ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

16 décembre 2020 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Conjoint survivant – Pension de survie – Articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut – Conditions d’éligibilité – Durée du mariage – Exception d’illégalité – Égalité de traitement – Principe de proportionnalité »

Dans l’affaire T‑243/18,

VW, représentée par Me N. de Montigny, avocate,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. B. Mongin et L. Vernier, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Parlement européen, représenté par Mme D. Boytha et M. J. Steele, en qualité d’agents,

et par

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. M. Bauer et R. Meyer, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 270 TFUE et tendant à l’annulation de la décision de la Commission du 26 juin 2017 rejetant la demande d’octroi d’une pension de survie de la requérante et, pour autant que de besoin, de la décision de rejet de la réclamation contre cette décision du 19 janvier 2018,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de M. R. da Silva Passos, président, Mme I. Reine (rapporteure) et M. L. Truchot, juges,

greffier : Mme M. Marescaux, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 12 octobre 2020,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1        L’article 79, premier alinéa, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») prévoit :

« Dans les conditions prévues au chapitre 4 de l’annexe VIII [du statut], le conjoint survivant d’un fonctionnaire ou d’un ancien fonctionnaire a droit à une pension de survie égale à 60 % de la pension d’ancienneté ou de l’allocation d’invalidité dont son conjoint bénéficiait ou dont il aurait bénéficié s’il avait pu y prétendre, sans condition de service ni d’âge, au moment de son décès. »

2        L’article 18 de l’annexe VIII du statut indique ce qui suit :

« Le conjoint survivant d’un ancien fonctionnaire titulaire d’une pension d’ancienneté, pour autant que le mariage ait été contracté avant que l’intéressé ait cessé d’être au service d’une institution et qu’il ait été son conjoint pendant un an au moins, a droit, sous réserve des dispositions prévues à l’article 22 [de la présente annexe], à une pension de survie égale à 60 % de la pension d’ancienneté dont bénéficiait son conjoint au jour de son décès. […]

La condition de durée du mariage prévue au premier alinéa ne joue pas si un ou plusieurs enfants sont issus d’un mariage du fonctionnaire contracté antérieurement à sa cessation d’activité, pour autant que le conjoint survivant pourvoie ou ait pourvu aux besoins de ces enfants. »

3        L’article 20 de l’annexe VIII du statut se lit comme suit :

« La condition d’antériorité prévue [à l’article 18 de l’annexe VIII du statut] ne joue pas si le mariage, même contracté postérieurement à la cessation d’activité du fonctionnaire, a duré au moins cinq ans. »

4        Enfin, l’article 27, premier et troisième alinéas, de l’annexe VIII du statut prévoit ce qui suit :

« Le conjoint divorcé d’un fonctionnaire ou d’un ancien fonctionnaire a droit à la pension de survie définie au présent chapitre, à condition de justifier avoir droit pour son propre compte, au décès de son ex-conjoint, à une pension alimentaire à charge dudit ex-conjoint et fixée soit par décision de justice, soit par convention intervenue entre les anciens époux, officiellement enregistrée et mise en exécution.

[…]

Le conjoint divorcé perd son droit [à la pension de survie] s’il est remarié avant le décès de son ex-conjoint […] »

 Antécédents du litige

5        La requérante, VW, et son conjoint, fonctionnaire de la Commission européenne, ont vécu en couple à partir de 1985. Le 28 février 1995, le couple a contracté un premier mariage. Les époux ont ensuite divorcé le 20 novembre 2012. À la suite de ce divorce, conformément à un accord acté par le tribunal de première instance de Bruxelles (Belgique), la requérante a perçu une pension alimentaire de son ex-époux. Aucun des époux ne s’est remarié avec une tierce personne.

6        Au mois de janvier 2015, la requérante et son ex-époux ont repris la cohabitation. Ils se sont ensuite mariés une nouvelle fois le 24 octobre 2015.

7        Le conjoint de la requérante est entré en fonctions à la Commission en 1962. Il a été admis à faire valoir ses droits à la retraite le 1er septembre 2001. Il est décédé le 18 juin 2017.

8        À la suite du décès de son époux, la requérante, en sa qualité de conjointe survivante d’un ancien fonctionnaire, a introduit, au mois de juin 2017, une demande d’octroi d’une pension de survie au titre du chapitre 4 de l’annexe VIII du statut.

9        Le 26 juin 2017, le chef de l’unité « Pensions » de l’Office « Gestion et liquidation des droits individuels » (PMO) de la Commission a rejeté la demande d’octroi d’une pension de survie de la requérante (ci-après la « décision attaquée »). Celui-ci a estimé, en substance, que la requérante ne remplissait pas les conditions prévues à l’article 20 de l’annexe VIII du statut pour pouvoir bénéficier d’une pension de survie, compte tenu du fait que son mariage avec le fonctionnaire défunt, contracté postérieurement à la cessation de fonctions de celui-ci, avait duré moins de cinq années.

10      Le 22 septembre 2017, la requérante a introduit une réclamation contre la décision attaquée. À l’appui de sa réclamation, elle a soulevé, à titre principal, une exception d’illégalité à l’encontre de l’article 20 de l’annexe VIII du statut, au motif que celui-ci violerait les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité. À titre subsidiaire, elle a fait valoir que la Commission avait fait une interprétation erronée de l’article 27 de l’annexe VIII du statut. À titre encore plus subsidiaire, la requérante a soutenu que l’interprétation de l’article 27 de l’annexe VIII du statut qui lui a été opposée méconnaissait les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité en ce qu’elle l’exclurait totalement du bénéfice d’une pension de survie.

11      Par décision du 19 janvier 2018, réceptionnée par la requérante le même jour, l’autorité investie du pouvoir de nomination de la Commission a rejeté la réclamation de la requérante (ci-après la « décision de rejet de la réclamation »).

 Procédure et conclusions des parties

12      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 avril 2018, la requérante a introduit le présent recours.

13      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, en application de l’article 66 du règlement de procédure du Tribunal, la requérante a demandé le bénéfice de l’anonymat, qui lui a été accordé par décision du Tribunal du 14 juin 2018.

14      Par actes déposés au greffe du Tribunal, respectivement, le 21 juin 2018 et le 4 juillet 2018, le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

15      Par décisions du président de la quatrième chambre du Tribunal, datées respectivement du 12 juillet 2018 et du 25 juillet 2018, le Conseil et le Parlement ont été admis à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

16      Par décision du 6 mai 2019, les parties principales ayant été entendues, le président de la quatrième chambre du Tribunal a décidé de suspendre la présente affaire jusqu’au prononcé de la décision mettant fin à l’instance dans l’affaire C‑460/18 P, HK/Commission.

17      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, en application de l’article 27, paragraphe 5, du règlement de procédure, la juge rapporteure a été affectée à la septième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

18      Par lettres du 23 décembre 2019, le greffe du Tribunal a informé les parties que, à la suite du prononcé de l’arrêt du 19 décembre 2019, HK/Commission (C‑460/18 P, EU:C:2019:1119), la procédure avait été reprise et les a invitées à présenter leurs observations sur les conséquences à tirer de cet arrêt pour la présente affaire. Les parties principales et le Parlement ont déféré à cette demande.

19      Le 11 juin 2020, le Tribunal a adressé des questions aux parties dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure. Les parties ont répondu à ces questions dans le délai imparti.

20      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 12 octobre 2020.

21      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        pour autant que de besoin, annuler la décision de rejet de la réclamation ;

–        condamner la Commission aux dépens.

22      La Commission conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

23      Le Parlement et le Conseil concluent chacun à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours.

 En droit

 Sur l’objet du recours

24      Tout d’abord, il convient de rappeler que, dans la duplique, la Commission a renoncé aux fins de non-recevoir, soulevées dans le mémoire en défense, selon lesquelles les exceptions d’illégalité soulevées à l’encontre des articles 20 et 27 de l’annexe VIII du statut seraient irrecevables pour défaut d’intérêt à agir de la requérante.

25      Ensuite, il y a lieu de relever que, par son deuxième chef de conclusions, la requérante demande l’annulation, pour autant que de besoin, de la décision de rejet de la réclamation.

26      Selon une jurisprudence constante, des conclusions en annulation formellement dirigées contre la décision de rejet d’une réclamation ont pour effet de saisir le Tribunal de l’acte contre lequel la réclamation a été présentée lorsqu’elles sont, en tant que telles, dépourvues de contenu autonome (arrêt du 6 avril 2006, Camós Grau/Commission, T‑309/03, EU:T:2006:110, point 43 ; voir, également, arrêt du 13 juillet 2018, Curto/Parlement, T‑275/17, EU:T:2018:479, point 63 et jurisprudence citée).

27      En l’espèce, étant donné que la décision de rejet de la réclamation ne fait que confirmer la décision attaquée, en précisant les motifs venant au soutien de celle-ci, il convient de constater que les conclusions en annulation de la décision de rejet de la réclamation sont dépourvues de contenu autonome et qu’il n’y a donc pas lieu de statuer spécifiquement sur celles-ci. Toutefois, dans l’examen de la légalité de la décision attaquée, il est nécessaire de prendre en considération la motivation figurant dans la décision de rejet de la réclamation, cette motivation étant censée coïncider avec celle de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 30 avril 2019, Wattiau/Parlement, T‑737/17, EU:T:2019:273, point 43 et jurisprudence citée).

 Sur le fond

28      À l’appui de son recours, la requérante soulève, en substance, deux moyens. Par son premier moyen, invoqué à titre principal, la requérante soulève une exception d’illégalité de l’article 20 de l’annexe VIII du statut. Par son second moyen, invoqué à titre subsidiaire, la requérante soutient que la Commission a fait une interprétation erronée de l’article 27 de l’annexe VIII du statut. Dans le cadre de son second moyen, à titre plus subsidiaire, la requérante soulève une exception d’illégalité de ce dernier article.

29      Dans le cadre de son premier moyen, la requérante fait valoir que l’article 20 de l’annexe VIII du statut, tel qu’interprété par l’arrêt du 18 juillet 2017, Commission/RN (T‑695/16 P, non publié, EU:T:2017:520), méconnaît les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité, consacrés respectivement à l’article 20 et à l’article 52 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), en ce qu’il la prive du bénéfice d’une pension de survie.

30      En ce qui concerne le principe d’égalité de traitement, la requérante soutient, en substance, qu’elle se trouve dans une situation identique à celle d’une personne qui a épousé un fonctionnaire encore en activité, car elle a été mariée une première fois avec le fonctionnaire défunt pendant seize années, dont six années avant la cessation des fonctions de celui-ci. À cet égard, elle aurait assumé financièrement la charge des cotisations au régime de pension de l’Union jusqu’à la cessation des fonctions de son défunt époux. De plus, dans ses réponses aux questions posées par le Tribunal dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, la requérante indique, d’une part, que les liens juridiques créateurs de droits et d’obligations existant entre elle et son époux sont les mêmes que ceux existant entre un ancien fonctionnaire et le conjoint survivant de ce dernier qui relève de l’article 18 de l’annexe VIII du statut et, d’autre part, qu’elle a été privée d’un revenu à la suite du décès de son conjoint.

31      S’agissant du principe de proportionnalité, la requérante fait valoir que, dans un cas tel que celui de l’espèce, la limitation des droits à une pension de survie n’est pas nécessaire pour atteindre l’objectif d’intérêt général relatif à la prévention des fraudes. En outre, cette limitation irait au-delà de ce qui est nécessaire, car elle aurait pour conséquence d’exclure la requérante du bénéfice de toute pension quelconque, compte tenu du fait qu’elle ne relève pas non plus de l’article 27 de l’annexe VIII du statut en raison de son remariage.

32      La Commission répond que, nonobstant quelques différences factuelles mineures, la situation de la requérante est similaire à celle qui était en cause dans l’arrêt du 18 juillet 2017, Commission/RN (T‑695/16 P, non publié, EU:T:2017:520). Étant donné que, dans cet arrêt, le Tribunal aurait écarté toute possibilité de prendre en compte la durée cumulée de périodes de mariage successives, les arguments soulevés par la requérante en l’espèce devraient être rejetés.

33      À titre subsidiaire, la Commission fait valoir que la condition d’antériorité du mariage eu égard à la cessation des fonctions, prévue à l’article 18 de l’annexe VIII du statut, découle du fait que les droits à pension s’acquièrent grâce aux cotisations au régime de pension de l’Union. Ainsi, la différence de traitement entre les deux situations visées respectivement par l’article 18 et par l’article 20 de l’annexe VIII du statut s’expliquerait par le fait que les fonctionnaires en fonctions continuent à travailler et à cotiser au régime de pension de l’Union, tandis que les fonctionnaires retraités ne travaillent plus et ne cotisent plus audit régime. Cette différence de situations aurait été reconnue dans l’arrêt du 17 juin 1993, Arauxo-Dumay/Commission (T‑65/92, EU:T:1993:47).

34      La Commission considère que le statut ne lie pas le droit à une pension de survie à un lien financier préexistant entre le conjoint survivant et l’institution concernée, de sorte que les arguments de la requérante à cet égard seraient dénués de pertinence. En outre, un mariage dissous par un jugement de divorce ne saurait encore produire des effets sur le droit à bénéficier d’une pension de survie au titre des articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut. Partant, ni le versement de contributions au régime de pension avant la cessation d’activités du fonctionnaire défunt ni la contribution personnelle de la requérante pendant le premier mariage ne permettraient de démontrer l’existence d’une inégalité de traitement en l’espèce.

35      En ce qui concerne le principe de proportionnalité, la Commission fait valoir que la limitation en cause est prévue par la loi et respecte le contenu essentiel du principe d’égalité de traitement, conformément à l’article 52 de la Charte. La durée de cinq années de mariage prévue à l’article 20 de l’annexe VIII du statut serait justifiée et proportionnée dans la mesure où elle viserait à prévenir la fraude, dont le risque croîtrait à mesure que le décès deviendrait plus prévisible. À cet égard, un second mariage avec la même personne ne suffirait pas à écarter un remariage de complaisance. Il existerait un risque plus élevé que le bien-être matériel du conjoint survivant soit compromis dans le cas où celui-ci serait surpris par le décès inopiné de son conjoint encore en activité. En revanche, selon la Commission, un pensionné aura eu plus de temps pour sécuriser la situation financière après la retraite de son conjoint.

36      Le Parlement soutient que le lien financier entre le conjoint survivant et l’institution invoqué par la requérante est sans pertinence, car il ne figure pas parmi les critères retenus pour l’octroi d’une pension de survie. De plus, un tel octroi ne serait pas conditionné par la perte de revenus liée au décès du conjoint, mais bien par la nature juridique des liens qui unissaient le couple. Le Parlement considère également que le conjoint survivant d’un fonctionnaire qui s’est marié avec celui-ci avant la cessation de ses fonctions ne se trouve pas dans une situation comparable au conjoint survivant qui a épousé un fonctionnaire à la retraite. En tout état de cause, si une différence de traitement devait être établie, celle-ci serait justifiée par l’objectif d’éviter les fraudes, poursuivi par l’article 20 de l’annexe VIII du statut, compte tenu de la plus grande imminence du décès d’un fonctionnaire après son départ à la retraite et du risque accru d’abus.

37      En ce qui concerne le principe de proportionnalité, le Parlement considère, à l’instar de la Commission, que le statut a eu recours à des critères objectifs, clairs et susceptibles de recevoir une application uniforme, qui permettent d’écarter le risque de fraude. À cet égard, le remariage après la cessation des fonctions du fonctionnaire n’exclurait nullement que l’objectif poursuivi par celui-ci soit précisément l’accès à une pension de survie.

38      Le Conseil soutient que le législateur de l’Union dispose d’un large pouvoir d’appréciation en matière d’aménagement du système de protection sociale des fonctionnaires de l’Union, de sorte que seule une différenciation arbitraire ou manifestement inadéquate eu égard à l’objectif poursuivi peut être considérée comme une violation du principe d’égalité de traitement. Or, une telle différenciation ferait défaut en l’espèce.

39      En effet, premièrement, la condition relative à la durée minimale du mariage viserait à limiter le risque de fraude et à préserver les intérêts financiers de l’Union. Le lien entre les institutions et le fonctionnaire se distendrait sensiblement dès la cessation des fonctions, rendant ainsi le contrôle sur la situation du fonctionnaire plus difficile et permettant au risque de fraude d’augmenter.

40      Deuxièmement, à la lumière de l’objectif de la pension de survie, qui est de compenser la perte de revenus du conjoint décédé, la situation du fonctionnaire retraité serait différente de celle du fonctionnaire actif, car l’importance de leurs contributions respectives aux charges du ménage familial ne serait pas identique. En tout état de cause, le choix du critère de la durée du mariage serait une question d’opportunité, relevant du pouvoir d’appréciation du législateur, et non pas une question de légalité soumise au contrôle du juge de l’Union.

41      Troisièmement, la différenciation en cause serait proportionnée à l’objectif poursuivi, à savoir octroyer au conjoint survivant un revenu de remplacement destiné à compenser la perte de revenus de son conjoint décédé, tout en évitant la fraude et l’atteinte aux intérêts financiers de l’Union. Les critères prévus par le législateur seraient simples, prévisibles et uniformes, facilitant ainsi le travail de l’administration.

 Observations liminaires

42      Il y a lieu de rappeler que le principe d’égalité de traitement constitue un principe général du droit de l’Union, consacré à l’article 20 de la Charte, dont le principe de non-discrimination énoncé à son article 21, paragraphe 1, est une expression particulière. Ce principe exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt du 9 octobre 2008, Chetcuti/Commission, C‑16/07 P, EU:C:2008:549, point 40 ; voir, également, arrêt du 5 juillet 2017, Fries, C‑190/16, EU:C:2017:513, points 29 et 30 et jurisprudence citée).

43      Selon la jurisprudence, pour qu’il puisse être reproché au législateur de l’Union d’avoir violé le principe d’égalité de traitement, il faut qu’il ait traité d’une façon différente des situations comparables entraînant un désavantage pour certaines personnes par rapport à d’autres (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2018, FV/Conseil, T‑750/16, EU:T:2018:972, point 89 et jurisprudence citée).

44      En ce qui concerne l’exigence tenant au caractère comparable des situations, celle-ci s’apprécie au regard de l’ensemble des éléments qui les caractérisent. Ces éléments doivent, notamment, être déterminés et appréciés à la lumière de l’objet et du but de l’acte de l’Union qui institue la distinction en cause. Doivent, en outre, être pris en considération les principes et les objectifs du domaine dont relève l’acte en cause (voir arrêt du 19 décembre 2019, HK/Commission, C‑460/18 P, EU:C:2019:1119, point 67 et jurisprudence citée).

45      De plus, en vue de déterminer si le traitement par le statut des situations à comparer porte atteinte au principe d’égalité de traitement, il convient de se fonder sur une analyse centrée sur l’ensemble des règles de droit régissant les positions de chacune des situations à comparer, en tenant compte notamment de l’objet de la disposition contestée (voir, par analogie, arrêt du 9 mars 2017, Milkova, C‑406/15, EU:C:2017:198, point 58).

46      Pour qu’une différence de traitement puisse être compatible avec les principes généraux d’égalité de traitement et de non-discrimination, cette différence doit être justifiée sur la base d’un critère objectif et raisonnable et proportionnée par rapport au but poursuivi par cette différenciation (voir, en ce sens, arrêt du 15 février 2005, Pyres/Commission, T‑256/01, EU:T:2005:45, point 61). À cet égard, aux termes de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, toute limitation de l’exercice des droits et des libertés reconnus par celle-ci doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel de ces droits et de ces libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.

47      Il ressort de la jurisprudence que le principe de proportionnalité exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 26 février 2016, Bodson e.a./BEI, T‑240/14 P, EU:T:2016:104, point 116 et jurisprudence citée).

48      Il convient néanmoins d’ajouter que, en vue de lutter contre les abus, voire la fraude, le législateur de l’Union dispose d’une marge d’appréciation dans l’établissement du droit à une pension de survie (arrêt du 19 décembre 2019, HK/Commission, C‑460/18 P, EU:C:2019:1119, point 89). La reconnaissance d’un tel pouvoir d’appréciation du législateur implique la nécessité de vérifier s’il n’apparaît pas déraisonnable pour le législateur de l’Union d’estimer que la différence de traitement instituée puisse être appropriée et nécessaire aux fins de la réalisation de l’objectif poursuivi (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 14 décembre 2018, FV/Conseil, T‑750/16, EU:T:2018:972, point 114 et jurisprudence citée).

49      C’est à la lumière de l’ensemble de ces principes qu’il convient de vérifier si la condition de durée minimale du mariage prévue à l’article 20 de l’annexe VIII du statut va à l’encontre des principes généraux d’égalité de traitement et de proportionnalité au vu des objectifs poursuivis par cette condition. Il convient donc d’examiner si cette condition est prévue par la loi et respecte le contenu essentiel du principe d’égalité de traitement, si les situations visées par les articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut sont comparables et, dans l’affirmative, si la condition de la durée minimale de cinq années de mariage prévue à l’article 20 de l’annexe VIII du statut poursuit un objectif d’intérêt général. À cet égard, il y a lieu de vérifier s’il n’apparaît pas déraisonnable pour le législateur de l’Union d’estimer que la différence de traitement instituée puisse être appropriée et nécessaire aux fins de la réalisation d’un tel objectif.

 Sur l’existence d’une différence de traitement

50      Ainsi qu’il ressort du point 30 ci-dessus, la requérante fait notamment valoir, en substance, que la situation du conjoint survivant qui a épousé un ancien fonctionnaire après sa cessation d’activité est comparable à celle du conjoint survivant qui a épousé un fonctionnaire lorsqu’il était encore en activité. Il existerait ainsi une différence de traitement en fonction du moment du mariage.

51      En l’espèce, il y a lieu de rappeler que, dans son arrêt du 19 décembre 2019, HK/Commission (C‑460/18 P, EU:C:2019:1119, point 68), la Cour a jugé que l’objectif de la pension de survie était d’octroyer au conjoint survivant un revenu de remplacement destiné à compenser partiellement la perte des revenus du conjoint décédé. Selon la Cour, ce droit n’est pas soumis à des conditions de ressources ou de patrimoine devant caractériser une incapacité du conjoint survivant à faire face à ses besoins et démontrant ainsi sa dépendance financière passée par rapport au défunt (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, HK/Commission, C‑460/18 P, EU:C:2019:1119, point 69).

52      L’octroi de la pension de survie dépend, en revanche, seulement de la nature juridique des liens qui unissaient la personne concernée au fonctionnaire décédé (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, HK/Commission, C‑460/18 P, EU:C:2019:1119, point 70). Comme la Commission l’a reconnu à l’audience, cette condition revêt un caractère déterminant pour l’octroi d’un tel droit. À cette condition s’ajoute celle de la durée minimale du mariage, en l’occurrence une année selon l’article 18 de l’annexe VIII du statut et cinq années selon l’article 20 de l’annexe VIII du statut.

53      Cela étant précisé, il y a lieu de constater que les articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut traitent différemment les conjoints survivants d’anciens fonctionnaires selon que le mariage a été contracté avant ou après la cessation d’activité de ces derniers. Comme l’indique également le Tribunal au point 47 de l’arrêt du 18 juillet 2017, Commission/RN (T‑695/16 P, non publié, EU:T:2017:520), la date du mariage constitue donc le critère retenu par le législateur pour distinguer les deux situations.

54      Or, la nature juridique des liens qui unissaient le conjoint survivant au fonctionnaire décédé est identique, que le mariage ait été conclu avant ou après la cessation d’activité de ce dernier. Cette nature juridique ne diffère pas selon que les fonctionnaires exerçaient une activité professionnelle ou non et selon le montant des cotisations au régime de pension de l’Union qui ont été payées ou qui seraient encore dues.

55      De plus, les articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut ouvrent tous deux le droit à une pension de survie au conjoint survivant d’un ancien fonctionnaire qui n’est plus en activité et qui, par voie de conséquence, ne cotise plus au régime de pension de l’Union au moment de son décès.

56      Ainsi, la Commission ne saurait se prévaloir de l’arrêt du 17 juin 1993, Arauxo-Dumay/Commission (T‑65/92, EU:T:1993:47), pour démontrer que les situations visées par les articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut sont différentes. En effet, ainsi qu’il ressort du point 33 de cet arrêt, le Tribunal y a procédé à une comparaison entre, d’une part, la situation du conjoint survivant d’un ancien fonctionnaire décédé après avoir bénéficié d’une mesure de cessation de fonctions et avoir reçu les prestations et les avantages prévus par un règlement spécifique régissant cette situation et, d’autre part, la situation du conjoint survivant d’un fonctionnaire décédé alors qu’il était encore en activité, prévue par l’article 17 de l’annexe VIII du statut.

57      Il en résulte que les arguments de la Commission selon lesquels la différence de traitement en cause s’expliquerait par le fait que les fonctionnaires en fonctions continuent à travailler et à cotiser au régime de pension de l’Union, tandis que les fonctionnaires retraités ne travaillent plus et ne cotisent plus audit régime, sont dépourvus de pertinence.

58      En outre, l’objectif de la pension de survie, dont le régime est établi par les articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut, est de compenser, au bénéfice du conjoint survivant, la perte de revenus découlant du décès de l’ancien fonctionnaire. Il s’agit donc d’octroyer un revenu de remplacement au conjoint survivant. Ainsi, la circonstance que le fonctionnaire défunt se soit marié avant ou après la cessation de ses fonctions n’est pas de nature à modifier de façon essentielle la situation du conjoint survivant en ce qui concerne ses droits patrimoniaux. De plus, ainsi qu’il ressort du point 51 ci-dessus, la Cour a jugé que le niveau des besoins financiers du conjoint survivant et son éventuelle dépendance financière à l’égard du fonctionnaire ou de l’ancien fonctionnaire décédé ne constituent pas un critère à prendre en compte. L’importance des contributions respectives aux charges du ménage familial est donc également dépourvue de pertinence.

59      Ainsi, il y a lieu de constater que la situation des conjoints survivants d’un ancien fonctionnaire qui se sont mariés avant la cessation d’activité de celui-ci n’est pas différente de celle des conjoints survivants d’un ancien fonctionnaire qui ont contracté mariage après cette cessation aux fins de l’octroi d’une pension de survie en application de l’article 18 ou de l’article 20 de l’annexe VIII du statut.

60      Il résulte de tout ce qui précède qu’il existe une différence de traitement de situations comparables en fonction de la date de la conclusion du mariage, dès lors qu’il s’agit de l’unique élément qui détermine l’application des conditions de durées minimales différentes du mariage conformément aux articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut.

61      Cette différence de traitement entraîne un désavantage, au sens de la jurisprudence citée au point 43 ci-dessus, pour les conjoints survivants d’un ancien fonctionnaire qui se sont mariés après la cessation d’activité de celui-ci, auxquels le régime de l’article 20 de l’annexe VIII du statut s’applique, par rapport aux conjoints survivants d’un ancien fonctionnaire qui ont contracté mariage avant cette cessation et qui relèvent de l’article 18 de cette annexe.

 Sur le respect des critères énoncés à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte et la justification de la différence de traitement

62      À titre liminaire, il y a lieu de constater que la différence de traitement instituée par l’article 20 de l’annexe VIII du statut est prévue par la « loi » au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, dans la mesure où cette disposition trouve son origine dans le statut.

63      Par ailleurs, aux fins de justifier la différence de traitement en cause, la Commission, soutenue par le Parlement et le Conseil, fait valoir que la condition de durée du mariage de cinq années vise à prévenir les fraudes, dont le risque croîtrait à mesure que le décès deviendrait plus prévisible. Le Conseil, ainsi que, lors de l’audience, la Commission, ajoutent que cette condition tend également à préserver les intérêts financiers de l’Union, compte tenu de la difficulté de contrôler la situation réelle du fonctionnaire après la cessation de ses fonctions.

64      Il convient donc d’examiner successivement chacun de ces deux objectifs, à la lumière de la jurisprudence rappelée au point 48 ci-dessus.

–       Sur l’objectif visant à prévenir les fraudes

65      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, selon la Cour, le principe d’interdiction de la fraude et de l’abus de droit constitue un principe général du droit de l’Union dont le respect s’impose aux justiciables (arrêt du 19 décembre 2019, HK/Commission, C‑460/18 P, EU:C:2019:1119, points 88 et 89). La lutte contre la fraude constitue donc un objectif d’intérêt général.

66      À cet égard, il ressort, en substance, de l’arrêt du 19 décembre 2019, HK/Commission (C‑460/18 P, EU:C:2019:1119, points 89 et 90), qu’une condition de durée minimale du mariage d’un an, telle que celle prévue à l’article 17 de l’annexe VIII du statut, vise à s’assurer de la réalité et de la stabilité des relations entre les personnes concernées et n’apparaît pas, à ce titre, manifestement inadéquate eu égard à l’objectif de lutte contre la fraude.

67      Ainsi, il n’apparaît pas déraisonnable de subordonner le droit du conjoint survivant d’un fonctionnaire ou d’un ancien fonctionnaire à percevoir une pension de survie à la condition que le mariage ait satisfait à une condition de durée minimale. Une telle condition permet, en effet, de s’assurer que ce mariage ne repose pas exclusivement sur des considérations étrangères à un projet de vie commun, telles que des considérations purement financières ou liées à l’obtention d’un droit de séjour.

68      Toutefois, il convient de souligner que l’article 20 de l’annexe VIII du statut, qui s’applique lorsque le mariage a été conclu après la cessation d’activité du fonctionnaire, impose une condition de durée minimale du mariage cinq fois supérieure à celle prévue par l’article 18 de l’annexe VIII du statut, qui trouve à s’appliquer lorsque le mariage a été conclu avant cette cessation d’activité du fonctionnaire.

69      Ainsi, il convient encore de vérifier si la condition de la durée du mariage requise par l’article 20 de l’annexe VIII du statut, qui s’applique sans aucune exception possible, ne va pas manifestement au-delà de ce qui est nécessaire pour garantir l’absence de fraude.

70      À cet égard, la requérante ne conteste pas que le législateur de l’Union dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans l’établissement d’un seuil tel que celui d’une durée minimale de cinq années de mariage dans le cadre de l’article 20 de l’annexe VIII du statut. La requérante ne remet pas non plus en cause la durée ainsi retenue par le législateur en tant que telle. Elle fait valoir, en revanche, que la règle de la durée minimale du mariage prévue par la disposition en cause méconnaît le principe d’égalité de traitement en ce qu’elle va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de lutte contre la fraude.

71      Cela étant précisé, tout d’abord, il y a lieu de constater que le dossier ne contient aucune explication convaincante ni aucun élément de preuve permettant d’étayer la prémisse, avancée par la Commission, le Parlement et le Conseil, selon laquelle la probabilité de conclure un mariage frauduleux augmente après la cessation d’activité des fonctionnaires, de sorte, par exemple, qu’un fonctionnaire qui se marierait la veille de la cessation d’activité serait moins susceptible de conclure un mariage frauduleux qu’un fonctionnaire qui se marierait le lendemain d’une telle cessation. La Commission, le Parlement et le Conseil n’ont pas davantage expliqué pour quel motif un fonctionnaire qui a cessé son activité serait moins apte à se prémunir contre les intentions frauduleuses d’une personne souhaitant l’épouser qu’un fonctionnaire qui serait encore en activité, de sorte qu’il serait nécessaire d’imposer une durée minimale de mariage cinq fois plus élevée lorsque le mariage est contracté après la cessation d’activité du fonctionnaire.

72      Ensuite, selon une jurisprudence bien établie, une présomption générale de fraude ne saurait suffire à justifier une mesure qui porte atteinte aux objectifs du traité FUE (voir arrêt du 19 décembre 2012, Commission/Belgique, C‑577/10, EU:C:2012:814, point 53 et jurisprudence citée).

73      En outre, il y a lieu de relever que la durée du mariage n’est pas nécessairement le seul élément représentatif de la sincérité de celui-ci (voir, par analogie, arrêts du 20 juin 2013, Giersch e.a., C‑20/12, EU:C:2013:411, points 72 et 73 et jurisprudence citée, et du 18 juillet 2013, Prinz et Seeberger, C‑523/11 et C‑585/11, EU:C:2013:524, points 36 et 37 et jurisprudence citée).

74      Or, l’article 20 de l’annexe VIII du statut utilise exclusivement la condition d’une durée minimale de cinq années de mariage, sans prévoir aucune exception, de sorte qu’il est impossible pour le conjoint survivant ayant contracté un mariage après la cessation d’activité de l’ancien fonctionnaire de faire valoir que le mariage a été conclu de bonne foi, et ce quels que soient les éléments de preuve objectifs qu’il pourrait présenter à cet égard. Ce faisant, cette disposition institue une présomption générale et irréfragable de fraude envers les mariages ayant duré moins de cinq années.

75      En revanche, l’article 18, deuxième alinéa, de l’annexe VIII du statut prévoit des circonstances objectives dans lesquelles aucune durée minimale du mariage n’est requise, à savoir la naissance d’un enfant issu du mariage du fonctionnaire avant la cessation de ses activités, pour autant que le conjoint survivant pourvoie ou ait pourvu aux besoins de celui-ci. Le législateur a donc considéré, dans le cas d’un mariage conclu avant la cessation d’activité de l’ancien fonctionnaire, qu’il existait des circonstances objectives qui permettaient de renverser la présomption de fraude.

76      Les circonstances objectives rappelées au point 75 ci-dessus constituent des critères clairs permettant de gérer efficacement les pensions de survie, dans le respect du principe de sécurité juridique.

77      En l’espèce, même si le second mariage de la requérante a été conclu après la cessation d’activité de son conjoint, il existe plusieurs éléments objectifs susceptibles de démontrer qu’il ne s’agit pas d’un mariage frauduleux. En effet, elle a mené une vie commune de près de 27 ans avec l’ancien fonctionnaire et repris cette communauté de vie peu après le divorce. Il y avait donc bien, manifestement, un projet de vie commune qui, certes, a été interrompu, mais qui a ensuite repris pendant deux années avant le décès de l’ancien fonctionnaire. D’ailleurs, ni la Commission, ni le Parlement, ni le Conseil n’ont soutenu que le cas d’espèce était entaché de fraude.

78      En outre, après son divorce, la requérante ne s’est pas remariée avec une tierce personne. Ainsi, en l’absence de remariage avec son ancien époux, elle aurait pu bénéficier d’une pension de survie en sa qualité de conjointe divorcée, conformément à l’article 27 de l’annexe VIII du statut, droit qu’elle a perdu en raison de son remariage (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2017, Commission/RN, T‑695/16 P, non publié, EU:T:2017:520, point 56).

79      Enfin, il y a lieu de rappeler que le législateur n’a pas toujours exclu toute appréciation individuelle dans le statut. Ainsi, l’article 1er, paragraphe 1, sous d), de l’annexe VII du statut prévoit qu’un fonctionnaire ne remplissant pas les conditions prévues pour l’octroi de l’allocation de foyer peut, sur « décision spéciale et motivée de l’autorité investie du pouvoir de nomination, prise sur la base de documents probants », en bénéficier lorsqu’il assume cependant effectivement des charges de famille.

80      Il résulte de tout ce qui précède qu’il est déraisonnable de considérer que la condition de durée minimale de cinq années de mariage prévue par l’article 20 de l’annexe VIII du statut, qui est cinq fois plus élevée que celle prévue par l’article 18 de l’annexe VIII du statut et qui ne souffre aucune exception permettant d’établir l’absence de fraude, quels que soient les éléments de preuve objectifs apportés, puisse être nécessaire aux fins de la réalisation de l’objectif de lutte contre la fraude.

–       Sur l’objectif visant à préserver les finances de l’Union

81      À titre liminaire, il y a lieu de préciser qu’il a été jugé que l’objectif qui consiste à préserver le nécessaire équilibre financier du régime de pension de l’Union peut être considéré comme légitime (voir, en ce sens, arrêt du 15 février 2005, Pyres/Commission, T‑256/01, EU:T:2005:45, points 64 et 65). Toutefois, il convient d’ajouter qu’un tel objectif, qui relève de considérations d’ordre budgétaire, ne saurait justifier à lui seul une dérogation au principe général de l’égalité de traitement (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 21 juillet 2011, Fuchs et Köhler, C‑159/10 et C‑160/10, EU:C:2011:508, point 74).

82      Or, ainsi qu’il a été conclu au point 80 ci-dessus, la condition de la durée minimale du mariage prévue à l’article 20 de l’annexe VIII du statut ne peut pas être justifiée par l’objectif de lutte contre la fraude. Par conséquent, la différence de traitement instaurée par cette disposition ne saurait être justifiée par la seule préservation des finances de l’Union, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la question de savoir si le Conseil pouvait invoquer cet argument en sa qualité de partie intervenante ou d’examiner si la Commission pouvait l’invoquer pour la première fois au stade de l’audience.

83      En outre, au cours de l’audience, la Commission a indiqué que le nombre de refus de versement d’une pension de survie fondés sur le non-respect de la condition de durée minimale du mariage prévue à l’article 20 de l’annexe VIII du statut représentait une fraction marginale du nombre de demandes de pension de survie introduites au titre de cette disposition. La Commission a ainsi reconnu que l’équilibre financier du régime de pension de l’Union ne serait pas menacé si les conjoints survivants d’anciens fonctionnaires ayant contracté un mariage après la cessation d’activité de ce dernier pouvaient bénéficier d’une pension de survie sans avoir été mariés pendant au moins cinq années.

84      Au cours de l’audience, la Commission a néanmoins indiqué que la condition d’une durée minimale de cinq années de mariage visait à garantir le bon usage des deniers publics. À supposer qu’un tel argument, invoqué pour la première fois lors de l’audience, soit recevable, il convient de constater qu’il ne peut pas prospérer pour les motifs exposés au point 82 ci-dessus.

85      Par conséquent, l’article 20 de l’annexe VIII du statut instaure une différence de traitement entre conjoints survivants d’anciens fonctionnaires qui n’est justifiée ni par l’objectif de lutte contre la fraude, dès lors qu’elle n’est pas nécessaire pour réaliser cet objectif, ni par l’objectif visant à sauvegarder l’équilibre financier du régime de pension de l’Union ou à garantir une bonne utilisation des deniers publics.

86      En outre, en ce qu’il instaure une présomption générale et irréfragable de fraude envers les couples dont le mariage a duré moins de cinq années, alors même qu’une présomption générale de fraude ne saurait suffire à justifier une mesure qui porte atteinte aux objectifs du traité FUE, l’article 20 de l’annexe VIII du statut ne respecte pas le contenu essentiel du droit à l’égalité de traitement.

87      Partant, l’article 20 de l’annexe VIII du statut viole le principe général d’égalité de traitement ainsi que le principe de proportionnalité. Il y a donc lieu de faire droit à l’exception d’illégalité soulevée par la requérante.

88      Par voie de conséquence, la décision attaquée, adoptée sur le fondement de l’article 20 de l’annexe VIII du statut, se trouve privée de base légale, de sorte qu’il convient de l’annuler, sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen de la requête.

 Sur les dépens

89      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

90      Par ailleurs, selon l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les institutions qui sont intervenues au litige supportent leurs propres dépens. Il convient donc de décider que le Parlement et le Conseil supporteront chacun leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la Commission européenne du 26 juin 2017 rejetant la demande d’octroi d’une pension de survie de VW est annulée.

2)      La Commission supportera, outre ses propres dépens, les dépens de VW.

3)      Le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne supporteront chacun leurs propres dépens.

da Silva Passos

Reine

Truchot

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 16 décembre 2020.

Signatures


*      Langue de procédure : le français.