ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE (troisième chambre)

11 décembre 2008 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Promotion – Exercice de promotion 2006 – Capacité à travailler dans une troisième langue »

Dans l’affaire F‑66/07,

ayant pour objet un recours introduit au titre des articles 236 CE et 152 EA,

Charles Dubus, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Kraainem (Belgique),

Jean Leveque, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Wattignies-la-Victoire (France),

représentés initialement par MÉ. Boigelot, avocat, puis par Mes É. Boigelot et L. Defalque, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme C. Berardis-Kayser et M. G. Berscheid, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mmes I. Šulce et M. Simm, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. P. Mahoney, président, H. Kanninen et S. Gervasoni (rapporteur), juges,

greffier : Mme S. Cidéron, assistante,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 septembre 2008,

rend le présent

Arrêt

1        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 3 juillet 2007, MM. Dubus et Leveque, fonctionnaires de la Commission des Communautés européennes, demandent au Tribunal d’annuler la décision de ne pas inscrire de M. Dubus sur la liste des promus au grade C*3 au titre de l’exercice de promotion 2006 et la décision de ne pas inscrire M. Leveque sur la liste des promus au grade B*8 au titre de l’exercice de promotion 2006, telles qu’elles ont été publiées aux Informations administratives n° 55‑2006 du 17 novembre 2006 (ci-après les « décisions litigieuses ») et de condamner la Commission à les indemniser des préjudices causés par ces décisions.

 Cadre juridique

2        Le présent litige portant, pour l’essentiel, sur l’interprétation des dispositions de l’article 45, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes, tel que modifié par le règlement (CE, Euratom) n° 723/2004 du Conseil, du 22 mars 2004 (JO L 124, p. 1) (ci-après le « statut »), et de l’article 11 de l’annexe XIII dudit statut, le cadre juridique sera exposé aux points 25 à 28 du présent arrêt.

 Faits à l’origine du litige

3        Les deux requérants ont été nommés, le 16 avril 2004, fonctionnaires stagiaires à la Commission et classés respectivement aux grades C 5 et B 3, puis reclassés respectivement aux grades C*2 et B*7 lors de l’entrée en vigueur des dispositions du statut, en application de l’article 2, paragraphe 1, de l’annexe XIII de ce dernier. Ils ont été tous deux titularisés à l’issue de leur stage.

4        Lors de l’exercice de promotion de 2006, les requérants justifiaient, depuis le 16 avril 2006, du minimum d’ancienneté de deux ans dans leur grade pour être promouvables, en vertu de l’article 45, paragraphe 1, du statut, et disposaient d’un nombre de points supérieur au nombre de points requis pour être promus.

5        Les requérants escomptaient que l’article 45, paragraphe 2, du statut ne leur serait pas appliqué en 2006 et qu’ils n’auraient pas ainsi à démontrer leur capacité à travailler dans une troisième langue pour obtenir leur première promotion. Ils soutiennent avoir reçu à plusieurs reprises des assurances formelles à cet égard de la part de leurs supérieurs hiérarchiques.

6        Cependant, le 23 août 2006, le chef du secteur de la formation linguistique de la direction générale (DG) « Personnel et administration » leur a adressé un courriel les informant que l’article 45, paragraphe 2, du statut leur était applicable et que les services de la Commission pouvaient les aider à acquérir le niveau 4 requis dans la troisième langue.

7        Les requérants ont subi à deux reprises sans succès le test linguistique dans la troisième langue qu’ils avaient choisie, ayant bénéficié entre ces deux tests d’une formation intensive de neuf jours.

8        Les listes des promus aux grades C*3 et B*8 au titre de l’exercice de promotion 2006 ont été publiées aux Informations administratives n° 55‑2006 du 17 novembre 2006. Les noms des requérants n’y figuraient pas.

9        Chaque requérant a introduit une réclamation dans les délais statutaires à l’encontre de la décision refusant de l’inscrire sur la liste des promus au grade supérieur au sien.

10      L’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») a rejeté la réclamation de M. Dubus par une décision du 23 avril 2007, notifiée le 25 avril 2007, et la réclamation de M. Leveque par une décision du 15 mai 2007, notifiée le 16 mai 2007.

 Conclusions des parties et procédure

11      Les parties concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les décisions litigieuses ;

–        condamner la Commission à leur verser, en réparation de leurs préjudices matériel et moral et de l’atteinte à leur carrière, une somme de 25 000 euros, sous réserve d’augmentation et/ou de diminution en cours de procédure ;

–        condamner la Commission à supporter les dépens.

12      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        statuer sur les dépens comme de droit.

13      Le Conseil de l’Union européenne, autorisé à intervenir par ordonnance du 26 septembre 2007 du président de la troisième chambre, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le moyen tiré de l’illégalité de l’article 45, paragraphe 2, du statut comme irrecevable et, en tout état de cause, comme non fondé.

14      Par une ordonnance du 4 juin 2008, le président de la troisième chambre a décidé, les parties entendues, de joindre les affaires F‑58/07, Collotte/Commission, F‑66/07, Dubus et Leveque/Commission, F‑92/07, Evraets/Commission et F‑93/07, Acosta Iborra e.a./Commission, aux fins de la procédure orale, en application de l’article 46, paragraphe 1, du règlement de procédure.

 En droit

 Sur les conclusions aux fins d’annulation

15      À l’appui de leurs conclusions en annulation, les requérants soulèvent quatre moyens :

–        le premier, tiré de la violation de l’article 45, paragraphe 2, du statut et de la commission d’erreurs manifestes d’appréciation ;

–        le deuxième, tiré de la violation du devoir de sollicitude, de la méconnaissance des principes de bonne administration et de saine gestion et du détournement de pouvoir ;

–        le troisième, tiré de la violation des principe de confiance légitime et de sécurité juridique ;

–        le quatrième, tiré de la violation des principes d’égalité de traitement, de non-discrimination et de proportionnalité.

16      Il y a lieu d’examiner d’abord le premier moyen, tiré de la violation de l’article 45, paragraphe 2, du statut et de la commission d’erreurs manifestes d’appréciations.

 Arguments des parties

17      Les requérants soutiennent que l’article 45, paragraphe 2, du statut, qui institue l’obligation pour les fonctionnaires de démontrer, avant leur première promotion, leur capacité à travailler dans une troisième langue, conditionne son application à l’adoption d’un commun accord par les institutions, de dispositions communes d’exécution dudit paragraphe 2. Or, ces dispositions communes d’exécution n’auraient pas été adoptées lors de l’exercice de promotion 2006. Ce n’est que le 15 décembre 2006 que le président de la Cour de justice des Communautés européennes aurait constaté le commun accord des institutions sur la réglementation fixant les modalités d’application de l’article 45, paragraphe 2, du statut, laquelle réglementation serait entrée en vigueur le 1er janvier 2007. Par conséquent, en faisant application de l’article 45, paragraphe 2, du statut à ses fonctionnaires dès l’exercice de promotion 2006, la Commission aurait violé la lettre et l’esprit de cette disposition statutaire et méconnu la volonté du législateur.

18      Selon les requérants, le législateur a considéré que l’adoption des dispositions communes était nécessaire à l’application de l’article 45, paragraphe 2, du statut. C’est pour prévenir tout arbitraire dans la mise en œuvre de ce paragraphe qu’il aurait même précisé que ces dispositions communes devaient prévoir l’accès à la formation des fonctionnaires dans une troisième langue et fixer les modalités d’évaluation de leur capacité à travailler dans une troisième langue. Ainsi, les termes mêmes de l’article 45, paragraphe 2, du statut démontreraient le lien établi par le législateur entre, d’une part, l’application aux fonctionnaires promouvables de la nouvelle exigence et, d’autre part, l’obligation pour l’administration de prévoir les modalités d’application de cette nouvelle exigence et de fournir la formation nécessaire dans des délais acceptables. Au demeurant, une application harmonisée et cohérente de la condition établie à l’article 45, paragraphe 2, du statut aurait aussi été imposée par les principes d’unicité de la fonction publique et de non-discrimination.

19      Selon la Commission, la capacité du fonctionnaire à travailler dans une troisième langue est une condition préalable à sa promotion. Pendant la période au cours de laquelle des dispositions communes aux institutions ne seraient pas encore entrées en vigueur, il aurait incombé à chaque institution d’apprécier la capacité du fonctionnaire à travailler dans une troisième langue selon des standards définis de manière autonome.

20      Le principe de la hiérarchie des normes requerrait qu’il soit fait application des dispositions du statut, alors même que la réglementation commune qui en précise les modalités de mise en œuvre ne serait pas entrée en vigueur (arrêt du Tribunal du 19 octobre 2006, De Smedt/Commission, F‑59/05, RecFP p. I‑A‑1‑109 et II‑A‑1‑409, point 52).

21      Il serait inadmissible qu’une disposition adoptée par le législateur communautaire dans l’intérêt d’un meilleur fonctionnement des institutions européennes, puisse être tenue en échec du simple fait qu’une institution tarde à marquer son accord sur une réglementation commune. La réglementation commune en cause aurait d’ailleurs été adoptée par la Commission dès le 19 juillet 2006.

22      Afin de permettre au personnel concerné par la nouvelle exigence relative à la maîtrise d’une troisième langue de disposer de suffisamment de temps de préparation, le législateur aurait prévu une période transitoire qui se terminait avec les promotions prenant effet le 30 avril 2006.

23      Par ailleurs, c’est à tort que les requérants essaieraient de tirer argument d’une situation différente dans une autre institution. En effet, ainsi qu’il ressortirait du point 26 de l’arrêt de la Cour du 18 mars 1975, Acton e.a./Commission (44/74, 46/74 et 49/74, Rec. p. 383), les décisions litigieuses ne sauraient être invalidées du fait que les autres institutions se sont abstenues d’arrêter des mesures qu’elles auraient pu prendre légitimement. De plus, la Commission fait valoir que, à sa connaissance, les promotions au Parlement européen ont lieu au 1er janvier de l’année en cours et que, le 1er janvier 2006, l’article 45, paragraphe 2, du statut ne trouvait pas à s’appliquer, en vertu de l’article 11 de l’annexe XIII du statut.

24      Enfin, en vertu d’une jurisprudence constante, il appartiendrait à l’AIPN d’adopter des décisions en matière de promotion selon la méthode qu’elle juge la plus appropriée.

 Appréciation du Tribunal

25      Le considérant 13 du règlement n° 723/2004 est rédigé comme suit :

« Afin de préserver le caractère multilingue des institutions, il importe d’accorder une importance accrue, lors du recrutement et de la promotion, à la maîtrise des langues et à la capacité d’exercer des fonctions dans une troisième langue communautaire. »

26      Cette intention du législateur s’est notamment concrétisée par la modification de l’article 45 du statut, qui dispose désormais :

« 1. La promotion est attribuée par décision de l’[AIPN] en considération de l’article 6, paragraphe 2. Elle entraîne pour le fonctionnaire la nomination au grade supérieur du groupe de fonctions auquel il appartient. Elle se fait exclusivement au choix, parmi les fonctionnaires justifiant d’un minimum de deux ans d’ancienneté dans leur grade, après examen comparatif des mérites des fonctionnaires ayant vocation à la promotion. Aux fins de l’examen comparatif des mérites, l’[AIPN] prend en considération, en particulier, les rapports dont les fonctionnaires ont fait l’objet, l’utilisation dans l’exercice de leurs fonctions des langues autres que la langue dont ils ont justifié posséder une connaissance approfondie conformément à l’article 28, [sous] f), et, le cas échéant, le niveau des responsabilités exercées.

2. Le fonctionnaire est tenu de démontrer, avant sa première promotion après recrutement, sa capacité à travailler dans une troisième langue parmi celles visées à l’article 314 du traité CE. Les institutions arrêtent d’un commun accord les dispositions communes d’exécution du présent paragraphe. Ces dispositions prévoient l’accès à la formation des fonctionnaires dans une troisième langue et fixent les modalités de l’évaluation de la capacité des fonctionnaires à travailler dans une troisième langue, conformément à l’article 7, paragraphe 2, [sous] d), de l’annexe III. »

27      Aux termes de l’article 7 de l’annexe III du statut :

« 1. Les institutions, après consultation du comité du statut, confient à l’ [Office de sélection du personnel des Communautés européennes (EPSO)], ci-après dénommé ‘Office’, la responsabilité de prendre les mesures nécessaires pour garantir l’application de normes uniformes dans les procédures de sélection des fonctionnaires des Communautés et dans les procédures d’évaluation et d’examen visées aux articles 45 et 45 bis du statut.

2. Les tâches de l’Office sont les suivantes :

[…]

d)      assumer la responsabilité générale de la définition et de l’organisation de l’évaluation des capacités linguistiques afin de garantir l’application harmonisée et cohérente des conditions établies à l’article 45, paragraphe 2.

[…] »

28      Aux termes de l’article 11 de l’annexe XIII du statut :

« L’article 45, paragraphe 2, ne s’applique pas aux promotions qui prennent effet avant le 1er mai 2006. »

29      Il ressort des dispositions précitées que le législateur, en prévoyant, à l’article 45, paragraphe 2, du statut, l’obligation pour le fonctionnaire de démontrer avant sa première promotion sa capacité à travailler dans une troisième langue, a assorti cette nouvelle obligation de certaines garanties relatives à sa mise en œuvre.

30      En premier lieu, le législateur a entendu garantir une application uniforme de la nouvelle obligation statutaire dans les différentes institutions. C’est pourquoi la deuxième phrase de l’article 45, paragraphe 2, du statut charge les institutions d’arrêter d’un commun accord les dispositions communes d’exécution de ce paragraphe. C’est également à cette fin que l’article 7 de l’annexe III du statut confie à l’EPSO, d’une part, « la responsabilité de prendre les mesures nécessaires pour garantir l’application de normes uniformes […] dans les procédures d’évaluation et d’examen visées aux articles 45 et 45 bis du statut » et, d’autre part, la tâche d’« assumer la responsabilité générale de la définition et de l’organisation de l’évaluation des capacités linguistiques afin de garantir l’application harmonisée et cohérente des conditions établies à l’article 45, paragraphe 2 ». Ainsi, une institution ne peut faire application de l’article 45, paragraphe 2, du statut selon des modalités déterminées par elle seule.

31      En deuxième lieu, le législateur a explicitement lié, dans le libellé même de l’article 45, paragraphe 2, du statut, la nouvelle obligation statutaire à la possibilité pour les fonctionnaires d’accéder à la formation dans une troisième langue et à la fixation des modalités de l’évaluation de la capacité des fonctionnaires à travailler dans cette troisième langue.

32      En troisième lieu, le législateur, pour garantir que les fonctionnaires ne se verraient pas imposer la nouvelle obligation statutaire sans période de transition, a expressément exclu que l’article 45, paragraphe 2, puisse s’appliquer aux promotions prenant effet avant le 1er mai 2006, ainsi qu’il ressort de l’article 11 de l’annexe XIII du statut. Ainsi, même à supposer que les dispositions communes d’exécution de l’article 45, paragraphe 2, du statut aient été adoptées avant le 1er mai 2006, cet article n’aurait pu devenir applicable aux promotions prenant effet avant cette date. Contrairement à ce que soutient la Commission, l’article 11 de l’annexe XIII du statut ne saurait être interprété comme imposant aux institutions de faire application de l’article 45, paragraphe 2, du statut aux promotions prenant effet après le 1er mai 2006, sans attendre l’entrée en vigueur des dispositions communes d’exécution. En effet, une telle interprétation de l’article 11 de l’annexe XIII du statut n’est pas autorisée par son libellé. En outre l’interprétation a contrario de cet article que fait valoir la Commission ne saurait être admise. En effet, elle suppose que cette dernière disposition soit prise isolément. Or, l’article 11, de l’annexe XIII du statut ne peut qu’être interprété à la lumière de l’article 45, paragraphe 2, du statut, duquel il ressort une volonté clairement exprimée par le législateur d’instituer des conditions particulières de mise en œuvre de l’obligation incombant aux fonctionnaires de démontrer leur capacité à travailler dans une troisième langue avant leur première promotion.

33      Il résulte de ce qui précède que l’article 45, paragraphe 2, du statut, d’une part, n’était pas immédiatement applicable, le législateur ayant, en toute hypothèse, exclu son application aux promotions prenant effet avant le 1er mai 2006, d’autre part, ne pouvait être appliqué dans les conditions requises par le législateur avant l’entrée en vigueur de dispositions communes d’exécution, arrêtées d’un commun accord par les institutions.

34      Or, cette réglementation commune fixant les modalités d’application de l’article 45, paragraphe 2, du statut est entrée en vigueur, conformément à son article 14, le premier jour du mois suivant celui au cours duquel le commun accord des institutions a été constaté par décision du président de la Cour de justice en date du 15 décembre 2006, à savoir le 1er janvier 2007. Par suite, l’article 45, paragraphe 2, du statut n’est devenu applicable aux promotions, conformément audit paragraphe et à l’intention du législateur, qu’à compter de cette dernière date.

35      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments opposés par la Commission.

36      En premier lieu, la Commission soutient, en se référant au point 52 de l’arrêt De Smedt/Commission, précité, que le principe de la hiérarchie des normes requiert qu’il soit fait application d’une disposition statutaire quand bien même la réglementation commune qui en précise les modalités de mise en œuvre ne serait pas entrée en vigueur. À cet égard, le Tribunal observe, d’abord, que le point 52 de l’arrêt De Smedt/Commission, précité, qui a jugé le titre IV du régime applicable aux autres agents des Communautés européennes (ci-après le « RAA ») était d’applicabilité immédiate, n’a pas la portée générale que lui prête la Commission. Ensuite, les dispositions dont le Tribunal a interprété la portée dans cet arrêt diffèrent de celles en cause ici, tant par leur objet et leur libellé, que par leurs conditions juridiques et pratiques d’application. En outre, il n’est en rien contraire à la hiérarchie des normes de considérer que le statut, norme supérieure, fait obstacle par son libellé même, à l’applicabilité autonome de son article 45, paragraphe 2, en l’absence des dispositions prévues pour son exécution. C’est précisément le respect des dispositions expresses de cette norme supérieure qui aurait dû conduire la Commission à ne pas faire application de l’article 45, paragraphe 2, du statut avant l’entrée en vigueur de ses dispositions communes d’exécution. Enfin, à la différence du titre IV du RAA, l’applicabilité autonome de l’article 45, paragraphe 2, du statut ne pouvait être justifiée par la nécessité d’assurer la continuité de l’action administrative.

37      En deuxième lieu, la Commission a objecté à l’audience que le Tribunal avait jugé, dans son arrêt du 31 janvier 2008, Buendía Sierra/Commission (F‑97/05, non encore publié au Recueil), que l’article 45 du statut était immédiatement applicable dès l’entrée en vigueur, le 1er mai 2004, du règlement n° 723/2004. Cependant, le Tribunal a seulement jugé dans cet arrêt que l’article 45, paragraphe 1, du statut était immédiatement applicable, en l’absence de dispositions dérogeant au principe de l’applicabilité immédiate des règles nouvelles. Tel n’est pas le cas, en revanche, de l’article 45, paragraphe 2, du statut, ainsi qu’il a été exposé au point 33 du présent arrêt.

38      En troisième lieu, si la jurisprudence reconnaît effectivement à l’AIPN, comme le fait valoir la Commission, le pouvoir d’adopter des décisions en matière de promotion selon la méthode qu’elle juge la plus appropriée, ledit pouvoir s’exerce dans le cadre du statut, des principes du droit communautaire et sous le contrôle du juge. Or, l’article 7 de l’annexe III du statut, auquel renvoie l’article 45, paragraphe 2, du statut, confie non à l’AIPN mais à l’EPSO la responsabilité d’organiser la formation dans une troisième langue et l’évaluation de la capacité des fonctionnaires à travailler dans cette troisième langue. Par conséquent, le pouvoir autonome d’organisation de la Commission ne pouvait trouver à s’appliquer en l’espèce. En outre, s’il appartenait à la Commission de prévoir, conformément à la marge d’appréciation dont elle dispose pour déterminer les modalités de promotion de ses fonctionnaires, que les compétences linguistiques seraient prises en considération dans les décisions de promotion, comme l’article 45, paragraphe 1, du statut le lui imposait, cette marge d’appréciation ne pouvait aller jusqu’à autoriser la Commission à décider, seule, de l’applicabilité de la lex specialis qu’est l’article 45, paragraphe 2, du statut. C’est donc à tort que la Commission a estimé, en vertu de son pouvoir autonome d’organisation, pouvoir organiser dès 2006, de son propre chef et selon des modalités qui lui étaient particulières, la formation et l’évaluation dans une troisième langue pour ceux de ses fonctionnaires susceptibles de bénéficier de leur première promotion en 2006, dans le but de leur appliquer l’exigence prévue à l’article 45, paragraphe 2, du statut.

39      En quatrième lieu, la Commission a exposé à l’audience qu’il aurait été discriminatoire de ne pas faire application de l’article 45, paragraphe 2, du statut aux requérants en 2006. Dans ce cas, ces derniers, qui n’avaient pas démontré leur capacité à travailler dans une troisième langue, auraient, en effet, été promus, c’est-à-dire qu’ils se seraient vus traiter de la même manière que les fonctionnaires ayant démontré leur capacité à travailler dans une troisième langue.

40      Toutefois, ce n’est qu’à compter du 1er janvier 2007, date à laquelle les dispositions de l’article 45, paragraphe 2, du statut sont devenues applicables, que les requérants se sont trouvés dans une situation différente de celle des fonctionnaires maîtrisant une troisième langue au regard des possibilités d’obtenir une première promotion. Avant cette date, la maîtrise d’une troisième langue ne constituait pas une condition à laquelle la première promotion d’un fonctionnaire était nécessairement subordonnée. Par conséquent, la Commission ne peut faire valoir que les requérants se trouvaient, à la date des décisions litigieuses, dans une situation différente de celle des fonctionnaires promus. Par suite, l’institution n’est pas fondée à soutenir qu’une éventuelle promotion des requérants au cours de l’exercice de promotion 2006 aurait été discriminatoire.

41      En cinquième et dernier lieu, la Commission fait valoir qu’il serait inadmissible qu’une disposition, adoptée par le législateur communautaire dans l’intérêt d’un meilleur fonctionnement des institutions européennes, puisse être tenue en échec du seul fait qu’une institution tarde à marquer son accord sur une réglementation commune. Il est vrai qu’il serait dommageable à la volonté du législateur et au devoir de coopération loyale entre les institutions qu’une institution puisse ainsi retarder, voire faire obstacle à l’application d’une disposition statutaire. Toutefois, en tout état de cause, la Commission, qui a pour sa part adopté la réglementation commune le 19 juillet 2006, a admis à l’audience que le délai dans lequel le commun accord des institutions sur ladite réglementation avait pu être constaté par le président de la Cour de justice, le 15 décembre 2006, n’était pas déraisonnable. Le risque de paralysie et d’obstruction invoqué par la Commission ne s’est donc pas manifesté lors de la mise en œuvre de l’article 45, paragraphe 2, du statut.

42      Il résulte de tout ce qui précède que les décisions litigieuses ont été prises à tort en application des dispositions, non applicables à l’exercice de promotion 2006, de l’article 45, paragraphe 2, du statut.

43      Dès lors, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, il y a lieu d’annuler lesdites décisions.

 Sur les conclusions indemnitaires

 Arguments des parties

44      Les requérants soutiennent que le fait d’avoir été illégalement privés d’une promotion en 2006 leur a causé des préjudices matériel, moral et de carrière qu’ils évaluent, à titre provisoire, à 25 000 euros. Ils présentent également comme constitutif de leur préjudice moral le stress et l’inquiétude éprouvés du fait d’avoir été contraints de passer des tests linguistiques dans une troisième langue sans disposer du temps suffisant pour s’y préparer, ainsi que le temps et l’énergie dépensés depuis, pour atteindre le niveau requis dans cette langue. Ces efforts auraient eu une influence négative sur leur travail à la Commission. Ils allèguent enfin avoir été privés de la possibilité de postuler à des emplois seulement accessibles aux fonctionnaires détenant le grade auxquels ils auraient dû être promus en 2006. Ce préjudice serait aggravé dans le cas de M. Leveque dans la mesure où, se trouvant à un an de la retraite, il aurait perdu des chances d’amélioration de ses droits à pension.

45      La Commission estime n’avoir commis aucune illégalité susceptible d’avoir porté préjudice aux requérants.

 Appréciation du Tribunal

46      En premier lieu, en ce qui concerne la demande de réparation du préjudice matériel, les requérants ne sauraient obtenir du Tribunal l’indemnisation du retard de carrière résultant de l’illégalité des décisions litigieuses.

47      En effet, l’annulation desdites décisions, prononcée par le présent arrêt, implique que la Commission prenne, en application de l’article 233 CE, les mesures d’exécution de la chose jugée, le cas échéant des mesures reconstituant avec effet rétroactif la carrière des requérants. Ce sont ces mesures d’exécution, que l’administration devra adopter pour se conformer à l’autorité de la chose jugée, qui permettront de rétablir les requérants dans leurs droits (pour un exemple de mesures d’exécution de la chose jugée, arrêt du Tribunal de première instance du 15 mars 2007, Katalagarianakis/Commission, T‑402/03, non encore publié au Recueil, points 105 et 106).

48      Compte tenu des spécificités du présent litige et de la jurisprudence récente de la Cour de justice sur le pouvoir de pleine juridiction du juge communautaire de la fonction publique, le Tribunal s’est interrogé sur le point de savoir s’il était habilité à préciser quelles conséquences nécessaires s’attachaient à la chose jugée par le présent arrêt. En effet, s’il est de jurisprudence constante qu’il n’appartient pas au Tribunal d’adresser des injonctions à l’administration, en substituant son appréciation à celle de l’AIPN (voir notamment, à propos des conséquences de l’annulation d’un refus de promotion, arrêt de la Cour du 3 avril 2003, Parlement/Samper, C‑277/01 P, Rec. p. I‑3019, points 35 et 44), la Cour de justice a rappelé que le Tribunal peut exercer, dans certaines hypothèses, en vertu de l’article 91, paragraphe 1, du statut, un pouvoir de pleine juridiction. Ce pouvoir peut l’habiliter à donner aux litiges à caractère pécuniaire dont il est saisi une solution complète, en statuant sur les droits et obligations du fonctionnaire (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 18 décembre 2007, Weißenfels/Parlement, C‑135/06 P, Rec. p. I‑12041, points 64 à 68).

49      Dans le présent litige, même s’il est saisi de conclusions tendant à voir reconnaître que la responsabilité de l’administration est engagée, et pouvant l’habiliter à exercer un tel pouvoir de pleine juridiction, le Tribunal estime, en tout état de cause, ne pas être en mesure de conclure lui-même que les requérants devraient être promus, avec effet rétroactif, au 1er mai 2006. Certes, le système de promotion introduit à la Commission, fondé sur la logique dite du « sac à dos », a pour effet de reconnaître une chance sérieuse de promotion aux fonctionnaires, tels les requérants, qui justifient détenir l’ancienneté requise et un nombre de points dépassant le seuil de promotion. En outre, le Tribunal juge, par le présent arrêt, que la condition supplémentaire requise pour être promu, tenant à la maîtrise d’une troisième langue, ne pouvait légalement être imposée aux requérants en 2006 et faire obstacle à leur promotion lors de cet exercice. Toutefois, il ne saurait être exclu que d’autres considérations, dont le Tribunal n’a pas connaissance, puissent s’opposer à la promotion des requérants avec effet rétroactif, par exemple le fait que le nombre de fonctionnaires promouvables en 2006 et ayant atteint le seuil de promotion dépassait le nombre de promotions budgétairement possibles. En outre et en tout état de cause, les requérants n’ont pas conclu à ce que la Commission soit, sur le fondement de l’article 91, paragraphe 1, du statut et de l’article 233 CE, condamnée à adopter des décisions rétroactives de promotion.

50      Le Tribunal ne peut donc considérer que l’annulation des décisions litigieuses implique la promotion avec effet rétroactif des requérants. Le Tribunal ne peut davantage prononcer, d’ores et déjà, une condamnation pécuniaire de la Commission, qui se substituerait voire s’ajouterait aux mesures qu’il appartient en toute hypothèse à la Commission d’adopter en vertu de l’article 233 CE.

51      Par conséquent, les requérants ne sont pas fondés à demander réparation des préjudices matériel et de carrière allégués, dès lors que l’exécution du présent arrêt doit y pourvoir.

52      Les conclusions indemnitaires doivent donc être rejetées en tant qu’elles concernent les préjudices matériels et de carrière.

53      En second lieu, le préjudice moral invoqué n’est pas davantage susceptible d’être indemnisé.

54      Tel qu’il est présenté dans la requête, ce préjudice se compose de deux chefs de préjudice distincts : premièrement, le préjudice moral causé par l’illégalité même des décisions litigieuses et, deuxièmement, le préjudice moral consistant, d’abord, dans le stress et l’inquiétude occasionnés par le fait pour les requérants d’avoir été contraints de passer des tests dans une troisième langue sans avoir disposé, à défaut d’en avoir été informés en temps utile, d’un temps suffisant pour s’y préparer et, ensuite, dans le temps et l’énergie dépensés depuis en vue d’atteindre le niveau requis dans la troisième langue.

55      En ce qui concerne le premier chef de préjudice moral allégué, résultant de l’illégalité des décisions litigieuses, il est de jurisprudence constante qu’un tel préjudice est en principe suffisamment réparé par la constatation par le juge de ladite illégalité (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal de première instance du 20 septembre 1990, Hanning/Parlement, T‑37/89, Rec. p. II‑463, point 83, et du 6 juin 2006, Girardot/Commission, T‑10/02, RecFP p. I‑A‑2‑129 et II‑A‑2‑609, point 131). Les requérants ne sont donc pas fondés à en obtenir réparation.

56      Quant au second chef de préjudice moral allégué, il ne présente pas un caractère certain, à supposer même qu’il puisse être regardé comme un préjudice. En effet, le fait pour les requérants d’avoir suivi des formations intensives et subi des tests dans une troisième langue dès 2006, y compris dans des conditions quelque peu stressantes, et d’avoir depuis poursuivi leurs efforts afin d’être en mesure de travailler dans cette langue est susceptible de leur procurer à terme un avantage dans le déroulement de leur carrière, dans la mesure où l’article 45, paragraphe 1, du statut invite l’AIPN a prendre particulièrement en considération, pour décider de toute promotion, « l’utilisation dans l’exercice de leurs fonctions des langues autres que la langue dont [les fonctionnaires] ont justifié posséder une connaissance approfondie ».

57      Il résulte de ce qui précède que les conclusions indemnitaires doivent également être rejetées en tant qu’elles visent à obtenir la réparation d’un préjudice moral.

 Sur les dépens

58      En vertu de l’article 122 du règlement de procédure, les dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, relatives aux dépens et aux frais de justice, ne s’appliquent qu’aux affaires introduites devant le Tribunal à compter de l’entrée en vigueur de ce règlement de procédure, à savoir le 1er novembre 2007. Les dispositions du règlement de procédure du Tribunal de première instance pertinentes en la matière continuent à s’appliquer mutatis mutandis aux affaires pendantes devant le Tribunal avant cette date.

59      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal de première instance, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé pour l’essentiel dans la présente instance, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens et ceux des requérants, conformément aux conclusions des requérants en ce sens.

60      En application de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure du Tribunal de première instance, le Conseil, partie intervenante, supporte ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la Commission des Communautés européennes de ne pas inscrire le nom de M. Dubus sur la liste des fonctionnaires promus au grade C*3 au titre de l’exercice de promotion 2006 et la décision de la Commission des Communautés européennes de ne pas inscrire le nom de M. Leveque sur la liste des fonctionnaires promus au grade B*8 au titre du même exercice sont annulées.

2)      Le surplus des conclusions du recours est rejeté.

3)      La Commission des Communautés européennes est condamnée à supporter ses dépens et les dépens des requérants.

4)      Le Conseil de l’Union européenne supporte ses propres dépens.

Mahoney

Kanninen

Gervasoni

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 décembre 2008.

Le greffier

 

       Le président

W. Hakenberg

 

       P. Mahoney

Les textes de la présente décision ainsi que des décisions des juridictions communautaires citées dans celle-ci et non encore publiées au Recueil sont disponibles sur le site internet de la Cour de justice : www.curia.europa.eu


* Langue de procédure : le français.