mémoire en réponse du Parlement que celui-ci a été en mesure de saisir la substance de ces moyens et d’y répondre au fond.

23      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que le pourvoi identifie avec suffisamment de précision, en chacun de ses moyens, les points critiqués de l’arrêt attaqué et expose les motifs pour lesquels ces points seraient, selon les requérants, entachés d’erreurs de droit, permettant ainsi à la Cour d’exercer son contrôle de légalité.

24      Il y a, dès lors, lieu de déclarer le présent pourvoi recevable.

 Sur le fond du pourvoi

 Sur le premier moyen

–       Argumentation des parties

25      Par leur premier moyen, les requérants soutiennent que le Tribunal a, au point 38 de l’arrêt attaqué, dénaturé les faits et commis une erreur dans la qualification juridique de ces faits, en s’abstenant de considérer que la mesure litigieuse avait eu pour effet pratique de priver de parole les députés et, partant, de modifier, de façon caractérisée, les conditions d’exercice du mandat de ceux qui ont refusé de retirer les drapeaux nationaux de leurs pupitres, lors des séances plénières des 29 et 30 janvier 2020.

26      Le Parlement estime que le premier moyen est manifestement non fondé.

–       Appréciation de la Cour

27      Il ressort de l’article 256, paragraphe 1, TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le pourvoi est limité aux questions de droit et que le Tribunal est, dès lors, seul compétent pour constater et apprécier les faits ainsi que les éléments de preuve. Cette appréciation ne constitue pas, sous réserve de dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (arrêt du 10 juillet 2019, VG/Commission, C‑19/18 P, EU:C:2019:578, point 47 et jurisprudence citée).

28      Une telle dénaturation existe lorsque, sans avoir recours à de nouveaux éléments de preuve, l’appréciation des éléments de preuve existants apparaît manifestement erronée. Cette dénaturation doit ressortir de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves. Lorsqu’un requérant allègue une dénaturation d’éléments de preuve par le Tribunal, il doit indiquer de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par celui‑ci et démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit le Tribunal à cette dénaturation (arrêt du 3 décembre 2015, Italie/Commission, C‑280/14 P, EU:C:2015:792, point 52 et jurisprudence citée).

29      Il ressort, toutefois, sans équivoque de la requête en première instance que les requérants ont demandé, devant le Tribunal, l’annulation de la seule mesure litigieuse, laquelle consiste exclusivement en l’interdiction verbale d’arborer les drapeaux nationaux sur leurs pupitres. Ils n’ont pas contesté, devant le Tribunal, les mesures ultérieures de privation de parole, lors des séances plénières des 29 et 30 janvier 2020. Dans ces conditions, ils ne sauraient reprocher au Tribunal d’avoir entaché l’arrêt attaqué d’une dénaturation et d’une erreur de qualification juridique des faits.

30      En tout état de cause, il convient d’ajouter que, au point 38 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté, à bon droit, que, bien que les requérants aient fait également valoir une interdiction de prise de parole appliquée aux députés ne respectant pas la mesure litigieuse, rien ne permettait d’établir que cette mesure allait « au-delà d’une interdiction, adressée aux membres du Parlement au titre de l’article 10, paragraphe 3, du règlement intérieur, d’arborer des drapeaux nationaux sur leur pupitre ».

31      C’est dès lors sans commettre ni dénaturation ni erreur de qualification juridique des faits que le Tribunal a jugé que la mesure litigieuse ne visait qu’à mettre fin à la présence des drapeaux nationaux sur le pupitre des députés, sans que cette mesure ait eu concrètement pour effet, au cours des séances plénières des 29 et 30 janvier 2020, d’interdire aux députés concernés de prendre la parole.

32      Il s’ensuit que le premier moyen n’est pas fondé et doit, partant, être rejeté.

 Sur le second moyen

–       Argumentation des parties

33      Par leur second moyen, les requérants font valoir que le Tribunal a, aux points 41 à 50 de l’arrêt attaqué, commis une « violation et [une] dénaturation en droit et en fait » de l’article 10, paragraphe 3, du règlement intérieur ainsi qu’une « erreur manifeste d’appréciation », qui l’ont conduit à juger, au point 52 de cet arrêt, que la mesure litigieuse s’inscrivait dans le cadre de l’organisation interne des travaux du Parlement, ne produisait pas d’effets juridiques de nature à affecter les conditions d’exercice du mandat de député des requérants et, partant, ne constituait pas un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE.

34      À cet égard, les requérants soutiennent, premièrement, que les « drapeaux » nationaux ne relèvent pas du champ d’application de l’article 10, paragraphe 3, du règlement intérieur, lequel ne se réfère qu’aux « bannières » et aux « banderoles ». Le Tribunal aurait dû établir qu’un drapeau national est une « banderole » ou une « bannière », au sens de cette disposition, avant de déterminer si l’utilisation d’un tel drapeau par les députés perturbait le bon ordre dans la salle des séances ou constituait un comportement déplacé de ceux-ci, susceptible de compromettre le bon déroulement des travaux parlementaires.

35      Dans ce contexte, les requérants soutiennent que les termes « banderoles » et « bannières » doivent être définis conformément au sens courant de ces termes en langue française, tel que précisé dans la prise de position adoptée par le service du Dictionnaire de l’Académie française, par lettre du 20 février 2020, en réponse à une demande que lui avaient adressée deux des requérants.

36      Ils allèguent également que le Tribunal n’aurait pas dû tenir compte, au point 50 de l’arrêt attaqué, des différentes versions linguistiques de l’article 10, paragraphe 3, du règlement intérieur pour déterminer si les « drapeaux nationaux » en cause pouvaient être qualifiés de « banderoles » ou de « bannières », au sens de cette disposition. En statuant ainsi, le Tribunal aurait méconnu l’article 1er du règlement no 1 du Conseil, du 15 avril 1958, portant fixation du régime linguistique de la Communauté économique européenne (JO 1958, 17, p. 385), tel que modifié par le règlement (UE) nº 517/2013 du Conseil, du 13 mai 2013 (JO 2013, L 158, p. 1), qui dispose que la langue française est une langue officielle et une langue de travail des institutions de l’Union européenne. Les termes en cause n’auraient donc dû être interprétés, à l’égard des députés français, que conformément à la portée que leur donne la langue française.

37      Deuxièmement, les requérants soutiennent que le Tribunal a interprété de manière erronée l’article 10, paragraphe 3, seconde phrase, du règlement intérieur, qui n’interdirait le déploiement que de « banderoles » et de « bannières » mais non pas de « drapeaux ». En conséquence, le Tribunal aurait assimilé à tort un « petit drapeau déposé » sur le pupitre des députés au déploiement de « banderoles » et de « bannières », alors que les requérants n’auraient, en tout état de cause, pas déployé les drapeaux nationaux « à tout bout de champ ».

38      Troisièmement, le Tribunal n’aurait pas recherché, dans le cadre d’une analyse contextuelle de l’article 10, paragraphes 2 et 3, du règlement intérieur, si la mesure litigieuse visait à remédier à un éventuel trouble, causé par la présence de ces drapeaux, dans le déroulement des travaux parlementaires ou dans l’ordre et la sécurité des séances. Il n’aurait donc pas exposé les motifs pour lesquels le déploiement d’un drapeau national sur le pupitre d’un député constituait un comportement déplacé.

39      Quatrièmement, les requérants soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit en ayant considéré, aux points 43 à 45 de l’arrêt attaqué, que la mesure litigieuse visait à garantir l’égalité des députés et pouvait être fondée sur l’article 10 du règlement intérieur, alors qu’un tel objectif serait poursuivi par l’article 171 de ce règlement.

40      Cinquièmement, selon les requérants, « les députés [au Parlement] sont élus d’abord par les citoyens de leur pays, sur la base de listes nationales dans un cadre fixé par chaque État [membre] ». La circonstance que des citoyens d’autres États membres puissent intégrer ces listes et voter dans cet État membre n’ôterait pas « ce caractère national au vote ». Au demeurant, l’affirmation d’une « appartenance nationale » découlerait de l’article 4, paragraphe 2, TUE. Partant, contrairement à ce que le Tribunal aurait jugé, au point 49 de l’arrêt attaqué, la présence du drapeau national sur le pupitre d’un député au Parlement ne serait ni en discordance avec la fonction représentative de ce député, telle qu’elle est définie par les traités, ni de nature à perturber le bon déroulement des travaux parlementaires.

41      Le Parlement estime que le second moyen est manifestement non fondé.

–       Appréciation de la Cour

42      Par leur second moyen, les requérants reprochent, en substance, au Tribunal d’avoir, aux points 41 à 50 de l’arrêt attaqué, interprété de manière erronée l’article 10, paragraphe 3, du règlement intérieur. Selon eux, cette disposition ne saurait être le fondement de la mesure litigieuse, dès lors que les drapeaux nationaux ne relèvent pas de son champ d’application. Dans ces conditions, une telle mesure serait de nature à affecter les conditions d’exercice de leur mandat de député, en modifiant de façon caractérisée leur situation juridique, et constituerait, par conséquent, un acte attaquable, au sens de l’article 263 TFUE.

43      Il convient de rappeler que sont considérées comme des « actes attaquables », au sens de l’article 263 TFUE, toutes dispositions adoptées par les institutions, organes ou organismes de l’Union, quelle qu’en soit la forme, qui visent à produire des effets de droit obligatoires (arrêts du 20 février 2018, Belgique/Commission, C‑16/16 P, EU:C:2018:79, point 31, et du 9 juillet 2020, République tchèque/Commission, C‑575/18 P, EU:C:2020:530, point 46 ainsi que jurisprudence citée).

44      Pour déterminer si la mesure litigieuse produit des effets juridiques obligatoires, il y a lieu de s’attacher à la substance de cet acte et d’apprécier ces effets à l’aune de critères objectifs, tels que le contenu dudit acte, en tenant compte, le cas échéant, du contexte de l’adoption de ce dernier ainsi que des pouvoirs de l’institution qui en est l’auteur (voir, en ce sens, arrêts du 20 février 2018, Belgique/Commission, C‑16/16 P, EU:C:2018:79, point 32, et du 9 juillet 2020, République tchèque/Commission, C‑575/18 P, EU:C:2020:530, point 47).

45      Il importe de rappeler que la mesure litigieuse consiste en une interdiction, verbale, d’arborer les drapeaux nationaux sur les pupitres des députés et qu’elle a été adoptée sur le fondement de l’article 10, paragraphe 3, seconde phrase, du règlement intérieur qui prévoit que « [les députés] ne déploient ni banderoles ni bannières », lors des séances parlementaires. Ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale au point 71 de ses conclusions, cette disposition est directement applicable sans qu’il soit besoin de mesures d’exécution.

46      Pour déterminer si le Tribunal, ainsi que le font valoir les requérants, a commis une erreur de droit dans l’interprétation de l’article 10, paragraphe 3, seconde phrase, du règlement intérieur, il y a lieu de tenir compte, ainsi qu’il a été rappelé au point 40 de l’arrêt attaqué, non seulement des termes de cette disposition, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 28 septembre 2023, Gargždų geležinkelis, C‑671/21, EU:C:2023:709, point 50 et jurisprudence citée).

47      La formulation d’une disposition du droit de l’Union utilisée dans l’une de ses versions linguistiques ne saurait servir de base unique à l’interprétation de cette disposition, ou se voir attribuer un caractère prioritaire par rapport aux autres versions linguistiques. La nécessité d’une interprétation et d’une application uniformes de chaque disposition du droit de l’Union exclut que celle-ci soit considérée isolément dans l’une de ses versions linguistiques, mais exige qu’elle soit interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément [voir, en ce sens, arrêt du 27 octobre 1977, Bouchereau, 30/77, EU:C:1977:172, point 14, et arrêt du 15 septembre 2022, Minister for Justice and Equality (Ressortissant de pays tiers cousin d’un citoyen de l’Union), C‑22/21, EU:C:2022:683, point 20].

48      C’est donc à juste titre que le Tribunal a pris en compte, au point 50 de l’arrêt attaqué, des versions linguistiques autres que la version en langue française de l’article 10, paragraphe 3, seconde phrase, du règlement intérieur, aux fins de déterminer si les drapeaux nationaux constituaient des « bannières » ou des « banderoles », au sens de cette disposition. Par ailleurs, contrairement aux allégations des requérants, le Tribunal n’a, ce faisant, aucunement méconnu l’article 1er du règlement nº 1 du Conseil, tel que modifié par le règlement nº 517/2013, lequel se borne à énumérer les langues officielles et les langues de travail des institutions de l’Union.

49      Quant au point de savoir si l’interdiction de déploiement de « bannières » et « banderoles », établie à l’article 10, paragraphe 3, seconde phrase, du règlement intérieur, vise également les drapeaux nationaux, le Tribunal a relevé, au point 50 de l’arrêt attaqué, que les termes utilisés dans d’autres versions linguistiques de cette disposition correspondant aux termes français « banderoles » et « bannières » désignent généralement des objets souvent réalisés en tissus, fixés parfois sur des bâtons en bois et sur lesquels sont inscrits, notamment, des slogans politiques, une devise ou la déclaration d’un appel ou d’un objectif politique. Il a donc pu juger, à bon droit, à ce même point 50, que, en raison de la fonction attribuée en l’espèce au drapeau national par les requérants, ce drapeau pouvait être considéré comme un moyen d’expression ou de communication identique aux banderoles ou aux bannières.

50      Une telle interprétation est corroborée par les éléments contextuels et téléologiques de l’article 10, paragraphe 3, seconde phrase, du règlement intérieur.

51      En effet, comme le Tribunal l’a relevé aux points 42 à 44 de l’arrêt attaqué, la tradition du débat oral, qui caractérise l’activité parlementaire, est reflétée dans le règlement intérieur. Il ressort de l’économie générale de celui‑ci que les députés s’expriment en prenant la parole et ne disposent, en principe, d’aucun autre moyen d’expression. Dans ce contexte, l’article 10, paragraphe 3, seconde phrase, du règlement intérieur, lu en combinaison avec l’article 175 de celui‑ci, limite les moyens d’expression des députés en dehors de leur temps de parole, afin de garantir tant l’égalité de ceux‑ci que le bon ordre dans la salle des séances.

52      Par conséquent, contrairement à ce que les requérants soutiennent, c’est à juste titre que le Tribunal a considéré qu’ils avaient déployé une banderole ou une bannière, au sens de l’article 10, paragraphe 3, seconde phrase, du règlement intérieur, lorsqu’ils ont déposé un drapeau national sur leurs pupitres. En effet, c’est au regard de la fonction politique ainsi attribuée à un tel drapeau que l’acte des députés en cause doit être compris comme la manifestation d’une opinion politique au même titre que le déploiement des « banderoles » et des « bannières » visées à l’article 10, paragraphe 3, seconde phrase, du règlement intérieur.

53      Quant à l’argumentation des requérants selon laquelle le Tribunal a omis, à tort, d’exposer les motifs pour lesquels il a considéré que le déploiement de ces drapeaux nationaux perturbait le bon ordre de la salle des séances et constituait un comportement déplacé des députés, il suffit de relever que l’interdiction établie à l’article 10, paragraphe 3, seconde phrase, du règlement intérieur ne dépend pas de la démonstration concrète qu’un tel déploiement perturbe le bon déroulement des travaux parlementaires.

54      En ce qui concerne l’argumentation des requérants selon laquelle le Tribunal aurait interprété de manière erronée l’article 10, paragraphe 3, seconde phrase, du règlement intérieur, en ce sens que le but de cette disposition est le maintien de l’égalité entre les députés pour leur temps de parole, il suffit de relever que c’est à bon droit que le Tribunal a jugé, au point 44 de l’arrêt attaqué, que l’objectif de cette disposition, lue en combinaison avec l’article 175 de ce règlement, consiste à garantir l’égalité des députés en ce qui concerne leurs moyens d’expression et partant, compte tenu de ce que les députés s’expriment, en principe, oralement, de leur temps de parole.

55      Enfin, pour ce qui est de l’argumentation des requérants selon laquelle ils disposent du droit de déposer un petit drapeau national sur leur pupitre, sur le fondement du droit au respect de l’identité nationale garanti par l’article 4, paragraphe 2, TUE, il convient de rappeler d’emblée que cette disposition, contrairement à ce qu’allèguent les requérants, ne se réfère pas à une « appartenance nationale ». En revanche, ladite disposition impose à l’Union de respecter l’égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, et les fonctions essentielles de l’État.

56      Par ailleurs, les membres du Parlement représentent les citoyens de l’Union, ainsi qu’il ressort expressément de l’article 10, paragraphe 2, et de l’article 14, paragraphe 2, TUE et encore de l’article 22, paragraphe 2, TFUE, même s’ils sont élus sur des listes établies au niveau des États membres. Conformément au principe de démocratie représentative, sur lequel, aux termes de l’article 10, paragraphe 1, TUE, le fonctionnement de l’Union est fondé, la composition du Parlement reflète de façon fidèle et complète la libre expression des choix effectués par les citoyens de l’Union, au moyen du suffrage universel direct, quant aux personnes par lesquelles ceux-ci entendent être représentés pendant une législature donnée (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Junqueras Vies, C‑502/19, EU:C:2019:1115, point 83).

57      Il s’ensuit que, comme le Tribunal l’a jugé à bon droit, au point 49 de l’arrêt attaqué, le déploiement des drapeaux des États membres sur les pupitres des députés élus au Parlement est en discordance avec la fonction représentative de ces députés, telle qu’elle est définie par les traités, auxquels renvoie expressément l’article 10, paragraphe 1, du règlement intérieur.

58      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la mesure litigieuse ne produit pas d’effets juridiques de nature à affecter les conditions d’exercice du mandat de député des requérants en modifiant de façon caractérisée leur situation juridique, dès lors que ses effets ne vont pas au‑delà de ceux produits par l’interdiction prévue à l’article 10, paragraphe 3, seconde phrase, du règlement intérieur.

59      C’est donc sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé, au point 52 de l’arrêt attaqué, que la mesure litigieuse ne constitue pas un acte attaquable.

60      Il s’ensuit que le second moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

61      Compte tenu de l’ensemble des motifs qui précèdent, il y a lieu de rejeter le pourvoi dans son intégralité.

 Sur les dépens

62      En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

63      Le Parlement ayant conclu à la condamnation des requérants aux dépens et ceux‑ci ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par le Parlement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      M. Jérôme Rivière, Mmes Dominique Bilde, Joëlle Mélin, Aurélia Beigneux, MM. Thierry Mariani, Jordan Bardella, Jean-Paul Garraud, Jean-François Jalkh, Gilbert Collard, Gilles Lebreton, Nicolaus Fest, Gunnar Beck et Philippe Olivier sont condamnés à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par le Parlement européen.

Jürimäe

Piçarra

Safjan

Jääskinen

 

Gavalec

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 décembre 2023.

Le greffier

 

La présidente de chambre

A. Calot Escobar

 

K. Jürimäe


*      Langue de procédure : le français.