DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

12 septembre 2019 (*)

« Aides d’État – Aide en faveur de Klaipėdos Nafta en vue de la construction et de la gestion d’un terminal GNL dans le port maritime de Klaipėda – Décision déclarant l’aide compatible avec le marché intérieur – Article 106, paragraphe 2, TFUE – Article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE – Décision de ne pas soulever d’objections – Sécurité de l’approvisionnement – Service d’intérêt économique général »

Dans l’affaire T‑417/16,

Achemos Grupė UAB, établie à Vilnius (Lituanie),

Achema AB, établie à Jonava (Lituanie),

représentées initialement par Mes R. Martens et C. Maczkovics, puis par Mes Martens et V. Ostrovskis, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. É. Gippini Fournier, N. Kuplewatzky et Mme L. Armati, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

République de Lituanie, représentée initialement par MM. D. Kriaučiūnas et R. Dzikovič, puis par M. Dzikovič, en qualité d’agents,

et par

Klaipėdos Nafta AB, établie à Klaipėda (Lituanie), représentée par Mes K. Kačerauskas et V. Vaitkutė Pavan, avocats,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision C(2013) 7884 final de la Commission, du 20 novembre 2013, par laquelle l’aide d’État SA.36740 (2013/NN), accordée par la Lituanie à Klaipėdos Nafta, a été déclarée compatible avec le marché intérieur (JO 2016, C 161, p. 1),

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de Mmes V. Tomljenović, président, A. Marcoulli et M. A. Kornezov (rapporteur), juges,

greffier : Mme E. Artemiou,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 20 mars 2019,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le parlement de la République de Lituanie a approuvé, par la résolution X-1046 du 18 janvier 2007, la stratégie énergétique nationale pour la période 2008-2012, dans laquelle a été soulignée la nécessité d’examiner la possibilité de construire un terminal de gaz naturel liquéfié (ci-après le « terminal GNL ») afin de disposer d’une source alternative d’approvisionnement en gaz naturel dans cet État membre et de garantir ainsi la sécurité de l’approvisionnement énergétique au niveau national.

2        Le 21 juillet 2010, le gouvernement lituanien a chargé, par décret, Klaipėdos Nafta AB de développer un plan pour la construction d’un terminal GNL et de réaliser la construction de celui-ci (ci-après le « décret du 21 juillet 2010 »). L’État lituanien détient 72,3 % du capital de Klaipėdos Nafta.

3        Le 30 septembre 2010, le parlement de la République de Lituanie a adopté une résolution par laquelle il a demandé au gouvernement d’élaborer un projet détaillé de développement du terminal GNL en Lituanie et de prévoir le financement de ce projet par des fonds de l’Union européenne et des fonds privés, outre les fonds provenant du budget national. 

4        En exécution de la résolution du parlement lituanien mentionnée au point 3 ci-dessus, le gouvernement lituanien a adopté deux résolutions, les 7 et 15 février 2012, par lesquelles il a approuvé les amendements portant sur la stratégie énergétique de la République de Lituanie pour la période 2008-2012, décidé de développer le terminal GNL, désigné Klaipėdos Nafta en tant qu’entreprise responsable du développement du projet et demandé au ministère de l’Énergie de prendre toutes les décisions requises pour garantir que Klaipėdos Nafta disposerait de toutes les garanties nécessaires pour financer le projet, y compris une garantie de l’État.

5        Le 22 juin 2012 a été adoptée la loi relative au terminal GNL, selon laquelle le terminal GNL et son raccordement au réseau de transport du gaz sont à considérer comme des installations d’importance stratégique pour la sécurité nationale, tandis que l’opérateur du terminal GNL a été reconnu comme une société d’importance stratégique pour la sécurité nationale (ci-après la « loi du 22 juin 2012 »). Conformément à l’article 4, paragraphe 1, de cette loi, le projet du terminal GNL doit être exécuté par une société dans laquelle l’État lituanien détient au moins deux tiers des droits de vote.

6        Le cadre réglementaire mis en place par la République de Lituanie prévoit trois composantes principales de financement du terminal GNL :

–        premièrement, l’article 5, paragraphe 2, de la loi du 22 juin 2012 institue un prélèvement spécial pour tous les utilisateurs du réseau de transport du gaz (ci-après le « supplément GNL »). Ce supplément est collecté par l’opérateur du réseau de transmission et transféré à Klaipėdos Nafta après approbation de l’autorité nationale de régulation (ci-après l’« ANR »), afin de financer une partie des coûts de la construction du terminal GNL et de l’infrastructure y afférente ne pouvant être financés par d’autres sources ainsi que les coûts d’exploitation fixes du terminal. Il est prévu de collecter le supplément GNL pendant une période de 55 ans à partir de la mise en opération du terminal GNL ;

–        deuxièmement, l’article 11 de la loi du 22 juin 2012 impose une obligation à certains producteurs de chauffage et d’électricité d’acheter un quota obligatoire minimal de gaz importé via le terminal GNL (ci-après l’« obligation d’achat »). Tous les autres consommateurs en Lituanie sont libres de choisir où acheter du gaz naturel (auprès du fournisseur désigné, d’autres fournisseurs, à la bourse de gaz naturel ou bien importé directement via le terminal GNL). L’obligation d’achat durera dix années mais cette période peut être raccourcie si le développement et l’intégration du marché lituanien du gaz naturel sont suffisants pour garantir un niveau minimal d’achats permettant au terminal GNL de fonctionner de façon stable ;

–        troisièmement, le financement de la construction de l’infrastructure du terminal GNL est couvert par une garantie d’État à hauteur de 100 % du montant des prêts accordés par la Banque européenne d’investissement (BEI) et d’autres bailleurs de fonds, d’un montant total d’approximativement 116 millions d’euros, moyennant le paiement d’une redevance unique de 0,1 % du montant du prêt concerné (ci-après la « garantie d’État »).

7        Le 28 octobre 2013, la République de Lituanie a notifié les mesures susmentionnées à la Commission européenne. Elle lui a soumis des informations additionnelles le 29 octobre 2013.

8        Le 20 novembre 2013, la Commission a adopté la décision C(2013) 7884 final, par laquelle l’aide d’État SA.36740 (2013/NN), accordée par la Lituanie à Klaipėdos Nafta, a été déclarée compatible avec le marché intérieur (ci-après la « décision attaquée »). La décision attaquée a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 4 mai 2016 (JO 2016, C 161, p. 1).

9        Dans la décision attaquée, en premier lieu, la Commission a considéré que les trois mesures décrites au point 6 ci-dessus constituaient des aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

10      En deuxième lieu, concernant la légalité des mesures d’aide, la Commission a relevé que la garantie d’État, l’obligation d’achat et le supplément GNL, dans la mesure où celui-ci devait couvrir les coûts fixes d’exploitation du terminal GNL, n’avaient pas encore créé de droits exécutoires lors de l’adoption de la décision attaquée, de sorte que ces mesures d’aide étaient légales. En revanche, dans la mesure où le supplément GNL était déjà en vigueur depuis 2013, en ce qu’il devait couvrir les coûts d’investissement, lesquels ne pouvaient être couverts par d’autres sources, la Commission a estimé que cette partie de la mesure d’aide en question était mise en œuvre en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

11      En troisième lieu, s’agissant de la compatibilité avec le marché intérieur des trois mesures d’aide décrites au point 6 ci-dessus, la Commission a considéré, sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, que les mesures d’aide à l’investissement, à savoir la garantie d’État et le supplément GNL, dans la mesure où il couvrait les coûts d’investissement, étaient compatibles avec le marché intérieur. En ce qui concerne les mesures d’aide au fonctionnement, à savoir l’obligation d’achat et le supplément GNL, dans la mesure où il couvrait les coûts d’exploitation fixes du terminal GNL, la Commission a conclu qu’elles étaient conformes à sa communication sur l’encadrement de l’Union européenne applicable aux aides d’État sous forme de compensations de service public (2011) (JO 2012, C 8, p. 15, ci-après l’« encadrement SIEG ») et donc compatibles avec le marché intérieur conformément à l’article 106, paragraphe 2, TFUE.

 Procédure et conclusions des parties

12      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 juillet 2016, les requérantes, Achemos Grupė UAB et Achema AB, ont introduit le présent recours.

13      Le 28 novembre 2016, la Commission a présenté par acte séparé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

14      Le 16 janvier 2017, les requérantes ont déposé au greffe du Tribunal des observations sur l’exception d’irrecevabilité.

15      Par ordonnance du 6 septembre 2017, le Tribunal (septième chambre) a décidé de joindre au fond l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission.

16      Le 19 octobre 2017, la Commission a déposé un mémoire en défense au greffe du Tribunal.

17      Par décisions du 30 octobre et du 8 décembre 2017, le président de la septième chambre du Tribunal a admis la République de Lituanie et Klaipėdos Nafta à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

18      Le 24 janvier 2018, les requérantes ont déposé une réplique au greffe du Tribunal.

19      Le 5 et le 7 février 2018, respectivement, ont déposé des mémoires en intervention la République de Lituanie et Klaipėdos Nafta.

20      Le 12 mars 2018, la Commission a déposé une duplique au greffe du Tribunal.

21      Le 9 avril 2018, les requérantes ont fait parvenir au greffe du Tribunal des observations sur les mémoires en intervention.

22      En application de l’article 106, paragraphe 2, du règlement de procédure, les requérantes ont présenté, le 17 mai 2018, une demande motivée d’audience de plaidoiries.

23      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (septième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure au titre de l’article 89 du règlement de procédure, a posé à la Commission des questions pour réponse écrite. Le 18 février 2019, la Commission a répondu aux questions posées.

24      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal à l’audience du 20 mars 2019.

25      À l’audience, le Tribunal a invité la Commission et la République de Lituanie ainsi que Klaipėdos Nafta à présenter, dans un délai de deux semaines, des observations écrites sur la décision C(2018) 7141 final de la Commission, du 31 octobre 2018, relative à l’aide d’État SA. 44678 (2018/N) relative à la modification de l’aide accordée au terminal GNL en Lituanie (JO 2019, C 14, p. 1, ci-après la « décision de la Commission du 31 octobre 2018 »), laquelle a été invoquée par les requérantes pour la première fois lors de l’audience. La Commission et Klaipėdos Nafta ont déposé des observations à cet égard, respectivement, le 2 et le 3 avril 2019.

26      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter l’exception d’irrecevabilité dans son intégralité ;

–        annuler la décision attaquée dans son intégralité ;

–        condamner la Commission aux dépens.

27      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant irrecevable ;

–        rejeter le recours sur le fond ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

28      La République de Lituanie déclare soutenir les conclusions de la Commission tendant à rejeter le recours comme étant irrecevable ou sur le fond.

29      Klaipėdos Nafta conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens exposés par la Commission et par elle-même.

 En droit

 Sur la recevabilité

 Sur le recours

30      Dans l’exception d’irrecevabilité qu’elle a soulevée, la Commission soutient que les requérantes n’ont ni intérêt à agir ni qualité pour agir à l’encontre de la décision attaquée.

31      Klaipėdos Nafta excipe de l’irrecevabilité du recours pour cause de tardiveté, au motif que les requérantes n’auraient pas déposé la requête auprès du Tribunal dans le délai de deux mois défini au sens de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, ce délai devant commencer à courir, selon elle, à partir de la prise de connaissance par ces dernières de la décision attaquée et non pas à partir de la publication postérieure de celle-ci au Journal Officiel de l’Union européenne.

32      Il convient de rappeler que le juge de l’Union est en droit d’apprécier, suivant les circonstances de chaque espèce, si une bonne administration de la justice justifie de rejeter au fond un recours, sans statuer préalablement sur sa recevabilité (arrêts du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C‑23/00 P, EU:C:2002:118, points 51 et 52, et du 14 septembre 2015, Brouillard/Cour de justice, T‑420/13, non publié, EU:T:2015:633, point 18).

33      Dans les circonstances de l’espèce, le Tribunal considère que, dans un souci d’économie de la procédure, il y a lieu d’examiner d’emblée le bien-fondé du recours, sans statuer préalablement sur la recevabilité de celui-ci, celui-ci étant, en tout état de cause et pour les motifs exposés ci-après, dépourvu de fondement.

 Sur la recevabilité du document présenté par les requérantes lors de l’audience

34      Lors de l’audience, les requérantes ont invoqué et présenté pour la première fois un acte, en l’espèce la décision de la Commission du 31 octobre 2018, laquelle serait, selon elles, pertinente pour la solution du présent litige.

35      La Commission et Klaipėdos Nafta objectent que la production de la décision de la Commission du 31 octobre 2018 doit être rejetée comme irrecevable au motif de sa tardiveté.

36      À cet égard, il convient de rappeler que l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure dispose que, « [à] titre exceptionnel, les parties principales peuvent encore produire des preuves ou faire des offres de preuve avant la clôture de la phase orale de la procédure ou avant la décision du Tribunal de statuer sans phase orale de la procédure, à condition que le retard dans la présentation de celles-ci soit justifié ».

37      En l’espèce, force est de constater que, d’une part, la décision de la Commission a été adoptée le 31 octobre 2018 et publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 11 janvier 2019, c’est-à-dire après la clôture de la phase écrite de la procédure le 18 avril 2018, de sorte que les requérantes ne pouvaient pas la présenter avant cette clôture. Or, selon la jurisprudence, le Tribunal n’admet le dépôt d’offres de preuve postérieurement à la duplique que dans des circonstances exceptionnelles, à savoir si l’auteur de l’offre ne pouvait, avant la clôture de la phase écrite de la procédure, disposer des preuves en question, comme en l’espèce (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2019, Pethke/EUIPO, T‑169/17, non publié, EU:T:2019:135, point 43 et jurisprudence citée).

38      D’autre part, l’offre de preuve en question a été présentée lors de l’audience du 20 mars 2019, c’est-à-dire avant la clôture de la phase orale de la procédure au sens de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure.

39      Pour ces raisons, il y a lieu d’admettre, au titre de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure, la production de la décision de la Commission du 31 octobre 2018.

 Sur le fond

40      Les requérantes soulèvent trois moyens à l’appui de leur recours. Par leur premier moyen, elles allèguent, en substance, que la Commission a manqué à son obligation d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE. Le deuxième moyen concerne les mesures d’aide à l’investissement et la question de savoir si la Commission a correctement apprécié leur compatibilité avec le marché intérieur au sens de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE. Le troisième moyen concerne les mesures d’aide au fonctionnement et la question de savoir si la Commission a correctement appliqué l’encadrement SIEG afin de déclarer l’aide compatible avec le marché intérieur au sens de l’article 106, paragraphe 2, TFUE.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation des règles de procédure figurant dans l’article 108, paragraphe 2, TFUE et l’article 4, paragraphe 4, du règlement (CE) no 659/1999 ainsi que des règles de bonne administration

41      Les requérantes invoquent une violation de leurs droits procéduraux au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE et de l’article 4, paragraphe 4, du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO 1999, L 83, p. 1), au motif que la Commission se serait fondée, dans la décision attaquée, uniquement sur des informations fournies par les autorités lituaniennes, sans entreprendre les démarches requises pour acquérir une vue complète et impartiale du marché pertinent en Lituanie.

42      En particulier, premièrement, la Commission aurait omis de vérifier l’existence d’autres projets d’investissement dans des terminaux GNL. Elle aurait ignoré l’existence du projet d'Achemos Grupė prévoyant la construction d’un autre terminal GNL dans la péninsule de Smelte (Lituanie) visant à répondre aux besoins en gaz naturel d'Achema. Ainsi, d’une part, étant donné qu’il serait notoire que cette dernière consomme la moitié de la consommation totale de gaz naturel en Lituanie, la Commission aurait dû recueillir des informations supplémentaires auprès d’elle. D’autre part, des informations sur l’intention d'Achemos Grupė de faire construire un tel terminal GNL étaient accessibles sur l’internet, même en anglais. Or, dans la décision attaquée, la Commission aurait constaté, sans pourtant le vérifier, que l’absence d’investissements dans des infrastructures énergétiques en Lituanie était due à la forte position de Gazprom et qu’il existait donc une défaillance du marché dans le cadre de son examen au titre de l’article 106, paragraphe 2, TFUE.

43      Deuxièmement, la Commission ne pouvait se borner, selon les requérantes, à accepter les déclarations de l’État lituanien relatives à la nécessité d’un terminal GNL ayant une capacité de quatre milliards de mètres cubes sans vérifier, auprès d’autres sources d’information indépendantes, telles que le rapport annuel de l’ANR, les prévisions sur la demande de gaz en Lituanie à moyen terme et, de surcroît, sans s’informer directement auprès d'Achema de ses prévisions en termes de consommation de gaz.

44      Selon les requérantes, ces éléments démontrent l’existence de difficultés sérieuses qui auraient dû soulever des doutes quant à la compatibilité des mesures d’aides en cause et conduire la Commission à ouvrir la procédure formelle d’examen.

45      Dans la réplique, les requérantes ajoutent que l’existence de difficultés sérieuses serait démontrée, en outre, par le fait que la Commission a été saisie d’une plainte de la part de l’Association lituanienne du gaz et qu’elle a également reçu une lettre de leur part, datée du 27 septembre 2012. Par ailleurs, en omettant d’informer la Commission de l’existence du projet d'Achemos Grupė visant à la construction d’un terminal GNL, la République de Lituanie aurait violé le principe de coopération loyale défini au sens de l’article 4, paragraphe 3, TUE. Dans ces circonstances, la Commission aurait pu éviter de se prononcer sur la base d’un examen insuffisant et incomplet si elle avait entendu les requérantes au cours d’une procédure formelle d’examen.

46      La Commission et la République de Lituanie ainsi que Klaipėdos Nafta contestent l’ensemble des arguments des requérantes.

47      Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que, selon la jurisprudence, lorsque la Commission ne peut acquérir la conviction, à la suite d’un premier examen mené dans le cadre de la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, qu’une mesure d’aide d’État soit ne constitue pas une « aide » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, soit, si elle est qualifiée d’aide, est compatible avec le traité FUE, ou lorsque cette procédure ne lui a pas permis de surmonter toutes les difficultés soulevées par l’appréciation de la compatibilité de la mesure considérée, elle est dans l’obligation d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE sans disposer à cet égard d’une marge d’appréciation (voir arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C‑487/06 P, EU:C:2008:757, point 113 et jurisprudence citée ; arrêt du 19 septembre 2018, HH Ferries e.a./Commission, T‑68/15, EU:T:2018:563, point 60).

48      La notion de difficultés sérieuses revêt un caractère objectif (arrêt du 21 décembre 2016, Club Hotel Loutraki e.a./Commission, C‑131/15 P, EU:C:2016:989, point 31). L’existence de telles difficultés doit être recherchée tant dans les circonstances de l’adoption de l’acte attaqué que dans son contenu, d’une manière objective, en mettant en rapport les motifs de la décision avec les éléments dont la Commission disposait lorsqu’elle s’est prononcée sur la compatibilité des aides litigieuses avec le marché intérieur (voir arrêt du 28 mars 2012, Ryanair/Commission, T‑123/09, EU:T:2012:164, point 77 et jurisprudence citée). Il en découle que le contrôle de légalité effectué par le Tribunal sur l’existence de difficultés sérieuses, par nature, ne peut se limiter à la recherche de l’erreur manifeste d’appréciation (voir arrêts du 27 septembre 2011, 3F/Commission, T‑30/03 RENV, EU:T:2011:534, point 55 et jurisprudence citée, et du 10 juillet 2012, Smurfit Kappa Group/Commission, T‑304/08, EU:T:2012:351, point 80 et jurisprudence citée). En effet, une décision adoptée par la Commission sans ouverture de la phase formelle d’examen peut être annulée pour ce seul motif, en raison de l’omission de l’examen contradictoire et approfondi prévu par le traité FUE, même s’il n’est pas établi que les appréciations portées sur le fond par la Commission étaient erronées en droit ou en fait (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2010, British Aggregates e.a./Commission, T‑359/04, EU:T:2010:366, point 58).

49      Toujours selon la jurisprudence, la légalité d’une décision en matière d’aides d’État doit être appréciée en fonction des éléments d’information dont la Commission pouvait disposer au moment où elle l’a arrêtée (voir arrêt du 2 septembre 2010, Commission/Scott, C‑290/07 P, EU:C:2010:480, point 91 et jurisprudence citée).

50      Il ressort également de la jurisprudence que le caractère insuffisant ou incomplet de l’examen mené par la Commission lors de la procédure d’examen préliminaire constitue un indice de l’existence de difficultés sérieuses [voir arrêt du 17 mars 2015, Pollmeier Massivholz/Commission, T‑89/09, EU:T:2015:153, point 50 (non publié) et jurisprudence citée].

51      Il appartient aux requérantes de prouver l’existence de difficultés sérieuses, preuve qu’elles peuvent fournir à partir d’un faisceau d’indices concordants (voir arrêt du 19 septembre 2018, HH Ferries e.a./Commission, T‑68/15, EU:T:2018:563, point 63 et jurisprudence citée).

52      Enfin, la Commission est tenue, dans l’intérêt d’une bonne administration des règles fondamentales du traité FUE relatives aux aides d’État, de conduire la procédure d’examen de manière diligente et impartiale, afin qu’elle dispose, lors de l’adoption de la décision finale, des éléments les plus complets et fiables possibles pour ce faire (arrêt du 2 septembre 2010, Commission/Scott, C‑290/07 P, EU:C:2010:480, point 90), tout en tenant compte du fait que la finalité du système de contrôle des aides d’État repose avant tout sur un dialogue entre elle et les États membres et dans lequel les tiers n’ont qu’un rôle limité à jouer (voir, en ce sens, arrêt du 9 décembre 2014, Netherlands Maritime Technology Association/Commission, T‑140/13, non publié, EU:T:2014:1029, point 60).

53      En l’espèce, les requérantes invoquent, en substance, le caractère insuffisant ou incomplet de l’examen mené par la Commission lors de la procédure d’examen préliminaire. Ainsi, en premier lieu, la Commission aurait omis de tenir compte de l’existence d’un projet alternatif d’investissement dans un terminal GNL, à savoir celui d’Achemos Grupė, alors qu’elle a fondé la décision attaquée sur la prémisse qu’un tel terminal ne serait pas envisageable sans l’aide d’État en cause.

54      À cet égard, premièrement, il convient de relever que la Commission disposait, aux fins de l’élaboration de la décision attaquée, des informations présentées par la République de Lituanie dans sa notification du 28 octobre 2013, de l’information additionnelle du 29 octobre 2013 ainsi que de sa propre étude sur le marché du gaz dans l’Union, présentée dans le document « Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions Priorités en matière d’infrastructures énergétiques pour 2020 et au-delà - Schéma directeur pour un réseau énergétique européen intégré » (COM/2010/0677 final) (voir notamment points 141 et 147 de la décision attaquée).

55      Deuxièmement, la Commission a examiné les informations présentées dans une plainte déposée par l’Association lituanienne du gaz et portant sur les mesures d’aide d’État faisant l’objet de la décision attaquée (points 2 à 4 et point 2.13 de la décision attaquée). Il convient de relever à cet égard que les membres de cette association sont des entreprises opérant sur le marché de l’importation et de la distribution de gaz aux revendeurs et aux clients finaux, une autre association comprenant seize entreprises du secteur de la construction de gazoducs ainsi que des établissements scientifiques et d’éducation. Ainsi que l’ont confirmé les requérantes lors de l’audience, Achema était également membre de cette association.

56      Troisièmement, la Commission disposait également des renseignements figurant dans la lettre que lui ont adressée les requérantes elles-mêmes, le 27 septembre 2012, au sujet des mesures d’aide d’État en cause.

57      Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que la Commission pouvait valablement considérer disposer, lors de l’adoption de la décision attaquée, des éléments les plus complets et fiables possibles, provenant de sources différentes, indépendantes et poursuivant des intérêts divergents.

58      Or, les requérantes ne sauraient valablement reprocher à la Commission de ne pas avoir tenu compte de leur projet de construction d’un terminal GNL, étant donné qu’elles n’en ont à aucun moment fait part à la Commission avant l’adoption de la décision attaquée. Si, certes, pendant la procédure préliminaire d’examen, les requérantes n’ont pas le droit de présenter des observations, il n’en reste pas moins qu’elles n’ont, à aucun moment, de façon spontanée ou en déposant une plainte, attiré l’attention de la Commission sur l’existence de leur projet de construction d’un terminal GNL, d’autant plus que, en l’espèce, elles avaient pris l’initiative de prendre contact avec la Commission au sujet des mesures d’aide en cause, par lettre du 27 septembre 2012, sans pour autant y mentionner l’existence de leur projet.

59      Il n’est pas non plus contesté que la plainte déposée par l’Association lituanienne du gaz ne mentionnait pas le projet d’Achemos Grupė non plus. Cette omission est d’autant plus importante que cette association regroupe plusieurs acteurs sur le marché pertinent, y compris Achema elle-même, de sorte que la Commission pouvait légitimement considérer disposer également d’informations pertinentes provenant de parties opposées aux mesures d’aide en cause.

60      Dans ces circonstances, il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir tenu compte d’éventuels éléments de fait ou de droit qui auraient pu lui être présentés pendant la procédure administrative, mais qui ne l’ont pas été, la Commission n’étant pas dans l’obligation d’examiner d’office et par supputation quels sont les éléments qui auraient pu lui être soumis (voir arrêt du 16 mars 2016, Frucona Košice/Commission, T‑103/14, EU:T:2016:152, point 140 et jurisprudence citée).

61      En deuxième lieu, s’agissant du caractère supposément incomplet ou insuffisant de l’examen, par la Commission, de la capacité annuelle du terminal GNL, il y a lieu de relever que, au point 72 de la décision attaquée, la Commission a constaté, sur la base d’une étude de faisabilité présentée par les autorités lituaniennes, que la capacité optimale pouvant garantir la sécurité d’approvisionnement serait de onze millions de mètres cubes par jour, c’est-à-dire de quatre milliards de mètres cubes par an. Selon les requérantes, cette capacité serait toutefois deux fois plus importante que la consommation annuelle en Lituanie.

62      Cet argument procède d’une lecture partielle de la décision attaquée. S’il est vrai que, aux points 70 à 73 de la décision attaquée, la Commission a relevé que la demande en gaz naturel des consommateurs prioritaires en Lituanie, c’est-à-dire les consommateurs ménagers, les producteurs de chauffage et les industries utilisant du gaz naturel dans leur processus de fabrication, était de 0,9 à 1,5 milliard de mètres cubes par an, elle a aussi précisé, aux mêmes points, que la consommation mensuelle variait significativement, celle correspondant aux mois hivernaux étant jusqu’à cinq fois plus importante que celle correspondant aux mois estivaux. Ainsi, pendant les mois d’hiver, une capacité de regazéification de onze millions de mètres cubes par jour combinée avec le gaz stocké au dépôt Inčukalns en Lettonie serait à même de garantir la demande de première nécessité en Lituanie indépendamment de Gazprom. Or, la nécessité d’une capacité journalière de onze millions de mètres cubes correspond à une capacité de quatre milliards de mètres cubes sur une base annuelle. À cet égard, les points 140, 141 et 155 de la décision attaquée expliquent, sur la base de données concrètes, que le terminal GNL permettrait de couvrir la demande quotidienne de première nécessité en hiver.

63      Or, les requérantes ne contestent pas la fiabilité de l’étude de faisabilité sur laquelle cet examen a été fondé. Partant, la Commission pouvait considérer disposer d’informations suffisantes, sans devoir nécessairement se renseigner en outre auprès de l’ANR ou d’Achema, comme le suggèrent les requérantes.

64      En troisième lieu, contrairement à ce que font valoir les requérantes, le fait que la Commission ait été saisie d’une plainte (voir point 55 ci‑dessus) et ait reçu des observations des requérantes dans leur lettre du 27 septembre 2012 ne démontre pas, en l’espèce, l’existence de difficultés sérieuses quant à la compatibilité avec le marché intérieur des mesures d’aide en cause. En effet, quand bien même des plaintes provenant de parties tierces peuvent constituer des indices de l’existence de difficultés sérieuses, leur pertinence dépend étroitement des éléments de preuve figurant dans ces plaintes et non du simple fait que des observations aient été transmises (arrêt du 9 décembre 2014, Netherlands Maritime Technology Association/Commission, T‑140/13, non publié, EU:T:2014:1029, point 58).

65      Enfin, quant à l’allégation des requérantes selon laquelle les autorités lituaniennes auraient violé l’article 4, paragraphe 3, TUE en omettant d’informer la Commission du projet d’Achemos Grupė, il suffit de relever que l’objet du recours en annulation fondé sur l’article 263 TFUE n’est pas de constater l’existence éventuelle d’un manquement de la part d’un État membre à ses obligations découlant du traité. Cet argument est donc inopérant.

66      Au vu de ce qui précède, le premier moyen doit être rejeté.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE

67      Les requérantes considèrent que la Commission a violé l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE dans la mesure où elle a apprécié erronément les critères permettant, selon la jurisprudence, de conclure à la compatibilité de l’aide d’État litigieuse avec le marché intérieur. Plus précisément, elles contestent les conclusions figurant dans la décision attaquée selon lesquelles les mesures d’aide en cause sont nécessaires pour atteindre l’objectif d’intérêt commun invoqué, consistant à assurer la sécurité de l’approvisionnement de gaz en Lituanie (première branche), sont dotées d’effet incitatif (deuxième branche) et sont proportionnées (troisième branche).

–       Sur la première branche, concernant la nécessité des mesures d’aide

68      Il y a lieu de rappeler, avant tout, la jurisprudence selon laquelle la Commission ne peut déclarer une aide compatible avec le marché intérieur au sens de l’article 107, paragraphe 3, TFUE que si elle peut constater que cette aide contribue à la réalisation de l’un des objectifs mentionnés dans cette disposition, objectifs que l’entreprise bénéficiaire ne pourrait atteindre par ses propres moyens dans des conditions normales de marché. En d’autres termes, afin qu’une aide puisse bénéficier d’une des dérogations prévues à l’article 107, paragraphe 3, TFUE, elle doit être non seulement conforme à l’un des objectifs visés par l’article 107, paragraphe 3, sous a), b), c) ou d), TFUE, mais également nécessaire pour atteindre ces objectifs (arrêts du 7 juin 2001, Agrana Zucker und Stärke/Commission, T‑187/99, EU:T:2001:149, point 74, et du 13 septembre 2013, Fri-El Acerra/Commission, T‑551/10, non publié, EU:T:2013:430, point 49 ; voir également, en ce sens, arrêt du 17 septembre 1980, Philip Morris Holland/Commission, 730/79, EU:C:1980:209, point 17). Cette aide doit en effet inciter le bénéficiaire à adopter un comportement de nature à contribuer à la réalisation desdits objectifs (arrêt du 14 mai 2002, Graphischer Maschinenbau/Commission, T‑126/99, EU:T:2002:116, point 34).

69      En revanche, une aide qui apporte une amélioration de la situation financière de l’entreprise bénéficiaire sans être nécessaire pour atteindre les buts prévus à l’article 107, paragraphe 3, TFUE ne saurait être considérée comme compatible avec le marché intérieur (arrêts du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C‑390/06, EU:C:2008:224, point 68 ; du 14 janvier 2009, Kronoply/Commission, T‑162/06, EU:T:2009:2, point 65, et du 8 juillet 2010, Freistaat Sachsen et Land Sachsen‑Anhalt/Commission, T‑396/08, non publié, EU:T:2010:297, point 47).

70      Enfin, si l’existence d’une défaillance de marché peut constituer un élément pertinent pour déclarer la compatibilité d’une aide d’État avec le marché intérieur, l’absence de défaillance de marché n’a pas nécessairement pour conséquence que les conditions prévues à l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE ne soient pas réunies (arrêts du 9 juin 2016, Magic Mountain Kletterhallen e.a./Commission, T‑162/13, non publié, EU:T:2016:341, points 78 et 79, et du 18 janvier 2017, Andersen/Commission, T‑92/11 RENV, non publié, EU:T:2017:14, point 69). Par exemple, une intervention de l’État peut être considérée comme étant nécessaire au sens de cette disposition lorsque les forces du marché ne sont pas susceptibles de réaliser à elles seules l’objectif d’intérêt public visé par l’État membre en temps utile, même si, en tant que tel, un tel marché ne peut pas être considéré comme étant défaillant (arrêt du 12 juillet 2018, Autriche/Commission, T‑356/15, sous pourvoi, EU:T:2018:439, point 151).

71      En l’occurrence, il n’est pas contesté que les mesures d’aide en cause poursuivent un objectif légitime d’intérêt commun, à savoir assurer la sécurité de l’approvisionnement en gaz en Lituanie, ainsi que cela est constaté au point 139 de la décision attaquée. À cet égard, la Commission a considéré que les mesures d’aide étaient nécessaires et appropriées pour atteindre cet objectif, puisque le marché en Lituanie n’aurait pas permis, sans le soutien de l’État, de développer et de financer un projet qui serait en mesure d’assurer la sécurité de l’approvisionnement, et cela indépendamment du fait que les prix du gaz en Lituanie seraient parmi les plus élevés de l’Union (point 148 de la décision attaquée). Selon la Commission, cette absence d’intérêt à investir dans des infrastructures énergétiques alternatives serait due principalement à la situation spécifique caractérisant le marché lituanien du gaz, lequel serait dominé par un seul fournisseur, Gazprom, qui jouirait d’une marge commerciale suffisante pour lui permettre de sous-coter les prix du GNL. Pour ces raisons, aux points 149 à 153 de la décision attaquée, la Commission a considéré que, sans le supplément GNL et l’obligation d’achat, le terminal GNL ne serait ni compétitif ni viable.

72      Premièrement, les requérantes contestent la constatation de l’absence d’intérêt à investir dans des infrastructures alternatives, avançant l’exemple de leur propre projet de terminal GNL. Cet argument se recoupe avec celui rejeté dans le cadre du premier moyen et doit être rejeté pour les motifs exposés aux points 54 à 60 ci-dessus.

73      Il convient d’ajouter que, selon les affirmations des requérantes elles-mêmes, leur projet de terminal GNL aurait été destiné à couvrir uniquement les besoins en gaz d’Achema. Or, un tel projet ne répond manifestement pas à l’objectif de sécurité de l’approvisionnement pour l’ensemble des consommateurs lituaniens que poursuivent les mesures d’aide en cause, de sorte que l’existence d’un tel projet, à la supposer avérée, n’est pas de nature à remettre en cause la nécessité des mesures d’aide en question.

74      Deuxièmement, les requérantes objectent que l’absence d’intérêt à investir dans l’infrastructure gazière en Lituanie serait due non pas à la crainte d’une concurrence sur les prix avec le fournisseur dominant, Gazprom, mais à d’autres causes, telles que l’absence de séparation entre le gestionnaire du réseau de transport et les fournisseurs ou producteurs de gaz, en violation de l’article 9 de la directive 2009/73/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 2003/55/CE (JO 2009, L 211, p. 94).

75      Cet argument n’est cependant pas suffisamment étayé. En l’absence d’éléments concrets susceptibles de démontrer les affirmations des requérantes, il suffit d’observer que, si l’absence de séparation entre le gestionnaire du réseau de transport de gaz et les fournisseurs ou producteurs de gaz, à la supposer avérée, pourrait éventuellement être l’une des causes du dysfonctionnement du marché lituanien du gaz, rien ne permet de conclure qu’une éventuelle mesure visant à introduire une telle séparation serait de nature à résoudre le problème de la source unique de l’approvisionnement de gaz en Lituanie, étant donné que ladite séparation n’a pour objet ni la diversification des sources d’approvisionnement ni la sécurité de l’approvisionnement.

76      Troisièmement, les requérantes critiquent les points 155 et 156 de la décision attaquée, en ce que la Commission aurait estimé à tort que les mesures d’aide en cause étaient appropriées et nécessaires pour permettre à la République de Lituanie de remplir, au 3 décembre 2014 au plus tard, la condition de la règle « N-1 », conformément à l’article 6, paragraphe 1, du règlement (UE) no 994/2010 du Parlement européen et du Conseil, du 20 octobre 2010, concernant des mesures visant à garantir la sécurité de l’approvisionnement en gaz naturel et abrogeant la directive 2004/67/CE du Conseil (JO 2010, L 295, p. 1), et pour apporter une solution à court terme au regard de l’expiration en 2015 du contrat à long terme conclu avec l’unique fournisseur de gaz, Gazprom. Selon les requérantes, des obligations légales ou des négociations commerciales à venir ne pourraient justifier l’octroi de mesures d’aide. Or, la Commission n’aurait pas examiné s’il existait d’autres instruments mieux ciblés pour répondre à l’objectif poursuivi tout en comportant une aide moins importante.

77      Toutefois, cet argument procède, en partie, d’une lecture erronée de la décision attaquée. En effet, au point 155 de la décision attaquée, la Commission a examiné plusieurs autres mesures alternatives, telles que l’augmentation de la capacité de l’interconnecteur entre la Lituanie et la Lettonie, l’augmentation de la capacité de stockage en Lettonie, la construction d’une installation de stockage en Lituanie et la mise en place, prévue pour 2018-2020, d’un interconnecteur entre les réseaux de gaz de la Pologne et de la Lituanie, mais a conclu qu’aucune d’entre elles ne garantirait à la Lituanie le même degré de sécurité d’approvisionnement. Les requérantes soutiennent donc à tort que la Commission n’a pas examiné s’il existait d’autres types d’investissements susceptibles d’assurer le même niveau de sécurité d’approvisionnement.

78      En outre, contrairement aux arguments des requérantes, les contraintes temporelles pesant sur la République de Lituanie, issues, d’une part, de l’obligation de mettre en place, avant le 3 décembre 2014, la règle « N‑1 », en exécution de l’article 6 du règlement no 994/2010 et, d’autre part, du fait de l’expiration en 2015 du contrat de fourniture à long terme conclu avec Gazprom, constituent des considérations susceptibles de conforter la nécessité des mesures d’aide en cause et le calendrier de leur mise en place.

79      Quatrièmement, les requérantes estiment que la Commission aurait dû examiner, par exemple, si une éventuelle modification de la politique lituanienne en matière de réglementation des tarifs pour l’utilisation des infrastructures gazières aurait pu, à un moindre coût, attirer des investissements. En effet, étant donné que les tarifs de l’utilisation des infrastructures gazières en Lituanie sont réglementés au moyen d’une méthode de plafonnement des prix, cette méthode constituerait, selon les requérantes, un moyen efficace pour contenir les coûts du gestionnaire, mais aurait pour inconvénient de réduire l’investissement. Les requérantes se réfèrent à cet égard aux lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014-2020 (JO 2014, C 200, p. 1). Une autre mesure comportant une aide moindre serait d’autoriser les requérantes à construire un terminal GNL.

80      À cet égard, il convient d’observer que le changement de la politique tarifaire pour l’utilisation des infrastructures gazières en Lituanie, préconisé par les requérantes dans le but d’attirer des investissements, aboutirait, en réalité, à augmenter davantage les prix facturés aux consommateurs, déjà très élevés, sans pour autant garantir la sécurité de l’approvisionnement. En effet, les requérantes n’expliquent pas pourquoi une telle modification (augmentation) tarifaire attirerait des investissements dans des sources alternatives de gaz en Lituanie, étant donné que les prix déjà très élevés du gaz, et considérablement plus élevés que dans d’autres États membres, n’ont pas réussi à le faire, et encore moins comment une telle modification tarifaire résoudrait le problème de la source unique d’approvisionnement.

81      Quant aux références faites aux lignes directrices visées au point 79 ci-dessus, il suffit de relever, comme l’admettent d’ailleurs les requérantes, que celles-ci n’étaient pas applicable ratione temporis lors de l’adoption de la décision attaquée.

82      Enfin, s’agissant de l’existence d’une autre mesure comportant une aide moindre consistant à autoriser les requérantes à construire leur propre terminal GNL, il y a lieu de relever qu’une telle mesure n’est pas de nature à atteindre l’objectif d’intérêt général en cause, pour les raisons déjà évoquées au point 73 ci-dessus.

83      Partant, la première branche du deuxième moyen doit être rejetée comme non fondée.

–       Sur la deuxième branche, concernant l’effet incitatif des mesures d’aide

84      Dans le contexte de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, l’aide projetée doit, pour être compatible avec le marché intérieur, revêtir un effet d’incitation. À cette fin, il doit être démontré que, en l’absence de l’aide projetée, l’investissement destiné à réaliser le projet en cause ne serait pas effectué. En revanche, s’il devait apparaître que cet investissement serait opéré même en l’absence de l’aide projetée, il faudrait conclure que cette dernière aurait pour seul effet d’améliorer la situation financière de l’entreprise bénéficiaire, sans pour autant répondre à la condition posée par l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, à savoir être nécessaire au développement de certaines activités (voir arrêt du 13 décembre 2017, Grèce/Commission, T‑314/15, non publié, EU:T:2017:903, point 182 et jurisprudence citée).

85      Selon la jurisprudence, la constatation du défaut de nécessité d’une aide peut notamment découler du fait que le projet aidé a déjà été entamé, voire achevé, par l’entreprise intéressée avant que la demande d’aide ne soit transmise aux autorités compétentes, ce qui exclut que l’aide concernée puisse jouer un rôle incitatif (voir arrêt du 13 décembre 2017, Grèce/Commission, T‑314/15, non publié, EU:T:2017:903, point 181 et jurisprudence citée).

86      En l’espèce, les requérantes critiquent la conclusion de la Commission selon laquelle les mesures d’aide d’État en cause avaient un effet incitatif, au motif que le bénéficiaire de l’aide était obligé, notamment en vertu du décret du 21 juillet 2010, de réaliser le projet de terminal GNL, ce qui démontrerait que l’aide en cause n’avait aucun effet incitatif. En outre, la résolution du parlement lituanien du 30 septembre 2010 n’aurait été adoptée qu’après que Klaipėdos Nafta avait été légalement obligée de réaliser le projet en cause par le décret du 21 juillet 2010, dont le libellé serait clairement impératif. Selon les requérantes, la pratique décisionnelle de la Commission confirmerait cette approche, ainsi que le démontrerait sa décision du 16 avril 2013 relative à l’aide d’État SA.34938 (2012/N) – Pologne – Aide en vue d’augmenter la capacité de l’installation de stockage de gaz de PGNiG à Husow (JO 2013, C 173, p. 1).

87      Les arguments des requérantes sont ainsi fondés sur la prémisse selon laquelle, dès lors que le bénéficiaire de l’aide est obligé légalement de réaliser le projet faisant l’objet de la mesure d’aide, cette dernière n’a pas d’effet incitatif.

88      Cette prémisse est toutefois erronée. En effet, il ne ressort d’aucun élément du dossier, et les requérantes ne le prétendent même pas, que Klaipėdos Nafta avait déjà entamé la réalisation du projet en cause ou, à tout le moins, qu’elle avait l’intention de le faire, indépendamment des mesures d’aide en cause.

89      Au contraire, il ressort du point 165 de la décision attaquée que la construction du terminal n’a commencé qu’après que l’État lituanien s’est engagé à soutenir financièrement le projet.

90      En effet, il ressort des pièces du dossier que l’obligation faite à Klaipėdos Nafta de réaliser le projet du terminal GNL allait de pair avec les mesures d’aide faisant l’objet de la décision attaquée. La lecture d’ensemble du cadre juridique national, résumé aux points 1 à 6 ci‑dessus, démontre que les mesures d’aide en cause constituaient une condition sine qua non à la réalisation du projet.

91      De surcroît, aux points 158 à 163 de la décision attaquée, la Commission a considéré que, en l’absence de l’aide en cause, le projet ne générerait pas un taux de rendement positif, le rendant ainsi peu attrayant aux investisseurs et que, partant, les mesures d’aide créaient un effet incitatif pour la réalisation du projet.

92      Partant, le fait que l’obligation de réalisation du projet a été légalement imposée au bénéficiaire de l’aide d’État litigieuse ne signifie nullement que les mesures d’aide en cause manquent d’effet incitatif.

93      Enfin, la décision de la Commission du 16 avril 2013 mentionnée au point 86 ci-dessus, citée par les requérantes, ne remet pas en cause cette conclusion. Si, dans cette affaire, la Commission a fondé l’existence d’un effet incitatif sur l’absence d’obligation légale de réaliser le projet en cause, il ressort des considérations qui précèdent que l’existence d’une telle obligation n’enlève pas en soi l’effet incitatif de la mesure, dès lors qu’il est constant que le bénéficiaire n’allait pas réaliser le projet en cause en l’absence des mesures d’aide contestées.

94      Il s’ensuit que la deuxième branche du deuxième moyen doit être rejetée comme non fondée.

–       Sur la troisième branche, concernant la proportionnalité des mesures d’aide

95      Selon la jurisprudence, afin de pouvoir être déclarée compatible avec le marché intérieur en application de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, une aide doit viser le développement d’une activité qui constitue un objectif d’intérêt public et doit être appropriée, nécessaire et non démesurée (voir, en ce sens, arrêt du 15 juin 2010, Mediaset/Commission, T‑177/07, EU:T:2010:233, point 125).

96      En l’espèce, les requérantes contestent la conclusion à laquelle est parvenue la Commission au point 178 de la décision attaquée, selon laquelle l’aide d’État en cause est limitée au minimum nécessaire et globalement proportionnée. Selon elles, la capacité du terminal, à savoir quatre milliards de mètres cubes par an, serait beaucoup plus élevée que le montant total des besoins en gaz en Lituanie, lequel devait passer progressivement de 3,26 milliards de mètres cubes en 2012 à 2,5 milliards de mètres cubes en 2016. Par ailleurs, dès lors que la Commission a limité, dans la décision attaquée, son analyse au marché lituanien, elle ne saurait, dans le cadre de la présente procédure, faire valoir que la taille du terminal GNL doit être appréciée par rapport à la taille de l’ensemble de la région balte.

97      La Commission rétorque, notamment, que la capacité du terminal GNL « ne fait pas partie » de l’appréciation de la proportionnalité de l’aide d’État en cause, que, lors de l’appréciation de l’aide d’État en cause, elle pouvait se fonder uniquement sur des données relatives à la demande de gaz passée et partir de la prémisse que ces niveaux se répéteraient à l’avenir et que la capacité du terminal GNL devrait être appréciée en tenant compte des marchés des autres pays baltes.

98      En premier lieu, il convient de rejeter l’argument de la Commission selon lequel la capacité du terminal GNL « ne fait pas partie » de l’appréciation de la proportionnalité de l’aide d’État en cause. En effet, la capacité dudit terminal est directement liée au montant de l’aide. Le montant de l’aide tant à l’investissement qu’au fonctionnement est tributaire, en partie, de la capacité du terminal, pour autant que la taille de celui-ci, d’une part, détermine le montant et les paramètres de l’investissement et, partant, son coût et, d’autre part, affecte les coûts de fonctionnement de celui-ci, puisqu’une éventuelle surcapacité non utilisée est de nature à générer des coûts supplémentaires.

99      En deuxième lieu, il convient de rejeter l’argument de la Commission selon lequel, lors de l’appréciation de l’aide d’État en cause, elle pouvait se fonder uniquement sur des données relatives à la demande de gaz passée en Lituanie, en anticipant que les niveaux enregistrés par le passé se répéteraient à l’avenir. En effet, s’agissant de mesures d’aide dont l’application est prévue pour durer 10 ans (pour l’obligation d’achat) et 55 ans (pour le supplément GNL), la Commission ne saurait, en principe, faire abstraction des prévisions concernant l’évolution de la consommation en Lituanie pendant la durée d’application de ces mesures.

100    En troisième lieu, il convient d’écarter l’argument de la Commission selon lequel la capacité du terminal GNL devrait être appréciée en tenant compte des marchés des autres pays baltes, puisque, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas fondé son examen de la capacité du terminal GNL sur un tel motif (points 167 à 178 de la décision attaquée). Or, la Commission ne saurait compléter la motivation de la décision attaquée en cours d’instance (voir, en ce sens, arrêt du 24 mai 2007, Duales System Deutschland/Commission, T‑289/01, EU:T:2007:155, point 132).

101    Cela étant, la Commission n’a pas commis d’erreur en considérant que la capacité du terminal GNL n’allait pas au‑delà de ce qui était nécessaire pour atteindre l’objectif d’intérêt général consistant à garantir la sécurité de l’approvisionnement en Lituanie.

102    En effet, la Commission a considéré à juste titre, au point 72 de la décision attaquée, que la capacité du terminal GNL devait garantir la demande de première nécessité en Lituanie pendant les pics correspondant aux mois d’hiver en cas de rupture d’approvisionnement. Les requérantes ne contestent pas que, pendant ces mois, une capacité journalière de onze millions de mètres cubes soit nécessaire, ce qui correspond à la capacité du terminal GNL de quatre milliards de mètres cubes par an.

103    Les requérantes ne contestent pas non plus le fait, relevé au point 73 de la décision attaquée, selon lequel la capacité de stockage du terminal GNL garantira un approvisionnement ininterrompu en gaz pour les consommateurs les plus vulnérables pendant une période de 14 à 30 jours.

104    En ce qui concerne l’argument tiré de l’évolution à la baisse prévue pour la demande en Lituanie, il convient de relever, à l’instar de Klaipėdos Nafta, que l’étude relative au projet d'Achemos Grupė, présentée dans le cadre de la présente procédure par les requérantes en annexe à leurs observations sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission ainsi que par Klaipėdos Nafta en annexe au mémoire en intervention (voir notamment pages 37 à 39 de l’annexe S.1), prévoit que, si la consommation de gaz naturel en Lituanie peut effectivement baisser jusqu’en 2017-2020 pour s’établir à 3,1-3,3 milliards de mètres cubes par an, celle-ci doit se rétablir après 2020, pouvant atteindre jusqu’à 5,1 milliards de mètres cubes par an au maximum. Selon cette étude, la capacité du terminal GNL devrait ainsi être calculée sur la base de l’hypothèse que la demande annuelle de gaz naturel serait de 4,22 milliards de mètres cubes. Partant, les requérantes ne parviennent pas à démontrer que la capacité du terminal serait démesurée par rapport au pronostic vraisemblable de l’évolution de la demande en Lituanie.

105    En tout état de cause, même à supposer que la demande de gaz en Lituanie baisse à l’avenir, il n’en reste pas moins que la Commission pouvait valablement considérer que la capacité du terminal GNL était justifiée par l’ampleur de la demande existant à l’époque de la mise en exploitation de celui-ci. Dans le cas contraire, l’État membre concerné serait contraint d’opter pour une capacité ne répondant pas à ses besoins actuels, au seul motif que la demande pourrait éventuellement baisser à l’avenir.

106    Partant, la troisième branche du deuxième moyen doit être rejetée comme non fondée.

107    En conséquence, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen dans son intégralité.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation de l’article 106, paragraphe 2, TFUE, de l’encadrement SIEG, des principes généraux d’égalité de traitement et de protection de la confiance légitime ainsi que des règles de passation des marchés publics prévues par la directive 2004/18/CE

108    Ce moyen est divisé en trois branches qu’il convient d’examiner successivement.

–       Sur la première branche, concernant la durée du mandat

109    Il y a lieu de constater d’emblée que les requérantes ne contestent pas que la gestion du terminal GNL constitue un service d’intérêt économique général (SIEG) au sens de l’article 106, paragraphe 2, TFUE.

110    Selon la jurisprudence, les compensations de service public qui ne remplissent pas les conditions posées par l’arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, EU:C:2003:415), et qui satisfont par ailleurs à toutes les conditions prévues à l’article 107, paragraphe 1, TFUE pour être qualifiées d’aides d’État peuvent, cependant, être déclarées compatibles avec le marché intérieur, en particulier en vertu des dispositions de l’article 106, paragraphe 2, TFUE [voir arrêt du 6 avril 2017, Saremar/Commission, T‑220/14, EU:T:2017:267, point 131 (non publié) et jurisprudence citée].

111    Il convient de rappeler également que, aux termes de l’article 106, paragraphe 2, TFUE, les entreprises chargées de la gestion de SIEG sont soumises aux règles de concurrence dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie, sous la réserve que le développement des échanges ne soit pas affecté dans une mesure contraire à l’intérêt de l’Union [voir arrêt du 6 avril 2017, Saremar/Commission, T‑220/14, EU:T:2017:267, point 132 (non publié) et jurisprudence citée].

112    En l’absence d’une réglementation de l’Union harmonisée en la matière, la Commission n’est pas habilitée à se prononcer sur l’étendue des missions de service public incombant à l’exploitant public, en particulier le niveau des coûts liés à ce service, ni sur l’opportunité des choix politiques pris à cet égard par les autorités nationales, ni sur l’efficacité économique de l’exploitant public [arrêt du 6 avril 2017, Saremar/Commission, T‑220/14, EU:T:2017:267, point 133 (non publié)].

113    Cependant, le large pouvoir d’appréciation ainsi reconnu aux autorités nationales ne saurait être illimité. En particulier, dans le cadre de l’application de l’article 106, paragraphe 2, TFUE, ce large pouvoir d’appréciation ne doit pas empêcher la Commission de vérifier que la dérogation à l’interdiction des aides d’État prévue par cette disposition peut être accordée [arrêt du 6 avril 2017, Saremar/Commission, T‑220/14, EU:T:2017:267, point 134 (non publié)].

114    Cette jurisprudence étant rappelée, il y a lieu de relever que, selon le point 17 de l’encadrement SIEG, « [l]a durée du mandat [pour la prestation du SIEG] doit se justifier au regard de critères objectifs, tels que la nécessité d’amortir des immobilisations incessibles » et que, « [e]n principe, la durée du mandat ne devrait pas excéder la période nécessaire à l’amortissement comptable des principaux actifs indispensables à la prestation du SIEG ».

115    Premièrement, les requérantes soutiennent que la Commission a enfreint le point 17 de l’encadrement SIEG en acceptant à tort, au point 221 de la décision attaquée, que la durée du mandat du SIEG soit égale à la « durée de vie » du terminal GNL, laquelle correspondrait à la « durée de vie » du gazoduc raccordant le terminal au réseau de transport gazier, à savoir 55 ans, au lieu de s’en tenir à la durée de l’amortissement comptable de celui-ci.

116    Il y a lieu d’observer à cet égard, à l’instar de la Commission, que cet argument procède d’une lecture partielle de la décision attaquée. En effet, au point 60 de la décision attaquée, la Commission a clairement indiqué que la durée de 55 ans pendant laquelle le supplément GNL sera imposé correspond à la durée de l’« amortissement » du gazoduc connectant le terminal au réseau gazier, telle que définie par l’ANR. Si, certes, au point 221, première phrase, de la décision attaquée, la Commission indique que la durée du mandat correspond à la « durée de vie » du terminal GNL et de ses éléments constitutifs, elle conclut aussitôt, dans les deuxième et troisième phrases du même point, que cette durée correspond à la « période d’amortissement » dudit gazoduc, conformément à la période d’amortissement que l’ANR prend en considération pour les gazoducs.

117    Il s’ensuit que, malgré l’emploi de l’expression « durée de vie » à la première phrase du point 221 de la décision attaquée, la Commission a en réalité tenu compte de la durée de l’amortissement comptable de l’infrastructure en cause, conformément au point 17 de l’encadrement SIEG. Cette conclusion est confirmée en outre par les références faites aux périodes d’amortissement arrêtées dans une décision de l’ANR, mentionnée dans la note en bas de page no 20 de la décision attaquée.

118    Deuxièmement, selon les requérantes, la décision attaquée ne ferait pas apparaître clairement pourquoi la durée du mandat devrait correspondre à la durée de vie du gazoduc raccordant le terminal GNL au réseau gazier, étant donné qu’il s’agit, en l’espèce, d’un projet plus large et plus complexe, ni pourquoi ledit gazoduc devrait être considéré comme l’un des principaux actifs indispensables à la prestation du SIEG au sens du point 17 de l’encadrement SIEG. Selon les requérantes, l’actif ayant la durée d’amortissement la plus longue aurait été choisi dans le but de justifier une durée de mandat la plus longue possible.

119    S’agissant, d’abord, de la question de savoir si le gazoduc est un actif principal indispensable à la prestation du SIEG au sens du point 17 de l’encadrement SIEG, la Commission a constaté, au point 221 de la décision attaquée, que tel était le cas, puisque le gazoduc était l’un des actifs les plus importants, nécessaires pour la réalisation du SIEG, étant donné que, sans le gazoduc, aucune fourniture de gaz via le terminal GNL n’était possible. Les requérantes ne contestent pas cette constatation.

120    Il convient néanmoins de relever que le point 17 de l’encadrement SIEG fait référence aux « actifs principaux indispensables », donc au pluriel, sans prévoir des règles plus précises lorsque le projet en cause, servant de base pour le SIEG, est composé de plusieurs « actifs principaux indispensables » avec des durées d’amortissement différentes, comme en l’espèce. En effet, au point 60 de la décision attaquée, la Commission a précisé les différentes périodes d’amortissement comptable des autres éléments de l’infrastructure du terminal GNL, à savoir les machines et équipements (13 ans), la station de comptage (18 ans), la jetée (2 ans) et l’unité flottante de stockage et de regazéification du GNL (30 ans).

121    Dans la mesure où tous ces éléments, ou au moins certains d’entre eux, peuvent être considérés comme des « actifs principaux indispensables » à la prestation du SIEG, au sens du point 17 de l’encadrement SIEG, tout comme le gazoduc, se pose la question de savoir quelle durée de mandat doit être retenue.

122    En l’absence de précisions à cet égard dans le libellé du point 17 de l’encadrement SIEG, il convient de l’interpréter à la lumière de son objectif, qui est d’éviter toute surcompensation. En effet, selon le point 16, sous e), du même encadrement, le mandat que l’État membre doit adopter dans le but de garantir que le SIEG en cause est conforme à l’article 106, paragraphe 2, TFUE doit prévoir notamment les moyens d’éviter d’éventuelles surcompensations.

123    Il y a donc lieu de conclure que la durée du mandat doit correspondre à la période d’amortissement comptable de l’un des principaux actifs indispensables à la prestation du SIEG, à condition que la rémunération en résultant n’entraîne aucune surcompensation.

124    Or, en l’espèce, les requérantes n’avancent aucun argument tendant à démontrer que la durée du mandat de 55 ans entraînerait une surcompensation au profit de Klaipėdos Nafta.

125    De surcroît, il convient de souligner que le montant du supplément GNL tient compte des différentes périodes d’amortissement comptable mentionnées au point 120 ci‑dessus. En effet, lorsque la période d’amortissement comptable des autres actifs expirera au fur et à mesure pendant la durée du mandat, les coûts d’amortissement y afférents diminueront progressivement. Cette diminution sera répercutée sur le calcul du montant du supplément GNL, ainsi qu’il ressort du point 60 et de la note en bas de page no 18 de la décision attaquée et ainsi que la Commission l’a confirmé en réponse à une question qui lui a été posée par le Tribunal lors de l’audience.

126    Enfin, force est de constater que les requérantes n’invoquent aucun argument autonome concernant la prétendue violation des « principes généraux du droit de l’Union tels que l’égalité de traitement et la protection de la confiance légitime ». Dès lors, ce grief n’appelle aucune réponse autonome de la part du Tribunal.

127    Au vu de ce qui précède, la première branche du troisième moyen doit être rejetée comme non fondée.

–       Sur la deuxième branche, tirée d’une violation de l’article 14 de la directive 2004/18

128    Les requérantes font valoir que l’attribution du projet GNL directement à Klaipėdos Nafta ne pouvait être exonérée des règles de passation des marchés publics pour des motifs tenant à la protection des intérêts essentiels de l’État au sens de l’article 14 de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO 2004, L 134, p. 114). En effet, d’autres solutions, d’une nature moins restrictive qu’une attribution directe, existeraient en l’espèce, telles que, par exemple, les critères d’attribution, l’imposition d’obligations pouvant être assorties de sanctions pénales, l’insertion d’exigences en matière de sécurité dans le contrat, l’examen de la capacité à respecter certaines exigences en matière de capacité technique. Les requérantes auraient elles-mêmes pu fournir le service demandé et remplir les exigences de sécurité requises pour réaliser le projet.

129    Dans la réplique, les requérantes soulignent que l’application de la dérogation prévue à l’article 14 de la directive 2004/18 ne doit, au même titre que les dérogations analogues aux dispositions du traité FUE, s’appliquer que si elle est à la fois nécessaire, appropriée pour atteindre l’objectif poursuivi et proportionnée, ce qui n’aurait pas été établi en l’espèce.

130    La Commission et la République de Lituanie ainsi que Klaipėdos Nafta contestent l’ensemble des arguments des requérantes.

131    Selon le point 19 de l’encadrement SIEG, il est prévu ce qui suit :

« Une aide ne pourra être considérée comme compatible avec le marché intérieur sur la base de l’article 106, paragraphe 2, du traité que si l’autorité responsable, au moment de confier la prestation du service à l’entreprise concernée, s’est conformée ou s’engage à se conformer aux règles de l’Union applicables dans le domaine des marchés publics. Cela comprend toutes les exigences en matière de transparence, d’égalité de traitement et de non-discrimination découlant directement du traité et, s’il y a lieu, du droit dérivé de l’Union. Toute aide ne respectant pas ces règles et exigences est réputée affecter le développement des échanges dans une mesure contraire aux intérêts de l’Union, au sens de l’article 106, paragraphe 2, du traité. »

132    En l’espèce, la Commission a considéré, au point 230 de la décision attaquée, que l’adjudication des tâches liées à la gestion du terminal GNL à Klaipėdos Nafta était susceptible d’être qualifiée soit de marché public de services relevant de la directive 2004/18, soit de concession. Ainsi, indépendamment de la qualification de marché public ou de concession de l’adjudication en cause, celle-ci doit en principe être effectuée en respectant une procédure transparente de mise en concurrence prévue par la directive 2004/18 ou reposant sur les principes du traité FUE. Or, la justification évoquée par la République de Lituanie permettant de procéder exceptionnellement à une adjudication directe serait applicable de la même manière à ces deux cadres d’adjudication.

133    Étant donné que les requérantes contestent l’adjudication directe en cause sur le fondement de l’article 14 de la directive 2004/18, il convient de rappeler que, aux termes de cette disposition, ladite directive « ne s’applique pas aux marchés publics lorsqu’ils sont déclarés secrets ou lorsque leur exécution doit s’accompagner de mesures particulières de sécurité, conformément aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives en vigueur dans l’État membre considéré, ou lorsque la protection des intérêts essentiels de cet État membre l’exige ».

134    La Cour a déjà eu l’occasion de préciser que les mesures que les États membres adoptent dans le cadre des exigences légitimes d’intérêt national ne sont pas soustraites dans leur ensemble à l’application du droit de l’Union du seul fait qu’elles interviennent notamment dans l’intérêt de la sécurité publique [arrêt du 20 mars 2018, Commission/Autriche (Imprimerie d’État), C‑187/16, EU:C:2018:194, point 76].

135    Par ailleurs, ces dérogations, comme il est de jurisprudence constante pour celles relatives aux libertés fondamentales, doivent faire l’objet d’une interprétation stricte [voir arrêt du 20 mars 2018, Commission/Autriche (Imprimerie d’État), C‑187/16, EU:C:2018:194, point 77 et jurisprudence citée].

136    En outre, bien que l’article 14 de la directive 2004/18 laisse aux États membres une marge d’appréciation pour décider des mesures jugées nécessaires à la protection des intérêts essentiels de leur sécurité, cet article ne saurait toutefois être interprété de manière à conférer aux États membres le pouvoir de déroger aux dispositions du traité FUE par la seule invocation desdits intérêts. En effet, l’État membre qui invoque le bénéfice de ces dérogations doit démontrer la nécessité de recourir à celles‑ci dans le but de protéger les intérêts essentiels de sa sécurité [arrêt du 20 mars 2018, Commission/Autriche (Imprimerie d’État), C‑187/16, EU:C:2018:194, point 78].

137    Partant, l’État membre qui invoque le bénéfice de ces dérogations doit établir que le besoin de protéger de tels intérêts n’aurait pas pu être atteint dans le cadre d’une mise en concurrence telle que prévue par la directive 2004/18 [arrêt du 20 mars 2018, Commission/Autriche (Imprimerie d’État), C‑187/16, EU:C:2018:194, point 79].

138    En l’occurrence, la Commission a considéré que la République de Lituanie avait identifié les intérêts essentiels de sa sécurité qu’elle estimait devoir protéger ainsi que les garanties inhérentes à la protection de ces intérêts. À cet égard, aux points 232 et 233 de la décision attaquée, la Commission a considéré que, compte tenu des caractéristiques du marché du gaz en Lituanie, le projet ne pouvait être effectué que par une entité qui soit indépendante, tant au niveau corporatif qu’économique, du fournisseur unique de gaz sur ce marché. Or, la mise en concurrence transparente du projet en cause ferait courir le risque que ce fournisseur entretienne des liens avec l’entité choisie, soit au moment de l’adjudication, soit en développant de tels liens postérieurement, lui permettant ainsi d’influencer le comportement sur le marché de cette entité d’une façon pouvant affecter négativement l’accomplissement du SIEG. Pour ces raisons, la Commission a considéré que l’État lituanien avait pu valablement conclure que le gestionnaire du SIEG devait être contrôlé par l’État et assujetti à certaines conditions de sécurité et que Klaipėdos Nafta remplissait ces conditions. La Commission en a conclu que l’adjudication directe à Klaipėdos Nafta du projet du terminal GNL, en tant que SIEG, était conforme à l’article 14 de la directive 2004/18.

139    Les requérantes ne contestent pas que l’exploitation du terminal GNL relève des intérêts essentiels de l’État au sens de l’article 14 de la directive 2004/18, mais font valoir qu’il existe des mesures alternatives permettant une mise en concurrence tout en garantissant lesdits intérêts essentiels de l’État.

140    Le Tribunal considère à cet égard qu’aucune des mesures alternatives proposées par les requérantes, et résumées au point 128 ci‑dessus, n’est de nature à assurer une protection des intérêts essentiels de l’État membre concerné. En particulier, aucune de ces mesures n’est susceptible de garantir que l’entité choisie dans le cadre d’une procédure de mise en concurrence serait à l’abri de l’influence, actuelle ou future, du fournisseur unique en cause. En effet, la seule façon de garantir pleinement les intérêts essentiels de l’État lituanien dans les circonstances particulières du marché en cause consiste en ce que ce dernier contrôle le gestionnaire du terminal GNL. Cet objectif ne serait atteint que par le biais d’une adjudication directe à l’entreprise répondant à ce profil.

141    Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure que le besoin de protéger les intérêts essentiels de la sécurité de l’État lituanien n’aurait pas pu être atteint dans le cadre d’une mise en concurrence telle que prévue par la directive 2004/18. Pour cette même raison, il convient de rejeter l’argument des requérantes selon lequel l’adjudication directe en cause ne serait pas nécessaire, appropriée et proportionnée à l’objectif poursuivi.

142    Compte tenu de ce qui précède, la deuxième branche du troisième moyen doit être rejetée comme non fondée.

–       Sur la troisième branche, tirée d’une erreur dans le calcul du taux de rendement de Klaipėdos Nafta

143    Les requérantes contestent la conclusion à laquelle est parvenue la Commission aux points 249 à 252 de la décision attaquée, selon laquelle le taux de rendement interne du projet de terminal GNL serait d’un niveau approprié compte tenu des risques que comporterait ce projet. Elles soutiennent que la Commission s’est ainsi écartée des points 36 et 38 de l’encadrement SIEG, en violation des principes généraux du droit tels que l’égalité de traitement et la protection de la confiance légitime, ainsi que de l’article 106, paragraphe 2, TFUE, qui interdit toute surcompensation. La Commission aurait dû appliquer le point 38 de l’encadrement SIEG, étant donné que Klaipėdos Nafta ne supporterait aucun risque commercial lié à l’exploitation du terminal GNL ou qu’un tel risque, le cas échéant, n’aurait pas d’incidence sur le bénéfice raisonnable calculé dans des cas sans risque. Or, les coûts d’exploitation variables seraient couverts par les recettes des services de regazéification et, par conséquent, même en l’absence de telles recettes, Klaipėdos Nafta ne supporterait aucun risque commercial, puisqu’elle serait indemnisée pour tous les coûts qu’elle aurait néanmoins supportés par le supplément GNL.

144    La Commission et la République de Lituanie ainsi que Klaipėdos Nafta contestent l’ensemble des arguments des requérantes.

145    Selon le point 21 de l’encadrement SIEG, « [l]e montant de la compensation ne doit pas dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir le coût net de l’exécution des obligations de service public, compte tenu d’un bénéfice raisonnable ». Il convient d’entendre par « bénéfice raisonnable », selon le principe retenu par le point 33 de l’encadrement SIEG, le taux de rendement du capital, voire le taux de rendement interne que l’entreprise obtient sur son capital investi sur la durée de vie du projet.

146    S'agissant du calcul du taux de rendement, le point 36 de l’encadrement SIEG précise qu'« [u]n taux de rendement du capital qui ne dépasse pas le taux de swap applicable majoré d’une prime de 100 points de base est considéré comme un bénéfice raisonnable en tout état de cause » (ci-après le « taux de rendement sans risque »).

147    Le point 37 de l’encadrement SIEG prévoit que, « [l]orsque l’accomplissement du SIEG est lié à un risque commercial ou contractuel important, par exemple parce que la compensation prend la forme d’un montant forfaitaire fixe couvrant les coûts nets escomptés et un bénéfice raisonnable et que l’entreprise exerce ses activités dans un environnement concurrentiel, le bénéfice raisonnable ne peut excéder le niveau correspondant à un taux de rendement du capital proportionné au risque ».

148    Le point 38 de l’encadrement SIEG énonce que, lorsque l’accomplissement du SIEG n’est pas lié à un risque commercial ou contractuel important, par exemple parce que le coût net généré par la prestation du service d’intérêt économique général est, pour l’essentiel, intégralement compensé ex post, le bénéfice raisonnable ne saurait dépasser le niveau correspondant à celui précisé au point 36.

149    En l’espèce, le SIEG défini au sens de l’article 106, paragraphe 2, TFUE et de l’encadrement SIEG, faisant l’objet de l’aide d’État litigeuse, consiste dans l’obligation imposée à Klaipėdos Nafta d’assurer le fonctionnement du terminal GNL (point 201 de la décision attaquée). Une particularité de cette obligation est, selon le point 204 de la décision attaquée, que Klaipėdos Nafta devra fournir des services de regazéification à tout opérateur qui en fera la demande. Le terminal GNL doit ainsi être maintenu dans un état opérationnel même dans des circonstances de marché adverses en assurant l’accès continu à cette infrastructure à tout opérateur cherchant à importer du GNL en Lituanie (point 208 de la décision attaquée).

150    Quant au taux de rendement interne du terminal GNL pour la durée du SIEG, à savoir 55 ans, retenu dans la décision attaquée, celui-ci se situe, selon la version publique de celle-ci, « légèrement » au-dessus du taux de rendement sans risque (4,84 %), mais au-dessous du coût moyen pondéré du capital (WACC) régulé (7,09 %) et « considérablement au-dessous » du coût moyen pondéré du capital du secteur (points 250 et 251 de la décision attaquée). Il s’ensuit que le taux de rendement interne du terminal qu’a accepté la Commission pour la durée du SIEG se situe entre 4,84 % et 7,09 %.

151    Selon les requérantes, le taux de rendement interne aurait dû être fixé au maximum au même niveau que le taux de rendement sans risque, à savoir à 4,84 %, conformément au point 38 de l’encadrement SIEG, puisque Klaipėdos Nafta ne supporterait aucun risque commercial.

152    Il y a lieu de relever à cet égard, tout d’abord, que le taux de rendement sans risque correspond au taux de SWAP applicable majoré d’une prime de 100 points de base, conformément aux points 36 et 38 de l’encadrement SIEG. En l’occurrence, ce taux pour la Lituanie, calculé sur la base d’une échéance décennale et augmenté de 100 points de base, est de 4,84 % (point 248 de la décision attaquée). Les requérantes ne contestent pas ce calcul.

153    Dans la décision attaquée, la Commission a considéré qu’un taux de rendement interne au-dessus du taux de rendement « sans risque » était justifié pour les raisons ci-après. Premièrement, elle a relevé que le taux de SWAP de 4,84 % était calculé sur la base d’une échéance décennale, tandis que, en l’espèce, la durée du SIEG était de 55 ans et que la Commission ne disposait pas de données lui permettant de calculer un taux SWAP pour une échéance de 55 ans. Dans ces circonstances, la Commission a considéré que le taux SWAP décennal susmentionné sous-évaluait considérablement le taux SWAP qui devrait normalement être utilisé comme référence dans le cas d’espèce (points 248 et 249 in fine de la décision attaquée).

154    Deuxièmement, la Commission a relevé que le taux SWAP, majoré de 100 points de base, prévu par l’encadrement SIEG n’était pas « pleinement approprié » dans les circonstances de l’espèce, puisque le fonctionnement du terminal GNL était, malgré la compensation prévue, sujet à un risque commercial. À cet égard, la Commission a souligné que le fonctionnement du terminal GNL aurait lieu sur un marché compétitif et que l’obligation d’achat ne s’appliquerait que pendant les dix premières années tout au plus, tandis que la prestation du SIEG en cause devrait continuer pour les 45 années restantes, en absence d’une telle obligation. En outre, selon la Commission, le prestataire du SIEG ne serait pas compensé pour la totalité de ses coûts, puisque la compensation payée ex post couvrait la totalité des coûts fixes d’exploitation, mais uniquement « une petite portion des coûts d’exploitation variables », de sorte qu’« au moins une partie des coûts d’exploitation variables » n’est pas compensée. De surcroît, selon la Commission, le projet ne bénéficie pas d’un « taux de rendement garanti », de sorte que, si les activités de Klaipėdos Nafta génèrent un taux moindre que le WACC régulé, Klaipėdos Nafta ne recevra aucune compensation supplémentaire (point 249 de la décision attaquée).

155    Les requérantes contestent la conclusion selon laquelle le prestataire du SIEG supporterait un risque commercial. Selon elles, tel ne serait pas le cas, puisque tous ses coûts, fixes et variables, seraient couverts par la compensation du SIEG en cause.

156    Il convient de relever à cet égard, comme cela est indiqué aux points 153 et 154 ci-dessus, que la Commission a fondé la conclusion selon laquelle le taux de SWAP majoré de 100 points de base n’était pas approprié en l’espèce sur un faisceau d’éléments.

157    Ainsi, premièrement, et indépendamment de la question de savoir si le prestataire du SIEG supporte un risque commercial, la Commission a justifié la nécessité d’accepter un taux de rendement « légèrement » au-dessus du taux de rendement sans risque (4,84 %) par le fait que ce dernier taux était afférent à une échéance décennale, ce qui sous-évalue le taux de rendement devant être retenu en l’espèce en raison de son échéance plus longue. Les requérantes ne contestent pas cette considération.

158    Deuxièmement, après l’expiration de l’obligation d’achat, le terminal GNL fonctionnera sur un marché compétitif, alors que le SIEG continuera à s’appliquer pendant les 45 ans restants. En effet, d’une part, une fois l’obligation d’achat expirée, les acheteurs désignés seraient libres de s’approvisionner en gaz auprès des sources de leur choix. En aval donc, la demande de GNL sera assujettie aux forces du marché. D’autre part, en amont, les tarifs de regazéification étant un coût supplémentaire pour les importateurs de GNL par rapport aux importations de gaz via les gazoducs, le terminal GNL sera également sujet à des pressions compétitives (point 258 de la décision attaquée). Or, il ressort du point 37 de l’encadrement SIEG que le fait que l’entreprise exerce ses activités dans un environnement concurrentiel peut justifier que le bénéfice raisonnable corresponde à un « taux de rendement du capital proportionné au risque » et donc supérieur au taux SWAP majoré de 100 points de base.

159    Troisièmement, selon le point 38 de l’encadrement SIEG, le bénéfice raisonnable ne saurait dépasser le taux de SWAP applicable majoré de 100 points de base lorsque, par exemple, le coût net généré par la prestation du SIEG est, pour l’essentiel, intégralement compensé ex post. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce, comme démontré aux points 161 à 163 ci-dessous.

160    Quatrièmement, les requérantes ne contestent pas non plus que le projet ne bénéficie pas d’un « taux de rendement garanti », de sorte que, si les activités de Klaipėdos Nafta génèrent un taux moindre que le WACC régulé (voir aussi point 59 de la décision attaquée), Klaipėdos Nafta ne recevra aucune compensation supplémentaire.

161    Cinquièmement, contrairement à ce que font valoir les requérantes, la compensation du SIEG ne couvre pas l’ensemble des coûts variables de celui-ci, ce qui génère également un risque commercial.

162    En effet, ainsi que le fait valoir la Commission dans ses réponses aux questions du Tribunal posées dans le cadre de la mesure d’organisation de la procédure, il convient de relever que la compensation du SIEG provient de deux des mesures d’aide en cause. D’une part, ladite compensation est financée par le supplément GNL, qui est déterminé de manière à couvrir les coûts d’exploitation fixes du terminal GNL. D’autre part, la compensation du SIEG est financée par les recettes de regazéification résultant des volumes regazéifiés correspondant à l’obligation d’achat aux prix régulés. Ces recettes couvrent une partie des coûts d’exploitation variables. En effet, celles-ci correspondent à la regazéification de GNL jusqu’à hauteur de 0,54 milliard de mètres cubes par an durant les dix premières années d’exploitation du terminal GNL. Ainsi, la compensation du SIEG ne couvre ni les coûts variables d’exploitation pour la regazéification de quantités de GNL dépassant celles faisant l’objet de l’obligation d’achat durant les dix premières années d’exploitation du terminal GNL (c’est-à-dire au-delà de 0,54 milliard de mètres cubes par an) ni les coûts d’exploitation variables générés pendant les 45 ans restants de la vie du terminal GNL.

163    Certes, selon la décision attaquée, les coûts d’exploitation variables restants seraient couverts par les recettes provenant des services de regazéification (point 243 de la décision attaquée). Ces tarifs sont régulés et visent à couvrir précisément les coûts d’exploitation variables (point 37 de la décision attaquée). Toutefois, ces recettes ne font pas partie de la « compensation » du SIEG en cause, puisqu’elles ne sont pas garanties par l’État mais dépendent de la demande sur le marché libre.

164    L’ensemble de ces considérations justifie que la Commission accepte une compensation du SIEG dont le bénéfice raisonnable dépasse légèrement le taux SWAP applicable majoré de 100 points de base.

165    Les requérantes tirent argument de la décision de la Commission du 31 octobre 2018. Il suffit d’observer à cet égard, à l’instar de la Commission et de Klaipėdos Nafta dans leurs observations écrites déposées à la suite de la présentation de cette décision par les requérantes lors de l’audience, que l’objet de celle-ci est une aide accordée par la République de Lituanie à Litgas UAB en tant que fournisseur désigné et non pas à Klaipėdos Nafta. L’aide d’État en cause dans ladite décision est donc autre et différente de celle en cause dans la présente affaire et vise, en substance, la compensation des coûts de Litgas résultant de l’obligation d’achat. Par conséquent, aucun argument concernant la légalité de la décision attaquée ne peut être tiré de la décision de la Commission invoquée.

166    Enfin, force est de constater que les requérantes n’invoquent aucun argument autonome concernant la prétendue violation des « principes généraux du droit de l’Union tels que l’égalité de traitement et la protection de la confiance légitime ». Dès lors, ce grief n’appelle aucune réponse autonome de la part du Tribunal.

167    Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter la troisième branche du troisième moyen comme non fondée et, par voie de conséquence, ledit moyen dans son ensemble ainsi que le recours dans sa totalité.

 Sur les dépens

168    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il convient de les condamner à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

169    La République de Lituanie et Klaipėdos Nafta supporteront leurs propres dépens, en application de l’article 138 du règlement de procédure.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Achemos Grupė UAB et Achema AB sont condamnées à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

3)      La République de Lituanie et Klaipėdos Nafta AB supporteront leurs propres dépens.

Tomljenović

Marcoulli

Kornezov

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 septembre 2019.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.