Language of document : ECLI:EU:C:2023:444

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

6 juin 2023 (*)

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Mandat d’arrêt européen – Décision-cadre 2002/584/JAI – Motifs de non-exécution facultative du mandat d’arrêt européen – Article 4, point 6 – Objectif de réinsertion sociale – Ressortissants de pays tiers demeurant ou résidant sur le territoire de l’État membre d’exécution – Égalité de traitement – Article 20 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne »

Dans l’affaire C‑700/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle, Italie), par décision du 18 novembre 2021, parvenue à la Cour le 22 novembre 2021, dans la procédure relative à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen émis contre

O. G.

en présence de :

Presidente del Consiglio dei Ministri,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice-président, Mme K. Jürimäe (rapporteure), MM. C. Lycourgos, E. Regan, Mmes L. S. Rossi et M. L. Arastey Sahún, présidents de chambre, MM. J.‑C. Bonichot, S. Rodin, I. Jarukaitis, N. Jääskinen, M. Gavalec et Z. Csehi, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. C. Di Bella, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 octobre 2022,

considérant les observations présentées :

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. S. Faraci, avvocato dello Stato,

–        pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér et Mme R. Kissné Berta, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement autrichien, par M. A. Posch, Mme J. Schmoll et M. F. Werni, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par M. G. Gattinara et Mme S. Grünheid, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 15 décembre 2022,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 3, et de l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), ainsi que de l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure relative à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen émis contre O. G. aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La décision-cadre 2002/584

3        Le considérant 6 de la décision-cadre 2002/584 énonce :

« (6)      Le mandat d’arrêt européen prévu par la présente décision-cadre constitue la première concrétisation, dans le domaine du droit pénal, du principe de reconnaissance mutuelle que le Conseil européen a qualifié de “pierre angulaire” de la coopération judiciaire. »

4        L’article 1er de cette décision-cadre, intitulé « Définition du mandat d’arrêt européen et obligation de l’exécuter », dispose :

« 1.      Le mandat d’arrêt européen est une décision judiciaire émise par un État membre en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État membre d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté.

2.      Les États membres exécutent tout mandat d’arrêt européen, sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément aux dispositions de la présente décision-cadre.

3.      La présente décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 [TUE]. »

5        L’article 4 de ladite décision-cadre, intitulé « Motifs de non-exécution facultative du mandat d’arrêt européen », prévoit, à son point 6 :

« L’autorité judiciaire d’exécution peut refuser d’exécuter le mandat d’arrêt européen :

[...]

6)      si le mandat d’arrêt européen a été délivré aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté, lorsque la personne recherchée demeure dans l’État membre d’exécution, en est ressortissante ou y réside, et que cet État s’engage à exécuter cette peine ou mesure de sûreté conformément à son droit interne ».

 La directive 2003/109/CE

6        Le considérant 12 de la directive 2003/109/CE du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée (JO 2004, L 16, p. 44), énonce :

« Afin de constituer un véritable instrument d’intégration dans la société dans laquelle le résident de longue durée s’est établi, le résident de longue durée devrait jouir de l’égalité de traitement avec les citoyens de l’État membre dans un large éventail de domaines économiques et sociaux, selon les conditions pertinentes définies par la présente directive. »

7        L’article 12 de cette directive dispose :

« 1.      Les États membres ne peuvent prendre une décision d’éloignement à l’encontre d’un résident de longue durée que lorsqu’il représente une menace réelle et suffisamment grave pour l’ordre public ou la sécurité publique.

2.      La décision visée au paragraphe 1 ne peut être justifiée par des raisons économiques.

3.      Avant de prendre une décision d’éloignement à l’encontre d’un résident de longue durée, les États membres prennent en compte les éléments suivants :

a)      la durée de la résidence sur leur territoire ;

b)      l’âge de la personne concernée ;

c)      les conséquences pour elle et pour les membres de sa famille ;

d)      les liens avec le pays de résidence ou l’absence de liens avec le pays d’origine.

[...] »

 La décision-cadre 2008/909/JAI

8        Le considérant 9 de la décision-cadre 2008/909/JAI du Conseil, du 27 novembre 2008, concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans l’Union européenne (JO 2008, L 327, p. 27), énonce :

« L’exécution de la condamnation dans l’État d’exécution devrait accroître les chances de réinsertion sociale de la personne condamnée. Pour acquérir la certitude que l’exécution de la condamnation par l’État d’exécution contribuera à la réalisation de l’objectif consistant à faciliter la réinsertion sociale de la personne condamnée, l’autorité compétente de l’État d’émission devrait tenir compte d’éléments tels que, par exemple, l’attachement de la personne à l’État d’exécution, le fait qu’elle le considère ou non comme un lieu où elle a des liens familiaux, linguistiques, culturels, sociaux ou économiques et autres. »

9        L’article 3, paragraphes 1 à 3, de cette décision-cadre dispose :

« 1.      La présente décision-cadre vise à fixer les règles permettant à un État membre, en vue de faciliter la réinsertion sociale de la personne condamnée, de reconnaître un jugement et d’exécuter la condamnation.

2.      La présente décision-cadre s’applique lorsque la personne condamnée se trouve dans l’État d’émission ou dans l’État d’exécution.

3.      La présente décision-cadre s’applique uniquement à la reconnaissance des jugements et à l’exécution des condamnations au sens de la présente décision-cadre. [...] »

10      Aux termes de l’article 25 de ladite décision-cadre, intitulé « Exécution des condamnations à la suite d’un mandat d’arrêt européen » :

« Sans préjudice de la décision-cadre [2002/584], les dispositions de la présente décision-cadre s’appliquent, mutatis mutandis dans la mesure où elles sont compatibles avec les dispositions de ladite décision-cadre, à l’exécution des condamnations dans les cas où un État membre s’engage à exécuter la condamnation conformément à l’article 4, point 6), de ladite décision-cadre ou lorsque, agissant dans le cadre de l’article 5, point 3), de cette même décision-cadre, il a imposé comme condition le renvoi de la personne dans l’État membre concerné afin d’y purger la peine, de manière à éviter l’impunité de la personne concernée. »

 Le droit italien

11      La legge n. 69 – Disposizioni per conformare il diritto interno alla decisione quadro 2002/584/GAI del Consiglio, del 13 giugno 2002, relativa al mandato d'arresto europeo e alle procedure di consegna tra Stati membri (loi no 69, portant dispositions pour mettre le droit interne en conformité avec la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres), du 22 avril 2005 (GURI no 98, du 29 avril 2005), dans sa version applicable aux faits du litige au principal (ci-après la « loi no 69 de 2005 »), prévoit, à son article 18 bis, intitulé « Motifs de refus facultatif de la remise », que la Corte d’appello (cour d’appel, Italie) peut refuser la remise demandée par l’autorité étrangère, notamment « si le mandat d’arrêt européen a été émis aux fins de l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté, si la personne recherchée est un ressortissant italien ou un ressortissant d’un autre État membre de l’Union [européenne], qui réside ou séjourne légalement et effectivement en Italie, à condition que la [Corte d’appello (cour d’appel)] ordonne que cette peine ou mesure de sûreté soit exécutée en Italie conformément à son droit interne ».

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

12      Le 13 février 2012, la Judecătoria Brașov (tribunal de première instance de Brașov, Roumanie) a émis contre O. G., un ressortissant moldave, un mandat d’arrêt européen aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté. Celui-ci a été condamné, par un jugement définitif, en Roumanie, à cinq ans d’emprisonnement pour les délits de fraude fiscale et de détournement de sommes dues au titre du paiement de l’impôt sur le revenu et de la TVA, commis en sa qualité de gérant d’une société à responsabilité limitée entre les mois de septembre 2003 et d’avril 2004.

13      Par un premier arrêt du 7 juillet 2020, la Corte d’appello di Bologna (cour d’appel de Bologne, Italie) a ordonné la remise de O. G. à l’autorité judiciaire d’émission. O. G. a formé un pourvoi devant la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie), laquelle a annulé cet arrêt et renvoyé l’affaire à la Corte d’appello di Bologna (cour d’appel de Bologne), en l’invitant à examiner la possibilité de soulever des questions de constitutionnalité concernant l’article 18 bis de la loi no 69 de 2005.

14      Constatant que la défense de O. G. avait établi à suffisance de droit le caractère durable de son installation familiale et professionnelle en Italie, cette dernière juridiction a saisi la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle, Italie), la juridiction de renvoi dans la présente affaire, de questions de constitutionnalité de cette disposition.

15      Cette juridiction indique que la Corte d’appello di Bologna (cour d’appel de Bologne) a notamment relevé que le motif de non-exécution facultative du mandat d’arrêt européen, prévu à l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584, a pour objectif d’assurer que la peine ait une véritable fonction de réintégration sociale. Celle-ci supposerait le maintien de liens familiaux et sociaux du condamné afin qu’il puisse correctement se réintégrer dans la société à la fin de sa peine. Or l’article 18 bis de la loi no 69 de 2005 aurait indûment restreint le champ d’application de cet article 4, point 6, dans la mesure où la faculté de refuser la remise, en cas de mandat d’arrêt européen aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté, est limitée aux seuls ressortissants italiens et aux ressortissants d’autres États membres de l’Union, à l’exclusion des ressortissants de pays tiers, et cela même lorsque ces derniers prouvent qu’ils ont établi de solides liens économiques, professionnels ou affectifs en Italie. En imposant la remise de ressortissants de pays tiers résidant de manière permanente en Italie aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté à l’étranger, l’article 18 bis de la loi no 69 de 2005 serait en contradiction avec la finalité rééducative de la peine, ainsi qu’avec le droit à la vie familiale de la personne concernée, consacré à l’article 7 de la Charte.

16      La juridiction de renvoi souligne, en outre, que la Corte d’appello di Bologna (cour d’appel de Bologne) a considéré comme étant injustifiée la différence de traitement, prévue par la réglementation nationale, entre, d’une part, un ressortissant d’un pays tiers, résidant de manière permanente en Italie et faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen émis aux fins de l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté, qui ne peut pas purger une telle peine en Italie, et, d’autre part, un ressortissant d’un pays tiers, résidant également de manière permanente en Italie mais faisant l’objet d’un mandat d’arrêt émis aux fins de poursuites, qui peut en revanche purger en Italie la peine prononcée par l’État d’émission à l’issue du procès.

17      Il ressort de la décision de renvoi que le Presidente del Consiglio dei ministri (président du Conseil des ministres, Italie), représenté et défendu par l’Avvocatura Generale dello Stato (bureau du procureur général, Italie), est intervenu dans la procédure au principal aux fins de demander que les questions de constitutionnalité relatives à l’article 18 bis de la loi no 69 de 2005 soient déclarées irrecevables, ou que la légalité de cette disposition soit confirmée, en faisant valoir notamment que l’objectif de réinsertion sociale de la personne concernée ne saurait limiter la portée du principe général de reconnaissance mutuelle des décisions, qui exige que le refus d’exécuter un mandat d’arrêt européen soit considéré comme une exception à la règle générale d’exécution de ce mandat, et que cette disposition ne méconnaît pas diverses dispositions du droit primaire de l’Union protégeant les citoyens de l’Union contre les discriminations en raison de la nationalité. Il a relevé par ailleurs que la réintégration de la personne condamnée ne constitue pas l’objectif spécifique de la décision-cadre 2002/584.

18      Dans la décision de renvoi, la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle) estime qu’il convient, avant de vérifier la conformité à la Constitution italienne de la réglementation nationale en cause au principal, d’examiner la conformité de cette réglementation au droit de l’Union et, notamment, à l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584, lu à la lumière de l’article 7 de la Charte. Elle observe que la jurisprudence de la Cour a déjà reconnu que certaines limitations des motifs de refus apportées par la législation des États membres étaient justifiées dans la mesure où elles contribueraient à renforcer le système de remise instauré par cette décision-cadre en faveur d’un espace de liberté, de sécurité et de justice.

19      Toutefois, l’article 4, point 6, de ladite décision-cadre devrait être interprété conformément aux droits fondamentaux et aux principes fondamentaux du droit de l’Union reconnus par l’article 6 TUE, dont le respect serait une condition de validité de tout acte du droit de l’Union. Ainsi, l’exécution d’un mandat d’arrêt européen ne saurait entraîner une violation des droits fondamentaux de la personne concernée.

20      La Corte costituzionale (Cour constitutionnelle) rappelle également que, selon la jurisprudence de la Cour, les États membres ne peuvent pas subordonner la mise en œuvre du droit de l’Union, dans les domaines d’harmonisation complète, tels que le mandat d’arrêt européen institué par la décision-cadre 2002/584, au respect des standards nationaux de protection des droits fondamentaux, lorsque cela risque de porter atteinte à la primauté, à l’unité et à l’efficacité du droit de l’Union. Elle souligne, cependant, que des doutes subsistent quant à la faculté pour un État membre d’exclure de manière absolue et automatique du bénéfice d’une disposition visant à transposer le motif de non-exécution facultative prévu à l’article 4, point 6, de cette décision-cadre, le ressortissant d’un pays tiers qui réside ou séjourne légalement et effectivement sur le territoire italien et qui est visé par un mandat d’arrêt européen aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté, étant donné que, à la lumière de la jurisprudence de la Cour, le principe de non-discrimination en raison de la nationalité ne pourrait être invoqué par un tel ressortissant.

21      Enfin, elle rappelle que l’intérêt d’un ressortissant d’un pays tiers résidant ou séjournant légalement dans un État membre à ne pas être déraciné de son milieu familial et social est protégé par le droit de l’Union, ainsi que par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950.

22      C’est dans ces conditions que la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 4, point 6, de la [décision-cadre 2002/584], interprété à la lumière de l’article 1er, paragraphe 3, de cette décision-cadre et de l’article 7 de la [Charte], s’oppose-t-il à une réglementation telle que la réglementation italienne, qui – dans le cadre d’une procédure de mandat d’arrêt européen émis pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté – interdit de manière absolue et automatique aux autorités judiciaires d’exécution de refuser la remise de ressortissants de pays tiers qui demeurent ou résident sur leur territoire, quels que soient les liens de rattachement que ceux-ci présentent avec ce dernier ?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question, sur la base de quels critères et conditions ces liens de rattachement doivent-ils être considérés comme significatifs au point d’obliger l’autorité judiciaire d’exécution à refuser la remise ? »

 Sur la demande de procédure accélérée

23      La juridiction de renvoi a demandé que le présent renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure accélérée, conformément à l’article 105 du règlement de procédure de la Cour.

24      Tout en reconnaissant que O. G., qui fait l’objet du mandat d’arrêt en cause au principal, n’est soumis à aucune mesure de privation de liberté, cette juridiction fait valoir, premièrement, que la présente affaire soulève des questions d’interprétation portant sur des aspects centraux du mécanisme du mandat d’arrêt européen et, deuxièmement, que l’interprétation demandée est susceptible d’avoir des conséquences générales, tant pour les autorités appelées à coopérer dans le cadre du mandat d’arrêt européen que pour les droits des personnes recherchées.

25      L’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure prévoit que, à la demande de la juridiction de renvoi ou, à titre exceptionnel, d’office, le président de la Cour peut décider, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, de soumettre un renvoi préjudiciel à une procédure accélérée lorsque la nature de l’affaire exige son traitement dans de brefs délais.

26      En l’occurrence, le 20 décembre 2021, le président de la Cour a décidé, la juge rapporteure et l’avocat général entendus, de rejeter la demande de la juridiction de renvoi visée au point 23 du présent arrêt.

27      En effet, il est de jurisprudence constante que l’application de la procédure accélérée dépend non pas de la nature du litige, en tant que telle, mais des circonstances exceptionnelles propres à l’affaire concernée, lesquelles doivent établir l’urgence extraordinaire de statuer sur ces questions (arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., C‑158/21, EU:C:2023:57, point 27).

28      Or, la circonstance que l’affaire porte sur un ou plusieurs aspects essentiels du mécanisme de remise établi par la décision-cadre 2002/584 ne constitue pas une raison établissant une urgence extraordinaire, pourtant nécessaire pour justifier un traitement par voie accélérée. Il en va de même de la circonstance qu’un nombre important de personnes sont potentiellement concernées par les questions posées (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2021, Randstad Italia, C‑497/20, EU:C:2021:1037, point 39).

29      Cela étant, eu égard à la nature et à l’importance des questions posées, le président de la Cour a accordé à la présente affaire un traitement prioritaire, conformément à l’article 53, paragraphe 3, du règlement de procédure.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

30      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre, transposant cette disposition, qui exclut de manière absolue et automatique du bénéfice du motif de non-exécution facultative du mandat d’arrêt européen que prévoit ladite disposition tout ressortissant de pays tiers qui demeure ou réside sur le territoire de cet État membre, sans que l’autorité judiciaire d’exécution puisse apprécier les liens de rattachement de ce ressortissant avec ledit État membre.

31      À titre liminaire, il importe de rappeler que la décision-cadre 2002/584 tend, par l’instauration d’un système simplifié et efficace de remise des personnes condamnées ou soupçonnées d’avoir enfreint la loi pénale, à faciliter et à accélérer la coopération judiciaire en vue de contribuer à réaliser l’objectif assigné à l’Union de devenir un espace de liberté, de sécurité et de justice, en se fondant sur le degré de confiance élevé qui doit exister entre les États membres [voir, en ce sens, arrêt du 18 avril 2023, E. D. L. (Motif de refus fondé sur la maladie), C‑699/21, EU:C:2023:295, point 32 et jurisprudence citée].

32      Dans le domaine régi par cette décision-cadre, le principe de reconnaissance mutuelle, qui constitue, ainsi qu’il ressort notamment du considérant 6 de celle-ci, la « pierre angulaire » de la coopération judiciaire en matière pénale, trouve son expression à l’article 1er, paragraphe 2, de ladite décision-cadre, qui consacre la règle en vertu de laquelle les États membres sont tenus d’exécuter tout mandat d’arrêt européen sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément aux dispositions de la même décision-cadre [voir, en ce sens, arrêt du 18 avril 2023, E. D. L. (Motif de refus fondé sur la maladie), C‑699/21, EU:C:2023:295, point 33 et jurisprudence citée].

33      Il s’ensuit, d’une part, que les autorités judiciaires d’exécution ne peuvent refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen que pour des motifs procédant de la décision-cadre 2002/584, telle qu’interprétée par la Cour. D’autre part, alors que l’exécution du mandat d’arrêt européen constitue le principe, le refus d’exécution est conçu comme une exception, qui doit faire l’objet d’une interprétation stricte [arrêt 18 avril 2023, E. D. L. (Motif de refus fondé sur la maladie), C‑699/21, EU:C:2023:295, point 34 et jurisprudence citée].

34      Cette décision-cadre énonce, à son article 3, des motifs de non-exécution obligatoire du mandat d’arrêt européen et, à ses articles 4 et 4 bis, des motifs de non-exécution facultative de celui-ci [arrêt du 29 avril 2021, X (Mandat d’arrêt européen – Ne bis in idem), C‑665/20 PPU, EU:C:2021:339, point 40 et jurisprudence citée].

35      S’agissant des motifs de non-exécution facultative du mandat d’arrêt européen énumérés à l’article 4 de la décision-cadre 2002/584, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, dans le cadre de la transposition de cette décision-cadre dans leur droit interne, les États membres disposent d’une marge d’appréciation. Ainsi, ceux-ci sont libres de transposer ou non ces motifs dans leur droit interne. Ils peuvent également faire le choix de limiter les situations dans lesquelles l’autorité judiciaire d’exécution peut refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen, facilitant ainsi la remise des personnes recherchées, conformément au principe de reconnaissance mutuelle édicté à l’article 1er, paragraphe 2, de ladite décision-cadre [arrêt du 29 avril 2021, X (Mandat d’arrêt européen – Ne bis in idem), C‑665/20 PPU, EU:C:2021:339, point 41 et jurisprudence citée].

36      Il en est ainsi, en particulier, de l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584, qui énonce que l’autorité judiciaire d’exécution peut refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen si celui-ci a été émis aux fins de l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté, lorsque la personne recherchée demeure dans l’État membre d’exécution, en est ressortissante ou y réside, et que cet État s’engage à exécuter cette peine ou cette mesure de sûreté conformément à son droit interne.

37      Au regard de la marge d’appréciation rappelée au point 35 du présent arrêt, les États membres, lors de la mise en œuvre de l’article 4, point 6, de cette décision-cadre, peuvent limiter, dans le sens indiqué par la règle essentielle énoncée à l’article 1er, paragraphe 2, de ladite décision-cadre, les situations dans lesquelles il devrait être possible de refuser de remettre une personne relevant du champ d’application dudit article 4, point 6 (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2009, Wolzenburg, C‑123/08, EU:C:2009:616, point 62 et jurisprudence citée).

38      Cependant, la marge d’appréciation dont dispose un État membre, lorsqu’il choisit de transposer le motif de non-exécution facultative du mandat d’arrêt européen prévu à l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584, ne saurait être illimitée.

39      En premier lieu, lorsqu’un État membre choisit de transposer ce motif de non-exécution facultative du mandat d’arrêt européen, il est tenu, conformément à l’article 1er, paragraphe 3, de cette décision-cadre, au respect des droits et des principes fondamentaux visés à l’article 6 TUE.

40      Au nombre de ces principes fondamentaux figure le principe d’égalité en droit, lequel est garanti par l’article 20 de la Charte. Le respect de cette dernière disposition s’impose aux États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, conformément à l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, ce qui est le cas lorsqu’ils transposent le motif de non-exécution facultative d’un mandat d’arrêt européen prévu à l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584.

41      Or, contrairement à l’article 18, premier alinéa, TFUE, qui n’a pas vocation à s’appliquer dans le cas d’une éventuelle différence de traitement entre les ressortissants des États membres et ceux des pays tiers, l’article 20 de la Charte ne prévoit aucune limitation de son champ d’application et s’applique donc à toutes les situations régies par le droit de l’Union [voir, en ce sens, avis 1/17 (Accord ECG UE-Canada), du 30 avril 2019, EU:C:2019:341, points 169 et 171 ainsi que jurisprudence citée].

42      À cet égard, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’égalité en droit, énoncée à l’article 20 de la Charte, est un principe général du droit de l’Union qui exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié [voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, État belge (Droit de séjour en cas de violence domestique), C‑930/19, EU:C:2021:657, point 57 et jurisprudence citée].

43      L’exigence tenant au caractère comparable des situations, afin de déterminer l’existence d’une violation du principe d’égalité de traitement, doit être appréciée au regard de l’ensemble des éléments qui les caractérisent et, notamment, à la lumière de l’objet et du but poursuivi par l’acte qui institue la distinction en cause, étant entendu qu’il doit être tenu compte, à cet effet, des principes et des objectifs du domaine dont relève cet acte. Pour autant que les situations ne sont pas comparables, une différence de traitement des situations concernées ne viole pas l’égalité en droit consacrée à l’article 20 de la Charte [arrêt du 2 septembre 2021, État belge (Droit de séjour en cas de violence domestique), C‑930/19, EU:C:2021:657, point 58 et jurisprudence citée].

44      À ce titre, il y a lieu d’apprécier si, au regard de l’objet et du but poursuivi par une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, la situation d’un ressortissant d’un pays tiers, faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté et qui demeure ou réside dans l’État membre d’exécution, est comparable à celle d’un ressortissant de cet État membre ou à celle d’un ressortissant d’un autre État membre qui demeure ou réside dans ledit État membre, faisant l’objet d’un tel mandat.

45      Il résulte de la décision de renvoi que la différence de traitement résultant de la réglementation nationale en cause au principal entre les ressortissants italiens et ceux d’autres États membres, d’une part, et les ressortissants de pays tiers, d’autre part, a été instituée en vue de transposer l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584, le législateur italien ayant considéré que cette disposition vise uniquement les ressortissants de l’État membre d’exécution et les citoyens de l’Union.

46      Or, à cet égard, il ressort du libellé de cette disposition que celle-ci n’opère aucune distinction selon que la personne faisant l’objet du mandat d’arrêt européen, lorsqu’elle n’est pas ressortissante de l’État membre d’exécution, est ou non ressortissante d’un autre État membre. L’application du motif de non-exécution facultative du mandat d’arrêt européen prévu à ladite disposition est en revanche subordonnée à la réunion de deux conditions, à savoir, d’une part, que la personne recherchée demeure dans l’État membre d’exécution, en est ressortissante ou y réside, et, d’autre part, que cet État s’engage à exécuter, conformément à son droit interne, la peine ou la mesure de sûreté pour laquelle le mandat d’arrêt européen a été délivré.

47      S’agissant de la première de ces conditions, la Cour a déjà dit pour droit qu’une personne recherchée « réside » dans l’État membre d’exécution lorsqu’elle a établi sa résidence réelle dans ce dernier et y « demeure » lorsque, à la suite d’un séjour stable d’une certaine durée dans cet État membre, elle a acquis des liens de rattachement avec cet État d’un degré analogue à ceux résultant d’une résidence (voir, en ce sens, arrêts du 5 septembre 2012, Lopes Da Silva Jorge, C‑42/11, EU:C:2012:517, point 43 et jurisprudence citée, ainsi que du 13 décembre 2018, Sut, C‑514/17, EU:C:2018:1016, point 34 et jurisprudence citée). Il s’ensuit que, au regard de cette première condition, un ressortissant d’un pays tiers, faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen et qui demeure ou réside dans l’État membre d’exécution, se trouve dans une situation comparable à celle d’un ressortissant de cet État membre ou à celle d’un ressortissant d’un autre État membre qui demeure ou réside dans ledit État membre, faisant l’objet d’un tel mandat.

48      S’agissant de la seconde desdites conditions, il découle du libellé de l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584 que tout refus d’exécuter le mandat d’arrêt européen présuppose un véritable engagement de l’État membre d’exécution à exécuter la peine privative de liberté prononcée contre la personne recherchée (arrêt du 13 décembre 2018, Sut, C‑514/17, EU:C:2018:1016, point 35 et jurisprudence citée). Cette seconde condition ne contient donc aucun élément susceptible de fonder une distinction entre la situation d’un ressortissant de pays tiers et celle d’un citoyen de l’Union lorsqu’ils font, l’un et l’autre, l’objet d’un mandat d’arrêt européen aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté alors qu’ils demeurent ou résident sur le territoire d’un État membre.

49      Lorsque l’autorité judiciaire d’exécution constate que les deux conditions rappelées au point 46 du présent arrêt sont réunies, elle doit encore apprécier s’il existe un intérêt légitime justifiant que la peine infligée dans l’État membre d’émission soit exécutée sur le territoire de l’État membre d’exécution. Cette appréciation permet à cette autorité de tenir compte de l’objectif poursuivi par l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584 qui consiste, selon une jurisprudence bien établie, à accroître les chances de réinsertion sociale de la personne recherchée à l’expiration de la peine à laquelle cette dernière a été condamnée (arrêt du 13 décembre 2018, Sut, C‑514/17, EU:C:2018:1016, points 33 et 36 ainsi que jurisprudence citée). Or, les citoyens de l’Union et les ressortissants de pays tiers qui satisfont à la première condition explicitée au point 47 du présent arrêt sont susceptibles de présenter, sous couvert des vérifications qu’il revient à l’autorité judiciaire d’exécution d’effectuer, des chances comparables de réinsertion sociale si, lorsqu’elles sont visées par un mandat d’arrêt européen aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté, elles purgent leur peine ou mesure de sûreté dans l’État membre d’exécution.

50      Dans ces conditions, il ressort des termes de l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584 et de l’objectif poursuivi par cette disposition qu’il ne saurait être présumé qu’un ressortissant d’un pays tiers, faisant l’objet d’un tel mandat d’arrêt européen et qui demeure ou réside dans l’État membre d’exécution, se trouve nécessairement dans une situation différente de celle d’un ressortissant de cet État membre ou de celle d’un ressortissant d’un autre État membre qui demeure ou réside dans ledit État membre, faisant l’objet d’un tel mandat. Au contraire, il y a lieu de considérer que ces personnes sont susceptibles de se trouver dans une situation comparable, aux fins de l’application du motif de non-exécution facultative prévu à cette disposition, lorsqu’elles présentent un degré d’intégration certain dans l’État membre d’exécution.

51      Il s’ensuit qu’une réglementation nationale visant à transposer l’article 4, point 6, de cette décision-cadre ne saurait être considérée comme étant conforme au principe d’égalité en droit consacré à l’article 20 de la Charte si elle traite de manière différente, d’une part, ses propres ressortissants et les autres citoyens de l’Union et, d’autre part, les ressortissants de pays tiers, en refusant à ces derniers, de manière absolue et automatique, le bénéfice du motif de non-exécution facultative du mandat d’arrêt européen prévu à cette disposition, quand bien même ces ressortissants de pays tiers demeurent ou résident sur le territoire de cet État membre et sans qu’il soit tenu compte du degré d’intégration desdits ressortissants de pays tiers au sein de la société dudit État membre. En effet, il ne saurait être considéré qu’une telle différence de traitement puisse être objectivement justifiée, au sens de la jurisprudence rappelée au point 42 du présent arrêt.

52      En revanche, rien ne s’oppose à ce que, lors de la transposition de l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584 dans le droit interne d’un État membre, celui-ci subordonne, pour les ressortissants de pays tiers faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen, le bénéfice du motif de non-exécution facultative du mandat d’arrêt européen que cette disposition prévoit à l’exigence que ce ressortissant y demeure ou y réside depuis une période de temps ininterrompue minimale (voir, par analogie, arrêt du 6 octobre 2009, Wolzenburg, C‑123/08, EU:C:2009:616, point 74), pour autant qu’une telle condition n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour garantir que la personne recherchée présente un degré d’intégration certain dans l’État membre d’exécution.

53      En second lieu, une transposition de l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584 ne saurait avoir pour effet de priver l’autorité judiciaire d’exécution de la marge d’appréciation nécessaire pour qu’elle puisse décider s’il y a lieu ou non, au regard de l’objectif visé de réinsertion sociale, mentionné au point 49 du présent arrêt, de refuser d’exécuter le mandat d’arrêt européen.

54      À cet égard, ainsi que cela été rappelé aux points 46 à 49 du présent arrêt, la Cour a déjà jugé que, afin de savoir si, dans une situation concrète, l’autorité judiciaire d’exécution peut refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen, cette dernière doit, dans un premier temps, déterminer si la personne recherchée, lorsqu’elle n’est pas ressortissante de l’État membre d’exécution, demeure ou réside dans celui-ci, au sens de l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584 tel que transposé dans le droit national, et est ainsi couverte par le champ d’application de celle-ci. Dans un second temps, et uniquement lorsque l’autorité judiciaire d’exécution constate que ladite personne relève de ce champ d’application, elle doit pouvoir apprécier s’il existe un intérêt légitime justifiant que la peine ou la mesure de sûreté infligée dans l’État membre d’émission soit exécutée sur le territoire de l’État membre d’exécution (voir, en ce sens, arrêt du 17 juillet 2008, Kozłowski, C‑66/08, EU:C:2008:437, point 44).

55      En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que l’article 18 bis de la loi no 69 de 2005, qui vise à transposer l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584 dans le droit italien, limite l’application du motif de non-exécution facultative du mandat d’arrêt européen, visé à cette dernière disposition, aux seuls ressortissants italiens et aux ressortissants d’autres États membres. Les ressortissants de pays tiers sont ainsi exclus de manière absolue et automatique du bénéfice de ce motif, sans qu’aucune marge d’appréciation soit laissée à cet égard à l’autorité judiciaire d’exécution alors même que ledit article 4, point 6, ne circonscrit pas le champ d’application dudit motif aux seuls citoyens de l’Union.

56      Ainsi, lorsque la personne visée par le mandat d’arrêt européen aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté est un ressortissant d’un pays tiers, une telle réglementation nationale prive l’autorité judiciaire d’exécution du pouvoir d’apprécier, en prenant en compte les circonstances spécifiques de chaque cas, si les liens de rattachement de cette personne avec l’État membre d’exécution sont suffisants pour que l’objectif de réinsertion sociale visé par cette disposition soit mieux à même d’être atteint si ladite personne purge sa peine dans cet État membre, compromettant de cette manière ledit objectif.

57      Il s’ensuit que l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584 s’oppose, également pour cette raison, à une telle réglementation nationale visant à transposer cette disposition.

58      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584, lu en combinaison avec le principe d’égalité en droit, consacré à l’article 20 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre, transposant cet article 4, point 6, qui exclut de manière absolue et automatique du bénéfice du motif de non-exécution facultative du mandat d’arrêt européen que prévoit cette disposition tout ressortissant de pays tiers qui demeure ou réside sur le territoire de cet État membre, sans que l’autorité judiciaire d’exécution puisse apprécier les liens de rattachement de ce ressortissant avec ledit État membre.

 Sur la seconde question

59      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584 doit être interprété en ce sens que, pour apprécier s’il y a lieu de refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen émis contre un ressortissant d’un pays tiers qui demeure ou réside sur le territoire de l’État membre d’exécution, l’autorité judiciaire d’exécution doit procéder à une appréciation des éléments susceptibles d’indiquer s’il existe, entre celui-ci et l’État membre d’exécution, des liens de rattachement démontrant qu’il est suffisamment intégré dans cet État et, dans l’affirmative, quels sont ces éléments.

60      Conformément à ce qui a été rappelé au point 49 du présent arrêt, lorsque l’autorité judiciaire d’exécution constate que les deux conditions énoncées à l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584 sont réunies, elle doit encore apprécier s’il existe un intérêt légitime justifiant que la peine ou la mesure de sûreté infligée dans l’État membre d’émission soit exécutée sur le territoire de l’État membre d’exécution.

61      Il appartient donc à l’autorité judiciaire d’exécution de procéder à une appréciation globale de tous les éléments concrets caractérisant la situation de la personne recherchée, susceptibles d’indiquer s’il existe entre cette personne et l’État membre d’exécution des liens de rattachement permettant de constater que ladite personne est suffisamment intégrée dans cet État et que, partant, l’exécution, dans l’État membre d’exécution, de la peine ou de la mesure de sûreté privatives de liberté prononcée contre elle dans l’État membre d’émission contribuera à la réalisation de l’objectif de réinsertion sociale poursuivi par cet article 4, point 6 (voir, en ce sens, arrêt du 5 septembre 2012, Lopes Da Silva Jorge, C‑42/11, EU:C:2012:517, point 43).

62      Dans ce contexte, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, il convient notamment de tenir compte de la décision-cadre 2008/909 [voir, en ce sens, arrêt du 11 mars 2020, SF (Mandat d’arrêt européen – Garantie de renvoi dans l’État d’exécution), C‑314/18, EU:C:2020:191]. En particulier, le considérant 9 de cette décision-cadre fournit une liste exemplative d’éléments susceptibles de permettre à une autorité judiciaire d’acquérir la certitude que l’exécution de la condamnation par l’État membre d’exécution contribuera à la réalisation de l’objectif consistant à faciliter la réinsertion sociale de la personne condamnée. Parmi ces éléments figurent, en substance, l’attachement de la personne à l’État membre d’exécution, ainsi que la circonstance que cet État membre constitue le centre de sa vie familiale et de ses intérêts, compte tenu, notamment, de ses liens familiaux, linguistiques, culturels, sociaux ou encore économiques avec ledit État.

63      Dans la mesure où l’objectif poursuivi par l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584 est identique à celui qui est mentionné à ce considérant et qui est poursuivi par l’article 25 de la décision-cadre 2008/909, lequel se réfère au motif de non-exécution facultative prévu à cet article 4, point 6, lesdits éléments sont également pertinents dans le cadre de l’appréciation globale que l’autorité judiciaire d’exécution doit effectuer lorsqu’elle applique ce motif.

64      En particulier, lorsque la personne recherchée a établi le centre de sa vie familiale et de ses intérêts dans l’État membre d’exécution, il doit être tenu compte du fait que la réintégration sociale de cette personne après qu’elle y a purgé sa peine est favorisée du fait qu’elle peut entretenir avec sa famille et ses proches des contacts réguliers et fréquents.

65      Lorsque la personne recherchée est un ressortissant d’un pays tiers, il convient également de tenir compte de la nature, de la durée et des conditions de séjour de cette personne dans l’État membre d’exécution.

66      À cet égard, la Cour a jugé que ces éléments peuvent déjà être pris en compte au stade de l’examen de la première condition posée à l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584, mentionnée notamment au point 47 du présent arrêt. Il appartient, en effet, à l’autorité judiciaire d’exécution, pour déterminer si, dans une situation concrète, il existe entre une personne recherchée et l’État membre d’exécution des liens de rattachement permettant de constater que cette dernière demeure ou réside dans cet État, au sens de cet article 4, point 6, d’effectuer une appréciation globale de plusieurs des éléments objectifs caractérisant la situation de cette personne, au nombre desquels figurent, notamment, la durée, la nature et les conditions du séjour de la personne recherchée dans ledit État ainsi que les liens familiaux et économiques qu’entretient celle-ci avec ce même État (arrêt du 5 septembre 2012, Lopes Da Silva Jorge, C‑42/11, EU:C:2012:517, point 43 et jurisprudence citée).

67      Ces éléments font également partie de ceux qui sont susceptibles de démontrer l’existence d’un intérêt légitime justifiant que la peine ou la mesure de sûreté infligée dans l’État membre d’émission soit exécutée sur le territoire de l’État membre d’exécution. Il s’ensuit que, à ce stade ultérieur de l’examen de l’exception à la remise prévue à l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584, l’autorité judiciaire d’exécution peut à nouveau tenir compte desdits éléments, en particulier lorsque le séjour de la personne concernée dans l’État membre d’exécution découle du statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, prévu par la directive 2003/109. En effet, un tel statut constitue, conformément à ce qu’énonce le considérant 12 de cette directive, un véritable instrument d’intégration dans la société dans laquelle le résident de longue durée s’est établi et constitue donc un indice fort de la suffisance des liens de rattachement établis par la personne recherchée avec l’État membre d’exécution pour justifier le refus d’exécuter le mandat d’arrêt européen.

68      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584 doit être interprété en ce sens que, pour apprécier s’il y a lieu de refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen émis contre un ressortissant d’un pays tiers qui demeure ou réside sur le territoire de l’État membre d’exécution, l’autorité judiciaire d’exécution doit procéder à une appréciation globale de tous les éléments concrets caractérisant la situation de ce ressortissant, susceptibles d’indiquer s’il existe, entre celui-ci et l’État membre d’exécution, des liens de rattachement démontrant qu’il est suffisamment intégré dans cet État et que, partant, l’exécution, dans ledit État membre, de la peine ou de la mesure de sûreté privatives de liberté prononcée contre lui dans l’État membre d’émission contribuera à accroître ses chances de réinsertion sociale après que cette peine ou mesure de sûreté a été exécutée. Parmi ces éléments figurent les liens familiaux, linguistiques, culturels, sociaux ou économiques qu’entretient le ressortissant du pays tiers avec l’État membre d’exécution ainsi que la nature, la durée et les conditions de son séjour dans cet État membre.

 Sur les dépens

69      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

1)      L’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, lu en combinaison avec le principe d’égalité en droit, consacré à l’article 20 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

doit être interprété en ce sens que :

il s’oppose à une réglementation d’un État membre, transposant cet article 4, point 6, qui exclut de manière absolue et automatique du bénéfice du motif de non-exécution facultative du mandat d’arrêt européen que prévoit cette disposition tout ressortissant de pays tiers qui demeure ou réside sur le territoire de cet État membre, sans que l’autorité judiciaire d’exécution puisse apprécier les liens de rattachement de ce ressortissant avec ledit État membre.

2)      L’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584

doit être interprété en ce sens que :

pour apprécier s’il y a lieu de refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen émis contre un ressortissant d’un pays tiers qui demeure ou réside sur le territoire de l’État membre d’exécution, l’autorité judiciaire d’exécution doit procéder à une appréciation globale de tous les éléments concrets caractérisant la situation de ce ressortissant, susceptibles d’indiquer s’il existe, entre celui-ci et l’État membre d’exécution, des liens de rattachement démontrant qu’il est suffisamment intégré dans cet État et que, partant, l’exécution, dans ledit État membre, de la peine ou de la mesure de sûreté privatives de liberté prononcée contre lui dans l’État membre d’émission contribuera à accroître ses chances de réinsertion sociale après que cette peine ou mesure de sûreté a été exécutée. Parmi ces éléments, figurent les liens familiaux, linguistiques, culturels, sociaux ou économiques qu’entretient le ressortissant du pays tiers avec l’État membre d’exécution ainsi que la nature, la durée et les conditions de son séjour dans cet État membre.

Signatures


*      Langue de procédure : l’italien.