AVIS 1/17 DE LA COUR (assemblée plénière)

30 avril 2019

« Avis rendu en vertu de l’article 218, paragraphe 11, TFUE – Accord économique et commercial global entre le Canada, d’une part, et l’Union européenne et ses États membres, d’autre part (AECG) – Règlement des différends entre les investisseurs et les États (RDIE) – Mise en place d’un tribunal et d’un tribunal d’appel – Compatibilité avec le droit primaire de l’Union – Exigence de respect de l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union – Niveau de protection d’intérêts publics fixé, conformément au cadre constitutionnel de l’Union, par les institutions de celle-ci – Égalité de traitement entre les investisseurs canadiens et ceux de l’Union – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 20 – Accès auxdits tribunaux et indépendance de ceux-ci – Article 47 de la Charte – Accessibilité financière – Engagement de garantir celle-ci pour les personnes physiques et pour les petites et moyennes entreprises – Aspects externe et interne de l’exigence d’indépendance – Nomination, rémunération et déontologie des membres – Rôle du Comité mixte de l’AECG –Interprétations contraignantes de l’AECG fixées par ce Comité »

Table des matières


I. La demande d’avis

II. L’AECG

A. La signature de l’AECG et l’instauration envisagée d’un mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les États

B. Les notions d’« investissement » et d’« investisseur »

C. Le champ d’application du mécanisme RDIE envisagé

D. Le droit applicable

E. Les règles procédurales

F. Les membres du Tribunal et du Tribunal d’appel envisagés

G. Le Comité mixte et le Comité des services et de l’investissement

H. L’absence d’effet direct de l’AECG dans l’ordre juridique des Parties

I. L’instrument interprétatif commun et la déclaration no 36

III. Résumé des interrogations formulées par le Royaume de Belgique

A. Interrogations sur la compatibilité du mécanisme RDIE envisagé avec l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union

B. Interrogations sur la compatibilité du mécanisme RDIE envisagé avec le principe général d’égalité de traitement et avec l’exigence d’effectivité

C. Interrogations sur la compatibilité du mécanisme RDIE envisagé avec le droit d’accès à un tribunal indépendant

IV. Résumé des observations présentées à la Cour

A. Sur la compatibilité du mécanisme RDIE envisagé avec l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union

B. Sur la compatibilité du mécanisme RDIE envisagé avec le principe général d’égalité de traitement et avec l’exigence d’effectivité

C. Sur la compatibilité du mécanisme RDIE envisagé avec le droit d’accès à un tribunal indépendant

V. Prise de position de la Cour

A. Sur la compatibilité du mécanisme RDIE envisagé avec l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union

1. Principes

2. Sur l’absence de compétence pour interpréter et appliquer des règles du droit de l’Union autres que les dispositions de l’AECG

3. Sur l’absence d’effet sur le fonctionnement des institutions de l’Union conformément au cadre constitutionnel de celle-ci

B. Sur la compatibilité du mécanisme RDIE envisagé avec le principe général d’égalité de traitement et avec l’exigence d’effectivité

1. Principes

2. Sur la compatibilité avec le principe d’égalité de traitement

3. Sur la compatibilité avec l’exigence d’effectivité

C. Sur la compatibilité du mécanisme RDIE envisagé avec le droit d’accès à un tribunal indépendant

1. Principes

2. Sur la compatibilité avec l’exigence d’accessibilité

3. Sur la compatibilité avec l’exigence d’indépendance

VI. Réponse à la demande d’avis


Dans la procédure d’avis 1/17,

ayant pour objet une demande d’avis au titre de l’article 218, paragraphe 11, TFUE, introduite le 7 septembre 2017 par le Royaume de Belgique,

LA COUR (assemblée plénière)

composée de M. K. Lenaerts, président, Mme R. Silva de Lapuerta, vice-présidente, MM. J.-C. Bonichot, A. Arabadjiev, Mme A. Prechal, MM. M. Vilaras, E. Regan, T. von Danwitz, Mme C. Toader, M. F. Biltgen, Mme K. Jürimäe et M. C. Lycourgos, présidents de chambre, MM. A. Rosas, E. Juhász, M. Ilešič (rapporteur), J. Malenovský, E. Levits, L. Bay Larsen, M. Safjan, D. Šváby, C. G. Fernlund, C. Vajda et S. Rodin, juges,

avocat général : M. Y. Bot,

greffier : M. M.-A. Gaudissart, greffier adjoint,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 juin 2018,

considérant les observations présentées :

–        pour le Royaume de Belgique, par Mmes C. Pochet, L. Van den Broeck et M. Jacobs ainsi que par M. J.-C. Halleux, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement danois, par M. J. Nymann-Lindegren, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze et Mme S. Eisenberg, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement estonien, par Mme N. Grünberg, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement hellénique, par MM. G. Karipsiadis et K. Boskovits, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement espagnol, par M. M. A. Sampol Pucurull et Mme S. Centeno Huerta, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement français, par MM. F. Alabrune, D. Colas et D. Segoin ainsi que par Mme E. de Moustier, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement lituanien, par MM. R. Dzikovič et D. Kriaučiūnas, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. Bulterman et M. A. M. de Ree, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement autrichien, par M. G. Hesse et Mme J. Schmoll, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement slovène, par Mmes N. Pintar Gosenca, V. Klemenc, J. Groznik, A. Dežman Mušič et M. Jakše, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement slovaque, par M. M. Kianička, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement finlandais, par M. J. Heliskoski et Mme H. Leppo, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement suédois, par Mmes A. Falk, A. Alriksson et P. Smith, en qualité d’agents,

–        pour le Conseil de l’Union européenne, par M. B. Driessen et Mme S. Boelaert, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. R. Vidal Puig, A. Buchet, B. De Meester et U. Wölker, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 janvier 2019,

rend le présent

Avis

I.      La demande d’avis

1        La demande d’avis soumise à la Cour par le Royaume de Belgique est ainsi formulée :

« L’accord économique et commercial global entre le Canada, d’une part, et l’Union européenne et ses États membres, d’autre part, signé à Bruxelles le 30 octobre 2016 [(JO 2017, L 11, p. 23, ci-après l’“AECG”)], est-il, à son chapitre huit (“Investissements”), section F (“Règlement des différends relatifs aux investissements entre investisseurs et États”), compatible avec les traités, en ce compris les droits fondamentaux ? »

II.    L’AECG

A.      La signature de l’AECG et l’instauration envisagée d’un mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les États

2        L’AECG, également connu sous l’acronyme CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement), est un accord de libre-échange qui prévoit, outre des dispositions relatives à la réduction des droits de douane et des obstacles non tarifaires affectant le commerce des biens et des services, des règles en matière, notamment, d’investissements, de marchés publics, de concurrence, de protection de la propriété intellectuelle et de développement durable.

3        L’AECG n’a pas encore été conclu, au sens de l’article 218, paragraphe 6, TFUE. La décision (UE) 2017/37 du Conseil, du 28 octobre 2016, relative à la signature, au nom de l’Union européenne, de l’accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada, d’une part, et l’Union européenne et ses États membres, d’autre part (JO 2017, L 11, p. 1), énonce, à cet égard, à son considérant 2, qu’il convient de signer l’AECG « sous réserve de l’accomplissement des procédures requises pour sa conclusion à une date ultérieure » et dispose, à son article 1er, que la signature, au nom de l’Union, de l’AECG « est autorisée, sous réserve de sa conclusion ».

4        Si de nombreuses dispositions de l’AECG sont appliquées à titre provisoire en vertu de la décision (UE) 2017/38 du Conseil, du 28 octobre 2016, relative à l’application provisoire de l’accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada, d’une part, et l’Union européenne et ses États membres, d’autre part (JO 2017, L 11, p. 1080), celles de son chapitre huit, section F, visées par la présente demande d’avis, ne le sont pas. En effet, s’agissant de ce chapitre huit, l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la décision 2017/38 dispose que « seul[s les articles 8.1 à 8.8, 8.13, 8.15, à l’exception de son paragraphe 3, et 8.16] sont appliqu[és] à titre provisoire, et ce uniquement dans la mesure où un investissement étranger direct est concerné ».

5        Ladite section F du chapitre huit de l’AECG, qui contient les articles 8.18 à 8.45 de cet accord, vise à l’instauration d’un mécanisme de règlement des différends relatifs aux investissements entre les investisseurs et les États (ci-après le « mécanisme RDIE »), également connu sous l’acronyme ISDS (Investor-State Dispute Settlement).

6        À cette fin, l’AECG prévoit, à son article 8.27, la création d’un tribunal (ci-après le « Tribunal » ou le « Tribunal de l’AECG ») dès l’entrée en vigueur de l’AECG et, à son article 8.28, la création d’un tribunal d’appel (ci-après le « Tribunal d’appel » ou le « Tribunal d’appel de l’AECG »).

7        Il prévoit par ailleurs, à son article 8.29, la création ultérieure d’un tribunal multilatéral des investissements assorti d’un mécanisme d’appel connexe (ci-après le « Tribunal multilatéral des investissements »), dont l’instauration devrait mettre fin au fonctionnement du Tribunal de l’AECG et du Tribunal d’appel de l’AECG.

8        Est ainsi visé, comme l’indique la déclaration no 36 de la Commission et du Conseil sur la protection des investissements et la Cour d’investissement, qui a été inscrite au procès-verbal du Conseil relatif à la signature de l’AECG et jointe à la décision 2017/37 (JO 2017, L 11, p. 20, ci-après la « déclaration no 36 »), l’établissement d’un système juridictionnel des investissements, également connu sous l’acronyme ICS (Investment Court System), le Tribunal et le Tribunal d’appel de l’AECG étant appelés à constituer une étape vers la mise en place de l’ICS.

B.      Les notions d’« investissement » et d’« investisseur »

9        Aux termes de l’article 8.1 de l’AECG, la notion d’« investissement », visée par cet accord, désigne :

« [...] tout type d’actif qu’un investisseur détient ou contrôle, directement ou indirectement, et qui présente les caractéristiques d’un investissement, y compris une certaine durée ainsi que d’autres caractéristiques telles que l’engagement de capitaux ou d’autres ressources, l’attente de gains ou de profits, ou l’acceptation du risque. Un investissement peut notamment prendre la forme :

a)      d’une entreprise ;

b)      d’actions et d’autres formes de participation au capital d’une entreprise ;

c)      d’obligations, titres obligataires non garantis et autres titres de créance d’une entreprise ;

d)      d’un prêt accordé à une entreprise ;

e)      de tout autre type d’intérêt dans une entreprise ;

f)      d’un intérêt découlant [de certains contrats] ;

g)      de droits de propriété intellectuelle ;

h)      d’autres biens meubles, tangibles ou intangibles, ou biens immeubles et droits s’y rapportant ;

i)      de créances de somme d’argent ou de droits à une prestation en vertu d’un contrat. »

10      Cet article 8.1 énonce également que la notion d’« investissement visé désigne, à l’égard d’une Partie, un investissement :

a)       sur son territoire ;

b)       effectué conformément au droit applicable au moment où il est effectué ;

c)       détenu ou contrôlé, directement ou indirectement, par un investisseur de l’autre Partie ; et

d)       existant à la date d’entrée en vigueur du présent accord, ou effectué ou acquis après cette date ».




11      La notion d’« investisseur » est définie audit article 8.1 en ces termes :

« une Partie, une personne physique ou une entreprise d’une Partie, autre qu’une succursale ou un bureau de représentation, qui cherche à effectuer, effectue ou a effectué un investissement sur le territoire de l’autre Partie.

Pour l’application de la présente définition, une entreprise d’une Partie désigne, selon le cas :

a)      une entreprise qui est constituée ou organisée conformément à la législation de cette Partie et qui exerce des activités commerciales substantielles sur le territoire de cette Partie ;

b)      une entreprise qui est constituée ou organisée conformément à la législation de cette Partie et qui est directement ou indirectement détenue ou contrôlée par une personne physique de cette Partie ou par une entreprise visée au paragraphe a) ;

[...]

personne physique désigne :

a)      dans le cas du Canada, une personne physique qui est un citoyen ou un résident permanent du Canada ;

b)      dans le cas de la Partie UE, une personne physique qui a la nationalité d’un des États membres de l’Union [...] conformément à leur législation respective [...] »

C.      Le champ d’application du mécanisme RDIE envisagé

12      Tout en étant intitulée « Règlement des différends relatifs aux investissements entre investisseurs et États », la section F du chapitre huit de l’AECG vise également les différends opposant un investisseur canadien à l’Union.

13      À cet égard, l’article 8.21 de l’AECG prévoit que, si un investisseur canadien a l’intention de déposer une plainte, il lui incombe de transmettre à l’Union « un avis demandant une détermination du défendeur », spécifiant les mesures à l’égard desquelles il a l’intention de déposer une plainte. Il incombe ensuite à l’Union d’informer cet investisseur « quant à la question de savoir si l’Union [...] ou un État membre [...] agira comme défendeur ».

14      L’article 8.18 de l’AECG, intitulé « Champ d’application », délimite comme suit, à son paragraphe 1, les différends susceptibles d’être introduits par des investisseurs en vertu du mécanisme RDIE envisagé :

« [...] un investisseur d’une Partie peut déposer devant le Tribunal institué en vertu de la présente section une plainte selon laquelle l’autre Partie a violé une obligation prévue, selon le cas :

a)      [au chapitre huit,] section C, en ce qui concerne l’expansion, la direction, l’exploitation, la gestion, le maintien, l’utilisation, la jouissance et la vente ou disposition de son investissement visé ;

b)      [au chapitre huit,] section D,

si l’investisseur affirme avoir subi une perte ou un dommage en raison de la violation alléguée. »

15      Ladite section C est intitulée « Traitement non discriminatoire » et contient les articles 8.6 à 8.8 de l’AECG, qui sont ainsi libellés :

« Article 8.6

Traitement national

[...] Chaque Partie accorde à un investisseur de l’autre Partie et à un investissement visé un traitement non moins favorable que celui qu’elle accorde, dans des situations similaires, à ses propres investisseurs et à leurs investissements en ce qui concerne l’établissement, l’acquisition, l’expansion, la direction, l’exploitation, la gestion, le maintien, l’utilisation, la jouissance ainsi que la vente ou la disposition de leurs investissements sur son territoire. [...]

Article 8.7

Traitement de la nation la plus favorisée

[...] Chaque Partie accorde à un investisseur de l’autre Partie et à un investissement visé un traitement non moins favorable que celui qu’elle accorde, dans des situations similaires, aux investisseurs d’un pays tiers et à leurs investissements en ce qui concerne l’établissement, l’acquisition, l’expansion, la direction, l’exploitation, la gestion, le maintien, l’utilisation, la jouissance ainsi que la vente ou la disposition de leurs investissements sur son territoire. [...]

Article 8.8

Dirigeants et conseils d’administration

Une Partie n’exige pas qu’une entreprise de cette Partie qui constitue également un investissement visé nomme des personnes physiques d’une nationalité particulière à des postes de dirigeants ou au conseil d’administration. »

16      Aux termes de l’article 28.3, paragraphe 2, de l’AECG, les dispositions de cette section C « ne peu[ven]t être interprétée[s] comme empêchant l’adoption ou l’application par une Partie de mesures nécessaires [...] à la protection de la sécurité publique[, de] la moralité publique, [...] au maintien de l’ordre public[,] à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux [...] », « sous réserve que de telles mesures ne soient pas appliquées de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les Parties où des conditions similaires existent, soit une restriction déguisée au commerce des services entre les Parties ».

17      La section D de l’AECG, intitulée « Protection des investissements », contient les articles 8.9 à 8.14 de l’AECG, qui sont ainsi libellés :

« Article 8.9

Investissement et mesures réglementaires

1.      Pour l’application du présent chapitre, les Parties réaffirment leur droit de réglementer sur leurs territoires en vue de réaliser des objectifs légitimes en matière de politique, tels que la protection de la santé publique, de la sécurité, de l’environnement ou de la moralité publique, la protection sociale ou des consommateurs, ou la promotion et la protection de la diversité culturelle.

2.      Il est entendu que le simple fait qu’une Partie exerce son droit de réglementer, notamment par la modification de sa législation, d’une manière qui a des effets défavorables sur un investissement ou qui interfère avec les attentes d’un investisseur, y compris ses attentes de profit, ne constitue pas une violation d’une obligation prévue dans la présente section.

[...]

4.      Il est entendu qu’aucune disposition de la présente section n’est interprétée comme empêchant une Partie de mettre fin à l’octroi d’une subvention ou de demander son remboursement [...], ni comme obligeant cette Partie à indemniser l’investisseur en conséquence.

Article 8.10

Traitement des investisseurs et des investissements visés

1.      Chaque Partie accorde, sur son territoire, aux investissements visés de l’autre Partie et aux investisseurs en ce qui concerne leurs investissements visés, un traitement juste et équitable ainsi qu’une protection et une sécurité intégrales conformément aux paragraphes 2 à 7.

2.      Une Partie viole l’obligation d’accorder un traitement juste et équitable prévue au paragraphe 1 lorsqu’une mesure ou une série de mesures constitue, selon le cas :

a)       un déni de justice dans les procédures pénales, civiles ou administratives ;

b)       une violation fondamentale du principe de l’application régulière de la loi, y compris une violation fondamentale de la transparence, dans les procédures judiciaires et administratives ;

c)       un cas d’arbitraire manifeste ;

d)       une discrimination ciblée basée sur des motifs manifestement illicites, comme le sexe, la race ou les croyances religieuses ;

e)      un traitement abusif des investisseurs, tel que la coercition, la contrainte et le harcèlement ;

f)      un manquement à tout autre élément de l’obligation d’accorder un traitement juste et équitable adopté par les Parties conformément au paragraphe 3 du présent article.

3.      Les Parties examinent, sur une base régulière ou à la demande d’une Partie, la teneur de l’obligation d’accorder un traitement juste et équitable. Le Comité des services et de l’investissement [...] peut formuler des recommandations à cet égard et soumettre celles-ci au Comité mixte de l’AECG pour décision.

4.      Lorsqu’il applique l’obligation d’accorder un traitement juste et équitable précitée, le Tribunal peut tenir compte du fait qu’une Partie a fait ou non des déclarations spécifiques à un investisseur en vue d’encourager un investissement visé, lesquelles ont créé une attente légitime [...]

5.      Il est entendu qu’“une protection et une sécurité intégrales” fait référence aux obligations de la Partie en ce qui concerne la sécurité physique des investisseurs et des investissements visés.

6.      Il est entendu qu’une violation d’une autre disposition du présent accord, ou d’un autre accord international, n’établit pas qu’il y a eu violation du présent article.

7.      Il est entendu que le fait qu’une mesure viole le droit interne n’établit pas en soi qu’il y a eu violation du présent article. Pour déterminer si la mesure viole le présent article, le Tribunal doit examiner si la Partie a agi d’une manière incompatible avec les obligations prévues au paragraphe 1.

Article 8.11

Indemnisation des pertes

[...] [C]haque Partie accorde aux investisseurs de l’autre Partie dont les investissements visés subissent des pertes en raison d’un conflit armé, d’un conflit civil, d’un état d’urgence ou d’une catastrophe naturelle sur son territoire, un traitement non moins favorable que celui qu’elle accorde à ses propres investisseurs [...]


Article 8.12

Expropriation

1.      Une Partie ne nationalise ni n’exproprie un investissement visé, directement ou indirectement, au moyen de mesures ayant un effet équivalent à une nationalisation ou à une expropriation (“expropriation”), si ce n’est :

a)      pour une raison d’intérêt public,

b)      en conformité avec l’application régulière de la loi,

c)      de manière non discriminatoire, et

d)      moyennant le paiement d’une indemnité prompte, adéquate et effective.

Il est entendu que le présent paragraphe est interprété conformément à l’annexe 8‑A.

[...]

Article 8.13

Transferts

1.      Chaque Partie permet que tous les transferts relatifs à un investissement visé soient effectués sans retard ni restriction, dans une monnaie librement convertible et au taux de change du marché en vigueur à la date du transfert. Ces transferts comprennent ce qui suit :

a)      les apports de capital, notamment les fonds principaux et supplémentaires destinés à maintenir, à développer ou à accroître l’investissement ;

b)      les profits, dividendes, intérêts, gains en capital, paiements de redevances, [...] ou les autres formes de revenus ou sommes tirés de l’investissement visé ;

c)      le produit de la vente ou de la liquidation de la totalité ou d’une partie de l’investissement visé ;

d)      les paiements effectués au titre d’un contrat conclu par l’investisseur ou par l’investissement visé, y compris les paiements effectués au titre d’une convention de prêt ;

[...]

2.      Une Partie n’oblige pas ses investisseurs à transférer les revenus, gains, profits ou autres sommes tirés d’investissements sur le territoire de l’autre Partie ou attribuables à de tels investissements, ni ne pénalise ses investisseurs qui omettent de procéder à de tels transferts.

3.      Aucune disposition du présent article n’est interprétée comme empêchant une Partie d’appliquer, d’une manière équitable et non discriminatoire, et qui ne constitue pas une restriction déguisée aux transferts, sa législation concernant :

a)      la faillite, l’insolvabilité ou la protection des droits des créanciers ;

b)      l’émission, le négoce ou le commerce des valeurs mobilières ;

c)      les infractions criminelles ou pénales ;

d)      les rapports financiers ou les écritures comptables sur les transferts lorsqu’ils sont nécessaires pour faciliter l’application des lois ou aider les autorités de réglementation financière ;

e)      l’exécution des jugements rendus à l’issue de procédures juridictionnelles.

Article 8.14

Subrogation

Si une Partie ou un organisme d’une Partie effectue un paiement au titre d’une indemnité, d’une garantie ou d’un contrat d’assurance qu’il a conclu relativement à un investissement effectué par un de ses investisseurs sur le territoire de l’autre Partie, l’autre Partie reconnaît que la Partie ou son organisme jouissent en toutes circonstances des mêmes droits que l’investisseur à l’égard de l’investissement. [...] »

18      L’annexe 8-A de l’AECG, à laquelle se réfère l’article 8.12, paragraphe 1, de cet accord, énonce :

« Les Parties confirment leur compréhension commune sur les points suivants :

1.      L’expropriation peut être directe ou indirecte :

a)       une expropriation directe se produit lorsqu’un investissement est nationalisé ou exproprié directement d’une autre façon, par transfert formel d’un titre de propriété ou par saisie pure et simple ;

b)       une expropriation indirecte se produit lorsqu’une mesure ou une série de mesures d’une Partie ont un effet équivalent à une expropriation directe, en ce qu’elles privent substantiellement l’investisseur des attributs fondamentaux de la propriété de son investissement, y compris du droit d’user, de jouir et de disposer de son investissement, sans qu’il y ait transfert formel d’un titre de propriété ou saisie pure et simple.

2.       Pour déterminer si une mesure ou une série de mesures d’une Partie, dans une situation de fait spécifique, constituent une expropriation indirecte, il est nécessaire de procéder à un examen au cas par cas fondé sur les faits, qui tient compte, entre autres, des facteurs suivants :

a)       l’impact économique de la mesure ou de la série de mesures, même si le seul fait qu’une mesure ou série de mesures d’une Partie aient un effet défavorable sur la valeur économique d’un investissement ne suffit pas à établir qu’il y a eu expropriation indirecte ;

b)       la durée de la mesure ou de la série de mesures d’une Partie ;

c)      l’étendue de l’atteinte portée par la mesure ou la série de mesures en cause aux attentes spécifiques et raisonnables sous-tendant l’investissement ;

d)       la nature de la mesure ou de la série de mesures, notamment leur objet, contexte et but.

3.       Il est entendu que, sauf dans de rares circonstances où l’impact d’une mesure ou d’une série de mesures est si grave au regard de leur but qu’elles semblent manifestement excessives, les mesures non discriminatoires d’une Partie qui sont conçues et appliquées afin de protéger des objectifs légitimes de bien-être public, notamment en matière de santé, de sécurité et d’environnement, ne constituent pas une expropriation indirecte. »

19      L’article 1.1 de l’AECG stipule que « [p]our l’application du présent accord et sauf disposition contraire », le terme « mesure » désigne « une loi, un règlement, une règle, une procédure, une décision, un acte administratif, une prescription, une pratique ou tout autre type de mesure d’une Partie ».

20      L’article 8.2 de l’AECG précise :

« 1.      Le [chapitre huit] s’applique à une mesure adoptée ou maintenue par une Partie sur son territoire concernant :

a)       un investisseur de l’autre Partie ;

b)       un investissement visé ; [...]

[...]

4.      Des plaintes peuvent être déposées [...] dans le respect des procédures prévues à la section F. [...] Les plaintes au titre de la section C qui concernent l’établissement ou l’acquisition d’un investissement visé sont exclues du champ d’application de la section F. La section D s’applique uniquement à un investissement visé et aux investisseurs en ce qui concerne leur investissement visé.

[...] »


D.      Le droit applicable

21      L’article 8.31 de l’AECG prévoit :

« 1.      Lorsqu’il rend sa décision, le Tribunal institué en vertu de la présente section applique le présent accord tel qu’il est interprété en conformité avec la Convention de Vienne sur le droit des traités, [du 23 mai 1969 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 1155, p. 331, ci-après la “convention de Vienne”)] et les autres règles et principes de droit international applicables entre les Parties.

2.      Le Tribunal n’a pas compétence pour statuer sur la légalité d’une mesure dont il est allégué qu’elle constitue une violation du présent accord en se fondant sur le droit interne d’une Partie. Il est entendu qu’en statuant sur la conformité d’une mesure au présent accord, le Tribunal peut tenir compte, s’il y a lieu, du droit interne d’une Partie en tant que question de fait. Dans un tel cas, le Tribunal suit l’interprétation dominante donnée au droit interne par les juridictions ou les autorités de cette Partie, et le sens donné au droit interne par le Tribunal ne lie pas les juridictions et les autorités de cette Partie.

3.      Lorsque des questions d’interprétation susceptibles d’avoir une incidence sur l’investissement suscitent de graves préoccupations, le Comité des services et de l’investissement peut [...] recommander au Comité mixte de l’AECG d’adopter des interprétations du présent accord. Une interprétation adoptée par le Comité mixte de l’AECG lie le Tribunal institué en vertu de la présente section. Le Comité mixte de l’AECG peut décider qu’une interprétation a force obligatoire à partir d’une date déterminée. »

22      L’article 8.28, paragraphe 2, de l’AECG dispose :

« Le Tribunal d’appel peut confirmer, modifier ou infirmer une sentence rendue par le Tribunal pour les motifs suivants :

a)      erreurs dans l’application ou l’interprétation du droit applicable ;

b)      erreurs manifestes dans l’appréciation des faits, y compris l’appréciation du droit interne pertinent ;

c)      les motifs énoncés aux alinéas a) à e) de l’article 52(1) de la [convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d’autres États, signée à Washington le 18 mars 1965, ci-après la “convention du CIRDI”], dans la mesure où ils ne sont pas couverts par les paragraphes a) et b). »



E.      Les règles procédurales

23      Aux termes de l’article 8.23, paragraphes 1 et 2, de l’AECG :

« 1.      Si un différend n’est pas réglé par voie de consultations, une plainte peut être déposée en vertu de la présente section :

a)      soit par un investisseur d’une Partie en son propre nom ;

b)      soit par un investisseur d’une Partie au nom d’une entreprise établie localement qu’il détient ou contrôle directement ou indirectement.

2.      Une plainte peut être déposée conformément à l’une des règles suivantes :

a)      la [c]onvention du CIRDI et le Règlement de procédure relatif aux instances d’arbitrage ;

b)      le Règlement du Mécanisme supplémentaire du CIRDI, lorsque les conditions pour l’ouverture de la procédure visée à l’alinéa a) ne sont pas réunies ;

c)      le Règlement d’arbitrage de la [Commission des Nations unies pour le droit commercial international] ;

d)      toutes autres règles dont les parties au différend conviennent. »

24      Les termes « entreprise établie localement », visés à cet article 8.23, désignent, conformément à l’article 8.1 de l’AECG, « une personne morale qui est constituée ou organisée conformément à la législation du défendeur et qu’un investisseur de l’autre Partie détient ou contrôle directement ou indirectement ».

25      S’agissant des consultations qui doivent, en vertu dudit article 8.23, préalablement avoir lieu, l’article 8.19, paragraphes 2 et 3, énonce :

« 2.      À moins que les parties au différend n’en conviennent autrement, les consultations ont lieu, selon le cas :

a)      à Ottawa, si les mesures contestées sont des mesures du Canada ;

b)      à Bruxelles, si les mesures contestées comprennent une mesure de l’Union [...] ;

c)      dans la capitale de l’État membre de l’Union [...], si les mesures contestées sont exclusivement des mesures de cet État membre.

3.      Les parties au différend peuvent tenir les consultations par vidéoconférence ou par d’autres moyens, s’il y a lieu, notamment dans les cas où l’investisseur est une petite ou moyenne entreprise. »


26      Par ailleurs, l’article 8.22 de l’AECG précise :

« 1.      Un investisseur peut déposer une plainte en vertu de l’article 8.23 uniquement s’il :

a)      transmet au défendeur, au moment du dépôt de la plainte, son consentement à ce que le différend soit réglé par le Tribunal en conformité avec les procédures énoncées dans la présente section ;

b)      respecte un délai d’attente d’au moins 180 jours à partir de la présentation de la demande de consultations, et, le cas échéant, d’au moins 90 jours à partir de la présentation de l’avis demandant une détermination du défendeur ;

c)      s’est conformé aux exigences concernant l’avis demandant une détermination du défendeur ;

d)      s’est conformé aux exigences relatives à la demande de consultations ;

e)      n’a pas inclus dans sa plainte une mesure qui n’était pas spécifiée dans sa demande de consultations ;

f)      se retire ou se désiste de toute procédure en cours devant un tribunal ou une cour en vertu du droit interne ou du droit international relativement à une mesure dont il est allégué qu’elle constitue une violation visée par sa plainte ; et

g)      renonce à son droit d’introduire toute plainte ou procédure devant un tribunal ou une cour en vertu du droit interne ou du droit international relativement à une mesure dont il est allégué qu’elle constitue une violation visée par sa plainte.

[...]

5.      La renonciation donnée conformément à l’alinéa 1 g) ou au paragraphe 2, selon le cas, cesse de s’appliquer lorsque survient l’une ou l’autre des situations suivantes :

a)      le Tribunal rejette la plainte au motif que les exigences du paragraphe 1 ou 2 ne sont pas remplies ou pour tout autre motif d’ordre procédural ou juridictionnel ;

b)      le Tribunal rejette la plainte sur le fondement de l’article 8.32 ou de l’article 8.33 ;

c)      l’investisseur retire sa plainte [...] dans les 12 mois suivant la constitution de la division du Tribunal. »

27      Les articles 8.32 et 8.33 de l’AECG, auxquels se réfère l’article 8.22, paragraphe 5, sous b), de celui-ci, portent, respectivement, sur les « plaintes manifestement dénuées de fondement juridique » et sur les « plaintes non fondées en droit », ces dernières étant définies comme des plaintes « à l’égard [desquelles] une sentence en faveur du demandeur [ne] peut être rendue [...], et ce même si les faits allégués sont tenus pour avérés ». Ces articles disposent qu’il incombe au Tribunal de l’AECG d’examiner à titre préliminaire s’il y a lieu de rejeter la plainte comme étant manifestement dénuée de fondement juridique ou comme étant non fondée en droit, si le défendeur a soulevé une objection en ce sens.

28      L’article 8.25, paragraphe 1, de l’AECG est ainsi libellé :

« Le défendeur consent à ce que le différend soit réglé par le Tribunal en conformité avec les procédures prévues dans la présente section. »

29      L’article 8.27 de l’AECG prévoit, à ses paragraphes 6, 7 et 9 :

« 6.      Le Tribunal instruit les affaires en divisions composées de trois de ses membres, à savoir un ressortissant d’un État membre de l’Union [...], un ressortissant du Canada et un ressortissant d’un pays tiers. La division est présidée par le membre du Tribunal qui est un ressortissant d’un pays tiers.

7.      Dans les 90 jours suivant le dépôt d’une plainte en vertu de l’article 8.23, le président du Tribunal nomme les membres du Tribunal composant la division chargée d’instruire l’affaire suivant un système de rotation, de sorte à assurer une composition aléatoire et imprévisible des divisions, tout en donnant à tous les membres du Tribunal des possibilités égales de siéger.

[...]

9.      Nonobstant le paragraphe 6, les parties au différend peuvent convenir qu’une affaire sera instruite par un seul membre du Tribunal nommé au hasard parmi les ressortissants de pays tiers. Le défendeur examine avec une attention bienveillante une demande présentée par le demandeur visant à ce que la plainte soit instruite par un seul membre du Tribunal, en particulier lorsque le demandeur est une petite ou moyenne entreprise, ou lorsque l’indemnité ou les dommages-intérêts réclamés sont relativement peu élevés. Une telle demande est présentée avant la constitution de la division du Tribunal. »

30      L’article 8.28, paragraphes 5, 7 et 9, de l’AECG dispose :

« 5.      La division du Tribunal d’appel constituée pour instruire l’appel est formée de trois membres du Tribunal d’appel sélectionnés au hasard.

[...]

7.      Le Comité mixte de l’AECG adopte dans les moindres délais une décision réglant les questions [...] suivantes concernant le fonctionnement du Tribunal d’appel :

[...]

b)      procédures relatives à l’introduction et au déroulement des appels [...] ;

[...]

9.      Dès l’adoption de la décision visée au paragraphe 7 :

a)      une partie au différend peut faire appel devant le Tribunal d’appel d’une sentence rendue en vertu de la présente section, dans les 90 jours après qu’elle a été rendue ;

[...]

c)      une sentence rendue en vertu de l’article 8.39 n’est pas considérée comme définitive, et aucune mesure ne peut être prise en vue de l’exécution d’une sentence jusqu’à ce que, selon le cas :

i)      90 jours se soient écoulés depuis que la sentence a été rendue par le Tribunal, si aucun appel n’a été introduit,

ii)      un appel introduit ait été rejeté ou retiré,

iii)      90 jours se soient écoulés depuis qu’une sentence a été rendue par le Tribunal d’appel, si le Tribunal d’appel n’a pas renvoyé l’affaire devant le Tribunal ;

d)      une sentence définitive rendue par le Tribunal d’appel est considérée comme une sentence définitive pour l’application de l’article 8.41 ;

[...] »

31      Aux termes de l’article 8.39 de l’AECG :

« 1.      S’il rend une sentence définitive défavorable au défendeur, le Tribunal peut accorder uniquement, de façon séparée ou combinée :

a)      le versement de dommages pécuniaires et tout intérêt applicable ;

b)      la restitution de biens, auquel cas la sentence prévoit que le défendeur peut verser, au lieu de la restitution, des dommages pécuniaires représentant la juste valeur marchande du bien [...], et tout intérêt applicable [...]

2.      Sous réserve des paragraphes 1 et 5, lorsqu’une plainte est déposée en vertu de l’article 8.23[, paragraphe 1, sous b)] :

a)      la sentence adjugeant des dommages pécuniaires et tout intérêt applicable prévoit que cette somme doit être versée à l’entreprise établie localement ;

b)      la sentence ordonnant la restitution de biens prévoit que la restitution doit être faite à l’entreprise établie localement ;

[...]

3.      Les dommages pécuniaires ne sont pas supérieurs à la perte subie [...]

4.      Le Tribunal n’accorde pas de dommages-intérêts punitifs.

5.      Le Tribunal ordonne que les dépens de la procédure soient supportés par la partie perdante au différend. Dans des circonstances exceptionnelles, le Tribunal peut répartir les dépens entre les parties au différend s’il juge qu’une telle répartition est appropriée eu égard aux circonstances de la plainte. Les autres frais raisonnables, y compris les frais de représentation et d’assistance juridique, sont supportés par la partie perdante au différend, à moins que le Tribunal ne juge qu’une telle répartition est déraisonnable eu égard aux circonstances de la plainte. Si les plaintes sont accueillies en partie seulement, les dépens sont ajustés proportionnellement au nombre ou à l’étendue des parties des plaintes qui ont été accueillies.

6.      Le Comité mixte de l’AECG envisage des règles complémentaires destinées à réduire le fardeau financier pesant sur les demandeurs qui sont des personnes physiques ou des petites et moyennes entreprises. Ces règles complémentaires peuvent notamment tenir compte des ressources financières de ces demandeurs et du montant de l’indemnité réclamée.

7.      [...] Le Tribunal rend sa sentence définitive dans les 24 mois suivant la date du dépôt de la plainte en vertu de l’article 8.23. S’il a besoin de plus de temps pour rendre sa sentence définitive, le Tribunal informe les parties au différend des raisons du retard. »

32      L’article 8.41 de l’AECG énonce :

« 1.      Une sentence rendue en vertu de la présente section est obligatoire pour les parties au différend et en ce qui concerne l’affaire jugée.

2.      [...] [U]ne partie au différend reconnaît la sentence et s’y conforme sans retard.

[...]

4.      L’exécution de la sentence est régie par la législation relative à l’exécution des jugements ou des sentences qui est en vigueur là où l’exécution est demandée.

[...] »

F.      Les membres du Tribunal et du Tribunal d’appel envisagés

33      L’article 8.27, paragraphes 2 à 5 et 12 à 16, de l’AECG dispose :

« 2.      Dès l’entrée en vigueur du présent accord, le Comité mixte de l’AECG nomme quinze membres du Tribunal, dont cinq ressortissants d’un État membre de l’Union [...], cinq ressortissants du Canada et cinq ressortissants de pays tiers.

3.      Le Comité mixte de l’AECG peut décider d’accroître ou de réduire le nombre de membres du Tribunal par multiples de trois. Les nominations additionnelles s’effectuent conformément au paragraphe 2.

4.      Les membres du Tribunal possèdent les qualifications requises dans leurs pays respectifs pour la nomination à des fonctions judiciaires, ou sont des juristes possédant des compétences reconnues. Ils auront fait la preuve de leurs connaissances spécialisées en droit international public. Il est souhaitable qu’ils possèdent des connaissances spécialisées plus particulièrement dans les domaines du droit de l’investissement international, du droit commercial international et du règlement des différends découlant d’accords internationaux en matière d’investissement ou d’accords commerciaux internationaux.

5.      Les membres du Tribunal nommés conformément à la présente section sont nommés pour un mandat de cinq ans, renouvelable une fois. Cependant, les mandats de sept membres tirés au sort parmi les 15 membres nommés immédiatement après l’entrée en vigueur du présent accord sont d’une durée de six ans. Dès qu’ils deviennent vacants, les postes sont repourvus. [...]

[...]

12.      Afin que leur disponibilité soit garantie, une rétribution mensuelle, dont le montant est établi par le Comité mixte de l’AECG, est versée aux membres du Tribunal.

13.      La rétribution visée au paragraphe 12 est versée à parts égales par les deux Parties [...]

14.      À moins que le Comité mixte de l’AECG n’adopte une décision en vertu du paragraphe 15, les montants des honoraires et frais des membres du Tribunal qui siègent dans une division constituée pour instruire une plainte, autres que la rétribution visée au paragraphe 12, sont ceux déterminés conformément à l’article 14(1) du [r]èglement administratif et financier de la [c]onvention du CIRDI en vigueur à la date du dépôt de la plainte, et sont répartis par le Tribunal entre les parties au différend conformément à l’article 8.39[, paragraphe 5].

15.      Le Comité mixte de l’AECG peut, par décision, transformer la rétribution mensuelle et les autres honoraires et frais en salaire régulier, et fixer les modalités et conditions applicables.

16.      Le Secrétariat du CIRDI assure le Secrétariat du Tribunal et fournit à celui-ci un soutien approprié. »

34      L’article 8.28, paragraphes 3, 4 et 7, de l’AECG énonce :

« 3.      Les membres du Tribunal d’appel sont nommés par une décision du Comité mixte de l’AECG en même temps que la décision visée au paragraphe 7.

4.      Les membres du Tribunal d’appel remplissent les exigences de l’article 8.27[, paragraphe 4,] et se conforment à l’article 8.30.

[...]

7.      Le Comité mixte de l’AECG adopte dans les moindres délais une décision réglant les questions de nature administrative et organisationnelle suivantes concernant le fonctionnement du Tribunal d’appel :

[...]

c)      procédures de pourvoi des postes vacants au sein du Tribunal d’appel et d’une division du Tribunal d’appel constituée pour instruire une affaire ;

d)      rémunération des membres du Tribunal d’appel ;

e)      dispositions concernant les coûts liés aux appels ;

f)      nombre de membres du Tribunal d’appel ;

[...] »

35      L’article 8.30 de l’AECG dispose :

« 1.      Les membres du Tribunal sont indépendants. Ils n’ont d’attache avec aucun gouvernement. Ils ne suivent les instructions d’aucune organisation ou d’aucun gouvernement en ce qui concerne les questions liées au différend. Ils ne participent pas à l’examen d’un différend qui donnerait lieu à un conflit d’intérêts direct ou indirect. Ils se conforment aux Lignes directrices de l’Association internationale du barreau (International Bar Association) sur les conflits d’intérêts dans l’arbitrage international, [approuvées le 22 mai 2004 par le conseil de l’Association internationale du barreau, ci-après les “lignes directrices de l’IBA”] ou à toutes règles complémentaires adoptées en vertu de l’article 8.44[, paragraphe 2]. En outre, dès leur nomination, ils s’abstiennent d’agir à titre d’avocat-conseil, de témoin ou d’expert désigné par une partie dans tout différend relatif aux investissements en instance ou nouveau relevant du présent accord ou de tout autre accord international.

[...]

4.      Sur recommandation motivée du président du Tribunal ou à leur initiative conjointe, les Parties peuvent, par décision du Comité mixte de l’AECG, révoquer un membre du Tribunal dont la conduite n’est pas conforme aux obligations énoncées au paragraphe 1 et est incompatible avec la qualité de membre du Tribunal. »

36      Le paragraphe 1, deuxième phrase, de cet article 8.30 est assorti d’une note de bas de page aux termes de laquelle « [i]l est entendu que le fait qu’une personne reçoive une rémunération d’un gouvernement ne suffit pas en soi à l’empêcher d’exercer les fonctions de membre du Tribunal ».

G.      Le Comité mixte et le Comité des services et de l’investissement

37      Aux termes de l’article 26.1 de l’AECG :

« 1.      Les Parties établissent le Comité mixte de l’AECG composé de représentants de l’Union [...] et de représentants du Canada. Le Comité mixte de l’AECG est coprésidé par le ministre du Commerce international du Canada et le membre de la Commission européenne chargé du commerce, ou leurs suppléants respectifs.

[...]

3.      Le Comité mixte de l’AECG a la responsabilité de toutes les questions concernant le commerce et l’investissement entre les Parties ainsi que de la mise en œuvre et de l’application du présent accord. [...]

4.      Le Comité mixte de l’AECG exerce les fonctions suivantes :

[...]

e)      prendre des décisions conformément à l’article 26.3 ;

[...]

5.      Le Comité mixte de l’AECG peut :

[...]

e)      adopter des interprétations des dispositions du présent accord, lesquelles lient les tribunaux institués en application de la section F du chapitre [h]uit (Règlement des différends relatifs aux investissements entre investisseurs et États) et du chapitre [v]ingt-neuf (Règlement des différends) ;

[...] »

38      L’article 26.3 de l’AECG énonce :

« 1.      Le Comité mixte de l’AECG dispose, en vue d’atteindre les objectifs du présent accord, du pouvoir décisionnel pour toute question dans les cas prévus par le présent accord.

2.      Les décisions du Comité mixte de l’AECG lient les Parties [...]

3.      Le Comité mixte de l’AECG adopte ses décisions et ses recommandations par consentement mutuel. »

39      L’article 8.44, paragraphe 2, de l’AECG est ainsi libellé :

« 2.      Le Comité des services et de l’investissement adopte, avec l’accord des Parties et après l’accomplissement de leurs exigences et procédures internes respectives, un code de conduite pour les membres du Tribunal devant être appliqué dans le cadre des différends découlant du présent chapitre, lequel peut remplacer ou compléter les règles applicables et traiter de sujets incluant :

a)      les obligations en matière de divulgation ;

b)      l’indépendance et l’impartialité des membres du Tribunal ;

c)      la confidentialité.

Les Parties ne ménagent aucun effort pour faire en sorte que le code de conduite soit adopté au plus tard le premier jour de l’application provisoire du présent accord ou le jour de son entrée en vigueur, selon le cas, et, en tout état de cause, au plus tard deux ans après cette date. »

H.      L’absence d’effet direct de l’AECG dans l’ordre juridique des Parties

40      L’article 30.6, paragraphe 1, de l’AECG, prévoit qu’« aucune disposition du présent accord n’est interprétée [...] comme permettant d’invoquer directement le présent accord dans les systèmes juridiques internes des Parties ».

I.      L’instrument interprétatif commun et la déclaration no 36

41      L’article 30.1 de l’AECG prévoit que « [l]es protocoles, annexes, déclarations, déclarations communes, mémorandums d’accord et notes de bas de page du présent accord en font partie intégrante ».

42      À l’occasion de la signature de l’AECG, l’Union et ses États membres ainsi que le Canada ont établi un instrument interprétatif commun (JO 2017, L 11, p. 3, ci-après l’« instrument interprétatif commun »), dont le point 1, sous b) et d), énonce :

« b)      L’AECG incarne l’engagement commun qu’ont pris [le] Canada ainsi que l’Union [...] et ses États membres en faveur d’un commerce libre et équitable au sein d’une société dynamique et tournée vers l’avenir. [...]

[...]

d)      L’Union [...] et ses États membres ainsi que le Canada conserveront dès lors la capacité de réaliser les objectifs légitimes de politique publique définis par leurs institutions démocratiques dans des domaines tels que la santé publique, les services sociaux, l’éducation publique, la sécurité, l’environnement, la moralité publique, la protection de la vie privée et la protection des données, ainsi que la promotion et la protection de la diversité culturelle. L’AECG n’aura pas non plus pour effet d’affaiblir nos normes et réglementations respectives concernant l’innocuité alimentaire, la sécurité des produits, la protection des consommateurs, la santé, l’environnement ou la protection du travail. Les biens importés, les fournisseurs de services et les investisseurs doivent continuer de respecter les exigences imposées au niveau national, y compris les règles et réglementations applicables. [...] »

43      Aux termes du point 2 de cet instrument :

« L’AECG préserve la capacité de l’Union [...] et de ses États membres ainsi que du Canada à adopter et à appliquer leurs propres dispositions législatives et réglementaires destinées à réglementer les activités économiques dans l’intérêt public, à réaliser des objectifs légitimes de politique publique tels que la protection et la promotion de la santé publique, des services sociaux, de l’éducation publique, de la sécurité, de l’environnement et de la moralité publique, la protection sociale ou des consommateurs, la protection de la vie privée et la protection des données, ainsi que la promotion et la protection de la diversité culturelle. »

44      Le point 6 dudit instrument énonce :

« a)       L’AECG établit des règles modernes en matière d’investissements, qui préservent le droit des gouvernements de réglementer dans l’intérêt public, y compris lorsque les réglementations en question concernent des investissements étrangers, tout en garantissant un niveau élevé de protection des investissements et en prévoyant une procédure équitable et transparente de règlement des différends. L’AECG ne conduira pas à accorder un traitement plus favorable aux investisseurs étrangers qu’aux investisseurs nationaux. L’AECG ne privilégie pas l’utilisation du système juridictionnel des investissements qu’il met en place. Les investisseurs peuvent opter pour les voies de recours disponibles au niveau des tribunaux nationaux.

b)      L’AECG précise que les gouvernements peuvent modifier leur législation, que ces modifications puissent ou non avoir des effets défavorables sur un investissement ou sur les attentes de profit d’un investisseur [...].

[...]

d)      En vertu de l’AECG, les sociétés doivent avoir un véritable lien économique avec les économies du Canada ou de l’Union [...] pour pouvoir bénéficier de l’accord, et les sociétés écran ou boîte aux lettres établies au Canada ou dans l’Union [...] par des investisseurs d’autres pays ne peuvent introduire de recours contre le Canada ou l’Union [...] et ses États membres. [...]

e)      Afin de veiller à ce que, en toutes circonstances, les tribunaux respectent l’intention des parties énoncées dans l’accord, l’AECG contient des dispositions autorisant les parties à diffuser des notes d’interprétation contraignantes. Le Canada ainsi que l’Union [...] et ses États membres s’engagent à appliquer ces dispositions pour éviter ou corriger toute interprétation erronée de l’AECG par les tribunaux.

f)      L’AECG tourne résolument le dos à l’approche traditionnelle du règlement des différends en matière d’investissements et institue des tribunaux indépendants, impartiaux et permanents dans le domaine des investissements, inspirés des principes de systèmes judiciaires publics en place dans l’Union [...] et ses États membres ainsi qu’au Canada, ainsi que de juridictions internationales comme la Cour internationale de justice et la Cour européenne des droits de l’homme. En conséquence, les membres de ces tribunaux posséderont les qualifications requises dans leurs pays respectifs pour la nomination à des fonctions judiciaires et seront nommés par l’Union [...] et le Canada pour une période déterminée. Les affaires seront instruites par trois membres choisis au hasard. Des règles éthiques strictes ont été fixées pour les membres du Tribunal, afin de garantir leur indépendance et leur impartialité, ainsi que l’absence de conflit d’intérêts, de parti pris ou d’apparence de parti pris. L’Union [...] et ses États membres ainsi que le Canada sont convenus de lancer immédiatement d’autres travaux sur un code de conduite visant à garantir davantage l’impartialité des membres des tribunaux, sur leur mode et leur niveau de rémunération ainsi que sur le processus régissant leur sélection. L’objectif commun est de mener à bien ces travaux d’ici l’entrée en vigueur de l’AECG.

g)      L’AECG est le premier accord prévoyant un mécanisme d’appel qui permettra de corriger les erreurs et garantira la cohérence des décisions du Tribunal [...]

h)      Le Canada ainsi que l’Union [...] et ses États membres s’engagent à surveiller le fonctionnement de l’ensemble de ces règles en matière d’investissements, à remédier en temps utile à toute défaillance qui se ferait jour et à étudier les moyens d’améliorer en permanence leur fonctionnement au fil du temps.

i)      Dès lors, l’AECG marque un changement important et radical dans le domaine des règles en matière d’investissements et du règlement des différends. Il jette les bases d’un effort multilatéral visant à développer cette nouvelle approche du règlement des différends dans le domaine des investissements pour créer un tribunal multilatéral des investissements. L’Union [...] et le Canada œuvreront rapidement à la création du tribunal multilatéral des investissements. Celui-ci devrait être institué une fois qu’une masse critique minimale de participants aura été atteinte, remplacer immédiatement les systèmes bilatéraux tel que celui prévu dans l’AECG et être pleinement ouvert à l’adhésion de tout pays qui souscrit aux principes qui sous-tendent le tribunal. »

45      Par ailleurs, aux termes de la déclaration no 36 :

« L’[AECG] vise une réforme importante de la résolution des litiges en matière d’investissement, fondée sur les principes, communs aux juridictions de l’Union [...] et de ses États membres et du Canad[a], ainsi qu’aux juridictions internationales reconnues par l’Union [...] et ses États membres et le Canada [...]

Toutes ces dispositions [relatives à ces litiges] étant exclues du périmètre de l’application provisoire de l’[AECG], la Commission européenne et le Conseil confirment qu’elles n’entreront pas en vigueur avant la ratification de l’[AECG] par tous les États membres, chacun conformément à son propre processus constitutionnel.

La Commission s’engage à poursuivre sans retard la révision du mécanisme de règlement des différends (ICS), en temps utile pour que les États membres puissent la considérer dans leurs processus de ratification, selon les principes suivants :

La sélection de tous les juges du Tribunal et du Tribunal d’appel sera faite, sous le contrôle des institutions européennes et des États membres, d’une façon rigoureuse, avec l’objectif d’en garantir l’indépendance et l’impartialité, ainsi que la plus haute compétence. En ce qui concerne les juges européens en particulier, la sélection devra également veiller à représenter, surtout dans la durée, la richesse des traditions juridiques européennes. En conséquence :

–        Les candidats pour les juges européens seront nommés par les États membres, qui participeront également à l’évaluation des candidats.

–        Sans préjudice des autres conditions énoncées à l’article 8.27[, paragraphe 4,] de l’[AECG], les États membres proposeront des candidats qui remplissent les critères énoncés à l’article 253, premier alinéa, [TFUE].

–        La Commission veillera, en consultation avec les États membres et avec le Canada, à une évaluation également rigoureuse des candidatures des autres juges du Tribunal.

Les juges seront rémunérés par l’Union [...] et par le Canada sur une base permanente. Il faudra progresser vers des juges employés à temps plein.

Les exigences éthiques pour les membres des Tribunaux, déjà prévues dans l’[AECG], seront développées de façon détaillée, dans les plus brefs délais et en temps util[e] pour que les États membres puissent les considérer dans leurs processus de ratification, dans un code de conduite obligatoire et contraignant (ce qui est également déjà prévu dans l’[AECG]). [...]

L’accès à cette nouvelle juridiction pour [...] les [petites et moyennes entreprises] et les particuliers, sera amélioré et facilité. À cette fin :

–        L’adoption par le [Comité mixte de l’AECG] de règles complémentaires, prévue par l’[article 8.39, paragraphe 6,] de l’[AECG], destinées à réduire le fardeau financier pesant sur les demandeurs qui sont des personnes physiques ou des petites et moyennes entreprises, sera diligentée de manière que ces règles complémentaires puissent être adoptées dans les meilleurs délais.

–        Indépendamment de l’issue des discussions au sein du [Comité mixte de l’AECG], la Commission proposera des mesures adéquates de (co‑)financement public des actions des petites et moyennes entreprises devant cette juridiction ainsi que l’octroi d’assistance technique.

[...] »

III. Résumé des interrogations formulées par le Royaume de Belgique

A.      Interrogations sur la compatibilité du mécanisme RDIE envisagé avec l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union

46      Le Royaume de Belgique rappelle que, au point 246 de son avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014 (EU:C:2014:2454), la Cour a énoncé « le principe de la compétence exclusive de la Cour dans l’interprétation définitive du droit de l’Union ».

47      Le respect de cette compétence exclusive serait nécessaire pour assurer l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union. À cet égard, le Royaume de Belgique rappelle que la Cour a dit pour droit, dans l’avis 1/09 (Accord sur la création d’un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets), du 8 mars 2011 (EU:C:2011:123), qu’il y a une incompatibilité avec l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union lorsqu’une juridiction internationale établie par un accord liant l’Union peut être appelée à interpréter et à appliquer non seulement les dispositions de cet accord, mais également des dispositions du droit primaire ou dérivé de l’Union, des principes généraux du droit de l’Union ou des droits fondamentaux de celle-ci.

48      Or, en l’occurrence, la délimitation de la compétence du Tribunal de l’AECG, opérée à l’article 8.31 de cet accord, ne changerait rien au fait que, lorsque ce tribunal devra examiner si une mesure prise par l’Union viole l’une des dispositions du chapitre huit, sections C et D, de cet accord, il sera contraint d’interpréter la portée de cette mesure, sans nécessairement pouvoir se fonder sur une interprétation déjà fournie par la Cour.

49      En outre, la compétence du Tribunal de l’AECG pour examiner si une mesure prise par le Canada, par l’Union ou par un État membre viole l’une des dispositions de la section C ou D de ce chapitre, habiliterait ce tribunal, nonobstant les limitations découlant de l’article 8.31 de l’AECG, à se livrer à des appréciations fondamentales impliquant, lorsque la mesure contestée a été prise par l’Union, le droit primaire de celle-ci. Ce tribunal pourrait, en effet, être amené à tenir compte, lors de son examen du différend, des dispositions du droit primaire de l’Union sur le fondement desquelles l’Union a adopté cette mesure. Il devrait, dans un tel cas, effectuer une appréciation de la portée de ces dispositions.

50      Dès lors que le mécanisme RDIE envisagé ne prévoit ni l’obligation ni même la possibilité pour le Tribunal de l’AECG de saisir la Cour d’une question préalable sur l’interprétation du droit de l’Union, le Royaume de Belgique se demande si ce mécanisme, qui peut conduire à des sentences définitives liant l’Union, est compatible avec le principe de la compétence exclusive de la Cour dans l’interprétation définitive du droit de l’Union.

B.      Interrogations sur la compatibilité du mécanisme RDIE envisagé avec le principe général d’égalité de traitement et avec l’exigence d’effectivité

51      Le Royaume de Belgique observe que les entreprises constituées conformément au droit canadien et les personnes physiques de nationalité canadienne ou résidant de manière permanente au Canada (ci-après, ensemble, « les entreprises et les personnes physiques canadiennes » ou les « investisseurs canadiens ») pourront, pour ce qui concerne leurs investissements dans l’Union, porter un différend devant le Tribunal de l’AECG, tandis que les entreprises constituées conformément au droit d’un État membre de l’Union et les personnes physiques ayant la nationalité d’un tel État (ci-après « les entreprises et les personnes physiques des États membres » ou les « investisseurs de l’Union ») n’auront, s’agissant de leurs investissements dans l’Union, pas cette possibilité.

52      Il conviendrait d’examiner si une telle situation est compatible avec l’article 20 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), aux termes duquel « [t]outes les personnes sont égales en droit », et avec l’article 21 de la Charte, qui dispose, à son paragraphe 2, que, « [d]ans le domaine d’application des traités et sans préjudice de leurs dispositions particulières, toute discrimination exercée en raison de la nationalité est interdite ».

53      Plus particulièrement, le Royaume de Belgique fait remarquer qu’il résulte de l’article 8.39, paragraphe 2, sous a), de l’AECG que, lorsqu’un investisseur canadien agira devant le Tribunal de l’AECG au nom d’une « entreprise établie localement », à savoir d’une entreprise établie dans l’Union et détenue ou contrôlée directement ou indirectement par cet investisseur, les dommages-intérêts octroyés par ce tribunal devront être versés à cette entreprise établie localement. Il y aurait lieu d’examiner la compatibilité de cette règle avec les articles 20 et 21 de la Charte.

54      Le Royaume de Belgique se demande encore si, dans l’hypothèse où le Tribunal de l’AECG constaterait l’incompatibilité, avec une disposition du chapitre huit, section C ou D, de l’AECG, d’une amende infligée par la Commission ou par une autorité d’un État membre à un investisseur canadien pour violation du droit de la concurrence, et accorderait une compensation équivalente à cette amende, la disparition des effets de ladite amende serait compatible avec le principe d’égalité de traitement et avec l’exigence d’effectivité du droit de l’Union.

55      Il observe, à cet égard, que l’article 8.9, paragraphe 4, de l’AECG exclut que, lorsque l’Union déclare une aide d’État incompatible avec l’article 108 TFUE et en ordonne le remboursement, le Tribunal de l’AECG puisse juger cette décision contraire à cet accord. Or, ledit accord n’inclurait pas une règle similaire visant à protéger les décisions prises par la Commission ou par les autorités des États membres dans le cadre des articles 101 et 102 TFUE. Un investisseur canadien pourrait ainsi échapper aux conséquences financières d’une violation du droit de la concurrence de l’Union, tandis que les investisseurs de l’Union ne peuvent y échapper, ce qui pourrait être incompatible avec les articles 20 et 21 de la Charte, de même qu’avec l’exigence d’effectivité du droit de l’Union.

C.      Interrogations sur la compatibilité du mécanisme RDIE envisagé avec le droit d’accès à un tribunal indépendant

56      Le Royaume de Belgique se demande si le chapitre huit, section F, de l’AECG est compatible avec le droit fondamental d’accès à un tribunal indépendant, tel qu’énoncé, notamment, à l’article 47 de la Charte.

57      Il observe, en premier lieu, que le régime prévu à ladite section F pourrait rendre excessivement difficile l’accès des petites et moyennes entreprises au Tribunal de l’AECG, dès lors qu’il découle de l’article 8.27, paragraphe 14, de l’AECG que les honoraires et les frais des membres de ce tribunal en charge du différend devront être supportés par les parties à ce différend, et que l’article 8.39, paragraphe 5, de l’AECG énonce que tant les dépens de la procédure que les frais de représentation et d’assistance juridique seront, excepté dans des circonstances exceptionnelles, supportés par la partie perdante.

58      Par ailleurs, l’AECG n’offrirait actuellement pas la possibilité d’octroi d’une aide juridictionnelle, alors même que l’article 47, troisième alinéa, de la Charte consacre expressément le droit à une telle aide dans la mesure nécessaire pour assurer l’accès à la justice, la Cour ayant, en outre, précisé, dans son arrêt du 22 décembre 2010, DEB (C‑279/09, EU:C:2010:811), que ce droit s’étend aux entreprises.

59      Le risque de devoir supporter l’entièreté des dépens dans des procédures onéreuses pourrait, dès lors, dissuader un investisseur, qui ne dispose que de moyens financiers limités, d’introduire une plainte.

60      Le Royaume de Belgique s’interroge, en deuxième lieu, sur la compatibilité des conditions de rémunération des membres du Tribunal et du Tribunal d’appel de l’AECG, telles que prévues aux articles 8.27, paragraphes 12 à 15, et 8.28, paragraphe 7, sous d), de l’AECG, avec le droit d’accès à « un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi », qui est énoncé à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte. Dès lors que ces conditions de rémunération sont non pas principalement fixées dans le texte même de l’AECG, mais laissées dans une large mesure à l’appréciation discrétionnaire du Comité mixte de l’AECG, il serait permis d’avoir des doutes sur leur compatibilité avec les principes applicables en matière de séparation des pouvoirs.

61      Le fait que l’AECG prévoit que la rémunération des membres du Tribunal consistera non pas, ou du moins pas dans l’immédiat, en un salaire fixe et régulier, mais en une rétribution mensuelle à laquelle s’ajouteront des honoraires en fonction des journées de travail consacrées à un différend, pourrait se révéler incompatible avec le droit d’accès à un tribunal indépendant. À cet égard, le Royaume de Belgique se réfère à l’article 6 de la charte européenne sur le statut des juges, adoptée le 10 juillet 1998 par le Conseil de l’Europe, aux termes duquel la rémunération des juges doit être fixée « de façon à les mettre à l’abri de pressions visant à influer sur le sens de leurs décisions ».

62      Cette charte européenne sur le statut des juges ferait également mention de recommandations adoptées dans le cadre du Conseil de l’Europe, selon lesquelles la rémunération des juges doit être déterminée en fonction d’un barème général. Or, il résulterait des conditions de rémunération actuellement prévues par l’AECG que la rémunération des membres du Tribunal de l’AECG dépendrait partiellement du nombre de différends introduits par les investisseurs. Par conséquent, le développement d’une jurisprudence favorable aux investisseurs aurait un effet positif sur la rémunération de ces membres et pourrait ainsi être à l’origine d’un conflit d’intérêts.

63      Le Royaume de Belgique s’interroge, en troisième lieu, sur la compatibilité, avec l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, des règles en matière de nomination des membres du Tribunal et du Tribunal d’appel, telles que prévues à l’article 8.27, paragraphes 2 et 3, ainsi qu’à l’article 8.28, paragraphes 3 et 7, sous c), de l’AECG.

64      Il observe que ces membres seront nommés par le Comité mixte de l’AECG, qui est coprésidé par le ministre du Commerce international du Canada et le membre de la Commission chargé du commerce (ou par leurs suppléants respectifs). Or, il résulterait de la charte européenne sur le statut des juges, à laquelle se réfèrent les recommandations du Conseil consultatif de juges européens (CCJE), que, lorsque la nomination de juges est faite par le pouvoir exécutif, celle-ci doit avoir lieu après recommandation par une autorité indépendante constituée d’une part substantielle de membres du pouvoir judiciaire.

65      En quatrième lieu, le Royaume de Belgique s’interroge sur la compatibilité, avec l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, des conditions de révocation des membres du Tribunal et du Tribunal d’appel de l’AECG, telles que prévues à l’article 8.30, paragraphe 4, de l’AECG, cette disposition permettant qu’un membre soit révoqué par décision du Comité mixte de l’AECG. Or, il découlerait de la charte européenne sur le statut des juges et des recommandations du CCJE que toute décision de révocation d’un juge doit impliquer un organe indépendant, être rendue selon une procédure équitable qui respecte les droits de la défense et être susceptible d’un recours devant une instance supérieure à caractère juridictionnel. En tout état de cause, pour garantir l’indépendance des juges, le pouvoir exécutif ne devrait pas avoir la possibilité de les révoquer.

66      En cinquième et dernier lieu, le Royaume de Belgique s’interroge sur la compatibilité, avec l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, des règles d’éthique auxquelles les membres desdits tribunaux devront se conformer en vertu de l’article 8.28, paragraphe 4, de l’article 8.30, paragraphe 1, et de l’article 8.44, paragraphe 2, de l’AECG.

67      Il observe que ces dispositions prévoient, pour l’essentiel, que lesdits membres devront se conformer aux lignes directrices de l’IBA, dans l’attente de l’adoption d’un code de conduite par le Comité des services et de l’investissement. Or, il découlerait de la Magna Carta des Juges, adoptée le 17 novembre 2010 par le CCJE, que les règles de déontologie applicables aux juges doivent émaner des juges eux-mêmes ou que, à tout le moins, les juges doivent jouer un rôle majeur dans l’adoption de ces règles.

68      Les lignes directrices de l’IBA s’adressant à des arbitres et non à des juges, elles seraient susceptibles de contenir des standards en termes d’indépendance qui ne sont pas adaptés au statut de ces derniers.

69      Il fait également remarquer que l’AECG prévoit, à son article 8.30, paragraphe 1, que les membres du Tribunal et du Tribunal d’appel de l’AECG « s’abstiennent d’agir à titre d’avocat-conseil, de témoin ou d’expert désigné par une partie dans tout différend relatif aux investissements en instance ou nouveau relevant du présent accord ou de tout autre accord international », mais ne requiert pas que ces membres déclarent leurs activités extérieures ni a fortiori que ces activités soient soumises à une approbation préalable. Or, les instruments internationaux pertinents, tels que la charte européenne sur le statut des juges, énonceraient que l’exercice de telles activités doit être déclaré et faire l’objet d’une autorisation préalable.

IV.    Résumé des observations présentées à la Cour

A.      Sur la compatibilité du mécanisme RDIE envisagé avec l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union

70      La plupart des gouvernements ayant présenté des observations, ainsi que le Conseil et la Commission, soulignent que l’article 8.31 de l’AECG empêche sans équivoque le Tribunal de l’AECG d’interpréter des dispositions du droit primaire ou dérivé de l’Union. De cette manière, l’AECG se distinguerait notamment du projet d’accord examiné par la Cour dans l’avis 1/09 (Accord sur la création d’un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets), du 8 mars 2011 (EU:C:2011:123).

71      Il découlerait, par ailleurs, dudit article 8.31 que les interprétations des dispositions de l’AECG que fournira, en conformité avec le droit international public, le Tribunal de l’AECG, ne lieront pas la Cour. L’AECG se distinguerait, ainsi, du projet d’accord examiné dans l’avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014 (EU:C:2014:2454).

72      En outre, l’article 8.31, paragraphe 2, et l’article 8.39, paragraphe 1, de l’AECG excluraient que le Tribunal de l’AECG, de même que, incidemment, le Tribunal d’appel de l’AECG, puissent se prononcer sur la légalité de la mesure contestée.

73      Les sentences du Tribunal de l’AECG seraient, au demeurant, dépourvues d’effet erga omnes, dès lors que l’article 8.41 de l’AECG énonce que ces sentences ne seront obligatoires que pour les parties au différend. Sous cet angle également, il serait exclu qu’une sentence de ce tribunal puisse porter atteinte à la compétence exclusive de la Cour dans l’interprétation définitive du droit de l’Union.

74      Au surplus, grâce au mécanisme visé à l’article 8.21 de l’AECG, ledit Tribunal ne pourrait pas se pencher sur la répartition des compétences entre l’Union et ses États membres. La problématique identifiée par la Cour aux points 33 à 36 de l’avis 1/91 (Accord EEE – I), du 14 décembre 1991 (EU:C:1991:490), et aux points 224 et 225 de l’avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014 (EU:C:2014:2454), serait donc inexistante en l’occurrence.

75      Par l’ensemble de ces modalités inscrites dans l’AECG, les Parties auraient préservé l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union.

76      Lesdits gouvernements, le Conseil et la Commission admettent qu’il y aura, dans les différends survenant entre un investisseur canadien et l’Union, des situations dans lesquelles le Tribunal de l’AECG devra, pour apprécier s’il y a eu violation d’une disposition du chapitre huit, section C ou D, de l’AECG, examiner la portée de la mesure de l’Union que cet investisseur conteste. Toutefois, ainsi que l’énonce l’article 8.31, paragraphe 2, de l’AECG, dans de telles situations, le Tribunal devra se limiter à un examen du droit de l’Union en tant que question de fait et non pas se livrer à une interprétation juridique.

77      L’absence d’atteinte à la compétence exclusive de la Cour dans l’interprétation définitive du droit de l’Union proviendrait ainsi du fait que le Tribunal de l’AECG devra appliquer et interpréter le droit international, constitué de l’AECG lui-même et des autres règles de droit international applicables entre les Parties, et non le droit de l’Union. D’une part, le Tribunal de l’AECG et, d’autre part, la Cour opéreraient dans des ordres juridiques bien distincts. L’absence d’effet direct de l’AECG dans l’ordre juridique interne des Parties, énoncée à l’article 30.6 de celui-ci, mettrait en exergue cette distinction.

78      Au vu de ladite distinction, il n’y aurait nullement besoin, dans le cadre du régime de règlement des différends devant le Tribunal et le Tribunal d’appel de l’AECG, de prévoir un mécanisme d’implication préalable de la Cour. Une analyse telle que celle effectuée par la Cour aux points 236 à 248 de l’avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014 (EU:C:2014:2454), serait dénuée de pertinence en l’occurrence. Par ailleurs, les raisons ayant conduit la Cour à examiner la possibilité d’un mécanisme d’implication préalable dans son avis 1/91 (Accord EEE – I), du 14 décembre 1991 (EU:C:1991:490, points 54 à 65), feraient également défaut en l’occurrence. En effet, contrairement à l’accord sur l’Espace économique européen (EEE), l’AECG n’aurait aucunement pour objet d’étendre une partie de l’acquis du droit de l’Union au Canada.

B.      Sur la compatibilité du mécanisme RDIE envisagé avec le principe général d’égalité de traitement et avec l’exigence d’effectivité

79      La plupart des gouvernements ayant présenté des observations, ainsi que le Conseil et la Commission, observent que, d’une part, les entreprises et les personnes physiques canadiennes qui investissent dans l’Union et, d’autre part, celles des États membres qui investissent dans l’Union, ne se trouvent pas dans des situations comparables, dès lors que les unes réalisent des investissements internationaux et les autres des investissements internes à l’Union.

80      Les seules situations comparables seraient celle des entreprises et des personnes physiques canadiennes qui investissent dans l’Union et celle des entreprises et des personnes physiques des États membres qui investissent au Canada.

81      Par ailleurs, il résulterait de la jurisprudence de la Cour que le principe d’égalité de traitement consacré en droit de l’Union ne s’applique pas aux relations qu’entretient l’Union avec des États tiers. Les articles 20 et 21 de la Charte seraient par conséquent, selon plusieurs desdits gouvernements ainsi que le Conseil, dépourvus de pertinence pour examiner la compatibilité de l’AECG avec le droit de l’Union.

82      Ledit principe ne s’appliquerait pas non plus dans le cas d’un traitement différent entre, d’une part, des « entreprises établies localement », au sens de l’article 8.1 de l’AECG, détenues ou contrôlées par un investisseur canadien et, d’autre part, des entreprises établies dans l’Union qui ne sont ni détenues ni contrôlées par un tel investisseur.

83      En effet, les premières entreprises constitueraient des investissements d’entreprises ou de personnes physiques canadiennes et devraient être considérées comme telles dans le cadre de l’AECG. Par conséquent, s’agissant des entreprises établies localement, la différence de traitement évoquée par le Royaume de Belgique devrait être assimilée à celle existant entre, d’une part, les entreprises et les personnes physiques canadiennes qui investissent dans l’Union et, d’autre part, les entreprises et les personnes physiques des États membres qui investissent dans l’Union.

84      La différence de traitement évoquée dans la demande d’avis serait, en tout état de cause, justifiée par l’objectif de contribuer au commerce libre et équitable, au sens de l’article 3, paragraphe 5, TUE, ainsi que par celui d’intégrer tous les pays dans l’économie mondiale, prévu à l’article 21, paragraphe 2, sous e), TUE. La compétence de l’Union pour conclure, en vertu de l’article 207 TFUE, des accords en matière d’investissements directs avec des États tiers et, en vertu de l’article 4, paragraphes 1 et 2, sous a), TFUE, des accords en matière d’investissements autres que directs avec de tels États, serait vidée de sa substance si le principe d’égalité de traitement du droit de l’Union interdisait à celle-ci de souscrire des engagements spécifiques concernant les investissements provenant d’États tiers.

85      Dans la mesure où le Royaume de Belgique s’interroge encore sur la compatibilité du mécanisme RDIE avec l’exigence d’efficacité du droit de l’Union, en soulevant l’hypothèse dans laquelle le Tribunal de l’AECG jugerait qu’une amende infligée par la Commission ou par une autorité de la concurrence d’un État membre à un investisseur canadien méconnaît une disposition matérielle du chapitre huit de l’AECG et accorderait une indemnité équivalente au montant de cette amende, la plupart des gouvernements ayant présenté des observations, le Conseil et la Commission estiment qu’il s’agit d’un faux problème.

86      Il serait, en effet, hautement improbable que ce tribunal, qui devra, notamment en raison du droit de réglementer mis en exergue à l’article 8.9 de l’AECG, respecter l’existence du droit de la concurrence de l’Union, juge qu’une amende infligée en vertu de ce droit viole l’AECG.

C.      Sur la compatibilité du mécanisme RDIE envisagé avec le droit d’accès à un tribunal indépendant

87      Plusieurs gouvernements ayant présenté des observations ainsi que le Conseil font valoir que l’article 47 de la Charte et les autres textes d’origine européenne auxquels se réfère la demande d’avis, sont inapplicables au mécanisme RDIE envisagé.

88      Ils relèvent, à ce sujet, que ces textes ne lient pas le Canada et que l’AECG relève non pas du droit de l’Union, mais du droit international, seul droit applicable audit mécanisme.

89      D’autres gouvernements ayant présenté des observations ainsi que la Commission estiment, quant à eux, que l’article 47 de la Charte s’applique. Toutefois, contrairement à ce que suggère la demande d’avis, l’AECG serait conforme à cet article.

90      À cet égard, ils observent, tout d’abord, que le Tribunal de l’AECG aura un caractère « hybride », en ce sens qu’il intégrera non seulement des éléments juridictionnels de règlement des différends, mais également des éléments tirés des procédures d’arbitrage international. Parmi ces derniers éléments figureraient l’exigence de consultation préalable, de nombreuses composantes de la procédure devant le Tribunal, les conditions de nomination, de rémunération et de révocation des membres de celui-ci ainsi que l’absence d’effet erga omnes des sentences. En outre, le Tribunal de l’AECG ne serait pas une juridiction obligatoire, l’investisseur pouvant soumettre un différend soit devant une juridiction ordinaire, soit devant ce tribunal. Il s’ensuivrait que l’exigence d’indépendance ne s’applique pas audit Tribunal de la même manière qu’à une juridiction ordinaire.

91      Ensuite, ils soulignent que, contrairement à la plupart des dispositions de l’AECG, le chapitre huit, section F, de celui-ci n’est pas appliqué à titre provisoire et que les aspects à l’origine des doutes du Royaume de Belgique en ce qui concerne la compatibilité du mécanisme RDIE envisagé avec le droit d’accès à un tribunal indépendant, à savoir l’accès à ce mécanisme pour les petites et moyennes entreprises, les conditions de nomination, de rémunération et de révocation des membres du Tribunal et du Tribunal d’appel de l’AECG ainsi que les règles d’éthique applicables à ceux-ci, doivent tous encore être mis au point. L’existence d’un engagement concernant de telles précisions découlerait clairement de l’article 8.27, paragraphe 15, de l’article 8.39, paragraphe 6, et de l’article 8.44, paragraphe 2, de l’AECG, du point 6, sous f) et h), de l’instrument interprétatif commun, ainsi que de la déclaration no 36.

92      Dès lors que, dans le cadre d’un avis, la Cour doit examiner l’accord tel qu’« envisagé », il conviendrait de tenir compte dudit engagement qui, une fois mis en œuvre, renforcerait les garanties d’ores et déjà incorporées dans l’AECG.

93      Enfin, lesdits gouvernements, le Conseil et la Commission font valoir que, même s’il est fait abstraction des améliorations annoncées, les soucis exprimés dans la demande d’avis sont non fondés.

94      En ce qui concerne, premièrement, l’accès des petites et moyennes entreprises au Tribunal de l’AECG, ils rappellent que les investisseurs ne sont pas obligés de porter leurs différends devant ce tribunal, les voies de recours devant les juridictions internes des Parties, qui offrent toutes les garanties en termes d’aide juridictionnelle, leur étant également ouvertes. Par conséquent, si un investisseur devait se trouver dans l’impossibilité financière de porter un différend devant le Tribunal de l’AECG, il ne serait pas pour autant privé de son droit d’accès à un tribunal indépendant.

95      Par ailleurs, l’octroi d’une aide juridictionnelle ne serait pas un paramètre fiable pour déterminer si le droit fondamental d’accès à un tribunal est respecté.

96      Ils observent également que la règle énoncée à l’article 8.39, paragraphe 5, de l’AECG, selon laquelle les dépens devant le Tribunal de l’AECG sont en principe supportés par la partie perdante, ne diffère pas de celle habituellement applicable devant les juridictions ordinaires.

97      S’agissant, deuxièmement, des conditions de rémunération des membres du Tribunal de l’AECG, lesdits gouvernements, le Conseil ainsi que la Commission estiment que le Royaume de Belgique qualifie à tort le Comité mixte de l’AECG d’« organe exécutif ». Ils observent, à cet égard, que toute décision assortie d’effets juridiques que prendra ce Comité devra être conforme à l’article 218, paragraphe 9, TFUE, ce qui aura pour effet d’amener le Conseil et la Commission à jouer un rôle essentiel dans ce processus décisionnel.

98      L’article 8.27, paragraphe 12, de l’AECG, qui prévoit que le Comité mixte de l’AECG fixera la rétribution mensuelle des membres du Tribunal de l’AECG, ne serait donc nullement problématique. En outre, eu égard à l’exigence d’indépendance visée à l’article 8.30, paragraphe 1, de l’AECG, ce Comité devra garantir que le montant et le mode de détermination de cette rétribution ne remettent pas en cause l’indépendance desdits membres. Il en irait de même en ce qui concerne le salaire régulier visé à l’article 8.27, paragraphe 15, de l’AECG ainsi que de la rémunération des membres du Tribunal d’appel, visée à l’article 8.28, paragraphe 7, sous d), de cet accord.

99      Par ailleurs, dès lors que la rémunération des membres du Tribunal de l’AECG, prévue à l’article 8.27, paragraphe 14, de l’AECG, sera déterminée sur la base d’un barème fixé par le secrétaire général et le président du CIRDI, le Royaume de Belgique affirmerait à tort que cette rémunération dépendra de la charge de travail de ces membres.

100    Pour ce qui concerne, troisièmement, la nomination des membres du Tribunal de l’AECG, la plupart des gouvernements ayant présenté des observations ainsi que le Conseil et la Commission relèvent que les membres de juridictions internationales sont nommés par les gouvernements concernés et donc par le pouvoir exécutif.

101    S’agissant, quatrièmement, des conditions de révocation des membres du Tribunal de l’AECG, ces mêmes gouvernements et institutions font remarquer qu’il est habituel de prévoir la possibilité, pour les Parties à un accord instituant une juridiction internationale, de relever de leurs fonctions les membres de cette juridiction. Tel serait notamment le cas pour la Cour pénale internationale.

102    En ce qui concerne, cinquièmement, les règles d’éthique applicables aux membres des tribunaux envisagés, ce serait à tort que le Royaume de Belgique observe que ceux-ci ne devront pas déclarer leurs activités extérieures. Il ressortirait, en effet, de l’article 8.30, paragraphe 1, de l’AECG que lesdits membres devront se conformer aux lignes directrices de l’IBA ou à toute autre règle adoptée par le Comité des services et de l’investissement de l’AECG en vertu de l’article 8.44, paragraphe 2, de l’AECG. Or, les lignes directrices de l’IBA prévoiraient une obligation de transparence étendue pour tous les éléments susceptibles d’affecter l’impartialité ou l’indépendance des juges.

103    Si, pour le reste, les membres des tribunaux envisagés pourront exercer des activités extérieures, cela serait justifié par le fait que, dans un premier temps, ces membres ne seront pas occupés à temps plein. Ce serait la raison pour laquelle l’article 8.27, paragraphe 12, de l’AECG prévoit que, lorsqu’il n’y a pas de différend, il ne sera versé auxdits membres qu’une rétribution mensuelle pour leur disponibilité.

104    Si, dans ces circonstances, les membres des tribunaux envisagés n’étaient pas autorisés à exercer une activité extérieure, ils ne disposeraient pas d’une garantie de revenus suffisants.


V.      Prise de position de la Cour

105    À titre liminaire, il y a lieu de constater que la demande d’avis concerne le chapitre huit, section F, de l’AECG et que, eu égard à la circonstance rappelée au point 3 du présent avis, elle porte bien sur un « accord envisagé », au sens de l’article 218, paragraphe 11, TFUE. Cette demande est donc recevable, aucun des gouvernements ou institutions ayant participé à la procédure n’ayant au demeurant exprimé un doute à cet égard.

A.      Sur la compatibilité du mécanisme RDIE envisagé avec l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union

1.      Principes

106    Il y a lieu de rappeler, d’emblée, qu’un accord international prévoyant la création d’une juridiction chargée de l’interprétation de ses dispositions et dont les décisions lient l’Union est, en principe, compatible avec le droit de cette dernière. En effet, la compétence de l’Union en matière de relations internationales et sa capacité à conclure des accords internationaux comportent nécessairement la faculté de se soumettre aux décisions d’une juridiction créée ou désignée en vertu de tels accords, pour ce qui concerne l’interprétation et l’application de leurs dispositions [avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, point 182 ; voir également avis 1/91 (Accord EEE – I), du 14 décembre 1991, EU:C:1991:490, points 40 et 70, ainsi que 1/09 (Accord sur la création d’un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets), du 8 mars 2011, EU:C:2011:123, point 74].

107    Un accord international conclu par l’Union peut, par ailleurs, avoir des incidences sur les compétences des institutions de l’Union pourvu, toutefois, que les conditions essentielles de préservation de la nature de ces compétences soient remplies et que, partant, il ne soit pas porté atteinte à l’autonomie de l’ordre juridique de celle-ci [voir, notamment, avis 1/00 (Accord sur la création d’un espace aérien européen commun), du 18 avril 2002, EU:C:2002:231, points 20 et 21, ainsi que 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, point 183].

108    Il s’ensuit que l’AECG, en ce qu’il prévoit, comme il découle du point 6, sous f), g) et i), de l’instrument interprétatif commun et ainsi que M. l’avocat général l’a observé au point 18 de ses conclusions, une judiciarisation du règlement des différends entre les investisseurs et les États par l’instauration d’un Tribunal et d’un Tribunal d’appel de l’AECG et, à plus long terme, d’un Tribunal multilatéral des investissements, ne peut être compatible avec le droit de l’Union qu’à la condition de ne pas porter atteinte à l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union.

109    Cette autonomie, qui existe au regard tant du droit des États membres que du droit international, découle des caractéristiques essentielles de l’Union et de son droit. Ce dernier se caractérise en effet par la circonstance d’être issu d’une source autonome, constituée par les traités, par sa primauté par rapport aux droits des États membres ainsi que par l’effet direct de toute une série de dispositions applicables à leurs ressortissants et à eux-mêmes. De telles caractéristiques ont donné lieu à un réseau structuré de principes, de règles et de relations juridiques mutuellement interdépendantes liant, réciproquement, l’Union elle-même et ses États membres, ainsi que ceux-ci entre eux (voir, notamment, arrêt du 10 décembre 2018, Wightman e.a., C‑621/18, EU:C:2018:999, point 45 ainsi que jurisprudence citée).

110    Ladite autonomie réside ainsi dans la circonstance que l’Union est dotée d’un cadre constitutionnel qui lui est propre. Relèvent de ce cadre les valeurs fondatrices énoncées à l’article 2 TUE, aux termes duquel l’Union « est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme », les principes généraux du droit de l’Union, les dispositions de la Charte, ainsi que les dispositions des traités UE et FUE, lesquelles comportent, notamment, les règles d’attribution et de répartition des compétences, les règles de fonctionnement des institutions de l’Union et du système juridictionnel de celle-ci, ainsi que les règles fondamentales dans des domaines spécifiques, structurées de manière à contribuer à la réalisation du processus d’intégration rappelé à l’article 1er, deuxième alinéa, TUE [voir, en ce sens, avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, point 158].

111    Pour garantir la préservation de ces caractéristiques spécifiques et de l’autonomie de l’ordre juridique ainsi créé, les traités ont institué un système juridictionnel destiné à assurer la cohérence et l’unité dans l’interprétation du droit de l’Union. Conformément à l’article 19 TUE, c’est aux juridictions nationales et à la Cour qu’il appartient de garantir la pleine application de ce droit dans l’ensemble des États membres ainsi que la protection juridictionnelle effective, la Cour détenant une compétence exclusive pour fournir l’interprétation définitive dudit droit. À cette fin, ce système comporte, en particulier, la procédure du renvoi préjudiciel prévue à l’article 267 TFUE [avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, points 174 à 176 et 246].

112    En l’occurrence, eu égard aux interrogations soulevées dans la demande d’avis, il y a lieu d’examiner si le mécanisme RDIE prévu au chapitre huit, section F, de l’AECG est de nature à empêcher l’Union de fonctionner conformément au cadre constitutionnel susvisé.

113    Aux fins de cet examen, il y a lieu de constater, d’emblée, que le mécanisme RDIE envisagé se situe en dehors du système juridictionnel de l’Union.

114    En effet, le for envisagé par l’AECG est distinct des juridictions internes du Canada, de l’Union et des États membres de celle-ci. Le Tribunal et le Tribunal d’appel de l’AECG ne sauraient, dès lors, être considérés comme faisant partie du système juridictionnel de l’une ou de l’autre de ces Parties.

115    Toutefois, le caractère extérieur du mécanisme RDIE envisagé par rapport au système juridictionnel de l’Union ne signifie pas, en lui-même, que ce mécanisme porte atteinte à l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union.

116    En effet, s’agissant des accords internationaux conclus par l’Union, la compétence des juridictions visées à l’article 19 TUE pour interpréter et appliquer ces accords ne prévaut ni sur celle des juridictions des États tiers avec lesquels ces accords ont été conclus ni sur celle des juridictions internationales que de tels accords instaurent.

117    Partant, si lesdits accords font partie intégrante du droit de l’Union et peuvent dès lors faire l’objet de renvois préjudiciels (voir, notamment, arrêts du 30 avril 1974, Haegeman, 181/73, EU:C:1974:41, points 5 et 6 ; du 25 février 2010, Brita, C‑386/08, EU:C:2010:91, point 39, ainsi que du 22 novembre 2017, Aebtri, C‑224/16, EU:C:2017:880, point 50), ils concernent tout autant lesdits États tiers et peuvent donc également être interprétés par les juridictions de ces États. C’est, en outre, précisément en raison du caractère réciproque des accords internationaux et de la nécessité de préserver la compétence de l’Union dans les relations internationales qu’il est loisible pour celle-ci, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 106 du présent avis, de conclure un accord qui confère à une juridiction internationale la compétence pour interpréter cet accord sans que cette juridiction soit soumise aux interprétations dudit accord que fournissent les juridictions des Parties.

118    Il résulte de ces éléments que le droit de l’Union ne s’oppose ni à ce que le chapitre huit, section F, de l’AECG prévoie la création d’un tribunal, d’un tribunal d’appel et, ultérieurement, d’un tribunal multilatéral des investissements ni à ce qu’il leur confère la compétence pour interpréter et appliquer les dispositions de l’accord à l’aune des règles et des principes de droit international applicables entre les Parties. En revanche, ces tribunaux étant extérieurs au système juridictionnel de l’Union, ils ne sauraient être habilités à interpréter ou à appliquer des dispositions du droit de l’Union autres que celles de l’AECG ou à rendre des sentences qui puissent avoir pour effet d’empêcher les institutions de l’Union de fonctionner conformément au cadre constitutionnel de celle-ci.

119    Par conséquent, afin de vérifier la compatibilité du mécanisme RDIE envisagé avec l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union, il importe de s’assurer :

–       que le chapitre huit, section F, de l’AECG ne confère aux tribunaux envisagés aucune compétence d’interprétation ou d’application du droit de l’Union autre que celle d’interpréter et d’appliquer les dispositions de cet accord à l’aune des règles et des principes de droit international applicables entre les Parties, et

–       que ledit chapitre huit, section F, n’aménage pas les compétences de ces tribunaux de manière à ce que ceux-ci, sans pour autant procéder eux-mêmes à l’interprétation ou à l’application des règles du droit de l’Union autres que celles dudit accord, puissent rendre des sentences ayant pour effet d’empêcher les institutions de l’Union de fonctionner conformément au cadre constitutionnel de celle-ci.

2.      Sur l’absence de compétence pour interpréter et appliquer des règles du droit de l’Union autres que les dispositions de l’AECG

120    L’article 8.18 de l’AECG, qui figure au chapitre huit, section F, de celui-ci, confère au Tribunal de l’AECG la compétence pour examiner toute plainte d’un investisseur d’une Partie selon laquelle une autre Partie a violé une obligation prévue aux sections C (articles 8.6 à 8.8) ou D (articles 8.9 à 8.14) de ce chapitre huit.

121    À cette fin, ce tribunal appliquera, aux termes de l’article 8.31, paragraphe 1, de l’AECG, « le présent accord tel qu’il est interprété en conformité avec la [convention de Vienne], et les autres règles et principes de droit international applicables entre les Parties ». En revanche, ledit Tribunal n’aura pas compétence, ainsi que le précise l’article 8.31, paragraphe 2, première phrase, de cet accord, « pour statuer sur la légalité d’une mesure dont il est allégué qu’elle constitue une violation du présent accord en se fondant sur le droit interne d’une Partie ».

122    Il en découle que la compétence d’interprétation et d’application conférée à ce tribunal se limite aux dispositions de l’AECG et qu’une telle interprétation ou application doit être effectuée conformément aux règles et aux principes de droit international applicables entre les Parties.

123    Le chapitre huit, section F, de l’AECG se distingue en cela du projet d’accord portant création d’un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets, déclaré incompatible avec le droit de l’Union dans l’avis 1/09 (Accord sur la création d’un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets), du 8 mars 2011 (EU:C:2011:123).

124    En effet, le « droit applicable » dans le cadre de ce projet, défini à son article 14 bis, incluait, entre autres, « la législation communautaire directement applicable, notamment le règlement [...] du Conseil sur le brevet communautaire, et la législation nationale [...] mettant en œuvre la législation communautaire ». La Cour en a déduit, au point 78 de cet avis, que la juridiction du brevet dont la création était envisagée serait appelée à interpréter et à appliquer non seulement les dispositions de l’accord en question, mais également le futur règlement sur le brevet communautaire ainsi que d’autres instruments du droit de l’Union, notamment des règlements et des directives avec lesquels ledit règlement devrait, le cas échéant, être lu conjointement. Elle a également souligné, audit point, que cette juridiction pourrait être appelée à trancher un litige pendant devant elle au regard des droits fondamentaux et des principes généraux du droit de l’Union, voire à examiner la validité d’un acte de l’Union.

125    Ces éléments ont contribué au constat, par la Cour, selon lequel la conclusion dudit projet d’accord aurait dénaturé les compétences que les traités confèrent aux institutions de l’Union et aux États membres qui sont essentielles à la préservation de la nature même du droit de l’Union [avis 1/09 (Accord sur la création d’un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets), du 8 mars 2011, EU:C:2011:123, point 89].

126    Le chapitre huit, section F, de l’AECG se distingue également de l’accord d’investissement en cause dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt du 6 mars 2018, Achmea (C‑284/16, EU:C:2018:158), dès lors que, ainsi que la Cour l’a relevé aux points 42, 55 et 56 de cet arrêt, cet accord instituait un tribunal amené à résoudre des litiges pouvant concerner l’interprétation ou l’application du droit de l’Union.

127    Ledit arrêt concernait, en outre, un accord entre des États membres. Or, la question de la compatibilité, avec le droit de l’Union, de l’instauration ou du maintien d’un tribunal d’investissement par un tel accord diffère de celle de la compatibilité, avec ce droit, de l’instauration d’un tel tribunal par un accord entre l’Union et un État tiers (arrêt du 6 mars 2018, Achmea, C‑284/16, EU:C:2018:158, points 57 et 58).

128    En effet, les États membres sont, dans tout domaine qui relève du droit de l’Union, tenus au respect du principe de confiance mutuelle. Ce principe impose à chacun de ces États de considérer, sauf dans des circonstances exceptionnelles, que tous les autres États membres respectent le droit de l’Union, en ce compris les droits fondamentaux, tels que le droit à un recours effectif devant un tribunal indépendant énoncé à l’article 47 de la Charte [voir notamment, en ce sens, avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, point 191, et arrêt du 26 avril 2018, Donnellan, C‑34/17, EU:C:2018:282, points 40 et 45].

129    Or, ce principe de confiance mutuelle, notamment s’agissant du respect du droit à un recours effectif devant un tribunal indépendant, ne s’applique pas dans les relations entre l’Union et un État tiers.

130    La constatation opérée au point 122 du présent avis n’est pas infirmée par l’article 8.31, paragraphe 2, de l’AECG, qui prévoit que, « en statuant sur la conformité d’une mesure au présent accord, le Tribunal peut tenir compte, s’il y a lieu, du droit interne d’une Partie en tant que question de fait » et énonce que, « [d]ans un tel cas, le Tribunal suit l’interprétation dominante donnée au droit interne par les juridictions ou les autorités de cette Partie », en ajoutant que « le sens donné au droit interne par le Tribunal ne lie pas les juridictions et les autorités de cette Partie ».

131    En effet, ces précisions n’ont pas d’autre objet que celui de refléter la circonstance que le Tribunal de l’AECG, lorsqu’il sera amené à examiner la conformité avec l’AECG de la mesure contestée par l’investisseur qui a été adoptée par l’État d’accueil de l’investissement ou par l’Union, devra inévitablement procéder, sur le fondement des informations et des arguments qui lui seront présentés par ledit investisseur ainsi que par cet État ou par l’Union, à un examen de la portée de ladite mesure. Cet examen peut, le cas échéant, nécessiter une prise en compte du droit interne de la Partie défenderesse. Or, ainsi que l’article 8.31, paragraphe 2, de l’AECG l’indique sans ambiguïté, ledit examen ne saurait être assimilé à une interprétation, par le Tribunal de l’AECG, de ce droit interne, mais consiste, au contraire, en une prise en compte de ce droit en tant que question de fait, ce tribunal étant, à cet égard, tenu de suivre l’interprétation dominante dudit droit donnée par les juridictions et les autorités de ladite Partie, et ces juridictions ainsi que ces autorités n’étant, au demeurant, pas liées par le sens qui serait donné à leur droit interne par ledit tribunal.

132    L’absence de compétence pour interpréter les règles du droit de l’Union autres que les dispositions de l’AECG est également reflétée à l’article 8.21 de cet accord, qui confère non pas au Tribunal de l’AECG, mais à l’Union le pouvoir de déterminer, lorsqu’un investisseur canadien vise à contester des mesures adoptées par un État membre et/ou par l’Union, si le différend doit, eu égard aux règles de répartition des compétences entre l’Union et ses États membres, être porté contre ledit État membre ou contre l’Union. La compétence exclusive de la Cour pour statuer sur la répartition des compétences entre l’Union et ses États membres est ainsi préservée, le chapitre huit, section F, de l’AECG se distinguant à cet égard du projet d’accord qui a fait l’objet de l’avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014 (EU:C:2014:2454, points 224 à 231).

133    Le Tribunal d’appel de l’AECG ne sera pas, non plus, amené à interpréter ou à appliquer les règles du droit de l’Union autres que les dispositions de l’AECG. En effet, l’article 8.28, paragraphe 2, sous a), de cet accord énonce que le Tribunal d’appel pourra « confirmer, modifier ou infirmer une sentence rendue par le Tribunal pour [...] erreurs dans l’application ou l’interprétation du droit applicable », ce « droit applicable » visant, eu égard au droit pouvant être appliqué par le Tribunal de l’AECG en vertu de l’article 8.31, paragraphe 1, de cet accord, l’AECG ainsi que les règles et les principes de droit international à l’aune desquels ledit accord doit être interprété et appliqué. Si l’article 8.28, paragraphe 2, sous b), de l’AECG ajoute que le Tribunal d’appel pourra également constater des « erreurs manifestes dans l’appréciation des faits, y compris l’appréciation du droit interne pertinent », il résulte néanmoins de ce qui précède qu’il ne relève pas de l’intention des Parties de conférer au Tribunal d’appel une compétence d’interprétation du droit interne.

134    Le Tribunal et le Tribunal d’appel de l’AECG étant extérieurs au système juridictionnel de l’Union et leur compétence d’interprétation étant limitée aux dispositions de l’AECG à l’aune des règles et des principes de droit international applicables entre les Parties, il est, pour le reste, cohérent que l’AECG ne prévoie aucune procédure d’implication préalable qui habiliterait ou obligerait ce tribunal ou ce tribunal d’appel à saisir la Cour à titre préjudiciel.

135    Pour les mêmes raisons, il est, par ailleurs, cohérent que l’AECG confère à ces tribunaux le pouvoir de statuer définitivement sur le différend porté par un investisseur contre l’État d’accueil de son investissement ou contre l’Union, sans instaurer une procédure de réexamen de la sentence par une juridiction de cet État ou par la Cour et sans permettre à l’investisseur – sous réserve des exceptions ciblées énumérées à l’article 8.22, paragraphe 5, de l’AECG – de porter, pendant ou à l’issue de la procédure devant lesdits tribunaux, le même différend devant une juridiction dudit État ou devant la Cour.

136    Il résulte de ce qui précède que le chapitre huit, section F, de l’AECG ne confère aux tribunaux envisagés aucune compétence d’interprétation ou d’application du droit de l’Union autre que celle portant sur les dispositions de cet accord.

3.      Sur l’absence d’effet sur le fonctionnement des institutions de l’Union conformément au cadre constitutionnel de celle-ci

137    Le Royaume de Belgique et certains des gouvernements ayant présenté des observations ont souligné que, afin de trancher les différends portés devant lui contre l’Union, le Tribunal de l’AECG pourrait, dans le cadre de son examen des faits pertinents, lesquels peuvent comprendre le droit primaire sur le fondement duquel la mesure contestée a été adoptée, mettre en balance l’intérêt constitué par la liberté d’entreprise, invoqué par l’investisseur requérant, avec les intérêts publics, énoncés dans les traités UE et FUE ainsi que dans la Charte, invoqués par l’Union à l’appui de sa défense.

138    Ce tribunal serait ainsi amené à faire, sans pour autant formuler une interprétation de ces traités ou de la Charte, une appréciation de la portée de ceux-ci et à décider sur le fondement de ladite mise en balance, notamment, si la mesure de l’Union est « juste et équitable », au sens de l’article 8.10 de l’AECG, si elle constitue une expropriation indirecte, au sens de l’article 8.12 de cet accord, ou si elle doit être considérée comme étant une restriction injustifiée de la liberté de paiements et de transferts de capitaux telle que prévue à l’article 8.13 dudit accord. Ledit tribunal pourrait ainsi se prononcer sur des actes de droit dérivé de l’Union sur le fondement d’appréciations parallèles à celles que la Cour est habilitée à faire. Or, de telles appréciations du Tribunal de l’AECG conduiraient à des décisions définitives liant l’Union. Se poserait, dès lors, la question de savoir si de telles situations, qui risqueraient d’être fréquentes, porteraient atteinte à la compétence exclusive de la Cour dans l’interprétation définitive du droit de l’Union et, ainsi, à l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union.

139    Afin de répondre à cette interrogation, il y a lieu de relever, premièrement, que la définition de la notion d’« investissement », contenue à l’article 8.1 de l’AECG, est particulièrement étendue et permet ainsi aux tribunaux envisagés de prendre connaissance d’un large éventail de différends. Ceux introduits contre l’Union ou un État membre pourront, sous réserve des exceptions ciblées mentionnées dans l’AECG, porter sur des mesures dans tout domaine qui concerne, dans l’Union, l’exploitation d’entreprises et l’utilisation de biens meubles et immeubles, de titres financiers, de droits de propriété intellectuelle, de créances ou de tout autre type d’investissement.

140    Il convient de relever, deuxièmement, que, nonobstant l’article 8.21 de l’AECG, qui habilite l’Union à déterminer si, en cas de plainte déposée devant le Tribunal par un investisseur canadien, elle assumera elle-même le rôle de défendeur ou laissera cette tâche à l’État membre d’accueil de l’investissement, l’Union ne pourra pas s’opposer, lorsque la mesure contestée a été adoptée par elle, à ce que cette mesure soit examinée par ce tribunal. Il ressort, en effet, des règles procédurales énoncées dans l’AECG, et en particulier de l’article 8.25, paragraphe 1, de cet accord, que le défendeur, que ce soit l’État membre d’accueil de l’investissement ou l’Union elle-même, est censé consentir à ce que le différend soit réglé par ledit Tribunal.

141    Il y a lieu de constater, troisièmement, que, si, par la définition de la notion d’« investisseur » énoncée à son article 8.1, ainsi que par la précision contenue au point 6, sous d), de l’instrument interprétatif commun, l’AECG limite le droit de porter un différend devant le Tribunal de l’AECG contre l’Union ou un État membre aux personnes physiques et morales qui présentent un lien réel avec le Canada, il n’en demeure pas moins que cet accord permet à ces personnes de contester, devant ce tribunal, toute « mesure », au sens de l’article 1.1 de l’AECG, tel que délimité, s’agissant du chapitre huit de cet accord, par l’article 8.2 de celui-ci.

142    Dès lors que ledit article 1.1 définit le terme « mesure » comme comprenant « une loi, un règlement, une règle, une procédure, une décision, un acte administratif, une prescription, une pratique ou tout autre type de mesure d’une Partie », les différends contre l’Union pourront porter sur tout type d’acte ou de pratique de celle-ci, pourvu que, conformément à l’article 8.2 de l’AECG, lu en combinaison avec le chapitre  huit, sections C, D et F, de cet accord, l’acte ou la pratique en cause « concerne » un « investissement visé », au sens de l’article 8.1 du même accord ou l’« investisseur de l’autre Partie » en ce qui concerne cet investissement visé.

143    S’il ressort ainsi de l’AECG que le différend doit porter sur une mesure qui concerne le requérant ou son investissement visé, cet accord n’exclut toutefois pas que cette mesure ait une portée générale ou mette en œuvre un acte de portée générale.

144    Quatrièmement, il y a lieu de relever que, si le Tribunal de l’AECG ne peut, ainsi qu’il ressort du terme « uniquement » figurant à l’article 8.39, paragraphe 1, de cet accord et du libellé du paragraphe 4 de cet article, ni annuler la mesure contestée ou exiger la mise en conformité du droit interne de la Partie concernée avec l’AECG ni infliger une sanction à la Partie défenderesse, il peut, en revanche, lorsqu’il constate que cette mesure viole l’une des dispositions du chapitre huit, section C ou D, de l’AECG, condamner, en vertu de la disposition sous a) dudit article 8.39, paragraphe 1, la Partie défenderesse à verser à l’investisseur requérant une somme visant à compenser les dommages subis par celui-ci en raison de ladite violation et incluant tout intérêt applicable.

145    Dès lors que l’article 8.41, paragraphe 2, de l’AECG précise qu’« une partie au différend reconnaît la sentence et s’y conforme sans retard », l’Union devra procéder au paiement de cette somme lorsqu’elle se voit condamnée par une sentence définitive du Tribunal de l’AECG ou, selon les modalités énoncées à l’article 8.28, paragraphe 9, de cet accord, du Tribunal d’appel de l’AECG.

146    À cet égard, il convient d’observer que la compétence, prévue à l’article 8.39, paragraphe 1, sous a), de l’AECG, pour les tribunaux envisagés, d’accorder à un investisseur privé des dommages-intérêts est un aspect du régime RDIE instauré par cet accord qui distingue ce régime du système, en vigueur dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC), de règlement des différends entre les parties contractantes à l’OMC, ce système étant en partie fondé sur des négociations entre ces parties contractantes et comportant plusieurs options pour mettre en œuvre des sentences (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2008, FIAMM e.a./Conseil et Commission, C‑120/06 P et C‑121/06 P, EU:C:2008:476, point 116).

147    Les caractéristiques de la compétence du Tribunal et du Tribunal d’appel de l’AECG exposées aux points 139 à 145 du présent avis sont, certes, cohérentes avec la protection des investisseurs étrangers visée par cet accord.

148    Toutefois, sans préjudice du cas de figure où les Parties auraient convenu, dans le cadre de l’AECG, de rapprocher leurs législations, la compétence de ces tribunaux porterait atteinte à l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union si elle était aménagée de manière à ce que lesdits tribunaux puissent, dans le cadre de leurs appréciations de restrictions de la liberté d’entreprise visées dans une plainte, mettre en cause le niveau de protection d’un intérêt public ayant présidé à l’introduction de telles restrictions par l’Union à l’égard de l’ensemble des opérateurs qui investissent dans le secteur commercial ou industriel en cause du marché intérieur, plutôt que de se limiter à vérifier si le traitement d’un investisseur ou d’un investissement visé est entaché d’un vice mentionné au chapitre huit, section C ou D, de l’AECG.

149    En effet, si le Tribunal et le Tribunal d’appel de l’AECG étaient compétents pour rendre des sentences constatant que le traitement d’un investisseur canadien est incompatible avec l’AECG en raison du niveau de protection d’un intérêt public fixé par les institutions de l’Union, cette dernière risquerait d’être amenée, sous peine d’être itérativement contrainte par le Tribunal de l’AECG à verser des dommages-intérêts à l’investisseur requérant, à renoncer à atteindre ce niveau de protection.

150    Si l’Union concluait un accord international susceptible d’avoir pour effet que l’Union – ou un État membre dans le cadre de la mise en œuvre du droit de l’Union – doive modifier ou retirer une réglementation en raison d’une appréciation faite par un tribunal extérieur à son système juridictionnel du niveau de protection d’un intérêt public fixé, conformément au cadre constitutionnel de l’Union, par les institutions de celle-ci, force serait de conclure qu’un tel accord compromet la capacité de l’Union à fonctionner de manière autonome dans son propre cadre constitutionnel.

151    Il y a lieu de souligner, à cet égard, que le législateur de l’Union adopte les réglementations de celle-ci à l’issue du processus démocratique défini dans les traités UE et FUE, et que ces réglementations sont censées, en vertu des principes d’attribution des compétences, de subsidiarité et de proportionnalité édictés à l’article 5 TUE, être à la fois appropriées et nécessaires pour réaliser un objectif légitime de l’Union. Conformément à l’article 19 TUE, c’est au juge de l’Union qu’il appartient d’assurer le contrôle de la conformité du niveau de protection des intérêts publics fixé par une telle réglementation avec, notamment, les traités UE et FUE, la Charte et les principes généraux du droit de l’Union.

152    En ce qui concerne la compétence des tribunaux envisagés pour constater des violations des obligations contenues au chapitre huit, section C, de l’AECG, l’article 28.3, paragraphe 2, de cet accord énonce que les dispositions de cette section C ne pourront pas être interprétées comme empêchant une Partie d’adopter et d’appliquer les mesures nécessaires à la protection de la sécurité publique ou de la moralité publique, au maintien de l’ordre public, à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux, sous la seule réserve que de telles mesures ne soient pas appliquées de manière à constituer un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les Parties où des conditions similaires existent, ou une restriction déguisée au commerce entre les Parties.

153    Il ressort de ce qui précède que, dans ces conditions, le Tribunal de l’AECG n’est pas compétent pour reconnaître le caractère incompatible avec l’AECG du niveau de protection d’un intérêt public fixé par les mesures de l’Union visées au point 152 du présent avis et pour condamner, sur ce fondement, l’Union au paiement de dommages-intérêts.

154    De la même manière, en ce qui concerne la compétence des tribunaux envisagés pour constater des violations des obligations contenues au chapitre huit, section D, de l’AECG, l’article 8.9, paragraphe 1, de cet accord rappelle explicitement le droit des Parties « de réglementer sur leurs territoires en vue de réaliser des objectifs légitimes en matière de politique, tels que la protection de la santé publique, de la sécurité, de l’environnement ou de la moralité publique, la protection sociale ou des consommateurs, ou la promotion et la protection de la diversité culturelle ». Par ailleurs, l’article 8.9, paragraphe 2, dudit accord prévoit qu’« [i]l est entendu que le simple fait qu’une Partie exerce son droit de réglementer, notamment par la modification de sa législation, d’une manière qui a des effets défavorables sur un investissement ou qui interfère avec les attentes d’un investisseur, y compris ses attentes de profit, ne constitue pas une violation d’une obligation prévue dans la présente section ».

155    En outre, le point 1, sous d), et le point 2 de l’instrument interprétatif commun disposent que l’AECG « n’aura pas [...] pour effet d’affaiblir [les] normes et réglementations [de chaque Partie] concernant l’innocuité alimentaire, la sécurité des produits, la protection des consommateurs, la santé, l’environnement ou la protection du travail », que « [l]es biens importés, les fournisseurs de services et les investisseurs doivent continuer de respecter les exigences imposées au niveau national, y compris les règles et réglementations applicables », et que l’AECG « préserve la capacité de l’Union [...] et de ses États membres ainsi que du Canada à adopter et à appliquer leurs propres dispositions législatives et réglementaires destinées à réglementer les activités économiques dans l’intérêt public ».

156    Il ressort d’une lecture combinée de ces dispositions que le pouvoir d’appréciation du Tribunal et du Tribunal d’appel de l’AECG ne va pas jusqu’à leur permettre de remettre en cause le niveau de protection d’un intérêt public défini par l’Union à l’issue d’un processus démocratique.

157    Telle est également la portée du point 3 de l’annexe 8-A de l’AECG, aux termes duquel « [i]l est entendu que, sauf dans de rares circonstances où l’impact d’une mesure ou d’une série de mesures est si grave au regard de leur but qu’elles semblent manifestement excessives, les mesures non discriminatoires d’une Partie qui sont conçues et appliquées afin de protéger des objectifs légitimes de bien-être public, notamment en matière de santé, de sécurité et d’environnement, ne constituent pas une expropriation indirecte ».

158    Il importe d’ajouter que la compétence du Tribunal de l’AECG pour constater des violations de l’obligation, énoncée à l’article 8.10 de l’AECG, d’accorder un « traitement juste et équitable » aux investissements visés est spécifiquement circonscrite, dès lors que le paragraphe 2 de cet article énumère exhaustivement les cas de figure dans lesquels une telle constatation peut être faite.

159    À cet égard, les Parties se sont notamment focalisées sur des situations de traitement abusif, de traitement arbitraire manifeste et de discrimination ciblée, ce qui révèle, une fois encore, que le niveau requis de protection d’un intérêt public, tel qu’établi à l’issue d’un processus démocratique, échappe à la compétence dont sont investis les tribunaux envisagés pour vérifier si un traitement accordé par une Partie à un investisseur ou à un investissement visé est « juste et équitable ».

160    Il ressort ainsi de l’ensemble de ces clauses contenues dans l’AECG que, en délimitant expressément la portée du chapitre huit, sections C et D, de cet accord, seules sections pouvant être invoquées devant les tribunaux envisagés par la section F de ce chapitre, les Parties ont pris le soin d’exclure toute compétence, pour ces tribunaux, de remettre en cause les choix démocratiquement opérés au sein d’une Partie en matière, notamment, de niveau de protection de l’ordre public, de la sécurité publique, de la moralité publique, de la santé et de la vie des personnes et des animaux, de l’innocuité alimentaire, des végétaux, de l’environnement, du bien-être au travail, de la sécurité des produits, des consommateurs ou encore des droits fondamentaux.

161    Eu égard aux éléments qui précèdent, il y a lieu de conclure que le chapitre huit, section F, de l’AECG ne porte pas atteinte à l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union.

B.      Sur la compatibilité du mécanisme RDIE envisagé avec le principe général d’égalité de traitement et avec l’exigence d’effectivité

1.      Principes

162    Les interrogations formulées dans la demande d’avis sur la compatibilité du mécanisme RDIE envisagé avec le principe général d’égalité de traitement portent sur la conformité de ce mécanisme avec l’article 20 de la Charte, qui énonce la garantie de l’« égalité en droit », et avec l’article 21, paragraphe 2, de la Charte, qui interdit les discriminations fondées sur la nationalité.

163    Or, selon plusieurs gouvernements ayant présenté des observations ainsi que le Conseil, il n’est pas requis que ledit mécanisme soit compatible avec ces dispositions de la Charte.

164    Il importe donc de déterminer, tout d’abord, si la demande d’avis, qui sollicite une prise de position sur la compatibilité du chapitre huit, section F, de l’AECG « avec les traités, en ce compris les droits fondamentaux », requiert ou non un examen au regard de la Charte.

165    À ce sujet, il y a lieu de rappeler que les accords internationaux conclus par l’Union doivent être pleinement compatibles avec les traités ainsi qu’avec les principes constitutionnels qui en découlent [voir, notamment, avis 1/15 (Accord PNR UE-Canada), du 26 juillet 2017, EU:C:2017:592, point 67, et arrêt du 27 février 2018, Western Sahara Campaign UK, C‑266/16, EU:C:2018:118, point 46].

166    L’article 218, paragraphe 11, TFUE, qui énonce qu’un État membre, le Parlement européen, le Conseil ou la Commission peut recueillir l’avis de la Cour sur la compatibilité d’un accord envisagé « avec les traités », doit être compris au regard de cette exigence générale de compatibilité avec le cadre constitutionnel de l’Union.

167    Doivent ainsi pouvoir être examinées dans le cadre de la procédure prévue à l’article 218, paragraphe 11, TFUE toutes les questions susceptibles de soulever des doutes quant à la validité matérielle ou formelle de l’accord au regard des traités. Le jugement sur la compatibilité d’un accord avec les traités peut, à cet égard, notamment dépendre non seulement de dispositions qui concernent la compétence, la procédure ou l’organisation institutionnelle de l’Union, mais également de dispositions du droit matériel. Il en va ainsi d’une question relative à la compatibilité d’un accord international envisagé avec les garanties consacrées par la Charte, celle-ci ayant la même valeur juridique que les traités [avis 1/15 (Accord PNR UE-Canada), du 26 juillet 2017, EU:C:2017:592, point 70].

168    S’agissant de l’article 21, paragraphe 2, de la Charte, aux termes duquel, « [d]ans le domaine d’application des traités et sans préjudice de leurs dispositions particulières, toute discrimination exercée en raison de la nationalité est interdite », celui-ci correspond, selon les explications relatives à la Charte (JO 2007, C 303, p. 17), à l’article 18, premier alinéa, TFUE et doit s’appliquer conformément à cette disposition du traité FUE.

169    Or, ainsi que la Cour l’a déjà précisé, l’article 18, premier alinéa, TFUE n’a pas vocation à s’appliquer dans le cas d’une éventuelle différence de traitement entre les ressortissants des États membres et ceux des États tiers (arrêt du 4 juin 2009, Vatsouras et Koupatantze, C‑22/08 et C‑23/08, EU:C:2009:344, point 52).

170    Il s’ensuit que l’article 21, paragraphe 2, de la Charte est dépourvu de pertinence lorsqu’il s’agit, comme le sollicite le Royaume de Belgique, d’examiner le point de savoir si le mécanisme RDIE envisagé est susceptible de conduire à une discrimination des investisseurs de l’Union par rapport aux investisseurs canadiens.

171    En revanche, l’article 20 de la Charte, qui dispose que « [t]outes les personnes sont égales en droit », ne prévoit aucune limitation expresse de son champ d’application et s’applique donc à toutes les situations régies par le droit de l’Union, telles que celles relevant du champ d’application d’un accord international conclu par celle-ci (voir, en ce sens, arrêts du 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C‑617/10, EU:C:2013:105, points 19 à 21 ; du 26 septembre 2013, Texdata Software, C‑418/11, EU:C:2013:588, point 72, et du 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund, C‑682/15, EU:C:2017:373, point 49).

172    Tout comme, sous certaines conditions, les investissements placés dans l’Union par les entreprises et les personnes physiques des États membres, ceux placés dans l’Union par les entreprises et les personnes physiques canadiennes relèvent du champ d’application du droit de l’Union et, partant, du champ de l’égalité en droit garantie à l’article 20 de la Charte. En effet, ce droit fondamental s’étend à toutes les personnes dont la situation relève du droit de l’Union, indépendamment de leur origine.

173    Certes, ainsi que le Conseil l’a observé, l’article 20 de la Charte n’oblige pas l’Union à consentir, dans ses relations extérieures, un traitement égal à différents États tiers (arrêt du 21 décembre 2016, Swiss International Air Lines, C‑272/15, EU:C:2016:993, points 24 à 26 ainsi que jurisprudence citée).

174    Toutefois, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 198 et 199 de ses conclusions, cette jurisprudence n’empêche pas d’examiner si un accord international, en ce qu’il instaurerait une différence de traitement, dans l’Union même, entre les personnes d’un État tiers et celles des États membres, enfreint l’article 20 de la Charte.

175    Il y a dès lors lieu d’examiner les interrogations soulevées dans ce volet de la demande d’avis sous l’angle de l’article 20 de la Charte.

176    L’égalité en droit, énoncée à cet article, consacre le principe d’égalité de traitement, qui exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêts du 17 octobre 2013, Schaible, C‑101/12, EU:C:2013:661, point 76, ainsi que du 12 juillet 2018, Spika e.a., C‑540/16, EU:C:2018:565, point 35).

177    L’exigence tenant au caractère comparable des situations, afin de déterminer l’existence d’une violation du principe d’égalité de traitement, doit être appréciée au regard de l’ensemble des éléments qui les caractérisent et, notamment, à la lumière de l’objet et du but poursuivi par l’acte qui institue la distinction en cause, étant entendu qu’il doit être tenu compte, à cet effet, des principes et des objectifs du domaine dont relève cet acte (arrêts du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., C‑127/07, EU:C:2008:728, point 26 ; du 7 mars 2017, RPO, C‑390/15, EU:C:2017:174, point 42, ainsi que du 22 janvier 2019, Cresco Investigation, C‑193/17, EU:C:2019:43, point 42). Pour autant que les situations ne sont pas comparables, une différence de traitement des situations concernées ne viole pas l’égalité en droit consacrée à l’article 20 de la Charte (arrêt du 22 mai 2014, Glatzel, C‑356/12, EU:C:2014:350, point 84).

178    En ce qui concerne, enfin, l’exigence d’effectivité du droit de l’Union, la demande d’avis s’y réfère seulement dans le cadre d’une interrogation spécifique, qui porte sur le cas de figure dans lequel le Tribunal de l’AECG constaterait que l’imposition, sur le fondement d’une violation de l’article 101 TFUE ou de l’article 102 TFUE, d’une amende à un investisseur canadien est incompatible avec le chapitre huit, section C ou D, de l’AECG. Il conviendra, partant, d’examiner cette interrogation sous l’angle de l’exigence d’effectivité du droit de la concurrence de l’Union, qui exprime l’interdiction d’entraver l’application des dispositions du traité FUE visant au maintien d’une concurrence non faussée dans le marché intérieur (voir, notamment, arrêt du 5 juin 2014, Kone, C‑557/12, EU:C:2014:1317, point 32 et jurisprudence citée).

2.      Sur la compatibilité avec le principe d’égalité de traitement

179    Le traitement différencié évoqué dans la demande d’avis résulte de l’impossibilité, pour les entreprises et les personnes physiques des États membres qui investissent dans l’Union et qui sont soumises au droit de celle-ci, de contester des mesures de l’Union devant les tribunaux envisagés par l’AECG, tandis que les entreprises et les personnes physiques canadiennes qui investissent dans le même secteur commercial ou industriel du marché intérieur de l’Union pourront contester ces mesures devant lesdits tribunaux.

180    Toutefois, force est de constater que, si les entreprises et les personnes physiques canadiennes qui investissent dans l’Union se trouvent, au regard de l’objet et de la finalité – davantage exposés aux points 199 et 200 du présent avis – de l’insertion dans l’AECG de dispositions en matière de traitement non discriminatoire et de protection des investissements étrangers, dans une situation comparable à celle des entreprises et des personnes physiques des États membres qui investissent au Canada, leur situation n’est, en revanche, pas comparable à celle des entreprises et des personnes physiques des États membres qui investissent dans l’Union.

181    À cet égard, il convient de relever que la possibilité, pour les entreprises et les personnes physiques canadiennes qui investissent dans l’Union, de se prévaloir de l’AECG devant les tribunaux envisagés, vise à conférer à ces personnes canadiennes, en leur qualité d’investisseurs étrangers, une voie spécifique d’action contre des mesures de l’Union, tandis que les entreprises et les personnes physiques des États membres qui, à l’instar desdites personnes canadiennes, investissent dans l’Union, n’y sont pas des investisseurs étrangers et n’auront donc pas d’accès à cette voie spécifique d’action, ne pouvant, au demeurant, eu égard à la règle inscrite à l’article 30.6, paragraphe 1, de l’AECG, pas non plus se prévaloir directement des règles contenues dans cet accord devant les juridictions des États membres et de l’Union.

182    Le constat opéré au point 180 du présent avis n’est pas infirmé par le fait, mentionné dans la demande d’avis, que les dommages-intérêts octroyés par le Tribunal de l’AECG à un investisseur canadien devront, conformément à l’article 8.39, paragraphe 2, sous a), de cet accord, être versés à l’entreprise établie dans l’Union que cet investisseur détient ou contrôle, lorsque c’est au nom de cette « entreprise établie localement » que ledit investisseur a déposé sa plainte devant ce tribunal.

183    Il suffit, à cet égard, de constater, comme M. l’avocat général l’a relevé au point 193 de ses conclusions, qu’une telle entreprise est elle-même un investissement de cet investisseur canadien, de telle sorte que l’implication de cette entreprise dans la procédure devant les tribunaux envisagés et dans l’exécution de la sentence n’est pas de nature à altérer le résultat susvisé de l’examen de la comparabilité de la situation des investisseurs canadiens et de celle des investisseurs de l’Union.

184    L’égalité de traitement entre ces deux catégories de personnes n’est pas non plus affectée par le fait que les Parties se sont abstenues d’exclure la possibilité, pour le Tribunal de l’AECG, de rendre une sentence selon laquelle l’amende infligée par la Commission ou par une autorité de la concurrence d’un État membre à un investisseur canadien en raison d’une violation de l’article 101 TFUE ou de l’article 102 TFUE, constitue une violation de l’une des dispositions du chapitre huit, sections C et D, de l’AECG.

185    Il y a lieu de considérer, à cet égard, que, au vu des dispositions de ces sections C et D, une telle sentence est concevable uniquement dans l’hypothèse où la décision infligeant l’amende s’avérerait entachée de l’un des vices mentionnés à l’article 8.10, paragraphe 2, de l’AECG ou priverait l’investisseur des attributs fondamentaux de son investissement, y compris du droit d’user, de jouir et de disposer de son investissement, au sens de l’annexe 8-A, point 1, sous b), de cet accord. Une telle sentence ne saurait, à l’inverse, être envisagée lorsqu’il a été fait une application régulière des règles de concurrence par la Commission ou par une autorité de la concurrence d’un État membre, les Parties à l’AECG ayant expressément admis, à l’article 17.2 de celui-ci, « l’importance d’une concurrence libre et non faussée dans leurs relations commerciales », et reconnu « que les comportements anticoncurrentiels sont susceptibles de fausser le bon fonctionnement des marchés et de réduire les avantages découlant de la libéralisation des échanges ».

186    Or, si une amende entachée d’un tel vice ou ayant un tel effet d’expropriation était infligée par la Commission ou par une autorité de la concurrence d’un État membre à un investisseur de l’Union, celui-ci disposerait des voies de recours nécessaires visant à faire annuler cette amende. Il s’ensuit que, s’il ne peut être exclu que, dans des circonstances exceptionnelles, une sentence du Tribunal de l’AECG telle que décrite dans la demande d’avis puisse avoir pour conséquence de neutraliser les effets d’une amende infligée en raison d’une violation de l’article 101 TFUE ou de l’article 102 TFUE, elle n’aura cependant pas pour effet de créer une inégalité de traitement au détriment d’un investisseur de l’Union auquel serait infligée une amende entachée d’un vice similaire.

3.      Sur la compatibilité avec l’exigence d’effectivité

187    Dans la mesure où la demande d’avis soulève la question de savoir si la possibilité, pour le Tribunal de l’AECG, de rendre une sentence ayant la portée décrite au point 184 du présent avis, risque de porter atteinte à l’effectivité du droit de la concurrence de l’Union, il suffit de constater que, dans les seuls cas, exposés au point 185 de cet avis, où une telle sentence apparaît concevable, la neutralisation de l’amende ne créerait pas un tel risque. En effet, ainsi qu’il a été exposé au point précédent du présent avis, le droit de l’Union permet lui-même l’annulation de l’amende lorsque celle-ci est entachée d’un vice correspondant à celui que le Tribunal de l’AECG pourrait constater.

188    Le chapitre huit, section F, de l’AECG n’entravant dès lors pas la pleine application des dispositions du traité FUE visant à garantir le maintien d’une concurrence non faussée dans le marché intérieur, il y a lieu de conclure, conformément à la jurisprudence rappelée au point 178 du présent avis, qu’il ne porte pas atteinte à l’exigence d’effectivité du droit de la concurrence de l’Union.

C.      Sur la compatibilité du mécanisme RDIE envisagé avec le droit d’accès à un tribunal indépendant

1.      Principes

189    Dans sa demande d’avis, le Royaume de Belgique s’est référé au droit, énoncé à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, à un recours devant un « tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi », ainsi qu’à « l’effectivité de l’accès à la justice » imposée au troisième alinéa de cet article.

190    À cet égard, il découle dudit article 47, au respect duquel l’Union est tenue en vertu de la jurisprudence rappelée aux points 165 et 167 du présent avis, que, en concluant un accord international qui comprend l’établissement d’organes ayant des caractéristiques juridictionnelles prédominantes et appelés à régler des différends, notamment, entre investisseurs privés et États, tels que le Tribunal et le Tribunal d’appel de l’AECG, l’Union est soumise, s’agissant des modalités d’accès à ces organes et de l’indépendance de ceux-ci, aux dispositions de l’article 47, deuxième et troisième alinéas, de la Charte.

191    Ainsi, l’Union doit veiller, au regard de la nature et des spécificités de tels organes ainsi que du contexte international dans lequel lesdits organes s’inscrivent, à ce que le chapitre huit, section F, de l’AECG et tout autre texte qui en détermine la portée garantissent que, une fois cet accord conclu et mis en œuvre, les tribunaux constitués auront, chacun, les caractéristiques d’un tribunal accessible et indépendant.

192    Cette constatation n’est pas infirmée par la circonstance que l’État tiers avec lequel l’Union négocie l’accord n’est pas concerné par les garanties offertes en droit de l’Union. En l’occurrence, si le Canada n’est certes pas lié par ces garanties, l’Union l’est toutefois et ne saurait donc, ainsi qu’il découle de la jurisprudence rappelée aux points 165 et 167 du présent avis, conclure un accord qui instaure des tribunaux compétents pour rendre des sentences obligatoires à l’égard de l’Union et pour traiter des différends portés devant eux par des justiciables de l’Union sans que lesdites garanties soient offertes.

193    Ladite constatation n’est pas non plus infirmée par le fait que le mécanisme RDIE envisagé est, ainsi qu’il a été observé devant la Cour, « hybride » en ce qu’il contient, outre des caractéristiques juridictionnelles, plusieurs éléments qui demeurent fondés sur les mécanismes traditionnels de l’arbitrage en matière d’investissements.

194    À ce dernier égard, il importe de relever que, si les règles contenues au chapitre huit, section F, de l’AECG sur l’introduction des affaires devant le Tribunal de l’AECG sont largement inspirées des mécanismes RDIE traditionnels, il en va autrement pour les règles relatives à la composition de ce tribunal et au traitement de ces affaires.

195    En particulier, l’article 8.27 de l’AECG, qui prévoit l’établissement d’un tribunal permanent de quinze membres et énonce, à son paragraphe 7, qu’une division de trois membres sera « chargée d’instruire l’affaire suivant un système de rotation, de sorte à assurer une composition aléatoire et imprévisible des divisions », et l’article 8.28, paragraphe 5, de cet accord, selon lequel la division du Tribunal d’appel de l’AECG constituée pour instruire l’appel est formée de trois membres sélectionnés au hasard, contrastent avec les règles en matière d’arbitrage et concrétisent la volonté des Parties, exprimée au point 6, sous f), de l’instrument interprétatif commun, que « [l]’AECG tourne résolument le dos à l’approche traditionnelle du règlement des différends en matière d’investissements et institue des tribunaux indépendants, impartiaux et permanents dans le domaine des investissements, inspirés des principes de systèmes judiciaires ».

196    Le « changement important et radical dans le domaine des règles en matière d’investissements et du règlement des différends », constaté à titre de conclusion par les Parties au point 6, sous i), de l’instrument interprétatif commun, est également attesté, aux termes du point 6, sous g), de celui-ci, par le fait que l’AECG prévoit un mécanisme d’appel afin, notamment, de garantir la « cohérence des décisions du Tribunal de première instance ».

197    Partant, sans qu’il soit nécessaire de savoir si les Parties qualifieront formellement ces tribunaux d’« organes judiciaires » ni si leurs membres porteront, ainsi que le suggère la déclaration no 36, le titre de « juge », il découle des éléments qui précèdent que lesdits tribunaux exerceront essentiellement des fonctions juridictionnelles. Ils seront permanents et auront une origine légale résidant dans les actes d’approbation de l’AECG adoptés par les Parties. Ils appliqueront, à l’issue d’une procédure contradictoire, des règles de droit, devront exercer leurs fonctions en toute autonomie et rendront des décisions définitives et obligatoires.

198    Concernant le caractère obligatoire de la compétence desdits tribunaux, il y a lieu de relever que cette compétence s’imposera non seulement à l’égard du défendeur, qui devra accepter celle-ci en vertu de l’article 8.25 de l’AECG, mais également à l’égard de l’investisseur requérant, dans l’hypothèse où celui-ci entend se prévaloir directement des dispositions de l’AECG. En effet, dès lors que l’article 30.6 de l’AECG prive les investisseurs de la possibilité de se prévaloir directement de l’AECG devant les juridictions internes des Parties, toute action directement fondée sur les dispositions de cet accord devra être introduite devant le Tribunal de l’AECG. Par la suite, tout appel contre la décision de ce tribunal devra être introduit devant le Tribunal d’appel de l’AECG.

199    En ce qui concerne le niveau d’accessibilité et d’indépendance auquel ces tribunaux doivent répondre afin que le chapitre huit, section F, de l’AECG puisse être considéré comme étant compatible avec l’article 47 de la Charte, il importe de relever que l’insertion dans l’AECG de dispositions en matière de traitement non discriminatoire et de protection des investissements, et l’instauration de tribunaux extérieurs aux systèmes juridictionnels des Parties pour assurer le respect de ces dispositions, ont pour but de donner pleine confiance aux entreprises et aux personnes physiques d’une Partie qu’elles seront traitées, quant à leurs investissements sur le territoire de l’autre Partie, sur un pied d’égalité par rapport aux entreprises et personnes physiques de cette dernière, et qu’elles bénéficieront de la sécurité de leurs investissements sur le territoire de cette autre Partie.

200    En prévoyant la création d’un tel mécanisme extérieur aux systèmes juridictionnels des Parties, le chapitre huit, section F, de l’AECG a, ainsi que l’ont observé le Conseil et la Commission, pour objet d’assurer que ladite confiance des investisseurs étrangers s’étende à l’instance compétente pour constater des violations, par l’État d’accueil de leurs investissements, des sections C et D de ce chapitre. Il s’avère, ainsi, que l’indépendance des tribunaux envisagés à l’égard de l’État d’accueil et l’accès à ces tribunaux pour les investisseurs étrangers, sont indissociablement liés à l’objectif du commerce libre et équitable énoncé à l’article 3, paragraphe 5, TUE et poursuivi par l’AECG.

201    S’agissant de la garantie d’accessibilité, celle-ci implique que la possibilité prévue à l’article 8.18 de l’AECG pour tout investisseur visé à l’article 8.1 de cet accord de porter un différend devant le Tribunal de l’AECG, afin de faire constater une violation de ladite section C ou D, puisse être limitée uniquement par des restrictions proportionnées, y compris celles liées au paiement des frais de justice, qui poursuivent un but légitime et ne portent pas atteinte à la substance même du droit d’accès à un tel tribunal (arrêt du 30 juin 2016, Toma et Biroul Executorului Judecătoresc Horațiu-Vasile Cruduleci, C‑205/15, EU:C:2016:499, point 44 et jurisprudence citée).

202    L’exigence d’indépendance est, quant à elle, inhérente à la mission de juger et comporte deux aspects. Le premier aspect, d’ordre externe, suppose que l’instance concernée exerce ses fonctions en toute autonomie, sans être soumise à aucun lien hiérarchique ou de subordination à l’égard de quiconque et sans recevoir d’ordres ou d’instructions de quelque origine que ce soit, étant ainsi protégée contre les interventions ou les pressions extérieures susceptibles de porter atteinte à l’indépendance de jugement de ses membres et d’influencer leurs décisions. Cette indispensable liberté à l’égard de tels éléments extérieurs exige certaines garanties propres à protéger la personne de ceux qui ont pour tâche de juger, telles que l’inamovibilité. La perception par ceux-ci d’un niveau de rémunération en adéquation avec l’importance des fonctions qu’ils exercent constitue également une garantie inhérente à l’indépendance [arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, points 63 et 64 ainsi que jurisprudence citée].

203    Le second aspect, d’ordre interne, rejoint la notion d’impartialité et vise l’égale distance par rapport aux parties au litige et à leurs intérêts respectifs au regard de l’objet de celui-ci. Cet aspect exige le respect de l’objectivité et l’absence de tout intérêt dans la solution du litige en dehors de la stricte application de la règle de droit [arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 65 et jurisprudence citée].

204    Ces garanties d’indépendance et d’impartialité postulent l’existence de règles, notamment en ce qui concerne la composition de l’instance, la nomination, la durée des fonctions ainsi que les causes d’abstention, de récusation et de révocation de ses membres, qui permettent d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de ladite instance à l’égard d’éléments extérieurs et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent [arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 66].

2.      Sur la compatibilité avec l’exigence d’accessibilité

205    Il ressort des articles 8.1 et 8.18 de l’AECG que cet accord vise à rendre le Tribunal de l’AECG accessible à toute entreprise et à toute personne physique canadienne qui investit dans l’Union ainsi qu’à toute entreprise et à toute personne physique d’un État membre de l’Union qui investit au Canada.

206    Le chapitre huit, section F, de l’AECG exprime, à cet égard, l’objectif des Parties d’aménager le mécanisme RDIE de manière à ce que les investisseurs dont les moyens pour mener une procédure onéreuse sont limités, tels que les personnes physiques et les petites et moyennes entreprises, aient, à l’instar des entreprises disposant de ressources plus étendues, un accès effectif aux tribunaux envisagés.

207    Ainsi, les Parties énoncent, à l’article 8.39, paragraphe 6, de cet accord, qu’il incombera au Comité mixte de l’AECG d’« envisage[r] des règles complémentaires destinées à réduire le fardeau financier pesant sur les demandeurs qui sont des personnes physiques ou des petites et moyennes entreprises ».

208    Le « fardeau financier » dont la réduction est ainsi mise en perspective, comporte, en particulier, les frais et les dépens visés à l’article 8.39, paragraphe 5, dudit accord.

209    Il s’agit, d’une part, des frais de représentation et d’assistance juridique encourus tant par l’investisseur requérant que par la Partie défenderesse. Il découle de cet article 8.39, paragraphe 5, que l’investisseur risque, en cas de rejet de sa plainte, de devoir supporter l’entièreté de ces frais.

210    Ledit fardeau financier consiste, d’autre part, dans le paiement des dépens de la procédure. Il ressort à cet égard d’une lecture conjointe de l’article 8.39, paragraphe 5, de l’AECG et de l’article 8.27, paragraphe 14, de celui-ci que ces dépens incluent notamment les honoraires et les frais des membres du Tribunal qui sont désignés pour traiter le différend. L’investisseur requérant risque, en cas de rejet de sa plainte, de devoir supporter l’entièreté de ces honoraires et de ces frais.

211    Le risque financier encouru en introduisant une procédure devant le Tribunal de l’AECG peut ainsi être, pour une personne physique ou une petite ou moyenne entreprise, d’une ampleur telle qu’il dissuade cet investisseur d’entamer la procédure.

212    Ce manque d’accessibilité du Tribunal de l’AECG, auquel peuvent être confrontés de nombreux investisseurs, n’est pas infirmé par la possibilité, prévue à l’article 8.27, paragraphe 9, de l’AECG, de faire instruire le différend par un seul membre de ce tribunal. En effet, cette réduction partielle du fardeau financier sera, aux termes de cette disposition, seulement obtenue si le défendeur y consent.

213    Il s’avère ainsi que, en l’absence d’un régime visant à assurer l’accessibilité financière du Tribunal et du Tribunal d’appel de l’AECG aux personnes physiques et aux petites et moyennes entreprises, le mécanisme RDIE risque, en pratique, d’être accessible aux seuls investisseurs qui disposent d’importantes ressources financières. Une telle situation ferait naître une incohérence tant avec le champ d’application personnel du chapitre huit, section F, de l’AECG, qui s’étend à l’ensemble des entreprises et des personnes physiques de l’une des Parties qui investissent sur le territoire de l’autre Partie, qu’avec l’objectif du commerce libre et équitable, énoncé à l’article 3, paragraphe 5, TUE, que l’AECG vise à réaliser au moyen, notamment, de la voie d’action offerte aux investisseurs étrangers devant des tribunaux extérieurs au système juridictionnel de l’État d’accueil.

214    Il importe, par conséquent, afin d’apprécier la compatibilité du chapitre huit, section F, de l’AECG avec l’article 47 de la Charte, d’examiner si les clauses, contenues dans cette section F et dans les textes qui déterminent la portée de celle-ci, au sujet de l’amélioration de l’accessibilité financière des tribunaux envisagés pour les personnes physiques et pour les petites et moyennes entreprises, traduisent des engagements selon lesquels un régime assurant le niveau d’accessibilité requis par l’article 47 de la Charte sera mis en place dès l’instauration de ces tribunaux.

215    De tels engagements ne sont contenus ni à l’article 8.27, paragraphe 15, de l’AECG, aux termes duquel le Comité mixte de l’AECG « peut », par décision, transformer la rétribution mensuelle et les autres honoraires et frais en salaire régulier, ni à l’article 8.39, paragraphe 6, de cet accord, qui dispose que le Comité mixte de l’AECG « envisage » des règles complémentaires destinées à réduire le fardeau financier pesant sur les personnes physiques et sur les petites et moyennes entreprises.

216    Les autres dispositions du chapitre huit, section F, de l’AECG ne contiennent pas non plus d’engagements juridiquement contraignants au sujet de l’accessibilité financière des tribunaux envisagés pour les investisseurs de petite ou moyenne taille.

217    En revanche, la déclaration no 36 énonce que « [l]’accès à cette nouvelle juridiction pour les usagers les plus faibles, c’est-à-dire les [petites et moyennes entreprises] et les particuliers, sera amélioré et facilité » et prévoit, à cette fin, que « [l]’adoption par le [C]omité mixte de règles complémentaires, prévue par l’article 8.39[, paragraphe 6, de l’AECG] [...] sera diligentée de manière à ce que ces règles complémentaires puissent être adoptées dans les meilleurs délais » et que, « [i]ndépendamment de l’issue des discussions au sein du [C]omité mixte, la Commission proposera des mesures adéquates de (co‑)financement public des actions des petites et moyennes entreprises devant cette juridiction ».

218    Force est de constater que, par cette déclaration, la Commission et le Conseil s’engagent à mettre en œuvre, de manière rapide et adéquate, l’article 8.39, paragraphe 6, de l’AECG ainsi qu’à assurer l’accessibilité des tribunaux envisagés aux petites et moyennes entreprises, et cela même dans l’hypothèse où les efforts au sein du Comité mixte de l’AECG devraient échouer.

219    Cet engagement suffit, dans le cadre de la présente procédure d’avis, pour conclure que l’AECG, en tant qu’« accord envisagé », au sens de l’article 218, paragraphe 11, TFUE, est compatible avec l’exigence d’accessibilité desdits tribunaux.

220    En effet, aux termes d’une phrase explicative qui précède les déclarations dont fait partie la déclaration no 36, celles-ci « font partie intégrante du contexte dans lequel le Conseil adopte la décision d’autoriser la signature de l’AECG au nom de l’Union. Elles seront inscrites au procès-verbal du Conseil à cette occasion ».

221    L’engagement susvisé de l’Union de garantir l’accès réel aux tribunaux envisagés pour l’ensemble des investisseurs de l’Union visés par l’AECG conditionne ainsi l’approbation de cet accord par l’Union. Il importe de relever, à cet égard, que, aux termes de la déclaration no 36, ledit engagement fait partie des « principes » sur le fondement desquels « [l]a Commission s’engage à poursuivre sans retard la révision du mécanisme de règlement des différends [...], en temps utile pour que les États membres puissent la considérer dans leurs processus de ratification ». Eu égard à l’alinéa précédent de la même déclaration, par lequel le Conseil et la Commission confirment que l’entrée en vigueur des dispositions du chapitre huit, section F, de l’AECG ne sera pas antérieure à la ratification de l’AECG par tous les États membres, il y a lieu de constater que la conclusion de l’AECG par le Conseil est envisagée en se fondant sur la prémisse que l’accessibilité financière du Tribunal et du Tribunal d’appel de l’AECG à l’ensemble des investisseurs de l’Union visés sera assurée.

222    Compte tenu de ce lien formulé, par l’Union, entre l’accessibilité financière desdits tribunaux et la conclusion de l’AECG, il y a lieu de considérer que l’accord envisagé n’est pas incompatible, sous cet angle, avec l’article 47 de la Charte.

3.      Sur la compatibilité avec l’exigence d’indépendance

223    S’agissant de l’aspect externe de l’exigence d’indépendance, qui suppose que les tribunaux concernés exercent leurs fonctions en toute autonomie, il y a lieu de constater, tout d’abord, que l’AECG dispose, à son article 8.27, paragraphes 4 et 5, que les membres du Tribunal de l’AECG seront nommés pour des mandats d’une période déterminée et devront posséder des connaissances spécialisées.

224    Il assure, ensuite, à son article 8.27, paragraphes 12 à 15, que ces membres percevront un niveau de rémunération en adéquation avec l’importance de leurs fonctions.

225    Il garantit, enfin, l’inamovibilité desdits membres, la possibilité de leur révocation étant, à l’article 8.30, paragraphe 4, de l’AECG, limitée au cas où le comportement d’un membre ne serait pas conforme aux obligations énoncées au paragraphe 1 de cet article, en particulier l’interdiction de suivre des instructions d’autrui ou de se trouver en position de conflit d’intérêts.

226    L’article 8.28 de l’AECG étend l’applicabilité de l’article 8.27, paragraphe 4, et de l’article 8.30 de cet accord aux membres du Tribunal d’appel. Si les autres composantes susvisées de l’indépendance ne sont pas, avec le même degré de précision, mentionnées à cet article 8.28, il ressort cependant de l’emploi du terme « tribunaux » au point 6, sous f), de l’instrument interprétatif commun que les Parties imposent au Tribunal d’appel les mêmes standards d’indépendance qu’au Tribunal. Cette constatation est corroborée par le tableau de correspondance entre l’instrument interprétatif commun et le texte de l’AECG, qui est joint à cet instrument et mentionne l’article 8.28 de l’AECG parmi les dispositions correspondant au point 6, sous f), dudit instrument.

227    Dans la mesure où le Royaume de Belgique et certains gouvernements ayant présenté des observations s’interrogent sur la compatibilité, avec l’aspect externe de l’exigence d’indépendance, de la compétence que l’article 8.27, paragraphes 2 et 3, ainsi que l’article 8.28, paragraphes 3 et 7, de l’AECG attribuent au Comité mixte de l’AECG pour nommer les membres du Tribunal ainsi que du Tribunal d’appel et pour fixer ou adapter le nombre, par multiples de trois, de membres dont ces tribunaux sont constitués, il y a lieu de tenir compte du fait que l’identité des membres nommés ne saurait être préalablement définie dans le texte de l’AECG et qu’il en va de même s’agissant des augmentations ou des réductions qui pourraient à l’avenir s’imposer en ce qui concerne le nombre des membres. Les garanties rappelées au point 202 du présent avis ne sauraient nullement être comprises comme faisant obstacle à ce qu’un organe non juridictionnel, tel que le Comité mixte de l’AECG, soit compétent pour nommer, dans le strict respect des règles énoncées à l’article 8.27, paragraphes 4 et 5, de l’AECG, lesdits membres et pour adapter, par multiples de trois, leur nombre. Ces garanties ne s’opposent pas non plus à ce qu’un tel organe soit, conformément à l’article 8.30, paragraphe 4, de l’AECG, compétent pour révoquer ces membres.

228    Il ressort, en outre, des articles 26.1 et 26.3 de l’AECG que le Comité mixte de l’AECG aura une composition bipartite et qu’il adoptera ses décisions par consentement mutuel. Ces éléments permettent, ainsi que M. l’avocat général l’a observé au point 267 de ses conclusions, de considérer que ni la nomination ni la révocation éventuelle d’un membre du Tribunal ou du Tribunal d’appel n’obéiront à des conditions autres que celles énoncées, notamment, à l’article 8.27, paragraphe 4, et à l’article 8.30, paragraphe 1, de l’AECG.

229    Pour la même raison, il y a lieu de considérer que les Parties ont pu, sans porter atteinte à l’exigence d’indépendance, stipuler, à l’article 8.27, paragraphe 12, de l’AECG, que le montant de la rétribution mensuelle visant à garantir la disponibilité des membres desdits tribunaux sera établi par le Comité mixte de l’AECG et, au paragraphe 15 de cet article, que cet organe pourra décider de transformer cette rétribution ainsi que les honoraires et les frais en salaire régulier et fixer les modalités de celui-ci.

230    La possibilité que cette compétence du Comité mixte de l’AECG en matière de rémunération ne soit pas immédiatement exercée n’implique pas que la rémunération desdits membres puisse, dans un premier temps, être aléatoire. En effet, en vertu de l’article 8.27, paragraphe 14, de l’AECG, les honoraires et les frais des membres des tribunaux envisagés seront déterminés conformément à l’article 14, paragraphe 1, du règlement administratif et financier du CIRDI, qui se réfère au barème périodiquement fixé par le secrétaire général du CIRDI.

231    Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 260 et 261 de ses conclusions, le caractère évolutif de ces dispositions concernant la rémunération des membres du Tribunal et du Tribunal d’appel de l’AECG ne saurait être perçu comme constituant une menace pour l’indépendance de ces tribunaux, mais permet au contraire la mise en place progressive d’une juridiction composée de membres employés à temps plein.

232    L’article 8.31, paragraphe 3, de l’AECG, aux termes duquel le Comité mixte de l’AECG peut, par ailleurs, adopter des interprétations de l’accord qui lient le Tribunal de l’AECG, et l’article 8.10, paragraphe 3, de cet accord, qui doit être lu en combinaison avec ledit article 8.31, paragraphe 3, ne portent pas non plus atteinte à la capacité de ce tribunal – ou du Tribunal d’appel de l’AECG – d’exercer ses fonctions en toute autonomie.

233    Il n’est, en effet, ni interdit ni inhabituel, en droit international, de prévoir la possibilité pour les parties à un accord international de préciser, au fur et à mesure que leur volonté commune concernant la portée de cet accord évolue, l’interprétation de celui-ci. De telles précisions peuvent être apportées par les Parties elles-mêmes ou bien par un organe institué par les Parties et investi par celles-ci d’un pouvoir décisionnel les liant.

234    En l’occurrence, il y a lieu de constater que le Comité mixte de l’AECG est, en vertu de l’article 26.1, paragraphe 1, de l’AECG, un comité bipartite qui représente les Parties et qui, en vertu de l’article 26.1, paragraphe 4, sous e), et de l’article 26.3 de l’AECG, est habilité à adopter, par consentement mutuel, des décisions contraignantes, telles que, conformément à l’article 26.1, paragraphe 5, sous e), et à l’article 8.31, paragraphe 3, de l’AECG, des décisions d’interprétation de cet accord qui s’imposent aux Parties et aux tribunaux mis en place par l’AECG sans que les exigences prévues à l’article 47 de la Charte et, notamment, l’exigence d’indépendance ne soient enfreintes. Ces actes interprétatifs ont les effets juridiques découlant de l’article 31, paragraphe 3, de la convention de Vienne, aux termes duquel il est tenu compte, aux fins de l’interprétation d’un traité, de « tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l’interprétation du traité ou de l’application de ses dispositions ».

235    Il importe, par ailleurs, de relever que la participation de l’Union à la fixation, par ce Comité, de telles interprétations contraignantes, est régie par l’article 218, paragraphe 9, TFUE. Son consentement à toute décision visée à l’article 8.31, paragraphe 3, de l’AECG devra, en conséquence, être conforme au droit primaire de l’Union, en particulier aux principes relevant de celui-ci et rappelés ou précisés dans le présent avis.

236    Il importe en outre, au regard de l’exigence d’indépendance du Tribunal de l’AECG et du Tribunal d’appel de l’AECG, que les interprétations fixées par le Comité mixte de l’AECG n’aient pas d’effet sur le traitement des différends qui ont été réglés ou introduits antérieurement à ces interprétations. En effet, s’il en était autrement, le Comité mixte de l’AECG pourrait exercer une influence sur le traitement de différends concrets et donc participer au mécanisme RDIE.

237    Bien que cette garantie d’absence d’effet rétroactif et d’absence d’effet immédiat sur les dossiers pendants ne soit pas expressément prévue à l’article 8.31, paragraphe 3, de l’AECG, il convient là encore de relever que le consentement de l’Union à toute décision visée à l’article 8.31, paragraphe 3, de l’AECG devra être conforme au droit primaire de l’Union et, notamment, au droit à un recours effectif consacré à l’article 47 de la Charte. Ainsi, l’article 8.31, paragraphe 3, de l’AECG ne saurait être interprété, au regard dudit article 47, comme autorisant l’Union à consentir à des décisions d’interprétation du Comité mixte de l’AECG qui produiraient des effets sur le traitement des différends réglés ou pendants.

238    En ce qui concerne l’aspect interne de l’exigence d’indépendance, qui porte notamment sur l’impartialité et vise l’égale distance par rapport aux parties au litige ainsi que l’absence de tout intérêt personnel des membres dans la solution de ce litige, il y a lieu de relever, d’une part, que l’égale distance est garantie non seulement à l’article 8.27, paragraphes 6 et 7, de l’AECG, selon lequel les affaires sont traitées par une division constituée de manière aléatoire et donc imprévisible pour les parties, composée de trois membres dont un ressortissant d’un État membre de l’Union, un ressortissant du Canada et un ressortissant d’un État tiers, mais aussi par le renvoi, opéré à l’article 8.30, paragraphe 1, de l’AECG, aux lignes directrices de l’IBA, dont il découle, conformément au premier principe général qu’édictent celles-ci, que les membres du Tribunal de l’AECG doivent être impartiaux et indépendants des parties tant à la date à laquelle ils sont saisis d’une plainte que tout au long de l’instance jusqu’à ce qu’il soit mis fin à celle-ci.

239    Pour ce motif, il doit également être considéré que l’aspect interne de l’exigence d’indépendance n’est pas remis en cause par la circonstance, mise en exergue par le Royaume de Belgique dans sa demande d’avis, selon laquelle la rémunération des membres du Tribunal consistera, au moins dans un premier temps, non seulement en une rétribution mensuelle, mais aussi en des honoraires calculés en fonction des journées de travail consacrées à un différend. En effet, tout manquement aux exigences inscrites dans les lignes directrices de l’IBA, y inclus le premier principe général rappelé au point précédent du présent avis, est susceptible d’entraîner la révocation du ou des membres concernés, conformément à l’article 8.30, paragraphe 4, de l’AECG.

240    Il est, en outre, énoncé, à l’article 8.30, paragraphe 1, de cet accord que les membres « n’ont d’attache avec aucun gouvernement ». S’il est précisé, dans la note de bas de page accompagnant cette disposition, que « le fait qu’une personne reçoive une rémunération d’un gouvernement ne suffit pas en soi à l’empêcher d’exercer les fonctions de membre du Tribunal », il convient de considérer que cette précision est, ainsi que la Commission l’a exposé lors de la procédure orale devant la Cour, liée au fait que, dans un premier temps, les membres des tribunaux envisagés ne seront sans doute pas employés à temps plein et pourront notamment inclure des membres, tels que des professeurs de droit, qui reçoivent leur rémunération de la part d’un État sans toutefois être impliqués, directement ou indirectement, dans la définition de la politique gouvernementale de celui-ci.

241    Quant à la circonstance selon laquelle l’article 8.30, paragraphe 1, de l’AECG énonce, à sa troisième phrase, que les membres du Tribunal de l’AECG « ne suivent les instructions d’aucune organisation ou d’aucun gouvernement en ce qui concerne les questions liées au différend », il y a lieu de relever que cette phrase doit être lue à l’aune de l’exigence d’indépendance contenue à la première phrase du même paragraphe, qui implique que ces membres ne peuvent, en dehors de l’hypothèse circonscrite aux points 232 à 237 du présent avis, recevoir d’instruction dans l’exercice de leurs fonctions, qu’il s’agisse d’un différend particulier ou non.

242    S’agissant, d’autre part, de l’absence de tout intérêt personnel des membres dans la solution du litige, l’article 8.30 de l’AECG contient une interdiction générale de conflit d’intérêts direct ou indirect, laquelle inclut, par le renvoi aux lignes directrices de l’IBA, des règles déontologiques en matière d’activités extérieures.

243    Cet article 8.30 rappelle la compétence du Comité des services et de l’investissement, visé à l’article 8.44 de cet accord, d’adopter des « règles complémentaires » à ce sujet, l’emploi du terme « complémentaires » garantissant que ce Comité n’est pas investi d’une compétence pour réduire la portée de l’interdiction de conflit d’intérêts déjà contenue audit accord, mais devra se limiter à adapter, tout en maintenant le standard élevé d’indépendance découlant de cette interdiction, les règles énoncées dans les lignes directrices de l’IBA aux réalités d’un tribunal d’investissement ayant des caractéristiques juridictionnelles prédominantes.

244    Eu égard à l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de conclure que l’accord envisagé est compatible avec l’exigence d’indépendance.

VI.    Réponse à la demande d’avis

245    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le chapitre huit, section F, de l’AECG est compatible avec le droit primaire de l’Union.

En conséquence, la Cour (assemblée plénière) émet l’avis suivant :

Le chapitre huit, section F, de l’accord économique et commercial global entre le Canada, d’une part, et l’Union européenne et ses États membres, d’autre part, signé à Bruxelles le 30 octobre 2016, est compatible avec le droit primaire de l’Union européenne.

Lenaerts

Silva de Lapuerta

Bonichot

Arabadjiev

Prechal

Vilaras

Regan

von Danwitz

Toader

Biltgen

Jürimäe

Lycourgos

Rosas

Juhász

Ilešič

Malenovský

Levits

Bay Larsen

Safjan

Šváby

Fernlund

Vajda

Rodin

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 avril 2019.

Le greffier

 

Le président

A. Calot Escobar

 

K. Lenaerts