ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

29 mars 2007 (*)

«Sixième directive TVA – Livraison de biens – Article 8, paragraphe 1, sous a) – Câble à fibres optiques reliant deux États membres situé en partie en dehors du territoire de la Communauté – Compétence fiscale de chaque État membre limitée à la longueur du câble installée sur son territoire – Non-imposition de la partie située dans la zone économique exclusive, sur le plateau continental et en haute mer»

Dans l’affaire C‑111/05,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Regeringsrätten (Suède), par décision du 24 février 2005, parvenue à la Cour le 4 mars 2005, dans la procédure

Aktiebolaget NN

contre

Skatteverket,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. A. Borg Barthet, J. Malenovský, U. Lõhmus (rapporteur) et A. Ó Caoimh, juges,

avocat général: M. P. Léger,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour Aktiebolaget NN, par Mme U. Grefberg Nyberg, processansvarig,

–        pour Skatteverket, par M. B. Persson, en qualité d’agent,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par Mme L. Ström van Lier et M. D. Triantafyllou, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 septembre 2006,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2, point 1, 3, paragraphe 1, 5, 6, 8, paragraphe 1, sous a), et 9, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 2002/93/CE du Conseil, du 3 décembre 2002 (JO L 331, p. 27, ci-après la «sixième directive»).

2        Les questions posées par la juridiction de renvoi ont été soulevées dans le cadre d’un recours introduit par Aktiebolaget NN (ci-après la «société NN»), établie en Suède, à l’encontre d’un avis préalable rendu par le Skatterättsnämnden (commission de droit fiscal) à propos de l’application des dispositions relatives à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») à une opération consistant à installer, entre la Suède et un autre État membre, un câble à fibres optiques dont une partie doit être posée dans des fonds marins situés dans des eaux internationales.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

3        L’article 2 de la sixième directive prévoit:

«Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée:

1.      les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel;

[…]»

4        L’article 3 de cette directive dispose:

«1.      Au sens de la présente directive, on entend par:

–        ‘territoire d’un État membre’: l’intérieur du pays, tel qu’il est défini, pour chaque État membre, aux paragraphes 2 et 3,

–        ‘Communauté’ et ‘territoire de la Communauté’: l’intérieur des États membres, tel qu’il est défini, pour chaque État membre, aux paragraphes 2 et 3,

–        […]

2.      Aux fins de l’application de la présente directive, l’‘intérieur du pays’ correspond au champ d’application du traité instituant la [Communauté européenne], tel qu’il est défini, pour chaque État membre, à l’article [299 CE].

[…]»

5        Aux termes de l’article 5 de ladite directive:

«1.      Est considéré comme ’livraison d’un bien’ le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.

[…]» »

6        L’article 6 de la sixième directive prévoit:

«1.      Est considérée comme ’prestation de services’ toute opération qui ne constitue pas une livraison d’un bien au sens de l’article 5.

[…]»

7        L’article 8 de cette directive précise:

«1.      Le lieu d’une livraison de biens est réputé se situer:

a)      dans le cas où le bien est expédié ou transporté soit par le fournisseur, soit par l’acquéreur, soit par une tierce personne: à l’endroit où le bien se trouve au moment du départ de l’expédition ou du transport à destination de l’acquéreur. Quand le bien fait l’objet d’une installation ou d’un montage avec ou sans essai de mise en service par le fournisseur ou pour son compte, le lieu de la livraison est réputé se situer à l’endroit où est fait l’installation ou le montage. Dans le cas où l’installation ou le montage est effectué dans un État membre autre que celui du fournisseur, l’État membre à l’intérieur duquel est effectué l’installation ou le montage prend les mesures nécessaires pour éviter une double imposition dans cet État;

[…]»

8        L’article 9 de ladite directive dispose:

«1.      Le lieu d’une prestation de services est réputé se situer à l’endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable à partir duquel la prestation de services est rendue ou, à défaut d’un tel siège ou d’un tel établissement stable, au lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle.

2.      Toutefois:

a)      le lieu des prestations de services se rattachant à un bien immeuble, y compris les prestations d’agents immobiliers et d’experts, ainsi que les prestations tendant à préparer ou à coordonner l’exécution de travaux immobiliers comme, par exemple, les prestations fournies par les architectes et les bureaux de surveillance, est l’endroit où le bien est situé;

[…]»

 La réglementation nationale

9        Il ressort du chapitre 1er, article 1er, de la loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée (mervärdesskattelagen, SFS 1994, n° 200, ci-après la «ML») que cette taxe est due, notamment, lorsqu’une opération est considérée comme réalisée à l’intérieur du pays.

10      On entend par «biens» au sens du chapitre 1er, article 6, de la ML les «objets corporels» dont font partie les immeubles et aussi le gaz ainsi que la chaleur, le froid et l’énergie électrique. Selon le chapitre 5, article 2, de la même loi, un bien qui, en vertu du contrat passé entre le vendeur et l’acquéreur, doit être acheminé jusqu’à ce dernier, est vendu à l’intérieur du pays si ce bien se trouve dans le pays lorsque le vendeur, l’acquéreur ou un tiers entreprend de l’acheminer vers l’acquéreur (point 1) ou, lorsque le bien ne se trouve pas dans le pays au moment où le transport commence, s’il est monté ou installé par le vendeur ou pour le compte de celui-ci (point 2).

11      On entend par «service» au sens du chapitre 1er, article 6, de la ML tout ce qui n’est pas à considérer comme un bien et qui peut être fourni dans le cadre d’une activité professionnelle. Selon le chapitre 5, article 4, premier tiret, de cette loi, les services qui portent sur un immeuble sont rendus à l’intérieur du pays si l’immeuble y est situé. En vertu du chapitre 5, article 6, premier tiret, quatrièmement, de ladite loi, des services sont rendus à l’intérieur du pays s’ils sont exécutés en Suède et concernent des travaux sur des biens meubles, y compris des prestations de surveillance ou d’analyse portant sur de tels biens. Le chapitre 5, article 8, premier tiret, de la ML prévoit notamment que, pour d’autres services que ceux visés aux articles 4 à 6, sous a), ou 7, sous a), (mais cela ne s’applique pas, notamment, aux services de télécommunications), l’opération est considérée comme réalisée à l’intérieur du pays si le prestataire a en Suède le siège de son activité économique ou un établissement fixe à partir duquel la prestation de services est rendue. Il est prévu en outre, au même tiret, que les services qui ne sont fournis ni à partir du siège ou de l’établissement fixe en Suède ni à l’étranger sont réputés rendus à l’intérieur du pays si le prestataire est domicilié en Suède ou y a sa résidence habituelle.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

12      La société NN exerce, dans le secteur des télécommunications, des activités qui consistent notamment à poser, à entretenir et à réparer des câbles à fibres optiques. Elle envisage de passer des contrats portant sur la fourniture et l’installation, entre la Suède et un autre État membre, d’un câble sous-marin à fibres optiques qui sera utilisé par l’acquéreur pour offrir des services de transmission à divers opérateurs de télécommunications. La société NN achètera le câble et le reste du matériel nécessaire à divers entrepreneurs, affrétera un navire avec son équipage et recrutera du personnel spécialisé dans la pose de câbles.

13      Le câble sera fixé et enterré sur le territoire continental suédois pour être ensuite posé et, le cas échéant, enterré dans les fonds marins, d’abord dans les eaux intérieures et la mer territoriale de la Suède, puis sur le plateau continental de la Suède et de l’autre État membre en tant qu’États côtiers et, enfin, dans la mer territoriale et les eaux intérieures de l’autre État membre, pour être finalement fixé et enterré sur le territoire continental de ce dernier. Compte tenu des distances entre les points d’ancrage, il peut se révéler nécessaire dans certains cas de rallonger le câble, cette opération constituant une procédure technique relativement complexe. Dans des circonstances normales, le coût du matériel peut atteindre 80 à 85 % du coût total. Si les circonstances sont défavorables, en raison de survenance de tempêtes par exemple, la part du matériel dans le coût total diminue.

14      Après la pose et certains essais préliminaires, le droit de propriété sur le câble sera transféré à l’acquéreur. Le travail se poursuivra ensuite par des essais complémentaires pendant une trentaine de jours et la société NN remédiera alors à d’éventuels défauts.

15      La société NN a demandé un avis préalable au Skatterättsnämnden afin de savoir, d’une part, si l’opération envisagée constitue un service portant sur un immeuble au sens du chapitre 5, article 4, de la ML, ou un travail sur un bien meuble au sens du chapitre 5, article 6, de la même loi, ou encore un autre type de service et, d’autre part, si la Suède est le pays d’exécution du service.

16      Le Skatterättsnämnden a rendu son avis le 13 juin 2003. Il a estimé que l’opération envisagée devait être considérée comme un service rendu en Suède en application du chapitre 5, article 8, premier tiret, de la ML car elle ne présente pas de caractéristiques qui permettent d’appliquer les dispositions spéciales de rattachement prévues au chapitre 5, articles 4 à 6, sous a), et 7, sous a), de la ML.

17      La société NN a fait appel dudit avis préalable devant le Regeringsrätten. Elle soutient que la pose du câble en cause au principal constitue un service portant sur un bien immeuble au sens du chapitre 5, article 4, de la ML et que, par conséquent, la TVA est due uniquement pour les services fournis sur le territoire continental, les eaux intérieures et la mer territoriale de la Suède.

18      Estimant qu’une interprétation du droit communautaire était nécessaire à la solution du litige au principal, le Regeringsrätten a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Une opération imposable portant sur la livraison et la pose d’un câble installé sur les territoires de deux États membres et aussi en dehors du territoire de la Communauté, dans laquelle le câble lui-même représente une partie clairement prépondérante des coûts totaux, est-elle à considérer comme la livraison d’un bien pour l’application des règles de la sixième directive […] concernant le lieu des opérations imposables?

2)      S’il convient au contraire de considérer une telle opération comme une prestation de services, faut-il considérer que ce service présente avec un bien immeuble un rattachement tel que le lieu de la prestation est à déterminer par application de l’article 9, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive?

3)      Si la réponse à l’une des première ou deuxième questions est affirmative, l’article 8, paragraphe 1, sous a), de la [sixième] directive ou, subsidiairement, son article 9, paragraphe 2, sous a), est-il à interpréter en ce sens que l’opération doit être scindée en fonction de l’emplacement géographique du câble?

4)      Si la réponse à la troisième question est affirmative, faut-il comprendre l’article 8, paragraphe 1, sous a), de la [sixième] directive ou, subsidiairement, son article 9, paragraphe 2, sous a), combiné à ses articles 2, point 1, et 3, paragraphe 1, en ce sens que la TVA n’est pas due pour la partie de la livraison ou de la prestation de services qui porte sur une zone qui ne fait pas partie du territoire de la Communauté?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

19      Par sa première question, la juridiction de renvoi souhaite savoir si, aux fins de la perception de la TVA, une opération portant sur la livraison et la pose d’un câble à fibres optiques reliant deux États membres et situé en partie en dehors du territoire de la Communauté, dans laquelle le prix du câble lui-même représente une partie clairement prépondérante des coûts totaux, doit être regardée comme une livraison de biens au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive.

20      À titre liminaire, il convient de déterminer si, du point de vue de la TVA, la livraison et la pose d’un câble, dans les circonstances décrites par la juridiction de renvoi, doivent être traitées comme deux opérations imposables distinctes ou comme une opération complexe unique composée de plusieurs éléments.

21      Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, lorsqu’une opération est constituée par un faisceau d’éléments et d’actes, il y a lieu de prendre en considération toutes les circonstances dans lesquelles se déroule l’opération en question, aux fins de déterminer, d’une part, si l’on se trouve en présence de deux ou de plusieurs prestations distinctes ou d’une prestation unique et, d’autre part, si, en ce dernier cas, cette prestation unique doit être qualifiée de livraison de biens ou de prestation de services (voir, en ce sens, arrêts du 2 mai 1996, Faaborg-Gelting Linien, C‑231/94, Rec. p. I‑2395, points 12 à 14; du 25 février 1999, CPP, C‑349/96, Rec. p. I-973, point 28, ainsi que du 27 octobre 2005, Levob Verzekeringen et OV Bank, C‑41/04, Rec. p. I‑9433, point 19).

22      Compte tenu de la double circonstance que, d’une part, il découle de l’article 2, point 1, de la sixième directive que chaque opération doit normalement être considérée comme distincte et indépendante et que, d’autre part, l’opération constituée d’une seule prestation sur le plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la TVA, il importe de rechercher, d’abord, les éléments caractéristiques de l’opération en cause pour déterminer si l’assujetti livre à son client plusieurs prestations principales distinctes ou une prestation unique (voir, en ce sens, arrêts précités CPP, point 29, et Levob Verzekeringen et OV Bank, point 20).

23      À cet égard, la Cour a jugé que l’on est en présence d’une prestation unique lorsque deux ou plusieurs éléments ou actes fournis par l’assujetti au client sont si étroitement liés qu’ils forment, objectivement, une seule prestation économique indissociable dont la décomposition revêtirait un caractère artificiel (arrêt Levob Verzekeringen et OV Bank, précité, point 22).

24      En l’espèce, le contrat envisagé par la société NN a pour objet la cession, après l’achèvement de l’installation et la réalisation d’essais de mise en service, d’un câble posé et en état de fonctionnement.

25      Il résulte de cette constatation que, d’une part, tous les éléments qui composent l’opération en cause au principal apparaissent nécessaires pour sa réalisation et que, d’autre part, ils sont étroitement liés. Dans ces conditions, l’on ne saurait, sans verser dans l’artifice, considérer que le client va acquérir, d’abord, le câble à fibres optiques et, ensuite, auprès du même fournisseur, les prestations de services afférentes à la pose de celui-ci (voir, par analogie, l’arrêt Levob Verzekeringen et OV Bank, précité, point 24).

26      Par conséquent, la fourniture et la pose d’un câble, dans les circonstances décrites par la juridiction de renvoi, doivent être considérées comme formant une opération unique au regard de la TVA.

27      Afin de déterminer, ensuite, si une opération complexe unique, telle que celle de l’espèce au principal, doit être qualifiée de livraison de biens ou de prestation de services, il y a lieu d’en identifier les éléments prédominants (voir, notamment, arrêts précités Faaborg-Gelting Linien, points 12 et 14, ainsi que Levob Verzekeringen et OV Bank, point 27).

28      Il ressort de la jurisprudence de la Cour que, dans l’hypothèse d’une opération complexe unique, une prestation doit être considérée comme accessoire à une prestation principale lorsqu’elle ne constitue pas pour la clientèle une fin en soi, mais le moyen de bénéficier dans les meilleures conditions du service principal du prestataire (voir, en ce sens, arrêts du 22 octobre 1998, Madgett et Baldwin, C‑308/96 et C‑94/97, Rec. p. I‑6229, point 24, et CPP, précité, point 30).

29      Il résulte de la décision de renvoi que la pose du câble en cause au principal demande la mise en œuvre de procédures techniques complexes, exige l’utilisation d’un équipement spécialisé, nécessite un savoir-faire spécifique et apparaît non seulement indissociable de la livraison du bien dans une opération d’une telle envergure, mais également indispensable à l’utilisation et à l’exploitation ultérieures dudit bien. Il s’ensuit que la pose de ce câble ne constitue pas un simple élément accessoire de la livraison.

30      Il reste à déterminer toutefois si, au vu des éléments qui caractérisent l’opération en cause au principal, c’est la livraison du câble ou la pose de celui-ci qui doit prévaloir pour qualifier la transaction soit de livraison de biens, soit de prestation de services.

31      À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive, «est considéré comme ’livraison d’un bien’ le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire».

32      Selon la jurisprudence de la Cour, il résulte du libellé de cette disposition que la notion de livraison d’un bien ne se réfère pas au transfert de propriété dans les formes prévues par le droit national applicable, mais inclut toute opération de transfert d’un bien corporel par une partie qui habilite l’autre partie à en disposer en fait comme si elle était le propriétaire de ce bien. La finalité de la sixième directive pourrait être compromise si la constatation d’une livraison de biens, qui est l’une des trois opérations taxables, était soumise à la réalisation de conditions qui varient en fonction du droit civil de l’État membre concerné (voir, en ce sens, arrêts du 8 février 1990, Shipping and Forwarding Enterprise Safe, C‑320/88, Rec. p. I‑285, points 7 et 8; du 4 octobre 1995, Armbrecht, C‑291/92, Rec. p. I‑2775, points 13 et 14; du 6 février 2003, Auto Lease Holland, C‑185/01, Rec. p. I‑1317, points 32 et 33, ainsi que du 21 avril 2005, HE, C‑25/03, Rec. p. I‑3123, point 64).

33      Il ressort des données fournies par la juridiction de renvoi que le contrat envisagé porte sur un objet corporel, à savoir un câble à fibres optiques, qui est acheté et posé par le fournisseur et qui, à la suite des essais de fonctionnement effectués par ce dernier, est destiné à être transféré au client, lequel pourra disposer de ce câble en tant que propriétaire.

34      Le fait que la livraison dudit câble soit accompagnée de l’installation de ce dernier ne s’oppose pas, en principe, à ce que l’opération relève du champ d’application de l’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive.

35      En effet, en premier lieu, il résulte de l’article 8, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive qu’un bien corporel peut faire l’objet d’une installation ou d’un montage, avec ou sans essai de mise en service par le fournisseur ou pour son compte, sans que l’opération ne perde nécessairement sa qualification de «livraison d’un bien». En deuxième lieu, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 51 de ses conclusions, cette disposition ne fait pas de distinction entre les modes d’installation, de sorte que l’incorporation au sol d’un bien meuble ne doit pas nécessairement relever de la notion de «travaux immobiliers» au sens de l’article 5, paragraphe 5, de la sixième directive.

36      Il ressort également de la décision de renvoi que, si la pose du câble en cause au principal se déroule dans des circonstances normales, le chiffre d’affaires que le fournisseur va tirer de l’opération est composé, pour la plus grande partie, du coût du câble lui-même et du reste du matériel, qui représente 80 à 85 % du montant total de ladite opération, tandis que, si les conditions sont défavorables, par exemple en raison de la difficulté du terrain, de l’état des fonds marins, de la nécessité de rallonger le câble ou de la survenance de tempêtes, la part du coût du matériel par rapport au coût total diminue.

37      À cet égard, s’il est vrai que le rapport entre le prix du bien et celui des services est une donnée objective constituant un indice dont il peut être tenu compte aux fins de la qualification de l’opération au principal, il n’en demeure pas moins, ainsi que le soutient la Commission des Communautés européennes dans ses observations, que le coût du matériel et des travaux ne doit pas, à lui seul, revêtir une importance déterminante.

38      Il convient donc, afin de qualifier l’opération envisagée, d’examiner également l’importance de la prestation de services au regard de la livraison du câble.

39      À cet égard, même s’il est indispensable que le câble soit installé pour pouvoir être utilisé, et même si, en raison notamment de la distance et de la difficulté du terrain, l’incorporation du câble au sol revêt, ainsi qu’il ressort du point 29 du présent arrêt, une grande complexité et nécessite des moyens importants, il n’en résulte pas pour autant que la prestation de services présente un caractère prédominant sur la livraison du bien. En effet, il découle de la description des clauses du contrat figurant dans la décision de renvoi que les travaux devant être effectués par le fournisseur se limitent à la pose du câble en cause au principal et n’ont pas pour but ni pour résultat d’altérer la nature dudit câble ni d’adapter ce dernier aux besoins spécifiques du client (voir, par analogie, l’arrêt Levob Verzekeringen et OV Bank, précité, points 28 et 29).

40      Compte tenu de tous ces éléments, il y a lieu de répondre à la première question qu’une opération portant sur la livraison et la pose d’un câble à fibres optiques reliant deux États membres et situé en partie en dehors du territoire de la Communauté doit être regardée comme une livraison de biens au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive, lorsqu’il apparaît que, à la suite des essais de fonctionnement effectués par le fournisseur, le câble sera transféré au client, lequel pourra en disposer en tant que propriétaire, que le prix du câble lui-même représente une partie clairement prépondérante du coût total de ladite opération, et que les services du fournisseur se limitent à la pose du câble, sans en altérer la nature et sans l’adapter aux besoins spécifiques du client.

 Sur la deuxième question

41      La deuxième question n’a été posée que dans l’éventualité où l’opération imposable constituerait une prestation de services. Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu d’examiner celle-ci.

 Sur la troisième question

42      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, afin de déterminer le lieu d’une opération soumise à la TVA portant sur la livraison et la pose d’un câble à fibres optiques reliant deux États membres et situé en partie en dehors du territoire de la Communauté, si l’article 8, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive doit être interprété en ce sens que la compétence fiscale de chaque État membre est limitée à la partie du câble qui se trouve sur son territoire.

43      À titre liminaire, il convient de souligner que le titre VI de la sixième directive contient les dispositions consacrées à la détermination du lieu des opérations imposables, à savoir l’article 8 pour les livraisons de biens et l’article 9 pour les prestations de services. L’objectif poursuivi par ces dispositions dans le cadre du système général de la directive, ainsi qu’il est permis d’inférer du septième considérant de celle-ci, vise à établir une répartition rationnelle des sphères d’application des législations nationales en matière de TVA, en déterminant de manière uniforme le lieu de rattachement fiscal des livraisons de biens et des prestations de services. Ces dispositions ont également pour but d’éviter les conflits de compétence susceptibles de conduire tant à des situations de double imposition qu’à la non-imposition de recettes [voir, par analogie, arrêts du 4 juillet 1985, Berkholz, 168/84, Rec. p. 2251, point 14; du 12 mai 2005, RAL (Channel Islands) e.a., C‑452/03, Rec. p. I‑3947, point 23, et du 15 septembre 2005, Köhler, C‑58/04, Rec. p. I‑8219, point 22].

44      En ce qui concerne la détermination du lieu où une livraison de biens est réputée se situer, l’article 8 de la sixième directive établit plusieurs points de rattachement spécifiques selon qu’il s’agit de livraisons de biens avec ou sans transport, de livraisons de biens à bord d’un bateau, d’un avion ou d’un train, de livraisons de gaz ou d’électricité par des systèmes de distribution ou, encore, de la livraison d’un bien faisant l’objet d’une installation ou d’un montage avec ou sans essai de mise en service par le fournisseur ou pour son compte. Dans ce dernier cas, aux termes du paragraphe 1, sous a), deuxième phrase, de cet article, le lieu de la livraison est réputé se situer à l’endroit où est fait l’installation ou le montage.

45      Il est vrai que, pour être opérationnelle, une règle de conflit doit permettre l’attribution de la compétence fiscale pour soumettre une opération à la TVA uniquement à l’un des État membres concernés. En ce sens, lorsque le bien fait l’objet d’une installation, la livraison n’est réputée se situer, en principe, que sur le territoire d’un seul État membre et, lorsque l’installation du bien consiste en son incorporation au sol, c’est le lieu de cette incorporation qui détermine l’État compétent pour taxer la livraison.

46      Cela ne signifie pas pour autant que l’article 8, paragraphe 1, sous a), deuxième phrase, de la sixième directive ne trouve pas à s’appliquer dans le cas où l’installation d’un bien sur le territoire d’un des États membres se poursuit sur le territoire d’un autre État membre. En effet, lorsque ce bien, à savoir dans l’affaire au principal un câble à fibres optiques, fait l’objet d’une installation sur le territoire d’un premier État membre puis sur celui d’un second, le lieu de la livraison se situe successivement sur le territoire de chacun de ces États.

47      Il s’ensuit que, dans un tel cas, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 88 de ses conclusions, la compétence pour taxer l’opération doit être reconnue à chaque État membre pour la partie du câble installée sur son territoire.

48      Cette compétence fiscale respective de chaque État membre relativement à l’opération dans son ensemble englobe non seulement l’exigibilité de la taxe due sur le prix du câble lui-même, mais comprend également le pouvoir de taxer les services afférents à l’installation.

49      En effet, dans l’affaire au principal, les services afférents à l’installation du câble à fibres optiques comprennent non seulement la pose proprement dite et le rallongement éventuel de ce câble, mais aussi les tests réguliers réalisés au cours de la pose et certains essais préliminaires de fonctionnement effectués lorsque la pose est achevée ainsi que la réalisation d’essais complémentaires pendant une trentaine de jours après la mise en service dudit câble, durant lesquels le fournisseur remédie à d’éventuels défauts. Cet ensemble de services, dont certains ne se rattachent pas à un endroit géographique précis, bénéficie à la totalité du câble et doit, partant, tout comme le prix du câble lui-même et du reste du matériel, être taxé par chaque État membre au prorata de la longueur du câble se trouvant sur son territoire.

50      Il convient donc de répondre à la troisième question que l’article 8, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive doit être interprété en ce sens que la compétence pour taxer la livraison et la pose d’un câble à fibres optiques reliant deux États membres et situé en partie en dehors du territoire de la Communauté revient à chaque État membre au prorata de la longueur du câble se trouvant sur son territoire tant en ce qui concerne le prix du câble lui-même et du reste du matériel qu'en ce qui concerne le coût des services liés à la pose de ce dernier.

 Sur la quatrième question

51      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 8, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, lu en combinaison avec les articles 2, point 1, et 3 de la même directive, doit être interprété en ce sens que la livraison et la pose d’un câble à fibres optiques reliant deux États membres n’est pas soumise à la TVA pour la partie de l’opération qui porte sur une zone ne faisant pas partie du territoire de la Communauté.

52      L’article 2, point 1, de la sixième directive oblige les États membres à soumettre à la TVA toutes les livraisons de biens effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel.

53      Le champ d’application territorial de la sixième directive est déterminé à l’article 3 de celle-ci, aux termes duquel, on entend par «territoire d’un État membre», l’intérieur du pays, tel qu’il est défini, pour chaque État membre, aux paragraphes 2 et 3 de cet article, et, par «territoire de la Communauté», l’intérieur des États membres, tel qu’il est défini, pour chaque État membre, auxdits paragraphes. À l’exception de certains territoires nationaux exclus expressément au paragraphe 3 de cet article 3, en vertu du paragraphe 2 de ce même article, l’«intérieur du pays» correspond au champ d’application du traité, tel que défini, pour chaque État membre, à l’article 299 CE.

54      En l’absence, dans le traité, de définition plus précise du territoire qui relève de la souveraineté de chaque État membre, il appartient à chacun des États membres de déterminer l’extension et les limites de ce territoire, en conformité avec les règles du droit international public.

55      S’agissant du champ d’application de la sixième directive, la Cour a déclaré que le régime de cette directive s’applique obligatoirement et impérativement à l’ensemble du territoire national des États membres (voir, en ce sens, arrêt du 23 janvier 1986, Trans Tirreno Express, 283/84, Rec. p. 231, point 20).

56      Selon l’article 2 de la convention des Nations unies sur le droit de la mer, signée à Montego Bay le 10 décembre 1982, entrée en vigueur le 16 novembre 1994 et approuvée par la décision 98/392/CE du Conseil, du 23 mars 1998 (JO L 179, p. 1, ci-après la «convention sur le droit de la mer»), la souveraineté de l’État côtier s’étend à la mer territoriale, au fond de cette mer et à son sous-sol.

57      Le territoire national des États membres au sens de l’article 299 CE est ainsi également constitué par la mer territoriale, le fond de cette mer et son sous-sol, étant entendu qu’il appartient à chaque État membre de fixer la largeur de cette mer dans la limite de 12 milles marins, en conformité avec l’article 3 de la convention sur le droit de la mer.

58      Dès lors, un État membre a l’obligation de soumettre à la TVA une livraison de biens qui a lieu dans sa mer territoriale, au fond de cette mer et dans son sous-sol (voir également, en ce qui concerne la prestation de services de transport, arrêt du 23 mai 1996, Commission/Grèce, C‑331/94, Rec. p. I‑2675, point 10).

59      En revanche, la souveraineté de l’État côtier sur la zone économique exclusive ainsi que sur le plateau continental n’est que fonctionnelle et, en tant que telle, elle est limitée au droit d’exercer les activités d’exploration et d’exploitation prévues aux articles 56 et 77 de la convention sur le droit de la mer. Dans la mesure où la livraison et la pose d’un câble sous-marin ne figurent pas parmi les activités énumérées par lesdits articles, la partie de l’opération réalisée dans ces deux zones ne relève pas de la souveraineté de l’État côtier. Cette constatation se trouve confirmée par les articles 58, paragraphe 1, et 79, paragraphe 1, de cette même convention, qui réservent, sous quelques conditions, à tout autre État le droit de poser des câbles sous-marins dans ces zones.

60      Il s’ensuit que cette partie de l’opération ne peut pas être considérée comme ayant été réalisée à l’intérieur du pays au sens de l’article 2, point 1, de la sixième directive. Il en va de même, a fortiori, de la partie de l’opération qui se déroule en haute mer, zone qui, en vertu de l’article 89 de la convention sur le droit de la mer, est soustraite à la souveraineté des États (voir également, dans le domaine des prestations de services de transport, arrêt du 13 mars 1990, Commission/France C‑30/89, Rec. p. I‑691, point 17).

61      Il y a donc lieu de répondre à la quatrième question que l’article 8, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, lu en combinaison avec les articles 2, point 1, et 3 de celle-ci, doit être interprété en ce sens que la livraison et la pose d’un câble à fibres optiques reliant deux États membres n’est pas soumise à la TVA pour la partie de l’opération qui se déroule dans la zone économique exclusive, sur le plateau continental et en haute mer.

 Sur les dépens

62      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

1)      Une opération portant sur la livraison et la pose d’un câble à fibres optiques reliant deux États membres et situé en partie en dehors du territoire de la Communauté doit être regardée comme une livraison de biens au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 2002/93/CE du Conseil, du 3 décembre 2002, lorsqu’il apparaît que, à la suite des essais de fonctionnement effectués par le fournisseur, le câble sera transféré au client, lequel pourra en disposer en tant que propriétaire, que le prix du câble lui-même représente une partie clairement prépondérante du coût total de ladite opération et que les services du fournisseur se limitent à la pose du câble, sans en altérer la nature et sans l’adapter aux besoins spécifiques du client.

2)      L’article 8, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive 77/388 doit être interprété en ce sens que la compétence pour taxer la livraison et la pose d’un câble à fibres optiques reliant deux États membres et situé en partie en dehors du territoire de la Communauté revient à chaque État membre au prorata de la longueur du câble se trouvant sur son territoire tant en ce qui concerne le prix du câble lui-même et du reste du matériel qu'en ce qui concerne le coût des services liés à la pose de ce dernier.

3)      L’article 8, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive 77/388, lu en combinaison avec les articles 2, point 1, et 3 de celle-ci doit être interprété en ce sens que la livraison et la pose d’un câble à fibres optiques reliant deux États membres n’est pas soumise à la taxe sur la valeur ajoutée pour la partie de l’opération qui se déroule dans la zone économique exclusive, sur le plateau continental et en haute mer.

Signatures


* Langue de procédure: le suédois.